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Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire
La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a organisé une table ronde sur l’orpaillage illégal en Guyane, avec la participation : de Mme Bérengère Blin, directrice adjointe du Parc Amazonien de Guyane ; de Mme Anne Saunier, représentante du collectif les Hurleurs de Guyane ; de M. Chimili Boussoussa, Capitaine Aluku de Papaïchton-Pompidou, représentant de l’autorité coutumière de Papaïchton au conseil d'administration du parc, vice-président de l’association des autorités coutumières de la Communauté Aluku et du Colonel Patrick Valentini, commandant en second de la gendarmerie outre-mer.
M. le président Jean-Paul Chanteguet. Mes chers collègues, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a été sensibilisée aux conséquences de l’orpaillage illégal en Guyane à la suite d’une mission sur le développement durable en Guyane effectuée par plusieurs parlementaires en décembre 2012. Je voudrais rappeler les conclusions que notre commission avait avancées : d’une part, les opérations illégales, conduites par quelque 15 000 mineurs clandestins – les garimpeiros – venus des États limitrophes permettent de produire 9 tonnes d’or par an ; d’autre part, ce pillage des ressources a de graves conséquences écologiques : déforestation sauvage, pollution des sites, dispersion du mercure dans les cours d’eau et les nappes ; enfin, l’opération HARPIE, qui mobilise plus d’un millier de soldats et de gendarmes, a certes permis de nombreuses saisies et arrestations, mais se heurte à de nombreuses difficultés tenant autant au cadre juridique qu’au milieu géographique.
À la suite de la demande de Mme Chantal Berthelot, députée de Guyane, j’ai proposé l’organisation d’une table ronde sur cette question afin d’évoquer avec les acteurs de terrain les conséquences économiques, sociales, environnementales et sécuritaires de l’exploitation aurifère illégale.
J’ai le plaisir d’accueillir, au nom de la commission, Mme Bérengère Blin, directrice adjointe du Parc amazonien de Guyane, Mme Anne Saunier, représentante du collectif les Hurleurs de Guyane, M. Chimili Boussoussa, Capitaine Aluku de Papaïchton-Pompidou, représentant de l’autorité coutumière de Papaïchton au conseil d’administration du Parc, vice-président de l’association des autorités coutumières de la Communauté Aluku, et le colonel Patrick Valentini, commandant en second de la gendarmerie outre-mer, qui a vocation à prendre le commandement de la gendarmerie de Guyane l’été prochain, en remplacement du général Lambert Lucas.
Mme Bérengère Blin, directrice adjointe du Parc amazonien de Guyane. Je vais vous présenter la problématique de l’orpaillage illégal sur les territoires du Parc amazonien de Guyane.
À l’heure actuelle, l’orpaillage illégal est le principal impact social et environnemental sur ces territoires. En ce sens, il concerne pleinement les missions du Parc amazonien de Guyane définies par le code de l’environnement depuis 2007, à savoir contribuer au développement des communautés d’habitants qui tirent traditionnellement leurs moyens de subsistance de la forêt et des fleuves.
Le contexte est hors normes. Dans ce département, dont la superficie est équivalente à celle du Portugal, les liaisons sont extrêmement longues, puisque certains bourgs ne sont accessibles qu’après plusieurs jours de pirogue, ou d’avion puis de pirogue. Ce territoire est très riche en biodiversité et en paysages. Il est riche d’une culture, d’une histoire et de modes de vie originaux encore fortement inféodés au milieu naturel. Il est marqué par un fort multiculturalisme et des dynamiques démographiques et migratoires. Autre caractéristique importante : il partage plusieurs centaines de kilomètres de frontières avec le Brésil et le Suriname, notamment avec les deux fleuves que sont l’Oyapock et le Maroni.
Les modes de vie en Guyane sont encore intimement liés à la forêt et au fleuve.
En 1990, un protocole de suivi des impacts cumulés de l’activité aurifère illégale a été mis en place, notamment par l’Office national des forêts (ONF). Le premier impact était la déforestation, ce qui rendait, au début du moins, le suivi relativement aisé.
Les surfaces impactées étaient très faibles avant les années 1990, date à laquelle ont été créées les premières réserves nationales. L’occupation s’est alors fortement étendue pour s’accélérer en 2004 jusqu’à aujourd’hui. En 2007, le Parc amazonien a été créé et, en 2008, l’opération HARPIE a été mise en place sous contrôle du préfet et du procureur.
Les dynamiques varient, selon les années, en fonction du cours de l’or et des opérations de lutte. Par contre, l’activité est toujours localisée dans les mêmes secteurs, qui correspondent logiquement aux grands secteurs filoniens. Après la densification à partir de 2004, l’impact perdure malheureusement : les filons sont identifiés, il y a des phénomènes de « repasse » – les garimpeiros reviennent dès qu’un site a été exploité – et les modes d’exploitation, de vie et d’organisation des garimpeiros en forêt s’adaptent : ils disposent désormais de très bons systèmes de communication pour informer sur les opérations à venir.
Le principal problème tient au fait que l’orpaillage illégal touche un territoire qui est occupé, même s’il est isolé. La carte de droite montre les territoires où vit la population guyanaise et qu’elle occupe pour la chasse, la pêche, les loisirs, l’abattis. Ces zones recèlent un potentiel touristique et scientifique très riche. De ce fait, il se crée des conflits d’usage entre les secteurs en rouge et les secteurs en jaune, sachant que l’orpaillage illégal entraîne une pollution des cours d’eau, une insécurité, des effets néfastes pour la santé et une raréfaction de la ressource.
L’Inini, affluent principal du Maroni, est très pollué par les matières en suspension générées par l’exploitation aurifère en amont.
Au sein du parc, vaste de 2 millions d’hectares, 80 agents seulement sont affectés, ce qui vous laisse imaginer la difficulté de leur tâche face à une exploitation dans les cours d’eau et sur la roche.
Lors des opérations de renseignement, les garimpeiros n’hésitent pas à jeter leur moteur dans la « crique » en entendant les hélicoptères arriver ; autrement dit, ils cachent le matériel.
Les barges d’exploitation servent à pomper la terre pour l’exploiter puis la relarguer.
La rivière Camopi est le lieu de vie de nombreux habitants, mais aussi leur lieu de pêche, d’abattis, etc., où la pollution, bien visible sur la photo, entraîne une raréfaction des ressources. Sur l’autre rive de l’Oyapock, côté brésilien, se trouvent des commerces chinois qui vendent tout et n’importe quoi pour orpailleur, et des installations de garimpeiros qui leur permettent de surveiller les mouvements des forces de l’ordre et d’être réactifs quand celles-ci repartent – d’où un enjeu de tenue de terrain.
En termes d’analyse et de perspectives, il existe un dispositif de lutte contre l’orpaillage illégal. Ce dispositif est nécessaire, mais il atteint ses limites compte tenu de l’adaptation des garimpeiros aux modes de lutte. Dans ce contexte, on peut distinguer deux pistes principales.
Premièrement, des dispositifs d’amélioration.
Il faut travailler, et nous l’avons déjà fait, avec les forces de l’ordre, à l’élaboration de dispositions qui permettent notamment aux agents du Parc amazonien de Guyane d’intervenir sur des saisies/destructions de matériels utilisés pour l’orpaillage illégal.
Il convient également de centrer la lutte sur des territoires prioritaires comme les bassins de vie, où les fleuves ont un impact sur le mode de vie des populations.
Il faut, en outre, renforcer la coopération transfrontalière policière et judiciaire. L’accord de coopération entre le Brésil et la France, ratifié par le Brésil en décembre 2013, prévoit de réelles mesures policières et judiciaires, mais, si la France a mis en place un certain nombre de mesures concrètes, c’est moins évident côté brésilien. La coopération doit également inclure le Suriname.
Deuxièmement, des dispositifs d’exception.
D’abord, il faudrait étendre au sein des personnels de la gendarmerie les compétences saisies-destructions. En effet, un des facteurs limitants actuellement est la disponibilité des officiers de police judiciaire ; les agents du Parc le sont dans la limite de leurs compétences sur certains secteurs, mais ils sont très peu nombreux. L’élargissement de ces compétences à certains personnels de la gendarmerie permettrait de multiplier par deux ou trois la capacité d’action judiciaire pour saisir et détruire le matériel.
Ensuite, certaines infractions mériteraient d’être requalifiées, comme la complicité d’orpaillage illégal qui reste pour l’instant une infraction secondaire : tant que le responsable de l’orpaillage illégal n’est pas appréhendé, les choses sont difficiles.
Enfin, il faudrait faire en sorte que le retour des garimpeiros au Brésil soit assorti de sanctions. Pour l’heure, les garimpeiros appréhendés rentrent au Brésil, mais repartent immédiatement côté Guyane, car aucun dispositif de coopération judiciaire ne permet de les sanctionner dans leur propre pays.
Mme Anne Saunier, représentante du collectif les Hurleurs de Guyane. Les Hurleurs de Guyane vous remercient de leur offrir une tribune pour témoigner sur ce dramatique problème, l’orpaillage illégal, qui gangrène notre territoire. Madame la députée de la deuxième circonscription de Guyane, Chantal Berthelot, nous vous remercions de votre écoute et de votre disponibilité, ainsi pour votre soutien et votre engagement de longue date sur le sujet.
Ma famille s’est installée en Guyane en 1979. Après avoir créé en 2010 une association de protection de l’environnement citoyenne, Mo Péyi Prop’, je suis devenue en 2013 cofondatrice du collectif citoyen Les Hurleurs de Guyane. Depuis mars 2014, je suis conseillère municipale de Kourou et vice-présidente de la communauté de communes des Savanes, en charge de l’environnement, du développement durable et des déchets.
Les fondateurs du collectif Les Hurleurs de Guyane ont lancé leur premier appel au rassemblement citoyen, le 20 novembre 2013, après avoir été informés de la venue en Guyane du Président Hollande en décembre de la même année. À cette date, on dénombrait plus de 400 sites d’orpaillage illégal sur l’ensemble du territoire. Le 13 décembre 2013, à l’appel des Hurleurs de Guyane, plus de 1 000 personnes se sont rassemblées place des Palmistes à Cayenne pour hurler leur désaccord et leur crainte face à cette tragédie à laquelle nous assistons impuissants. Nous comptons aujourd’hui près de 4 500 sympathisants, plus de 40 associations, entreprises et partis politiques guyanais, tous réunis autour d’une charte précisant le cadre et les objectifs de notre mouvement : un collectif citoyen, non violent, apolitique, qui demande la restauration de l’État de droit et l’éradication de l’orpaillage illégal en Guyane.
Ce fléau, qui sévit depuis vingt-cinq ans et a connu une forte explosion au début des années 2000, est extrêmement perturbant, non seulement pour la société, mais aussi pour l’environnement, sans compter qu’il soulève de sérieuses inquiétudes en matière de santé publique et même pour la paix sociale.
En plus d’être responsable d’une fuite massive de capitaux et du pillage en règle de toutes les ressources, ce phénomène apporte en effet avec lui son lot de conséquences dramatiques : déforestation, destruction des biotopes, abus de la chasse, de la pêche et de la cueillette, pillage des cultures vivrières, mise en danger des populations vivant dans ces territoires. Au-delà de la pollution des cours d’eau, l’orpaillage illégal génère des pollutions diverses liées à l’activité anthropique : destruction de la biodiversité, pollution et lessivage des sols, libération du mercure naturel, usage illégal du mercure pour l’amalgame de l’or, bio-accumulation de ce même mercure dans les chaînes trophiques, ce qui pose de sérieux problèmes de santé publique.
L’orpaillage illégal engendre une société violente, avec des garimpeiros déracinés, souvent démunis, parfois esclaves. Il est générateur d’épidémies, de déscolarisation, de prostitution, de contrebandes, de mafias agressives en tout genre, qui engendrent des fous furieux comme Manoelzinho qui n’hésita pas à ouvrir le feu, tuant deux militaires à Dorlin en 2012 lors d’une mission des forces armées. La légende de l’or qui rend fou n’en est plus une chez nous…
À l’époque de la visite de François Hollande, il était permis de fonder de grands espoirs sur les moyens à venir pour éradiquer ce fléau, car le Président de la République avait indiqué à sa descente d’avion le 13 décembre 2013 : « Nous irons jusqu’au bout de ce combat ». Ce même jour, nous avions obtenu une audience avec un conseiller du Président, à qui nous avions remis un mémo sur le sujet et demandé des renforts et un soutien financier dans cette lutte. Depuis, nous assistons aux conférences de presse organisées tous les six mois par la préfecture de Guyane qui présente un bilan de la lutte contre l’orpaillage illégal. Nul ne peut nier les nombreuses actions réalisées ces deux dernières années ainsi que les excellents résultats obtenus, malgré une situation extrêmement complexe et changeante.
Il est légitime de saluer le travail important, les efforts de coordination et les moyens mis en œuvre par l’ensemble des acteurs au service de cette lutte. Pourtant, il est très difficile pour nous de nous satisfaire de ces résultats et nous demeurons très inquiets quant à la pérennité de ces efforts. Certains indicateurs s’opposent et nous permettent de décrire le dispositif mis en place comme étant incomplet, voire insatisfaisant. Quand les informations officielles nous annoncent d’excellents résultats, voire d’excellentes nouvelles, les témoignages recueillis par le Collectif sont peu rassurants : formation d’îlots de sable dans les courbes des fleuves, modifiant leur tracé ; eaux turbides ; abattis vidés ; présence de barges sur le fleuve Maroni, les pilotes jouant avec la frontière fluviale franco-surinamienne.
Lors du dernier bilan de la lutte contre l’orpaillage illégal, Mme Milka Sommer-Simonet, membre de l’organisation des Amérindiens de Guyane et des Hurleurs de Guyane, a transmis un message des autorités coutumières des villages amérindiens du Sud Maroni et du Grand Man Amaïpoti, la haute autorité traditionnelle en pays amérindien, pour indiquer que ce fléau continue de détruire leur lieu de vie, leur santé et leurs ressources, et pour appeler une fois encore l’État français à l’aide, sans être dupes de sa capacité à tenir ses promesses.
Concernant la santé, le mercure est un neurotoxique puissant, sa forme volatile étant la plus dangereuse. Transformé en méthylmercure, il se fixe d’abord sur la flore. Puis, via la chaîne trophique, la bio-accumulation se met en place jusqu’au consommateur final, l’homme. Lorsque celui-ci n’a pour apport protéinique que du poisson, il devient impensable de s’en passer. On demande aux populations guyanaises de changer de régime alimentaire pour éviter la bio-accumulation du mercure. Mais pour se nourrir de quoi ?
Des analyses récentes sur le mercure chez l’humain dans le sud du Maroni ont été réalisées récemment par l’association Solidarité Guyane : les résultats sont alarmants. Nous ne comprenons pas pourquoi aucune étude scientifique officiellement mandatée et indépendante n’a été réalisée afin de vérifier l’exactitude de ces résultats. Quid du principe de précaution ? Les risques sont grands de voir se développer des maladies incurables, de voir naître des enfants déficients qui deviendront des adultes dépendants. Les professionnels de santé et l’agence régionale de santé mènent des actions de sensibilisation et de suivi des femmes enceintes et des jeunes enfants, mais nous n’avons aucun moyen de connaître les conclusions de leurs analyses. La Protection maternelle et infantile ne souhaite pas publier les résultats, arguant qu’il s’agit d’études personnelles et donc confidentielles. Pourquoi aucune étude épidémiologique n’a-t-elle été menée depuis dix ans, la dernière sur le mercure datant de 2005 ? Dans ces conditions, comment pouvons-nous prendre la mesure de l’impact sur la santé des peuples vivant dans les zones touchées ? Nous ne comprenons pas pourquoi tant de mystère et tant d’opacité.
Concernant les sites, le dernier bilan officiel recense 204 sites actifs, mais ne pointe aucune évolution dans le Parc amazonien de Guyane. Tous les acteurs concernés ont pourtant reconnu que plus de la moitié, soit environ 100 camps d’orpaillage illégal, se trouvent au sein même du Parc amazonien de Guyane – plus grand parc national français et européen. Quelle crédibilité pour cet outil de préservation de l’environnement s’il demeure gangrené par un tel fléau ?
Nous nous inquiétons aussi des moyens matériels dont disposent les forces armées engagées dans la lutte contre l’orpaillage illégal pour continuer à fermer les sites illégaux, maintenir la pression sur les sites fermés et les occuper pour certains. Nos militaires ont d’autant intérêt à rester en alerte que la cible est organisée et changeante. Or les témoignages nous informent que les sorties de terrain, en plus d’être dangereuses, sont longues et difficiles, et que les effectifs sont insuffisants pour permettre un repos correct des hommes au retour des missions. Qu’en est-il alors de la pérennité de ces missions et de ces avancées ? L’état d’urgence décrété par la France sera-t-il un levier pour renforcer les moyens en Guyane ?
Compte tenu de tous ces éléments intentionnellement généralistes, je me permets à présent d’appeler votre attention sur la nécessité de lever le flou sur l’efficience des dispositifs mis en place et sur la volonté de l’État d’endiguer cette menace. Car enfin, cette menace dure depuis plus de vingt-cinq ans et, plus de deux ans après l’engagement du Président Hollande, les Hurleurs de Guyane existent toujours – notre mouvement sera dissous lorsque l’orpaillage illégal aura été éradiqué. Afin de lever certaines opacités et mettre un terme aux dissonances entre, d’une part, les données factuelles, mais invérifiables, des bilans officiels, et, d’autre part, les constats et le ressenti des populations locales, en particulier les Amérindiens et les Bushinengués, le collectif citoyen des Hurleurs de Guyane demande la mise en place d’une mission d’information parlementaire, indépendante du ministère de la défense, chargée d’évaluer l’efficacité des efforts de lutte contre l’orpaillage illégal et la pertinence des moyens mis en œuvre en termes quantitatifs, mais aussi et surtout en termes qualitatifs.
M. Chimili Boussoussa, Capitaine Aluku de Papaïchton-Pompidou, représentant de l’autorité coutumière de Papaïchton au conseil d’administration du Parc, vice-président de l’association des autorités coutumières de la Communauté Aluku.
(Les propos de M. Chimili Boussoussa font l’objet d’une traduction simultanée.)
Je vous remercie d’avoir organisé cette réunion, qui est très importante pour nous.
L’orpaillage illégal sur notre territoire est à l’origine de graves dérèglements et de sérieux problèmes pour les communautés vivant sur le Maroni. Malgré les efforts déployés par l’État, cette activité perdure et nous ne pouvons plus promener les touristes dans la forêt comme auparavant. Nous demandons donc un soutien plus fort de l’État français.
Les méthodes des orpailleurs illégaux modifient leur façon de faire : ils utilisent de plus en plus des petites pompes afin d’être en mesure de partir rapidement lorsque les forces de l’ordre arrivent sur les lieux.
Il est difficile d’éradiquer ce phénomène car les orpailleurs sont partout. La seule solution à ce problème est de chasser ces hommes de nos territoires.
La France et le Suriname doivent coopérer. Les chefs coutumiers Aluku se sont entretenus avec le président du Suriname, qui s’est déclaré prêt à prendre des mesures conjointes avec la France.
Colonel Patrick Valentini, commandant en second de la gendarmerie outre-mer. J’interviens avec les éléments de langage du commandement de la gendarmerie de Guyane, que je prendrai à l’été.
Nous sommes totalement d’accord sur les enjeux. D’abord, cette mission revêt un caractère dimensionnant pour les acteurs étatiques et pour la gendarmerie en particulier, en termes d’effectifs, de moyens logistiques, de formations, mais aussi de sécurité. Après l’opération à Dorlin, nous avons dû déplorer deux blessés graves, dont l’un restera en chaise roulante pour le restant de ses jours. Ensuite, cette mission est très « identifiante » pour le COMGEND de Guyane et pour la gendarmerie : d’une part, nous menions des actions de lutte contre l’orpaillage illégal avant l’opération HARPIE – c’étaient les opérations Anaconda ; d’autre part, même nos unités qui n’y sont pas dédiées y participent, puisque toute la gendarmerie mobile passe à tour de rôle dans ces missions. Le nom de Papaïchton est connu dans toute la gendarmerie française, y compris en Polynésie française où j’ai été commandant…
La lutte contre l’orpaillage illégal comprend des leviers d’action de plusieurs ordres : préventif, diplomatique, économique et répressif.
L’opération HARPIE, mise en place en 2008 et qui a regroupé un nombre d’acteurs plus large, ne constitue que le volet répressif. Il s’agit d’une mission de police administrative, souvent de police judiciaire, conduite avec des moyens militaires et civils, parfois avec des modes d’action militaires, avec toutes les règles qui prévalent en la matière. Le pilotage stratégique d’HARPIE est assuré par le préfet et le procureur de la République. La planification et la conduite des opérations sont assurées par la gendarmerie, d’une part, et les forces armées, d’autre part, mais le général Lucas, l’actuel COMGEND, et le général Adam ont choisi à l’époque d’accoler les deux états-majors pour permettre le partage total des informations notamment en termes de renseignements. Cette planification et cette conduite des opérations agrègent de nombreux autres partenaires : l’Office national des forêts (ONF), la direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DEAL), la police de l’air et des frontières (PAF), la Douane, le Parc amazonien de Guyane (PAG). Plus de 500 personnes travaillent ainsi au quotidien, dans des conditions extrêmement difficiles pour celles qui sont sur le terrain.
Au sein de la gendarmerie, l’opération HARPIE mobilise 120 militaires au quotidien, un centre de conduite des opérations, deux escadrons déplacés de métropole et le renfort possible de trois autres, à la demande. Les unités territoriales sont installées sur les deux fleuves. Depuis 2014, un réseau d’investigation est spécifiquement dédié à la lutte contre l’orpaillage illégal sous son angle judiciaire. La section de recherche, basée à Cayenne, est chargée d’investiguer sur les crimes en forêt – malheureusement assez nombreux – et sur les affaires complexes, qui concernent notamment les réseaux étrangers de ravitaillement ou d’aide au séjour irrégulier. Enfin, le groupe des pelotons d’intervention, unité de cinquante hommes plus particulièrement entraînés, intervient avec les forces armées sur les opérations les plus pointues dans des conditions extrêmement difficiles – comme à Dorlin, où nous avons été accueillis par des fusils d’assaut.
Face à un adversaire résilient et adaptable, nous avons capitalisé nos expériences depuis 2008, parfois malheureuses, ce qui nous a amenés à diversifier nos modes d’action. Lorsque nous pouvons nous assurer la supériorité numérique, c’est-à-dire lorsque nous avons toutes les unités disponibles, nous sommes capables de mener des opérations d’envergure, comme l’opération Yawasisi fin 2015, au cours de laquelle 516 militaires et gendarmes ont été engagées durant neuf semaines dans la forêt amazonienne ; cinquante tonnes de fret ont été transportées par hélicoptère et en pirogue ; au total, 250 heures de potentiel aérien ont été utilisées. Nous avons installé des postes permanents très profondément sur le territoire, y compris dans des sites qui avaient déjà été utilisés. Nous avons des points de contrôle terrestres et fluviaux. Nous menons enfin des patrouilles permanentes : 1 269 pour l’année 2015, ce qui représente 2 744 jours passés en forêt, contre 1 369 l’année précédente. L’actuel commandant de la gendarmerie a décidé, en liaison avec le procureur de la République, de faire porter l’effort sur les investigations judiciaires et sur les sanctions qui pourraient peser sur les principaux responsables des filières. Nous mobilisons toutes les techniques d’investigation utilisées en métropole : écoutes, observations, police technique.
Les résultats sont tangibles. Pour l’année 2015, nous enregistrons un équivalent de saisies-destructions de 16 millions d’euros, contre 11 millions en 2014 ; une baisse du nombre de sites actifs, qui sont passés de 500 en décembre 2013 à 204 en décembre 2015 ; l’atomisation des sites, la dispersion, la dissimulation – autant de gênes pour les orpailleurs illégaux – ; la décorrélation des lieux de production et des lieux de vie, qui entraîne une baisse globale de la qualité de vie des garimpeiros ; une baisse globale de la population des garimpeiros depuis deux ans.
Pour autant, nous ne faisons pas de triomphalisme, car ces résultats sont fragiles. Pour commencer, les sites sont, après leur destruction, très souvent réinvestis par les garimpeiros, qui, je l’ai dit, sont des adversaires adaptables et résilients. Ensuite, parce que nous sommes, sur le territoire français, les « mieux-disants » en termes de droit et d’éthique
– c’est la fierté de la gendarmerie française, mais cela nous rend moins « compétitifs » que les autres pays. Enfin, nous rencontrons des difficultés pratiques à éloigner les garimpeiros, ceux en situation irrégulière étant le plus souvent maintenus dans la forêt ou à proximité – il faudrait les transporter par avion, ou par hélicoptère puis par avion, ce qui est d’une très grande complexité, or je doute que vous puissiez nous aider à obtenir des moyens supplémentaires en la matière…
L’avenir ? J’ai bien l’intention de poursuivre l’action du général Lucas, c’est-à-dire le travail en commun grâce à des constats partagés et des échanges de renseignements. À défaut d’être augmentés, nos moyens devront être stabilisés pour faire face à tous les enjeux
– car nous n’oublions pas la sécurité du Centre spatial ni la sécurité publique en Guyane. Nous devrons faire preuve d’une grande créativité pour devancer les capacités d’adaptation des garimpeiros – et nous ne sommes pas au bout de nos peines. Une judiciarisation accrue nous semble pertinente, et je suis très satisfait que le Parc amazonien de Guyane travaille comme nous sur un axe commun de progrès – je ne sais si cela devra passer par la voie législative, ou par une adaptation des directives des autorités judiciaires. L’extension du pouvoir de saisies-destructions aux agents de police judiciaire (APJ) pourrait augmenter nos capacités. L’incrimination spécifique pour les ravitailleurs serait plus efficace que la complicité d’orpaillage illégal pour démontrer l’infraction principale. La traçabilité de l’or est également une piste à travailler, tout comme l’éloignement des garimpeiros. Enfin, je n’oublie pas la nécessité d’une coopération internationale efficace, mais aussi – le général Lucas y tient – un développement qui permette l’occupation légale des sites et l’exploitation des ressources de la manière la plus acceptable sur le plan environnemental.
Mme Geneviève Gaillard. Dans le cadre du projet de loi relatif à la biodiversité, ma collègue du groupe Socialiste, républicain et citoyen Viviane Le Dissez et moi-même avions été chargées d’une mission en Guyane pour échanger avec les autorités coutumières amérindiennes et bushinengué sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages liés à leur utilisation (APA). Or, dans nos rencontres avec les chefs coutumiers et les acteurs locaux, jamais nous n’avons pu parler du protocole de Nagoya ni de l’APA : à chaque fois, toutes les discussions tournaient autour de l’orpaillage illégal. C’est dire à quel point les populations guyanaises sont impactées par l’orpaillage illégal ; leur mode de vie, leur santé, leur nourriture s’en ressentent et elles ont le sentiment que la France les abandonne. Nous avons également rencontré le préfet, qui nous a fait part des moyens mis en place pour lutter contre ce fléau. À la suite de cette mission, nous avons saisi le Président de la République, le ministre des affaires étrangères, la ministre de la justice – qui était guyanaise – et bien d’autres, mais aucune réponse à la hauteur de nos espoirs ne nous a été apportée. Nous le regrettons profondément car, à l’heure où nous allons voter la loi biodiversité, nous assistons à la destruction lente de ce territoire extraordinaire, d’une richesse exceptionnelle. J’aimerais donc que chacun d’entre nous prenne conscience des conséquences dramatiques de ce fléau.
Où en est la mise en œuvre des accords France-Brésil et France-Suriname ? Car des accords ont été passés, le ministère des affaires étrangères nous l’a confirmé. Comment faire pour aller plus loin ? Le Brésil a des populations très pauvres, et depuis qu’elles n’ont plus le droit d’orpailler dans leur pays, elles viennent le faire en territoire français. Et, du côté du Suriname, les bateaux traversent en permanence le Maroni pour y apporter du matériel d’orpaillage…
Pensez-vous qu’une organisation nationale autour de l’orpaillage légal soit possible ?
Enfin, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la « judiciarisation accrue » ?
M. Guillaume Chevrollier. La France est riche de ses départements d’outre-mer. La Guyane, recouverte à 95 % par la forêt équatoriale, recèle une exceptionnelle biodiversité. L’exploitation aurifère légale y représente une production annuelle d’une tonne, alors que les opérations extractives illégales permettent d’extraire neuf tonnes par an. Je me réjouis que le Parlement mette en lumière cette problématique qui entraîne de graves conséquences sur un territoire de la République : déforestation, pollution des sites, développement des maladies, dispersion du mercure dans les cours d’eau, insécurité.
Au nom du groupe Les Républicains, je tiens à saluer les forces de sécurité
– gendarmes et militaires –, dont la mobilisation dans des conditions difficiles permet d’aboutir à interpellations et à des incarcérations. Mon colonel, quels moyens l’État met-il en œuvre pour éviter que la Guyane soit une zone de non-droit ? L’autorité de l’État ne doit pas être bafouée dans ce département. Disposez-vous des moyens nécessaires, en hommes et en matériels, pour assurer votre mission ? On disait à une époque que certains de vos hélicoptères étaient incapables de décoller… Compte tenu du contexte très particulier de ce territoire, y a-t-il eu des évolutions en matière de procédure pénale ? Quelle traduction voyez-vous à l’état d’urgence pour la lutte contre l’orpaillage illégal ? Observez-vous une pression accrue des orpailleurs illégaux, compte tenu de l’évolution du cours de l’or ?
Vous l’avez évoqué, les prisons guyanaises offrent de meilleures conditions d’incarcération aux garimpeiros que les prisons brésiliennes. D’où la nécessité d’une harmonisation. À l’issue de la visite présidentielle en 2013, des contacts diplomatiques ont-ils été pris avec le Brésil et le Suriname au sujet de moyens supplémentaires aux frontières permettant de limiter les passages des garimpeiros et de développer des coopérations judiciaires ? Le Président de la République a pris des engagements, notre responsabilité de parlementaires est d’assurer le contrôle de l’action gouvernementale : nous vous demandons de vous exprimer avec la plus grande transparence pour que nous puissions en toute connaissance de cause nous prononcer sur les moyens qui doivent vous êtes alloués.
M. Bertrand Pancher. Au nom du groupe Union des démocrates et indépendants, je remercie les intervenants pour ce débat de grande qualité. Merci, mon colonel, de nous apporter toutes ces informations ; nous n’avons pas toujours l’habitude d’une telle transparence dans nos échanges…
Une mission d’information, à défaut d’une commission d’enquête, plus compliquée à mettre en place, permettrait d’identifier des objectifs partagés et les moyens à mettre en œuvre ; cette piste me semble devoir être privilégiée. Pour commencer, il serait intéressant que tous les acteurs – habitants, organisations, représentants de l’administration – établissent un état des lieux partagé. Il faudra ensuite se mettre d’accord sur les résultats des engagements en matière de sécurité et de justice ; ils sont réels, même si l’on trouve toujours que cela n’est pas suffisant : ils sont fonction des moyens mis en œuvre. La situation sanitaire elle-même devrait être examinée de près : il est incompréhensible qu’aucune nouvelle étude épidémiologique sur l’imprégnation mercurielle n’ait été réalisée. Un autre point important consiste à savoir où en sont les accords signés et s’ils peuvent être renforcés. Enfin, la question de la traçabilité de l’or devrait être traitée : peut-on imaginer s’inspirer – pourquoi pas ? – du processus de Kimberley sur le commerce des pierres précieuses. Que peut-on faire dans le domaine de la certification des produits ? Je sais que des acteurs sont prêts à s’engager, dans notre pays et au niveau de l’Europe. Une mission d’information serait l’occasion de faire le point de la situation et de tracer quelques orientations susceptibles d’être partagées par tous les acteurs. C’est en tout cas la suggestion que je fais ce matin.
Mme Laurence Abeille. Le groupe Écologiste vous remercie, monsieur le président, pour l’organisation de cette table ronde.
La Guyane est un territoire exceptionnel ; le Parc amazonien est le plus grand massif tropical préservé au monde entièrement composé de forêt primaire. Dans un hectare de forêt guyanaise, on retrouve plus d’espèces de plantes que dans toute l’Europe continentale. Depuis une dizaine d’années, une nouvelle espèce est découverte tous les trois jours en Amazonie. C’est dire la richesse de la Guyane en biodiversité.
L’orpaillage illégal entraîne des conséquences dramatiques. Il est d’abord une source de pollution, car le mercure est nocif pour la santé humaine. La demande d’une étude indépendante me semble donc très pertinente : elle permettrait d’obtenir des éléments précis sur la santé des populations, tout en garantissant évidemment le secret médical grâce à un dispositif adapté. C’est ensuite un facteur d’insécurité, car cette activité engendre violences, prostitution, vols. C’est toute la population qui est impactée, si bien que la réponse se trouve non seulement dans la lutte contre l’orpaillage illégal, mais aussi dans un dispositif capable de protéger la population guyanaise.
L’activité de l’orpaillage pose la question de la traçabilité, soulevée à l’instant par notre collègue Bertrand Pancher. Une personne vivant à Kourou m’avait dit qu’il était très facile d’acheter de l’or à des prix extrêmement intéressants en Guyane. S’il y a de l’orpaillage illégal, c’est qu’il y a un marché : c’est là que réside, me semble-t-il, un des leviers de la lutte contre l’orpaillage illégal.
Enfin, il ne faut pas oublier la dimension économique du problème. L’application du protocole de Nagoya et de l’APA pourra peut-être apporter à la Guyane de nouvelles ressources liées à sa biodiversité. Cela étant dit, il faudrait aussi envisager de quelle façon l’orpaillage illégal en Guyane pourrait s’atténuer, voire disparaître dans un certain nombre d’années. Objectif ambitieux certes, mais indispensable au regard du drame humain qui se déroule sous nos yeux.
M. Philippe Plisson. Depuis neuf ans que je suis député, c’est au moins la troisième fois que j’assiste à un débat, pratiquement dans les mêmes termes, sur la question de l’orpaillage illégal. Je rejoins donc les Hurleurs de Guyane pour poser une question simple : comment se fait-il que la France, cinquième puissance mondiale, ne puisse se donner les moyens – quelles que soient les majorités au pouvoir – de régler ce problème aux tragiques conséquences sociales, économiques, écologiques et patrimoniales ?
M. Jean-Marie Sermier. Cette parcelle de France suscite l’émerveillement. Je veux aussi exprimer notre solidarité avec tous les gendarmes qui travaillent dans des conditions difficiles. En tant que député-maire de Dôle, je remercie l’escadron de gendarmerie mobile de Dôle qui a passé en 2015 une partie de son temps en Guyane, notamment à Maripasoula, et qui m’a fait part de son besoin en héliportage et en matériel de bonne qualité. En effet, ces gendarmes souhaiteraient être héliportés plus fréquemment – car il est difficile de progresser dans un tel milieu – et pouvoir conserver leurs armes et leurs matériels en bon état dans des conditions climatiques aussi difficiles.
La Guyane, à 8 000 kilomètres de la métropole, comporte 730 kilomètres de frontières avec le Brésil, ce qui en fait le pays qui partage la frontière la plus longue avec la France. Imaginons-nous travailler aux problèmes de sécurité qui frappent actuellement notre pays sans faire appel à nos amis belges ou allemands ? Dans ces conditions, la réussite de cette mission dépendra de la qualité de nos relations avec les Brésiliens et de leur engagement à nos côtés.
M. Yannick Favennec. Je remercie les personnes auditionnées de leur éclairage. Leurs propos m’inspirent trois questions.
Comment avancer vers une mise en œuvre effective des accords de coopération transfrontalière de lutte contre l’exploitation aurifère illégale ?
Quelles actions faut-il entreprendre pour favoriser les politiques de développement conjointes entre la France et le Brésil et ainsi offrir à celles et à ceux qui pourraient être tentés par le mirage de l’or illégal en Guyane des alternatives socio-économiques dignes et durables ?
Enfin, comment promouvoir une démarche de traçabilité de l’or associant l’ensemble des acteurs de la filière, des miniers aux bijoutiers, afin de garantir à terme une origine légale et contrôlable des produits à base d’or, tels que les bijoux ou les trophées sportifs ?
M. Christophe Bouillon. Je tiens à saluer Chantal Berthelot, dont nous connaissons l’engagement sans faille sur ce dossier. J’associe à ma question M. Gabriel Serville, retenu à Cayenne.
Mon colonel, sept ans après la signature de l’accord France-Brésil de coopération contre le pillage des ressources aurifères, et deux ans après sa ratification par le Brésil, force est de constater que cet accord n’est pas entré en vigueur, faute d’avoir été promulgué par la présidence brésilienne. Cet outil est pourtant indispensable pour lutter efficacement contre l’orpaillage illégal, mais de sérieux doutes subsistent quant à la volonté de notre partenaire brésilien, en tout cas des représentants politiques de l’État d’Amapa, d’en finir avec le fléau de l’orpaillage illégal en Guyane. Toutefois, même sans appliquer cet accord, les forces françaises et brésiliennes ont mené en avril-mai 2015 une opération conjointe et simultanée intitulée Tavara, dont l’objectif était d’assécher les filières logistiques illicites. Cette opération s’est d’ailleurs démarquée du reste de notre action, en tentant de paralyser les sites illégaux et de désorganiser leur activité sans usage systématique de la force. Pouvez-vous dresser un bilan de cette opération, qui avait mobilisé une centaine de militaires brésiliens ? Sera-t-elle renouvelée ? Pourrait-elle devenir plus régulière, en incluant éventuellement des partenaires surinamais à des actions dans l’ouest sur le fleuve Maroni ?
Mme Viviane Le Dissez. Merci à Chantal Berthelot et aux personnes auditionnées de nous sensibiliser sur cette problématique. Lors de mon périple en Guyane avec Geneviève Gaillard, Mme Blin nous avait permis de rencontrer les populations en plein cœur du Parc amazonien.
L’orpaillage illégal a des conséquences très graves sur les populations. Leur devenir même est en jeu. Il faut préparer l’avenir, certes, mais comment faire pour être plus efficace ?
Alors que neuf tonnes d’or partent on ne sait où chaque année, sans doute faut-il suivre « le fil de l’or » entre le consommateur et le malheureux exploitant – car il faut bien reconnaître que les orpailleurs ne sont que des esclaves. À qui profite le crime ? Certainement pas aux Guyanais…
Une mission d’information s’avérerait très utile pour trouver d’autres pistes, afin de permettre à la population guyanaise de profiter de ses richesses.
M. Laurent Furst. À ma connaissance, c’est l’Australie qui partage avec la France la plus longue frontière terrestre du fait de la partition de l’Antarctique…
M. Jean-Marie Sermier. Mais ce n’est pas le territoire qui recèle le plus de biodiversité…
M. Laurent Furst. Certes !
L’exploitation organisée – autorisée – vous paraît-elle, mon colonel, une alternative crédible pour limiter le pillage de la Guyane ?
L’état d’urgence change-t-il quelque chose dans la difficile mission qui est la vôtre ?
Enfin, l’immensité de ce territoire et la complexité à s’y déplacer ont été évoquées. Quels moyens héliportés avez-vous à votre disposition ?
Mme Chantal Berthelot. Je remercie le président Chanteguet d’organiser cette table ronde, dans la continuité du travail du groupe SRC. En 2013, nous avons déposé la proposition de loi contre l’orpaillage illégal et la pêche illicite en Guyane, qui comporte deux dispositions importantes facilitant l’action des forces de l’ordre. Aujourd’hui, les quatre personnalités auditionnées ont, chacun à leur manière, expliqué leur rôle, rappelé les impacts de l’orpaillage illégal, et présenté les moyens de lutte contre ce fléau.
Chers collègues, je suis heureuse de vos interventions. Gabriel Serville et moi-même – car nous sommes tous les deux concernés, moi sur le Maroni, lui sur l’Oyapock – avons été saisis par une fédération de citoyens, les Hurleurs de Guyane, de cette problématique que nous relayons auprès de vous. Notre rôle de parlementaire est d’entendre nos concitoyens.
Cette table ronde ne peut qu’initier une mission d’information qui se penchera de manière beaucoup plus complète sur l’adaptation des moyens de l’État, en particulier en termes d’accompagnement, et sur le renforcement la coopération avec les pays voisins. Car au-delà de l’impact sur la biodiversité, l’orpaillage illégal a surtout un impact sur nos populations, d’où l’importance du témoignage du Capitaine Boussoussa qui représente les habitants.
Je vous demande donc, chers collègues, la même solidarité pour deux textes à venir : le projet de loi sur la biodiversité que nous allons étudier en deuxième lecture en mars, et la réforme du code minier, qui permettra de poser un cadre clair – sociétal et environnemental – de l’orpaillage en Guyane.
M. Guy Bailliart. Nous n’avons pas beaucoup entendu parler des orpailleurs. Combien sont-ils ? Quelle est leur nationalité ? Qui sont-ils ? Exercent-ils ce travail toute leur vie ou de manière temporaire et occasionnelle ?
Les installations sont assez importantes et les orpailleurs nombreux. La problématique du mercure a été abordée. L’approvisionnement en mercure est-il contrôlé ? Le mercure est-il interdit de commerce ?
On remarque sur vos cartes deux zones d’orpaillage illégal, l’une en zone frontalière et l’autre en zone intérieure. Dans la première, on peut comprendre la difficulté de la tâche, faute d’application de l’accord entre les pays concernés. Dans la seconde, l’activité est-elle moindre ou les installations sont-elles plus difficiles à repérer ? Tout bêtement, pourquoi existent-elles encore ?
L’orpaillage légal est-il moins polluant ?
L’orpaillage illégal représente-t-il une source de richesse pour des Guyanais ? La question de l’acceptabilité locale de l’orpaillage illégal ne se posera pas de la même façon si les Guyanais en tirent profit…
Enfin, dans les zones frontalières, la fin de l’orpaillage illégal signifierait-elle que les rivières retrouveraient leur pureté ?
M. le président Jean-Paul Chanteguet. Pour prolonger ces questions, pourquoi ne pas assécher le commerce du mercure, élément indispensable à l’orpaillage illégal ? À ce sujet, je pense que nous devrions rapidement saisir l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES).
Mme Bérengère Blin. Il faut bien comprendre que le nombre de sites actifs est perpétuellement changeant. Le dispositif de suivi, l’Observatoire de l’activité minière, est abondé par les données des partenaires du dispositif HARPIE : gendarmerie, forces armées de Guyane, ONF, Parc amazonien. Cet observatoire est régulièrement amélioré, un travail étant actuellement mené pour introduire la notion de « dormance » des sites, ce dont je me réjouis. Les garimpeiros sont très astucieux et réactifs, si bien qu’ils peuvent très rapidement réactiver un petit site dont le matériel a été jeté ou caché en forêt. Plutôt que déclarer les sites inactifs, un classement en site « dormants » donnerait une idée du niveau d’activité et du potentiel de réactivation. Les critères seraient donc plus simples : un site inactif serait clairement un site abandonné, où l’herbe a repoussé sur les talus et où la pollution dans les cours d’eau n’est plus visible.
Si l’activité s’arrête, la pollution s’arrête-t-elle ? Cela dépend de la localisation. Quand on touche au lit d’un cours d’eau, la pollution reste importante tant que le site est ouvert, car à chaque épisode pluvieux, la décharge de matières en suspension se poursuit. Ainsi, des sites désertés par les garimpeiros continuent de polluer pendant plusieurs mois, voire plusieurs années. En 2008, une de nos études a montré que, lorsqu’un cours d’eau était impacté par des pollutions aux matières en suspension pendant longtemps, ou par épisodes chroniques de plusieurs jours, la diversité biologique changeait, par exemple les poissons carnassiers – nourriture principale des populations – disparaissaient au profit de poissons de vase, voire par rien du tout…
Les voies d’approvisionnement sont identifiées et fluctuent selon les saisons. Quand les niveaux d’eau sont élevés, l’approvisionnement se fait via les fleuves, les grands connecteurs – il existe les connexions entre les bassins de l’ouest et les bassins de l’est, notamment par l’Inini, gros affluent du Maroni – et ce sont souvent des pirogues qui passent. Les forces de l’ordre mettent en place des barrages flottants, mais les pirogues n’hésitent pas à charger ces barrages quand les niveaux d’eau sont trop élevés, ce qui pose un problème de sécurité pour les militaires. Quand les niveaux d’eau baissent, se mettent en place parfois des réseaux d’approvisionnement par mobylettes – c’est le cas pour le Maroni. Il est très facile de se procurer des mobylettes en face, au Suriname. Cela implique un niveau de complicité local – système analogue au trafic de stupéfiants dans certains secteurs de l’Hexagone. On assiste donc à un basculement d’une population, lassée de voir sa ressource pillée, qui se met aussi à trafiquer. Lutter contre ce système de livraison en mobylettes suppose d’intercepter tous les petits layons, tous les petits chemins forestiers.
À qui profite le crime ? Des interpellations ont montré l’existence de réseaux brésiliens et surinamais, mais aussi de réseaux d’approvisionnement sur le littoral guyanais même.
Pourquoi la zone intérieure occupée existe-t-elle encore ? Sur le nombre de sites, je vous ai présenté tout à l’heure des données cumulées depuis les années 1990, ce qui ne signifie pas forcément que tous les sites ne sont pas en cours d’exploitation à l’heure où je vous parle. Par contre, nous les comptabilisons toujours car ils recèlent de l’or et pourraient donc potentiellement voir revenir les orpailleurs. Dans cette forêt gigantesque, on ne peut pas mettre un homme tous les trente mètres – d’autant que la visibilité ne dépasse pas huit mètres ! Tous les effectifs des forces de l’ordre de France n’y suffiraient pas. L’enjeu est donc la territorialisation de la lutte, ce qui oblige à faire des choix.
Le cas de Saül est intéressant. Cette commune a pris en 2005 une délibération visant à éradiquer l’orpaillage illégal dans un rayon de vingt kilomètres. En 2008, constatant que cet objectif était trop ambitieux, la délibération a été reprise pour le ramener à dix kilomètres. Les moyens mis en œuvre par l’État – gendarmes, forces armées, agents du Parc originaires de la commune – ont ainsi permis de circonscrire l’orpaillage illégal, loin du bourg et des sentiers de randonnée. Aujourd’hui, Saül est un fleuron du tourisme en Guyane et accueille 2 000 visiteurs par an. Mais ce genre d’opération y est facile à réaliser car le problème de fleuve frontalier et d’approvisionnement ne se pose pas à Saül. Dans les autres villages, il faut trouver d’autres solutions.
Sur la traçabilité, une étude récente réalisée par le WWF, avec l’appui du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et la DEAL, montre que le traçage de l’or est réalisable par différents moyens : chimiques, isotopiques ou minéralogiques, ces derniers supposant que l’or soit extrait brut, c’est-à-dire non fondu. L’étape suivante est de constituer une banque de données, ce qui suppose que l’or soit livré pour être échantillonné. Cet or provient soit des exploitations légales – mais la profession minière s’est peu investie dans cette étude –, soit de saisies d’exploitations illégales, mais les bilans HARPIE font état de très faibles quantités d’or ; en revanche, les quantités de mercure et de matériels saisies sont bien plus importantes. Ce sont des points sur lesquels nous continuons à réfléchir.
L’exploitation légale fait l’objet d’un cadre réglementaire : le schéma départemental d’orientation minière, qui détermine les secteurs où l’orpaillage est autorisé. Au sein du Parc amazonien, il existe donc des zones – hors cœur de parc – où l’orpaillage reste possible. La tentative de remplacement de l’activité illégale par une activité légale, au travers de la procédure accélérée d’installation minière menée par la DEAL, ne s’est pas révélée franchement concluante. En effet, les miniers ont besoin d’axes d’approvisionnement faciles et ne souhaitent pas être entourés d’illégaux, d’où un grand découragement et des trafics. Ainsi, l’orpaillage légal n’est pas la réponse unique. La réponse dépend du secteur. Pour Saül, la solution est une occupation du terrain grâce à l’écotourisme. Pourquoi pas de l’écotourisme sur le Maroni ? Les communes de Maripasoula et de Papaïchton élaborent leur schéma de développement touristique et ont identifié des zones qui à l’heure actuelle sont encore impactées, mais pour lesquelles elles nous demandent de mettre l’accent sur la surveillance et l’aménagement du territoire. Cette solution est assez pertinente dans la mesure où, dès qu’un secteur est occupé régulièrement, les garimpeiros ont tendance à aller ailleurs.
Enfin, sur la coopération, l’accord franco-brésilien suppose de transposer dans le droit national de chaque pays les dispositions qu’il contient, à savoir réglementer la recherche et l’exploitation minière, qualifier les infractions et mettre en œuvre des mesures de coopération policière. Nous travaillons de plus en plus avec le parc national du Tumucumaque, plus grand que le parc amazonien de Guyane ; malheureusement, huit personnes y sont employées et son acceptabilité même pose problème au plan local. L’accord porte sur les aires protégées ou les secteurs à forts enjeux patrimoniaux, mais l’enjeu principal n’est pas le même pour le Brésil et la France. Au Brésil, l’orpaillage illégal est très rare dans le parc du Tumucumaque – il y a seulement des occupations et donc des flux logistiques qui partent en France. D’où un décalage entre la mise en œuvre des mesures dans le droit français et dans le droit brésilien. De mon point de vue, le Brésil ne manifeste pas une volonté affirmée de lutter contre l’orpaillage illégal, en tout cas nous le ressentons ainsi. Un moyen simple serait de systématiser les contrôles communs entre la France et le Brésil : peu importerait que la pirogue soit française ou brésilienne, les Français partiraient avec les forces de l’ordre françaises et les Brésiliens avec des forces de l’ordre brésiliennes. Mais pour l’instant, un tel dispositif n’est pas mis en place.
Mme Anne Saunier. Je remercie M. Philippe Plisson d’avoir indiqué qu’il avait entendu le même discours pas moins de trois fois depuis qu’il est député. Effectivement, le problème n’est pas nouveau !
À qui profite le crime ? C’est une excellente question, madame Viviane Le Dissez. Car au-delà de l’orpaillage illégal, que se passe-t-il vraiment en Guyane ? Comment fonctionnent les orpailleurs légaux ? Jusqu’où a-t-on intérêt à ce pillage des ressources ?
Je remercie la représentation nationale d’avoir proposé à plusieurs reprises que toutes les richesses de Guyane reviennent à la population guyanaise. Nos ressources économiques ne sont pas très importantes ; cette manne serait la bienvenue, car la Guyane a besoin de se développer.
Je porte la parole d’un groupe assez important ; je bous de vous donner mon avis sur l’orpaillage légal mais je ne m’y autoriserai pas, car cela pourrait être source de dissensions entre ceux que je représente.
Plusieurs d’entre vous ont souligné l’intérêt de la traçabilité de l’or. Il s’agit d’une piste intéressante, encore qu’elle ne soit ni simple ni peu coûteuse ; encore faut-il que les orpailleurs légaux acceptent d’y participer, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Il faudra certainement l’imposer, ce qui n’ira pas sans créer de difficultés. Mais si on y parvient, on aura un bon moyen de savoir d’où vient l’or, de sites légaux ou de sites illégaux.
Il faut 1,2 kilogramme de mercure pour traiter un kilo d’or. La France a ratifié la convention de Minamata en 2013. Comment se fait-il qu’autant de mercure entre encore en Guyane ? Le contrôle et l’arrestation des ravitailleurs sont un très bon moyen de mettre la pression sur les garimpeiros, puisqu’ils ne peuvent pas extraire s’ils ne sont pas approvisionnés en mercure. Il serait donc très intéressant de savoir d’où vient le mercure et pourquoi il est toujours utilisé malgré la convention interdisant son exploitation et sa commercialisation.
La mise en œuvre de l’accord de coopération transfrontalière signé en 2013 avec le Brésil a pris du temps. Selon la préfecture et les forces armées, la coopération commence à prendre une tournure intéressante, notamment sur l’Oyapock. Il est très important de travailler fortement à la coopération avec le Suriname, pays dont la stabilité politique est toute relative. Il faut aussi travailler avec les populations autochtones, Amérindiens et Bushinengués, qui ont du poids sur le problème de l’exploitation alluvionnaire. M. Boussoussa m’a expliqué hier qu’un Capitaine de village Aluku et un Capitaine de village Djuka peuvent tout à fait se rencontrer et demander aux orpailleurs d’arrêter leur activité sur leur territoire et d’aller ailleurs. L’implication des communautés autochtones est un levier intéressant, d’autant que cette reconnaissance sociale serait pour eux un grand progrès, et leur ferait très plaisir.
M. Chimili Boussoussa. (Traduction) Je remercie les orateurs d’avoir posé des questions très pertinentes.
Le mercure vient du Suriname, ce qui impose de mettre en place une coopération forte avec ce pays.
Sur le Maroni, la plupart des garimpeiros viennent du Suriname : on en compte environ 3 000 dans le seul village de Bensdorop. Les autorités parisiennes gagneraient à faire une visite sur le terrain : elles pourraient alors constater la nécessité d’une action conjointe entre la France et le Suriname.
Face à la pression des forces de l’ordre les garimpeiros ont adapté leurs méthodes. Alors que les barges travaillaient le jour, elles travaillent désormais la nuit, quand les gendarmes ne contrôlent pas. Ils creusent également des puits dans la forêt, parfois à proximité des villages, alors qu’ils travaillaient sur les « criques » il y a une dizaine d’années. Cette nouvelle donne implique d’adapter continuellement la lutte, en coopération avec les autres pays. Le système de transfert de la richesse est bien rodé. L’or ne reste pas sur place, il part directement au Brésil ou il est stocké dans des banques au Suriname.
Les puits dont je parlais à l’instant représentent un réel danger. La semaine dernière en forêt, nous avons constaté que nombre d’animaux, comme les tortues, sont piégés dans les puits abandonnés et y meurent. Les autorités coutumières ont demandé à la collectivité communale de les aider avec son bulldozer à boucher ces trous à proximité des villages, car nous avons peur que les touristes ne perdent la vie en tombant dans ces puits qui sont souvent rebouchés par les garimpeiros par de simples feuilles et qui deviennent de véritables pièges.
Autrefois, tout le monde – hommes, femmes, enfants – partait à la chasse et à l’abattis. Aujourd’hui, à cause de l’orpaillage illégal, les femmes ont peur d’aller dans leurs abattis ; il y a des pillages et plus personne ne craint la loi française. Les garimpeiros avec lesquels je discute me disent que les gendarmes français sont gentils, mais qu’ils ne peuvent pas faire n’importe quoi au Suriname où la loi est plus dure. Il ne faut pas s’y faire attraper deux fois : on vous fait vite comprendre que ce que vous faites n’est pas bien… Les policiers surinamiens ont davantage de liberté d’action et les malfrats qui portent plainte n’ont pas gain de cause, alors qu’en France, ce sont les gendarmes qui sont inquiétés même lorsqu’il y a infraction !
Nous, autorités coutumières, nous avons notre propre loi. Mais il y a la loi française, que nous devons respecter. S’il n’y avait pas la loi française, nous savons comment régler le problème… Mais nous ne pouvons pas faire n’importe quoi. Nous voulons agir parce que nous nous sentons en danger, mais notre façon de faire est contradictoire avec la loi française. Un membre de notre communauté avait eu un petit souci avec un garimpeiro : il a appliqué la loi traditionnelle et c’est lui qui est maintenant inquiété par la justice française. Nous, autorités coutumières, ne pouvons pas agir selon nos traditions, mais si l’État français nous faisait confiance, pendant un an par exemple, avec un regard plus… distant, nous lui montrerions comment nous pouvons régler les problèmes chez nous…
Enfin, nous demandons à l’État français de donner un peu plus de pouvoirs aux agents du Parc avec lesquels nous travaillons en étroite collaboration, et plus de pouvoirs aux gendarmes pour agir sur le terrain où ils se retrouvent souvent démunis, incapables d’appliquer la solution adéquate sur le terrain, parce que la loi ne le leur permet pas.
Colonel Patrick Valentini. Ce discours illustre parfaitement ce que j’ai dit tout à l’heure sur le fait que nous sommes les « mieux-disants ». Mais évidemment, il ne m’appartient pas de laisser soupçonner quelque tolérance sur ce sujet, il faudrait poser la question aux autorités judiciaires…
En 2015, nous n’avons saisi que 4,3 kg d’or – quand ils s’enfuient, les garimpeiros sauvent d’abord l’or. Nous n’avons jamais réalisé de saisies dépassant 12 kilos. En revanche, la même année, nous avons saisi 80 kilos de mercure, 116 tonnes de vivres, 165 pirogues, 63 quads – l’engin le plus adapté en forêt –, 212 tonnes de carburant, 736 motopompes, 91 concasseurs. Et un concasseur, cela pèse lourd… Pour détruire le matériel sur place, nous utilisons des disqueuses thermiques et des pots thermiques qui font fondre le cœur des engins. Mais, comme nous nous sommes aperçus que les garimpeiros parvenaient malgré tout à réutiliser le matériel, depuis quelques mois, nous transportons sous élingue les concasseurs pour les détruire dans un endroit approprié. Toujours en 2015, nous avons détruit 412 puits
– ce sont les sapeurs des armées qui s’en chargent, à l’explosif, pour les rendre inexploitables.
Vous allez finir par croire que les orpailleurs sont plus courageux que nous… Les gendarmes travaillent la nuit, je vous rassure, mais ne font pas d’opération la nuit pour une raison simple : les plus grandes pertes humaines que nous avons connues en Guyane dans le cadre de l’opération HARPIE, ou Anaconda auparavant, étaient dues à des noyades. La nuit, le fleuve est souvent un piège mortel pour les gendarmes, mais aussi pour les orpailleurs. Or nous considérons que la vie des orpailleurs a autant de valeur que celle des autres personnes.
Quelques exemples sur l’orientation de la judiciarisation en matière de lutte contre l’orpaillage illégal. Au premier trimestre 2015, trois chefs de puits qui employaient chacun des dizaines de garimpeiros ont été interpellés, mis en examen et écroués pour des faits d’orpaillage en bande organisée – une première d’enquêteur et de magistrat. En juin 2015, un responsable – a priori orpailleur légal – d’une association professionnelle a été interpellé et mis en examen pour des faits d’orpaillage illégal et de blanchiment : autant dire que les choses ne sont jamais simples… En août 2015, le logisticien le plus important du sud de la Guyane, recherché depuis deux ans, a été identifié et interpellé. En novembre 2015, nous avons démantelé une filière d’immigration irrégulière en Guyane, qui n’avait pas vocation à alimenter exclusivement les chantiers d’orpaillage, ce qui nous a permis de démontrer que le trafic d’êtres humains concernait chaque année environ 3 000 personnes et faisait appel à des complicités en Guyane. Les gens – des Brésiliens et beaucoup d’Haïtiens – venaient en embarcation sur les plages guyanaises avant d’être répartis, pour les uns, dans la zone côtière, et, pour les autres, dans les exploitations pour y travailler comme garimpeiros. Ce dossier judiciaire a duré plus d’un an, avec des dizaines d’écoutes téléphoniques. Autre exemple, moins fréquent, mais qui pourrait signifier un progrès : en décembre 2015, une patrouille a intercepté une barge industrielle sur le Maroni, côté français. Nous avons dû garder cette barge jour et nuit, car nous n’avons pas d’endroit pour stocker ce genre de matériel très lourd…
Mme Geneviève Gaillard. Pourquoi ne pas l’avoir détruite ?
Colonel Patrick Valentini. Il était compliqué de le faire. Résultat final : l’amende prononcée par le tribunal français s’est élevée à 100 000 euros et elle a été payée…
Mme Bérengère Blin. Le patron de la barge, qui réside à Paramaribo au Suriname, a estimé que l’amende était un peu chère : il a récupéré sa barge et l’a réinstallée, côté surinamais !
Colonel Patrick Valentini. En tout cas, cette voie n’est pas inintéressante. Elle nous oblige quelquefois à ne pas intervenir trop vite pour obtenir de meilleurs résultats – c’est tout le paradoxe de la police judiciaire.
Le maire de Dôle s’est interrogé sur le manque de moyens héliportés. Je peux le comprendre, mais il faut savoir que le vol en hélicoptère n’est pas toujours la meilleure solution tactique. D’abord, ce n’est pas le moyen le plus discret pour intervenir sur un site – il vaut mieux progresser à pied dans certains cas. Ensuite, il y a beaucoup d’endroits en forêt où les hélicoptères ne peuvent pas se poser ; il faut alors recourir au « poser d’assaut » qui n’est pas à la portée de tous les gendarmes, mais seulement des forces spéciales et du groupe des pelotons d’intervention.
M. Laurent Furst. De combien d’hélicoptères disposez-vous ?
Colonel Patrick Valentini. Nous avons neuf hélicoptères au total – deux pour la gendarmerie, sept pour les FAG. Ce sont des hélicoptères légers servant à l’observation ou à l’appui-feu et des hélicoptères de manœuvre de type Puma. Ceux de la gendarmerie sont très récents, ceux des armées sont de différentes générations, avec parfois des problèmes de disponibilité, mais nous ne ferions pas le job sans eux. D’autres hélicoptères sont affrétés avec le concours de sociétés civiles. La préfecture s’emploie à obtenir un budget additionnel en ce sens, ce qui permet de mener des missions d’ordre logistique. Car à côté de l’utilisation opérationnelle au sens strict, pour amener les troupes au plus près des interventions, nous avons besoin d’hélicoptères pour le ravitaillement et l’évacuation de matériels. Tout cela représente des manœuvres logistiques assez complexes.
Des manœuvres franco-brésiliennes récentes ont permis à chacun d’intervenir dans sa zone de manière coordonnée. À ma connaissance, l’efficacité de ces manœuvres sur les filières d’approvisionnement n’a pas été mesurée. Je pense que les FAG auront à cœur de poursuivre ce genre d’opération. Côté surinamien, nous n’avons rien de tel.
Sur la coopération, je ne peux vous en dire beaucoup plus, si ce n’est que nous avons conscience que la coopération se fait à plusieurs niveaux. Pour les faits les plus importants
– les crimes, comme à Dorlin –, nous avons obtenu une coopération. Cela étant, que représente l’exploitation aurifère illégale en France pour les autorités voisines ? L’enjeu est-il le même des deux côtés de la frontière ?
Je voudrais finir sur les axes d’amélioration qui m’ont été communiqués aujourd’hui par le commandant de gendarmerie de Guyane. Ces axes sont au nombre de trois et rejoignent les propositions de Mme Bérengère Blin.
Premièrement, nous aimerions que les dispositions de l’article L. 512-9 du code minier soient étendues aux agents de police judiciaire. Grosso modo, 120 personnels sont dédiés à la mission HARPIE, au sein desquels tous les types de grade et de qualification sont représentés, dont une trentaine d’OPJ à titre dérogatoire – ce sont des gradés de gendarmerie mobile –, d’ores et déjà autorisés à accompagner les FAG pour les saisies-destructions. Cette extension de compétences au restant des forces permettrait de démultiplier les patrouilles des FAG accompagnées de gendarmes et par conséquent de démultiplier les saisies. Le ratio pourrait être de un à deux ou de un à trois. Pour y parvenir, deux options sont possibles : soit un aménagement, en considérant que le contrôle de l’OPJ suffirait ; soit une disposition législative. Nous saurons vers qui nous retourner…
Deuxièmement, le COMGEND suggère la création d’une infraction spécifique
– déconnectée – qui pourrait être la détention de matériel nécessaire à la production aurifère. Cela permettrait une automaticité qui faciliterait non seulement les enquêtes, mais aussi les poursuites pénales et les condamnations. En effet, dans la lutte contre les flux d’approvisionnement, l’incrimination de complicité d’orpaillage illégal suppose de démontrer devant la justice l’infraction principale. Des jurisprudences nous sont globalement favorables, mais nous butons souvent sur ce problème.
Troisièmement, la mise en place de la traçabilité serait pertinente. Les producteurs légaux bénéficieraient alors d’une appellation d’origine certifiée. Mais je sais que les choses ne sont pas aussi simples du fait de la complexité des enjeux.
M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je note la demande réitérée de la mise en place d’une mission d’information. Je pense qu’il devrait s’agir d’une mission d’information de la Conférence des Présidents, puisqu’elle concernerait, en plus de la commission du développement durable, la commission des affaires économiques et la commission de la défense.
Il serait également important de rédiger un relevé de décisions recensant les nombreuses propositions avancées par les uns et les autres durant cette réunion.
Je remercie Chantal Berthelot qui est à l’origine de cette rencontre, ainsi que Mme Blin, Mme Saunier, M. Boussoussa et le colonel Valentini qui prendra prochainement son commandement en Guyane et pour lequel nous lui souhaitons un plein succès.
Merci, mes chers collègues.
——fpfp——
Membres présents ou excusés
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire
Réunion du mercredi 17 février 2016 à 9 h 45
Présents. - Mme Laurence Abeille, Mme Sylviane Alaux, M. Guy Bailliart, M. Serge Bardy, Mme Catherine Beaubatie, M. Jacques Alain Bénisti, Mme Chantal Berthelot, M. Florent Boudié, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, Mme Sabine Buis, M. Vincent Burroni, M. Alain Calmette, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Luc Chatel, M. Guillaume Chevrollier, M. Alain Chrétien, M. Jean-Jacques Cottel, M. David Douillet, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Laurent Furst, Mme Geneviève Gaillard, M. Michel Heinrich, M. Jacques Kossowski, Mme Valérie Lacroute, M. Alain Leboeuf, Mme Viviane Le Dissez, M. Arnaud Leroy, Mme Marie Le Vern, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Franck Marlin, M. Gérard Menuel, M. Bertrand Pancher, M. Philippe Plisson, Mme Catherine Quéré, M. Martial Saddier, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, Mme Suzanne Tallard, M. Jean-Pierre Vigier
Excusés. - M. Yves Albarello, M. Julien Aubert, M. Sylvain Berrios, M. Yann Capet, M. Patrice Carvalho, Mme Florence Delaunay, Mme Sophie Errante, M. Alain Gest, M. Christian Jacob, M. François-Michel Lambert, M. Philippe Martin, M. Rémi Pauvros, M. Napole Polutélé, M. Gilbert Sauvan, M. Gabriel Serville, M. Thomas Thévenoud
Assistaient également à la réunion. - M. Philippe Noguès, M. Christophe Premat, M. François Vannson