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Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire
La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu, conjointement avec les commissions des affaires étrangères, des affaires européennes et des affaires économiques, M. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et du développement international, sur la COP21.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Monsieur le ministre des affaires étrangères et du développement international, quatre commissions sont réunies cet après-midi pour vous accueillir : la commission des affaires étrangères, la commission du développement durable, la commission des affaires économiques et la commission des affaires européennes.
Nous vous renouvelons nos félicitations pour le résultat absolument remarquable de la Conférence de Paris. Personne n’aurait osé parier sur un aussi beau succès : le secrétaire général de l’ONU a qualifié l’accord de Paris d’« ambitieux et équilibré », les États ayant accepté de dépasser leurs stricts intérêts nationaux. Il a salué une grande réussite de l’humanité.
J’adresse également nos remerciements et nos félicitations à Mme Laurence Tubiana, qui a joué un rôle important, et que vous venez de nommer championne pour le climat.
Monsieur le ministre, il ne serait sans doute pas inutile de rappeler les grandes lignes de cet accord. C’est un accord différencié et solidaire – 100 milliards de dollars par an doivent être versés aux pays du Sud. Bien sûr, certaines interrogations ou critiques ont été émises, par exemple à propos de l’insuffisance des engagements actuels concernant le niveau des émissions ou de l’absence de dispositions sur une tarification du carbone. Vous nous direz s’il sera possible de revenir sur ces points.
Je souligne l’importance de l’Agenda des solutions, qui mobilise la société civile, et dont l’application sera fondamentale pour réussir celle de l’accord de Paris.
Car il faut maintenant passer à la phase suivante. L’accord sera signé le 22 avril 2016 à New York, puis ouvert à la ratification. Pour la France, nous croyons savoir que le projet de loi de ratification devrait être examiné en conseil des ministres dès le 4 mai : pouvez-vous nous le confirmer ?
Je rappelle brièvement d’autres grandes échéances. D’abord la conférence de Marrakech, du 7 au 18 novembre 2016 puisque le Maroc prendra le relais de la France quand votre présidence s’achèvera. Un groupe de travail sur l’Accord de Paris doit tenir sa première réunion à Bonn du 16 au 26 mai. Enfin, le Forum politique de haut niveau se tiendra à New York du 11 au 20 juillet, afin de préparer la mise en œuvre de l’Agenda 2030 pour le développement durable, et la conférence Habitat III aura lieu à Quito, la ville durable constituant l’une des clefs de la transition énergétique.
Tout ce que vous pourrez nous dire sur les dispositifs que vous avez prévus en tant que président de la COP – fonction que vous occuperez jusqu’au moment où vous passerez le relais au Maroc, à l’automne prochain – nous intéressera naturellement.
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. Mesdames les présidentes, messieurs les présidents, mesdames et messieurs les députés, je vous prie par avance de m’excuser : je devrai vous quitter peu après dix-huit heures, car je reçois un prix, décerné par des journalistes, celui du « ministre de l’année » – justement en raison de mon action lors de la COP21. Or lorsque j’ai été désigné « parlementaire de l’année », j’ai été très sensible à la récompense, naturellement, mais c’était la seule année où je n’avais pas pris la parole à l’Assemblée nationale ! Mon absence n’étant pas toujours remarquée, il faut donc absolument que j’assiste à la remise de ce prix. (Rires.)
Je suis très heureux de venir vous présenter ici les grandes lignes de l’accord du 12 décembre, mais aussi les étapes à venir, car vous connaissez assez ce sujet pour ne pas vous contenter de généralités.
Nous avons eu le bonheur d’aboutir à un accord. La diplomatie et le multilatéralisme peuvent donc, sous certaines conditions, obtenir d’importants résultats : c’est plutôt encourageant pour les thèses que défend traditionnellement la France. Ce succès a eu aussi, me semble-t-il, un puissant écho dans l’opinion, dans de nombreux milieux ; il faut maintenant transformer l’essai.
J’avais déjà fait le point devant vos commissions sur les enjeux de la COP21. Un rapport d’information parlementaire, déposé quelques jours avant le début de la conférence proprement dite, avait également décrit ces enjeux de façon très complète. Nous avions tous, je crois, à peu près la même idée de ce que serait un bon accord à Paris, et des critères qui permettraient d’en juger.
Avec le recul, et sans triomphalisme déplacé, nous pouvons dire que cet accord est une réussite. C’était d’ailleurs ce défi que nous avions à relever : je ne croyais pas pour ma part à un échec, car les volontés d’obtenir un accord étaient bien là. Mais quel type d’accord ? C’était toute la question. Or nous n’avons pas obtenu un accord au rabais, mais bien l’accord le plus exigeant que nous pouvions espérer : c’est là notre véritable succès, au-delà du fait que 195 pays se sont engagés.
Cet accord est universel ; il n’y a pas d’opposition, puisque la règle est celle du consensus. Il faut souligner qu’il est accompagné de 187 INDC (Intended Nationally Determined Contributions), ce qui, pour le coup, va très au-delà de nos attentes ! Au moment où, au Pérou, mon collègue Manuel Pulgar Vidal et moi-même avions précisé ce que seraient ces contributions nationales, nous en attendions peut-être quatre-vingts ou cent… Cela signifie que, dans 187 pays sur 195, le Gouvernement – et, souvent, la société – s’est demandé quelle était sa vision en matière d’énergie, de gaz à effet de serre, quels étaient les objectifs à fixer et quels moyens l’on pouvait se donner pour les atteindre. Qu’une telle démarche soit engagée, c’est très positif.
Si ces contributions sont mises en œuvre – et tout est fait pour qu’elles le soient –, leur effet cumulé nous éloignera à tout le moins du pire, c’est-à-dire de la hausse des températures de 4, voire 5 degrés que prédisait le Groupe d’experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) si aucune action n’était menée.
La trajectoire climatique, compte tenu de ces contributions, est celle d’un réchauffement de l’ordre de 3 degrés en 2100. Tout le travail effectué à partir des engagements de l’Accord de Paris vise à corriger cette courbe pour aller vers un réchauffement de 2, voire de 1,5 degré – l’ajout de ce chiffre ayant été l’un des grands enjeux de cette COP, et la rédaction de ce dernier objectif étant, vous l’avez remarqué, différente.
Lorsque j’évoque « l’accord », je fais d’ailleurs aussi bien référence aux 29 articles de l’accord qu’aux 140 paragraphes de la décision. Il faut lire ces deux textes ensemble – même si, je vous le concède, ce n’est pas du Flaubert. J’insiste sur un point qui fut très difficile à obtenir : la neutralité carbone dans la seconde moitié du siècle. Vous imaginez qu’un pays dont 95 % des ressources viennent du pétrole n’est pas spontanément enclin à approuver une clause condamnant à terme les énergies fossiles ! Pour que tous les pays puissent tomber d’accord, il a donc fallu trouver, sans artifice, une rédaction qui permettait une inflexion sans obliger à cesser du jour au lendemain l’exploitation d’énergies fossiles.
L’accord est également dynamique – c’est un point qui avait été évoqué lors de mon audition précédente. Un mécanisme de revue quinquennale des engagements a été prévu, avec un premier rendez-vous fixé en 2023, mais aussi un bilan des efforts dès 2018. C’est un point crucial, car mon sentiment personnel est que le dérèglement climatique ira encore plus vite que ce qui est dit aujourd’hui ; les actions contre le dérèglement climatique devront donc être elles aussi plus rapides que ce qui est dit. Ainsi, les efforts de la France, comme d’autres pays aussi allants, pourront mener à une inflexion, et à la révision à la hausse de nombreux engagements, avant même 2023.
En ce qui concerne le suivi des engagements, un cadre de transparence est mis en place ; il faudra le préciser cette année. Nous allons devoir travailler sur le reporting, sur le financement : si l’Accord de Paris était une loi, je dirais qu’il faut maintenant prendre les décrets d’application.
L’accord est, autant qu’il était possible, juridiquement contraignant, de façon différente selon les phases. Il est généralement considéré, y compris par les ONG, qui n’ont pas l’habitude d’être particulièrement élogieuses, comme un accord juste. En particulier, la notion de différenciation est déclinée partout et les pays riches doivent être solidaires envers les pays les plus vulnérables : c’est la fameuse affaire des 100 milliards. Il est répété que cette somme doit être atteinte en 2020, mais qu’il faudra fixer avant 2025 un nouvel objectif, qui sera nécessairement plus élevé.
Plus largement, la COP21 a permis de rallier à la cause climatique un nombre exceptionnel d’acteurs non gouvernementaux. Beaucoup d’entre vous sont venus au Bourget, ont pu participer à de nombreux débats et événements. À la fin de l’année 2015, plus de 5 000 villes, régions, entreprises et ONG, issues de 180 pays, avaient pris des engagements précis – ce nombre a dû encore augmenter depuis. C’est évidemment quelque chose qu’il faut suivre de très près, et ce sera l’une des tâches de Mme Tubiana. Car si les gouvernements peuvent prendre des mesures qui freinent ou au contraire qui accentuent, la pollution, ce ne sont pas eux qui polluent directement ! Les émissions de gaz à effet de serre sont surtout le fait des collectivités locales – qui peuvent adopter des politiques plus ou moins vertueuses en matière de transport, de logement… – comme des entreprises et des particuliers. Il est donc crucial que les acteurs non gouvernementaux, que la société civile en général, s’engagent. C’est ce que nous avons appelé le Plan d’action Lima-Paris. Ces engagements sont résumés sur le portail NAZCA (Zone des acteurs non-étatiques pour l’action pour le climat).
D’autres projets plus généraux ont été lancés à l’occasion de la COP21. L’un d’eux concerne l’accès à l’énergie en Afrique : la France, très directement concernée, devra être extrêmement active. Un autre, qui a été rappelé lors de la visite du Président de la République en Inde, concerne l’énergie solaire : l’Alliance solaire internationale. Un autre encore, notamment franco-américain, soutenu par Bill Gates et d’autres milliardaires, vise à développer la recherche et l’investissement dans le secteur des technologies propres. La solution, nous en sommes persuadés, viendra de sauts technologiques. Pour cela, il faut investir, et mettre en place des partenariats entre le public et le privé.
Plus ponctuellement, l’initiative CREWS vise à mettre en place des systèmes d’alerte précoce lors de catastrophes climatiques, comme des typhons. Nous allons également instaurer un mécanisme d’assurance, en particulier pour les petites îles et les territoires inondables.
Il n’y a dans l’accord qu’une toute petite mention – mais j’ai beaucoup insisté pour qu’elle y figure – de la tarification du carbone, qui est l’un des points principaux pour le futur.
L’Accord de Paris est le premier accord environnemental à vocation universelle qui fait explicitement référence au nécessaire respect des droits de l’homme. Ce point a été très disputé, mais nous avons finalement trouvé une formulation acceptée par tous.
Je veux saluer ici le rôle joué par le Parlement dans la mobilisation en faveur du climat, en France comme auprès des parlementaires du monde entier. De nombreuses réunions se sont tenues à l’étranger, puis en France en marge de la COP21. Plusieurs d’entre vous ont participé à celles du comité de pilotage que j’ai organisées chaque mois, et qui ont rassemblé les administrations concernées, des scientifiques, des parlementaires… L’Union interparlementaire (UIP) a également beaucoup travaillé. C’est peut-être la première fois que le volet parlementaire était aussi étoffé.
Il reste, vous l’avez dit, madame la présidente, beaucoup de travail. L’année 2016 devra être celle des « quatre P ».
Il y aura d’abord le processus de signature et de ratification. Cela vous concerne, en tant que parlementaires, tout particulièrement. Pour que l’accord entre en vigueur, il doit être ratifié par au moins 55 pays représentant au moins 55 % des émissions de gaz à effet de serre. La signature est en effet prévue à New York le 22 avril ; quant à la ratification, je l’espère la plus rapide et la plus large possible. Je souligne que, pour que l’Union européenne ratifie l’accord, tous les pays membres devront l’avoir ratifié : cela ne sera donc pas très rapide. Mais la France, qui a été à l’avant-garde des négociations, doit être exemplaire – même si nous rencontrons des problèmes spécifiques, juridiques, pour ce qui concerne l’outre-mer. Notre objectif est que la ratification soit acquise avant les vacances parlementaires d’été, ce qui aura un effet d’entraînement auprès de nos partenaires d’Europe et du monde.
La décision qui accompagne l’accord prévoit que le président en exercice, ainsi que son successeur, désigneront chacun un « champion », chargé essentiellement du suivi de la mise en œuvre. C’est une demande qui a été formulée par l’Alliance des petits États insulaires (Alliance of Small Island States, AOSIS). En effet, on peut toujours signer des accords, mais encore faut-il qu’ils soient appliqués.
Notre première championne sera donc Mme Tubiana, dont les fonctions dureront jusqu’à la COP22 de Marrakech, en novembre de cette année. Elle travaillera avec le champion ou la championne que désigneront les Marocains, qui sera, lui, nommé pour deux années – de notre côté, comme nous lançons le processus, nous n’avons qu’un an.
Les ministères concernés ont aussi une lourde tâche devant eux.
Je saisis d’ailleurs cette occasion de vous remercier des moyens budgétaires que vous nous avez alloués pour l’organisation de la COP21. Je rends ici hommage à M. Pierre-Henri Guignard et à son équipe, dont le travail a été formidable. Nous tiendrons notre budget, et je crois même que nous serons un peu en deçà.
Le deuxième P, ce sont les précisions qui doivent être apportées à l’accord de Paris. Il faut maintenant entrer dans les détails, en définissant précisément ce que nous comprenons, par exemple, dans les financements des pays riches en faveur du climat. J’ai également fait allusion tout à l’heure à la revue quinquennale des engagements nationaux et au mécanisme de transparence : là encore, il faudra en préciser les modalités. Cela promet des débats qui ne seront pas nécessairement faciles.
Mon rôle en tant que président de la COP21 – ce qui n’est pas la même chose, on l’a bien compris, que la présidence de la délégation française – est de veiller au bon déroulement de ces négociations.
Le troisième P renvoie à la période pré-2020 : elle sera cruciale. L’accord n’entrera certes en vigueur qu’en 2020, mais nous souhaiterions que certaines mesures soient prises avant cette date. Si nous voulons être efficaces en 2020, il nous faut nous préparer bien en avance : ce sera la tâche du ministère de l’écologie, des champions, de tous.
Le Président de la République s’est d’ailleurs engagé à augmenter nos financements, en lien avec la réforme, que vous allez bientôt examiner, qui vise à rapprocher l’Agence française de développement (AFD) de la Caisse des Dépôts (CDC).
Le dernier P, c’est la préparation de la COP22, qui aura lieu à Marrakech en novembre 2016. C’est un gros travail, que nous allons mener avec nos amis marocains, comme nos amis péruviens nous ont beaucoup aidés à préparer la COP21. Tout cela se fera en coordination avec la Convention-Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), organisme permanent chargé de tous les aspects juridiques, qui siège à Bonn.
Deux domaines économiques importants ne sont pas compris dans l’Accord de Paris, ni dans la décision : le transport maritime et le transport aérien. Ce dernier relève de la compétence de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), qui doit conclure d’ici à septembre 2016 un accord sur la régulation des émissions. Mme Ségolène Royal et moi-même avons demandé à nos services d’être très en pointe sur ces sujets : cela représente des niveaux d’émission non négligeables, et appelés à se développer. Il faut donc veiller à ce que ce sujet soit traité. Quant au transport maritime, il revient à l’Organisation maritime internationale (OMI) d’engager des travaux similaires.
Ce sont là des travaux parallèles à la COP proprement dite ; mais, si nous voulons être efficaces, il faut éviter les trous dans la raquette.
Bien sûr, toutes les félicitations adressées à notre pays et à sa capacité d’organiser un tel événement nous ont fait très plaisir. J’y ai été très sensible ; j’ai reçu des lettres officielles et des lettres très émouvantes – ces deux ensembles ne coïncidant pas toujours. C’est un lieu commun de dire que nous engageons là l’avenir de nos enfants, mais c’est vrai. Cet accord représente un espoir : dans un monde dangereux, incertain, où la politique est souvent rejetée, nous avons montré tous ensemble – et grâce à vous, parlementaires, en particulier – que nous pouvions faire des progrès pour nous et nos enfants, que nous pouvions nous entendre pour que la planète reste vivable.
Cet accord ne concerne pas seulement le climat ; la sécurité alimentaire, les migrations, la guerre et la paix sont aussi en jeu. Chacun ici est convaincu que si nous ne contrôlions pas le dérèglement climatique, nous vivrions des explosions, des conflits effrayants.
L’Accord de Paris est un succès. Nous ne devons pas nous endormir sur nos lauriers : continuons d’être très actifs. Je sais que vous le serez, et vous pouvez compter sur le Gouvernement français pour l’être également.
Mme la présidente Danielle Auroi. Merci, monsieur le ministre, de ce tableau plein d’espoir. Il nous reste en effet à transformer l’essai ! En particulier, il nous faut clarifier le calendrier. Nous ne réussirons pas non plus à enrayer le dérèglement climatique sans préserver la biodiversité ; or il a été extrêmement difficile de faire ratifier le protocole de Nagoya. La lutte contre la biopiraterie est pourtant essentielle : est-elle prise en charge dans le cadre de la COP ?
Vous avez évoqué l’Inde. Les Indiens nous ont bien dit qu’ils attendaient de nous, Occidentaux, qui avons été historiquement les plus grands pollueurs, que nous soyons tout à fait exemplaires. La France, je crois, est prête à l’être. Mais l’Union européenne doit être à mon sens le fer de lance de la lutte contre le changement climatique. Une Union européenne de l’énergie ne peut qu’être positive, et que plus contraignante que ce qui est aujourd’hui proposé. Il faut aussi établir une solidarité avec les pays du Sud, en particulier avec l’Afrique.
En ce sens, quel est votre regard sur la taxe sur les transactions financières, qui va bientôt, enfin, exister ? Quel rôle pourrait-elle jouer pour abonder le Fonds vert, par exemple ? L’Union européenne pourrait, par ce biais, démontrer dès 2018 toute l’importance qu’elle attache à la lutte contre le changement climatique.
M. Jean Grellier, président. Je commence par vous prier d’excuser Mme Frédérique Massat, présidente de la commission des affaires économiques, qui ne peut assister à cette réunion.
Merci, monsieur le ministre, de votre exposé. Nous vous avions déjà félicité pour ces beaux résultats lors de votre récente audition par la commission des affaires économiques.
Le Président de la République a appelé les pays volontaires à former une coalition pour établir un prix du carbone – enjeu essentiel, après la COP21 – et à créer un système financier pour le climat. Vous l’avez dit, des engagements ont été pris sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, ainsi que sur une contribution financière destinée aux pays les plus vulnérables.
Ces engagements peuvent avoir des effets significatifs pour l’activité économique de notre pays – pour ses filières industrielles, mais aussi pour son agriculture, pour le secteur de la construction… De quelle manière le Gouvernement et les pouvoirs publics en général anticipent-ils ces mutations inévitables, dans un contexte où la concurrence internationale est exacerbée, et touche presque tous les acteurs importants de notre économie ?
M. le président Jean-Paul Chanteguet. Nous entendons maintenant les orateurs des groupes, en commençant par le groupe socialiste, républicain et citoyen.
M. Christophe Bouillon. « Manier des couleurs et des lignes, n’est-ce pas une vraie diplomatie ? Car la vraie difficulté, c’est justement d’accorder tout cela » écrivait Raoul Dufy. Monsieur le ministre, vous avez réussi le tour de force d’accorder 195 pays, maintenant signataires de l’Accord de Paris. Il y avait la couleur de l’urgence, celle des changements climatiques, devenus incontestables, et dont les effets frappent déjà des territoires et des populations. Quant aux lignes, vous les avez fait bouger : pendant plus d’un an, vous avez déployé la puissance diplomatique de la France, ne ménageant ni vos efforts, ni votre énergie, avalant les kilomètres, rétrécissant les nuits de sommeil et tirant les enseignements des échecs passés, identifiant les freins, les obstacles et construisant les leviers nécessaires pour aboutir à cet accord historique.
Comme un peintre impressionniste, vous avez agi par petites touches pour faire apparaître aux yeux de tous un tableau qui non seulement corresponde à nos attentes, mais soit surtout à la hauteur des enjeux. Cet accord, vous l’avez rappelé, est universel, ambitieux, différencié, contraignant et dynamique.
Pouvez-vous nous dire ce qui, au cours de la COP21, a permis le basculement vers un accord ? Nous connaissons bien la dramaturgie qui entoure ces grands rendez-vous internationaux. Qu’est-ce qui a permis d’entraîner tous les pays de la planète, et de contourner les plus grandes réticences ?
Quant à l’avenir, l’agenda que vous avez décrit est bien fourni. De nouveaux grands rendez-vous succéderont à la conférence de Paris : la COP21 était un tournant historique, mais ce n’était pas un aboutissement. Concrètement, l’engagement des États pourrait-il être remis en cause ? Vous avez rappelé le rôle déterminant des collectivités territoriales et des entreprises, et le caractère innovant de leurs démarches lors de la COP21. Le rôle des opinions publiques est également essentiel : face aux conséquences du dérèglement climatique, les populations ne vont-elles pas faire utilement pression sur leurs gouvernements ? Je pense notamment à la question de la pollution de l’air dans les grandes aires urbaines.
À vos quatre P, monsieur le ministre, on pourrait en ajouter un cinquième : le P de « paix » car, vous l’avez bien montré, le lien est étroit entre les enjeux climatiques et les enjeux géopolitiques. Ne pourrions-nous pas nous inspirer de la méthode mise en œuvre lors de la COP21 pour régler d’autres problèmes diplomatiques de par le monde ?
M. Martial Saddier. Monsieur le ministre, merci de cet exposé. Au nom du groupe Les Républicains, j’apprécie que vous ayez rappelé le cap ambitieux que représente l’accord. Mais, à nos yeux, l’Accord de Paris ne sera vraiment un succès que si les engagements des signataires se traduisent concrètement.
Nous voudrions également rappeler que la France souhaitait un accord contraignant ; ce point a fait l’objet de longues discussions en amont de la conférence elle-même, et d’interventions du Président de la République et du Gouvernement. Or nous considérons, à ce stade, qu’il ne l’est ni sur les contributions financières, ni sur le contrôle, ni sur d’éventuelles sanctions. Monsieur le ministre, vous avez à plusieurs reprises pris la précaution de commencer vos phrases par « si », et je vous en remercie. Je relis le texte : l’accord « ne peut donner lieu ni servir de fondement à aucune responsabilité ni indemnisation ». Cet accord n’est donc pas juridiquement contraignant.
Vous avez fait preuve de transparence, monsieur le ministre, en précisant que l’addition des contributions nationales mènerait à une élévation des températures de 3,5 degrés – alors même que l’accord affiche une ambition d’élévation de 1,5 degré seulement. L’accord, au moment même de sa signature, prévoit pour cette raison des révisions régulières ; mais celles-ci se font sur la base du volontariat. Pourtant, certains territoires, y compris en France, dans des zones de montagne que je connais bien, connaissent déjà des hausses des températures de 2 degrés.
L’accord vise à plafonner les émissions de gaz à effet de serre « dans les meilleurs délais » : là encore, ce n’est pas vraiment une contrainte.
S’agissant de l’aide internationale et des fameux 100 milliards, de même, l’accord stipule que les États devront continuer de « fournir ce type d’appui, à titre volontaire ». Encore une fois, seuls les États volontaires agiront.
Enfin, nous regrettons qu’aucune harmonisation du prix du carbone ne soit envisagée. C’est là un enjeu essentiel ; il n’y a pourtant là ni ambition, ni accord.
Nous souhaitons bien évidemment la réussite de l’Accord de Paris. Mais, à ce stade, je me devais de rappeler ces motifs d’inquiétude.
M. Denis Baupin. Je suis heureux d’intervenir après mon collègue du groupe Les Républicains : pour ma part, comme écologiste, je n’ai jamais pensé que l’environnement, ça commençait à bien faire ; je salue donc le succès de l’Accord de Paris, monsieur le ministre. Je me souviens avec émotion du moment où vous avez annoncé la réussite du sommet.
On peut évidemment voir le verre à moitié vide, et dresser la liste de tout ce qui reste à faire. Cette liste est longue, c’est vrai ; nous en sommes tous conscients ; et cet accord n’est pas assez contraignant juridiquement.
Mais cet accord est d’abord politique : c’est le basculement des consciences qui compte. Ce jour-là, les États ont décidé qu’il fallait lutter contre le dérèglement climatique, et c’est cet engagement fort qu’il faut retenir.
C’est d’autant plus important que ce basculement se fait en même temps que le passage des vieilles énergies aux nouvelles énergies : les coûts des premières ne cessent d’augmenter, quand ceux des secondes ne cessent de diminuer. Beaucoup d’investisseurs, aujourd’hui, s’intéressent aux énergies résilientes à moyen terme, et donc aux énergies renouvelables.
Toutes ces évolutions coïncident, et ce qui s’est passé à Paris sera à cet égard très important pour l’avenir. Vous avez rappelé toutes les initiatives parallèles à la conférence du Bourget, notamment celle de l’Alliance solaire internationale. Nous pouvons donc concevoir beaucoup d’espoirs.
S’agissant de l’accompagnement financier, comment accélérer le désinvestissement des énergies fossiles et l’investissement dans les énergies renouvelables ? L’article 173 de la loi de transition énergétique que nous avons votée pose les bases d’une prise en considération de l’empreinte carbone par les investisseurs institutionnels. Comment faire pour que de tels dispositifs puissent, d’ici à la COP22, s’étendre à d’autres pays ?
J’avais par ailleurs évoqué avec vous la mise en place d’un dispositif de « prix positif » du carbone, plus facile à mettre en place qu’un prix universel. Ce point figure maintenant dans l’accord : comment imaginer que, d’ici à la COP22, des mécanismes concrets voient le jour ?
Enfin, le Président de la République avait annoncé que la France prendrait, au sein de la Coalition pour une haute ambition, des initiatives pour renforcer les efforts en faveur du climat. Quelles seront les traductions concrètes de cette ambition dans l’année qui vient ?
M. Arnaud Richard. Merci, monsieur le ministre, de ces propos très complets. Je vais essayer de ne pas être redondant.
Au nom du groupe UDI, je souhaite d’abord vous demander de préciser l’état des discussions autour du plan – urgent – d’accès à l’électricité et à la lumière pour le continent africain, qui a été récemment présenté à l’Assemblée nationale par M. Roger Nkodo Dang. Comment l’accord trouvé sous votre présidence permettra-t-il de soutenir les grands projets de développement ? Ce sont des populations entières qui pourraient alors vivre dans de bonnes conditions dans leur pays d’origine, au lieu d’être contraintes à l’exil.
L’accord de Paris ne prévoit pas d’outils clef en main pour drainer les investissements et les financements indispensables pour réussir la transition énergétique. Il n’en pose pas moins des jalons essentiels pour stimuler la création de nouveaux instruments financiers. À cet égard, où en sont les négociations européennes sur la taxe sur les transactions financières ?
Enfin, au niveau européen, la France entend-elle œuvrer en faveur de l’instauration d’un prix plancher du carbone, afin de pallier les difficultés rencontrées par le système d’échange des quotas européens, ou encore de l’augmentation de la composante carbone des taxes sur les énergies fossiles ?
M. André Chassaigne. Lors de la législature précédente, j’avais participé, en tant que membre de la Commission du développement durable, aux Conférences des Parties de Copenhague en 2009 et de Durban en 2011. Nous étions revenus assez dépités, avec l’impression d’avoir assisté à un jeu de rôles où chacun venait faire des promesses et montrer ses muscles… et à la fin duquel rien ne s’était conclu. Le groupe GDR ne boude donc pas son plaisir : cet accord universel est une étape importante.
Bien sûr, on ne peut que constater que beaucoup reste à faire. On estime à 350 à 450 milliards de dollars par an les besoins des pays les plus en difficulté. L’accord mentionne une somme de 100 milliards de dollars par an. Mais il est, vous l’avez dit, dynamique. Pouvez-vous préciser la différence entre ces 100 milliards et le Fonds vert, qui doit à la fois financer à la fois des mesures d’adaptation au changement climatique et des mesures destinées à réduire les émissions de gaz à effet de serre ? Comment s’articulent-ils ? Quelle chance avons-nous de voir ces engagements financiers se traduire concrètement ? Comment seront réparties les dépenses du Fonds vert ?
M. le président Jean-Paul Chanteguet. Nous en venons aux questions des députés.
Mme Delphine Batho. Il ne faut pas bouder notre plaisir. Il y a des jours où l’on peut s’écrier « Vive la France ! » Et je veux saluer, monsieur le ministre, cher Laurent Fabius, la façon magistrale dont vous avez conduit ce processus. Tous ceux qui ont un jour eu en charge des négociations internationales sur le climat en connaissent la complexité ; ils savent que la moindre anicroche peut tout faire échouer. Vous avez su être à l’écoute des différentes parties, tout en restant très ferme sur nos exigences, et assez directif dans le déroulement des travaux. Cela a permis ce résultat, qui n’est pas un accord au rabais – même s’il est scientifiquement insuffisant, puisque les scientifiques soulignent que bien des choses vont se jouer entre maintenant et 2020, puis entre 2020 et 2025. Vous avez évoqué le dérèglement climatique en cours de façon très lucide ; mais le sens de l’Accord de Paris, au-delà même de son caractère historique, est bien de dire que tout n’est pas perdu.
L’élan ne doit pas retomber. Comme certains de mes collègues, je voudrais revenir sur la question du prix du carbone. Le paragraphe 137 de la décision est faible, c’est vrai, alors même que la baisse du prix du pétrole entraîne une perte de rentabilité de tous les projets qui visent à lutter contre le réchauffement climatique. Mais cette situation est aussi une occasion historique d’introduire un prix du carbone sans entamer le pouvoir d’achat ni déséquilibrer nos économies.
Le Président de la République a appelé de ses vœux la création d’un groupe de pays volontaires. Comment pouvons-nous avancer concrètement sur ce front ?
Quelles leçons tirez-vous de la COP21 en matière de multilatéralisme ? Nous sommes nombreux à critiquer le processus de négociation du TAFTA (Trans Atlantic Free Trade agreement) ou TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership), à la fois parce que ces négociations marquent un abandon du multilatéralisme et parce que nous nous inquiétons de leurs conséquences sur l’environnement.
M. Yannick Favennec. Le 12 décembre dernier, les gouvernements de 195 États du monde ont conclu un accord historique pour lutter contre le réchauffement climatique. Mais cet accord n’entrera en vigueur qu’en 2020. À l’issue de la COP21, le Président de la République a proposé aux pays volontaires d’aller plus vite et de revoir leurs engagements avant cette date. Sachant que le calendrier d’application de l’accord est déjà arrêté, quelles initiatives envisagez-vous afin d’accélérer les choses, monsieur le ministre ?
Chaque pays, selon ses capacités et ses moyens, va devoir fournir régulièrement un inventaire de ses émissions de gaz à effet de serre, ainsi que des informations permettant de mesurer les progrès qu’il aura accomplis dans le cadre de son engagement national. Mais comment s’assurer que ces engagements seront respectés ? Qui s’en chargera ? Et par quels moyens vérifier la fiabilité des chiffres donnés ?
M. Joaquim Pueyo. La COP21 a indéniablement été une réussite. Elle a permis de fixer deux objectifs majeurs : d’abord, contenir l’augmentation des températures ; ensuite, allouer au climat 100 milliards de dollars par an. La volonté d’instaurer un mécanisme de révision me semble également essentielle.
Je tiens à vous féliciter, monsieur le ministre, de ces résultats qui doivent beaucoup à votre détermination et à votre engagement total.
Si ce grand progrès a été salué par tous, certains de nos compatriotes craignent qu’il ne soit remis en cause par la mise en œuvre d’accords commerciaux, notamment le traité entre les États-Unis et l’Europe dont le douzième cycle de négociations aura lieu ce mois-ci. Je sais, pour faire partie du groupe de travail chargé du suivi des négociations, que votre secrétaire d’État est très investi dans ce dossier. Par ailleurs, la commission des affaires européennes m’a confié, ainsi qu’à Hervé Gaymard, une mission d’évaluation de l’accord de libre-échange.
Au-delà des bénéfices potentiels de ce type d’accords, il me paraît essentiel de tenir aussi compte de leurs conséquences économiques, sociales et environnementales. De ce point de vue, nous devons toujours garder à l’esprit les lignes rouges tracées par l’Assemblée nationale dans deux résolutions datant l’une de mars 2013, l’autre de mai 2014.
Les craintes exprimées par les associations locales et par les citoyens ont trait aux réglementations environnementales, à l’alimentation, aux circuits courts. D’une manière générale, il importe que les intérêts environnementaux en jeu dans la COP21, les engagements et les normes qui ont résulté soient bien pris en considération lors des négociations, afin que les efforts consentis depuis plus d’un an ne soient pas compromis.
Mme Brigitte Allain. La lutte contre le réchauffement climatique suppose un vaste déploiement des énergies renouvelables. Mais elle dépend aussi en grande partie de la capacité des sols à capter le carbone, alors que le secteur agro-alimentaire contribue à 30 % aux émissions de gaz à effet de serre en France. Ainsi le ministre de l’agriculture a-t-il défendu lors de la COP21 l’idée qu’une amélioration de 4 ‰ par an des stocks de matière organique des sols suffirait à compenser l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre de la planète. Cette idée devrait encourager le Gouvernement à favoriser l’agroécologie.
J’insiste sur l’intérêt environnemental d’une telle démarche dans mon rapport qui a débouché sur la proposition de loi visant à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation, laquelle a été votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale. Notre code des marchés publics continue malheureusement d’y faire obstacle. Pourtant, ailleurs en Europe, la Vénétie a voté une loi régionale aux termes de laquelle 30 % des produits servis dans la restauration collective doivent être issus de la région et, en Allemagne, l’accord de coalition gouvernementale mentionne la relocalisation des marchés publics. Le Brésil, mais aussi de nombreux États américains, au nom du Buy American Act, introduisent 30 % de produits locaux dans la commande publique. Qu’est-ce qui nous empêche donc de faire de même en France ?
M. Guillaume Chevrollier. On ne peut que se féliciter de la COP21, qui a fixé un cap ambitieux. C’est bénéfique pour notre pays, son pays d’accueil, comme pour le monde. Car les conséquences du changement climatique sont nombreuses et multiformes, touchant la sécurité, les migrations, les équilibres géopolitiques.
Ces 187 pays qui s’engagent ou qui disent s’engager, c’est bien ; le faire, c’est mieux ! Du concret : voilà ce qu’attendent nos concitoyens – ici comme dans l’ensemble des politiques publiques, d’ailleurs. Nous, parlementaires, sommes chargés du contrôle. Pouvez-vous donc, monsieur le ministre, nous en dire plus sur le contrôle de l’action des États en la matière, ainsi que sur le contrôle par les instances internationales de ceux – entreprises ou États – qui pratiquent le greenwashing, l’écologie de façade, mettant ainsi à mal la confiance que suscite ce type de réunions internationales ?
M. Jean-Jacques Cottel. À l’issue de la COP21, nous avons ressenti une forme de fierté et un espoir – lequel doit maintenant se concrétiser. Il me semble que l’on n’a pas suffisamment insisté sur la réussite de la conférence : on parle toujours de ce qui ne va pas, pas assez de ce qui va bien.
Néanmoins, nous avons encore de mauvais exemples sous les yeux. Je songe à celui qui a été cité cet après-midi lors des questions au Gouvernement, à la suite de la diffusion hier soir à la télévision d’une émission faisant état de l’abondance de pesticides dans notre pays et en Europe. Ma région, le Nord-Pas-de-Calais-Picardie, et notamment le département du Pas-de-Calais, est très touchée par ces substances qui polluent l’air et dégradent nos sols, nos sous-sols et nos nappes phréatiques. Alors même que nous voudrions montrer la voie, cette situation est très inquiétante pour notre santé comme pour l’environnement.
Les tentatives de limiter le recours à ces pesticides se heurtent à des lobbies, notamment au niveau européen. Il faut absolument un gros effort de pédagogie et de prévention, mais aussi une réglementation et une harmonisation des règles entre pays frontaliers.
Comment trouver rapidement des solutions, sans doute contraignantes, à ce problème, pour une planète durable, et pour montrer l’exemple en France et en Europe ?
M. Yves Daniel. Le Plan d’action Lima-Paris, également appelé Agenda des solutions, avait pour but de renforcer l’action climatique entre la présidence péruvienne de la COP20, en 2014, et la présidence française de la COP21, en 2015, mais aussi au-delà de cette date.
Parmi les initiatives soutenues figure le programme d’adaptation de l’agriculture paysanne, lancé en 2012 par le Fonds international de développement agricole (FIDA) pour financer les initiatives des petits exploitants dans les domaines du climat et de l’environnement. Ce programme est indispensable : le changement climatique va poser problème aux 500 millions de petites exploitations agricoles en activité dans le monde, alors même que certaines d’entre elles, en Afrique subsaharienne et dans certaines parties de l’Asie, fournissent jusqu’à 80 % de l’alimentation.
À quel niveau la France est-elle engagée dans ce programme et quelles actions met-elle en œuvre dans ce cadre ?
M. Michel Vauzelle. Je tiens à vous remercier particulièrement, monsieur le ministre, de la victoire que la France vous doit en grande partie, dans un domaine essentiel ; il y va du renom de notre pays et de son influence dans le monde, au-delà même de l’objet de la conférence. Vous avez ainsi montré que l’on peut conduire une action forte sans cesser d’être un grand diplomate.
Vous seriez surpris que je ne vous interroge pas sur les suites de la MEDCOP qui s’est tenue à Marseille. C’est une étape importante dans la prise de conscience par les peuples du bassin méditerranéen, à un moment particulièrement violent de leur histoire, de leur communauté de destin en matière de climat. Où en est l’idée, qui avait été évoquée à Marseille et à Paris, d’une MEDCOP22 à Tanger ?
M. le président Jean-Paul Chanteguet. L’accord entrera en vigueur lorsqu’il aura été ratifié par 55 pays représentant 55 % des émissions de gaz à effet de serre. Parmi ces 55 États, comment l’Union européenne sera-t-elle prise en compte ? C’est un point que nous avons évoqué lors de la dernière réunion du comité de pilotage.
La mission de Laurence Tubiana inclut-elle le suivi de la mise en œuvre de l’Agenda des solutions ? Celui-ci représente à mes yeux un véritable basculement de la gouvernance climatique onusienne et traduit la mobilisation de la société civile, des entreprises, des filières industrielles, mais aussi des collectivités locales et des territoires.
M. le ministre. Merci à toutes et à tous de vos questions. Je vais m’efforcer de répondre à l’ensemble ; je me tiens naturellement à votre disposition pour compléter ou préciser ultérieurement mes réponses si nécessaire.
Monsieur Chanteguet, dans la comptabilité des 55 États, l’Europe représentera 28 pays plus un – l’Union européenne.
Madame Auroi, vous avez tout à fait raison d’établir un lien entre l’objet de la COP21 et la biodiversité. Il va falloir être très vigilant sur cette question. Le protocole de Nagoya, qui vise à combattre la biopiraterie, est désormais entré en vigueur. La France doit le ratifier très prochainement et le transcrire en droit national dans le cadre du projet de loi relatif à la biodiversité dont l’examen prendra fin dans quelques semaines.
M. le président Jean-Paul Chanteguet. La deuxième lecture est prévue pour la mi-mars.
M. le ministre. Tous les pays n’en sont pas là ; il faudra donc que notre engagement fasse des émules.
Vous avez également parlé de l’Inde et, comme d’autres, de ce que l’Union européenne doit et peut faire. M. Bouillon, qui connaît mes péchés mignons, a évoqué la peinture, mais c’est plutôt à la sculpture que j’ai pensé lorsqu’il s’est agi d’agréger de grands blocs, ceux que forment les grands pollueurs, pour parvenir à un accord.
D’abord la Chine, plus gros émetteur de gaz à effet de serre. Tel était le sens de la déclaration commune franco-chinoise du début du mois de novembre. Dans cette affaire, la Chine a joué un rôle décisif et positif – sans entrer dans le détail d’anecdotes que seule l’histoire retiendra lorsqu’elles auront été publiées.
Ensuite, les États-Unis. M. Saddier a regretté que l’accord ne soit pas contraignant. Mais, si le texte devait passer devant le Congrès américain dans sa composition actuelle – dominée par ceux que l’on appelle là-bas « les républicains »… –, il serait blackboulé.
Il fallait aussi agréger à l’accord l’Union européenne – qui reste toutefois, quels que soient les reproches que l’on peut lui adresser, la plus allante de tous.
Enfin, il y avait l’Inde, un grand pays émetteur de gaz à effet de serre puisque le charbon représente plus de 40 % de sa production énergétique. Quand vous en parlez avec le Premier ministre Modi, lui-même très féru de nouvelles technologies et d’énergie solaire, il vous dit : « Cher monsieur, vous avez tout à fait raison ; mais moi, j’ai 400 millions de personnes à sortir de la pauvreté, et, pour le moment, notre seule source d’énergie utilisable et bon marché, c’est le charbon ! »
À ces grands blocs que nous devions agréger et orienter vers un accord ambitieux s’ajoutaient de plus petits éléments.
On m’objecte que le texte n’est pas suffisamment engageant, qu’il y manque tel ou tel aspect ; mais n’oublions jamais qu’il fallait obtenir l’accord de tous les pays du monde ! Nous, Français, avons sans doute d’excellentes idées, et nous sommes certainement plus avancés que beaucoup ; mais, pour parvenir à un accord universel, il ne faut pas tomber dans le travers de ceux qui goûtent « cette inimitable saveur que l’on ne trouve qu’à soi-même », comme disait Paul Valéry. Lorsqu’un partenaire comme l’Inde, peuplée de 1,3 milliard d’habitants, trace une limite entre ce qui est possible et ce qui ne l’est pas, on peut espérer la déplacer un peu – c’est l’objet de la diplomatie –, mais pas obtenir un virage à 180 degrés. Voilà pourquoi on a pu dire que cet accord était le meilleur possible ; il va au-delà de ce que nous avions imaginé, puisque le point moyen se situe dans la fourchette haute.
J’identifie les mêmes insuffisances que vous, et je pourrais en ajouter bien d’autres : je peux vous en parler puisque lorsqu’il s’est agi d’arbitrer, la dernière nuit, c’est moi qui l’ai fait. Mais, pour réussir, il fallait faire en sorte que personne n’ait à lever le doigt pour formuler une opposition.
L’Inde a elle aussi joué un rôle important et positif lors de la conférence. Vous avez d’ailleurs pu observer qu’elle a fait l’objet d’attentions particulières : c’est à Paris qu’a été lancée l’Alliance solaire internationale ; tous les participants ont reçu un livre de citations mondiales préfacé par le Président de la République et par le Premier ministre indien ; plus récemment, le Président de la République s’est rendu en Inde, et un suivi est assuré.
Quant à l’Union européenne, elle va naturellement devoir poursuivre la démarche entamée, en mettant en œuvre l’Europe de l’énergie et en assurant le suivi des engagements souscrits. Nous nous sommes engagés à réduire d’au moins 40 % nos émissions de gaz à effet de serre ; pourra-t-on aller plus loin ? Il faut en tout cas atteindre cet objectif. En outre, de nouveaux gouvernements sont apparus qui, pour parler le langage diplomatique, ne sont pas nécessairement les plus favorables à ce type d’accords ; il va falloir les entraîner pour que l’Union européenne conserve son rôle de leader.
Le président Schulz m’a aimablement invité à exposer les termes de l’accord devant l’ensemble des groupes du Parlement européen. En réponse à leurs félicitations, je leur ai dit en plaisantant que je reviendrais le lendemain, non seulement parce que c’était très agréable à entendre – et, d’après ce que j’ai compris, peu habituel – mais parce que les gouvernements, la Commission et le Parlement vont devoir avancer ensemble pour faire vivre cet accord. Car, je le répète, c’est l’Europe qui exerce sur les autres un effet d’entraînement.
J’en viens au prix du carbone. Il s’agit, nous en sommes tous convaincus, d’un point essentiel. Il n’est pourtant mentionné, je l’ai dit, que dans une petite ligne du paragraphe 137 de la décision, une ligne que je me suis battu pour faire ajouter. Pourquoi ? Voyons les choses en face. Certains gouvernements sont très favorables à la tarification du carbone, d’autres y sont extrêmement hostiles parce qu’elle renchérirait considérablement leur production et leur consommation de charbon. Cette mention est donc très brève, mais elle a le mérite d’exister.
Il était tout à fait illusoire de penser que l’on pourrait, dans un tel accord, fixer les termes mêmes de la tarification du carbone. D’abord parce que beaucoup de mécanismes différents sont possibles. À mon sens, le meilleur consiste à fixer une borne minimale et une borne maximale ; mais leur niveau est variable.
En 2017, la Chine – excusez du peu ! – va adopter une tarification nationale du carbone en vue de laquelle différentes valeurs sont actuellement expérimentées dans les régions. Le nouveau gouvernement du Canada a également décidé d’adopter un prix national du carbone. J’espère que l’Europe, laquelle s’est dotée d’un mécanisme qui n’a pas parfaitement fonctionné – pour des raisons sur lesquelles je n’ai pas le temps de revenir –, va aller dans le même sens. Voilà trois grandes zones qui disposeront de mécanismes différents dans leur principe et dans leur échelle. Notre amie Ségolène Royal a récemment fixé des montants. La démarche devra être généralisée, non seulement par décision gouvernementale, mais aussi – c’est le sens de l’alliance pour la tarification du carbone à laquelle le Président de la République a fait allusion – parce qu’elle sera popularisée dans les entreprises : c’est d’elles aussi que doit venir la pression en ce sens.
Comme vous, je considère que le prix du carbone est l’un des instruments les plus puissants dont nous disposions. Le mécanisme actuel est absurde : quand vous polluez, on vous donne des subventions et quand vous ne polluez pas, on vous taxe ! En France, nous essayons de modifier peu à peu la situation, par exemple en évitant de favoriser les énergies fossiles. Il faut avoir les chiffres en tête : ce sont 100 milliards de dollars par an que nous devons trouver ; actuellement, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les subventions aux énergies fossiles représentent chaque année 500 à 650 milliards. On pourrait croire qu’il suffirait de les leur retirer – ce serait meilleur pour le climat et la santé – pour en attribuer une partie au financement des politiques climatiques des pays en développement. Évidemment, ce n’est pas ainsi que cela se passe, car il n’existe aucune autorité universelle qui puisse donner des ordres au président américain ou au Premier ministre indien. Mais le bon sens, le souci de l’efficacité économique, de l’efficacité climatique, de la survie de l’humanité plaident pour une généralisation de la tarification du carbone. L’Europe et la France doivent y contribuer.
Pourquoi sommes-nous parvenus à obtenir un accord ? J’ai pu dire qu’il valait parfois mieux ne pas comprendre pourquoi on remportait un succès, plutôt que déployer des trésors d’intelligence pour expliquer un échec. Mais c’était une plaisanterie. En réalité, nous avons bénéficié de ce que j’ai coutume d’appeler un alignement favorable des planètes.
La première de ces planètes, c’est la nôtre : l’aggravation du dérèglement climatique a fait comprendre à tout le monde la nécessité d’agir. Plus les choses vont mal, plus les gouvernements et les peuples sont prêts à bouger. Or les choses vont mal : 2015 est l’année la plus chaude jamais enregistrée, et même si certains en Normandie pourraient se réjouir que cette belle région, dont je suis moi-même originaire, soit appelée à devenir une nouvelle Côte d’Azur et à produire du vin, on comprend assez vite qu’il ne s’agit pas d’un réchauffement, mais d’un dérèglement climatique qui peut absolument tout bouleverser.
La deuxième planète est la planète scientifique. À cet égard, les travaux du GIEC ont eu un effet considérable. Il y a seulement cinq ans, la première moitié d’une réunion comme celle-ci aurait été consacrée à la question de savoir si le phénomène était ou non une réalité, et la seconde à se demander si, dans l’affirmative, il était dû à l’homme. Aujourd’hui, ce débat est clos, sauf aux États-Unis – et çà ou là ailleurs. Car les scientifiques ont apporté, avec une grande précaution et une mesure dont témoignent les rapports du GIEC, la preuve irréfutable du phénomène et de la nécessité d’agir pour éviter une catastrophe absolue.
La troisième planète est sociétale : elle se compose des entreprises – dont beaucoup ont commencé à comprendre que l’on irait à la catastrophe si elles ne faisaient rien –, des organisations non gouvernementales (ONG), qui ont fait œuvre utile, de la société civile.
S’y ajoute la planète politico-diplomatique. La Chine a bougé. Il suffit d’aller à Pékin pour comprendre pourquoi : il n’est pas rare que les normes de pollution de l’air – qui, certes, ne mesurent pas les seules émissions de gaz à effet de serre – soient dix à quinze fois supérieures au maximum autorisé en France. À Paris, la circulation alternée est mise en œuvre lorsque la concentration de particules fines atteint 50 microgrammes par mètre cube ; celle-ci atteignait 450 lorsque j’étais à Pékin, et 600 lors de notre dernier déplacement en Inde ! Les gouvernements, qui sont installés dans les capitales, et les populations ne l’acceptent pas. Voilà pourquoi les Chinois, mais aussi les Américains et les Indiens, ont évolué. En outre, un travail diplomatique qui n’est pas de notre seul fait – les Allemands nous ont beaucoup aidés, comme bien d’autres – a visé à convaincre les pays réticents ou peu sensibles à ces problèmes.
C’est l’alignement de toutes ces planètes qui a permis le succès. Et la vie est ainsi faite que de petites décisions ont eu de grandes conséquences. Si Copenhague a échoué, c’est notamment parce qu’il était prévu que les leaders arriveraient à la fin et régleraient le problème. En réalité, ils sont venus, ils se sont enfermés deux jours ou deux nuits dans une salle et ils n’ont rien réglé du tout : c’était impossible, c’était trop compliqué. Ici, on a procédé à l’inverse. C’est une décision que j’ai proposée au Président de la République de prendre – c’est lui qui l’a prise, lui qui l’aurait assumée, pour l’essentiel, si elle n’avait pas donné des résultats satisfaisants. On a donc invité les chefs d’État et de gouvernement dès le début ; ces 154 personnes sont venues et ont dit en substance devant les ministres et les négociateurs : « Mesdames et messieurs, il faut conclure ! » Ce que j’ai pu par la suite rappeler à tel ou tel ministre ou négociateur qui m’adressait une objection sur tel ou tel passage. Nous ne pouvions le prévoir aussi précisément lorsque nous l’avons prise, mais cette petite décision a donc eu un effet considérable : l’impulsion politique était donnée.
Cela montre que, dans certaines circonstances, le multilatéralisme peut produire de grands résultats. Du reste, s’agissant de l’environnement, il eût été impossible de procéder autrement : les douaniers n’arrêtent pas la pollution, contrairement à ce que l’on a pu dire dans les années quatre-vingt ! Il faut donc un accord universel. Et comme on ne peut pas envoyer un gendarme pour arrêter un chef d’État qui n’aurait pas respecté les consignes universelles, il faut un engagement volontaire. L’année dernière, on a débattu, d’ailleurs brièvement, de la question de savoir si le système choisi était bon. Mais il n’y en avait pas d’autre !
En 2015, outre le dossier climatique qui attendait d’être bouclé depuis trente ans, on a conclu l’accord sur le nucléaire iranien, au bout de quinze ans – selon un autre format, le format « cinq plus un ». Nous avons donc eu deux occasions exceptionnelles, historiques, de mesurer combien le multilatéralisme peut être efficace, à certaines conditions – qu’il appartient à la diplomatie de favoriser.
J’ai été interrogé de manière récurrente sur l’application du texte. Il n’est pas question, je le répète, d’envoyer un gendarme pour obliger les dirigeants à respecter les accords qu’ils ont signés. Assurément, signer un engagement au nom d’un pays, ce n’est pas rien. Mais quels peuvent donc être les moyens de pression ou d’influence ?
D’abord, la pression des pairs. Ce qui a été conclu va être objectivé. Les gouvernements se sont engagés par le biais de leurs INDC, et ils vont les revoir. Je suis de ceux qui considèrent que les engagements souscrits au niveau international ne sont pas des chiffons de papier.
Ensuite, j’en suis convaincu, les populations elles-mêmes vont jouer un rôle croissant, ainsi que les organisations gouvernementales et non gouvernementales.
Troisièmement, de nouveaux moyens technologiques vont apparaître. Je n’ai pas mis cet aspect en avant lors de la COP, mais je sais que, d’ici deux ans, des satellites permettront de repérer précisément les émissions de gaz à effet de serre au-dessus de tel ou tel territoire. Personne ne pourra donc mentir sur ses émissions. Peut-être y aura-t-il des controverses sur leur origine ; mais la science, comme souvent, aura son mot à dire. En outre, nous allons assister à d’importants progrès technologiques. C’est l’un des éléments clés de l’évolution de la question climatique et des conditions économiques. Le prix du solaire et d’autres énergies renouvelables a déjà beaucoup baissé ; le coût agrégé du charbon, compte tenu des effets environnementaux, est aujourd’hui bien plus élevé.
Tout cela va devoir être codifié. Je l’ai dit, il va falloir travailler à la transparence – au reporting. Ce sont ces éléments qui pourront convaincre, et non je ne sais quelle sanction, qu’au demeurant les pays n’accepteraient pas : ils n’ont rien signé en ce sens.
Qu’est-ce qui pourrait remettre l’accord en cause ? D’abord, des décisions politiques. De ce point de vue, l’élection américaine est décisive. Sans me mêler de ce qui ne me regarde pas, j’ai entendu, à l’occasion de la campagne pour les primaires, certains candidats, non dépourvus de chances, nier la réalité du dérèglement climatique. Voilà pourquoi le président Obama – qui est, lui, très engagé à ce sujet – a obtenu que l’accord soit juridiquement contraignant s’agissant de toute une série de dispositions, mais qu’il ne soit pas obligatoirement soumis au Congrès.
D’où la fameuse discussion, dont vous avez peut-être eu connaissance par la presse, sur shall et should. À la fin de la conférence, après plusieurs nuits blanches, il y a eu une erreur matérielle, comme cela peut arriver dans un texte aussi long : au lieu d’employer le mot should – « devrait » –, le secrétariat a écrit shall, ce qui renvoie à une obligation de résultat et non de moyens. Et c’est cette version qui a été présentée. Voyant cela, les Américains ont fait valoir auprès de moi que le shall impliquait un passage devant le Congrès – passage dont on connaissait d’avance l’issue. J’ai interrogé le secrétariat, qui m’a dit : « Monsieur le président, c’est une erreur de plume » – ce qui était d’autant plus crédible que le should figurait bien dans les deux versions précédentes : il n’y avait aucun débat sur ce point. Mais la délégation des 77 – ainsi appelée parce qu’ils sont 134… – est venue me dire qu’elle ne pouvait accepter que l’on revienne sur shall. Vous vous souvenez qu’il y a eu quelques moments de battement à la fin de la conférence : ce n’était pas pour rien. J’ai déclaré aux responsables du groupe des 77 : « Écoutez, nous avons agi pour le moment en toute transparence, nous nous sommes fait confiance » – comme l’a dit Mme Batho, c’est le principe auquel nous nous étions conformés depuis le début ; « je vous assure, et j’en prends la responsabilité, qu’il ne s’agit absolument pas d’une manœuvre, mais d’une simple erreur de plume qui peut être corrigée en tant que telle » – sans quoi il aurait fallu recourir à un autre mécanisme. Fort heureusement, ils ont accepté cette modification. Et le Premier ministre des Îles Marshall, ayant suivi la négociation et voyant qu’elle se terminait bien, a proposé de débaptiser son État pour le rebaptiser Marshould ! (Rires.)
Abstraction faite de ces traits d’humour qui agrémentent une discussion parfois austère, on comprend bien l’enjeu. Le texte est contraignant sur certains points, non sur d’autres ; en outre, il fallait parvenir à un accord universel qui soit en même temps de haut niveau.
Monsieur Chassaigne, s’agissant des 100 milliards et du Fonds vert, il convient d’éviter une confusion à laquelle même les spécialistes n’échappent pas toujours. Premièrement, le montant minimal de 100 milliards de dollars par an en 2020 correspond à la fois aux contributions publiques, au sens budgétaire, aux contributions publiques au sens des banques multilatérales et aux contributions privées. Il ne s’agit pas de 100 milliards de contributions publiques budgétaires. Deuxièmement, au sein des contributions publiques budgétaires, le Fonds vert ne représente qu’une partie. Il est aujourd’hui doté de 10 milliards de dollars, dont un milliard vient de la France. On peut souhaiter, et nous le souhaitons, que ces sommes augmentent petit à petit. Mais il n’a jamais été décidé que les 100 milliards iraient au Fonds vert. On entend parfois des raccourcis qui ne correspondent absolument pas au texte.
Le conseil d’administration du Fonds vert a décidé que 50 % des sommes allouées seraient consacrées à l’adaptation et 50 % à l’atténuation, et qu’une part très importante irait aux petites îles et aux territoires en difficulté. Il a pris ses huit premières décisions et il va poursuivre sur cette voie. Mais soyons réalistes : pour le moment, le Fonds ne représente qu’une partie du financement total.
Le désinvestissement mentionné par M. Baupin est une affaire très importante. Il faut que les fonds publics soient alimentés, et la somme minimale de 100 milliards par an en 2020 sera réévaluée – à la hausse – avant 2025. Mais gardons-nous d’une erreur qui pourrait être motivée par l’idéologie : même si le volet public est décisif, l’essentiel doit venir d’une réorientation du financement privé. Les entreprises doivent absolument comprendre qu’elles doivent investir de moins en moins dans les énergies fossiles et de plus en plus dans les autres. Elles commencent d’ailleurs à le faire. Le fonds souverain norvégien, le plus important du monde, donne désormais l’instruction de se désinvestir des actions liées aux fossiles ; ce choix a une influence considérable. L’agence de notation Standard & Poor’s, qui n’est pas connue pour sa philanthropie, dégrade maintenant les entreprises ou les États exposés à ce qu’elle appelle un risque climatique, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas entrepris de se réorienter vers le renouvelable : c’est essentiel. Il faut encourager cette tendance. Car ce ne sont pas 100 ou 500 milliards de dollars qui sont en jeu, mais des milliers de milliards ! Et c’est ici que le prix du carbone intervient. Le gouverneur de la Banque centrale d’Angleterre, très versé dans ces matières, a estimé que la prochaine bulle financière pourrait venir du secteur des énergies fossiles si l’on constate que les investissements dont celui-ci a bénéficié ne sont pas appelés à prospérer, pour les raisons que l’on sait.
C’est ce changement qu’il faut favoriser dans le public comme dans le privé. La France doit montrer l’exemple ; elle l’a notamment fait en cessant de financer les centrales à charbon. L’Europe embraye, et les autres doivent faire de même.
S’agissant du traité transatlantique, dont j’ai confié le suivi à notre ami Matthias Fekl, il ne faut pas s’emballer. J’ai dit dès le début que l’on jugerait sur pièces. Mais, à ce jour, il n’y a pas d’accord. En ce qui concerne les marchés publics – c’est un autre sujet –, les Américains n’ont pour l’instant pas accepté d’ouvrir ceux des régions. Quant aux préférences collectives, nous ne sommes pas du tout au niveau où nous devrions être dans la négociation. Soyons clairs : si cela devait continuer ainsi, il n’y aurait pas d’accord. Bien entendu, lorsque nous regarderons les choses de plus près, nous examinerons l’aspect environnemental : on ne saurait prendre à la fois des décisions mondiales favorables à l’environnement et des décisions intercontinentales contraires.
L’initiative « 4 pour 1 000 » est très importante.
En ce qui concerne le contrôle, il sera exercé par l’intermédiaire de la pression internationale, par les parlements – vous avez évidemment un rôle à jouer, notamment au sein de l’UIP –, par les opinions publiques, par les scientifiques.
Mme Tubiana assurera notamment le suivi de la mise en œuvre de l’Agenda des solutions, car cela fait partie du rôle des champions et championnes, mais l’ensemble du Gouvernement y sera évidemment associé lui aussi.
L’organisation de la MEDCOP22 est inscrite à l’ordre du jour de la ministre marocaine de l’environnement. J’espère que sa charge actuelle de travail ne sera pas un obstacle, car c’est une très bonne initiative.
J’en viens au plan d’accès à l’électricité et à la lumière. L’initiative africaine est essentielle. Il s’agit d’un projet qui, sans coûter très cher ni être très compliqué, peut vraiment changer la vie dans de nombreux pays, tout en étant très bon pour nous : il est souhaitable à tous égards. C’est la Banque africaine de développement – dont le président est un homme très compétent – qui sera au cœur du mécanisme : elle regroupera les financements disponibles, venus de France ou d’ailleurs ; puis, en liaison avec les Égyptiens qui en étaient chargés jusqu’à présent avec elle, elle va faire concrètement le tour des initiatives, de manière à ce que, dès la fin de cette année, une série de pays puisse déjà utiliser l’énergie différemment. J’ai plusieurs exemples en tête : le Bénin et le Sénégal ont commencé, des projets sont en cours au Congo. Pour le Gouvernement français, pour la présidence française de la COP, il s’agit d’une priorité absolue. J’ai demandé en particulier à Mme Tubiana de suivre la mise en œuvre du plan ; mais je ne doute pas que l’ensemble du Gouvernement aura à cœur de le faire. Nous pouvons assurément espérer un grand succès.
Quant à la taxe sur les transactions financières, c’est en décembre qu’elle a été évoquée pour la dernière fois au Conseil ECOFIN ; un accord a été trouvé sur l’assiette, mais pas encore sur le taux ni sur un objectif financier précis. Le rendez-vous final est fixé au mois de juin 2016. Les ONG ont critiqué le fait que nous ne serions pas assez engagés ; la France est de bonne volonté, mais elle doit entraîner les pays concernés – tous ne le sont pas.
J’aimerais enfin dissiper une confusion. L’un de vous a estimé que le texte issu de la COP n’était pas contraignant, au motif qu’il ne permettait aucune demande d’indemnisation des préjudices. Il s’agit d’une affaire assez technique qui a trait aux pertes et préjudices (loss and damage). Jusqu’à présent, ceux-ci n’étaient pas reconnus, notamment en raison de l’opposition des Américains, alors que beaucoup de pays pauvres le demandaient. Nous avons obtenu qu’elles figurent dans le relevé de décisions de la COP – c’est le contexte de l’article 52. Mais les Américains ont refusé que les pertes et préjudices entraînent automatiquement la possibilité, pour un pays touché par le dérèglement climatique, de demander sur ce fondement des dommages et intérêts aux pays pollueurs. Cela a été accepté. Voilà pourquoi, si l’article 8 de l’Accord admet l’idée de pertes et préjudices, l’article 52 de la décision précise que cet article ne peut servir de fondement à des demandes d’indemnisation.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Merci infiniment, monsieur le ministre. On voit que l’application de l’Accord de Paris est en d’excellentes mains, celles de celui qui l’a négocié !
M. le ministre. En tout cas, nous serons vigilants.
——fpfp——
Membres présents ou excusés
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire
Réunion du mercredi 3 février 2016 à 16 h 30
Présents. - M. Christophe Bouillon, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. Alain Chrétien, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Françoise Dubois, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Alain Leboeuf, M. Michel Lesage, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Rémi Pauvros, M. Martial Saddier, M. Jean-Marie Sermier, Mme Suzanne Tallard
Excusés. - M. Yves Albarello, M. Julien Aubert, Mme Chantal Berthelot, Mme Sabine Buis, Mme Florence Delaunay, M. Napole Polutélé, M. Gilbert Sauvan, M. Gabriel Serville