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Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire
La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu Mme Annabelle Jaeger, MM. Olivier Laroussinie et Gilles Bœuf, préfigurateurs de l’Agence française pour la Biodiversité.
M. le président Jean-Paul Chanteguet. Mes chers collègues, au nom de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, je suis ravi d’accueillir aujourd’hui Mme Annabelle Jaeger, conseillère régionale de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et présidente de l’Agence régionale pour l’environnement et l’écodéveloppement (ARPE), M. Olivier Laroussinie, directeur de l’Agence des aires marines protégées (AAMP), et M. Gilles Bœuf, ancien président du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et désormais conseiller de Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, tous trois préfigurateurs de l’Agence française pour la biodiversité, que Mme Ségolène Royal a nommés en février dernier, à l’issue du Comité national de suivi de la stratégie nationale de la biodiversité. Je rappelle que l’AFB avait eu précédemment deux autres préfigurateurs, M. Bernard Chevassus-au-Louis et M. Jean-Marc Michel.
Comme vous le savez, le projet de loi de reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages poursuit – très lentement – son parcours législatif. La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat a adopté le texte, le 8 juillet dernier, qu’il est prévu d’inscrire en séance publique en janvier prochain. Nous aurons donc à examiner en seconde lecture, en février ou en mars 2016, les missions, les moyens et le contour de l’Agence française de la biodiversité, d’où l’importance de votre audition aujourd’hui.
Vous avez maintenant la parole, avant que les membres de notre Commission qui le souhaitent ne vous posent quelques questions.
M. Olivier Laroussinie. L’état d’avancement de l’Agence française pour la biodiversité dépend étroitement de celui du projet de loi correspondant, et ce n’est qu’une fois la loi promulguée que nous saurons exactement ce que devra être l’AFB. Le texte du projet de loi, les débats en première lecture à l’Assemblée nationale et ceux auxquels a donné lieu la conférence nationale que nous avions organisée avec les acteurs de la biodiversité à Strasbourg, mais aussi les Assises de la biodiversité qui se sont tenues à Dijon, nous ont permis de rédiger un rapport que nous avons remis en juin à Mme la ministre. C’est essentiellement du contenu de ce rapport que nous allons vous faire une présentation aujourd’hui, en vous indiquant également les suites qui lui ont été données – étant précisé qu’un second rapport, établi par Serge Letchimy et Victorin Lurel et concernant spécifiquement les outre-mer, a été remis à Mme Royal en juillet dernier.
Depuis, l’équipe chargée de la préfiguration de l’Agence française pour la biodiversité s’est renforcée, le ministère ayant mis plusieurs personnes à sa disposition, notamment M. Paul Michelet, M. Alain Neveu et M. Loïc Laisné. Par ailleurs, au sein des équipes des quatre organismes intégrés, à savoir l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (ONEMA), Parcs nationaux de France (PNF), l’Atelier technique des espaces naturels (ATEN) et l’Agence des aires marines protégées, une vingtaine de personnes ont été désignées pour prendre des responsabilités dans la construction opérationnelle de l’AFB.
Le rapport que nous avons rendu en juin mettait deux points en évidence. Premièrement, sur la question du positionnement institutionnel de l’Agence française pour la biodiversité, il nous a semblé important de réaffirmer que l’agence devait être au service de trois politiques – celle de l’eau, celle de la biodiversité et celle de la protection des milieux marins –, ayant chacune sa propre échelle de mise en œuvre : nationale et régionale pour la biodiversité, de bassin-versant pour l’eau et de façade maritime pour les milieux marins. Il existe pour chacune de ces politiques des services spécifiques : les comités de bassin et les agences de l’eau pour la politique de l’eau – auxquels l’ONEMA apporte déjà son appui –, les conseils maritimes de façade et les directions interrégionales de la mer pour les milieux marins – qui travaillent en appui de l’Agence des aires marines protégées dans le cadre de la directive-cadre stratégie pour le milieu marin (DCSMM) et du plan d’action pour le milieu marin (PAMM) – et, pour ce qui est de la biodiversité, le Comité national et les comités régionaux de la biodiversité. Notre rapport préconise que l’Agence française pour la biodiversité soit placée en appui à ces entités, et qu’elle joue le rôle d’animateur des stratégies appliquées sur les plans national et régional, l’échelle régionale étant désignée comme celle à mettre en œuvre sur le plan territorial.
La déclinaison territoriale est le deuxième sujet sur lequel nous voulons mettre l’accent aujourd’hui. De nombreux acteurs nous ont fait part de leurs inquiétudes et de leurs souhaits quant à la façon dont l’Agence française pour la biodiversité serait déclinée sur le plan territorial. De ce point de vue, le rapport propose de considérer les choses selon deux piliers, deux approches correspondant chacune à des besoins différents : d’une part, une approche régalienne, c’est-à-dire du point de vue des missions pour le compte de l’État – essentiellement des missions de contrôle et de police –, d’autre part, une approche partenariale sur toutes les autres missions d’appui aux acteurs, d’aide à l’élaboration des stratégies, d’animation de leur mise en œuvre – qui se justifie par le fait que les collectivités, en particulier les régions, sont appelées à jouer un rôle croissant.
Les missions effectuées en lien avec l’État posent la question des relations avec l’Office national de la chasse et de la faune sauvage. L’ONCFS étant un partenaire incontournable, une discussion s’est ouverte au sujet de la possibilité de mutualiser son fonctionnement avec celui de l’Agence française pour la biodiversité aux niveaux départemental et régional. Je précise qu’au-delà de ce premier cercle, d’autres établissements publics peuvent contribuer aux missions de l’État au niveau territorial, notamment l’Office national des forêts (ONF). Pour ce qui est du pilier partenarial, un certain nombre de régions ont exprimé la volonté d’expérimenter, donc de travailler à la définition de ce que pourrait être une agence régionale pour la biodiversité, déclinaison territoriale de l’Agence française pour la biodiversité.
Votre assemblée avait prévu, lors de l’examen du texte en première lecture, des délégations territoriales en partenariat. Nous avons poursuivi dans cette direction, de même que la commission du développement durable du Sénat, qui a même proposé de rendre systématiques les délégations territoriales – elle a, par ailleurs, modifié le projet de loi en permettant aux établissements publics de coopération environnementale de couvrir toutes les missions de l’Agence française pour la biodiversité, sauf celles relatives à la police. Il existe, en tout état de cause, une véritable attente au niveau territorial sur ces questions.
Mme Annabelle Jaeger. L’échelle régionale est, en matière de politiques de biodiversité, celle à laquelle nous copilotons depuis plusieurs années les schémas régionaux de cohérence écologique, qui assurent la prise en compte de la biodiversité dans l’aménagement du territoire. Par ailleurs, les politiques de la biodiversité font déjà intervenir des partenariats entre l’État et les collectivités, puisque plus de 50 % des financements de ces politiques proviennent des collectivités : essentiellement les départements, mais aussi les communes et les communautés de communes. L’idée du pilier partenarial consiste avant tout à renforcer un existant qui fonctionne bien dans de nombreuses régions, afin que l’État et les collectivités travaillent au mieux à la mise en œuvre des politiques de la biodiversité : il s’agit d’être plus forts ensemble pour la réalisation d’un projet commun. En ce sens, les agences régionales de la biodiversité répondraient à la volonté commune de plusieurs acteurs d’un territoire – au moins l’État et la région – de dépasser le stade de la simple coordination pour définir et mener à bien un projet commun en matière de biodiversité, allant jusqu’à la mutualisation des moyens financiers et humains au sein d’une structure commune qui pourrait prendre la forme d’un EPCE.
Le Sénat a introduit la possibilité d’intégrer des acteurs associatifs au sein des EPCE, et j’espère que l’Assemblée maintiendra cette modification, car certains de nos conservatoires des espaces naturels, par exemple, ont des statuts associatifs.
Afin que les régions ne partent pas toutes dans une direction différente, les équipes d’Olivier Laroussinie et de la future Agence française pour la biodiversité travaillent, en concertation avec les collectivités territoriales, à l’élaboration d’un cadre de référence faisant consensus – deux réunions ont déjà eu lieu avec l’Association des régions de France (ARF), et d’autres rencontres sont prévues, notamment avec les services déconcentrés de l’État.
Deux principes importants méritent d’être rappelés. Premièrement, nous appelons de nos vœux une certaine souplesse de mise en œuvre, considérant qu’il existe déjà dans toutes les régions de France des acteurs au service de la mise en œuvre des politiques de la biodiversité – les agences régionales pour l’environnement, Naturparif en Île-de-France, les observatoires ou les centres de la biodiversité dans d’autres régions. L’état de nos finances publiques justifie que l’on favorise le renforcement et la mise en valeur de l’existant plutôt que la création d’un nouvel outil ex nihilo.
Deuxièmement, sans préjuger de ce que seront les exécutifs dans quelques mois, puisque les élections régionales vont avoir lieu en décembre, il est à noter que les régions, désignées chefs de file en matière de biodiversité depuis la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPAM), sont actuellement très volontaires et ont fait acte de candidature auprès de la ministre afin de jouer un rôle de préfiguration qui va permettre d’engager une réflexion sur les modalités de mise en œuvre des futures agences régionales de la biodiversité : je pense à la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui a fait de cette question l’un des thèmes majeurs de la fusion ayant abouti à sa création, mais aussi aux régions Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes, Bretagne, Île-de-France, Provence-Alpes-Côte d’Azur – ma région, où les choses sont rendues plus faciles par le fait que son périmètre d’action n’est pas modifié –, mais aussi les régions d’outre-mer, notamment la Martinique, la Guyane ou la Guadeloupe.
Les expérimentations consistent essentiellement à engager une réflexion – il ne s’agit pas de décider de la mise en œuvre de mesures concrètes avant que les nouveaux exécutifs ne soient en place – en concertation avec les services de la région, les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), ainsi que les acteurs de la biodiversité, sur le contenu du projet, les champs de mission prioritaires sur les territoires, le partenariat souhaité, le meilleur statut juridique et les modalités d’association des acteurs.
En Provence-Alpes-Côte d’Azur, de nombreuses rencontres ont déjà eu lieu entre la région, la DREAL, l’Agence de l’eau, et un document de travail élaboré en commun a été présenté devant le comité régional de la biodiversité (CRB) – qui a pris la suite du comité régional de trames verte et bleue (CRTVB), conformément à la loi. Nous estimons que les comités régionaux de la biodiversité doivent être étroitement associés à ce projet commun et même le valider, car si des agences régionales de la biodiversité sont créées, les comités régionaux constitueront leur outil opérationnel au service d’une volonté politique.
Nous espérons que l’année 2016 permettra de mener à bien ces réflexions afin que les agences régionales de la biodiversité puissent être créées en 2017, en parallèle de l’Agence française de la biodiversité.
M. Gilles Bœuf. Pour ma part, je m’exprimerai devant vous en tant que scientifique, comme j’ai déjà eu l’occasion de le faire à plusieurs reprises.
La principale problématique à laquelle nous ayons dû faire face a consisté à trouver le moyen d’intégrer la future agence au dispositif préexistant. La France est déjà dotée d’un Conseil scientifique du patrimoine naturel et de la biodiversité (CSPNB) – créé en 2004 par le ministère de l’écologie –, d’une Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) – un établissement de coopération scientifique créé en 2008 à l’initiative des ministères français de la recherche et de l’environnement –, ainsi que d’un Conseil national de la protection de la nature (CNPN). Nous avons discuté avec la ministre de la meilleure façon d’harmoniser ce dispositif, et j’ai pour ma part plaidé pour que l’on maintienne le CSPNB, seul organisme véritablement indépendant à ce jour, puisqu’il est constitué de chercheurs qui viennent par eux-mêmes participer à des réflexions sur des thèmes relatifs à l’environnement – le CSPNB ayant vocation à être consulté sur certaines questions, et pouvant également s’autosaisir : il est ainsi intervenu notamment sur le thon rouge, sur la forêt et sur l’eau.
Si l’intérêt essentiel du CSPNB est son impartialité, la FRB ne peut se prévaloir de la même qualité, dans la mesure où elle a été créée avec le soutien de huit établissements publics de recherche. Par ailleurs, nous avons créé l’Alliance nationale de recherche pour l’environnement (AllEnvi), émanation de douze organismes français de recherche – dont les huit qui sont à la base de la FRB –, qui a pour objet de fédérer et coordonner la stratégie scientifique. Quand il s’agit d’aborder des questions aussi délicates que celles des OGM, de la biologie de synthèse, de la géo-ingénierie ou de la bio-ingénierie, il n’est pas évident d’obtenir des scientifiques compétents en la matière qu’ils se retirent des organismes au sein desquels ils travaillent habituellement afin de disposer d’une totale liberté d’expression et d’être en mesure de délivrer à nos concitoyens toutes les informations qu’ils estiment importantes.
Je ne suis pas favorable à une fusion entre le CSPNB et le CNPN, qui ne font pas le même travail : si le CNPN rend des rapports qui font parfois plus de 500 pages, le CSPNB ne dispose pas des moyens nécessaires pour effectuer des travaux d’une telle envergure. En revanche, si l’Agence française pour la biodiversité se dote d’un conseil scientifique, comme le prévoit le projet de loi, la question du maintien du CNPNB se posera – peut-être aura-t-il vocation à devenir ce conseil scientifique. Quant à la FRB, elle doit continuer à exister, et constituera un puissant outil d’investigation de l’Agence française pour la biodiversité, pour peu que nous disposions des financements nécessaires pour lancer les études dont nous avons besoin.
Nous travaillons beaucoup au niveau régional, et j’ai moi-même été impliqué dans la création d’un conseil scientifique régional de la biodiversité dans les régions Languedoc-Roussillon et Aquitaine. Si nous ne sommes pas en mesure de déterminer précisément ce que seront les modalités de fonctionnement de l’AFB tant que la loi n’est pas adoptée, elle doit en tout état de cause constituer un réel outil de réflexion.
Un écologue se voir souvent poser des questions très simples auxquelles il est pourtant incapable de répondre, notamment celle consistant à définir le bon état d’un écosystème : c’est seulement quand un écosystème va mal que l’on peut le dire avec certitude, et nous aurions besoin de faire encore beaucoup de recherches dans ce domaine. De même, nous devons reconnaître un manque de connaissances sur les questions relatives à la compensation écologique, notamment sur l’efficacité des mesures très coûteuses qui peuvent être prises dans ce domaine. Nous avons vraiment besoin d’accroître nos capacités de réflexion et nos connaissances en la matière, et j’espère que la nouvelle organisation induite par la création de l’Agence française pour la biodiversité nous le permettra.
Je conclurai en disant que je suis, moi aussi, convaincu que l’Office national de la chasse et de la faune sauvage doit être pour nous un partenaire essentiel.
Mme Geneviève Gaillard. Nous sommes dans l’attente de la deuxième lecture du texte sur la reconquête de la biodiversité, qui tarde à venir, et dont nous avons besoin pour porter la biodiversité au niveau où elle devrait se situer. De ce point de vue, l’Agence française pour la biodiversité est un outil qui doit être créé le plus tôt possible et, comme vous, nous espérons que ce sera chose faite au 1er janvier 2017.
Je salue le travail colossal que vous avez accompli, qui a d’abord consisté à définir les contours des attributions de la future agence. Sa mise en œuvre est complexe, mais vous nous apportez aujourd’hui des éclaircissements de nature à nous rassurer. L’implication de l’ONCFS dans la nouvelle organisation a donné lieu à des interrogations et des débats, mais il semble désormais acquis que l’office sera associé à la bonne marche de l’Agence française pour la biodiversité.
Vous avez su faire preuve d’imagination pour formuler de nombreuses propositions, notamment sur l’organisation générale de l’agence, avec ses volets institutionnel d’une part, territorial d’autre part – lors de l’examen du projet de loi en première lecture, nous nous étions beaucoup interrogés sur ce volet territorial en raison de son extrême complexité.
Vous dites dans votre rapport de juin dernier que des précisions doivent être apportées au second semestre 2015 sur la répartition des rôles entre l’État et les services déconcentrés. A-t-on avancé sur ce point, et êtes-vous en mesure de nous apporter des informations à ce sujet ? Vous indiquez également que les agences régionales devront s’appuyer sur des chartes reprenant un socle commun constitué des missions qui leur sont confiées, ce qui est assez flou compte tenu de la faible valeur juridique des chartes et de l’incertitude sur le contenu du socle commun que vous évoquez : pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce point ? Vous dites encore que les agences régionales, qui s’appuieront sur le plan régional d’action pour la biodiversité, pourront s’adosser au contrat de plan État-région. De mon point de vue, la protection de la biodiversité doit faire pleinement partie des contrats de plan État-région, et je crains que le verbe « s’adosser » ne traduise le peu de place que cet enjeu pourtant essentiel y tiendra.
Enfin, en ce qui concerne le financement, chacun sait que nous sommes dans un contexte très contraint. Comment envisagez-vous la montée en puissance des financements que va nécessiter la création de l’AFB ? Je conclurai en disant que je suis d’accord avec M. Gilles Bœuf sur le caractère essentiel de l’indépendance de la recherche et que, si ce point a été quelque peu négligé lors de la première lecture, nous veillerons à ce que le principe d’indépendance soit clairement affirmé lors de la deuxième lecture.
M. Jean-Marie Sermier. Je salue, moi aussi, le travail que vous avez d’ores et déjà accompli dans le cadre de la mission de préfiguration de l’AFB qui vous a été confiée. Tout le monde s’accorde sur les objectifs que la création de l’agence doit permettre d’atteindre. La biodiversité est un enjeu essentiel à l’échelle de la planète, et il ne viendrait à l’idée de personne de remettre en cause son importance à l’heure où nous nous apprêtons à entamer les discussions dans le cadre de la COP21. Cela dit, les débats en première lecture à l’Assemblée ont été vifs, et ont révélé essentiellement des désaccords entre nous. Je crains fort que ces discussions difficiles, et le fait que l’examen au Sénat se fasse tant attendre, n’augurent mal de la naissance de l’AFB. Qu’en pensez-vous, et pouvez-vous nous confirmer que le projet de loi pourrait revenir devant notre assemblée en février 2016, comme nous l’avons entendu dire ?
Les interrogations qui avaient conduit notre groupe à ne pas voter en faveur de la création de l’AFB sont toujours présentes. Quelles sont aujourd’hui vos relations avec l’ONCFS, qui ne souhaite pas être intégrée à l’agence afin de maintenir ses propres orientations, partant du principe que ce sont les chasseurs qui financent eux-mêmes l’office ?
Mme Geneviève Gaillard. Pas seulement !
M. Jean-Marie Sermier. Certes, mais il est logique que l’État assume financièrement les missions de service public confiées à l’office.
Par ailleurs, quelles sont vos relations avec les agriculteurs ? Nous avions déposé des amendements à l’article 9 soulignant le rôle des agriculteurs en matière de biodiversité et d’aménagement du territoire, mais je constate qu’aucun de vous n’a évoqué les agriculteurs. Nous souhaitions que le secteur agricole soit mieux représenté au sein de l’AFB. Avez-vous des relations avec lui, notamment avec les chambres consulaires et l’association permanente des chambres d’agriculture (APCA) ?
Le budget que vous avez évoqué ne correspondant qu’à l’addition des budgets des structures existantes, il apparaît qu’il n’y aura pas de moyens supplémentaires. Que dire de la priorité régionale à laquelle vous vous référez, quand cette priorité ne bénéficiera pas de nouveaux moyens ? Pour nous, ce n’est qu’une déclaration de principe, et il semble évident qu’il sera nécessaire de mutualiser les moyens propres aux structures existantes si l’on veut financer ces fameuses priorités régionales. Qu’en pensez-vous ?
Pour ce qui est des partenariats qui commencent à être noués avec les futures régions – ce qui doit être compliqué, même en ne prenant en compte que les fusions certaines, et non les alternances éventuelles –, pouvez-vous nous expliquer comment vous procédez pour les régions appelées à fusionner : négociez-vous avec chacun des exécutifs concernés, ou uniquement avec la structure ayant vocation à être compétente en matière de biodiversité ? Enfin, des engagements précis ont-ils été pris quant au financement des agences régionales, sur lequel nous n’avons obtenu aucune assurance jusqu’à présent ?
M. Stéphane Demilly. Les débats auxquels a donné lieu la création de l’Agence française pour la biodiversité lors de l’examen en première lecture du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité ont été très riches, et ont donné l’occasion au groupe UDI de s’exprimer largement sur le sujet. Je rappelle au passage que l’idée consistant à créer une agence unique regroupant tous les établissements publics traitant de la biodiversité remonte au Grenelle de l’environnement de 2007, et que Jean-Louis Borloo a juste manqué d’un peu de temps pour la mettre en œuvre.
Nous avons pris note de l’importance accordée par la ministre de l’environnement à la création de cette agence, mise en évidence par la place qu’elle prend dans le projet de loi, mais aussi par la communication qui est faite autour de sa préfiguration, avec un site internet dédié et un parrain d’exception en la personne de l’astrophysicien Hubert Reeves. Ce dernier a souligné un point important sur lequel nous le rejoignons totalement, à savoir la nécessité que l’agence soit un lieu d’opération, d’activité et d’action, afin de ne pas en rester au stade de la discussion, car il existe bien d’autres organisations pour philosopher et palabrer. Quels seront les leviers d’action concrets de l’agence sur le terrain ?
Comme chacun le sait, il y a urgence à agir. Le groupement d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a évalué les effets des changements climatiques en analysant pas moins de 2 500 publications scientifiques, et en a tiré des conclusions sous la forme de chiffres qui font froid dans le dos. Sur un total de 59 espèces de plantes, 47 d’invertébrés, 29 d’amphibiens et de reptiles, 388 d’oiseaux et 10 de mammifères étudiées, 80 % ont eu à subir un changement imputable au réchauffement climatique, qu’il s’agisse d’une variation de leur date de reproduction, d’une modification de leur régime migratoire ou d’une variation de taille corporelle. Selon une étude de la revue Nature, le changement climatique pourrait provoquer la disparition de plus d’un million d’espèces d’ici à 2050, et nombre d’experts entrevoient donc la survenue imminente d’une sixième phase d’extinction des espèces.
En regroupant l’Agence des aires marines protégées, l’Atelier technique des espaces naturels, la Fédération nationale des parcs nationaux et l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques, l’Agence française pour la biodiversité devrait se voir dotée d’une force de frappe de plus de 1 200 agents et d’un budget de 226 millions d’euros – plus 60 millions d’euros au titre des investissements d’avenir, semble-t-il –, des moyens qui peuvent sembler très conséquents aux yeux du grand public, mais sont finalement peu de chose face à l’énormité de la tâche que je viens d’évoquer. Confirmez-vous les données financières que j’ai indiquées ?
Il est important que l’AFB se place dans une logique d’impulsion, de coordination, mais aussi d’appui aux politiques publiques de préservation et de restauration de la biodiversité. À la suite de la nouvelle répartition des compétences établie par la loi NOTRe, l’agence devra être aux côtés des collectivités territoriales, notamment des futurs conseils régionaux – qui devront établir un schéma régional d’aménagement, du développement durable et d’égalité des territoires, contenant notamment un volet de protection et de restauration de la biodiversité – mais aussi des intercommunalités, qui auront à leur charge la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations – la fameuse GEMAPI. Comment appréhendez-vous ce travail qui va devoir être mené avec les collectivités locales ?
Enfin, au-delà des collectivités, il existe une myriade d’associations œuvrant au quotidien pour la biodiversité sur nos territoires, qu’il est important d’associer au travail qui sera effectué, car elles disposent souvent d’une connaissance fine et précieuse de l’évolution des espèces. Comment comptez-vous associer ces acteurs à vos travaux, et avez-vous déjà ouvert un dialogue avec les fédérations de pêche et de chasse ?
Mme Laurence Abeille. Je me félicite que nous ayons à nouveau l’occasion d’évoquer la biodiversité au sein de notre Commission. Le projet de loi qui nous a beaucoup occupés et a donné lieu à un débat passionnant a été enterré durant de longs mois, et demeure encore invisible à ce jour, même si l’on entend dire qu’il pourrait être examiné début 2016 par le Sénat avant de revenir devant notre assemblée. Avez-vous des informations à nous communiquer au sujet du calendrier ?
Il est regrettable que le sujet de la biodiversité reste aujourd’hui en retrait, alors qu’il aurait dû donner lieu à une discussion en parallèle de celles qui vont avoir lieu dans le cadre de la COP21. Par ailleurs, il doit être particulièrement inconfortable pour vous de travailler dans une telle incertitude.
Lors de l’examen du projet de loi en première lecture, nous avions assigné de nouvelles missions à l’Agence française pour la biodiversité, notamment le suivi des mesures de compensation et le suivi des espèces exotiques invasives. Nous avons également débattu de l’organisation interne de l’agence, de la composition de son conseil d’administration, du découpage régional, de l’outre-mer, de la liste des agences qui doivent rejoindre l’AFB – nous sommes nombreux à penser que l’ONCFS devrait en faire partie. Ces discussions sont toujours en cours et il serait souhaitable que la loi soit adoptée le plus rapidement possible, afin que les préfigurateurs disposent d’une plus grande lisibilité.
Pouvez-vous nous indiquer comment vous envisagez la question de la compensation ? Où en êtes-vous de vos réflexions relatives à l’ouverture de l’agence à la société civile et aux ONG ? Pour ce qui est des moyens financiers de la future agence, nous savons qu’ils seront limités aux budgets consolidés des agences auxquelles elle va se substituer, alors qu’il aurait été souhaitable qu’elle bénéficie d’un coup de pouce supplémentaire compte tenu des missions nouvelles qui vont lui être confiées : quelle est votre position sur ce point ?
Je suis tout à fait favorable au principe de l’implantation locale de l’AFB, mais il est évident qu’une agence dotée de représentations régionales et de missions élargies va coûter plus cher qu’une agence restant centralisée. Vous avez fait part de votre intention de travailler avec les agences déjà présentes en région – en Île-de-France, l’Agence des espaces verts et Naturparif accomplissent un travail tout à fait remarquable –, mais comment comptez-vous concilier votre action avec celle des régions, reconnues chefs de file en matière de biodiversité ?
Pour ce qui est du rayon d’action de l’AFB, les écologistes souhaitent qu’elle intervienne sur l’ensemble de la biodiversité.
Enfin, comment envisagez-vous de travailler avec l’ONCFS ?
M. Jacques Krabal. Je salue la pugnacité des préfigurateurs et le travail qu’ils ont accompli, un travail d’autant plus remarquable qu’il est effectué dans des conditions difficiles, liées aux incertitudes du calendrier. On ne sait toujours pas quand l’examen du projet de loi, commencé en 2014, va pouvoir se poursuivre, et je le regrette d’autant plus que cela laisse à penser qu’il est accordé bien peu d’importance à un sujet pourtant essentiel.
J’aimerais savoir quelle incidence l’absence d’évolution du projet de loi va avoir sur l’Agence des aires marines protégées : j’imagine que les personnels concernés par les regroupements, qu’il s’agisse de ceux de l’AAMP, de l’ONEMA, des Parcs nationaux de France ou de l’Atelier technique des espaces naturels, ne doivent pas être très rassurés.
Le redécoupage de la carte des régions ne fait qu’ajouter aux incertitudes. Vous avez dit, Madame Jaeger, vous appuyer sur les schémas régionaux de cohérence écologique, or la constitution de ces schémas n’a pas avancé au même rythme dans toutes les régions : comment allez-vous donc procéder ?
L’un des objectifs de la future agence, figurant à l’article 9 du projet de loi, consiste à mettre un terme à la multiplicité des établissements publics de l’État œuvrant dans le champ de la biodiversité – on n’en dénombrait pas moins de 45 en 2010. Avez-vous déjà entrepris de regrouper ces établissements publics au moyen de fusions ?
Pour ce qui est de la concertation, vous avez très peu évoqué le comité qui aura vocation à s’appuyer sur le Conseil national de transition écologique. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce point ? Par ailleurs, dans le cadre de vos travaux, vous avez consulté des groupes d’agriculteurs et de chefs d’entreprise ; de quelle manière ont-ils permis de faire évoluer la préfiguration de l’agence ?
Il est à craindre que les exécutifs de certaines des nouvelles régions issues du redécoupage refusent d’être parties prenantes à la territorialisation de l’AFB. Partagez-vous notre inquiétude sur ce point, et que se passera-t-il si les enjeux de la biodiversité que nous considérons comme essentiels ne sont pas repris au niveau des régions ?
Si les radicaux sont profondément décentralisateurs, ils se posent tout de même des questions sur ce que doivent être les territoires cohérents à retenir pour la territorialisation de l’action en matière de biodiversité – par exemple, les bassins-versants ont la compétence GEMAPI, les façades maritimes en ont d’autres. Quelle est votre position sur ce point ?
Enfin, dans le contexte budgétaire contraint que l’on connaît, vos prédécesseurs avaient retenu un budget limité à 200 millions d’euros. Quel est votre avis sur ce montant ?
Mme Sylviane Alaux. Si j’ai bien compris, l’Agence française pour la biodiversité devrait être un opérateur pour les citoyens. Dans cet esprit, vous avez proposé de nouvelles façons de questionner les citoyens, s’inspirant des pratiques de la démocratie participative. J’approuve cette démarche, mais j’aurais souhaité savoir comment elle peut être mise en œuvre : comment allez-vous éviter que cette louable intention ne se traduise par la création d’une véritable usine à gaz, comme c’est souvent le cas en matière de démocratie participative ?
Par ailleurs, il est prévu, comme cela est indiqué sur le site de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), de fusionner certains organismes avec l’établissement public, tandis que d’autres n’y seront que partiellement intégrés et d’autres encore ne seront liés à lui que par des conventions. Les choix proposés sont parfois surprenants : alors qu’une organisation plus rationnelle des fonctions de police de l’environnement s’impose, l’ONEMA est intégré, alors que l’ONCSF, dont les compétences et les actions en matière de biodiversité sont incontestables, en est exclu.
En limitant l’agence à un établissement public de l’État fermé, on se prive de l’opportunité d’inventer une gouvernance plus souple, plus équilibrée, des responsabilités mieux partagées, des coopérations plus adaptées à chaque problématique – la biodiversité marine, par exemple – et à chaque territoire – notamment l’outre-mer –, et des interventions plus lisibles pour les citoyens, en ménageant l’identité et l’efficacité des structures impliquées – par exemple en ce qui concerne la création et la gestion des aires marines protégées, ou le positionnement des parcs nationaux. Ne craignez-vous pas, comme nous, que l’architecture proposée, consistant en un établissement public fermé, se révèle à terme inefficace et aboutisse à un empilement de comités d’experts dont les citoyens seront totalement exclus ?
M. Jacques Kossowski. Il nous paraît important que l’Agence française pour la biodiversité développe des partenariats efficaces, notamment en mobilisant des moyens privés. Sauf erreur, certains partenaires économiques tels que la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME), le MEDEF ou l’Union professionnelle artisanale (UPA) ont suggéré de mettre à contribution les branches professionnelles, qui pourraient intervenir directement sur le savoir-faire des salariés des entreprises ou sur les sites de ces entreprises. Serait-il envisageable de mener des programmes de partenariat territoriaux en vue d’opérations associant les collectivités locales ? Plus généralement, que pensez-vous de ces partenariats ?
M. Yannick Favennec. Dans un rapport publié le 16 octobre dernier, le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) propose des pistes pour relancer le dispositif affaibli de mise en œuvre de la stratégie nationale pour la biodiversité 2011-2020. Le dispositif de mobilisation des acteurs concernés s’essouffle avant même d’avoir réussi à décoller. Les régions ainsi que les têtes de réseaux associatifs et professionnels ont un rôle de premier plan à tenir. Comment l’Agence française pour la biodiversité compte-t-elle mobiliser les acteurs pour relancer la mise en œuvre de la stratégie nationale de la biodiversité ? Par ailleurs, les moyens humains et budgétaires de l’agence sont-ils, selon vous, à la hauteur de ses ambitions ?
M. Philippe Plisson. La création de l’Agence française pour la biodiversité est la concrétisation d’un engagement présidentiel. Quatre organismes vont y être intégrés afin de constituer un outil particulièrement efficient. Cela étant, reste le problème des moyens. J’étais hier avec vous, Monsieur Laroussinie, à l’Assemblée générale des parcs marins, où la criante problématique budgétaire a constitué l’essentiel des débats. Intégrée à l’AFB, l’Agence des aires marines protégées va arriver avec le catalogue de ses besoins. Il est clair que l’addition des insuffisances ne saurait créer l’abondance. Se pose donc la question de nouvelles ressources pour l’agence, à laquelle la création d’une fiscalité en faveur de la biodiversité pourrait apporter une réponse. Avez-vous réfléchi à ce que pourraient être les modalités de mise en œuvre de cette solution fiscale ?
M. Christophe Priou. Je commencerai par dire à Jacques Krabal, qui a encore peu d’expérience au sein de notre assemblée, qu’il ne doit pas se laisser décourager par la lenteur du parcours législatif du projet qui nous intéresse : un tel phénomène n’a rien d’exceptionnel et, au demeurant, l’adoption d’une loi ne signifie pas grand-chose tant que ses décrets d’application n’ont pas été publiés.
Mme Annabelle Jaeger, vous avez indiqué que plusieurs régions s’étaient déclarées volontaires pour jouer un rôle dans le cadre de la préfiguration, mais je soulignerai que si, dans l’ancien périmètre, une douzaine de régions avaient déclaré adhérer à la stratégie de déclinaison régionale en matière de biodiversité, quatre seulement avaient effectivement mis en place un dispositif régional.
La plus grande région de France, c’est l’océan auquel elle a accès, notamment grâce à ses territoires d’outre-mer – elle a récemment accru son domaine maritime de 500 000 kilomètres carrés –, comme en témoigne le texte sur la croissance bleue dont nous avons déjà débattu et qui reviendra en février prochain. De ce point de vue, le véritable enjeu est celui du sixième continent, et j’aimerais savoir comment vous envisagez l’avenir maritime et sa protection.
Mme Suzanne Tallard. Les tâches qui attendent l’Agence française pour la biodiversité sont tellement diverses qu’il va falloir les prioriser. Si la déclinaison territoriale s’impose comme une priorité, le partenariat à construire aux niveaux national et régional est extrêmement complexe. Comment allez-vous vous y prendre pour monter en puissance sur tous ces sujets ? Pour ma part, j’ai du mal à imaginer que cela puisse se faire sans procéder par étapes.
Par ailleurs, pouvez-vous nous préciser quelle plus-value la création de l’AFB doit apporter par rapport à la diversité des organismes existants, et ce que vous répondez à ceux qui expriment leur crainte de voir construire une usine à gaz ? Sur ce point, l’agence doit engager dès maintenant le travail de pédagogie qui fait partie de ses attributions.
Enfin, que pouvez-vous nous dire au sujet des moyens financiers et humains qui vont être affectés à l’AFB, sur lesquels nous n’avons aucune certitude ?
M. Charles-Ange Ginesy. Je connais l’implication de Mme Annabelle Jaeger en matière de biodiversité, et n’ai aucun doute quant à la détermination des préfigurateurs à mener à bien leur mission. Cela dit, le processus de coordination des actions de terrain des quatre organismes préexistants, ainsi que d’autres opérateurs, au terme duquel l’AFB va évoluer en ARB, me laisse un peu dubitatif : je ne comprends pas pourquoi l’agence nationale ne manifeste pas une intention plus affirmée de s’appuyer sur les acteurs de terrain que sont l’ONCFS, mais aussi les Parcs nationaux – notamment le parc du Mercantour, qui a le sentiment de ne pas être suffisamment pris en compte.
Je me demande par ailleurs si, en dépit de la préoccupation budgétaire bien légitime qui est la nôtre en ce moment, nous ne serions pas en train de créer une structure qui va coûter très cher, alors que nous disposons déjà sur le territoire d’acteurs prêts à jouer le jeu. Quel est votre sentiment sur ce point ?
Enfin, j’aimerais savoir quel est le rôle des agriculteurs et des entreprises, et de quelle manière vous entendez les associer au fonctionnement de l’AFB. En tout état de cause, il me paraîtrait impensable de dissocier l’enjeu de la biodiversité du milieu économique.
Mme Françoise Dubois. Ma question s’adresse plus spécialement à Mme Annabelle Jaeger, puisqu’elle concerne la gouvernance de l’eau. Dans le cadre d’une mission relative à la continuité écologique et aquatique confiée à Jean-Pierre Vigier et moi-même, nous avons été amenés à nous pencher sur cette gouvernance, au niveau national et à celui des bassins. Quelles sont les problématiques que vous avez pu identifier en termes d’organisation et de coordination, auxquelles il convient d’apporter une réponse à l’occasion de la création de l’Agence française pour la biodiversité ? Par ailleurs, quels changements préconisez-vous, notamment en matière d’articulation du travail des nombreux acteurs territoriaux concernés ?
M. Gérard Menuel. Le monde agricole est incontournable en matière de biodiversité, et je ne m’explique pas l’absence de représentants de ce secteur au sein du conseil d’administration de l’Agence française pour la biodiversité, qui sera certainement source de conflits.
Je m’inquiète également au sujet de la possibilité d’intégrer des regroupements d’autres établissements. Peut-on connaître, en particulier, la nature, le cadre et le but précis des discussions que vous avez engagées avec l’ONCFS, car de nombreuses incertitudes planent sur ce point, notamment en matière de financement et de politique à mener avec ce partenaire important ?
M. Guy Bailliart. J’estime que la volonté de territorialiser l’action de l’Agence française pour la biodiversité est une très bonne chose. Cela dit, si le choix de l’échelle régionale pouvait paraître pertinent à l’origine, le récent redécoupage des régions, qui a abouti à l’extension de la plupart d’entre elles, peut remettre en question le bien-fondé de certaines décisions.
Tout le monde a quelque chose à dire au sujet de la biodiversité, ce qui fait que l’on se trouve rapidement plongé dans un brouillard impénétrable où il est impossible de déterminer quelle est la politique locale en la matière. De ce point de vue, l’absence de moyens oblige généralement à prendre des décisions d’autorité, alors que l’on est plutôt amené à convaincre et à séduire lorsqu’on dispose de moyens. Afin d’éviter que la biodiversité ne soit perçue comme quelque chose de punitif, vous aurez à mener un travail pédagogique dont je n’ai pas bien compris comment il devait se dérouler. Associer différents organismes est une bonne chose, mais à moment donné, il faut tout de même que quelqu’un exprime la position finale ressortant de la concertation : c’est cette phase qui me semble insuffisamment définie. En l’absence de moyens financiers, vous allez devoir faire en sorte que nos concitoyens perçoivent votre démarche de manière positive, mais en l’état actuel, je n’ai pas l’impression qu’ils soient en mesure de percevoir grand-chose et de se faire une opinion. Des progrès doivent donc être accomplis pour remédier à ce qui me paraît constituer une faiblesse.
M. Guillaume Chevrollier. Je m’étonne qu’à l’heure où l’environnement est au cœur de l’actualité avec la COP21, l’examen du projet de loi sur la biodiversité ne soit pas une priorité pour le Gouvernement : déposé en 2014 et examiné par l’Assemblée nationale en mars 2015, il n’est toujours pas à l’ordre du jour du Sénat.
Mme Martine Lignières-Cassou. Ce n’est pas la faute du Gouvernement !
M. Guillaume Chevrollier. La création de l’Agence française pour la biodiversité, qui constitue l’un des axes essentiels du projet de loi, ne fait pas l’unanimité. Les députés du groupe Les Républicains ont voulu renforcer la place des agriculteurs, ce qui leur a été refusé, alors qu’ils estiment que ces professionnels jouent un rôle essentiel en matière de biodiversité – notamment les éleveurs, qui entretiennent de vastes étendues de prairie.
L’agence ayant vocation à regrouper quatre organismes, nous sommes en droit d’espérer qu’il en résulte des économies d’échelle, mais il est inquiétant d’entendre certaines associations demander qu’en plus des budgets de ces quatre organismes, l’agence bénéficie d’un supplément de 200 millions d’euros – tandis que les autres acteurs continuent à réclamer des moyens. À l’heure où l’endettement de notre pays nous oblige à faire des économies, il convient de ne pas donner suite à ces sollicitations et de faire en sorte de rationaliser la dépense publique.
Mme Marie Le Vern. En ce qui concerne le financement de l’agence, il semble qu’il y ait consensus pour considérer qu’au regard des missions qui lui sont assignées, et en dépit des abondements par affectation de taxes diverses, elle va manquer de moyens. Avez-vous identifié de nouvelles ressources afin de vous permettre de fonctionner au mieux ?
Par ailleurs, si les régions sont chefs de file en matière de biodiversité depuis la loi MAPAM, il reste à faire vivre cette compétence et à l’articuler avec la stratégie nationale de biodiversité. Au-delà du cadre référent que vous nous avez exposé brièvement, comment l’agence entend-elle concrètement sensibiliser et aider les nouvelles régions à endosser cette responsabilité ?
Enfin, nous sommes nombreux à regretter que l’Office national de la chasse et de la faune sauvage n’ait pas intégré l’agence lors de sa création, et que seule la signature de conventions de partenariat avec l’agence soit prévue. Pouvez-vous nous exposer le détail de ces conventions et nous préciser comment vous entendez travailler avec les fédérations de chasseurs, qui ont fait connaître leur hostilité à l’égard de l’agence ?
Mme Sophie Rohfritsch. En dépit de l’excellence du travail que vous avez fourni depuis votre entrée en fonction, il semble qu’il ne soit pas aisé de déterminer en quoi va consister l’action de l’AFB. Le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) a d’ailleurs diagnostiqué une faiblesse de la mobilisation des acteurs de terrain, et vous a encouragés à fédérer le plus possible. J’aimerais savoir où vous en êtes des adhésions réellement souscrites auprès de vous.
Je rappelle que le Royaume-Uni a assigné à sa propre agence – Biodiversity 2020 – des objectifs chiffrés, notamment en termes de terrain à recouvrir et d’espèces à recenser, et établi un calendrier pour y parvenir. Une telle façon de procéder ne serait-elle pas de nature à permettre une concrétisation plus évidente de votre mission ?
Enfin, pour ce qui est de l’ONCFS, je rappelle que le Président de la République lui-même a validé le fait que cet organisme ne ferait pas partie de l’agence et que rien ne serait ponctionné au détriment de la Fédération nationale des chasseurs et de l’ONCFS – le principe prévu par le projet de loi de finances pour 2016, consistant à ponctionner une partie de la redevance cynégétique au profit de l’agence, a donc été abandonné. Sur ce point, il me paraît donc vain de vouloir rouvrir un débat censé être clos.
M. le président Jean-Paul Chanteguet. N’oublions pas le principe de l’indépendance du législatif par rapport à l’exécutif.
Mme Sophie Rohfritsch. Certes, mais il faut aussi être réaliste : si la majorité fait en sorte d’honorer les engagements du Président de la République, la question est close.
Plusieurs députés. Mais le Président peut changer d’avis !
M. Laurent Furst. Je félicite Philippe Plisson d’avoir accompli l’exploit de proposer une nouvelle taxe avant dix heures du matin : il est décidément très en forme !
Puisque la création de l’AFB se fait en regroupant quatre structures préexistantes, j’aimerais savoir si cette opération va permettre les économies de gestion que l’on est en droit d’en attendre, surtout en cette période où il semble plus nécessaire que jamais de veiller aux intérêts du contribuable. Ces économies ont-elles été identifiées et quantifiées, ou va-t-on se contenter de jouer sur les apparences ?
En tant qu’élu local, j’ai eu la chance de mettre en place quatre zones d’activité économique sur mon territoire, ce qui a permis la création de 1 000 emplois – ce qui n’est pas négligeable au niveau local. Il m’a fallu beaucoup d’énergie et de détermination pour venir à bout de procédures complexes, faire face à des procès d’intention, résoudre de multiples conflits et parfois prendre des risques. La création d’emplois en France est pourtant un objectif prioritaire à l’heure où cinq à six millions de nos concitoyens sont privés d’emploi.
Il conviendrait sans doute de faire évoluer les mentalités afin de promouvoir des modes de concertation plus fructueux, aboutissant à ce que les mondes qui ne communiquent pas entre eux en viennent à se parler : d’un côté, les élus locaux soucieux d’assurer le développement économique de leurs territoires pour leurs concitoyens, de l’autre, les protecteurs de l’environnement qui ont du mal à voir autre chose que la problématique qui les préoccupe. Bref, il faut créer une nouvelle culture favorisant l’échange plutôt que l’affrontement car, en cas de blocage, c’est l’ensemble du pays qui en pâtit.
M. Serge Bardy. Ma question portera sur la façon dont vous comptez aborder la gouvernance de l’AFB et vos relations avec les autres agences de l’environnement, notamment l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), particulièrement en ce qui concerne les sujets épineux qui se trouveront à cheval sur vos compétences respectives. Sur le territoire de la commune de La Possonnière, dans ma circonscription du Maine-et-Loire, se trouve un site ayant abrité successivement une fonderie, une laiterie, puis une entreprise de traitement de surfaces, jusqu’à la liquidation judiciaire de cette dernière en 2003. Les eaux souterraines de ce site sont gravement polluées, ce qui a des conséquences évidentes en termes de biodiversité sur tout l’aval hydraulique depuis plus de douze ans. L’ADEME, aujourd’hui chargée de ce dossier, n’obtient que des résultats très peu significatifs. Pouvez-nous m’expliquer de quelle manière vous interviendriez en pareil cas, et en particulier quelles seraient vos relations avec l’ADEME ?
M. Jacques Alain Bénisti. Madame Annabelle Jaeger, le juriste que je suis souhaiterait savoir quelle forme juridique vous préconisez pour l’établissement public qu’est l’AFB. Faire le bon choix permettra en effet une gouvernance plus souple et plus équilibrée, un partage des responsabilités, des coopérations plus adaptées aux différentes problématiques et surtout aux spécificités de chaque territoire, et des interventions plus lisibles aux yeux de nos concitoyens. Pour cela, il faut à mon avis opter pour une agence au statut ouvert, plutôt que pour un établissement public administratif : cela permettra de mieux valoriser les compétences de l’agence et de créer plus aisément des ressources propres, en répondant par exemple à des appels d’offres internationaux.
Les différents fonds structurels européens pourraient, eux aussi, être mieux utilisés, et l’agence pourrait jouer un rôle très important d’ingénierie et de montage de projets. Vous portez le titre de préfigurateurs – ce qui pourrait être le titre du prochain film de Luc Besson –, mais nous aimerions voir en vous plutôt des facilitateurs.
M. le président Jean-Paul Chanteguet. Dans le cadre d’une précédente étude de préfiguration, un montant de 200 millions d’euros correspondant au besoin de financement estimé avait été avancé. Je suis personnellement favorable à la création des agences régionales de la biodiversité, dont on peut penser qu’elles feront l’objet d’une gouvernance mixte État-régions et qu’elles obligeront les régions à rechercher des financements supplémentaires pour permettre leur fonctionnement.
Mes chers collègues, j’appelle votre attention sur ce que je considère comme des « moments d’inconséquence collectifs ». Nous avons voté la compétence biodiversité pour les régions, mais aussi le maintien de la taxe départementale des espaces naturels sensibles (TDENS), désormais appelée taxe d’aménagement départementale, ce qui signifie que nous n’avons pas eu le courage de transférer l’ancienne TDENS aux régions, alors même qu’elles venaient de se voir doter de la compétence biodiversité. Une telle situation ne peut ensuite manquer de poser des difficultés aux préfigurateurs, et oblige à s’interroger sur la création de nouvelles taxes, alors qu’un simple transfert aurait suffi. Par ailleurs, la taxe d’aménagement perçue par les départements est, par exception, touchée par la région Île-de-France, ce qui renforce le côté absurde de la situation.
M. Olivier Laroussinie. Vos remarques et vos questions montrent qu’il nous reste un important travail d’explication à accomplir. L’allongement du calendrier législatif n’est pas sans incidence sur l’état d’avancement de la tâche qui nous a été confiée. Ainsi, nous avons appris juste après avoir rendu notre rapport que nous disposions en fait d’une année supplémentaire pour mener à bien notre travail, et il est évident que nous allons mettre cette année à profit pour effectuer dans les meilleures conditions le processus de concertation que nous avons entamé.
J’appelle votre attention sur le fait qu’en l’état actuel du projet de loi, l’agence n’est investie d’aucune autorité, celle-ci restant aux mains de l’État et des régions, qui vont continuer à l’exercer au moyen des schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE) et des stratégies régionales de biodiversité ; certaines décisions seront également prises au niveau communal et intercommunal. L’irruption de l’Agence française pour la biodiversité dans le paysage ne va rien changer à la répartition des responsabilités et des compétences, la seule plus-value qu’elle a vocation à apporter consistant à aider les autorités compétentes à être mieux renseignées en amont et à mettre en œuvre de façon optimale les stratégies qu’elles auront définies.
Il est un élément particulièrement important dans notre rapport : nous insistons sur le fait qu’en matière de gouvernance, ce n’est pas la composition du conseil d’administration qui compte, mais le Comité national de la biodiversité et ses rapports avec l’Agence française pour la biodiversité – un point sur lequel le projet de loi ne dit rien. Nous avons suggéré que le Comité dispose au moins d’un droit de regard sur les orientations stratégiques de l’Agence, et cette proposition a été reprise par la commission du développement durable du Sénat. Cela nous amène à la question de l’animation de la stratégie nationale pour la biodiversité, qui doit selon nous faire partie des attributions de l’agence.
Nous estimons que le conseil d’administration doit, comme son nom l’indique, être constitué de personnes responsables de la gestion de l’établissement. Par ailleurs, l’agence doit comprendre des comités d’orientation et, sur le plan de l’organisation du travail, des unités coopératives associées à d’autres partenaires, ainsi que des réseaux professionnels de gestionnaires et de collectivités ayant vocation à recevoir une aide de la part de l’agence – je pense notamment à la Fédération des conservatoires botaniques. Enfin, l’agence nationale doit fonctionner en lien avec les agences régionales. Cette déclinaison territoriale d’un établissement public de l’État constitue un exemple unique, surtout quand on considère les multiples formes que peut prendre l’agence régionale – d’un EPCE jusqu’à un établissement public de la collectivité en passant par une association – et son partenariat avec la structure centrale – qui peut être réduit à une simple convention.
Cette organisation pose de multiples questions juridiques, et ce n’est pas tant le statut de l’établissement public qui est en cause que la manière de mettre en œuvre des délégations de mission. Nous avons identifié un certain nombre de sujets sur lesquels des questions restent posées, afin d’y travailler et d’appeler votre attention sur la nécessité d’y apporter des réponses sur le plan législatif. Le simple fait de constituer une équipe commune entre l’AFB et l’ONCSF pose problème : pour que cette équipe puisse être dotée d’un chef commun, nous ne disposons pas en l’état actuel de tous les outils législatifs nécessaires. La question se pose déjà en outre-mer, car il existe des unités mixtes dans tous les départements d’outre-mer où l’ONCSF et l’ONEMA sont présents, et un problème se pose immanquablement quand une responsabilité doit être prise par une autorité hiérarchique : on s’aperçoit alors qu’il y a deux chefs – un dans chaque unité. Nous vous demanderons donc d’apporter des réponses législatives à ces questions lors du prochain examen du texte.
Pour ce qui est de la répartition des rôles, l’agence arrive dans un paysage où de nombreux acteurs ont déjà des responsabilités. De notre point de vue, elle doit avoir pour rôle de réorganiser ce paysage. Nous proposons une concertation active au niveau régional, un socle commun ayant préalablement été défini au niveau national.
Il nous a été demandé de quels leviers d’action directe l’AFB allait disposer sur le terrain. Or, ce n’est pas vraiment la vocation de l’agence que de disposer de ces leviers, qui sont déjà aux mains d’une multitude d’acteurs sur le terrain – et je ne me vois pas demander 3 000 équivalents temps plein pour placer au sein des communes des équipes chargées d’aider à la mise en œuvre de stratégies en matière de biodiversité !
Pour ce qui est des milieux marins, il se trouve que la relation entre l’Agence des aires marines protégées et l’État, notamment au travers des directions interrégionales de la mer au sein du ministère de l’écologie et des comités maritimes de façade, est assez bien organisée : le bon sens veut que nous reprenions cette organisation, en essayant simplement de profiter de la mise en place de l’AFB et des agences régionales pour rééquilibrer légèrement les choses en faveur d’une meilleure implication du niveau régional.
En ce qui concerne les moyens, si nous n’avons fait que reprendre ce qui figurait dans le précédent rapport de préfiguration, c’est qu’il n’y avait pas matière à remettre cela en cause. Nous avons donc mentionné un besoin de financement pour l’agence de l’ordre de 200 millions d’euros en plus des ressources des quatre organismes intégrés, et environ la même somme pour l’appui des acteurs au sein des territoires. Il a été dit que nous pourrions nous appuyer sur les financements affectés à l’eau pour faire un peu plus en matière de biodiversité. C’est peut-être possible à la marge – les redevances des comités de bassin, des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) et des agences de l’eau financent d’ailleurs à hauteur de 250 millions d’euros des questions de biodiversité – mais il ne faut pas se faire d’illusions : le principe de « l’eau paye l’eau » doit continuer à être respecté. On ne peut faire l’économie d’une réflexion sur une fiscalité propre à la biodiversité, étant précisé qu’il n’est pas exclu de procéder à une réforme à fiscalité constante, en revoyant éventuellement les modalités d’application de certaines taxes.
Mme Geneviève Gaillard nous a reproché l’emploi du verbe « adosser ». Peut-être, en voulant faire preuve de diplomatie, avons-nous perdu en précision : ce que nous voulions dire, c’est que les contrats de plan État-région (CPER) doivent financer les agences régionales pour la biodiversité dans le cadre des stratégies régionales pour la biodiversité.
Nous avons mentionné la mobilisation de sources de financement comme un potentiel : de notre point de vue, l’AFB et les ARB devraient aider les acteurs à obtenir des financements en prenant part à des appels d’offres. En effet, ces acteurs manquent souvent d’une ingénierie de projet pour répondre à des appels d’offres européens – ce n’est pas le cas à l’Agence des aires marines protégées, qui dispose de deux spécialistes en ingénierie de projet, ce qui lui permet de répondre régulièrement à des appels d’offres, notamment dans le cadre des projets européens BEST, INTERREG ou LIFE.
Il nous a été demandé si la mutualisation des quatre organismes existants allait générer des moyens susceptibles d’être redéployés. Sur ce point, je commencerai par souligner que nous ne sommes pas en présence d’une fusion de ces quatre organismes : le projet de loi propose de créer un établissement public avec des missions qui débordent très largement de celles actuellement confiées aux quatre organismes – si je prends l’exemple de l’appui au développement de l’économie verte, les quatre organismes ne sont en aucune façon concernés. Par ailleurs, les missions des quatre organismes ne se recouvrent quasiment pas entre elles : quand on parle des stratégies pour le milieu marin, par exemple, l’ONEMA n’est pas autour de la table. Certes, nous allons réaliser quelques gains sur les fonctions support, mais dont le montant sera insignifiant par rapport aux moyens nécessaires pour accomplir les missions confiées à l’Agence française pour la biodiversité.
Nous voyons dans les attributions de l’AFB énumérées dans le projet de loi une mission confiée à l’agence d’intervenir sur le champ économique, au profit du développement et de l’emploi. Pour ce qui est de l’organisation actuelle de la concertation relative à la préfiguration, après avoir travaillé en interne durant quelques mois, nous venons de relancer une réunion de la commission spécialisée du Conseil national de la transition écologique (CNTE) et nous avons l’intention de programmer en 2016 des événements qui vont nous donner l’occasion d’associer les acteurs concernés, notamment sur la question économique, qui inclut pour moi le monde agricole. Nous avons pour projet phare en 2016 d’organiser les premières assises de l’économie et de la biodiversité. La question de savoir si l’agriculture doit participer à ces assises ou prendre part à un événement spécifique est posée, et il y sera répondu lorsque nous aurons rencontré les représentants du monde agricole pour en parler avec eux. J’estime personnellement qu’il vaut mieux ne pas exclure le monde agricole, quitte à ce qu’il participe à la fois aux assises et à un événement qui lui serait dédié.
J’ai bien conscience de ne pas répondre à toutes les questions qui m’ont été posées, mais je ne dispose pas de tous les éléments pour le faire en l’état actuel d’avancement du projet de loi. Pour ce qui est de la question des moyens, elle dépend du projet de loi de finances pour 2017 – car pour le moment, nous avons suspendu la discussion sur ce point. Il est certain qu’au jour de la création de l’agence, tout ne sera pas encore en place : il faudra plusieurs années pour cela. Nous avons commencé à discuter des questions relatives aux partenariats, notamment avec l’ONCFS, et j’espère que nous disposerons très vite de schémas permettant de déterminer la façon de mettre des équipes en commun et à quel niveau – seulement pour les missions de police, ou pour d’autres. En tout état de cause, si les chasseurs sont des acteurs de la biodiversité, l’ONCFS n’est pas leur établissement public : il relève de l’État, qui a décidé de ne pas l’intégrer à l’AFB – je précise bien que ce n’est pas l’ONCSF qui a refusé de rallier l’AFB.
Nous discutons également avec le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA) – car nous pensons qu’à l’instar de l’ONCFS, il est capable de nous apporter des capacités en matière d’ingénierie –, mais aussi avec le Muséum et l’Office national des forêts (ONF), et sans doute aurons-nous à le faire aussi avec d’autres établissements de recherche et de développement.
Mme Annabelle Jaeger. Pour répondre à Mme Geneviève Gaillard, je précise que le mot « charte », qui ne convenait effectivement pas au regard de l’ambition nécessaire, a été abandonné au profit de l’idée de la définition d’un cadre de référence au niveau national, destiné à rendre cohérent chacun des projets des agences régionales, précédant la mise en œuvre d’un conventionnement entre l’AFB et les ARB.
Pour ce qui est de l’articulation entre les comités régionaux de biodiversité (CRB), les comités de bassin et les comités de façade maritime, notre rapport contient deux propositions. La première consiste à ce que, conformément à ce que vous avez souhaité dans la loi, les comités de bassin évoluent afin de permettre une meilleure intégration des acteurs de la biodiversité ; la seconde consiste à ce que les CRB se voient confier le rôle, non pas de rendre tout le dispositif cohérent dès à présent, mais d’organiser la concertation entre les trois comités.
En ce qui concerne l’association des agriculteurs, des entreprises, des ONG, des acteurs de la biodiversité – notamment les parcs naturels –, c’est au niveau des comités régionaux de biodiversité que doivent être imaginés les projets des agences régionales pour la biodiversité – c’est ainsi que nous avons commencé en Provence-Alpes-Côte d’Azur, et le parc du Mercantour avait sa place à la table des discussions, tout comme les chambres consulaires des agriculteurs. Ces projets doivent en effet répondre aux besoins et attentes de tous les acteurs concernés. Pour cela, nous disposons déjà de l’outil que constituent les comités régionaux « trames verte et bleue », transformés en comités régionaux de biodiversité, qui sont tout autant des lieux de pédagogie que des lieux de discussion. L’articulation entre les CRB et les agences régionales de la biodiversité devra être bien pensée – comme elle l’est au niveau national entre le Comité national de la biodiversité, qui valide les stratégies, et l’AFB, qui est un outil opérationnel.
Je vous remercie, Monsieur le président, d’avoir souligné cette petite incohérence au sujet des moyens, qu’il n’est peut-être pas trop tard pour corriger – si ce n’est dans le cadre de cette loi de finances, au moins dans celui de la prochaine.
M. le président Jean-Paul Chanteguet. Il faudrait déjà supprimer les départements.
M. Laurent Furst. À condition que la délimitation des régions ait du sens !
Mme Annabelle Jaeger. Je vous en laisse juges, toujours est-il que la taxe sur la biodiversité est mise en œuvre de manière très inégale en fonction des départements, et qu’il aurait effectivement été plus cohérent que les régions, chefs de file en matière de biodiversité, récupèrent cette taxe. En l’état actuel des choses, les départements doivent être à nos côtés dans les projets territoriaux puisqu’ils sont acteurs de la biodiversité et que c’est à eux que revient la taxe. Je veux insister sur un point évoqué par Olivier Laroussinie, à savoir qu’à fiscalité constante, il reste un important travail d’analyse de notre fiscalité à effectuer, afin de rechercher les moyens de faire en sorte qu’elle pèse moins sur les ressources naturelles, qui constituent notre capital naturel – c’est un travail stratégique, à mener sur le long terme.
Pour ce qui est de l’accompagnement de l’action sur les territoires, il faut bien comprendre que les agences régionales pour la biodiversité ne sont que des outils d’accompagnement de l’action des acteurs du territoire, à savoir essentiellement les communes, qui sont aujourd’hui en train d’intégrer la biodiversité dans leurs plans locaux d’urbanisme, à la suite des schémas régionaux de cohérence écologique. Les acteurs du territoire ont besoin d’un accompagnement, d’une compétence en ingénierie, et de projets qui les fédèrent, notamment de projets européens : c’est le rôle des agences régionales, qui ont vocation à faciliter, à permettre une plus grande efficacité, et non à faire les choses à la place des acteurs concernés.
Je fais partie de ceux qui considèrent que l’agence est dotée de moyens insuffisants, mais plutôt que de me plaindre, je préfère aller de l’avant et être pragmatique, comme le sont les acteurs de la biodiversité sur les territoires. Le projet que nous vous proposons a vraiment pour objet de déterminer comment faire mieux ensemble en mutualisant les moyens et les compétences – car les acteurs de la biodiversité sont très efficaces, mais parfois un peu éparpillés et insuffisamment coordonnés.
Vous avez évoqué les difficultés auxquelles sont confrontés les agents des quatre opérateurs intégrés en raison de la très grande incertitude à laquelle ils doivent faire face. Cela fait effectivement longtemps que le projet de loi n’avance plus et qu’en attendant, ils ne savent pas dans quelles conditions ils vont être intégrés. En dépit de ces conditions, auxquelles s’ajoute un manque de moyens évident pour remplir des missions qui les dépassent, ils restent déterminés à accomplir leur travail sur le terrain, et je veux saluer leur courage devant vous.
M. Gilles Bœuf. Je ne reviendrai pas sur les questions relatives à l’organisation, dont je ne suis pas spécialiste.
En revanche, je veux réagir à l’affirmation selon laquelle il faudrait choisir entre protéger l’environnement et créer des emplois. Cette façon de penser à court terme est complètement dépassée : aujourd’hui, il est évident que les deux préoccupations vont de pair. Deux ans avant sa mort, Claude Lévi-Strauss disait son étonnement de voir que les humains, qui ne cessent de croître en nombre, diminuent continuellement par leur activité ces biens essentiels que sont l’air non pollué, l’eau pure et l’espace libre. De ce point de vue, les mentalités doivent vraiment évoluer. Que devons-nous proposer à nos concitoyens aujourd’hui, si ce n’est un monde où il fera bien meilleur vivre ?
Il est évidemment impensable de mettre en place une structure dédiée à la biodiversité sans y associer le monde agricole dans toutes ses composantes – l’agroécologie, par exemple, est très intéressante – ainsi que le secteur de la pêche – actuellement confronté à plusieurs problématiques, notamment celles de la pêche profonde, et de l’application de lois européennes aux sociétés de pêche artisanale, qui leur pose des difficultés. Les chasseurs ont évidemment leur mot à dire en matière de biodiversité, mais je rappelle que si l’agriculture est vitale, la chasse est un loisir. Notre rôle va consister à trouver le moyen de mettre toutes les personnes concernées autour d’une table, afin d’améliorer le système au bénéfice de tous.
Je ne suis pas contre le principe d’une fiscalité pour l’écologie, mais il ne me paraît pas souhaitable de créer de nouvelles taxes avant d’en avoir supprimé d’autres. Cela dit, il faut savoir relativiser : les 200 millions d’euros que nous estimons nécessaires pour faire fonctionner l’Agence française pour la biodiversité correspondent environ au coût de construction de trois échangeurs routiers.
Pour que les citoyens ne se sentent pas exclus de l’AFB face aux experts, il faut organiser des séances participatives, et c’est ce que nous faisons. Lorsque j’étais président du Muséum national d’histoire naturelle, je n’interdisais pas aux quelque mille scientifiques qui en font partie de jouer ponctuellement un rôle d’expert, dans le cadre d’un événement précis, avant de revenir faire de la recherche dans leur laboratoire. Le Muséum propose depuis longtemps aux citoyens de contribuer aux sciences participatives : en plus de ses 2 000 personnels, il fait appel à 20 000 participatifs qui travaillent tous les jours à leurs côtés. Parallèlement à cela, nous organisons également des événements dans le cadre de la bioinspiration.
Je viens de participer à deux réunions extrêmement intéressantes. J’ai d’abord rencontré les élus regroupés au sein de l’Association nationale des élus du littoral (ANEL). Nous avons vécu des moments exceptionnels et très fructueux au cours de cette réunion qui a été l’occasion pour les maires – il y a environ mille communes littorales en France – de faire part de leurs préoccupations face au dérèglement climatique, par exemple la montée du niveau de la mer.
L’entreprise est elle aussi fondamentale, et pour ma part, je travaille beaucoup avec les entrepreneurs. J’ai rencontré la semaine dernière les 150 meilleurs chefs d’entreprise français dans le cadre d’un séminaire de quatre jours, afin de réfléchir aux conséquences du changement climatique sur le monde de l’entreprise. Les chefs d’entreprise ont compris que, si la société ne se tourne pas globalement vers un modèle de développement durable, leurs entreprises en pâtiront.
Il va rester des conseils scientifiques de parc, au Mercantour et aux Calanques comme ailleurs, et je m’en félicite. Tout le problème va consister à faire en sorte qu’ils communiquent entre eux, mais aussi avec les autres conseils scientifiques, de l’ONEMA ou de l’ATEN par exemple. En tout état de cause, il paraît évident que chaque conseil scientifique doit garder des attributions qui lui sont propres, et dépendent notamment de son implantation locale. En fait, il faut faire du « glocal », c’est-à-dire prendre en compte des problématiques se posant au niveau local – c’est pratiquement toujours le cas en matière de biodiversité – mais subissant l’influence de facteurs globaux. Au sein de la réserve naturelle nationale de la forêt de la Massane, dans les Pyrénées-Orientales, dont je suis président, on a répertorié 7 000 espèces vivantes sur 336 hectares – ce qui est unique en Europe. Cette forêt que les hommes protègent soigneusement depuis 150 ans semble aujourd’hui condamnée en raison du changement climatique et des 15 000 poids lourds qui franchissent chaque jour le col du Perthus, déversant ainsi d’énormes quantités d’ozone sur la forêt. Comme vous le voyez, travailler localement ne suffit pas, car un lieu est également touché par des phénomènes globaux.
J’espère que l’Agence française pour la biodiversité sera capable de prendre en compte ce double aspect, à la fois local et global, mais j’ai conscience de la difficulté et de l’immensité de la tâche qui est la nôtre. Je rappelle que nous ne sommes pas les inventeurs de l’agence, et que nous n’y tenons qu’un rôle parmi d’autres, tant il est évident que la défense et la promotion de la biodiversité relèvent de la responsabilité de chacun – notamment de la vôtre, politiques. À mes yeux, la chose la plus importante à faire comprendre est qu’au sein d’une démocratie, l’intérêt de la communauté doit primer par rapport aux intérêts particuliers, et c’est ce principe qui doit guider l’action de notre agence.
M. le président Jean-Paul Chanteguet. Nous vous remercions tous trois pour vos interventions de qualité. Notre combat à nous consiste à faire en sorte que le projet de loi soit inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, en deuxième lecture, le plus rapidement possible.
——fpfp——
Membres présents ou excusés
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire
Réunion du mercredi 25 novembre 2015 à 9 h 45
Présents. - Mme Laurence Abeille, Mme Sylviane Alaux, M. Guy Bailliart, M. Serge Bardy, Mme Catherine Beaubatie, M. Jacques Alain Bénisti, M. Sylvain Berrios, M. Florent Boudié, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, M. Vincent Burroni, M. Yann Capet, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Luc Chatel, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Florence Delaunay, M. Stéphane Demilly, M. David Douillet, Mme Françoise Dubois, M. Olivier Falorni, M. Jean-Marc Fournel, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Laurent Furst, Mme Geneviève Gaillard, M. Alain Gest, M. Charles-Ange Ginesy, M. Michel Heinrich, M. Jacques Kossowski, M. François-Michel Lambert, M. Alain Leboeuf, Mme Viviane Le Dissez, M. Arnaud Leroy, M. Michel Lesage, Mme Marie Le Vern, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Franck Marlin, M. Gérard Menuel, M. Yves Nicolin, M. Rémi Pauvros, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Sophie Rohfritsch, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, Mme Suzanne Tallard, M. Thomas Thévenoud, M. Jean-Pierre Vigier
Excusés. - M. Yves Albarello, Mme Chantal Berthelot, Mme Sabine Buis, M. Alain Calmette, M. Alain Chrétien, M. Stéphane Claireaux, M. Christian Jacob, Mme Valérie Lacroute, M. Philippe Martin, M. Bertrand Pancher, M. Napole Polutélé, M. Martial Saddier, M. Gilbert Sauvan, M. Gabriel Serville
Assistaient également à la réunion. - M. Dino Cinieri, M. Jacques Krabal, M. François Vannson