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Mercredi 4 novembre 2015

Séance de 10 heures 45

Compte rendu n° 13

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet, Président, de Mme Frédérique Massat, Présidente de la commission des affaires économiques, et de Mme Catherine Lemorton, Présidente de la commission des affaires sociales

– Audition, commune avec les commissions des affaires économiques et des affaires sociales, de représentants de l’Intersyndicale d’Air France

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu, conjointement avec les commissions des affaires économiques et des affaires sociales, des représentants de l’Intersyndicale d’Air France.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Pour cette deuxième séquence, nous accueillons l’intersyndicale d’Air France. Je remercie M. Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, d’avoir organisé ces auditions conjointement avec Mme Frédérique Massat, présidente de la commission des affaires économiques, compte tenu des récents événements et, plus généralement, de l’évolution de la compagnie Air France.

Je vais laisser les intervenants se présenter et préciser à quelle délégation ils appartiennent, car nous avons bien compris qu’il y a plusieurs catégories de personnels chez Air France. Vous aurez tous la parole, mais je vous demande de respecter le temps imparti, c’est-à-dire deux minutes chacun, car nous avons quarante-cinq minutes de retard. Il n’y a pas de raison de vous contraindre alors que nous avons laissé la direction de la compagnie dépasser le temps prévu pour pouvoir répondre aux nombreuses questions des députés. Je remercie les collègues présents, notamment les quelques députés de l’opposition qui sont restés pour entendre les syndicats de salariés.

M. Arnaud Richard. Ce n’est pas possible ce genre de remarque !

M. Yves Albarello. C’est inadmissible !

M. Alain Suguenot. C’est un procès d’intention !

Mme la présidente Catherine Lemorton. Il n’y a pas de procès d’intention.

M. Alain Suguenot. Nous sommes aussi attachés aux salariés que vous !

Mme la présidente Catherine Lemorton. Absolument, Monsieur le député, d’ailleurs vous êtes là !

M. Philippe Evain, président du Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL). Bonjour Madame la présidente, bonjour Messieurs les députés…

Plusieurs députées : Et mesdames !

M. Philippe Evain. Je vous prie de m’excuser, Mesdames et Messieurs les députés. Je suis Philippe Evain, président du Syndicat National des Pilotes de Lignes (SNPL) et commandant de bord à Air France. Je vous assure que j’ai beaucoup de plaisir à voler avec mes collègues féminins qui sont de plus en plus nombreux dans les postes de pilotage.

En premier lieu, je souhaite vous remercier car cette délégation de salariés d’Air France est très contente de pouvoir s’exprimer devant la représentation nationale pour tenter d’expliquer pourquoi nous en sommes arrivés là. Nous serons toujours à la disposition de la représentation nationale, des députés qui le souhaitent ou du Gouvernement pour essayer de faire avancer les choses.

Comme l’a rappelé le président Frédéric Gagey, le groupe Air France-KLM représente 26 milliards d’euros de retombées économiques et 350 000 emplois directs et indirects dont 44 % sont situés en Île-de-France, ce qui en fait le premier employeur de la région parisienne.

Alors que des communications ministérielles et des rapports parlementaires ont mis en avant les problèmes spécifiques au transport aérien en France et l’urgence de prendre des mesures de sauvegarde du pavillon français, les salariés ne peuvent que constater l’inertie dont font preuve la direction, d’une part, et le Gouvernement, d’autre part, face aux défis auxquels la compagnie est confrontée.

Selon nous, Air France affronte trois grands problèmes : un dialogue social que je vais décrire, une stratégie illisible, un État actionnaire qui s’est montré passif au cours des dernières années.

Selon la direction d’Air France, le dialogue social existe et fait partie de l’histoire de la compagnie. Malheureusement, ce dialogue social fructueux n’est plus qu’un vestige du passé ; la communication interne et externe de l’entreprise est désormais basée sur la manipulation des salariés. Toutes les propositions sociales sont systématiquement présentées à la presse avant de l’être aux salariés et aux instances représentatives : le débat a donc lieu hors de ces instances dont le rôle est nié et qui ne trouvent finalement aucun espace de négociation.

Notre employeur ne respecte pas les instances qui représentent le personnel. La direction des ressources humaines (DRH) tente régulièrement de contourner ces instances plutôt que de travailler en intelligence avec elles : utilisation de référendums ; recours à des groupes de travail où les syndicats sont absents ; très peu de réponses apportées aux questions du personnel ; blocage de l’accès à certains locaux par des vigiles ; peu de moyens mis à disposition du comité d’établissement (CE) et du comité central d’entreprise (CCE). Nous sommes finalement face à une stratégie du rouleau compresseur : l’encadrement prend une décision et l’applique quelles que soient les tentatives des syndicats pour imposer un débat ; les salariés ont l’impression de n’avoir aucune prise sur leur avenir.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Il faut abréger, Monsieur Evain, parce que vous empiétez sur le temps de parole de vos collègues.

M. Philippe Evain. Au cours des derniers mois, la communication interne a été basée essentiellement sur la division des personnels. « La direction d’Air France déclare la guerre à ses pilotes » a-t-on pu lire dans la presse. Finalement, la direction a tenté d’imposer l’idée que les problèmes d’Air France étaient incarnés par ses pilotes et que d’eux seuls dépendait le sort de l’entreprise. Nous avons été soumis à un odieux chantage sur le mode : faites des efforts, sinon je vais licencier vos collègues. Ce n’est pas une méthode de dialogue social.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je vais être obligée de vous interrompre car vous en êtes à cinq minutes.

M. Philippe Evain. Je vais expliquer très vite que la stratégie de l’entreprise est illisible. Une grande part de notre activité est transférée vers KLM. Faites vous-mêmes l’exercice : si vous recherchez un billet Paris-Pékin, vous constaterez qu’il vous coûtera 20 % moins cher si vous passez par le « hub » d’Amsterdam. Il y a une vraie stratégie de transfert de l’activité française vers un pays étranger. En fait, le modèle Ryanair – construit sur la mise en concurrence des différents systèmes sociaux – est utilisé par Air France.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Merci. Vous nous avez présenté l’architecture globale, je vais demander aux autres intervenants de rester dans la limite d’une minute trente et, surtout, de ne pas répéter les propos de M. Evain.

M. Patrice Carvalho. La direction a eu un long temps de parole !

M. Philippe Evain. Il ne me restait qu’une à deux minutes d’exposé.

Mme la présidente Catherine Lemorton. C’est déjà trop : vous en êtes à six minutes. Je vous accorde une minute pour terminer.

M. Philippe Evain. J’expliquais donc que la direction a une stratégie illisible et une politique de développement qui ne repose que sur des partenariats extérieurs et des alliances. Rien n’est prévu pour développer notre hub et les emplois français – rappelons qu’un million de passagers représentent 4 500 emplois en France. La direction d’Air France cherche plutôt à utiliser les différences qui existent en Europe en matière de charges sociales et de taxes.

Pour conclure, je soulignerais que l’État est resté trop passif. En 2013, M. Frédéric Cuvillier, alors secrétaire d’État aux transports, expliquait qu’il fallait un grand plan pour le transport aérien français. Il y a eu ensuite le rapport de Bruno Le Roux, puis celui de Claude Abraham. Tout le monde, et y compris le Gouvernement, s’accorde à reconnaître qu’il est urgent de prendre des mesures pour restaurer l’environnement économique dans lequel évolue Air France. Ces décisions, nous les attendons toujours. Le transport aérien viendra en discussion demain à l’Assemblée nationale, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016, et je pense qu’il ne fera toujours pas l’objet d’une mesure de soutien de la part de l’État. Au-delà de l’avenir d’Air France, c’est une partie de la souveraineté du pays qui est en jeu. Ce problème nous dépasse tous.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Pour les autres orateurs, le temps sera un peu plus contraint puisque nous avons eu l’architecture générale de l’intervention de l’intersyndicale.

Mme Christelle Auster, secrétaire générale adjointe du Syndicat national du personnel navigant commercial – Force Ouvrière (SNPNC-FO). Notre syndicat étant représentatif, nous sommes invités à négocier les accords d’entreprise pour les hôtesses et les stewards. Nous n’avons pas encore commencé ces négociations puisque, en juin dernier, l’entreprise avait l’intention de passer en force sur des accords qui devaient encore produire leurs effets pendant dix-huit mois. Dans un premier temps, nous avons refusé d’anticiper l’application des accords : nous attendions que les efforts consentis dans le cadre du plan Transform 2015 produisent tous leurs effets avant de venir à la table des négociations.

M. Jean-Marc Quattrochi, secrétaire général de l’Union des navigants de l’aviation civile (UNAC). Je suis Jean-Marc Quattrochi, secrétaire général de l’UNAC, syndicat représentatif d’hôtesses et de stewards, c’est-à-dire de personnels navigants commerciaux (PNC).

Nous sommes conscients d’évoluer dans un secteur stratégique, en pleine mutation. L’adaptation de notre industrie – et plus particulièrement de notre compagnie – est conditionnée par l’implication de trois types d’acteurs : l’État qui doit a minima être le garant des conditions d’une concurrence équitable et loyale ; la direction de l’entreprise qui se doit d’établir une stratégie cohérente, efficace et tournée vers la croissance, qu’elle doit partager avec les représentants des salariés ; les salariés et leurs représentants qui doivent définir les adaptations qu’ils estiment pertinentes et acceptables.

Or à chaque phase de la mutation, seuls les salariés sont réellement mis à contribution. On nous demande d’être responsables et raisonnables, alors que les deux autres acteurs manquent de clarté dans leurs engagements. S’il est clair qu’un travail de réflexion parlementaire a été entrepris – notamment par le biais des rapports de Bruno Le Roux, de Claude Abraham, et du sénateur Éric Bocquet –, les décisions effectives de l’État restent très en dessous de ce que nous pourrions attendre.

L’UNAC a participé à toutes les réunions – qui n’étaient pas réellement des séances de négociation puisque les conditions n’étaient pas réunies – avec la direction d’Air France. Cette dernière nous a présenté sa stratégie de manière tout à fait succincte. Ses demandes sont si simplistes qu’elles semblent indiquer que sa stratégie n’est pas vraiment précise. En effet, faute d’être innovante, la direction se contente de contester le modèle social français. Ses demandes tiennent de la posture idéologique : elles se concentrent sur les marqueurs de la réduction du temps de travail pour ce qui est des efforts demandés aux salariés, et sur la recherche des moyens d’éviter le paiement des cotisations sociales vis-à-vis de l’État. Si la raison et la responsabilité sont recherchées, les trois types d’acteurs doivent jouer de concert et dans un respect mutuel.

M. Sébastien Portal, secrétaire général du Syndicat national du groupe Air France (SNGAF). Au nom de mon syndicat, je voudrais vous alerter sur des erreurs de gestion inquiétantes. L’étude des bilans d’Air France montre que les stratégies ont souvent des conséquences très coûteuses. La compagnie a payé plus d’un milliard d’euros d’amendes pour une entente illicite sur le cargo, dénoncée par Lufthansa. Cette dénonciation a permis à Lufthansa d’échapper aux poursuites. La politique de couverture en matière de carburant ne permet pas de profiter de la baisse des prix, ce qui a coûté environ un milliard d’euros à la compagnie en 2014. Le système de retraite à prestations définies dites « chapeaux » concerne trente-sept cadres d’Air France et coûte plus de 110 millions d’euros, alors que les grandes entreprises rentables limitent ce système à une poignée de dirigeants. La direction a aussi fait le choix de solutions informatiques externes coûteuses et inadaptées au réseau de l’entreprise.

Lors des CCE, les seuls développements annoncés de l’activité aérienne dans le plan A, dit « de croissance », passent par de nouvelles alliances ou des partenariats avec des compagnies étrangères. On constate que le développement est faible, voire inexistant, dans des domaines où les concurrents osent. Norwegian, une compagnie à bas coûts, a ouvert des lignes entre les Antilles françaises et l’Amérique du Nord. Pourquoi ne pas y développer Air France ou sa filiale Transavia ?

La direction a fait le choix de céder des avions peu chers ou amortis sans toutefois investir dans de nouveaux appareils, laissant ainsi un vide dans le ciel français. La décroissance prévue par la direction, y compris dans son plan A, conduira à la disparition d’Air France à plus ou moins court terme.

M. Arnaud Dole, délégué syndical de l’Union nationale des syndicats autonomes pour les personnels navigants commerciaux (UNSA-PNC). Pour ma part, je souhaitais rappeler que tous les syndicats ont négocié des réductions de coûts assez importantes puisque nous avons amélioré notre productivité de 20 %, alors que certains discours laissent penser que les salariés et leurs représentants n’ont pas joué leur rôle. Or, nous avons vraiment le sentiment d’avoir participé largement au redressement d’Air France en améliorant la productivité de l’entreprise au prix d’efforts difficiles.

Les mesures ont été prises et les efforts ont porté leurs fruits mais les salariés ont l’impression de ne rien recevoir en retour. En 2012, on nous a expliqué que c’était Transform 2015 ou l’attrition. Nous avons accepté le projet de l’entreprise et nous nous sommes engagés à faire 20 % d’économies, mais l’accord prévoyait aussi un développement d’Air France. À présent, nous avons l’impression que nos efforts n’ont servi à rien puisqu’on nous rejoue la même scène : c’est Perform 2020 ou l’attrition. Tous ces efforts vont-ils avoir un sens un jour ? Sans intervention de l’État, le transport aérien est mort, explique M. Bruno Le Roux dans son rapport. Comprenez que les salariés ont du mal à accepter de faire encore des efforts.

M. Mathieu Santel-Leborgne, de l’Union syndicale Solidaires de l’aérien (SUD Aérien). De mon côté, je voudrais insister sur un point : nous parlons ici d’Air France, mais c’est l’ensemble du secteur aérien qui est touché. Ce qui affecte la compagnie nationale a des conséquences concrètes directes sur les filiales et les sous-traitants. Nous assistons à une précarisation de l’emploi et à une « low costisation » des conditions de travail dans l’ensemble du secteur aérien.

Vendredi dernier, Les Echos titraient : « Air France-KLM va bien mais ses concurrents se portent encore mieux ». C’est la clef du problème : Air France-KLM va bien mais, au vu des résultats très positifs de certains concurrents, notre direction nous explique que nous ne sommes pas assez compétitifs. L’outil industriel fonctionne mais ce n’est pas le problème.

À vous, députés, j’aimerais poser deux questions. Est-ce légitime qu’une entreprise comme Air France, qui opère dans un secteur en pleine croissance et qui va annoncer des résultats nets très positifs cette année, touche un crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) de 100 millions d’euros sur deux ans pour supprimer 2 900 postes ? Est-ce légitime de supprimer 2 900 emplois dans une entreprise qui œuvre dans le transport aérien, un secteur qui enregistre 5 % de croissance par an ?

M. Pierre-Henri Lienemann, de l’Union nationale des syndicats autonomes de l’aérien (UNSA Aérien). Je suis Pierre-Henri Lienemann, de l’UNSA Aérien qui représente les personnels au sol. À mon avis, il est très important d’affirmer que l’avenir d’Air France passera par l’innovation et la croissance et non pas par l’attrition. Or un tableau officiel de la direction montre que seulement 40 millions d’euros seront consacrés à la croissance et à l’innovation en trois ans dans une entreprise qui, rappelons-le, réalise 16 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

Que nous propose-t-on actuellement ? On nous propose de ne pas acheter d’avions, de ne prendre aucune initiative. Un exemple très simple va illustrer mon propos. Toutes les compagnies concurrentielles internationales ont installé un accès wifi à bord de leurs avions. Pour Air France, un tel équipement représenterait un investissement d’environ 500 000 euros par avion, soit 50 millions d’euros au total. Aucune décision n’est prise en ce sens alors que la clientèle dite à haute contribution, la plus rentable, demande ce type de prestation. En ce qui concerne la révolution digitale, Air France a fait des efforts réels et importants, mais on n’en fait jamais assez dans ce domaine à l’heure actuelle.

Dans les services informatiques, qui agissent sur la totalité de nos activités, 300 à 400 emplois ont été supprimés en trois ou quatre ans. Air France avait un savoir-faire informatique reconnu, des outils qui généraient des recettes. Actuellement, nous en sommes à acheter des solutions externes à Lufthansa ! Alors que nous avions des traitements de très haute qualité, nous avons arrêté nos développements et nous avons acheté à Lufthansa Systems le logiciel qui permet de calculer les plans de vol. Ces traitements sont importants pour la sécurité mais aussi pour les finances : ils permettent d’optimiser les frais de carburants et de redevance.

Pour le traitement de nos recettes commerciales – le calcul de l’estimation de nos rentrées et leur répartition par réseaux et par vols – nous avions un logiciel de très haut niveau mais, depuis l’externalisation de l’informatique, nous avons également acheté un logiciel à Lufthansa Systems. Notre compagnie, qui dit vouloir préparer son avenir, paie des royalties à nos concurrents pour disposer de traitements informatiques particulièrement sensibles. Il est clair que la logique d’attrition, qui nous est proposée à travers Perform 2020, ne nous permettra pas d’être compétitifs et de retrouver le chemin de la croissance ; elle condamne notre compagnie.

M. Denis Jacq, vice-président du Syndicat des pilotes d’Air France (SPAF). J’interviens au nom du SPAF, l’autre syndicat représentatif des pilotes d’Air France. Comme beaucoup de choses ont déjà été dites, je vais essayer d’innover. Tout d’abord, je ne voudrais pas laisser dire, comme on l’entend régulièrement, que les bons résultats d’Air France sont liés à des événements conjoncturels tels que la baisse des cours du pétrole : ils sont le fruit des efforts de tous les salariés qui se battent au quotidien pour que leur compagnie soit présente et importante. Laisser croire que les bonnes performances sont dues à des facteurs conjoncturels c’est sous-entendre que les salariés ne font pas d’efforts. Cela me choque beaucoup. Le blocage actuel du dialogue s’explique notamment par cette négation de l’effort des salariés.

Pour les pilotes, c’est très clair. À notre entrée dans la compagnie, nous sommes placés sur une liste de séniorité. En novembre 2009, le dernier pilote recruté était 4212e. Si nous laissons faire la direction, nous serons environ 3 200 à la fin de 2017, c’est-à-dire 1 000 pilotes de moins que huit ans auparavant. La baisse représenterait 25 % des effectifs, ce qui est colossal.

Venons-en au dialogue social, la raison de notre présence ici. Quand vous négociez pour l’achat d’une maison ou d’une voiture, savez-vous dès le départ le prix que vous allez obtenir ? Pour notre part, depuis tout ce temps, nous sommes face à des gens qui nous disent d’entrée de jeu : vous choisissez ce que vous voulez, mais c’est nous qui décidons. Moi, je n’appelle pas cela un dialogue.

M. Miguel Fortéa, secrétaire général de la Confédération générale du travail (CGT). Avant tout, nous avons besoin d’un État stratège dans cette situation où énormément d’emplois et tout le tissu économique et social du pays sont concernés, comme le soulignait M. Philippe Evain. Selon l’étude réalisée en 2011 par M. Herbert Castéran, un universitaire strasbourgeois, il y a cinq emplois induits pour chaque emploi d’Air France, c’est-à-dire que plus de 356 000 emplois étaient concernés à l’époque de l’étude. L’impact est perceptible dans toutes les régions de France.

Depuis 2010, il y a eu 15 000 départs non remplacés sans que la charge de travail ne diminue. En 2012, on nous a demandé de faire des efforts de manière contrainte, en nous promettant qu’Air France arriverait au niveau d’Emirates, au troisième rang dans le classement des compagnies aériennes internationales. Aujourd’hui, on nous demande de creuser avec nos ongles, tout en gardant le sourire, et on nous reproche d’être encore trop nombreux malgré les bons résultats obtenus sur les neuf premiers mois de l’année, et en particulier au dernier trimestre. Ce n’est pas possible.

Entre 2012 et 2014, les dix plus gros salaires de personnels au sol ont augmenté de près de 10 %, à un moment où les salariés étaient contraints de faire des efforts. Les salariés en ont plus que ras-le-bol, ils n’en peuvent plus. Ce que vous avez vu le 5 octobre, c’est surtout la manifestation d’une exaspération. Les salariés ne comprennent pas le sens des efforts qu’on leur demande, et personne ne sait expliquer la stratégie de l’entreprise. On est vraiment dans un tunnel sans fin, sans perspectives.

Pour en revenir à l’État stratège, je pense qu’il faudrait organiser une réunion tripartite entre la direction, les organisations syndicales et l’État, où seraient définis le plan de développement et la stratégie, comme savent le faire d’autres compagnies étatisées. Tant que nous n’aurons pas un plan d’investissement, le pavillon français et tous nos emplois seront menacés. Actuellement, Air France ne peut pas investir dans les avions de nouvelle génération qui consomment près de 20 % de carburant en moins, alors que sa facture s’élève à 5 milliards d’euros. Lufthansa mène une politique qui lui permet d’avoir une facture de carburant inférieure de 500 millions d’euros à celle d’Air France sur un semestre, c’est-à-dire que la différence va atteindre un milliard d’euros sur l’année. Nous avons des problèmes de gestion et de stratégie : une stratégie fondée uniquement sur l’attrition, ce n’est pas possible.

Les salariés d’Air France ne sont pas des voyous ; ils se battent pour maintenir les emplois directs ou induits. On a voulu nous faire passer pour des gens que nous ne sommes pas. Afin de faire baisser la tension sociale qui règne au sein de l’entreprise, j’invite la direction à abandonner les poursuites disciplinaires en cours et à cesser de jeter de l’huile sur le feu. Laissons la justice trancher.

M. Laurent Le Gall, de la Confédération française des travailleurs chrétiens pour les personnels navigants commerciaux (CFTC PNC). Je voudrais souligner un point qui n’a pas été abordé : M. Frédéric Gagey nous demande de faire plus d’efforts, et sans attendre, pour la survie de la compagnie, mais je rappelle que pendant la présidence de M. Christian Blanc, en 1996, nous avions déjà fait énormément de gains de productivité. M. Gagey ne parle que de Transform 2015 mais nous faisons beaucoup d’efforts de productivité depuis bien longtemps. En réalité, les gains de productivité demandés sont supérieurs aux 20 % affichés car certains éléments n’ont pas été pris en compte. À titre d’exemple, je signale que quelques mois avant la signature du plan, il a été décidé de mettre un Personnel Navigant Commercial (PNC) en moins dans les Airbus A320 pour les vols court-courrier : nous ne sommes plus que trois au lieu de quatre sur ces vols, mais ce gain de productivité n’est pas comptabilisé dans les efforts consentis dans le cadre de Transform 2015.

Pour ce qui est du rôle de l’État, nous aimerions bien une application du rapport de M. Bruno Le Roux. À ma connaissance – et cela fait un moment que je suis dans la compagnie –, les PDG et les DRH sont nommés par le Gouvernement. Nous souhaiterions un peu d’aide de la part de l’actionnaire qui nomme les dirigeants responsables de la stratégie de l’entreprise.

M. Karim Belabbas, élu au comité central d’entreprise pour Force Ouvrière. Je suis ravi de pouvoir m’adresser au propriétaire moral de notre entreprise : Air France est le patrimoine de tous les Français dont vous êtes les représentants. Cela m’amène à vous poser une simple question : que veut-on faire du transport aérien dans notre pays ?

Nous y réfléchissons et nous avons quelques réponses à donner. Nous ne sommes évidemment pas favorables à un transport aérien français qui muterait vers un système construit sur le dumping social pratiqué par des sociétés comme Ryanair et Easy Jet. En revanche, nous travaillons sur un modèle de transport aérien français doté d’une stratégie de développement et capable de pérenniser un emploi de qualité dans le pays.

Cette question-là, nous ne pouvons pas y répondre seuls. Je remercie encore l’Assemblée nationale de s’en saisir aujourd’hui car l’État doit être partie prenante de cette ambition que nous avons pour l’entreprise. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de la gestion actuelle de notre compagnie, de ce qui est décrit comme une stratégie : les salariés sont déboussolés par la perspective de fermeture de lignes qu’on nous laisse entrevoir alors que le marché est en croissance. Nous disons clairement que les réponses ne sont pas à la hauteur des enjeux. L’État doit s’impliquer dans le dossier car toute la société, que vous représentez, a un intérêt immédiat à ce qu’Air France se porte bien. C’est l’affaire de tous, c’est notre patrimoine que nous défendons.

M. François Hamant, membre du bureau d’Alter. Je représente le syndicat Alter, un syndicat de pilotes qui est notamment affilié à l’Union syndicale Solidaires. Je vous remercie de nous recevoir aujourd’hui. Vous aurez noté que nous sommes dans une configuration particulière, peu classique – une intersyndicale très vaste regroupant toutes les catégories de salariés – qui témoigne de la gravité du moment que nous vivons.

Certaines images, que vous n’avez pas vues le 5 octobre, méritent pourtant toute votre attention, à défaut des autres : 2 500 salariés exaspérés ont manifesté entre le siège social d’Air France et les aérogares ; ils sont venus plus tard, le 22 octobre, devant votre assemblée ; ils reviendront tant qu’ils ne seront pas entendus. Nous venons vous voir ici de manière un peu offensive. Nous respectons la représentation nationale, mais nous mesurons également la dureté de certains commentaires émanant du plus haut sommet de l’État : il y a quelques jours, le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, M. Emmanuel Macron s’est permis de dire qu’il fallait faire des efforts, niant ceux qui ont été enchaînés depuis des décennies et que mon collègue vient de rappeler. C’est nier l’apport du collectif de travail.

La compagnie Air France est un petit concentré de société française, et elle craque de tous les côtés sous l’effet d’un discours en vogue dans l’Union européenne. La représentation nationale a aussi une part de responsabilité dans les événements. J’en appelle à votre responsabilité, en faisant un parallèle qui peut vous toucher : le dialogue social actuellement promu à Air France est un peu l’équivalent de l’application de l’article 49-3 de la Constitution pour vous. Ce n’est pas mieux : les objectifs sont toujours imposés même si la direction doit trouver quelqu’un qui appose sa signature en bas des documents. Essayez d’y réfléchir car je crois qu’il y a une autre audition après la nôtre. J’ai l’air de distribuer les mauvais points mais je ne suis pas là pour faire croire que ça se passe en douceur.

La chance d’Air France, c’est son collectif de travail, son outil industriel. Regardez les résultats actuels. Mesdames et messieurs, où que vous vouliez vous rendre dans le monde, vous pouvez prendre une autre compagnie aérienne qu’Air France. Si nous sommes si nuls, comment expliquez-vous que nous ayons un taux de remplissage annuel de 88 % et l’une des recettes unitaire les plus fortes du secteur ? C’est absolument inconcevable.

J’effectue des vols moyen-courrier. Les gens nous donnent des témoignages de leur sympathie qui nous vont droit au cœur. Mais ne doutez pas de notre détermination à aller plus loin. Nous ne sommes pas de petits enfants venus quémander de l’assistance. Nous sommes capables de nous défendre ; nous le ferons ; nous nous battrons pour notre outil de travail ; nous ne laisserons pas détruire un peu plus notre sentiment de fierté et d’appartenance. Souvenez-vous d’Erika, cette magnifique hôtesse qui s’est exprimée en marge du CCE, face à des cadres de haut niveau incapables de lui répondre car déconnectés de la réalité qu’elle décrivait. Souvenez-vous de sa fierté émue. Voilà une belle image !

Je vous prends à témoin : ce collectif intersyndical est prêt à se battre. Comme mon collègue, je demande la levée préalable des sanctions disciplinaires que la direction maintient à ce jour. Deux pilotes sont concernés, et il y a des mises à pied. Je voudrais rendre ici hommage aux collègues du sol qui sont venus hier manifester leur soutien à l’un des deux pilotes qui va passer demain en commission disciplinaire. De la même manière, des pilotes et des hôtesses se rendent aux audiences disciplinaires qui visent nos collègues du sol. Il ne faut pas se tromper : quand on pousse les gens à l’exaspération, on obtient ce genre de résultat. N’oubliez pas les marches des 5 et 22 octobre. MM. Valls et Macron sont trop prompts à réagir et trop péremptoires dans leurs jugements.

M. Marc Malloï-Cantara, Syndicat national du personnel navigant de l’aéronautique civile (SNPNAC). Après mes collègues, je répète que l’État ne prend pas ses responsabilités. Nous représentons les salariés d’Air France et notre compagnie. Nous voyons que l’État français défend des compagnies étrangères comme Qatar Airways ou Emirates, et qu’Air France passe après tout le monde. Cela fait réagir toutes les catégories de personnels. Nous sommes contents d’être ici, entendus par des députés. Il va falloir réagir d’une manière ou d’une autre pour sauver cette compagnie qui est une vitrine de la France. Je préfère m’en tenir là parce que, sinon, je ne pourrai plus m’arrêter. Nous sommes tous remontés, nous ressentons un ras-le-bol total.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je vous remercie d’avoir tenu globalement votre temps de parole. Je donne la parole à Mme Frédérique Massat, présidente de la commission des affaires économiques.

Mme la présidente Frédérique Massat. La présidente Catherine Lemorton et le président Jean-Paul Chanteguet m’ont associé à cet exercice qui consiste à entendre toutes les parties pour recueillir les informations directement au lieu de les avoir par la presse. Tel est le principal intérêt de ces échanges. Vous serez invités à répondre aux questions des parlementaires et votre parole ne sera pas brimée. Nous prendrons le temps qu’il faudra pour vous entendre.

Nous avons interrogé la direction qui nous a fait part de l’embellie constatée au troisième trimestre et dont nous ne pouvons que nous réjouir tous ensemble. Il est évident que vous participez à cette embellie. Vous estimez que la stratégie de la direction est illisible ; vous aimez votre entreprise et vous avez une vision de son avenir. Pouvez-vous nous dire autour de quels points se déclinerait votre stratégie ? La direction actuelle utilise la masse salariale comme variable d’ajustement mais elle nous annonce aussi des ouvertures de lignes et des produits supplémentaires. Selon vous, que faudrait-il faire pour que l’embellie constatée se poursuive ?

Au passage, je me permets d’excuser M. Bruno Le Roux qui est retenu dans une réunion qui avait été programmée avant cette audition et qu’il n’a pas pu décommander. Je puis vous assurer qu’il suit nos travaux et qu’il interviendra sur ce sujet.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je donne maintenant la parole à M. Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je ne vais pas allonger inutilement les débats puisque des parlementaires souhaitent vous poser des questions. C’est un moment important pour la compagnie Air France et ses salariés. Nous nous interrogeons sur son avenir, sur la place qu’elle occupera aux niveaux européen et international. Dans le cadre de l’échange que nous avons eu ce matin avec le président d’Air France, beaucoup de choses ont été dites. J’entends les messages que vous adressez les uns et les autres sur la responsabilité et le rôle de l’État, sur des décisions qui ont été prises concernant notamment les compagnies du Golfe et les nouveaux droits de trafic. Sur ce point particulier, je souhaiterais que vous soyez plus précis parce que c’est une dimension à laquelle nous devons être sensibles.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je donne maintenant la parole aux représentants des groupes, en commençant par Mme Isabelle Le Callennec, pour le groupe Les Républicains.

Mme Isabelle Le Callennec. Au préalable, je ferai un rappel de la part de mes collègues : notre groupe – et le groupe de l’Union des démocrates et indépendants aussi, si j’ai bien compris – se soucie à la fois de la compétitivité économique de nos entreprises et de la cohésion sociale.

Je voudrais revenir sur vos propos liminaires concernant le Gouvernement et sa passivité. Qu’attendez-vous précisément et concrètement du Gouvernement ? Quels sont les lieux où vous allez pouvoir dialoguer avec lui ?

S’agissant de la direction, sachez que votre PDG nous a déclaré qu’il constatait une amélioration de la productivité et qu’il vous rendait hommage pour cela. Quand je l’ai interrogé à ce sujet, il a même parlé de partager les fruits du redressement à un moment donné, alors que l’on entend parler de licenciements.

De mon point de vue, il faut avoir des ingrédients pour entretenir un dialogue social. Il faut d’abord partager le diagnostic. Manifestement, vous ne partagez pas le diagnostic de la direction sur l’environnement concurrentiel d’Air France. Il faut aussi partager les objectifs. Votre président nous a indiqué qu’il souhaitait améliorer la performance commerciale et la maîtrise des coûts. Vous ne semblez pas vous rejoindre sur la manière de maîtriser les coûts.

J’ai été notamment frappée par l’un de ses propos : le calendrier des négociations ne sera pas le même pour toutes les catégories de salariés de l’entreprise. Or vous avez créé une intersyndicale pour que ne se vérifie pas l’adage « diviser pour mieux régner ». Après vous, nous allons auditionner deux autres organisations syndicales. Pourquoi ne sont-elles pas avec vous ? Le principe de négociations par catégories de personnels vous convient-il alors que vous clamez votre intention d’avancer ensemble ?

Cela étant, nous ne pouvons pas oublier la réalité de marché du transport aérien mondial qui nous a été rappelée tout à l’heure.

Mme la présidente Catherine Lemorton. La parole est à M. Daniel Goldberg, pour le groupe Socialiste, républicain et citoyen.

M. Daniel Goldberg. Merci à tous d’avoir tenu des propos très dignes. Vous êtes fiers de votre travail, de vos métiers, de votre entreprise. Pour avoir déjà eu l’occasion d’échanger avec certains d’entre vous, je reste frappé par l’unité de votre discours, quels que soient vos métiers et vos organisations syndicales. Ce n’est pas toujours le cas dans d’autres entreprises et cette caractéristique doit être prise en compte par la direction. Je me réjouis de pouvoir vous poser les mêmes questions qu’à la direction et vous donner l’occasion de rétablir votre part de vérité sur la situation et les récents événements.

Quelles sont les conditions à réunir pour rétablir un dialogue serein dans l’entreprise, condition sine qua non du maintien d’Air France ?

L’un d’entre vous a appelé de ses vœux l’organisation d’une réunion tripartite entre la direction, les syndicats et l’État. Dans le cas présent, où l’État est actionnaire, le CCE n’est-il pas cette instance tripartite ? Au nom de mon groupe, je vous indique que nous questionnerons les administrateurs représentant l’État sur leur position concernant le développement de l’entreprise.

Il y a une évolution de la structure des salariés dans l’entreprise : la proportion des ouvriers et des employés diminue par rapport à celle des cadres. Quelles conséquences cette évolution peut-elle avoir sur la vie quotidienne de l’entreprise ? Peut-elle nuire à l’avantage compétitif que représentent les salariés d’Air France par rapport à d’autres compagnies, compte tenu de leur rôle en matière d’accompagnement des passagers et de sécurité des vols ?

Plusieurs d’entre vous ont évoqué le risque global que présente la diminution des coûts. Mettons à part les compagnies qui jouent sur le low cost et qui exercent des pressions insupportables sur certaines collectivités françaises. Si on exclut celles-là, avez-vous en tête un modèle de compagnie qui ressemble à ce que vous souhaitez pour Air France ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. La parole est à M. Arnaud Richard, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Arnaud Richard. Tout d’abord, Madame la présidente, j’aimerais comprendre votre réaction concernant notre présence, et nous nous en expliquerons tous les deux. En quoi la présence de l’opposition à l’audition des syndicats d’Air France serait-elle une bonne nouvelle ? Madame la présidente, j’ai beaucoup d’estime pour vous, mais votre réaction m’a profondément choqué.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je me réjouis de votre présence.

M. Arnaud Richard. Nous sommes face à l’une des deux intersyndicales du premier employeur d’Île-de-France, qui œuvre dans un secteur en très forte croissance mais extrêmement complexe. Il semblerait que les acteurs – État, délégation intersyndicale et direction – aient du mal à se comprendre. Votre président estime que les événements du 5 octobre entachent l’image de la compagnie ; elles entachent aussi l’image de notre pays.

Avant de poser ma première question, je précise qu’elle n’est pas une attaque contre qui que ce soit, qu’elle ne vise personne en particulier. Selon vous, est-ce responsable de la part de l’État, de mettre à la tête de l’un des fleurons de notre pays, des hommes et des femmes qui n’ont pas une réelle connaissance, compétence, expertise, ou passé professionnel dans le transport aérien, secteur d’activité très complexe ?

Manifestement, le dialogue social est malade dans cette compagnie. L’un ou l’autre d’entre vous pourrait-il diagnostiquer cette maladie ? Est-ce une schizophrénie ? Nous avons une délégation intersyndicale et par ailleurs une délégation de la CFDT et de la CFE-CGC, ce qui est tout de même un peu surréaliste. Vous nous parlez de réunion avec l’État et, comme mon collègue Goldberg, il me semble que le CCE devrait être l’instance de ces échanges tripartites.

Que pensez-vous de l’absence d’un tiers de confiance – un médiateur, disait l’une de nos collègues lors de la précédente audition – capable de faire le lien entre l’État, la direction et les syndicats ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. La parole est à Mme Isabelle Attard, pour le groupe Écologiste.

Mme Isabelle Attard. Avant mon intervention, je signale que notre cher président Chanteguet a oublié de me passer la parole durant la précédente audition. C’est le genre d’erreur qui peut se produire mais, en l’occurrence, compte tenu de l’importance du sujet, elle est extrêmement dommageable. Je compte sur vous, Madame la présidente Lemorton, pour que, en toute justice parlementaire, mes propos liminaires ne soient pas décomptés de mon temps de parole.

Mesdames et Messieurs les représentants syndicaux des salariés d’Air France, bienvenue à l’Assemblée nationale.

Le 5 octobre dernier, votre grand patron Alexandre de Juniac, PDG d’Air France-KLM, a transmis à la presse un plan de suppression de 2 900 postes, qui n’avait pas encore été présenté au CCE. Cela constitue un délit d’entrave, prévu à l’article L.2328-1 du code du travail et puni d’un an de prison et de 3 750 euros d’amende. M. Alexandre de Juniac a ainsi causé une grande souffrance morale à des dizaines de milliers de salariés, légitimement inquiets pour leur avenir. Condamnez-vous ce délit, passible de prison, commis par votre patron ?

Le PDG, M. Frédéric Gagey, répète à qui veut l’entendre, encore ce matin, que le plus grand problème d’Air France, c’est le coût de ses salariés. En bonne gestionnaire, j’estime plus intéressant de savoir ce qu’ils rapportent. Les chiffres sont clairs : 898 millions d’euros en un trimestre. Mesdames et Messieurs les représentants des salariés, vous pouvez être fiers de votre productivité ! Souvenons-nous du secteur textile français ou du secteur manufacturier. Dans la course à l’économie du moindre centime, ils ont disparu, définitivement battus par la Chine. L’histoire montre que dans la course au moins-disant social, on trouve toujours quelqu’un pour vendre moins cher, alors que viser la qualité rapporte. La direction d’Air France vous a-t-elle dit jusqu’où elle comptait réduire les coûts salariaux d’Air France ? Jusqu’à zéro ?

La direction d’Air France a osé proposer aux pilotes de travailler plus pour gagner autant. Cette proposition devrait faire bondir certains de mes collègues qui, en 2007, vantaient le « travailler plus pour gagner plus ». Lorsque je prends l’avion, je ne veux pas avoir en tête que les pilotes sont surmenés et que la sécurité du vol n’est pas assurée. Le droit du travail n’est pas conçu que pour défendre les salariés, il permet aussi aux entreprises d’avoir des personnels compétents et en bonne santé.

Selon vous, syndicats représentatifs, le modèle de société qui vous est présenté lors des réunions de CCE est-il le même que celui qu’avait promu M. Alexandre de Juniac en décembre 2014 à Royaumont, à savoir un monde où l’on travaille jusqu’à sa mort sans retraite, où les grévistes sont automatiquement mis en prison, et où même les enfants travaillent ? (Applaudissements des représentants de l’intersyndicale.)

Mme la présidente Catherine Lemorton. Merci, Mme Attard. Cela valait le coup de vous laisser le temps de parole nécessaire.

La parole est à Mme Jeanine Dubié, pour le groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste.

Mme Jeanine Dubié. Tout d’abord, je voulais remercier chacun de vous pour les explications données et les points de vue exprimés. Lors de l’audition de votre président, notre groupe a rappelé son attachement au dialogue social et à la responsabilité de tous. Il en va de l’image et du pouvoir d’attraction de votre entreprise comme de ceux de notre pays. Nous sommes tous désireux de dessiner un avenir meilleur pour Air France.

Vous avez appelé à une nouvelle journée de manifestation, le 19 novembre prochain, pour demander l’arrêt des procédures disciplinaires à l’égard de vos collègues mis en cause dans le cadre des événements du 5 octobre dernier. Pouvez-vous nous faire un point sur l’état d’avancement de ces procédures ? Quelles sont vos attentes ?

Afin d’obtenir des réponses à vos questions et de vous assurer de la situation économique réelle de l’entreprise, vous avez voté à l’unanimité pour le lancement d’une procédure de droit d’alerte, pour questionner la direction sur sa stratégie. Quel est le calendrier d’un tel audit ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. La parole est à M. Patrice Carvalho pour le groupe Gauche démocrate et républicaine.

M. Patrick Carvalho. Quand un patron veut faire passer une politique, ce n’est pas compliqué : il crée les conditions pour y parvenir. Je l’ai vécu dans l’entreprise où je travaillais : quand on était en grève pour les salaires, le patron publiait le salaire moyen brut de l’entreprise pour nous opposer les uns aux autres et calmer le jeu. Quand on veut mettre en cause la fonction publique, on dit que les fonctionnaires sont des nantis. En cas de conflit à la SNCF, on dit la même chose des cheminots. C’est toujours un peu le même procédé et je regrette que notre Premier ministre ait traité des salariés d’Air France de voyous, même si je ne prône pas le déshabillage des gens. Dans un conflit aussi dur, on vise l’apaisement et on ne se positionne pas comme ça. À mon sens, le Premier ministre a pris une position politique claire.

Dans un autre registre, je pense qu’il n’est pas légitime qu’Air France bénéficie du CICE. Il est tout aussi anormal que les dirigeants d’Air France se distribuent des salaires à de tels niveaux, et qu’ils ne participent pas aux efforts qu’ils demandent aux autres. Quant aux médias qui vivent de la publicité d’Air France, ils ne peuvent pas être de votre côté. Le jour où les syndicats seront capables de donner des millions à ces journaux, vous pourrez faire passer vos messages, mais il va falloir attendre longtemps : les cotisations syndicales risquent d’être un peu chères pour assumer ce coût…

Vos interventions m’inspirent aussi une question : est-on toujours en sécurité quand on prend l’avion ? Vous annoncez que 1 000 postes de pilotes ont été supprimés, tandis que le PDG explique que le volume du travail est toujours le même, c’est-à-dire qu’il y a toujours autant d’avions dans le ciel. Comment la sécurité est-elle assurée ? Je suis un peu inquiet.

Vous avez déclenché le droit d’alerte et vous avez demandé une étude économique au CCE. Pourrait-on avoir les conclusions de cette étude qui pourraient nous éclairer ?

Enfin, chers collègues de droite, vous étiez quarante lors de l’audition du PDG et vous n’êtes plus que sept à présent. C’est un peu dommage.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je vais maintenant donner la parole aux orateurs inscrits.

Mme Annick Le Loch. Je souhaitais interroger le PDG tout à l’heure mais je n’ai pu le faire car je me suis absentée quelques minutes. Ma question concerne HOP ! la compagnie régionale d’Air France, qui est régulièrement interpellée sur les conditions de desserte aérienne de mon territoire, je fais allusion à la liaison entre Quimper et Orly, importante pour l’attractivité du territoire. La direction commerciale de HOP ! a encore exprimé récemment son souhait d’améliorer la ponctualité et de développer des offres tarifaires attractives sur cette ligne. Dans quelle mesure la compagnie Air France peut-elle accompagner sa filiale dans cet effort d’amélioration du service ?

M. Jean-Marie Sermier. À de nombreuses reprises, vous avez interpellé l’État actionnaire qui doit apporter des réponses claires. Mais une entreprise a au moins autant besoin de ses clients que de ses actionnaires. Et les clients nous questionnent car le marché change et la demande doit sans cesse s’adapter aux prix et aux prestations. J’ai interrogé votre président sur l’offre d’Air France et de ses filiales sur les créneaux du low cost. Quelle est la position de l’intersyndicale sur ce point ?

M. Henri Jibrayel. Comme Mme Frédérique Massat, nous ne pouvons que nous réjouir du résultat positif de la compagnie, obtenu essentiellement grâce aux salariés.

M. Frédéric Gagey a été interrogé à plusieurs reprises sur le dialogue social mais ses réponses nous ont laissés sur notre faim. En 2014, il y a eu un long conflit qui aurait pu apporter une certaine expérience du dialogue social, une aptitude à anticiper les événements. Pourtant, le dialogue social est malade dans cette entreprise, comme vous avez tous eu l’honnêteté intellectuelle de le reconnaître. Comment peut-on arriver à la situation du 5 octobre ? D’ailleurs, sans revenir longuement sur ces événements, je voudrais abonder dans le sens de M. Hamant : nous n’avons pas vu la séquence la plus intéressante.

M. Frédéric Gagey nous parle de rencontres permanentes comme celles du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) qui répondent à des obligations légales. Je m’inquiète de l’avenir du dialogue social dans une entreprise de 65 000 salariés qui annonce la suppression de 2 900 postes et qui est en mutation. Quelques-uns d’entre vous demandent la levée des sanctions. J’ai l’impression que le dialogue social va être très difficile dans l’entreprise. Que peut-on faire pour que la situation évolue ? Les parlementaires s’inquiètent, mais les citoyens pensent aussi qu’il y a un problème dans cette entreprise. Ce matin, je n’ai pas eu l’impression que le PDG ait voulu s’engager vers le rétablissement d’un véritable dialogue social au sein de l’entreprise. Il y a certes trois catégories de personnels et plusieurs syndicats, mais ce pluralisme constitue aussi une richesse.

M. Yves Albarello. Je vais rebondir sur les propos de mon collègue car nous sommes là pour parler de la panne visible du dialogue social dans cette entreprise. Êtes-vous d’accord sur le diagnostic concernant l’environnement concurrentiel de la compagnie ? Sans accord sur le diagnostic il n’y aura jamais de dialogue social.

M. Karim Belabbas, vous qui avez parlé de votre attachement à la compagnie, soyez rassuré : nous sommes tous amoureux de notre compagnie nationale et fiers de ce patrimoine. En tant qu’élus locaux, il nous arrive régulièrement de décerner la médaille du travail à des personnels d’Air France, qu’ils soient stewards, pilotes ou autres. Peut-être est-ce davantage le rôle du chef d’entreprise de remettre de telles médailles ? En fait, c’est généralement un maire qui le fait avec beaucoup de fierté. Nous tenons à notre compagnie nationale qui, effectivement, fait partie de notre patrimoine. Notre compagnie doit être à la hauteur de notre réseau d’ambassades, l’un des meilleurs du monde. Elle représente le pays des Lumières, la gastronomie française. Encore faut-il qu’il y ait une certaine homogénéité.

Revenons à l’environnement concurrentiel et oublions les compagnies du Golfe – Etihad Airways, Qatar Airways, etc. – pour ne retenir que les trois grandes compagnies européennes : British Airways, Lufthansa et Air France. Les deux premières ont fait leur révolution ; Air France doit faire ou poursuivre la sienne. Quel est le rapport entre le nombre de personnels employés par Air France et le nombre d’avions dont dispose la compagnie ? J’ai posé la question au PDG sans obtenir de réponse. Or il serait intéressant de comparer ce ratio dans les trois compagnies européennes.

Mme Fanélie Carrey-Conte. Je vous remercie, Madame et Messieurs les représentants syndicaux, pour vos interventions. Avec quelques autres parlementaires, j’avais eu l’occasion de vous entendre à l’issue de votre dernière manifestation et j’avais pu constater votre fort attachement à l’entreprise Air France et votre souci de son avenir.

Cette audition doit être pour vous l’occasion d’exprimer devant la représentation nationale vos propositions pour l’avenir de l’entreprise, dont nous savons qu’elles sont nombreuses et riches. Pour ma part, j’ai la conviction qu’Air France doit relever un défi de modernisation et d’élévation de sa compétitivité, coûts et hors coûts, comme l’a rappelé M. Daniel Goldberg. À cet égard, il est un débat important qui a été peu abordé : l’élévation de la qualification et de la formation professionnelle des salariés qui représentent une richesse pour l’entreprise. Comment se passe la formation professionnelle ? Quelles sont vos suggestions et demandes en la matière pour les différents métiers ?

M. Alain Suguenot. M. Frédéric Gagey nous disait tout à l’heure que le dialogue social n’était pas en butée à Air France. Apparemment, il était très optimiste : il y a un fractionnement de la représentation syndicale et, au nom de la délégation syndicale, treize intervenants s’expriment autour de cette table. Il y a de quoi s’inquiéter, même si c’est très exceptionnel, parce que ce n’est pas le meilleur moyen de négocier. Sans compter qu’il y a une partie qui n’est pas forcément présente même si elle est représentée, l’État, dont les positions peuvent paraître quelque peu contradictoires : d’un côté, on prétend défendre et sauver Air France ; de l’autre, on augmente les droits de trafic accordés aux compagnies concurrentes et on crée des taxes d’aéroport très élevées. Qu’au moins l’État sache jouer au jeu de la concurrence s’il veut aider sa compagnie nationale !

Au-delà des problèmes de représentation lors de la négociation, il me semble se poser une question essentielle : quelles solutions proposez-vous ? Nous sommes d’accord sur le constat : les efforts consentis depuis 1996, auxquels les salariés ont participé très largement, ont porté leurs fruits. Cependant, les coûts d’Air France restent supérieurs de 25 % à ceux de ses rivales. Nous nous gargarisons des 500 millions de bénéfices qu’Air France va peut-être réaliser mais les bénéfices d’International Airlines Group (IAG) atteignent 2 milliards d’euros et ceux de Lufthansa 1,5 milliard d’euros. Cela fait une grosse différence. Quelles solutions
– qui seraient consensuelles parmi vos différentes organisations syndicales – proposez-vous pour atténuer cette différence ?

M. Jean-Pierre Blazy. Tout d’abord, je remercie M. Mathieu Santel d’avoir répondu à la question sur le montant du CICE, que j’avais posée à M. Frédéric Gagey sans obtenir de réponse. Reste à savoir à quoi sert le CICE à Air France. Peut-être avez-vous des idées sur le sujet ?

Comme beaucoup d’autres ici, je suis convaincu que les salariés de la compagnie ont produit des efforts – nécessaires et importants – depuis vingt ans. Ce sont des salariés exaspérés, et non pas des salariés voyous, qui ont commis des violences que l’on peut condamner. Même si c’est difficile, il faut que le dialogue social puisse avoir lieu. Alors que le président Frédéric Gagey a beaucoup parlé de l’existence d’un dialogue social qui rendait inutile l’intervention d’un médiateur, vous nous dites qu’il s’agit en fait d’un vestige du passé. C’est dire où l’on en est ! Pour votre part, pensez-vous qu’il faut un médiateur pour que le dialogue reprenne entre les uns et les autres, et au plus vite parce qu’il y a urgence ?

En dressant l’état de la compagnie, vous avez mentionné des éléments que j’ignorais et qui mériteraient d’être approfondis par le Parlement : les pratiques d’achat de carburants et les ententes illicites sur le cargo qui obèrent manifestement les résultats de la compagnie.

M. Lionel Tardy. Quand on voit qu’Air France est en danger alors que le marché aérien est en pleine croissance, on peut s’interroger. Quand on voit qu’Air France n’est jamais présente dans le top 10 des compagnies « les plus appréciables », on peut aussi s’interroger, même s’il est difficile de rivaliser avec certaines compagnies du Golfe.

Les syndicats tiennent parfois un discours paradoxal : d’un côté, ils mettent en cause la concurrence et, de l’autre, ils freinent l’entreprise lorsqu’elle tente de s’y adapter. À titre d’exemple, je citerai la fermeture de la ligne déficitaire qui reliait Roissy-Charles-de-Gaulle à Vérone. Pour ne pas déroger aux accords sur le périmètre d’activité d’Air France, le SNPL n’a pas accepté que Transavia, la filiale à bas coûts, exploite cette ligne au départ d’Orly.

Ces constats me conduisent à vous poser la même question qu’à votre PDG. La compagnie Air France a-t-elle suffisamment anticipé la concurrence ? Autrement dit, n’a-t-elle pas continué à raisonner comme si elle était toujours en situation de monopole, lorsqu’elle a effectué ses choix, au cours des dernières années ? Ma dernière question vous concerne plus directement : les syndicats ont-ils une part responsabilité dans cette attitude ?

Mme Chaynesse Khirouni. Je remercie aussi M. Mathieu Santel de nous avoir donné le montant du CICE perçu par Air France.

Je souhaiterais revenir sur le contraste saisissant qui existe entre les deux branches du groupe Air France-KLM. Tandis que les salariés faisaient grève en France, KLM est parvenue à un accord avec ses 2 800 pilotes pour faire évoluer leurs conditions de travail. Comment analysez-vous ce contraste ? Quels ont été les éléments négociés chez KLM ? N’y a-t-il pas un risque de délocalisation des emplois de la France vers les Pays-Bas dans le cadre de la holding ?

Dans un contexte extrêmement concurrentiel, Air France doit prendre des mesures afin d’assurer son avenir, comme d’autres compagnies aériennes à vocation mondiale. Quelles orientations stratégiques l’intersyndicale soutient-elle ? Quelles mesures doivent accompagner ces orientations stratégiques ?

Enfin, je souhaiterais revenir sur le dialogue social. Je l’ai dit à plusieurs reprises : il n’y a pas d’efficacité économique sans efficacité sociale. Nous sommes particulièrement inquiets pour le climat social qui règne dans l’entreprise. En tant qu’organisations syndicales, pouvez-vous mesurer les risques psychosociaux dans l’entreprise ? Existe-t-il un accompagnement particulier des salariés ?

M. Gabriel Serville. Depuis 2012, mes nombreuses questions sont demeurées sans réponse de la part de la direction, notamment celles se rapportant à la confection des prix des billets d’avion pour les outre-mer. La Commission nationale d’évaluation des politiques publiques d’État en outre-mer a tenté d’y voir plus clair, hélas sans succès, car nous avons toujours buté sur une véritable opacité. Résultat : les clients crient en général au scandale, la situation de monopole sur certaines lignes ne favorisant pas une régulation transparente.

Air France n’est pas une œuvre philanthropique et tout le monde comprend qu’elle a besoin de dégager des marges. Toutefois, en raison de la nécessité d’assurer une bonne continuité territoriale entre la France hexagonale et les outre-mer, nous considérons que l’État et Air France doivent assumer leurs responsabilités et faire en sorte que le prix des billets pour les outre-mer obéisse à une logique à la fois économique et politique.

Une fois n’est pas coutume, je ne poserai pas de question mais je souhaiterais profiter de cette opportunité pour témoigner ma sympathie à l’intersyndicale à laquelle je souhaite bon courage. Son combat est aussi le nôtre.

Mme Marie-Arlette Carlotti. Merci à tous d’être venus rétablir votre part de vérité. Cela nous fait du bien.

Monsieur Evain, vous avez parlé de stratégie illisible, un qualificatif repris par nombre d’entre vous. Sachez que, depuis nos territoires, elle est également illisible. Je fais ici référence aux bases qui ont été ouvertes à Marseille, Nice et Toulouse dans le but de concurrencer les compagnies à bas coûts, sachant qu’Air France a plus de contraintes que ces concurrentes. Des lignes ont été ouvertes puis fermées entre Marseille et le Liban ou Rome. Du coup, l’idée de fermer les bases pour faire quelques économies a été évoquée, puis abandonnée après la mobilisation des élus locaux.

Vous avez raison, on ne comprend rien à cette stratégie. Quelle est votre position concernant les bases ? Les salariés qui travaillent sur celle de ma région me tarabustent à ce sujet. L’un d’entre eux, qui est pilote, s’est battu à nos côtés pour le maintien des bases régionales d’Air France. Met-on en péril l’équilibre d’Air France en faisant cela, en essayant de développer des lignes depuis des territoires qui vont devenir de grosses métropoles et qui ont besoin d’établir des liens économiques avec d’autres pays ? Nous n’avons plus qu’une ligne au départ de Marseille en direction du Maghreb. Ne pensez-vous pas que c’est une anomalie ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. Comme il n’y a plus de questions, je vous propose, Madame, Messieurs, de reprendre la parole à tour de rôle pour y répondre.

M. Philippe Evain. Les questions sur la stratégie d’Air France rejoignent celle concernant le profil de ses dirigeants. Les décideurs placés à la tête de la compagnie sont plutôt issus du monde politique mais ils ont un profil de financiers. Ils conduisent donc une politique essentiellement fondée sur des considérations financières et, en la matière, ils sont assez forts. Pour afficher une bonne rentabilité financière à court terme, il vaut mieux tailler dans les coûts et réduire la voilure plutôt que de prendre des risques et de proposer du développement. C’est leur profil qui est un problème : nous avons des financiers alors que nous voudrions des entrepreneurs. Est-ce que leur profil tient au fait qu’ils sont nommés par l’État ? Je ne sais pas et je ne prendrai pas parti là-dessus.

Que faire pour atteindre une rentabilité proche de celle de compagnies telles que Lufthansa ou Iberia ? Il faut investir, oser, se développer. En fermant des lignes, comme les dirigeants d’Air France le font depuis cinq ou six ans, il n’y a aucun espoir d’atteindre les niveaux de rentabilité de nos concurrents qui, eux, osent. En tant que navigant, je vois tous les jours les avions se multiplier sur les aérogares : d’autres compagnies osent pendant qu’Air France réduit la voilure.

Pour répondre à votre question, Mme Carlotti, je vais vous raconter une conversation que nous avons eue avec le président Gagey. Alors que nous l’incitions à développer Transavia au départ des régions, il nous a répondu : ne me demandez pas d’ouvrir des lignes long-courrier au départ de la province. En fait, prendre un risque, essayer quelque chose, faire ce que font les autres, c’est contraire à l’ADN de nos dirigeants. Transavia n’est pas dans les villes de province et il n’y a pas d’offre long-courrier dans les régions. On a fermé les lignes internationales ou moyen-courrier au départ des régions.

Sachez que nous avons subi ces décisions. Pour notre part, nous n’avons jamais souhaité la fermeture des bases régionales d’Air France, bien au contraire. Dans le flou qui a régné au moment où il était question de le faire, nous n’arrivions pas à trouver un accord avec la compagnie en raison d’un problème de dialogue social. Nous considérons que le développement de ces bases régionales est absolument indispensable. De même, nous ne sommes pas opposés au développement de l’offre low cost, à condition que cela consiste à développer une clientèle à part, ayant toute sa raison d’être, et non à siphonner les passagers d’Air France pour les transformer en clients low cost.

M. Karim Belabbas. Beaucoup de questions tournent autour de l’environnement concurrentiel. S’agissant des compagnies à bas coûts, en particulier de Ryanair, nous ne pouvons adopter certaines de leurs pratiques pour des raisons à la fois techniques et éthiques. Si Ryanair crée des filiales sur l’Île de Man, à Jersey et Guernesey ou au Luxembourg, vous pouvez imaginer à quelles fins. Nous ne souhaitons pas qu’Air France recoure à ce genre d’ingénierie financière pour résoudre certains problèmes de concurrence en privant la communauté nationale de recettes.

Lors de la grève des pilotes, en septembre 2014, nous avons eu connaissance que cette idée de jouer avec les différences de compétitivité à l’intérieur de l’Europe avait effleuré M. Alexandre de Juniac. À la faveur de ce conflit, nous avons eu connaissance qu’il avait monté une coquille au Portugal. Nous pensons que ce genre de développement n’est bénéfique pour personne. Nous ne pourrons donc jamais avoir la même compétitivité que ces compagnies, à moins d’entrer dans des logiques qui posent des problèmes éthiques et techniques. On dit pudiquement que ce sont des pratiques d’optimisation fiscale mais, pour ma part, j’ai un autre terme pour qualifier ce que fait Ryanair. Ces méthodes pèsent, y compris sur le financement de la flotte, et expliquent la différence de compétitivité de 25 % qu’Air France pourrait avoir avec les uns et les autres. Il faut regarder au-delà du chiffre et analyser comment est fabriquée cette différence de compétitivité. En ce qui concerne Ryanair, les choses sont claires : l’intersyndicale rejette ses pratiques de A à Z. Nous ne voulons pas casser le droit social ni profiter des logiques d’optimisation fiscales. Nous voulons continuer à être productifs pour nous – salariés et entreprise – et pour l’ensemble de la nation.

Quel est le rapport entre le nombre de personnels employés par Air France et le nombre d’avions dont dispose la compagnie ? La question peut paraître pertinente. En réalité, ce ratio est biaisé parce que toutes les compagnies n’ont pas les mêmes savoir-faire, notamment en termes de maintenance d’avion ou d’informatique. Comme un collègue l’a rappelé, Air France a longtemps été à la pointe dans le domaine informatique : nous sommes les développeurs d’Amadeus. À quoi peut servir ce genre de ratio ? A priori à justifier toujours davantage de suppressions d’emplois.

Mme Christelle Auster. Vous avez été nombreux à nous interpeller sur le dialogue social à Air France et certains d’entre vous se sont interrogés sur le fait que nous soyons treize autour de cette table. Nous nous sommes regroupés pour diverses raisons : les informations que nous recevions, les menaces sur l’emploi, la volonté de la direction de nous diviser depuis plusieurs mois. Nous nous sommes dit que nous devions rassembler nos forces et revendiquer ensemble la survie de notre compagnie. Si d’autres représentations syndicales ne sont pas avec nous, c’est parce qu’elles se sont abstenues de nous rejoindre. Elles étaient invitées. Cela étant, il n’y a pas treize organisations syndicales à négocier en permanence avec la direction. Les 13 500 hôtesses et stewards sont représentés par trois syndicats, et la direction n’a que ces trois interlocuteurs lorsqu’elle négocie avec cette catégorie de personnels.

Les diagnostics et les remèdes sont-ils partagés ? L’une des conséquences de la panne de dialogue social est de nous priver des moyens de vérifier les dires de la direction en ce qui concerne les prétendus sureffectifs. On nous dit que nous sommes trop nombreux, que nous ne volons pas suffisamment. Mais lorsque nous demandons à la direction de nous fournir les plans de l’emploi des PNC pendant les trois dernières années et le plan où elle définit ses besoins pour les mois à venir, nous nous heurtons à une fin de non-recevoir. Jusqu’en 2012, nous avions accès à ces données ; depuis, la direction refuse obstinément de nous les fournir. Comment partager un diagnostic dans ces conditions ? Comment juger de la pertinence des efforts qui nous sont demandés ? Pas plus tard qu’hier, nous avons encore écrit à la direction pour lui demander ce fameux plan. Une fois encore, elle a obstinément refusé de nous le donner.

Mme Carrey-Conte nous a interrogés sur la formation. Nous faisons des métiers spécifiques qui demandent des formations obligatoires auxquelles tous les moyens sont consacrés. Actuellement, aucune formation n’est destinée à la reconversion professionnelle des hôtesses et stewards alors que les plans de départs volontaires se succèdent. Diverses mesures, comme le compte personnel de formation qui est entré en vigueur le 1er janvier 2015, ont été adoptées au cours des dernières années. Mais chez Air France, 100 % du budget de la formation est destiné au maintien dans l’emploi en vertu d’un dogme : puisque des formations sont obligatoires pour que les personnels puissent rester à un certain niveau de qualification et tenir leur emploi, tout le budget y est consacré. Or les plans de départs volontaires sont ouverts à tous – à trente-huit ans, je pourrais tout à fait en bénéficier – et ils aboutissent à un résultat : un grand nombre de personnes arrivent chez Pôle emploi sans formation, incapables de retrouver du travail. Actuellement, nous demandons à la direction de ne pas utiliser la formation professionnelle pour le seul maintien dans l’emploi mais de permettre aux salariés d’envisager une vraie reconversion professionnelle accompagnée par l’entreprise. Non seulement Air France a largement les moyens de le faire mais elle en a aussi le devoir dans la mesure où elle enchaîne les plans de départs volontaires.

M. François Hamant. À entendre nombre de questions et de commentaires, que ce soit dans les médias ou dans cette salle, je redoute que le dialogue social ne soit considéré que comme une technique de communication. Or c’est le contenu de l’échange qui compte, pas la manière de parler.

Je regrette que M. Lionel Tardy soit parti parce que j’aurais aimé le lui redire : le collectif de travail et l’outil industriel d’Air France ne sont pas malades ; le taux de remplissage des vols atteint quasiment 90 % en moyenne annuelle et l’entreprise affiche l’une des plus fortes recettes unitaires du secteur. Où est ce canard malade que l’on voudrait achever à coup de licenciements boursiers et de dépeçage progressif ?

Philippe Evain vient de fort bien expliquer le problème qui se pose dans la compagnie comme ailleurs : la culture des dirigeants, peu importe qui les nomme. M. Gagey a été élevé à la finance, et il est arrivé chez Air France avec un DRH et une chargée de communication. Ce style de triumvirat, vous l’avez à la tête de tous les grands groupes industriels. Vous qui êtes parlementaires, vous savez que d’autres secteurs industriels souffrent de cela, de cette maladie qui fait craquer le pays. Nous en avons assez d’entendre dire partout que la France est nulle, qu’il faut en finir avec l’héritage du Conseil national de la Résistance. M. Alexandre de Juniac s’est aventuré à commenter cet héritage de façon extrêmement légère lors de cette fameuse réunion patronale de décembre 2014 à Royaumont. Il s’est mis à ergoter sur le travail des enfants en s’interrogeant : « C’est quoi l’âge d’un enfant, de nos jours ? » Et d’estimer que finalement la notion est floue. Comment peut-on dire cela aujourd’hui, au XXIsiècle ? C’est hallucinant ! Voilà ce que l’on a à la tête de nombreux grands groupes industriels.

Pour en revenir à Air France, j’affirme que c’est de cette maladie que nous souffrons. Nous allons mourir si nous nous laissons entraîner sur cette voie-là. Mais nous avons confiance et nous n’allons pas le laisser faire. Nous sommes venus vous le dire. L’avenir d’Air France ne passe pas par l’externalisation, le dépeçage en petits morceaux. Un projet ne pourra générer le dialogue que s’il permet de valoriser notre outil et notre savoir-faire qui ne se mesure pas qu’en ratios de personnels employés par avion. Les gens font confiance à cette entreprise.

Pourquoi la France attire-t-elle 85 millions de touristes chaque année ? Viennent-ils pour trouver du low cost ? Non, ils viennent pour la haute-couture, la bonne nourriture, le bon vin, les beaux châteaux, ce genre de choses qui nous rendent fiers d’être Français et que le capitalisme moderne, désinhibé et déshumanisé, s’efforce méticuleusement de casser, jour après jour, avec l’aide du Gouvernement et de l’Union européenne telle qu’elle est construite. Voilà le mal dont nous souffrons.

Face aux menaces qui pèsent sur 2 900 emplois, nos soucis de formation paraissent lointains. Stabilisons l’emploi avant de parler de formation. Pour résumer ma pensée je vous dirais ceci : halte au dépeçage de cette entreprise car elle est sa meilleure chance ! Faites-nous confiance et convainquez au plus haut niveau de l’État que c’est par nous que la solution passera.

M. Jean-Marc Quattrochi. Plusieurs d’entre vous nous ont interrogés sur le partage du diagnostic. Évidemment, nous vivons dans le transport aérien et nous voyons ce qui se passe dans le monde. Nous savons que le secteur est en mutation. Quelle stratégie faut-il adopter face à cette mutation ? Telle est la bonne question. Pour nous, la stratégie passe par l’innovation, par le courage de développer des projets et notamment les bases régionales dont a parlé Philippe Evain, par la montée en gamme. Les salariés sont prêts à s’adapter à l’évolution de la demande et à monter en gamme. Ils sont prêts à répondre au défi de la compétitivité, mais pas à n’importe quel prix : nous devons obtenir certaines garanties.

Nous devons notamment obtenir la garantie d’évoluer dans des conditions de compétition loyales, que seul l’État peut nous apporter. Nous ne demandons pas l’aumône. Nous demandons au législateur de clarifier la situation des faux indépendants, de définir ce qu’est une base flottante. Actuellement, Norwegian va encore plus loin que Ryanair : l’entreprise théoriquement norvégienne est juridiquement établie en Irlande pour profiter d’une fiscalité particulière, et ses navigants ont des contrats de travail singapouriens. Il faut élaborer des outils de lutte contre ces pavillons de complaisance.

Quant aux taxes sur le transport aérien, elles nous placent dans une situation défavorable par rapport à nos concurrents : nous sommes tous censés courir un cent mètres, mais on nous équipe de semelles de plomb et on nous ajoute dix mètres supplémentaires et des haies dans notre couloir. Je parle bien des taxes annexes qui s’appliquent uniquement au transport aérien et qui nous rendent la tâche encore plus difficile, et non pas des cotisations sociales : notre modèle social, nous le revendiquons.

Nous avons donc de fortes attentes vis-à-vis de l’État qui peut nous garantir que les efforts que nous serions susceptibles d’accepter – ce qui n’est pas évident – ne soient pas des sacrifices. Faire des efforts qui ne servent à rien, c’est comme aller à l’échafaud en se faisant couper un bras en chemin. Ce n’est pas notre jeu.

M. Sébastien Portal. Une question portait sur la délocalisation d’emplois vers KLM. On peut constater qu’à la fermeture d’une ligne par Air France succède en général une augmentation du nombre de rotations des avions de KLM vers cette destination. Nous l’avons encore vérifié récemment pour Kuala Lumpur. Ce transfert d’activité vers la filiale KLM aux Pays-Bas entraîne aussi une perte de recettes sociales pour l’État français.

M. Blazy, vous étiez surpris du coût des amendes et des erreurs stratégiques. Fin 2015, la dette d’Air France atteignait 4,4 milliards d’euros. Les amendes et les erreurs stratégiques représentent 1,3 milliard d’euros, c’est-à-dire le tiers de cette dette. Rappelons que les amendes concernent des ententes illicites sur le fret et des problèmes d’émoluments d’anciens dirigeants.

Pour ce qui est des concurrences loyales ou déloyales, on nous compare souvent avec des compagnies du Golfe qui sont aidées par leurs États à hauteur de 2,5 milliards d’euros par an. Qu’on nous donne les mêmes conditions, et nous ferons la même chose ! Les salariés d’Air France aiment leur compagnie et ils sont prêts à défendre son histoire. Air France a été la première compagnie à proposer des suites à bord de ses Super Constellation. Qu’on nous donne les moyens de revenir au cœur de notre métier : aller vers le client.

On constate aussi que l’État français préfère privilégier la vente d’Airbus et de Rafale que de défendre sa compagnie aérienne nationale : on donne des lignes et la légion d’honneur au président de Qatar Airways en échange de la vente d’avions Rafale. Qu’en est-il pour Air France ?

M. Arnaud Dole. Laissez-moi vous dire que je suis assez surpris que l’on puisse encore avoir des doutes sur le diagnostic des représentants des salariés : nous avons signé un accord, baptisé Transform 2015, construit sur une amélioration de la productivité des salariés de 20 %, ce qui est quand même énorme et peu simple à accepter pour un syndicat. Nous estimons avoir joué notre rôle : nous avons signé un accord et nous l’avons respecté. Le diagnostic est partagé puisque nous avons signé cet accord.

Qu’en est-il des autres diagnostics et de nos interlocuteurs ? M. Bruno Le Roux et d’autres ont rédigé des rapports. Partagez-vous leur diagnostic ? On demande toujours aux salariés de partager des diagnostics qui ne portent en général que sur leur compétitivité. Pour ma part, à la lecture du rapport Le Roux, j’ai l’impression que, quoi que je fasse, je suis condamné. Ça limite beaucoup l’envie de dialogue. Partagez-vous le diagnostic dressé dans ce rapport ? Si c’est le cas, quelles mesures comptez-vous prendre ?

Venons-en aux ratios qui ont baissé pour les PNC puisque leur nombre a été énormément réduit dans les avions. Au moment où ces économies vont porter leurs fruits, on fait d’autres comparaisons pour montrer du doigt la productivité des hôtesses et des stewards. La direction crée les conditions d’une dégradation mécanique de la productivité des salariés pour négocier autre chose, ce qui est purement scandaleux. Ce genre de comportement bloque complètement le dialogue.

Enfin, j’aimerais faire une remarque sur les propos de M. Gagey qui se dit tout à fait prêt à partager les fruits du redressement. Nous avons signé Transform 2015 et augmenté la productivité de 20 %, et que nous promet-il ? Des licenciements. Il faut que vous compreniez que ce genre de choses bloque beaucoup le dialogue social.

M. Mathieu Santel-Leborgne. J’aimerais aussi intervenir sur les ratios et les changements intervenus dans la structure du personnel. De quoi parle-t-on ? Comment compte-t-on ? Depuis la libéralisation du transport aérien intervenue au milieu des années 1990, il y a eu un recours massif à la sous-traitance. Certains postes au sol et sur les pistes ne sont plus occupés par des salariés d’Air France. En fait, on constate une précarisation de l’ensemble des salariés du transport aérien. Les conditions de travail et de rémunération des gens qui travaillent sur les pistes se dégradent aussi très vite.

S’agissant des risques psychosociaux au sein d’Air France, je peux vous parler du service informatique auquel j’appartiens : en un an et demi, trois salariés du service se sont suicidés, dont l’un sur le lieu de travail. L’an dernier, les salariés de l’escale d’Orly Ouest ont exercé leur droit de retrait parce qu’ils n’étaient plus assez nombreux pour faire le travail et qu’ils se faisaient cracher dessus par les passagers. Quand les collègues ne sont plus assez nombreux, ils doivent affronter des passagers mécontents de ne pas avoir le service auquel ils s’attendent. La réponse de la direction, l’été dernier, a été d’employer des vigiles pour empêcher les passagers d’attaquer nos collègues. Voilà le genre de réponses imaginées par la direction d’Air France ! Pour notre part, nous demandons d’avoir les moyens de faire correctement notre travail.

J’en viens maintenant aux commentaires sur les résultats : Air France a fait un bon troisième trimestre mais Lufthansa va engranger 2 milliards d’euros de bénéfice, ce qui est génial, etc. À quoi vont servir ces 2 milliards d’euros ? Personnellement, c’est la question que je me pose. En fait, les syndicats de Lufthansa ne sont pas euphoriques, bien au contraire : ils appellent à la grève parce qu’ils ne voient pas le produit de leur travail. Si la direction d’Air France nous fixe comme objectif d’atteindre un milliard d’euros de bénéfice net, je vais lui demander : pour quoi faire ? Je ne suis pas sûr qu’elle veuille investir, embaucher et augmenter les salaires. Je refuse de faire des efforts si je ne suis pas sûr que les salariés vont en bénéficier. Si le seul but de nos financiers de dirigeants est d’augmenter la rémunération des actionnaires, je ne me sens pas concerné en tant que représentant des salariés.

M. Denis Jacq. Vous avez posé beaucoup de questions intéressantes. Vous aurez compris que nous partageons à peu près le diagnostic de la direction mais pas forcément ses objectifs et ses solutions. S’il s’agit de délocaliser, de laisser d’autres compagnies opérer sous des numéros de vol Air France via des accords de partage, je ne suis évidemment pas d’accord. S’il s’agit de baisser continuellement les salaires des personnels pour entrer dans la logique de bas coûts, je ne suis évidemment pas d’accord.

Vous avez raison : le CCE devrait effectivement être le lieu du dialogue social, et la direction fait du délit d’entrave. Rappelons que les représentants de l’État siègent au conseil d’administration – qui est complètement verrouillé – mais pas au CCE. Que puis-je faire, en tant que salarié, pour me faire entendre au conseil d’administration ? Certaines personnes y parlent en mon nom, mais elles sont minoritaires et il ne s’y passera jamais rien.

De quelle maladie souffre le dialogue social ? Sans être médecin, je vais me risquer à en diagnostiquer deux. La direction est atteinte d’une forme de surdité : ce que l’on vous dit, personne ne l’écoute. Plus grave encore, elle souffre d’une espèce de syndrome de Gilles de la Tourette des médias : elle ne peut s’empêcher de faire des annonces à droite et à gauche, partout sauf dans les endroits spécifiques où elle est supposée les faire.

Quel est le nombre de salariés par avion ? Voici ce ratio qui gêne et qui nous a obsédés pendant longtemps : 120 pour British Airways, 140 pour Air France et 145 pour Lufthansa. En fait, comme l’ont très bien dit mes collègues, ce chiffre n’éclaire rien. Il est beaucoup plus intéressant de savoir ce que font ces salariés par avion.

M. Carvalho, vous avez posé la question fondamentale, celle de la sécurité des vols. Les pilotes sont de moins en moins nombreux alors qu’il y a toujours autant de vols, dites-vous. En fait, ce n’est pas le cas et c’est bien le drame : il y a de moins en moins de vols. Il fut un temps où 135 Airbus A320 assuraient des liaisons moyen-courrier ; il n’y en a plus qu’une centaine ; il n’en restera bientôt que 70.

Comment se fait-il qu’Air France n’apparaisse pas dans les palmarès ? Compte tenu des critères retenus pour la confection de ces classements – nombre de passagers, notamment – il est logique que nous n’y figurions pas. En revanche, Air France est la compagnie qui a le plus progressé dans les récents palmarès, signe que nos efforts ont porté leurs fruits.

Quel usage a été fait du CICE ? La direction d’Air France s’est servie de ces millions pour négocier un crédit auprès d’une banque.

Quant aux bases régionales, M. de Juniac ne les a jamais perçues autrement que comme un laboratoire social où il pouvait procéder à des expérimentations en matière de casse du modèle français.

J’aimerais revenir sur l’octroi de créneaux horaires sur nos aéroports aux compagnies des pays du Golfe. À chaque fois que l’on accorde un créneau à ces compagnies, on donne à des pays de 2 à 3 millions d’habitants la possibilité de venir prendre des passagers à un pays de 66 millions d’habitants qui est la première destination touristique du monde, un pays qui joue un rôle fondamental dans l’industrie touristique et aéronautique mondiale. Trouvez-vous cela équitable ?

En France, on ne peut pas faire du low cost, on fait du low fair. Nos coûts sont ce qu’ils sont, liés à notre histoire et à notre structure fiscale. On ne peut pas les baisser. Résultat : Transavia perd beaucoup d’argent parce qu’elle vend ses billets moins chers qu’Air France tout en ayant des coûts équivalents.

M. Pierre-Henri Lienemann. Pourquoi Lufthansa réussirait-elle mieux que nous ? Premier facteur : le manque de capacité d’anticipation dont a fait preuve notre direction depuis plusieurs années. Sans jeter des anathèmes, je rappelle que le remplacement de Pierre-Henri Gourgeon, ancien directeur général du groupe Air France-KLM, n’a pas été le fruit du hasard : il lui a notamment été reproché des stratégies mal définies, et une lenteur de réaction notamment dans le domaine informatique. Rappelons qu’Air France a été l’une des dernières compagnies à s’outiller pour la vente de billets par internet. On parle des cabines BEST mais Lufthansa a pris dix ans d’avance sur nous dans ce domaine du très haut de gamme, ce qui a contribué à relancer sa recette unitaire. Et contrairement à Air France, Lufthansa a déjà équipé ses appareils en wifi.

Deuxième facteur : notre entreprise a peur du risque ; elle n’ose pas. Nous devrions investir beaucoup plus pour améliorer la fluidité dans les aéroports. On parle beaucoup des vols et des services à bord, mais chacun sait que le parcours dans l’aéroport est l’aspect le plus rasoir du voyage. À l’ère du numérique, des personnels équipés de tablette seraient capables de prendre le client très en amont pour l’informer et le guider. Proposer un service de qualité de ce type permet de fidéliser le client : le passager se sent pris en main, adopté par la compagnie dès son arrivée dans l’aéroport.

Troisième facteur : nous sommes une entreprise ultra-bureaucratisée. Nos cadres passent leur temps à faire du reporting. Il y a une telle trouille de prendre la moindre initiative que les cadres se retrouvent à justifier chacun de leurs actes. On ne leur demande pas de prendre des initiatives et d’aller au-delà de la consigne quand ce serait nécessaire. S’il y a un incident ou un dérèglement – et Dieu sait si cela peut se produire dans le transport aérien ! – il ne s’agit pas de faire face mais de respecter la consigne et ensuite de pouvoir se justifier. La démotivation touche particulièrement les cadres qui se sentent infantilisés. Cela joue négativement sur la productivité, la polyvalence et l’efficacité des personnels.

Il y a un point sur lequel nous n’avons peut-être pas suffisamment insisté : l’immense différence qui existe entre Air France et KLM sur le plan social. Lors d’une audition, il y a six ou sept ans, le président Jean-Cyril Spinetta expliquait très bien pourquoi le dialogue social se situait à des niveaux totalement différents dans les deux entités et que cela poserait inévitablement de graves problèmes.

M. Miguel Fortéa. Qu’est-ce que le dialogue social chez Air France ? Durant le plan Transform 2015, les cinquante enquêtes lancées par le CHSCT ont été systématiquement contestées par la direction devant le tribunal. Ensuite, on s’étonne que les salariés soient exaspérés. Les missions du CHSCT sont systématiquement entravées par des procédures judiciaires qui sont beaucoup plus lentes que celles qui concernent les salariés poursuivis après le 5 octobre. Les membres de la direction ont le temps et l’argent. Le décalage de calendrier me fait dire que la justice n’est pas la même pour les puissants et ceux qui les combattent.

Pourquoi ne pas poursuivre la direction en application de l’article L.2328-1 du code du travail sur le délit d’entrave ? Nous sommes dans l’urgence et les procédures sont beaucoup trop longues. Tout le monde sait que nous avons raison : les salariés, vous, les médias, etc. Pour autant, la direction commence à avancer car elle a le temps et l’argent. Nous pourrions nous faire plaisir mais nous devons raisonner en termes d’efficacité.

Une question nous a été posée sur les procédures disciplinaires engagées après les événements du 5 octobre. Certains salariés ont reçu des courriers par erreur. On les a contactés pour leur indiquer que, finalement, la procédure de licenciement ne les visait pas. Je peux vous affirmer que tous les dossiers des salariés poursuivis pour des faits de violences physiques sont vides. Je peux vous le dire et vous le répéter : il n’y a rien dans ces dossiers. Ces salariés ont été pris au hasard pour faire des exemples. Ils sont condamnés par avance. Avant même l’entretien préalable, la direction a dit à ces salariés – notamment ceux du fret – qu’ils seraient licenciés. Le droit de la défense et la présomption d’innocence sont totalement bafoués. Quand le Premier ministre les qualifie de voyous, au siège social d’Air France, il les condamne aussi par avance et conforte la direction.

Les salariés sont tellement écœurés par ce procès qu’ils refusent tous les conseils de discipline. Ils sont dans la précarité puisqu’ils font l’objet d’une mise à pied conservatoire sans solde. Puisqu’ils ne sont pas entendus et qu’ils sont jugés avant l’heure, ils ne voient pas l’intérêt de passer par un conseil de discipline qui va rallonger la procédure de deux mois. Ils sont sans ressources et ils ont le sentiment que l’on s’est aussi attaqué à leur famille, aux leurs. La direction d’Air France annonce que les sanctions seront prises avant le 2 décembre, avant même que les salariés soient entendus par la justice. C’est complètement scandaleux. Et je vous le dis : nous n’accepterons aucun licenciement. Si la direction veut en faire des exemples, ce sera Spartacus, on sera tous sur la place et on aura un conflit sans précédent !

Quand on parle de British Airways et Iberia, il me semble que l’on compare les SMIC européen. De quelle Europe sociale veut-on ? De quoi parle-t-on ? Demander aux navigants, qu’ils soient pilotes, hôtesses ou stewards, de travailler plus pour le même salaire revient à remettre en cause le temps de travail, ni plus ni moins.

Entre 2008 et 2014, le nombre d’agents d’exécution a baissé de 59 % tandis que le nombre d’agents de maîtrise diminuait de 1,27 %. Les agents d’exécution ne sont pas devenus agents de maîtrise, mais on a supprimé près de 60 % de leurs postes. On veut se débarrasser de nous ; on veut nous chasser de l’entreprise. Il y a pourtant des marchés naturels. Vous parliez des bases régionales, Mme Carlotti, il y a des citoyens qui demandent à pouvoir partir vers telle ou telle destination. On ne leur offre pas cette possibilité. Vous citiez le Maghreb à partir de l’escale de Marseille. Les salariés d’Air France regardent se construire Transavia alors qu’on leur dit qu’ils sont en sureffectif. À quoi bon le développement du pavillon français s’il se fait sans ses salariés ?

Pour terminer, je reviens sur mon idée : nous avons besoin d’un État stratège. Il nous faut un plan d’investissements mais ne donnez pas l’argent comme ça, comme pour le CICE. Il faut contrôler de l’utilisation des fonds et veiller notamment à ce qu’ils contribuent à maintenir l’emploi en France, que ce soit dans la compagnie ou dans tout le tissu économique et social du pays.

M. Laurent Le Gall. De temps en temps, on nous demande pourquoi M. de Juniac n’est pas présent lors des négociations. C’est une question qu’on se pose aussi : il n’est jamais là pour négocier, il préfère passer à la télévision ou aller dire des atrocités dans des réunions de patrons comme celle de Royaumont. C’est l’une des raisons de la panne du dialogue social. Au mois de mai, on nous a annoncé par voie de presse qu’il y aurait 3 000 licenciements à Air France. Nous n’en avions pas entendu parler auparavant. Dans la foulée, la direction a publié un démenti. Au mois de septembre, on a appris qu’il y aura 2 900 licenciements. Effectivement, la direction n’avait pas menti : 2 900 ce n’est pas 3 000. Voilà qui prouve la qualité du dialogue social dans la compagnie.

En ce qui concerne les risques psychosociaux, on constate qu’il y a beaucoup de personnes en burn-out dans la catégorie des PNC. Il suffit de consulter l’inspection du travail ou la sécurité sociale : nous avons un nombre d’arrêts maladie impossible.

Quant aux comparaisons avec des compagnies comme British Airways ou Lufthansa, elles sont sujettes à caution. Pour ce qui est des salaires, on donne le coût d’un salarié d’Air France et ce que perçoit le salarié de British Airways ou de Lufthansa, sachant que les charges sociales sont différentes, que les impôts peuvent être prélevés à la source, etc. Le rapport est faussé. Il s’écrit aussi beaucoup de choses inexactes sur la productivité des personnels. D’après l’hebdomadaire Le Point, il faudrait nous demander d’effectuer 750 heures de vol, ce que permettent déjà les accords que nous avons signés. En fait, la direction a la possibilité de le faire mais elle ne parvient pas à nous utiliser comme il faut.

M. Marc Malloï-Cantara. En cette fin d’audition, je ferai une remarque sur les taxes aéroportuaires, qui n’ont été que très brièvement évoquées : Air France croule sous les taxes. Et contrairement à ce qu’on avait pu croire un moment, la taxe de solidarité sur les billets d’avion, dite taxe Chirac, est bien maintenue.

Je voudrais aussi vous faire part d’un constat fondé sur mon parcours personnel. Venant d’Air Inter, je me dis parfois qu’à chaque fois qu’une compagnie marche très bien, on la tue. Grâce à ses salariés, Air France marche bien. Où est le problème ? La direction ne joue pas son rôle. Quand on veut la voir, elle refuse. Veut-on la survie d’Air France ? C’est la question que je me pose.

M. Philippe Evain. En quelques mots, je vais essayer de résumer nos attentes à votre égard : rétablir une concurrence juste, permettre l’investissement, rétablir le dialogue social, imposer un changement de stratégie.

Pour rétablir une concurrence juste, il faut bloquer les nouveaux droits de trafic qui doivent être accordés aux compagnies du Golfe ; ils ont été annoncés cet été mais ils ne sont pas encore octroyés. Pour permettre l’investissement, l’État doit reprendre à sa charge les coûts de sûreté qui sont assumés par les compagnies alors qu’il s’agit d’une tâche régalienne. Ces 500 millions d’euros, il faut les rendre à la compagnie pour qu’elle puisse investir. Le tableau du dialogue social a été dressé par mes collègues et je crois que vous avez compris la situation. Il faut imposer ce dialogue et abandonner les pratiques actuelles. L’État actionnaire a un rôle et des consignes à donner aux dirigeants. La stratégie de la décroissance, à l’évidence, n’apportera rien de bon. Il faut changer de stratégie et, de l’avis de tous les spécialistes, il faut le faire maintenant.

Je me fais le porte-parole de mes collègues pour vous remercier de nous avoir écoutés.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je vous remercie au nom de tous les parlementaires. Votre audition, très attendue, aura permis de contrecarrer un peu ces images qu’on nous mettait toujours en avant. Je vous rejoins et j’assume : certains propos tenus au plus haut lieu n’avaient pas à être tenus et les qualificatifs employés n’étaient pas appropriés. Ces propos n’engagent que moi. (Applaudissements des représentants de l’intersyndicale.)

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Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 4 novembre 2015 à 11 h 30

Présents. - Mme Sylviane Alaux, M. Yves Albarello, M. Guy Bailliart, Mme Catherine Beaubatie, M. Sylvain Berrios, M. Jean-Pierre Blazy, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, Mme Sabine Buis, M. Vincent Burroni, M. Yann Capet, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Luc Chatel, M. Guillaume Chevrollier, M. Alain Chrétien, M. Jean-Jacques Cottel, M. Stéphane Demilly, Mme Françoise Dubois, M. Philippe Duron, Mme Sophie Errante, M. Olivier Falorni, M. Jean-Marc Fournel, M. Laurent Furst, Mme Geneviève Gaillard, M. Alain Gest, M. Michel Heinrich, M. Jacques Kossowski, Mme Valérie Lacroute, M. Alain Leboeuf, M. Arnaud Leroy, M. Michel Lesage, Mme Marie Le Vern, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Franck Marlin, M. Philippe Martin, M. Gérard Menuel, M. Yves Nicolin, M. Bertrand Pancher, M. Rémi Pauvros, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, M. Arnaud Richard, Mme Sophie Rohfritsch, Mme Barbara Romagnan, M. Jean-Marie Sermier, M. Gabriel Serville, Mme Suzanne Tallard, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - Mme Laurence Abeille, M. Julien Aubert, M. Serge Bardy, M. Jacques Alain Bénisti, Mme Chantal Berthelot, Mme Florence Delaunay, M. David Douillet, M. Charles-Ange Ginesy, M. Christian Jacob, Mme Viviane Le Dissez, M. Napole Polutélé, M. Martial Saddier, M. Gilbert Sauvan, M. Gilles Savary, M. Thomas Thévenoud

Assistaient également à la réunion. - Mme Isabelle Attard, Mme Fanélie Carrey-Conte, Mme Virginie Duby-Muller, M. Patrick Hetzel, M. Bruno Le Roux, M. Olivier Marleix, M. Paul Molac