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Délégation aux outre-mer

Mardi 24 mai 2016

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 10

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, Président

– Audition de M. Pierre-Alain Roche, ingénieur général des Ponts, des Eaux et des Forêts, coordonnateur du rapport " Propositions pour un plan d'action pour l'eau dans les départements et régions d'outre-mer et à Saint-Martin "

La séance est ouverte à 17 heures 15.

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, président.

La Délégation procède à l’audition de M. Pierre-Alain Roche, ingénieur général des Ponts, des Eaux et des Forêts, coordonnateur du rapport " Propositions pour un plan d'action pour l'eau dans les départements et régions d'outre-mer et à Saint-Martin ".

M. le Président Jean-Claude Fruteau. J’ai le plaisir d’accueillir en votre nom M. Pierre-Alain Roche, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts. M. Roche a été le coordonnateur d’un rapport intitulé « Propositions pour un plan d’action pour l’eau dans les départements et régions d’outre-mer et à Saint-Martin » qui a été commandé par la ministre de l’écologie et la ministre des outre-mer.

Nos responsabilités dans les territoires que nous représentons nous ont rendus personnellement très sensibles, quelle que soit notre région géographique d’origine, aux problèmes posés par l’alimentation en eau potable puis, à l’autre bout de la chaîne de consommation, par le traitement des eaux usées. De plus, les récents travaux de la délégation aux outre-mer sur le changement climatique et ses effets dans les outre-mer ont été l’occasion de prendre une nouvelle conscience des conséquences potentielles de l’élévation des températures sur les ressources en eau actuellement disponibles. C’est pourquoi le rapport établi sous la direction de M. Roche présente pour nous un grand intérêt.

Tous les outre-mer, quel que soit leur statut juridique, sont confrontés aux difficultés évoquées par ce rapport. Il est important de le rappeler en ouverture de notre réunion, même si la mission de M. Roche et de son équipe ne s’étendait pas à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie et à Wallis et Futuna, territoire dans lequel la disponibilité de l’eau potable semble spécialement problématique.

Je remercie, en tout cas, M. Roche d’avoir bien voulu se rendre disponible pour notre Délégation, et je lui passe la parole.

M. Pierre-Alain Roche. Monsieur le président, monsieur le député, le travail que je vais vous présenter portait sur un périmètre relativement ambitieux, puisqu’il couvrait l’ensemble des Antilles, la Guyane, Mayotte et La Réunion, mais ne couvrait pas l’ensemble des outre-mer. Je ne serais vraiment pas en mesure de vous parler de territoires où je ne suis pas allé à l’occasion de cette mission.

Ce travail fait suite aux recommandations d’un rapport interministériel sur la politique de l’eau. Il a été commandé en vue de la préparation d’un plan d’action en faveur de l’eau dans les départements et régions d’outre-mer. Le souci d’efficacité de l’action était fortement marqué dans la commande.

Je commencerai par quelques constats sur des faits connus mais qui servent, au moment de parler d’un sujet spécialisé, à rappeler les enjeux globaux, socio-économiques, dans lesquels il s’inscrit.

La pression de la croissance démographique est très forte à Mayotte, en Guyane et également à La Réunion, contrastant avec les Antilles. Les densités de population sont très importantes dans certains territoires. Le niveau des revenus est faible, voire très faible. Le taux de chômage est très important. Les indicateurs sociaux sont à un niveau critique. Le taux de mortalité infantile, indicateur très lié à la problématique de l’eau, est extrêmement contrasté par rapport à l’Hexagone, tout particulièrement à Mayotte. Sur un sujet qui nourrit les débats actuels, beaucoup plus qu’à l’époque de l’établissement de notre rapport, le retard à combler avec l’Hexagone, une étude de l’OCDE fait ressortir, là encore, des situations contrastées.

Quand on analyse ensuite la situation institutionnelle, on constate que les outre-mer se distinguent de l’Hexagone par la présence de collectivités communales d’une taille significative, atteignant la masse critique, sous réserve de certaines situations particulières en Guyane. Les disparités constatées entre les DOM et à l’intérieur d’un même DOM résultent de spécificités locales liées à l’histoire.

Nous avons estimé que notre mission devait nous conduire à aborder certaines réalités de manière assez crue : l’emploi public joue de façon spécifique, plus fortement que dans l’Hexagone, un rôle d’amortisseur social, avec des répercussions sur la productivité d’un service public qui est à caractère industriel et commercial et sur les conditions d’accomplissement de l’action sociale dans le cadre de ce service. Le service public de l’eau et de l’assainissement n’échappe pas totalement au contexte général des finances publiques, et notamment à la faiblesse des finances communales, comme des difficultés du secteur industriel et commercial, avec des répercussions sur les programmes d’investissement. Je dois, en revanche, relever l’atout que constituent des échelles géographiques assez miraculeuses lorsqu’il est question de gestion de l’eau. Les notions de bassin hydrographique, avec des réseaux cohérents de rivières ou de ravines, et de région administrative se recoupent le plus souvent. La question se pose bien sûr de manière assez différente en Guyane.

La question du foncier est particulièrement prégnante pour la détermination des solutions, avec la complexité du droit de propriété, les problèmes cadastraux, et les difficultés liées, dans certains territoires, aux occupations illégales.

J’en viens maintenant plus précisément aux services publics d’eau et d’assainissement, pour dire qu’en Guyane et surtout à Mayotte, le niveau du respect de la qualité des services essentiels pose question au regard des exigences du droit international, dans la mesure où des dizaines de milliers de personnes n’y ont pas un accès convenable à l’eau potable. Selon les statistiques officielles, la part des logements dépourvus d’eau potable est de 22% à Mayotte et de 10% en Guyane, sans aucun rapport avec ce qui est observé ailleurs ; encore ces chiffres sont-ils très vraisemblablement sous-estimés.

Lorsque nous avons examiné la situation financière des différents services publics, nous avons constaté l’existence d’une gamme extrêmement variée : certaines sont satisfaisantes, proches de ce qu’on trouve dans une grande partie du monde et dans l’Hexagone, d’autres très dégradées, parfois au point de poser question au regard des normes internationales.

Quant à la responsabilité politique, elle est marquée plus qu’ailleurs, et un peu comme aux Etats-Unis, par le caractère significatif des efforts consentis pour créer l’outil, et la grande faiblesse des efforts de gestion et de service des usagers. Des difficultés doivent, d’autre part, être relevées dans la manière dont l’autorité organisatrice –  commune ou établissement public - exerce ses responsabilités, soit parce que la commune laisse une liberté d’action trop grande à sa régie, soit parce que les conditions d’accomplissement de la délégation de service public sont insuffisamment contrôlées.

La régulation du service public (indicateurs, observations, communications) se heurte à des difficultés que l’on rencontre aussi dans l’Hexagone, comme le montre le rapport que j’ai rendu il y a quelque temps – M. Michel Lesage, ici présent, le sait – sur la situation du service public de l’eau et de l’assainissement dans la France entière. Mais ces difficultés sont particulièrement aiguës dans les outre-mer.

Les prix de l’eau – eau potable et assainissement collectif - sont assez variés, assez difficiles à interpréter. Contrairement à ce qu’on pense souvent, les prix de la Martinique ne sont pas les plus élevés, ce sont les prix guyanais. Les prix bas, particularité réunionnaise, sont contrebalancés par une consommation très élevée, supérieure à l’Italie, qui connaît une situation analogue. Au final, lorsqu’on regarde la facturation des ménages, prix et niveau de consommation se compensent : on connaît bien, à La Réunion, les pratiques de maraîchage ! Il n’est pas seulement question de remplissage de piscines ou de lavage de voitures, mais bien d’activités para-économiques exercées par des ménages qui ont bien besoin de compléments de revenus.

Les configurations géographiques des outre-mer sont spécifiques. Sur des territoires d’assez petite extension, on observe des contrastes marqués entre zones arrosées et zones sèches, y compris à Mayotte. La question du transfert de l’eau et de la réalisation des infrastructures a été structurante dans les années passées. Elle continue à polariser l’histoire des territoires, alors qu’elle n’est plus vraiment d’actualité aujourd’hui.

A La Réunion, on constate des anomalies sanitaires, c’est-à-dire l’existence de poches où la question de la qualité du système de traitement des eaux ne s’est pas mise au niveau des standards pratiqués dans la plupart des outre-mer. Les problèmes sont beaucoup plus récurrents en Guyane et à Mayotte, mais les situations locales exceptionnelles constatées à La Réunion méritent d’être signalées.

Nous avons été amenés à poser, en Guadeloupe, le constat, extrêmement grave, d’une situation en voie de délabrement. Le niveau des fuites dans les réseaux est tel qu’il n’est pas possible d’assurer la continuité de la desserte en eau. On recourt à des tours d’eau, à des stockages, on remet en eau, avec des pressions élevées qui entraînent à nouveau la destruction des réseaux. La méthode de gestion accélère la dégradation des réseaux. Nous avons été surpris de constater, et nous l’avons relevé, que la gestion n’est pas très tournée vers ce qu’on pourrait appeler le ménagement du patrimoine, qui consiste à réétager les pressions, à mettre en place des mécanismes régulateurs, pour lesquels on dispose aujourd’hui de technologies élaborées. Ces mécanismes permettent d’éviter les tours d’eau, et surtout de faire vivre les canalisations dans les meilleures conditions. On a tendance à ignorer cette ingénierie technique qui est pourtant au cœur des solutions de court terme permettant d’améliorer la situation dans un état général fortement dégradé. Tout le monde s’inquiète des mécontentements qui se manifestent sporadiquement. J’ai plutôt tendance à m’étonner, avec le regard extérieur qui est le mien, de la patience extrême des populations. On a eu longtemps tendance à évoquer le carême, en disant qu’il n’y avait pas d’eau ; la vérité, ce n’est pas qu’il n’y a pas d’eau, c’est que les réseaux fuient. Il est vraiment urgent, je crois, de remédier à cette situation.

Certes, il y a des besoins de primo-équipement. Si l’on regarde les rendements des réseaux dans chacun des territoires, l’apparence des chiffres est que les situations les plus satisfaisantes s’observent d’abord à Mayotte (82 %) et ensuite en Guyane (77 %), la dégradation la plus forte étant observée en Guadeloupe où le taux de rendement du réseau est de 52 % ; à la Réunion (59 %) et en Martinique (66 %), la situation n’est pas tellement éloignée. Finalement, ces chiffres traduisent l’âge des réseaux. La Guyane et Mayotte ne sont pas plus vertueuses que les autres territoires au regard de la gestion ; simplement, les installations sont plus récentes. Ce qui arrive aujourd’hui en Guadeloupe est destiné à se produire plus tard ailleurs.

On constate aujourd’hui beaucoup de prélèvements sauvages, de défauts de comptage ou de recouvrement. Dans une commune, aucune facture n’a été émise depuis onze ans ; c’est beaucoup ! Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner de ce qu’il n’y ait pas d’argent dans les caisses : si on n’émet pas de facture, les gens ne vont pas venir faire la queue pour payer des factures qu’ils n’ont pas reçues. Il faut bien s’organiser pour émettre les factures. En Guadeloupe, pour une question de gestion de logiciel, a-t-on dit, Veolia n’a pas émis de facture pendant dix-huit mois pour le centre de l’île.

La question du consentement à payer se pose réellement. Les premiers à ne pas payer leurs factures sont certaines collectivités locales et les grands ensembles d’immeubles, donc les principaux débiteurs. Il ne faut pas croire que faire payer l’eau, c’est faire payer les pauvres ! Les mauvais payeurs ne sont pas vraiment des « riches », mais ils sont en situation de pouvoir considérer qu’ils ont la possibilité de s’exonérer de leurs responsabilités. La généralisation des impayés jusqu’à 30 % ou 50 % – indépendamment d’éventuels mots d’ordre politiques – témoigne d’une incompréhension collective. Quand vous superposez ces pratiques, ces habitudes souvent anciennes, et la mauvaise qualité du service rendu, avec beaucoup d’eau produite mais qui n’arrive pas chez le consommateur, vous avez la clé des difficultés que rencontre le service pour parvenir à l’équilibre.

La clé de la réponse ne consiste pas tant à ajouter de grandes infrastructures de captage et de transfert qu’à reconstituer une ingénierie financière, regagner la confiance des consommateurs, faciliter l’amélioration de la qualité du service, débloquer les compteurs qui ont été bloqués, etc. Il s’agit d’efforts à consentir au quotidien. Restaurer la confiance, c’est revenir aux fondamentaux du service public, et lui restituer sa noblesse en revisitant chacune des composantes des activités de production.

La situation de l’assainissement est analogue. Ses caractéristiques ne sont pas très originales : grosso modo, c’est une politique plus imposée, plus extérieure que la politique de l’eau potable. Autour de l’eau potable, les enjeux sont délicats, et tout le monde s’y intéresse. Quand on commence à parler d’assainissement, l’enthousiasme est moins grand, et on évoque tout de suite les normes européennes. L’assainissement est dispendieux et un peu subi.

Face à des risques de contentieux majeurs, beaucoup d’investissements ont été faits. Certains ont été efficaces, mais pas tous. Beaucoup de stations d’épuration flambant neuves qui commençaient à se dégrader alors que leur rendement était extrêmement faibles : par exemple, des stations conçues pour dix mille équivalents habitant avec six cents équivalents habitant effectifs et une collecte d’eaux usées à traiter très faible. Si, à la place de ces stations très coûteuses, on avait réalisé un filtre planté de roseaux, on aurait fait des économies. Il est nécessaire d’améliorer la cohérence de la programmation des investissements.

Il existe des services d’eau potable qui sont à l’équilibre financier et ont du répondant en termes économiques. L’observation vaut un peu moins pour l’assainissement, mais les situations sont, là encore, extrêmement contrastées.

Pour l’assainissement non collectif, pour lequel des travaux importants ont été réalisés en Martinique, les déversements peuvent constituer des enjeux réels. Mais il ne faut pas se tromper d’objectif. L’adaptation des stations aux conditions locales entretient tout un débat. La plupart, selon ce que j’en ai vu, sont semblables aux stations en service en Inde, qui sont soumises également au climat tropical. Les difficultés relevées sont davantage liées aux conditions d’entretien et à la disponibilité de techniciens. Sans doute les investissements actuellement réalisés permettent-ils de disposer d’installations mieux adaptées, mais le patrimoine existant est mal utilisé.

Nous insistons sur la nécessité de restituer la cohérence entre la logique de raccordement et d’équipement en réseaux et en stations et la logique de paiement. Jusqu’à présent on s’est focalisé sur les investissements en équipements nouveaux sans se préoccuper des pompes qui lâchent. Quand les équipements sont de bonne qualité, il ne faut pas grand-chose pour revenir aux véritables priorités.

D’une manière générale, nous avons conseillé d’établir des programmations comportant des objectifs qui puissent être atteints.

J’ai beaucoup parlé d’eau potable et d’assainissement, parce que le rapport a fait le choix de présenter ces deux domaines comme absolument prioritaires. Nous avons parlé en outre des enjeux sur le milieu naturel et sur le littoral, mais la tonalité générale du rapport est de dire que ces questions ne peuvent pas être bien traitées tant qu’on ne traite pas les fondamentaux : en termes d’assainissement, le déversement des eaux non traitées est la première des nuisances, et il n’est pas possible d’imaginer aujourd’hui de ne pas disposer d’eau potable.

Les outils dont nous disposons – la remarque vaut aussi pour l’Hexagone, car il s’agit là d’un mal français – sont affectés par un certain décalage. Il s’agit de documents produits depuis Paris, dont la lecture est très intéressante, mais qui ne sont pas nécessairement en prise sur la réalité quotidienne des collectivités. Par exemple, vus de l’Hexagone, les comités de bassin donnent l’impression d’avoir une activité plutôt satisfaisante ; mais on s’aperçoit qu’il y a un consensus pour dire que – avec des exceptions intéressantes – leur activité n’est pas si substantielle qu’elle puisse susciter la confrontation.

Les offices de l’eau n’ont pas beaucoup de ressources, et de plus, structurellement, la taille des populations ne permet pas de les prendre en considération. Naturellement, on relève de grandes différences de situation, que nous avons pu apprécier en conduisant dans chaque office une mission d’une semaine ; mais globalement, s’ils peuvent en effet percevoir des recettes de redevance les offices n’atteignent pas une dimension suffisante, à nos yeux, pour permettre la redistribution, ce qui fonde leur utilité – je dois dire que ce n’est pas l’opinion du conseil départemental.

Nos constats nous conduisent à préconiser un changement de méthode, en nouant des relations entre les financeurs qui privilégient le renforcement des capacités avant toute autre considération : les capacités qu’il s’agit ici de renforcer, ce ne sont pas les grands équipements, mais les logiciels de facturation et de maintenance, les programmations, etc. Il faut faire en sorte que l’Agence française du développement et la Caisse des dépôts se réinvestissent dans ces services pour accompagner ces efforts avec des outils assez puissants.

Pourquoi parler de réinvestissement ? Parce qu’on a des contrastes de solvabilité et d’ingénierie. Dans certaines collectivités de La Réunion, par exemple, les procédures sont simples et sont facilitées ; d’autres collectivités éprouvent des difficultés dans la gestion de leur patrimoine et ne répondent pas aux critères de bancabilité. Il faut pouvoir poser un acte de foi collectif dans la possibilité de surmonter ces difficultés.

Quand il s’agit de porter un effort d’investissement à long terme, plus votre autofinancement est dégradé, et moins vous êtes attractif pour les banques. Il faut donc trouver un mécanisme qui renforce cette attractivité, en séparant bien les comptes de la collectivité des comptes du service d’eau potable : ainsi, même si les finances de la collectivité proprement dites sont dans le rouge, ce service public, doté d’un budget annexe autonome, répondant à des critères de productivité spécifique, doit pouvoir bénéficier d’efforts particuliers permettant d’améliorer sa situation sans que l’on prétende régler le problème général des finances de la collectivité en cause.

Certaines opérations de sauvetage de collectivités ont été des réussites, d’autres ont été plus difficiles et il en est parfois résulté la non-réélection du maire. Là, il faut isoler la gestion du service public de l’eau, en pratiquant des tarifications sociales adaptées. Parfois on évoque des prix bas, alors que les tarifications sociales sont très peu pratiquées, parce qu’on n’a pas nécessairement envie d’entrer dans l’ingénierie correspondante.

L’idée est de rassembler l’ensemble des bailleurs – la région, gestionnaire des fonds européens, l’ONEMA, la Caisse des dépôts et l’AFD – pour constituer une sorte de conférence, dont le secrétariat est assuré par la DEAL, et qui devient une espèce de bailleur financier négociant avec la collectivité un contrat de moyen terme. Certains nous ont opposé que cette proposition entraînait une ingérence et une atteinte à la légitimité des collectivités locales. Mais dans une situation où sont en cause les fondamentaux, il faut bien se mettre d’accord sur les critères et les indicateurs permettant d’assurer que l’argent a été bien investi. Cela suppose que l’on accepte d’établir un diagnostic sérieux et partagé sur des sujets « sous le tapis », la performance, la gouvernance, le rapport qualité/prix, etc. La statistique que j’ai eu le plus de mal à trouver dans les DOM, alors qu’elle est disponible dans le monde entier, c’est celle de la disponibilité effective de l’eau pour les usagers. En effet, il est gênant d’afficher que l’eau n’est disponible qu’une partie de la semaine. J’ai été obligé de dépouiller dans la presse la liste des tours d’eau pour avoir une idée des populations concernées. Si on veut traiter la question des tours d’eau, si l’on veut que les gens aient plus d’eau, si on veut améliorer la gestion, il faut accepter de faire la lumière sur ces sujets « sous le tapis ».

Il y a un enjeu de réorientation des priorités. Un certain nombre des choix qui ont été faits dans la durée n’ont pas procédé d’une vision globale des enjeux de l’amélioration du service, mais pour répondre ponctuellement à une demande spécifique de mise aux normes. Il faut en outre lever des tabous spécifiques, notamment sur l’éligibilité à certains financements de l’indispensable renouvellement des réseaux. Il faut défragmenter et élargir les interventions financières, qui portent par définition sur des dépenses pluriannuelles ; les résultats se constatant dans la durée, nous avons proposé d’inscrire ces interventions dans une logique de contrats quinquennaux, négociés par la conférence régionale des bailleurs avec des indicateurs de performance et de résultats et comportant de la subvention, du prêt, de l’aide à l’ingénierie. La mise en œuvre de ce schéma suppose un exercice de réagencement qui n’est pas très facile dans certains territoires, mais qui est beaucoup plus simple dans les outre-mer : il convient de s’entendre sur un échéancier pluriannuel, des indicateurs de résultat, une montée en puissance et des clauses de revoyure.

Les excellentes dispositions de l’Agence française de développement à l’égard de cette démarche permettent d’espérer qu’on trouvera une solution pour les collectivités qui sont le plus en difficulté, quelle que soit l’hétérogénéité constatée des situations.

Les propositions sur la croissance verte que le rapport avait formulées pour les DOM ont été étendues à l’ensemble de la France par la Caisse des dépôts, parce que celle-ci les trouvait intéressantes mais ne pouvait pas établir de différence entre l’Hexagone et les outre-mer.

Les crédits de l’ONEMA, dont la Corse est actuellement la seule bénéficiaire, pourraient opportunément être aussi affectés aux outre-mer, si l’on parvenait à créer la confiance. Bien sûr, compte tenu du niveau actuel des taux d’intérêt, la question de la bonification d’intérêts n’est pas pressante ; mais si les taux venaient à remonter, l’ingénierie financière sur les bonifications pourrait être utile.

J’ai déjà parlé de la conférence régionale des bailleurs. Il nous paraît en outre indispensable de prévoir un ensemble de formations et d’accompagnements, notamment en cas de montée en puissance du travail sur les réseaux. Elle ne pourra pas se faire du jour au lendemain : intervenir dans la rue, installer des canalisations, cela prend du temps, et il est très difficile de traiter ces travaux sur le mode industriel. Il faut aussi prendre en considération les effets de marché sur les travaux publics.

Si la logique contractuelle que nous préconisons prend, elle pourra être élargie à d’autres domaines. Dans la perspective de la mise en place des comités régionaux de la biodiversité, nous avons envisagé de proposer, ce qui déplaît un peu aux administrations, la fusion des schémas existants. Les SAR et les SDAGE, dès lors qu’ils possèdent la même base territoriale, ne gagnent sans doute pas en force en restant séparés ; nous avons proposé des expérimentations sur ce thème.

Voici l’essentiel des préconisations que nous avons présentées ; je vous remercie de votre compréhension des limites de notre rôle.

M. le Président Jean-Claude Fruteau. Je vous remercie, monsieur Roche, en mon nom et en celui de mes collègues présents, de cette présentation extrêmement nourrie.

Vous avez évoqué la difficulté qu’il y a à s’exprimer en partant d’un point de vue extérieur. Un tel regard permet parfois une vue d’ensemble qu’il peut être difficile d’acquérir de l’intérieur. Il permet en outre de mettre en évidence ce qui est original jusqu’au scandale, si je puis dire, comme vous l’avez fait à plusieurs reprises. C’est la vertu de ce genre d’exercice.

M. Jean-Jacques Vlody. Il était intéressant, voire indispensable, de dresser l’état des lieux, même si nous connaissons tous les grandes données du problème. Mais il convient maintenant de savoir comment on va le régler, ce problème. Comme vous l’avez dit dans votre conclusion, la question centrale est celle du financement des investissements. A La Réunion, nous avons connu une situation particulière, où le préfet a fini par recourir à une forme extrême de coercition, engageant des poursuites contre des maires pour des problèmes d’assainissement.

M. le Président Jean-Claude Fruteau. Contre des communes !

M. Jean-Jacques Vlody. Oui, des communes.

M. le Président Jean-Claude Fruteau. J’ai été moi-même convoqué en tant que maire de Saint-Benoît. On m’avait indiqué que je pouvais me faire représenter par un adjoint. Je ne l’ai pas fait, je me suis rendu en personne à la convocation. C’était un peu après ma réélection comme maire.

M. Jean-Jacques Vlody. La raison invoquée était le non-respect de la loi sur l’eau. Mais les investissements nécessaires pour la construction des réseaux d’assainissement étaient évalués, il y a trois ou quatre ans, à 800 millions d’euros pour l’ensemble du territoire de La Réunion. Je souhaiterais d’ailleurs savoir si ce type d’investissement est toujours éligible aux fonds européens ou si vous préconisez le rétablissement de cette éligibilité qui aurait été supprimée. On a soutenu, à La Réunion, que ni l’Etat, ni l’Europe n’acceptaient plus de financer les réseaux primaires d’assainissement. Or ni le département, ni, a fortiori, les collectivités, ne disposent des ressources financières correspondantes. Les ressources procurées par les recettes affectées à l’Office de l’eau ont seulement permis le financement de travaux partiels dans quelques communes.

Se pose aussi la question de la sécurisation des approvisionnements, des captages. Nous rencontrons aujourd’hui un problème de consolidation des ressources affectées à ces travaux et de mobilisation des financements nécessaires.

M. Pierre-Alain Roche. Je vais essayer de vous apporter une réponse spécifique, même si le rapport n’a pas été décliné territoire par territoire, car notre souci était de présenter des solutions globales. Ceci étant nous avons quelquefois mis le projecteur sur telle ou telle situation particulière.

A La Réunion, si l’on calcule les investissements nécessaires au dimensionnement des réseaux en fonction des consommations habituelles des habitants, on arrive effectivement à un montant élevé d’investissement. Mais le niveau de consommation est une anomalie : on alimente à travers le réseau de distribution d’eau potable des usages qui ne sont pas économes. Une étude réalisée sur le secteur de Saint-Pierre a montré à quel point la maîtrise des consommations permettait de diminuer les besoins en investissements. Quand on manipule des chiffres globaux d’investissements nécessaires, on mélange très souvent l’accessoire et l’essentiel, et on aboutit à un constat d’impossibilité collective. Nous avons adopté la logique inverse : si on arrive, en cinq ans, à doubler le montant actuel des investissements, cela représente déjà un effort considérable au regard des capacités des maîtrises d’ouvrage. Quand il s’agit de restructurer un réseau en milieu urbain, d’ouvrir les chaussées, cela prend du temps, c’est compliqué. Donner des chiffrages en centaines de millions d’euros, cela n’a pas de sens, car il y a une totale incapacité collective à entretenir un rythme d’investissement correspondant. Il faut plutôt définir des priorités, se demander comment intensifier les efforts, et au fur et à mesure les volumes d’investissement accompagnent.

Aujourd’hui, dans le cadre des règles actuellement en vigueur, les crédits n’arrivent pas à suivre. Des dossiers sont présentés, mais ils ne s’exécutent pas, ou pas assez. La Réunion fait un peu exception historique à cet égard, ce qui lui permet de bénéficier des crédits laissés disponibles par les autres bénéficiaires potentiels en fin de programme.

M. Jean-Jacques Vlody. Ce n’est pas suffisant !

M. Pierre-Alain Roche. Vous ne pouvez pas mettre sur la table, du jour au lendemain, trois cents millions d’euros. C’est une affirmation que l’on peut soutenir dans un discours, mais, dans la réalité, le progrès est nécessairement incrémental, dans des domaines qui sont des domaines de proximité, de détail. On n’est pas du tout dans le domaine des grandes infrastructures.

Par ailleurs, le rapport affirme qu’il faut financer les systèmes d’assainissement dans leur intégralité. Tout à l’heure, j’ai beaucoup insisté sur le fait que la question du financement est d’abord une question d’équilibre des comptes, de restructuration, dans un certain nombre de cas où les leviers de l’autofinancement n’arrivent pas à se reconstituer. La création de la conférence des bailleurs permet de ne pas attendre que l’autofinancement se reconstitue pour que des prêts à long terme soient accordés. Certaines collectivités disposent de puissants effets de levier, et sont exposées à buter sur le plafond des ressources disponibles. Beaucoup ont un problème de mobilisation de la ressource d’ingénierie financière et technique, qui les gêne pour porter des projets et les mener à terme.

Notre plan d’action est plus tourné vers l’accompagnement de ceux qui ont besoin de faire ces progrès. Du coup les principaux bénéficiaires potentiels de nos propositions ne sont pas nécessairement les Réunionnais, puisqu’ils disposent déjà de capacités de mobilisation. En revanche, l’ouverture progressive des financements à mesure que les besoins se révèlent vaut pour tout le monde.

Sur les financements européens, la difficulté qui a pu être relevée ne tient pas à la modification des taux mais à la redéfinition de l’assiette, qui exclut désormais les investissements « productifs », la Commission ayant demandé qu’on enlève les recettes futures escomptées de l’investissement de la base subventionnable. Cette modification a eu des répercussions très importantes à La Réunion, tant pour l’eau potable que pour l’assainissement. L’assiette a diminué, mais un effet correctif a été renégocié sur les taux, de sorte que ceux qui avaient déjà engagé des opérations ne perdent pas trop par rapport à ce qu’ils attendaient.

L’issue du dialogue entre la région et la Commission dépend énormément des priorités définies par la région. S’il y a une conférence des bailleurs, une association chargée de gérer les fonds du FEDER, et si cette association choisit de se battre sur l’eau potable et sur l’assainissement, la négociation aura des résultats. C’est vraiment une question de définition collective des priorités.

M. le Président Jean-Claude Fruteau. Merci encore, monsieur Roche, pour votre présentation dont nous aurons à tirer les enseignements.

La séance est levée à 18 heures 35.

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