La séance débute à 17 heures 05.
Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, président.
La délégation procède à l’audition de Madame Christine Tisseau-Giraudel, coordinatrice des États généraux de la production audiovisuelle et cinématographique des outre-mer, accompagnée de M. Marc Barrat, président de l’Association Guyane – Cinéma, Audiovisuel et Multimédia (G-CAM), Mme Sabine Jean-Louis Zéphir, présidente du Syndicat des producteurs indépendants du cinéma et de l’audiovisuel martiniquais (SPICAM), Mme Christine Della-Maggiora, vice-présidente de la Fédération indépendante des producteurs audiovisuels de Nouvelle-Calédonie (FIPA-NC) et Mme Christine Vial-Collet, présidente de l’Association des producteurs de cinéma et d’audiovisuel de Guadeloupe (APCIAG).
Mme Marie-Anne Chapdelaine, présidente. Mes chers collègues, à l’initiative de Mme Maina Sage, nous accueillons aujourd’hui Mme Tisseau-Giraudel, coordinatrice des États Généraux de la production audiovisuelle et cinématographique des outre-mer.
Ils se sont réunis le mois dernier en Polynésie française ; ils ont rassemblé des professionnels de l’audiovisuel de tous les outre-mer. À ce titre, leur tenue constitue un événement qui a retenu l’attention de notre Délégation.
D’après les informations qui m’ont été communiquées, ces États généraux ont été l’occasion d’une évaluation partagée de la situation de l’audiovisuel dans les outre-mer et de la recherche, également en commun, de perspectives d’un développement futur.
Je passe la parole à Mme Maina Sage pour une brève introduction.
Mme Maina Sage. J’ai pu assister à certains des ateliers de ces États généraux, dont la coordinatrice a souhaité que le Parlement et les ministères concernés soient informés des conclusions.
C’est à ce titre que j’ai sollicité la Délégation aux outre-mer, car cette rencontre permettra la bonne information de tous ceux qui sont intéressés par ces sujets, qui ont été abordés l’an passé par une étude du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) ainsi qu’à l’occasion de nos débats sur le projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique.
C’est la première fois que nous rencontrons des représentants du tissu professionnel ultramarin, qui souhaitent faire connaître leurs filières, et démontrer tout le potentiel de développement économique et de valorisation de nos patrimoines que celles-ci peuvent représenter.
Mme Christine Tisseau-Giraudel, coordinatrice des États Généraux de la production audiovisuelle et cinématographique des outre-mer. Je tiens à remercier Maina Sage, qui a entendu notre souhait d’être reçus à l’Assemblée nationale. Chacun d’entre nous présentera les divers territoires ultramarins ayant participé à ces États généraux de la production audiovisuelle et cinématographique des outre-mer.
Nous dresserons un rapide état des lieux, puis nous présenterons nos pré-conclusions ainsi que nos recommandations, sachant qu’à la fin du mois prochain, nous présenterons l’ensemble de nos propositions après leur validation par les services des divers ministères concernés.
M. Marc Barrat, président de l’Association Guyane – Cinéma, Audiovisuel et Multimédia (G-CAM). Je suis réalisateur et responsable de la société de production Kanopé films, située en Guyane. Je suis également président de l’Association Guyane – Cinéma, Audiovisuel et Multimédia (G-CAM), créée en 2009, qui compte quarante-sept membres, et rassemble des producteurs, des réalisateurs, des techniciens ainsi que des acteurs.
La Guyane comprend aujourd’hui dix sociétés de production, une centaine de techniciens, intermittents et auto-entrepreneurs, dont une dizaine d’auteurs affiliés à la Société civile des auteurs multimédia (SCAM) et à la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD). Nous diffusons quatre chaînes de télévision. Quatre festivals de cinéma sont organisés chaque année, et nous disposons de quatre cinémas, dont un complexe de six salles.
Depuis 2010, nous bénéficions d’un fonds de financement au titre de la convention de coopération cinématographique passée entre l’État, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) et la région. Ce fonds a permis de pérenniser, de démocratiser et d’augmenter l’aide régionale, notamment avec l’apport du « 1 euro pour 2 euros » du CNC : lorsque la région engage 100 000 euros, le CNC apporte 50 000 euros, pour les aides à l’écriture, à la production ou au développement. En 2015, la dotation du fonds pour la Guyane s’est élevée à 405 000 euros avec 270 000 euros d’apport de la Communauté territoriale de Guyane (CTG) ; vous aurez le loisir de comparer ces chiffres avec ceux de mes collègues.
En 2013, un bureau d’accueil des tournages (BAT) a été créé afin d’accompagner les productions extérieures
La Guyane a toujours été une terre d’aventure, or l’aventure aime la fiction. Parmi nos projets phares ayant vu le jour en Guyane, peuvent être cités : Jean Galmot, aventurier, réalisé en 1989, le Vieux qui lisait des romans d’amour, réalisé en 2000 et le premier long métrage, que j’ai en l’honneur de réaliser en 2008 : Orpailleurs.
Depuis deux ans, on observe un intérêt marqué pour notre territoire à travers des œuvres de fiction comme la Loi de la jungle, d’Antonin Peretjatko, une comédie « déjantée ». En 2015, pour la première fois, une importante série a été produite par Canal+ Guyane, comportant huit épisodes de cinquante-deux minutes ; elle sera diffusée le 23 janvier sur la chaîne Canal+.
Enfin, la chaîne Arte vient de tourner un thriller policier de trois épisodes de cinquante minutes, intitulé Maroni.
Ainsi, les sociétés de production locales arrivent-elles à tirer leur épingle du jeu dans ces séries de fiction en étant prestataire de services ou producteur exécutif. En revanche, elles rencontrent de grandes difficultés dans la production de documentaires. En 2015, 80 % des documentaires, tournés en Guyane et en partie financés par le fonds CNC-État-Régions, étaient initiés par des productions hexagonales.
On constate que les productions locales ont du mal à se positionner, aussi bien pour l’accès aux diffuseurs que pour les financements.
Mme Sabine Jean-Louis Zéphir, présidente du Syndicat des producteurs indépendants du cinéma et de l’audiovisuel martiniquais (SPICAM). Je suis productrice et présidente du Syndicat des producteurs indépendants cinéma et audiovisuel martiniquais (SPICAM). Certes, le Syndicat n’existe que depuis six mois, mais ses membres fondateurs ont plus de quinze ans d’expérience dans le secteur.
Il existe une vingtaine de sociétés de production en Martinique, pour une quarantaine d’auteurs et de réalisateurs ainsi qu’environ 150 techniciens audiovisuels intermittents du spectacle. Six chaînes de télévision et un complexe cinéma de dix salles sont présents dans le territoire.
Jusqu’à l’année 2011, la Martinique ne bénéficiait pas d’une convention avec le CNC, mais il existait un fonds d’aide au tournage, lié à la politique culturelle de la région, qui a favorisé l’émergence de notre filière ainsi que le soutien d’un certain nombre de productions.
Ainsi, jusqu’en 2011, avons-nous disposé d’une enveloppe de soutien d’un montant maximum d’environ 700 000 euros. En 2011-2012 la première convention CNC-État-Régions a été passée ; elle a favorisé le développement de l’audiovisuel et du cinéma avec plus d’un million d’euros attribué à une vingtaine de projets, qu’il s’agisse de documentaires, de courts ou de longs métrages. Cette aide, qui n’a duré qu’un an, n’a pas été reconduite ; toutefois, dans le secteur du cinéma, la production a été soutenue à hauteur de 1,8 million d’euros entre 2014 et 2016 par la région Martinique.
Cette année, la reconduction de la convention CNC-État-Régions est inscrite au programme de la nouvelle collectivité territoriale de Martinique (CTM) ; pour la période 2017-2019, nous espérons qu’elle nous permettra de bénéficier du régime du « 1 euro pour 2 euros» précédemment cité.
Par ailleurs, la création en 2017 d’un BAT en Martinique, seule région de France à en être dépourvue jusqu’alors, ainsi que d’une commission du film, constituera une avancée importante.
A l’instar de tous les territoires ultramarins, la Martinique regorge de talents et de compétences qui ne demandent qu’à s’exprimer. J’en veux pour preuve toutes ces œuvres qui nous ont été offertes par des personnes de talents comme Euzhan Palcy, Lucien Jean-Baptiste, Guy Deslauriers, Jean-Claude Barny et d’autres encore… Aussi avons-nous besoin de vous.
Mme Christine Della-Maggiora, vice-présidente de la Fédération indépendante des producteurs audiovisuels de Nouvelle-Calédonie (FIPA-NC). Je suis chargée de production à la société Latitude 21 Pacific et vice-présidente de la Fédération indépendante des producteurs audiovisuels de Nouvelle-Calédonie (FIPA-NC), créée en 2011. La Fédération compte aujourd’hui dix-huit sociétés de production actives dans les domaines du documentaire, de la docu-fiction, de magazine et de programmes de flux.
Nous avons également créé l’Association des producteurs de fiction (ACPF), qui regroupe sept membres réalisant des films de court et de long métrage. Depuis 2005, nous disposons d’un bureau d’accueil des tournages. En 2009, la province Sud a créé la commission locale d’aide à la production audiovisuelle et cinématographique ; elle a été suivie par la province Nord, et, de façon ponctuelle, par la province des îles Loyauté.
Les enveloppes correspondant à ces aides fluctuent largement chaque année. Elles n’en ont pas moins constitué un réel levier pour la production audiovisuelle en Nouvelle-Calédonie en développant la filière, tout en étant parfois insuffisantes dans le secteur de la fiction.
À ce jour, la Nouvelle-Calédonie n’est pas éligible aux aides du CNC. Toutefois, l’année 2017 verra la création d’un fonds audiovisuel, décidée par le Congrès au mois d’août dernier ; en outre, un processus de signature de convention est en cours avec le CNC et devrait aboutir cette année.
En dix ans, nous sommes passés d’une à vingt-cinq sociétés de production, et nous produisons quarante fois plus qu’il y a dix ans.
En 2016, trente documentaires ont été produits en Nouvelle-Calédonie, dont dix-sept localement ; ils ont été diffusés sur des chaînes locales, nationales et internationales. Nous disposons de trois chaînes de télévision : Nouvelle-Calédonie 1re (NC 1re), Canal+ Calédonie et NCTV. Nous organisons cinq festivals, et disposons d’un cinéma.
Tout particulièrement depuis 2015, à travers son BAT, la Nouvelle-Calédonie accueille des productions extérieures comme le film Louise Michel, la série Foudre et l’émission Koh-Lanta, pour plusieurs saisons, et dernièrement, le film Mercenaire, primé à la quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2016.
Même si elle est jeune, la filière audiovisuelle néo-calédonienne est forte de vingt-cinq sociétés de production, de plus de cinquante réalisateurs et de 250 techniciens et autres prestataires spécialisés. Nos producteurs sont très actifs, et nous sommes parvenus à nous structurer malgré les difficultés, avec parfois un sentiment d’inégalité, car nous ne bénéficions pas des aides du CNC.
Mme Christine Tisseau-Giraudel. Avant d’évoquer la Polynésie, en l’absence d’Estelle Jomaron-Galabert, présidente de l’Agence film Réunion (AFR), je présenterai la situation prévalant à La Réunion.
La naissance de la filière audiovisuelle et cinématographique de La Réunion peut être située à l’année 2001.
Ce territoire compte aujourd’hui dix-huit sociétés de production, 155 techniciens, quatre chaînes de télévision, huit festivals, sept complexes de cinéma représentant vingt-trois salles.
Le fonds de soutien annuel s’élève à 1,35 million d’euros, auquel le CNC apporte 577 000 euros, et un bureau d’accueil des tournages a été mis en place en 2001.
Il faut relever que La Réunion est le territoire le plus avancé des outre-mer : elle conduit une réelle politique de promotion de la destination à travers l’accueil des tournages, qu’elle a très vite lié au tourisme et à l’économie. Au cours des États généraux de la production audiovisuelle et cinématographique des outre-mer, nous avons très tôt décidé qu’elle nous servirait de modèle.
En Polynésie française, je suis productrice et présidente du Syndicat de la production audiovisuelle en Polynésie française (SPAPF).
La filière polynésienne a vu le jour en 2003 ; auparavant, nous produisions surtout des films publicitaires et institutionnels, mais peu de choses pour la télévision. La création en 2004 du Festival international du film documentaire océanien (FIFO) a marqué pour nous une prise de conscience : pourquoi ne pas réaliser de films alors que nous en recevons cent chez nous ? De leur côté, nos institutionnels nous ont demandé : pourquoi pas vous ?
Nous avons donc commencé à nous fédérer, et à constituer en 2007 un fonds de soutien à la production audiovisuelle ; c’était un préalable, puisqu’à l’instar de la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française n’avait pas accès aux dotations du CNC. La création de ce fonds a donné le départ du développement de la production audiovisuelle polynésienne : en 2003 nous produisions un documentaire par an, et disposions de cinq techniciens, aujourd’hui, nous produisons presque trente documentaires par an, et comptons 120 techniciens.
Ainsi, l’accompagnement politique et institutionnel, à travers le fonds de soutien et la mise en place de mesures incitatives et d’accompagnement des professionnels et des facilitateurs de tournages, a permis ce développement en Polynésie.
L’accès aux crédits du CNC a constitué la seconde phase du développement. Faute d’être éligible à la convention CNC-État-Régions, la Polynésie française, en 2013, a signé une convention avec cet organisme permettant aux producteurs locaux de bénéficier d’une enveloppe dédiée d’un montant de 577 000 euros.
Aujourd’hui, la Polynésie française compte deux chaînes de télévision, trois festivals, quatre complexes de cinéma et une quinzaine de sociétés de production. Le fonds de soutien créé en 2007, et dont le montant a été doublé cette année, s’élève à 1,4 million d’euros. Le bureau d’accueil des tournages dont nous disposions a été fermé, mais le ministre polynésien de la relance économique a annoncé sa réouverture après qu’il se sera assuré auprès des professionnels que celui-ci répond bien à leurs attentes. De fait, le BAT constitue la porte d’entrée des tournages extérieurs sur nos territoires. Au demeurant, nous savons recevoir des tournages en l’absence de bureau d’accueil, mais cet organisme, souvent placé sous l’égide de Film France qui les regroupe, confère un gage de sérieux aux sociétés de production nationales comme internationales.
Mme Christine Vial-Collet, présidente de l’Association des producteurs de cinéma et d’audiovisuel de Guadeloupe (APCIAG). Je suis présidente de l’Association des producteurs de cinéma et d’audiovisuel de Guadeloupe, association née en 2010, et regroupant près de 17 producteurs guadeloupéens.
En Guadeloupe, le secteur audiovisuel et cinématographique a réellement pris naissance en 2002, et, à partir de 2005, la région a décidé de participer activement à son organisation ; dans le même temps, un protocole a été signé avec le CNC qui attribue des aides.
Il faut conserver à l’esprit que ces mesures bénéficient aux professionnels locaux, certes, mais « boostent » l’attractivité de notre territoire en attirant des tournages ainsi que de grosses productions nationales, voire internationales.
Ainsi, dès 2006, une première série importante, intitulée la Baie des flamboyants, est-elle tournée ; cette émission, qui s’est étalée sur 300 épisodes en quatre saisons, a constitué pour de nombreux techniciens locaux l’occasion d’acquérir une solide expérience.
En 2011, a été donné le premier tour de manivelle de la série télévisée britannique produite par BBC 1, Death in Paradise, intégralement tournée en Guadeloupe ; le tournage de la septième saison a commencé. Les retombées économiques pour le territoire se chiffrent à au moins trois millions d’euros dépensés sur le territoire par an.
Certes, cette série est la plus grosse production en Guadeloupe, mais le secteur est resté actif, car de nombreuses séries, des documentaires ainsi que des films de court et long métrage ont été produits et certains primés.
En 2008, un bureau d’accueil des tournages a été créé : il compte aujourd’hui vingt auteurs et 222 techniciens. Nous disposons de matériel permettant la gestion simultanée de plusieurs tournages, en 2015, nous avons ainsi enregistré 600 jours de tournage.
Nous bénéficions de deux fonds.
Depuis 2005, le fonds de coopération cinématographique et audiovisuel, dans le cadre de la convention CNC-État-Régions, qui, en 2015, a aidé douze projets, la région ayant versé 591 000 euros et le CNC 578 000 euros.
Depuis 2014, le fonds régional d’aide aux œuvres cinématographiques et audiovisuelles, qui soutient les projets en production, postproduction et diffusion ; dans ce cadre, neuf projets ont été aidés pour un montant de 1,3 million d’euros.
Lors des travaux des États généraux de la production audiovisuelle et cinématographique des outre-mer — pour lesquels Mme Maina Sage, qui était présente, a évoqué l’égalité réelle —, nous avons ensemble considéré qu’il était grand temps que l’ensemble des mesures d’accompagnement propres à favoriser le développement des filières audiovisuelles disponibles en métropole soient adaptées aux particularités résultant de l’éloignement géographique des départements et territoires ultramarins, et étendues aux outre-mer.
Par ailleurs, le groupe France Télévisions, à travers les chaînes Outre-mer 1re, France O, mais aussi France 2, France 3, France 4 et France 5, devrait soutenir la production cinématographique des outre-mer de la même façon qu’il soutient la production métropolitaine, notamment celle qui se situe dans l’enceinte du périphérique parisien.
Enfin, les œuvres ultramarines doivent rayonner sur l’ensemble des chaînes et autres supports, singulièrement sur ceux de l’audiovisuel public.
Nous avons donc défini un développement en trois axes.
Le premier porte sur le développement de la filière : je laisse à Sabine Jean-Louis Zéphir le soin de s’exprimer à ce sujet.
Mme Sabine Jean-Louis Zéphir. L’accompagnement de la filière audiovisuelle et cinématographique dans l’ensemble des territoires et départements ultramarins passe par trois mesures majeures.
La première porte sur la formation et la professionnalisation : si nous souhaitons que nos filières soient plus attractives et compétitives devant la compétition internationale, toujours plus sévère sur tous les marchés, nous devons créer et favoriser l’accès aux formations continues et de spécialisation de nos auteurs, techniciens et producteurs.
Par ailleurs, afin de préparer l’avenir de notre jeunesse, nous devons lui dispenser des formations initiales solides et adaptées. L’éducation à l’image est elle aussi nécessaire, car décrypter et comprendre le monde qui nous entoure est aujourd’hui fondamental ; les professionnels de la filière sont conscients du rôle qui leur revient dans cette action.
Je laisse à Marc Barrat le soin d’évoquer la question du financement de la formation et la professionnalisation.
M. Marc Barrat. Le financement de la formation et la professionnalisation doit être étendu à l’ensemble des départements et territoires d’outre-mer, comme les conventions CNC-Régions ou CNC-Territoires, notamment en intégrant les aides à l’écriture, au développement et à la production. Je pense naturellement à la Nouvelle-Calédonie qui ne bénéficie pas encore de ce fonds de soutien.
Le niveau d’investissement des chaînes du réseau Outre-mer 1re et de France Télévisions doit être aligné sur celui de France 3 régions. Ainsi, dans le secteur du documentaire, le taux d’investissement est-il de 10 % du budget total du film pour les chaînes d’outre-mer 1re — Guadeloupe 1re, Martinique 1re, par exemple —, de 38 % en régions métropolitaines, et de 50 % en général pour les productions à l’intérieur du périphérique.
Nous voulons encore réduire le délai de versement des subventions d’aide publique afin de tendre dans les départements ultramarins notamment, vers le délai légal de quarante-cinq jours ou de soixante jours calendaires. En effet, les collectivités sont souvent longues à verser les subventions, ce qui met en péril des sociétés de production dont la trésorerie est fragilisée par ces délais trop importants.
Nous souhaitons créer des solutions de crédit adaptées à la production audiovisuelle et cinématographique ultramarine telles Cofiloisirs ou Coficiné, en nous appuyant sur les structures bancaires ou de financement existantes, comme l’Agence française de développement (AFD), ou Bpifrance.
Nous voulons aussi créer une société d’investissement destinée à la collecte de fonds privés, exclusivement consacrée au financement de la production audiovisuelle et cinématographique, comme les Sofica, qui relèvent plus de la défiscalisation ultramarine.
Je cède la parole à Christine Tisseau-Giraudel afin qu’elle évoque les accueils de tournages.
Mme Christine Tisseau-Giraudel. Je souhaite auparavant évoquer les différences de traitement existant entre l’outre-mer et la métropole. Pour la production de la même œuvre, le même documentaire, la même durée et le même budget — œuvre qui sera peut-être diffusée sur la chaîne qui aurait donné 50 % —, les chaînes de proximité du groupe France Télévisions diffusées chez nous et sur le réseau national reçoivent le taux d’aide maximum. Il s’agit là d’une injustice flagrante.
D’ailleurs les membres du comité d’experts — qui étaient des producteurs et des diffuseurs, comme le Syndicat des producteurs indépendants (SPI) — que nous avons reçu aux États généraux, par-delà leur volonté de nous soutenir, étaient sidérés de constater que nous avions pu créer des filières dans de telles conditions.
Un producteur métropolitain ne se lancerait pas dans l’aventure avec le seul financement de 10 % reçu de la part d’une chaîne de télévision. C’est bien que nous ayons su trouver une autre façon de produire et de fonctionner, parce que nous sommes passionnés. Mais rien ne justifie qu’il en aille ainsi, sauf à considérer que nos filières sont récentes. Aujourd’hui nous entendons encore certains diffuseurs considérer qu’il n’existe pas de filières outre-mer. Il est vrai que ces filières ont été créées entre 2001 et 2004, et que cela est très récent. On peut imaginer que les gens, hors ceux de France O et du réseau France 1re, travaillant dans les autres chaînes puissent ne pas nous connaître.Il n’en demeure pas moins qu’il n’est plus vrai que rien n’existe dans le secteur en outre-mer : nous en sommes la preuve vivante.
Aujourd’hui six départements et territoires des outre-mer comptent au total plus de quatre-vingt-dix sociétés de production. Je ne nie pas que des choses manquent, notamment dans le domaine de la formation, mais nous produisons déjà beaucoup, pour les chaînes locales, nationales et internationales. Nous accueillons des sociétés de production : les techniciens et la production d’œuvres ultramarine sont donc bien là.
Nous souhaitons que vous puissiez conserver cela à l’esprit, car trop souvent, c’est l’argument de cette inexistence — qui n’est plus pertinent depuis dix ans — qui nous est opposé dans les discussions relatives au financement.
Le deuxième axe de développement que nous proposons porte sur la facilitation de la venue de productions audiovisuelles et cinématographiques, tant nationales qu’internationales, dans nos territoires.
Le développement existe sur deux plans : celui de la production locale, avec nos auteurs, nos thèmes et les divers diffuseurs, et celui de la réception de tournages, qui sont source de formation et d’expertise pour nos techniciens.
Il convient donc de développer les BAT dans tous les territoires ultramarins. Aujourd’hui, seules la Martinique et la Polynésie en sont encore dépourvues, bien que les choses soient en bonne voie.
Il faut sensibiliser les chaînes de télévision nationales, dont France Télévisions, et les inciter à s’engager dans la localisation de tournage d’épisodes de séries et fictions existantes, comme Meurtre à…, diffusée par France 3, et dont des épisodes ont été tournés en Martinique et en Guadeloupe. La pratique doit être étendue à l’ensemble des outre-mer ; des séries très grand public produites par TF 1 comme Joséphine ange gardien pourraient-elles être concernées.
Par ailleurs, les surcoûts dus à l’éloignement géographique devraient être lissés, car notre situation d’isolement majore les coûts de réalisation au regard de Paris intra-muros par exemple. Des solutions existent, et les fonds de soutien permettent le lissage de ces surcoûts ; le crédit d’impôt destiné à favoriser la localisation des tournages nationaux en métropole pourrait être bonifié dès lors qu’il s’agit de tourner dans les outre-mer.
Enfin, il conviendrait d’exonérer des taxes du type octroi de mer ou droits d’entrée, très liées au territoire antillais, les matériels de tournage devant être importés dans les territoires ultramarins, car cette forme de taxation n’a pas de sens.
Mme Christine Della-Maggiora. Le troisième axe du développement de la production audiovisuelle et cinématographique ultramarine est constitué par la nécessité d’étendre la notoriété des œuvres dans les bassins géographiques des départements et territoires ultramarins ainsi que sur le plan national et international.
À cette fin, il convient d’être présent sur les marchés, et de s’intégrer dans l’environnement géographique ; dans le but de faire connaître au mieux les œuvres, les producteurs ultramarins doivent être présents dans les marchés aux films ainsi que dans les festivals nationaux et internationaux.
Par ailleurs, le rôle des diffuseurs doit être accru en renforçant la production de documentaires proposés par les télévisions locales ultramarines. Ce qui passera par la signature de contrats d’objectifs ou de conventions passées entre les régions ou pays et le CNC.
Canal+ Overseas devrait par ailleurs être engagé dans chacun des départements ou territoires dans lesquels Canal+ est diffusé, et non plus seulement dans ceux où la chaîne est implantée. De son côté, France Télévisions devrait s’engager pour la production d’au moins dix documentaires et de fictions par antenne et par an.
Mme Maina Sage. Ces États généraux de la production audiovisuelle et cinématographique des outre-mer ont-ils été l’occasion de fédérer les professionnels afin de dégager une stratégie commune, susceptible de valoriser les activités audiovisuelles et cinématographiques sur le plan économique ?
Comment les acteurs politiques locaux perçoivent-ils la mise en cohérence de vos filières avec la promotion des destinations ? Car le tourisme fait partie des premières ressources propres de nos territoires. Les États généraux ont-ils constitué l’occasion de croiser les données, et d’engager une démarche avec les représentants politiques locaux ?
M. Stéphane Claireaux. À l’instar de Mayotte, la production audiovisuelle et cinématographique à Saint-Pierre-et-Miquelon est quasi inexistante ; la seule unité de production présente est SPM 1re, qui produit très peu de documentaires. Quelques petites sociétés de productions ont bien été créées par des techniciens de SPM 1re, mais, compte tenu du statut de collectivité territoriale de l’archipel, elles n’ont pu passer de convention avec le CNC.
Quelques expériences cinématographiques ont été tentées comme la série Entre terre et mer d’Hervé Baslé, tournée à Saint-Pierre-et-Miquelon. L’acteur Roland Blanche tenait l’un des rôles principaux, et j’avais été délégué de production. Le tournage a eu lieu sur une petite île située en face de Saint-Pierre, et, faute d’alimentation électrique, il avait fallu recourir à des groupes électrogènes, ce qui n’avait pas simplifié les conditions de tournage !
Depuis quelques années, on constate un regain d’intérêt pour l’archipel : une société de production métropolitaine a pris conscience de la richesse de l’histoire de Saint-Pierre-et-Miquelon. Par ailleurs, j’ai rencontré un cinéaste venu de la Métropole souhaitant tourner un court métrage sur place. Récemment, j’ai été contacté par David Mitnik, membre de l’Association des Directeurs de Production (ADP), qui s’est étonné de constater que Saint-Pierre-et-Miquelon était absent du site internet de Film France parce qu’il n’existe pas de BAT dans l’archipel.
Tout reste à construire à Saint-Pierre-et-Miquelon, alors qu’avec SPM 1re l’archipel dispose de compétences, des œuvres communes pourraient être réalisées avec d’autres départements et territoires ultramarins et le Québec est très demandeur, mais nous ne disposons pas des moyens nécessaires.
Mme Maina Sage. Il ne faut pas oublier Saint-Pierre-et-Miquelon !
M. Stéphane Claireaux. C’est presque un appel au secours que je lance !
Mme Christine Tisseau-Giraudel. Les acteurs du secteur audiovisuel de Saint-Pierre-et-Miquelon seront les bienvenus dans notre union de producteurs ultramarins.
M. Stéphane Claireaux. Ce serait une très bonne chose. J’ai récemment rencontré un jeune ayant fait des études d’audiovisuel, et qui souhaitait revenir dans l’archipel pour y travailler. Mon fils, qui est titulaire d’un master 2 de cinéma, est resté en métropole, car il a été rebuté par les complications administratives auxquelles se trouve confronté celui qui veut réaliser une œuvre audiovisuelle à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Mme Christine Della-Maggiora. Il faut conserver à l’esprit que nos territoires présentent une grande richesse grâce à nos paysages dans leur variété. Ainsi, à Saint-Pierre-et-Miquelon, peut-on admirer les baleines qui viennent se nourrir, et l’archipel recèle une histoire marquante ainsi que des paysages atypiques. De plus, la vogue des cinémas danois et suédois, par la proximité des paysages, pourrait profiter à Saint-Pierre-et-Miquelon ; la filière audiovisuelle est tout à fait susceptible de constituer un axe de développement pour l’archipel.
Mme Marie-Anne Chapdelaine, présidente. Nous retenons que nous allons nous rendre à Saint-Pierre-et-Miquelon afin de voir ce qu’il s’y passe !
Mme Maina Sage. Et à Mayotte !
M. Marcel Rogemont. Membre de la commission des affaires culturelles ainsi que du conseil d’administration du CNC, je suis particulièrement impliqué dans les questions touchant à l’audiovisuel.
J’apprécie la mobilisation dont vous faites preuve à sa juste valeur. Cette mobilisation est d’autant plus nécessaire que le CNC a décidé de ne pas être en première ligne, mais de se tenir à l’attention des pouvoirs publics locaux. Cela vaut pour la Métropole comme pour l’extérieur, il est donc évident que le déclenchement du dispositif, comme son volume, dépendent en métropole des régions et des collectivités territoriales.
Le CNC ne pratique donc pas de discrimination à l’encontre des départements et territoires ultramarins, ainsi, même sur le territoire métropolitain, toutes les régions n’ont-elles pas encore passé de convention.
Les montants financiers que vous évoquez sont importants…
M. Marc Barrat. Pas en Guyane !
M. Marcel Rogemont. Ils sont la preuve de votre mobilisation, qui se justifie d’autant plus par ses conséquences sur la création d’emplois et le développement économique.
Vous n’êtes pas sans savoir que l’État ne dispose pratiquement plus d’argent à investir directement dans la production audiovisuelle et cinématographique ; s’il est encore susceptible de financer quelques festivals, il faut reconnaître que les caisses sont vides. D’ailleurs, certaines régions, dont la région Bretagne, qui est celle de Mme la présidente, ont déjà récupéré l’argent, soit 300 000 euros en l’occurrence.
Mme Marie-Anne Chapdelaine, présidente. Nous sommes élus de la même ville…
M. Marcel Rogemont. Nous sommes députés de la même République, élus dans la même ville, ce qui n’est pas exactement la même chose !
M. Philippe Houillon. Députés de la Nation. (Sourires)
M. Marcel Rogemont. S’agissant de France Télévisions, France O pose une vraie question : à titre personnel, je ne vous cacherai pas que j’éprouve quelque difficulté à percevoir son utilité. Pendant dix-huit mois, elle fut la chaîne de la diversité puisque l’apport de la France ultramarine ne suffisait pas à remplir suffisamment la grille des programmes de France O afin qu’elle puisse être regardée en métropole.
Cette chaîne pose une réelle question politique aux gouvernements, à l’actuel et à au gouvernement de droite demain (Sourires).
M. Philippe Houillon. J’en accepte l’augure !
M. Marcel Rogemont. Demain est toujours une incertitude, et je n’ai pas dit quand !
Puisqu’elle ne donne pas satisfaction, l’argent qui lui est consacré pourrait être dépensé différemment. Je vous suggère cette idée, car je ne suis pas assez téméraire pour poursuivre plus avant mon raisonnement, qu’au demeurant vous avez compris… (Rires.)
Le recours aux Sociétés de financement de l’industrie cinématographique et de l’audiovisuel (SOFICA), qui a été évoqué, est intéressant. Je suis par ailleurs partisan de la pratique du crédit d’impôt. J’ai participé à la création du crédit d’impôt dit « Luc Besson », destiné aux productions importantes, qui n’a pas manqué de connaître des retombées économiques non négligeables, notamment en termes d’emplois ; car un budget de 150 à 200 millions d’euros pour un film génère forcément du business.
Le recours au crédit d’impôt constitue donc une bonne idée, qu’il faudra toutefois préciser, et que nous ne manquerons pas de soutenir. Il s’agirait d’en proposer la bonification pour la France ultramarine, ce qui serait recevable dans le cadre d’une des lois consacrées à l’outre-mer.
Par ailleurs, vous devez poursuivre votre mobilisation pour l’obtention du « 1 euro pour 2 euros », car, le budget du CNC représentant environ 800 millions, il n’y a pas d’obstacle, tout dépend de la capacité de vos collectivités à financer l’opération.
Par ailleurs, dans le cadre de vos négociations avec France Télévisions, il faut conserver à l’esprit le changement éventuel d’utilisation des crédits aujourd’hui dévolus à France O. Nous sommes d’ailleurs quelques-uns à penser que cette chaîne devrait être supprimée, car l’investissement n’atteint que 0,6 % ; plusieurs dizaines de millions sont concernés dans cette affaire.
France Télévisions accompagne systématiquement les initiatives des régions, car elle dispose de crédits pour cela ; je ne connais pas les derniers chiffres, mais les sommes concernées sont importantes.
Mme Christine Tisseau-Giraudel. À la question de Mme Maina Sage, qui a demandé si les États généraux de la production audiovisuelle et cinématographique des outre-mer ont permis de fédérer les professionnels et les territoires, je répondrai positivement. Nous avons préparé ces premiers États généraux pendant deux ans, nous nous sommes rencontrés lors de marchés du film ou dans des festivals, en métropole ou ailleurs.
Au lendemain des États généraux, une association des professionnels de l’audiovisuel et du cinéma est née, qui regroupe notamment l’ensemble des syndicats et associations des acteurs du secteur présents dans les territoires ultramarins où existent des filières professionnelles.
Par ailleurs, une plateforme commune va être créée afin de mettre en valeur l’ensemble des professionnels et leurs métiers à travers les sociétés de production ainsi que les œuvres documentaires comme de fiction. Aujourd’hui, nous sommes invisibles, c’est donc à nous de faire la preuve du contraire, et plus nous serons nombreux et unis, plus nous serons forts. Notre plateforme sera aussi présente sur la Toile.
Nous envisageons encore de participer aux rencontres majeures en métropole que sont le Sunny Side of the Doc et le festival de fiction télévisée de La Rochelle, aux mois de juin et septembre prochains. Par ailleurs, nous nous rendrons en janvier 2018 au festival international de programmes audiovisuels (FIPA), qui constitue le plus important rendez-vous des programmes et des œuvres, afin d’y faire valoir les œuvres ultramarines réalisées dans tous les domaines.
Des collaborations sont en cours, qui aboutiront à des partages de compétences et de formation. Un ingénieur du son guyanais très compétent pourrait ainsi se rendre en Polynésie afin de former nos propres ingénieurs, car nos façons de travailler sont proches.
Nous sommes animés d’un réel désir, car aujourd’hui nous sommes bloqués dans notre développement, nous savons faire des documentaires et sommes capables de réaliser des mini séries et mini fictions, jusqu’à treize ou vingt-six minutes, sans pouvoir aller plus loin.
Nous disposons de quelques chaînes de télévision de proximité, sans pour autant avoir immédiatement accès aux chaînes nationales, fut-ce celles dont la thématique est ultramarine, comme France O ou le réseau des 1res. Nous connaissons les montants d’investissement de France Télévisions, qui se targue d’être le premier investisseur dans la création française… sauf en outre-mer. Cela pour des raisons historiques, car il est vrai que nos filières sont naissantes ; et, il y a une dizaine d’années à peine, le métier des chaînes du réseau des 1res consistait à puiser des programmes dans la grande vidéothèque de France pour les diffuser.
Nous devons rebattre les cartes, et réapprendre à travailler ensemble, et jeter les vraies bases d’une société de production parisienne avec des chaînes nationales et une société de production régionale avec France 3 régions, par exemple.
Mme Christine Vial-Collet. Une nouvelle répartition du budget attribué à France O a été évoquée ; se serait une très bonne chose qu’il aille au réseau des 1res, qui aujourd’hui n’a pas d’argent. Ce qui signifie qu’il ne peut pas nous accompagner dans notre production, et ses programmes sont constitués de telenovelas parce qu’ils ne sont pas chers.
Ces telenovelas représentent un grand danger, car elles déstructurent totalement la société dans tous les territoires. En Guadeloupe, les assistantes sociales vous diront que les mères ne vont plus chercher leurs enfants à l’école, et que, lorsque les enfants rentrent à la maison, il leur est intimé d’aller jouer dehors, car leurs mères sont accaparées par les telenovelas. Ces séries sont addictives, et elles abrutissent.
La télévision publique a une responsabilité dans l’éducation de la population, certes, les telenovelas coûtent moins cher que la production de programmes locaux, mais, à mon sens, à terme, la délinquance coûtera bien plus.
Lorsque je dis que les chaînes du réseau 1re n’ont pas du tout d’argent, c’est qu’il nous faut pleurer pour 3 500 euros d’achat de droits pour des documentaires qui nous ont coûté 160 000 euros. Certes, nous parvenons encore à vendre quelques productions à France O, mais si l’argent qui lui est consacré doit être redistribué, ce doit être en faveur du réseau des 1res.
Or celles-ci rétorqueront qu’afin d’avoir de l’audience, elles doivent diffuser des telenovelas. À Tahiti, où je me suis rendue, j’ai rencontré la directrice de Tahiti Nui Télévision (TNTV), qui est une chaîne locale indépendante fortement subventionnée par le gouvernement polynésien, et qui produit beaucoup de programmes locaux, se plaçant ainsi devant Polynésie 1re.
Aussi, que l’on ne me dise pas que les programmes locaux n’intéressent pas populations ! Je suis persuadée qu’en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, en Nouvelle-Calédonie et à la Réunion, si des programmes qui leur ressemblent sont proposés aux locaux, ils seront regardés. Et cela donnera des repères fondamentaux à notre jeunesse, alors que nos sociétés ultramarines tombent en déliquescence, et que nos jeunes sombrent dans la violence.
M. Marc Barrat. Aujourd’hui, nous avons rencontré M. Marc Vizy, conseiller de l’Élysée pour l’outre-mer, qui nous a indiqué qu’il était demandé à France O de revenir à ses prérogatives de chaîne des outre-mer.
M. Marcel Rogemont. Cela a été fait il y a déjà deux ans. France O est devenue la chaîne de la diversité à la saison 2010-2011, mais ensuite le holà a été mis. Car le concept même de diversité, consistant à allier les territoires ultramarins aux quartiers difficiles, était incompréhensible.
Mme Sabine Jean-Louis Zéphir. On parle beaucoup de France O, mais nous combattons pour sortir de cet enclavement. Nous ne souhaitons pas que nos œuvres soient enfermées dans une chaîne constituant un ghetto, que ce soit France O ou le réseau des Outre-mer 1res. Nos programmes, nos auteurs, nos comédiens et nos réalisateurs confèrent toute la légitimité nécessaire à notre filière, qui a aussi sa place sur les chaînes nationales.
Nous ne souhaitons pas être des producteurs à part, mais des producteurs tout court ; notre filière doit être reconnue au même titre que les autres.
En effet, dans son contrat d’objectifs et de moyens, France Télévisions est soumise à des obligations, et 20 % de son chiffre d’affaires doit être alloué à la production indépendante. Notre question est de savoir quelle est la part des outre-mer dans ces 20 %. Nous ne disposons pas de ces chiffres aujourd’hui.
Actuellement, 80 % du budget du réseau Outre-mer 1re est absorbé par la masse salariale, et 20 % vont à la production ; dans cette part se trouvent les sommes consacrées à l’achat de telenovelas et de quelques productions. Ce qui signifie qu’il n’y a rien ou très peu pour la production indépendante.
Mme Christine Della-Maggiora. Non seulement on nous enferme dans une chaîne unique, mais on nous enferme aussi dans nos capacités de production.
Autour de la Nouvelle-Calédonie se trouvent la Nouvelle-Zélande, l’Australie, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, Fidji, Vanuatu et les îles Salomon, dont nous sommes plus proches que des producteurs métropolitains.
Nous avons la capacité de réaliser dans nos bassins géographiques des films qui font rayonner la francophonie (M. Philippe Houillon approuve), susceptibles d’être traduits en espagnol ou en anglais, et qui constituent une considérable ouverture sur les marchés internationaux. C’est pourquoi nous souhaitons que, par-delà France O, les chaînes nationales prennent conscience du potentiel que nous représentons.
M. Serge Letchimy. J’allais dire « ouf » ! Il est bon que les professionnels du secteur de l’audiovisuel et du cinéma ultramarins se soient enfin rassemblés, car longtemps les revendications ont été dispersées. De même, notre réunion de ce jour est une excellente initiative : elle place les enjeux sur le plan politique, tant il est vrai que ce sont des décisions politiques qui sont en cause. Et certains candidats gagneraient à intégrer ces questions dans leur programme de campagne.
L’enjeu n’est pas que financier, il est vital, sociétal, et profondément ancré dans l’évolution des différents pays.
Ainsi c’est à juste titre que les telenovelas ont été évoquées ; je connais la même tragédie lorsque le directeur d’un hebdomadaire martiniquais affirme qu’il ne peut vendre son journal qu’à la condition qu’il affiche du sang. J’ai mené une bataille contre ce genre de publications afin que puissent être diffusés au quotidien des débats de fond, portant sur les idées et les valeurs. Hélas, si la première page n’affiche pas de manchette sanglante, le journal n’est pas vendu.
La diffusion est ainsi abandonnée à la loi du marché, en toute méconnaissance des réalités économiques de la production.
Par ailleurs, et je l’ai entendu à l’instant, l’audiovisuel et la production cinématographique n’ont jamais été considérés comme une filière économique intégrée. M. Rogemont, grand défenseur de l’outre-mer, a bien montré comment, à travers France O, nous sommes tous tombés dans les travers d’une certaine conception de la diversité. Le terme de diversité est un fourre-tout qui peut signifier n’importe quoi ; au point de pouvoir devenir un concept, les dévoiements de France O montrent que plus on se rengorge de diversité dans l’Hexagone, mieux on est dans sa peau, et plus on est mal outre-mer.
Nous n’incarnons pas seulement une diversité, nous avons une profondeur culturelle, une histoire, des pays et une richesse, tout cela doit être valorisé. Cette esthétique de la diversité me gêne beaucoup. Elle explique la pauvreté des moyens mis en œuvre dans l’accompagnement de la naissance d’une filière. Lorsque j’étais président de région, j’ai soutenu bien des combats pour le financement, et une convention a été passée avec le CNC ; de son côté, la région a structuré son dispositif d’aides.
Les travaux des États généraux doivent être l’occasion de clarifier la place de la production audiovisuelle et cinématographique dans l’économie de l’outre-mer, qui doit être placée au même rang que le numérique, le tourisme, la biodiversité et la richesse océanique. Or tel n’est pas le cas aujourd’hui, et nous devons aller beaucoup plus loin. Si nous cherchons des vecteurs de croissance et de développement pour nos pays, nous ne devons pas rester dans l’économie de comptoir existant aujourd’hui, mais trouver les filières susceptibles d’être créatrices d’activité dans le champ du modernisme comme le numérique, l’imagerie, la production, etc.
Nous sommes à l’an zéro de cette démarche, aussi les professionnels doivent-ils s’organiser et créer une vraie plateforme, et la personne que nous aurons choisi de placer à sa tête devra exposer un programme clair. Il faut cesser de jouer avec France O et ses 15 % ou 20 %, une masse financière de soutien à la production est disponible : elle doit être ouverte à tous, y compris à l’exportation. Pourquoi ne produirions-nous pas des telenovelas bòkay — ce qui signifie « près de chez nous » ?
Notre réflexe est d’inscrire notre potentiel de production dans l’étroitesse de notre géographie et de nos 400 000 habitants ; nous devons soutenir son exportation comme nous soutenons la banane si nous voulons exporter nos réalisations au Brésil, par exemple. Si un effort européen peut garantir l’équilibre de l’économie de la banane, pourquoi des productions cinématographiques locales ne pourraient-elles pas bénéficier de fonds d’équilibre européens et de crédits d’impôt à l’échelon national ?
Nos sous-sols ne recèlent ni or ni minerais. Nous devons changer de paradigme, et nous appuyer sur la dynamique portée par la culture locale, et dont la différence est telle qu’elle est susceptible de créer une grande richesse nationale. De son côté, la production cinématographique constitue un créneau très important.
Nous sommes à des années-lumière de ces revendications. Ainsi, pour retransmettre le Tour des yoles de Martinique, sport unique et susceptible de connaître une renommée mondiale, Martinique 1re est-elle contrainte à recourir à 60 % de subvention de la collectivité régionale ; elle ne s’inscrit même pas dans une dynamique de production. Cela n’a aucun sens ! Nous ne sommes pas dans une démarche de soutien à la production ! Il ne suffit pas de se faire plaisir et de filmer un dimanche un Tour de yole.
La médiocrité de la production locale est consternante (Mme Sabine Jean-Louis Zéphir proteste)
Mme Maina Sage. C’est un problème de moyens.
Mme Marie-Anne Chapdelaine, présidente : Un problème quantitatif et non qualitatif.
M. Serge Letchimy. Elle n’est pas due à la médiocrité des intéressés, mais au manque de moyens financiers. Lorsque je vois à quel point vous souffrez pour votre petite production et sa diffusion, alors que je souhaite demeurer dans la République et l’Union européenne, je songe que nous sommes avant tout caribéens. Nous n’avons pas évoqué la coopération que nous pourrions établir dans le domaine de l’audiovisuel et du cinéma avec les 40 millions de Caribéens, les 300 millions d’Américains du Sud et les 65 millions de Français.
Si nous associons l’audiovisuel, le numérique et les échanges économiques, nous pourrions faire de grandes choses, susceptibles de reposer la question de l’identité locale sur un nouveau plan, car l’aliénation culturelle a pris le visage de l’aliénation économique ; c’est pourquoi la coopération interne à la Caraïbe est très importante. J’en parlerai d’ailleurs au candidat que je soutiens afin de connaître ses intentions dans ce domaine.
Enfin, je demande à nos interlocuteurs s’ils peuvent nous fournir un document faisant la synthèse de leurs travaux ainsi que de leurs propositions.
Mme Christine Tisseau-Giraudel. Pour l’ensemble des membres du comité de pilotage, la présente semaine est consacrée à des réunions techniques destinées à établir des pré-conclusions. Au cours de la semaine du 20 février prochain, nous nous rendrons en métropole : nous serons alors à même de vous communiquer le document final.
Mme Sabine Jean-Louis Zéphir. Je souhaiterais tempérer l’expression de « productions médiocres », qui me froisse. Il existe des productions de très bonne qualité, mais elles ne sont pas assez nombreuses ; donc cette expression ne peut concerner que le seul aspect quantitatif de la question. Et cette problématique n’affecte pas que nos territoires ; en revanche, nos productions de très grande qualité souffrent d’un manque de moyens financiers et de notoriété. Elles sont donc peu connues dès lors que nous ne sortons pas de notre stratosphère territoriale : c’est là qu’est le manque.
Au cours de votre mandat, monsieur Letchimy, les productions de qualité ont été soutenues, précisément au titre de leur qualité. Nous parvenons à proposer de bonnes productions avec trois fois moins de moyens que si nous travaillions dans des territoires nationaux.
Mme Maina Sage. Tout ce que j’ai entendu aujourd’hui entre en pleine cohérence avec l’étude menée pour la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer (CNÉPÉOM), qui, deux fois par an, rend un rapport. Pour la première fois, le volet culture y a été intégré. De façon exceptionnelle, la question de l’audiovisuel a été très peu abordée, car nous étions dans l’attente de ces États généraux.
Tout ce que vous avez évoqué est symptomatique du secteur culturel, et concerne aussi la promotion des auteurs et des artistes en général. Je partage le point de vue de Serge Letchimy : nous devons changer de logiciel, et aborder la question du soutien aux filières culturelles en tant que potentiel de développement économique particulier, qui favorise la promotion d’autres secteurs. Il s’agit de tirer vers le haut des domaines dont les intérêts se croisent comme le tourisme ou l’éducation.
Il faut par ailleurs reconnaître que le contexte national est difficile, et que les enjeux du présent nous conduisent à construire une stratégie pour l’ensemble des territoires, qui ne doit pas moins prendre en compte les perspectives qu’offrent nos bassins régionaux. Certains marchés sont proches, qui sont trop souvent ignorés, et c’est peut-être là que, sur le plan national, nous devrions innover plus afin que les territoires ultramarins puissent bénéficier de toutes les passerelles.
Je vous encourage à prendre connaissance de la synthèse portant sur la culture réalisée par le CNÉPÉOM; elle montre que la France dispose d’un arsenal phénoménal dans le domaine des relations diplomatiques et internationales, qui est l’un des meilleurs au monde. La France a organisé un secteur culturel reconnu dans le monde entier, il vient en support de son tourisme, avec des organismes spécialisés et professionnels, qui, dans les bassins régionaux, sont déjà en contact avec tous nos voisins.
Aujourd’hui, l’enjeu est pour nous de faire en sorte que ces professionnels qui gèrent les artistes présents dans l’Hexagone puissent aussi s’ouvrir à l’offre ultramarine. Ainsi, dans le secteur de l’audiovisuel, devons-nous parvenir à vous mettre en contact avec les professionnels nationaux pour vous intégrer dans l’offre française aujourd’hui distribuée dans nos bassins régionaux.
Au regard du calendrier électoral, j’ai conscience que la remise des conclusions de vos travaux au mois de février prochain risque d’être quelque peu tardive ; c’est pourquoi j’ai souhaité l’entrevue de ce jour afin que vous puissiez avoir une place dans les programmes consacrée aux outre-mer que proposeront prochainement les candidats.
Mme Marie-Anne Chapdelaine, présidente. Les productions réalisées dans vos territoires doivent effectivement irradier toute la France, y compris la Métropole. Car les métropolitains ont besoin de connaître ce qui est fait chez vous. Et les telenovelas sont aussi diffusées chez nous.
Si nous parvenions à faire connaître ce qui se passe ailleurs, dans des territoires avec lesquels nous avons la langue en partage, nous gagnerions en qualité. Il existe des festivals autres que celui de La Rochelle, qui se déroulent notamment en Bretagne, où vous seriez très bien accueillis.
Mme Christine Vial-Collet. Nous vous remercions pour la qualité de votre écoute. Nous sommes persuadés que la filière audiovisuelle et cinématographique constitue un axe de développement pour les outre-mer. J’en veux pour preuve le nombre de sociétés de production cinématographiques nationales et internationales qui viennent tourner dans tous nos territoires. Nous pouvons faire au moins aussi bien, et permettre à de jeunes Ultramarins de trouver du travail chez eux.
J’ai beaucoup entendu parler d’aides et de subventions : il faut savoir que cela est l’usage dans nos professions, car l’audiovisuel et le cinéma sont des secteurs aidés, et les rapports du CNC montrent que, sur un euro investi dans une production, la valeur ajoutée est de huit euros au minimum. Il ne s’agit donc pas d’argent jeté à plaisir.
J’ai par ailleurs promis à Christine Tisseau-Giraudel de rappeler qu’à une époque, Brigitte Bardot faisait entrer en France plus de devises que la Régie Renault qui vendait des voitures. Il est donc possible de faire de ce secteur, qui est certes culturel, mais n’en représente pas moins une industrie — on parle couramment d’industrie du cinéma — une filière pérenne et pourvoyeuse d’emplois pour chacun de nos territoires.
Mme Christine Tisseau-Giraudel. Je souhaite remercier Maina Sage d’avoir provoqué cette rencontre ainsi que nos interlocuteurs pour leur écoute et leurs propositions.
J’ai bien noté que le crédit d’impôt bonifié offrait des perspectives intéressantes.
Nous voulons sortir de l’ombre, et désormais, vous nous connaissez mieux, vous connaissez notre travail, nous vous avons fourni des chiffres : 1 000 techniciens, 90 sociétés de production réparties dans six territoires et départements. Aussi, la prochaine fois qu’une chaîne de télévision ou une institution viendra vous dire que l’audiovisuel et le cinéma sont sous-représentés outre-mer, vous pourrez lui répondre que c’est faux.
L’audition s’achève à dix-huit heures trente-cinq.
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