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Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire
La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Philippe Guettier, directeur du Partenariat français pour l’eau, et de M. Jean-Luc Redaud, président du groupe de travail « eau et climat », sur le thème « eau et climat ».
M. le président Jean-Paul Chanteguet. L’horaire de cette réunion est un peu inhabituel, mais j’ai pensé qu’il valait mieux organiser cette audition avant la COP21 – vingt et unième conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques –, qui doit s’ouvrir dans deux semaines à Paris.
Monsieur le directeur général, vous évoquerez la problématique de l’eau, la manière dont elle doit être intégrée dans les stratégies d’atténuation du dérèglement climatique et d’adaptation à ce dérèglement, ainsi que la manière dont les financements internationaux, en particulier le Fonds vert pour le climat et le Fonds d’adaptation, pourraient être ciblés sur la gestion durable de l’eau.
Auparavant, je donne la parole à notre collègue Jean Launay, qui est à l’origine de cette audition.
M. Jean Launay. J’ai pensé qu’il serait judicieux, à la veille de la COP21, de faire le lien entre la problématique de l’eau et celle du climat, en auditionnant le directeur général du Partenariat français pour l’eau (PFE). Je vous remercie, Monsieur le président, d’avoir accédé à ma demande.
Je suis membre du conseil d’administration du PFE. Trois parlementaires français, dont Michel Lesage et moi-même, ont participé au Forum mondial de l’eau en Corée du Sud en avril dernier. Dans le cadre du processus parlementaire, les Coréens avaient préparé un projet de résolution qui n’évoquait pas la COP21. Nous avons réussi à le faire modifier, afin qu’il mentionne le lien entre les politiques de l’eau et le climat. Au moment où la France se prépare à accueillir la COP21, malgré les événements qui la frappent, il nous semble utile de nous concentrer sur la problématique de l’eau, notamment sur l’importance des politiques de l’eau, sur le problème de la rareté de l’eau et son incidence sur les mouvements de population, ainsi que sur les enjeux de paix – je préfère dire « de paix » plutôt que « de guerre » – liés à l’eau.
M. Philippe Guettier, directeur général du Partenariat français pour l’eau. Je remercie Jean Launay d’avoir pris l’initiative d’organiser cette audition et vous prie d’excuser M. Brice Lalonde, porte-parole du PFE, qui n’a malheureusement pas pu se joindre à nous cet après-midi.
Le PFE est une plate-forme qui réunit environ 120 acteurs français du secteur de l’eau, publics et privés, actifs à l’échelle internationale. Ceux-ci sont répartis en six collèges : État et établissements publics ; acteurs économiques ; parlementaires et collectivités territoriales ; organisations non gouvernementales (ONG), associations et fondations ; institutions de recherche et de formation ; experts qualifiés dans le secteur de l’eau. Nous intervenons sur les questions relatives au « petit cycle » de l’eau, c’est-à-dire l’eau et l’assainissement pour les villes, mais aussi, de manière croissante depuis trois ans, au « grand cycle » de l’eau, c’est-à-dire l’eau pour l’agriculture et l’eau pour l’énergie. Nous avons un double mandat : d’une part, plaider dans les enceintes internationales, qu’elles soient officielles – nous travaillons avec les Nations unies sur les questions liées au climat – ou plus informelles – nous participons au Forum mondial de l’eau, dont la dernière édition s’est tenue en Corée du Sud ; d’autre part, valoriser collectivement les savoir-faire français en montrant qu’ils sont efficaces en France et à l’étranger.
En septembre dernier, un objectif dédié à l’eau a été adopté dans le cadre du programme de développement pour l’après-2015. C’est un événement très important pour le secteur de l’eau car, jusqu’à ce jour, la communauté internationale avait très peu statué dans ce domaine. Aujourd’hui, plusieurs initiatives sont prises pour doter le secteur de l’eau d’une gouvernance internationale. La France devra veiller à ce qu’elles soient cohérentes, voire en prendre elle-même un certain nombre. C’est essentiel si l’on veut que l’objectif dédié à l’eau que je viens d’évoquer soit mis en œuvre de manière efficace et suivi dans les différents pays concernés. La France a un grand rôle à jouer en la matière.
J’en viens à la question du climat. L’objectif premier de la COP21 est d’aboutir à un accord pour limiter le réchauffement de la planète à 2 °C par rapport à l’ère préindustrielle. C’est l’enjeu de l’atténuation. Mais il y a un autre enjeu au moins aussi important dans le cadre de la COP21 : celui de l’adaptation. En effet, les gaz à effet de serre qui contribuent au réchauffement de la planète seront très longtemps présents dans l’atmosphère. Et le changement climatique est à l’œuvre depuis au moins une décennie. Certaines régions et certains pays sont déjà touchés, notamment le Maghreb et le Machrek, mais aussi l’Espagne. Ils doivent donc s’adapter, ce qu’ils ont commencé à faire. Or la question de l’eau est centrale dans la problématique de l’adaptation. Lorsque l’on discute avec les bailleurs de fonds internationaux et les responsables des pays concernés, notamment des pays du Sud, on se rend compte que 80 % des projets d’adaptation concernent l’eau.
Il existe quatre risques liés au changement climatique en ce qui concerne l’eau : les inondations et l’élévation du niveau de la mer, les grandes sécheresses, la dégradation de la qualité de l’eau, la dégradation des écosystèmes. Les grandes sécheresses sont devenues presque récurrentes dans plusieurs endroits du monde, par exemple au Maroc, en Californie ou dans le sud du Brésil, notamment dans l’État de Sao Paulo. La dégradation de la qualité de l’eau tient non seulement à la baisse de la quantité d’eau dans les rivières à certaines périodes de l’année, qui conduit à une plus grande concentration des polluants, mais aussi à une élévation de la température de l’eau, qui peut poser des difficultés notamment pour le refroidissement des centrales thermiques ou nucléaires – ce problème concerne aussi la France. Quant à la dégradation des écosystèmes, véritables « éponges » qui jouent un rôle majeur en matière de dépollution, elle est induite tant par la réduction du débit des rivières que par le réchauffement de l’atmosphère.
L’adaptation doit donc être un volet majeur de la COP21 et des COP suivantes – car, bien évidemment, la COP21 ne permettra pas de régler tous les problèmes liés au changement climatique. La question de l’eau, en particulier, doit trouver sa place dans les négociations internationales sur le climat. La COP22 qui se tiendra à Marrakech en 2016 constituera une étape essentielle à cet égard.
La COP21 repose sur quatre piliers.
Le premier est l’accord lui-même. Celui-ci évoque la problématique de l’adaptation – ce qui constitue une avancée par rapport aux COP précédentes –, mais pas celle de l’eau.
Deuxième pilier : les financements. De nombreuses questions se posent à cet égard : quid des financements pour l’atténuation et pour l’adaptation ? Comment vont-ils se constituer ? Quel en sera le montant ? On évoque le chiffre de 100 milliards de dollars par an à partir de 2020. Le secteur de l’eau étant central pour l’adaptation, on peut penser a priori qu’il bénéficiera d’une partie de ces financements, mais encore faut-il s’atteler à cette tâche.
Troisième pilier : les engagements pris par les différents pays en matière d’atténuation, mais aussi – c’est moins connu – d’adaptation. Le PFE a récemment analysé les engagements pris par 150 des 195 pays parties à la convention. Environ 80 % d’entre eux évoquent l’adaptation et, au sein de ces derniers, une proportion analogue mentionne la question de l’eau. Ainsi, l’eau apparaît comme une priorité pour de nombreux pays. Il faut donc apporter des réponses en la matière.
Dernier pilier : l’« agenda des solutions ». Il s’agit d’un élément nouveau dans les COP. À cet égard, nous avons beaucoup de choses à faire valoir puisque, dans le secteur de l’eau, les solutions existent et sont mises en œuvre à différents endroits dans le monde, mais à une échelle modeste. L’enjeu est donc de faciliter les décisions afin de développer beaucoup plus largement les projets d’adaptation dans le secteur de l’eau, en particulier dans les pays en développement, ce qui suppose des financements adaptés.
Dans certains secteurs, notamment l’agriculture et l’énergie, les acteurs ont été capables de faire passer des messages et de plaider efficacement au niveau international. À l’inverse, jusqu’à récemment, la communauté internationale de l’eau n’avait pas été suffisamment unifiée et solidaire pour imposer la question de l’eau dans les négociations internationales, notamment lors des COP. Si elle a obtenu l’adoption, en septembre dernier, d’un objectif dédié à l’eau dans le cadre du programme de développement pour l’après-2015, c’est que, pour la première fois, ses différentes composantes ont su se rapprocher et travailler ensemble. Elle doit désormais continuer les démarches auprès des Nations unies, des gouvernements et des sociétés civiles pour que, progressivement, la question de l’eau soit prise en compte de manière ambitieuse dans les négociations sur le climat. Nous sommes conscients que ce travail prendra plusieurs années.
Très récemment, une initiative a été prise en ce sens par une quinzaine de grandes organisations du secteur de l’eau, sur la proposition du PFE et de ses membres : le 2 décembre prochain, nous organiserons une journée thématique sur l’eau dans le cadre de la COP21. Il s’agit d’un premier pas, dont l’objectif est de rendre visible la question de l’eau et du climat. Le slogan de cette journée sera : « Climate is water » – « Le climat, c’est l’eau ». Nous ferons passer plusieurs messages communs : l’eau et le climat sont intimement liés ; il faut agir pour que la question de l’eau trouve sa place dans les négociations sur le climat ; des financements sont nécessaires ; il convient de valoriser les solutions existantes ; le bon niveau territorial pour agir est celui du bassin versant. Ce dernier message tient beaucoup à cœur aux acteurs français : en France, la gestion de l’eau est traditionnellement décentralisée au niveau des bassins.
Le matin du 2 décembre, donc, deux grands événements se tiendront en parallèle au Bourget. D’une part, dans la zone bleue réservée aux négociations, qui sera accessible uniquement aux personnes accréditées par les Nations unies, une série d’engagements en faveur de l’eau et du climat seront signés par plusieurs catégories d’acteurs : les organisations de bassins, les villes, les entreprises et les jeunes. Les bassins concernés sont non seulement ceux qui relèvent d’un seul pays, mais aussi les grands bassins transfrontaliers. Ces derniers sont d’ailleurs nombreux dans le monde et constituent un enjeu considérable. Car l’eau peut être un facteur de paix : si nous promouvons la gestion par bassin au niveau international, c’est bien pour faire en sorte que les pays qui partagent un même bassin travaillent ensemble pour régler les questions liées à l’eau.
D’autre part, dans l’espace dédié à la société civile, qui sera plus facilement accessible même si le système de sécurité sera largement renforcé, se déroulera une conférence visant à valoriser, y compris de façon ludique, les solutions des acteurs de l’eau du monde entier, publics et privés, à même de répondre aux défis de l’avenir. Elle sera suivie d’une conférence de presse internationale, à laquelle participeront plusieurs hauts responsables politiques, mais aussi des chefs d’entreprise, des représentants d’ONG, des élus locaux et des scientifiques.
L’après-midi du 2 décembre, des acteurs de l’eau de tous les pays organiseront une myriade d’événements au Grand Palais pour diffuser les messages collectifs que j’ai mentionnés et valoriser, là encore, les solutions dans le secteur de l’eau. Il est en effet nécessaire de sensibiliser le grand public et de faire de la pédagogie en expliquant simplement les relations entre l’eau et le climat, qui demeurent souvent mal comprises, même dans la sphère des décideurs. Les acteurs français de l’eau interviendront sur les trois sites, via le PFE.
La journée du 2 décembre devrait être précédée, le 30 novembre, – j’emploie le conditionnel – d’un panel de chefs d’État et de gouvernement consacré spécifiquement à la question de l’eau et du climat, à laquelle il s’agit de donner une plus grande visibilité politique.
M. Stéphane Demilly. Dans le rapport « Eau et climat : agir pour l’avenir » qu’il a publié en avril dernier, le PFE dresse un constat saisissant concernant la situation de l’eau dans le monde. Vous soulignez notamment que, d’ici à 2050, si rien n’est fait, on comptera plus de 200 millions de déplacés environnementaux dans le monde et que, d’ici à 2025, 1,8 milliard de personnes vivront dans des pays ou des régions victimes de pénuries d’eau absolues. Vous rappelez aussi que les écosystèmes d’eau douce ont perdu 76 % de leurs espèces entre 1970 et 2010. Ces constats terribles ne sont pas nouveaux, mais le grand public commence à peine à les découvrir, notamment grâce aux débats dans les médias à l’approche de la COP21.
Si l’on commence timidement à prendre conscience des conséquences du changement climatique s’agissant de l’eau, les actions tardent à venir. Ainsi que vous l’avez indiqué dans votre rapport, l’année 2015 est stratégique à cet égard : du Forum mondial de l’eau en Corée du Sud en avril dernier à la signature d’un accord global en matière de lutte contre le dérèglement climatique pour l’après-2020 lors de la COP21 de Paris en décembre, les décisions qui seront prises seront déterminantes.
Dans votre rapport, vous avez présenté vingt-cinq solutions « climato-compatibles » à mettre en œuvre et, en juin dernier, dans un plaidoyer pour l’eau, vous avez annoncé l’organisation de plus de cent actions lors de la COP21. Dans vos différentes publications, deux points m’ont semblé décisifs : le fait d’aboutir à un accord juridiquement contraignant à l’issue de la COP21 et la question complexe mais stratégique du financement international, notamment via le Fonds vert pour le climat et le Fonds d’adaptation, afin de soutenir les régions les plus pauvres et les plus menacées de notre planète. Pouvez-vous nous donner des précisions concernant ces deux axes, qui sont très étroitement liés ?
L’Agence française de développement (AFD) et le PFE s’efforcent de valoriser les projets climato-compatibles auprès des différents décideurs et financeurs, notamment du Fonds pour le climat, des banques de développement et des fonds privés. Pouvez-vous nous faire un point sur ce travail et sur ses résultats ?
M. Michel Lesage. Votre intervention rappelle les enjeux de la COP21 liés à l’eau. Vous avez raison : par rapport aux thèmes à la mode, tels que les émissions de gaz à effet de serre, la transition énergétique ou les défis agricoles, la question de l’eau fait l’objet de bien moins de débats. Or l’eau est le principal vecteur de manifestation des effets du dérèglement climatique. À côté des sécheresses et des inondations, ces effets se font également sentir en matière d’alimentation, de santé publique et d’accès à l’eau potable. L’eau est donc, Jean Launay l’a souligné, à la fois un enjeu de développement et de paix.
En matière de gouvernance, vous estimez que le bon niveau de gestion de l’eau est le bassin versant. En France, même si c’est difficile, nous parvenons à articuler les échelons fonctionnels des politiques publiques – les bassins – et les échelons institutionnels de la République : l’État, les régions, les départements et les autres collectivités. Les récentes lois de décentralisation confient d’ailleurs, à l’horizon 2018-2020, les compétences relatives à l’eau aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Les régions sont également impliquées ; la Bretagne va ainsi coordonner l’action dans ce domaine.
Quel est votre point de vue sur ces enjeux de gouvernance, en particulier à l’échelle internationale ? Comment articuler l’action par bassins hydrographiques et la structuration institutionnelle et territoriale des États ?
M. Jean-Marie Sermier. Dans un monde qui privilégie l’image et la communication sur l’action, il faut veiller à ce que ces constats, récurrents depuis une décennie, donnent lieu à une véritable prise de conscience et à une action au quotidien porteuse de changement. Vous n’avez pas évoqué le travail que vous menez avec les grandes entreprises. Dans le secteur de l’eau, la France dispose de groupes qui exportent et d’un savoir-faire technologique important ; quelles sont vos relations avec ces grandes entreprises françaises ? Le PFE s’y associe-t-il à l’étranger, pour plus d’efficacité ?
M. Jean-Louis Bricout. Vous avez beaucoup parlé des liens entre climat et eau, et des conséquences du dérèglement climatique : inondations, sécheresses, dégradation de la qualité de l’eau et des écosystèmes. La COP21 doit être l’occasion de rechercher des résultats opérationnels. Les méthodes d’adaptation doivent notamment être graduées et régulièrement revues ; pouvez-vous revenir sur les solutions proposées ?
M. Gérard Menuel. Le lien entre le climat, l’eau et la végétation représente une évidence. Les surfaces, cultivées ou non, évoluent en fonction de la présence de l’eau, et tous ceux qui voyagent à travers le monde ne peuvent que constater l’importance de cette ressource dans le développement. Ce constat est particulièrement criant en Afrique subsaharienne ; beaucoup d’initiatives locales, souvent portées par des ONG ou des associations, ont permis d’aménager des puits et d’installer des pompes. Pourtant, ces actions à petite échelle montrent rapidement leurs limites, notamment à cause de la pollution. Dans le domaine de l’électricité – autre enjeu essentiel –, la mobilisation à grande échelle menée par Jean-Louis Borloo semble porter davantage de fruits.
Comment comprendre que l’accès à l’eau ne fasse pas l’objet d’un élan comparable, alors qu’il s’agit de la base de la chaîne alimentaire et d’un élément crucial du changement climatique ?
Vous avez été ambitieux dans votre présentation ; êtes-vous également optimiste ?
M. Jean-Pierre Vigier. Je voudrais aborder le sujet sensible du stockage de l’eau – un facteur de compétitivité, mais également de biodiversité et d’aménagement du territoire. La ressource hydrique est un atout essentiel pour la France qui jouit d’un climat tempéré exceptionnel ; mais alors que notre géographie nous permet de stocker l’eau, nous ne le faisons pas, freinés par une série de normes. Les ministères concernés devraient s’associer pour développer le stockage de l’eau à l’échelle nationale : une politique volontariste dans ce domaine deviendrait un levier majeur de compétitivité pour notre agriculture, qui souffre actuellement. Qu’en pensez-vous ?
Mme Valérie Lacroute. L’impact des contributions nationales – qui ont été définies par chaque État pour le 1er octobre dernier – est encore incertain ; toutefois, ces efforts ne permettent pas de limiter la hausse de la température mondiale en deçà des 2 °C ; on s’approcherait plutôt des 2,7 ou 3 °C. La clause de rendez-vous quinquennal, dès 2025, devient donc absolument nécessaire. Énergiquement soutenue par l’Union européenne, cette clause a-t-elle une chance de voir le jour ?
La fixation d’un prix carbone représente l’un des outils privilégiés pour orienter les entreprises émettrices à investir dans les technologies « bas carbone ». Le système européen d’échange de quotas d’émission, créé en 2005, a depuis fait école. Il constitue aujourd’hui le premier marché mondial du carbone et couvre une large portion des émissions de gaz à effet de serre. Cependant, ce mécanisme pose un problème de compétitivité aux entreprises du même secteur, mais de pays ou de continents différents, et risque de conduire à des délocalisations. La conférence de Paris parviendra-t-elle à le généraliser à l’échelle mondiale ? À défaut, je suis favorable à un mécanisme de compensation aux frontières, compatible avec les règles de l’OMC, qui empêcherait que des biens importés produits sans utiliser de technologies propres ne viennent concurrencer ceux qui sont fabriqués dans des États comme la France, où les industriels sont astreints à une discipline stricte en cette matière. Cela vous semble-t-il réaliste ?
M. Guillaume Chevrollier. Votre organisation a raison de soulever l’importance de l’eau sur notre planète. L’accès à cette ressource représente un besoin vital pour tous les êtres humains. Vous avez rappelé les difficultés auxquelles fait face une partie des populations : en Afrique subsaharienne, plus de 300 millions de personnes n’ont pas accès à l’eau potable. Il faut donc que la COP21 soit l’occasion de susciter une véritable mobilisation, mais sans négliger la question des moyens. Le récent discours à l’Assemblée nationale du président du parlement panafricain – qui travaille en lien avec Jean-Louis Borloo – a éclairé la façon concrète dont est conduite l’électrification de l’Afrique. Comment lancer une opération d’envergure en faveur de l’accès à l’eau, à l’échelle du continent africain ? Comment mobiliser les financements sans pour autant créer d’usine à gaz ? En effet, les politiques de bassin recèlent beaucoup de complexités administratives, qu’il importe d’éviter.
M. le président Jean-Paul Chanteguet. Vous l’avez dit, 80 % des projets relatifs à l’adaptation concernent directement le secteur de l’eau. Décidé en décembre 2014 à Lima, l’agenda des solutions qui regroupe les initiatives de collectivités territoriales, de filières industrielles et d’entreprises, constituera le quatrième pilier de l’accord de Paris. Donnera-t-il au secteur de l’eau la visibilité qui lui manque ?
M. Philippe Guettier. Sur certains sujets, Jean-Luc Redaud, président du groupe de travail « eau et climat » et ancien directeur de l’agence de l’eau Adour-Garonne, qui connaît bien la question des bassins, sera plus à même de vous éclairer.
Dans mon propos liminaire, j’ai omis de souligner que la question de l’eau se pose en tant que telle, avant tout changement climatique. Aujourd’hui, dans le monde, près de 2 milliards de personnes n’ont pas accès à l’eau potable ; 2,5 milliards de personnes ne bénéficient pas d’un assainissement digne, vivant sans toilettes. Dans le monde, 90 % des pollutions émises par les activités humaines rejoignent les eaux superficielles ou souterraines sans aucun traitement. Ces chiffres n’ont rien à voir avec le changement climatique, qui ne fait que renforcer ces tensions – malheureusement, avant tout dans les zones qui pâtissent déjà de grandes difficultés. Quelle que soit l’importance du climat, la question de l’eau dans le monde ne s’y résume donc pas.
En septembre dernier, la communauté internationale a franchi un pas important en adoptant un objectif dédié à l’eau dans le cadre du programme de développement pour l’après-2015. Cet objectif concerne bien sûr l’accès à l’eau potable et à l’assainissement, mais également la lutte contre la pollution, la gouvernance et l’efficacité des usages – comment utiliser moins d’eau dans la production, industrielle ou agricole, et dans la vie quotidienne –, tout comme la préservation des écosystèmes aquatiques. Il rassemble donc, pour la première fois, toutes les dimensions de l’eau. Son adoption peut encourager les pays à inscrire l’eau parmi leurs priorités politiques – ce qui est aujourd’hui loin d’être le cas dans les pays en développement qui connaissent pourtant de sérieux problèmes dans ce domaine –, à voter des textes législatifs relatifs à l’eau et à y dédier des financements.
En effet, hormis la petite part de l’aide internationale – qui représentera, pour l’ensemble du climat, 100 milliards d’euros par an à partir de 2020 –, le secteur de l’eau est financé par les pays eux-mêmes. Or si notre culture de la gouvernance par bassins s’est largement répandue, permettant de gérer la majorité des bassins du monde au niveau territorial, en associant les différents usagers, la question du financement reste généralement entière. Très peu de pays ayant mis en place la gestion par bassins ont introduit des dispositions législatives permettant de prélever de l’argent sur les pollutions ou sur la quantité d’eau utilisée, afin de financer une vraie politique de l’eau. Il faut donc encourager l’augmentation des financements nationaux.
Les bailleurs de fonds multilatéraux ou bilatéraux ne doivent pas pour autant arrêter de financer les projets ; mais les financements internationaux ne représenteront jamais qu’une petite part de l’argent nécessaire pour développer l’accès à l’eau potable, l’assainissement, la lutte contre la pollution et la préservation des écosystèmes. Il faut franchir un cap majeur et faire bénéficier le monde de notre savoir-faire, car il est très difficile, pour un pays, de mettre en place des modalités pérennes de financement. Ainsi, le Maroc s’est doté depuis vingt-cinq ans d’une dizaine d’agences de bassin, mais le premier système de financement a commencé à voir le jour il y a quelques années seulement : un prélèvement sur l’eau utilisée et sur les rejets de pollution de certains industriels. Mais cela ne représente qu’une petite part de l’argent nécessaire pour financer une politique de l’eau efficace au Maroc. Cette situation se retrouve dans beaucoup de pays du monde ; il s’agit d’un point sensible, difficile à changer.
M. Jean-Luc Redaud, président du groupe de travail « eau et climat ». Ancien directeur d’une agence de l’eau, je vis également ma quatrième COP ; je souhaite donc partager mon expérience avec vous.
En matière de gouvernance, la difficulté vient de ce que le problème du climat est universel et de long terme – on parle d’impact à trente ou cinquante ans –, alors que les problèmes de l’eau se gèrent à une échelle locale et avec un horizon plus court. À notre époque, la mondialisation conduit à raisonner de plus en plus à court terme, mais il faut arriver à intégrer, dans nos réflexions et dans les outils de planification de l’eau, cet horizon plus long. Par ailleurs, notre système de bassins est très efficace.
S’agissant des solutions, je partage l’avis exprimé à propos des barrages. J’ai vécu trois années de sécheresse où l’on aurait pu construire des barrages dans le Sud-Ouest ; mais l’on n’a pas pu trouver d’accord social entre ceux qui les souhaitaient – les agriculteurs – et ceux qui les refusaient – les écologistes. Le problème n’était ni technique, ni financier, et les difficultés environnementales pouvaient sans doute être résolues ; c’était notre modèle agricole tout entier qui était ici interrogé, et l’on n’a pas su s’entendre sur les modalités de développement d’une offre supplémentaire d’eau.
M. Jean Launay. Cela n’a pas changé !
M. Jean-Luc Redaud, président du groupe de travail « eau et climat ». Un des mots d’ordre fondamentaux, face aux problèmes climatiques, est celui de la résilience. Nous allons vers un monde où il faut se placer dans une logique de long terme, alors que les incertitudes sont très grandes. Cela est vrai du climat en général, et de l’eau tout particulièrement. Nous devons donc imaginer des solutions réversibles. Or faire des économies d’eau est plus facile que de construire des barrages – un chantier qui s’étale sur vingt ans. C’est pourquoi des campagnes menées actuellement affirment qu’il faut commencer par la perméabilisation des territoires, qui fait appel au potentiel de la nature. La notion de résilience m’apparaît donc fondamentale.
Je suis d’accord, Madame la députée, avec vos propos sur les Intended Nationally Determined Contributions (INDC) et sur le prix du carbone, même si cette dernière mesure n’a pas fonctionné. Les financements en jeu – quelque 100 milliards d’euros – devraient être comparés aux subventions versées aux entreprises exploitant les énergies fossiles et aux utilisateurs de celles-ci, qui s’élèvent, d’après les travaux des économistes, à 400 ou 500 milliards par an. Le problème du prix du carbone a donc été mal posé. Plus généralement, la COP manque de transparence : les 100 milliards d’euros ont été annoncés à Copenhague, puis repris par les différentes conférences, sans que l’on sache à quoi cette somme correspond. S’agit-il de subventions, de prêts concessionnels ou ordinaires, d’investissements des entreprises dans les pays en développement ? Comment juger si un dossier est éligible ou non à ces nouveaux financements ? Tous les organismes financiers, y compris l’AFD, annoncent désormais que la moitié de leurs financements sont des financements « climat » ; mais l’on ne sait pas aujourd’hui qualifier correctement un dossier « climato-sympathique ». (Sourires)
Ce flou arrange les pays donateurs, pour lesquels il s’agit de dépenses, mais également certains pays récepteurs : ainsi, les pays forestiers n’ont pas forcément envie que l’on clarifie ce que signifie une gestion durable de la forêt… Mais si l’on veut progresser, il faut en sortir.
Nous sommes aujourd’hui à la fin du processus de Kyoto, et la COP de Paris signe le début d’une nouvelle phase. Lors de la COP précédente, le monde était bipolaire, divisé en pays riches – considérés comme ayant pollué la planète – et pays émergents. Aujourd’hui, chacun se rend compte que nous sommes tous solidaires et que les pays émergents rejettent désormais davantage de gaz à effet de serre que les pays développés.
M. Philippe Guettier. Pour ce qui est du rôle des grandes entreprises françaises du secteur de l’eau, le PFE réunit plusieurs types d’acteurs, publics et privés. Les trois grands groupes – Suez, Veolia et la Saur –, tout comme EDF, en font évidemment partie. Mais notre collège des entreprises intègre également une myriade de PME et de PMI du secteur de l’eau, qui représentent un vivier extraordinaire d’innovation. Notre mission consiste à valoriser non une entreprise en particulier – Suez ou Veolia –, mais les savoir-faire collectifs et l’ensemble de la filière, qui existe grâce au concours des collectivités territoriales, des maîtres d’ouvrage et des ONG qui travaillent sur les questions sociales.
Enfin, Monsieur le président, l’agenda des solutions représente une opportunité pour le secteur de l’eau, car il permet de valoriser les nombreuses réponses aux problèmes. Mais s’il mérite d’être pleinement investi, il ne constitue qu’un des quatre piliers de la COP qui serviront de base à l’accord de Paris.
M. le président Jean-Paul Chanteguet. Nous vous remercions pour vos réponses.
——fpfp——
Membres présents ou excusés
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire
Réunion du mardi 17 novembre 2015 à 14 heures
Présents. - M. Guy Bailliart, M. Florent Boudié, M. Jean-Louis Bricout, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, M. Stéphane Demilly, Mme Valérie Lacroute, M. Michel Lesage, Mme Marie Le Vern, M. Gérard Menuel, M. Jean-Marie Sermier, M. Jean-Pierre Vigier
Excusés. - Mme Laurence Abeille, M. Yves Albarello, Mme Chantal Berthelot, M. Christophe Bouillon, M. Stéphane Claireaux, M. Yannick Favennec, M. Laurent Furst, M. Christian Jacob, M. Bertrand Pancher, M. Napole Polutélé, M. Martial Saddier, M. Gilbert Sauvan, M. Gabriel Serville, Mme Suzanne Tallard
Assistait également à la réunion. - M. Jean Launay