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Mardi 1er mars 2016

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 38

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Examen en deuxième lecture du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (n° 3442) (Mme Geneviève Gaillard, rapporteure)

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a examiné en deuxième lecture, sur le rapport de Mme Geneviève Gaillard, le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (n° 3442).

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Nous commençons aujourd’hui l’examen en deuxième lecture du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, et, pour avis, de la proposition de loi organique relative à la présidence du conseil d’administration de l’Agence française pour la biodiversité (AFB) — deux textes dont la rapporteure est Mme Geneviève Gaillard. Je suis ravi d’accueillir Mme Barbara Pompili, nouvelle secrétaire d’État chargée de la biodiversité, qui va participer à nos travaux.

La procédure a débuté il y a deux ans avec le dépôt du projet de loi par le Gouvernement, le 26 mars 2014. L’Assemblée nationale a examiné le projet, en commission du 24 au 26 juin 2014, puis en séance publique du 16 au 24 mars 2015. Le texte que nous avons adopté a été discuté au Sénat, en commission, début juillet 2015, puis en séance publique du 19 au 26 janvier 2016. À l’Assemblée nationale, aucune commission ne s’est saisie pour avis et le Gouvernement n’a pas déclenché la procédure accélérée, ce qui explique la nécessité d’une deuxième lecture.

À l’issue du délai de dépôt, vendredi 26 février dernier, le secrétariat de la Commission a enregistré 1 054 amendements. Six doivent être déclarés irrecevables au titre de l’article 40 : ce sont les amendements CD497 de Mme Laurence Abeille, CD313 de M. Dino Cinieri et CD355 de M. Julien Aubert, CD353 de M. Julien Aubert, CD941 de M. Gérard Menuel et CD946 de M. André Chassaigne. Cent quarante-trois amendements ont été retirés par leurs auteurs ou déclarés irrecevables au nom de la « règle de l’entonnoir » ; leurs auteurs ont été prévenus par message électronique. Il nous reste donc 911 amendements à examiner.

Lors d’une deuxième lecture, la jurisprudence du Conseil constitutionnel interdit les cavaliers législatifs, ainsi que toute nouvelle mesure sous forme d’article additionnel. C’est ce qui explique que certains amendements aient été déclarés irrecevables au titre de ce qu’on appelle « l’entonnoir ». Par ailleurs, la logique de la deuxième lecture empêche d’examiner les amendements identiques à des amendements déjà rejetés lors de la première lecture, à l’Assemblée nationale ou au Sénat. Cette règle peut apparaître un peu sévère, mais elle a été appliquée avec le plus d’impartialité possible. Ont notamment été gardés des amendements portant sur des articles ou des alinéas modifiés par le Sénat. Il nous reste suffisamment de dispositions à examiner sans reprendre le débat sur celles qui ont déjà été rejetées, quelquefois à plusieurs reprises. De toute façon, les auteurs de ces amendements peuvent les redéposer pour la séance publique, et nous les examinerons alors au titre de l’article 88 du règlement.

M. Martial Saddier. Pour mettre un peu plus de chaleur dans nos échanges, mieux vaut éviter la froideur des courriels pour nous informer du rejet d’un amendement !

Je me permets un rappel au règlement. Je vous fais confiance, Monsieur le président, quant à l’impartialité qui a présidé au rejet des amendements déposés par les députés de sensibilités différentes ; mais je m’interroge sur les motifs d’irrecevabilité invoqués
– amendement identique à un amendement examiné en première lecture au Sénat ou rejeté en première lecture à l’Assemblée nationale. En effet, en vertu de l’article 108 de notre règlement et de la règle dite de « l’entonnoir », il n’est possible, en deuxième lecture, d’amender que les articles pour lesquels nos deux assemblées ne sont pas parvenues à un accord, et il est interdit de créer de nouvelles dispositions. La décision du Conseil constitutionnel du 19 janvier 2006 précise que « les adjonctions ou modifications qui peuvent être apportées après la première lecture par les membres du Parlement et par le Gouvernement doivent être en relation directe avec une disposition restant en discussion ». Il semblerait pourtant que certains de nos amendements, déclarés irrecevables – par exemple le CD243 –, répondaient parfaitement à la règle et à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Nous serons obligés de les redéposer en séance ; mais les commissions doivent servir à nourrir le débat afin de simplifier la procédure en séance publique. Nous regrettons ces rejets apparemment non conformes au règlement.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Vous pouvez redéposer ces amendements pour la séance publique, que nous examinerons dans le cadre de l’article 88, mais je suis prêt à revoir le sort de certains amendements comme le CD243.

Mme Barbara Pompili, secrétaire d’État chargée de la biodiversité. Mesdames et Messieurs les députés, j’allais dire « chers collègues », non seulement par la force de l’habitude, mais également parce que, bien que secrétaire d’État depuis le 11 février, je n’en reste pas moins considérée par votre assemblée pour quelques jours encore comme « députée non votante, membre du Gouvernement ». Cet état de fait illustre la nouveauté que représente pour moi cet exercice essentiel de l’examen en commission, vu de ce côté de la barrière. Avant que votre commission n’entame, en deuxième lecture, l’examen de ce projet de loi sur la biodiversité, ainsi que du texte qui permettra de créer cette Agence française pour la biodiversité dans laquelle nous plaçons tant d’espoirs, je vous dirai quelques mots sur la manière dont je conçois mon rôle aux côtés de Ségolène Royal, les relations que j’entends établir avec vous et les raisons qui m’ont amenée à accepter la fonction qui m’a été confiée par le Président de la République.

Vous en avez fait l’expérience au cours des années passées, je suis écologiste. Cela signifie que, à mes yeux, les deux enjeux principaux auxquels nous sommes confrontés sont la lutte pour le climat et la réponse aux menaces qui pèsent sur la biodiversité, qu’il s’agisse de la préservation d’espaces naturels indispensables à la vie ou du maintien d’espèces animales ou végétales dont la vitesse d’extinction atteint des niveaux inégalés du fait, pour l’essentiel, de l’activité humaine. Parce que je suis écologiste, j’ai la conviction que répondre à ces enjeux n’est pas qu’une nécessité, mais véritablement une opportunité de vivre mieux, de développer de nouvelles activités et de nouveaux projets, et de créer des emplois. Sur ces deux questions essentielles et intimement liées du climat et de la biodiversité, nous avons accompli un chemin déterminant dans la prise de conscience collective, et obtenu des avancées qu’il s’agit désormais de concrétiser.

L’année 2015 a permis de grandes réalisations en matière de climat : l’accord obtenu lors de la conférence de Paris, en décembre dernier, mais également la loi de transition énergétique et pour la croissance verte, que Ségolène Royal a portée et que votre assemblée a adoptée. De la même manière que 2015 fut l’année des grandes décisions sur le climat, 2016 doit être celle d’avancées majeures en matière de biodiversité. Au plan international, la fin de l’année verra l’organisation de la COP13 de la convention sur la biodiversité biologique. Au plan national, nous allons faire aboutir ensemble la loi sur la biodiversité – un texte dont Philippe Martin avait pris l’initiative, qui a été consolidé et porté par Ségolène Royal en première lecture ici même et au Sénat, et dont le pilotage de la fin du parcours législatif m’a été confié.

Chacun conçoit la responsabilité qui est la nôtre, et en premier lieu la vôtre, dans la lutte pour la conservation de la biodiversité. La France, notamment grâce à ses outre-mer, abrite un patrimoine considérable. Nous sommes comptables de la préservation d’un espace maritime majeur, le deuxième du monde après celui des États-Unis, et de zones naturelles uniques. Pour un pays qui tire du tourisme tant d’activités et d’emplois, et dont les habitants puisent leur force dans leur qualité de vie, les paysages, la faune et la flore constituent un enjeu à proprement parler existentiel.

La première lecture du texte, dans votre assemblée, avait permis d’enrichir le projet de loi, de le préciser sur de nombreux sujets et de trouver des points d’équilibre. Le texte issu des travaux du Sénat, voté à une écrasante majorité, par-delà les frontières partisanes, en a modifié ou affiné certaines dispositions, tout en en conservant l’esprit.

Permettez-moi de rappeler quelques points saillants. L’AFB, lieu d’expertise et de pilotage, pourra être opérationnelle dès la promulgation de la loi. Les modalités d’organisation de la future agence ont été précisées, en particulier en matière de partenariats avec les collectivités territoriales. Elles joueront un rôle clé dans le succès de la reconquête de la biodiversité et de la lutte contre le changement climatique dans les territoires. L’AFB rassemblera des réseaux de professionnels de haut niveau qui pourront s’appuyer sur les agents de terrain de l’agence. J’ai rencontré hier, avec Ségolène Royal, l’ensemble des membres des conseils d’administration des quatre organismes amenés à fusionner au sein de l’AFB. Cette démarche de préfiguration, voulue par la ministre, est un gage de succès, car, au-delà des mesures législatives et réglementaires, il y a les réalités humaines. Le nouveau secrétariat d’État à la biodiversité jouera un rôle de facilitateur, accompagnant les structures et les agents dans la création de l’AFB.

Le préjudice écologique sera inscrit dans la loi. Il conviendra de préciser encore et d’affiner les conditions de ce principe fondamental. Le Gouvernement vous propose un amendement en ce sens, qu’il nous faudra clarifier. Je suis sûre que le débat parlementaire permettra d’aboutir à une rédaction consensuelle.

La ratification du protocole de Nagoya dès l’adoption de la loi concrétisera un engagement international pris en 2010. La France se donnera ainsi les moyens d’innover sans piller. Si une société exploite une molécule issue de la recherche sur des plantes, des animaux ou des bactéries, et que son exploitation lui permet de développer un marché commercial, elle devra partager avec ceux qui ont contribué à préserver les ressources génétiques une partie des avantages qu’elle en retirera. C’est un retour juste et plus équitable qui permettra d’éviter la biopiraterie. Ce dispositif, sur lequel vous aviez beaucoup travaillé en première lecture, a été enrichi au Sénat pour inciter à la création d’emplois locaux par les sociétés qui utilisent la biodiversité, à la sensibilisation du public et à la formation des professionnels locaux, en étant davantage à l’écoute des communautés d’habitants qui ont des connaissances traditionnelles, notamment dans les outre-mer.

Le principe impliquant d’éviter les atteintes à l’environnement, à défaut, de les réduire, et dans le pire des cas, faute d’autres options, de les compenser sera inscrit dans le code de l’environnement. Le système de compensation en sortira consolidé ; chacun mesure à quel point c’est essentiel. C’est une condition à la fois de notre capacité à atteindre les objectifs que nous nous fixons en matière de biodiversité et à établir la confiance avec les populations, qui bien souvent doutent de l’efficacité de ces compensations.

Le brevetage des gènes natifs est interdit dans ce projet de loi, pour lever le frein à l’innovation que constitue la multiplication des dépôts de brevets sur le vivant et la concentration croissante des détenteurs de ces brevets.

Afin de limiter les effets négatifs des pesticides de la famille des néonicotinoïdes sur les abeilles et autres pollinisateurs, le Sénat a décidé que l’utilisation de ces pesticides serait encadrée par un arrêté ministériel, conformément au récent avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES). Il reviendra à l’Assemblée d’examiner cette disposition qui s’inscrit par ailleurs dans le plan national « France, terre de pollinisateurs » lancé par Ségolène Royal en 2015.

La protection de la biodiversité marine est renforcée avec notamment l’introduction, dans notre corpus législatif, des dispositions permettant la création de la cinquième plus grande réserve marine du monde dans les eaux des terres australes françaises, la création des zones de conservation halieutique pour une gestion durable de la faune et de la flore marines, et l’obligation d’une autorisation pour les activités de recherche ou d’extraction en haute mer en zone économique exclusive et sur le plateau continental.

De nouvelles mesures sur les paysages viendront compléter les dispositifs actuels, avec la généralisation des plans de paysage et des atlas, et le soutien à la reconnaissance des paysagistes.

J’ajoute enfin que vos travaux sont très suivis par les entreprises de la croissance verte et bleue, et par les chercheurs qui innovent et permettent les créations d’emplois dans le domaine du vivant, des technologies vertes et de la nature. Pour ces acteurs, le vote de ce projet de loi constituera un signal clair de soutien à leur développement.

Cette liste de points saillants est loin d’être exhaustive et n’épuise pas l’apport du texte que nous nous apprêtons à examiner ensemble, riche de dispositions qui permettront de mieux préserver la biodiversité. Je veux surtout vous dire l’état d’esprit qui m’anime, et qui anime le Gouvernement, en ouverture de vos travaux. J’entends faire preuve tout à la fois d’écoute, de sagesse et d’humilité. La sagesse se traduit par un nombre réduit d’amendements du Gouvernement : nous considérons en effet que l’équilibre issu de la première lecture, s’il peut être peaufiné et précisé – c’est votre rôle –, doit être globalement préservé afin de permettre l’adoption la plus large et la plus rapide possible. C’est nécessaire pour que la loi soit promulguée avant l’été et pour que l’AFB soit créée selon le calendrier annoncé. Je sais, Madame la rapporteure, votre vigilance sur ce dernier point. Nous entendons également faire preuve d’humilité : l’immensité de la tâche et de l’enjeu nous y invite, mais également l’histoire législative de notre pays. Nous nous devions d’intégrer dans notre droit les grands principes développés par la communauté internationale et les obligations juridiques internationales auxquelles notre pays a souscrit, en particulier la Convention sur la diversité biologique ; avec cette loi, ce sera chose faite. Mais n’oublions pas que ce texte n’est pas le premier qui traite, sciemment ou de manière implicite, de la biodiversité : il s’inscrit dans une histoire législative marquée notamment par la loi de 1976 sur la protection de la nature et sur celle de 1993 sur les paysages, présentée – déjà – par Ségolène Royal.

Les grandes lois sont souvent le fruit de consensus larges. Ce texte sur la biodiversité n’est pas le premier et ne sera pas le dernier. Il constituera une réussite dès lors qu’il sera le plus ambitieux que l’on puisse élaborer et faire adopter aujourd’hui. Il ne clora pas certains débats qui continueront de traverser la société française et qui trouveront sans doute ultérieurement de nouvelles traductions législatives, mais il permettra d’avancer concrètement, de manière pragmatique, efficace, et – je le souhaite – la plus consensuelle possible. C’est en tout cas l’état d’esprit qui est le mien au début de vos travaux.

Mme Geneviève Gaillard, rapporteure. Un an après la première lecture dans notre assemblée, nous sommes à nouveau réunis pour un examen, en seconde lecture, du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Un an représente un délai long, d’autant que l’examen en commission avait eu lieu en juin 2014 et surtout pour un texte qui nous avait toujours été présenté comme très important pour le Gouvernement. La longueur de nos débats a de quoi nous faire douter ; mais je suis heureuse qu’il y ait enfin dans ce Gouvernement une secrétaire d’État qui s’occupe précisément de la biodiversité.

Un long chemin reste à parcourir pour que ce texte soit adopté, mais nous espérons comme vous qu’il pourra l’être rapidement. Toutefois, il ne sortira pas conforme de nos débats, car nous avons bien des choses à dire. Ce projet de loi est complexe parce qu’il est technique et politique, et parce qu’il concerne tous les acteurs de la société, aux intérêts souvent divergents. Entre les entrepreneurs, les chasseurs, les pêcheurs, les protecteurs de la nature et les autres séducteurs – la séduction ne devrait jamais aller jusqu’à la pression… – (Murmures divers), les différences de points de vue paraissent parfois inconciliables. Nous devons en priorité défendre la biodiversité, les espèces, les espaces et les écosystèmes ; remplir notre mission implique donc de trouver un seuil en deçà duquel nous ne pouvons pas descendre.

Dans le droit fil de l’élan responsable dont nous avons fait la démonstration lors de la COP21, il nous faut nous engager sur des objectifs ambitieux. Nous devrons accepter de nous bousculer au lieu de ronronner dans une politique de petits pas. Il nous faut du courage et de la conviction pour avancer ; ne vous laissez donc pas influencer par les pressions dont les auteurs n’ont d’autre volonté que de nous amener à ne rien faire. Vous connaissez tous le vieil adage : qui n’avance pas recule. Montrons donc que les représentants de la Nation sont capables de défendre l’intérêt général, au nom des générations futures et de la pérennité de l’espèce humaine sur notre planète, qui que l’on soit et où que l’on se trouve.

Le Sénat a examiné le texte il y a quelques semaines. Les débats y ont été sérieux, quelquefois un peu durs. Je salue le rapporteur Jérôme Bignon qui a fait tout ce qu’il a pu pour ne pas se laisser déborder, même s’il n’a pas toujours réussi. Ce travail a permis des avancées qui nous permettront d’améliorer encore le texte sans prendre le risque de l’amoindrir.

Le projet de loi comporte des rendez-vous à ne pas manquer : la solidarité écologique, dans sa double dimension ; le triptyque « éviter, réduire, compenser » déjà présent dans la loi de 1976, mais dont nous devons réaffirmer l’ordre avec force ; le préjudice écologique qui permettra de ne plus nous contenter de la jurisprudence ; l’interdiction des néonicotinoïdes — une décision qui exige du courage, mais qui profitera aux agriculteurs, aux populations et aux espèces animales et végétales, ainsi qu’aux micro-organismes du sol ; la création de l’AFB, un outil efficace et fonctionnel au service de tous les acteurs, qui, sans être une usine à gaz, démultipliera les moyens alloués à la biodiversité.

Je regrette que l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) n’y participe pas, car c’était pour cette structure une formidable opportunité de voir consacrer ses compétences. L’avenir saura nous démontrer, en particulier au niveau local, la pertinence d’une telle intégration. Nous pourrons à nouveau débattre de tous ces thèmes avec nos approches et nos sensibilités respectives ; j’espère néanmoins que nos débats iront toujours dans le sens d’une volonté farouche d’atteindre nos objectifs et de tendre vers l’exemplarité.

Mais les apports du Sénat ne sont pas tous positifs. Certains amendements ne suivent pas la logique des grands défis que nous devons relever et nous aurons à cœur de rectifier les dispositions qui auraient pour conséquence de dénaturer le texte. Ainsi, le Sénat a transformé les obligations réelles environnementales — que nous concevons comme un engagement volontaire unilatéral — en contrats, sans que cela apparaisse nécessaire.

Nous devons examiner 911 amendements ; la règle de « l’entonnoir » nous empêche d’en considérer quelques autres, qui seraient pourtant pertinents. En effet, l’étalement dans le temps nous a permis de gagner en recul, donc en idées ; il est dommage d’en abandonner certaines, car le sujet est transversal et nous n’en avions pas traité toutes les facettes en première lecture. Mais nous devons nous plier à la règle. Malgré sa complexité et ses imperfections, ce texte nous passionne. J’espère que nous pourrons en être fiers.

Mme Viviane Le Dissez. Le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages a été adopté au Sénat à une très large majorité. Plus d’une centaine d’articles nouveaux y ont été introduits. Bien que l’équilibre du texte et ses principales dispositions aient été maintenus, des ajustements sont encore nécessaires.

L’examen du texte par la Haute Assemblée a permis d’enrichir les débats sur plusieurs points. Les sénateurs ont conforté la création de l’Agence française pour la biodiversité qui sera la première agence de pilotage, de suivi et d’expertise au monde. Elle sera opérante dès la promulgation de la loi.

La protection et la valorisation de la biodiversité et de ses ressources passent par la connaissance de ce milieu complexe, mais aussi par la participation active des territoires. Ainsi, les partenariats de l’Agence avec les collectivités territoriales, les territoires d’outre-mer ou le monde de la recherche — qui est au cœur de ses missions — sont justement représentés et reflètent les choix de sa gouvernance.

Le Sénat a avalisé la transposition dans notre droit national du protocole de Nagoya en autorisant sa ratification. Ce protocole, outil indispensable de lutte contre la biopiraterie, met en place un instrument juridique afin de promouvoir une utilisation durable des ressources et de garantir un partage juste et équitable des avantages. Ainsi le texte concrétise-t-il des engagements ambitieux envers les populations des pays qui ont déjà ratifié le protocole comme envers les experts, les muséums et les laboratoires, notamment de recherche pharmaceutique et de cosmétologie, qui attendent aussi cette manière de travailler.

Ce nouveau cadre juridique allie d’ailleurs une meilleure gestion des ressources naturelles et de protection du monde de la recherche avec la mise en œuvre de procédures encadrées relevant soit du régime de la déclaration, soit de l’autorisation, avec un juste retour envers les communautés d’habitants, dès lors qu’elles découlent de l’utilisation des connaissances traditionnelles.

Enfin, la notion de préjudice écologique entre dans la loi. Il nous appartient de finaliser et d’encadrer cette disposition majeure attendue depuis bien longtemps qui, je le pense, fait consensus sur tous les bancs. En tant que Costarmoricaine, je n’oublie pas le désastre écologique causé par le naufrage de l’Erika : il a durablement marqué les esprits et, bien sûr, la faune et la flore de notre littoral. Les mécanismes d’une responsabilité civile, fondée sur les dommages causés à l’environnement, doivent être encore précisés et affinés. Nos décisions quant à la définition de ce cadre juridique seront décisives pour les décennies à venir.

Alors que la filière agricole est confrontée à une crise sans précédent, il est important d’intégrer l’agriculture dans le champ de la biodiversité. Ce texte doit être l’occasion de mieux protéger et soutenir les initiatives durables. Les agriculteurs font partie des acteurs majeurs de la reconquête de la biodiversité. La disposition introduite par le Sénat et qui vise à interdire le brevetage des gènes natifs est à considérer comme un soutien du secteur agricole.

Ce texte primordial affermit nos engagements, notamment à travers le triptyque « éviter, réduire, compenser » – éviter avant de réduire, et réduire avant de compenser.

Son dernier volet conforte les sites protégés inscrits sur nos territoires et préservera les allées d’arbres, l’image de notre patrimoine aussi bien rural qu’urbain.

Il nous faudra revenir sur quelques sujets controversés, tels que la chasse, certaines mesures concernant l’agriculture et le chalutage en eaux profondes – il nous appartiendra de trancher dans le respect de la biodiversité pour les années à venir. Nous devons aboutir à un texte clair et applicable dès sa promulgation.

Notre responsabilité est grande, face au défi de la préservation et de la gestion durable de la biodiversité, qui est mouvante : les termes de la loi devront pouvoir évoluer et s’adapter aux changements qu’elle rencontrera.

J’espère que les échanges qui auront lieu dans cette commission seront toujours aussi riches et courtois.

M. Martial Saddier. Madame la secrétaire d’État, je tiens à vous féliciter pour votre nomination – mais, par les temps qui courent, ces félicitations doivent être assorties d’encouragements. (Sourires)

Ce texte revient devant notre commission après y avoir été examiné il y a deux ans et après que l’Assemblée l’a adopté en première lecture il y a un an : ces faits doivent tempérer l’enthousiasme de Mme la secrétaire d’État et de ceux qui prétendent qu’il constitue une priorité absolue de la majorité et du Gouvernement.

En première lecture, nous nous étions interrogés sur l’objet même du texte, notamment sur l’Agence française pour la biodiversité. J’espère que la deuxième lecture nous fournira des réponses plus précises. Nous sommes plusieurs à penser que cette agence, qui sera nationale, nous fera courir un risque de recentralisation. Nous ne savons toujours pas quelle sera son articulation avec les territoires et nous n’avons toujours pas vraiment compris où est la rationalisation et quels moyens supplémentaires seront dégagés en faveur de la biodiversité de manière homogène sur l’ensemble des territoires.

Nous saluons les travaux du Sénat. En première lecture, nous avions défendu diverses mesures sur l’agriculture, sur la gouvernance des agences de l’eau – laquelle a évolué en 2014, puisqu’elle a été ouverte à la société civile – et sur la chasse. Sur ces trois points, le Sénat est plus ou moins parvenu à un équilibre que nous défendrons. Toutefois, nous désapprouvons la notion de préjudice écologique et la manière dont elle serait inscrite dans le code civil, les mesures concernant les chemins ruraux et l’abattage des arbres, ainsi que la taxe sur l’huile de palme.

Comme d’habitude, les députés du groupe Les Républicains abordent l’examen de ce texte avec un esprit constructif, mais ils ne manqueront pas de revenir sur les questions qu’il soulève depuis deux ans.

M. Bertrand Pancher. Madame la secrétaire d’État, vos propos nous ont presque attendris (Sourires) : nous avons parfois eu l’impression d’entendre Ségolène Royal – ce qui n’est pas vraiment un compliment. (Rires et murmures divers)

Cela dit, je tiens à saluer votre enthousiasme.

Sans doute pourrait-on dire que ce texte est un grand projet de loi sur la biodiversité des escargots (Sourires), car son examen avance avec lenteur. Il aura mis trois ans à cheminer ! Cela complique notre travail, même si nous nous adaptons et reprenons assez facilement nos notes.

S’agit-il vraiment de la grande loi sur la biodiversité qu’on nous avait annoncée lors de la conférence environnementale ? Non. Nous attendions la création d’une « grande » agence de la biodiversité : nous aurons une « petite » agence, qui s’occupera essentiellement de la biodiversité des milieux aquatiques, puisque l’ONCFS et l’Office national des forêts ont fait comprendre qu’il était hors de question qu’ils y soient associés – et on comprend leurs réserves. Cette agence sera-t-elle dotée de nouveaux moyens ? Non. Nous sommes dans un contexte de réduction généralisée des budgets.

Certes, Mme la rapporteure avait introduit en première lecture des dispositions astucieuses, mais certaines ont été remises en cause par le Sénat. Que ressortira-t-il de nos travaux en deuxième lecture ? Les décrets d’application seront-ils publiés, sachant que nous nous rapprochons de plus en plus des prochaines échéances électorales ?

Nous présenterons des amendements qui visent à améliorer ce texte. Du sort qui leur sera réservé dépendra le vote final de notre groupe.

Mme Laurence Abeille. Comme mes collègues, je déplore la lenteur avec laquelle ce texte est examiné. Nous attendions ce projet de loi avec impatience. Nous sommes aujourd’hui à une nouvelle étape ; espérons que les suivantes seront plus rapides.

Nous ne nous satisfaisons pas du tout des mesures qui ont été adoptées au Sénat. Si la Haute Assemblée a voté ce texte à une large majorité, il l’a profondément abîmé. Il va donc falloir revenir sur un certain nombre de dispositifs.

L’une des dispositions phares concerne le refus du Sénat d’interdire les néonicotinoïdes. Faut-il rappeler à quel point ces produits sont nocifs pour la biodiversité, pour les pollinisateurs, pour les sols, pour les eaux ?

Il nous faudra également revenir sur les dispositifs adoptés concernant les modes de chasse nuisibles à la biodiversité. Il est parfois bon de rappeler des évidences : ce que nous souhaitons, c’est protéger les espèces protégées. La chasse à la glu n’est pas admissible, puisqu’elle permet d’attraper des espèces d’oiseaux protégées. Nous reviendrons également sur la question de la chasse en période de reproduction.

Je suis très attachée aux mesures favorisant la biodiversité en milieu urbain, dont ce texte ne parle pas assez, comme les toitures végétalisées et les revêtements perméables sur les parkings. Ces dispositifs, qui peuvent sembler anodins, sont extrêmement importants. La densité urbaine fait que nous avons créé des îlots de chaleur. La question climatique en ville est devenue importante, tout comme la lutte contre la pollution et l’évacuation des eaux.

Enfin, s’agissant du triptyque « éviter, réduire, compenser », on ne dira jamais assez qu’il faut évidemment favoriser l’évitement, puis la réduction, la compensation devant intervenir en dernier ressort. Ce sujet a fait l’objet de peu de discussions en première lecture à l’Assemblée nationale. Il faudra trouver les moyens de l’encadrer plus fermement.

L’interdiction du chalutage en eaux profondes est un sujet qui me tient à cœur. On sait à quel point les milieux marins sont fragiles et combien la biodiversité en milieu marin est riche. Il est donc important d’interdire ce mode de pêche, inintéressant d’un point de vue économique et qui a des conséquences graves sur la biodiversité.

Nous reviendrons peu sur la question de la gouvernance de l’Agence française pour la biodiversité, car nous en avons déjà longuement débattu. Bien évidemment, nous continuons de regretter l’absence de l’ONCFS au sein de l’AFB. Comme le dit Bertrand Pancher, en l’état, il s’agit davantage d’une agence des milieux aquatiques.

M. Bertrand Pancher. Si même les écologistes le disent ! (Rires)

Mme Laurence Abeille. La question des moyens de cette agence est essentielle ; nous aurons l’occasion d’y revenir.

La notion de préjudice écologique a été introduite au Sénat. La nouvelle rédaction proposée par le Gouvernement nous inquiète grandement : elle ne doit surtout pas constituer une régression par rapport au droit de l’environnement. Au contraire, il faut prendre sérieusement en main ce dossier et avancer.

L’interdiction des néonicotinoïdes ou celle du chalutage en eaux profondes sont des mesures concrètes qui peuvent donner du corps à cette loi. Nous avons envie de nous occuper de la protection de la nature, et nous nous adressons aussi aux générations futures. La destruction de la biodiversité est massive et n’a jamais été aussi rapide. Bien sûr, cette loi ne réglera pas tout, mais nous espérons qu’elle constituera un jalon important.

M. Guillaume Chevrollier. Le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité continue son long cheminement. Cela fait presque deux ans qu’il a été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale. Il revient aujourd’hui devant nous après avoir été profondément modifié et enrichi au Sénat. Nous pouvons saluer la Haute Assemblée pour sa sagesse qui a permis d’améliorer considérablement le texte. Il est toutefois à craindre que cette sagesse ne gagne pas les bancs de l’Assemblée nationale et que la deuxième lecture ne malmène le texte.

Si la préservation de la biodiversité doit être notre ligne de conduite, nous ne pourrons la tenir qu’en respectant les agriculteurs et les chasseurs qui jouent un rôle important en la matière. Les premiers, dont le mécontentement et l’inquiétude grandement justifiés n’ont échappé à personne, sont en effet très concernés par ce texte. Or qu’y trouvent-ils ? Des contraintes, des interdictions et des complications. Certes, le Sénat a amoindri ces difficultés, mais certains articles doivent encore être améliorés.

Parmi les sources d’inquiétudes des agriculteurs, on peut citer l’obligation environnementale dont la portée doit être encadrée, les chemins ruraux et l’abattage des arbres pour lesquels le recensement ne doit pas avoir des conséquences préjudiciables pour eux, les associations environnementales dont le rôle doit être bien défini, sans oublier les produits phytosanitaires dont l’utilisation doit être encadrée et non fustigée.

Quant aux chasseurs, ils demandent une reconnaissance de leur rôle en tant que protecteurs de la biodiversité et refusent d’être stigmatisés comme ils le furent lors de la première lecture à l’Assemblée nationale qui a vu l’adoption d’amendements anti-chasse. Les chasseurs, même si des corrections sont encore à apporter au texte adopté au Sénat, veulent le maintien de l’équilibre trouvé. Il me reste à espérer que le texte issu du Sénat ne sera pas dénaturé en deuxième lecture à l’Assemblée nationale.

M. Serge Letchimy. J’ai eu l’occasion de m’exprimer à de très nombreuses reprises et de contribuer, avec mes collègues de l’outre-mer, à l’amélioration du texte. L’examen du projet de loi au Sénat suscitait de grandes inquiétudes de ma part. Or je dois reconnaître qu’il n’a pas été trop modifié. Contrairement à Bertrand Pancher, je tiens à féliciter la ministre de l’environnement, Ségolène Royal, pour avoir porté ce texte. Que Barbara Pompili prenne aujourd’hui le relais me semble être une très bonne chose. Ce projet de loi est une grande initiative française. Il est très facile de parler d’écologie et d’environnement ; il est plus difficile – et pourtant essentiel – d’atteindre un haut niveau de reconnaissance, de valorisation et de protection de la nature.

Cette question est d’une importance extrême pour l’outre-mer, qui concentre 80 % de la biodiversité française. Nous avons beaucoup œuvré pour ne pas être dans un système contemplatif de la biodiversité, dans une posture géopolitique de domination de la biodiversité, des récifs coralliens aux richesses naturelles de la Guyane, mais dans une approche de réappropriation collective par nous-mêmes de la biodiversité et de valorisation de sa protection. C’est essentiel pour l’équilibre de la nature. À ce titre, je tiens beaucoup à ce que certaines des dispositions adoptées soient maintenues, notamment les délégations de l’Agence. Le Sénat a adopté une formule qui me paraît bizarre, puisqu’elle remplace le mot « délégation » par l’expression « organisme de collaboration pérenne ». Je ne sais pas ce que cela veut dire. En tout cas, ce n’est pas crédible.

Enfin, l’accès et le partage des ressources me paraissent essentiels, notamment par la reconnaissance des pratiques et des savoirs traditionnels. L’expression de « communauté d’habitants » conduit à intégrer le maximum de personnes. Je souhaite que soit engagée une analyse juridique très précise pour voir si les retombées des savoirs et des pratiques traditionnelles utilisées dans le cadre d’une valorisation sont aussi profitables à des pays comme la Martinique ou la Guadeloupe, qui n’ont pas de communautés d’habitants telles qu’on les conçoit. Le pillage de la richesse biologique ayant été constaté, il faut entrer dans un processus de valorisation, car ce sont des filières de croissance économiques essentielles pour l’avenir.

J’en viens aux moyens de l’Agence française pour la biodiversité et au cas précis de l’intégration, dans l’Agence, du comité national de l’initiative française pour les récifs coralliens (IFRECOR). Quels seront les moyens mis en œuvre, sachant que, l’IFRECOR ayant un modèle de gouvernance propre, sa dynamique pourrait être compromise si l’on n’y prend garde ?

M. François-Michel Lambert. Nous devons faire de la défense de la biodiversité une priorité législative et politique. La création du secrétariat d’État chargé de la biodiversité nous en donne l’occasion. Le moment est venu de régler définitivement la question des éléments qui détruisent réellement la biodiversité – je pense notamment aux néonicotinoïdes et à la pêche en eaux profondes.

Mais ne nous trompons pas de combat : nous devons œuvrer à rassembler, à plus ou moins long terme, tous les acteurs de la nature dans une gouvernance partagée. Agriculteurs et chasseurs devront trouver leur place dans un pilotage partagé de la gestion de la biodiversité.

M. Arnaud Leroy. Depuis quelques heures, la question du préjudice écologique suscite beaucoup d’émoi. Vous le savez, j’ai animé, avec Geneviève Gaillard, un petit groupe de travail pour donner au dispositif un peu plus d’efficacité, de stabilité et de visibilité, notamment pour les entreprises. Je dois avouer que je suis surpris de la dernière mouture du texte. Il est important de ne pas revenir en arrière par rapport à la rédaction issue du Sénat et de ne pas abandonner le principe pollueur-payeur inscrit dans les traités de l’Union européenne.

La notion de préjudice écologique est aussi importante et novatrice pour notre droit civil que la loi sur la biodiversité car c’est une véritable révolution juridique. Aussi convient-il de ne pas se tromper. Avec Geneviève Gaillard, nous avons essayé de trouver une rédaction juridiquement solide. Peut-être n’est-elle pas parfaite, peut-être faudra-t-il la revoir, mais il faut surtout éviter d’adopter l’amendement du Gouvernement qui prévoit que « n’est pas réparable, sur le fondement du présent titre, le préjudice résultant d’une atteinte autorisée par les lois, règlements et engagements internationaux de la France ou par un titre délivré pour leur application », car il est extrêmement dangereux pour le droit de l’environnement dans notre pays.

M. Jean-Marie Sermier. Madame la secrétaire d’État, vous représentez ici le Gouvernement de la France. Or, à deux reprises au début de votre intervention, vous avez rappelé votre engagement écologiste. Je souhaite que votre engagement s’adresse avant tout à tous les Français.

Mme la secrétaire d’État. C’est une évidence !

M. Jean-Marie Sermier. Vous avez rappelé les enjeux essentiels de la planète sur le dérèglement climatique et le maintien de la biodiversité. Ces enjeux, nous les partageons, sur tous les bancs de l’Assemblée. C’est un souci permanent qui a trouvé une première réponse en 2010, à Nagoya. Tous les gouvernements qui ont ratifié l’accord ont travaillé ensemble. La France a joué un rôle essentiel d’entraîneur. Mais, quand on est un entraîneur, l’essentiel n’est pas de courir vite tout seul devant, mais d’associer toute l’équipe pour que nous puissions courir ensemble au même rythme et faire avancer les moins performants.

Si la France joue le rôle essentiel d’une nation qui possède une biodiversité exceptionnelle et un périmètre non moins exceptionnel, puisqu’elle est présente dans le monde entier, comme l’a rappelé à l’instant Serge Letchimy, elle a aussi le devoir de préserver ceux qui font son pays, ses traditions, son économie. Je pense aux agriculteurs qui n’ont pas besoin de surtransposition ni de normes supplémentaires. Ce débat sera l’occasion d’envoyer un signal très fort à nos agriculteurs. Ainsi, ils sauront si on les emmène dans une réserve ou si l’on compte sur eux pour qu’ils produisent demain une agriculture de qualité.

Plusieurs intervenants ont évoqué la lenteur du parcours législatif de ce projet de loi. Effectivement, la vitesse n’est pas au rendez-vous. Souhaitons que la précipitation ne le soit pas non plus. Les débats seront importants. Le brevetage du vivant est compliqué, y compris pour les petites entreprises françaises. La question de l’utilisation des néonicotinoïdes est également complexe, et l’avis rendu par l’ANSES au mois de janvier dernier laisse penser que ce dossier n’est pas aussi simple qu’on voudrait nous le faire croire. Quant à la taxation de l’huile de palme, il ne faut pas confondre les politiques d’affichage et les politiques réalistes sur la déforestation.

De beaux débats nous attendent en tout état de cause. J’espère, Madame la secrétaire d’État, que vous serez ouverte au dialogue avec les diverses corporations françaises.

Mme la secrétaire d’État. Avec les Français, pas avec les corporations !

M. Philippe Plisson. Nous arrivons au terme d’un long cheminement législatif qui aboutira à l’adoption du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité.

Le Sénat a amendé le projet de loi et le texte qui nous revient aujourd’hui a été voté à l’unanimité des groupes politiques. C’est assez rare pour être souligné. Or j’ai entendu tout à l’heure des propos qui vont ranimer les polémiques, en particulier en ce qui concerne la chasse. Je souhaite que nos débats se focalisent sur ce qui nous rassemble et non sur ce qui nous divise, afin que nous votions, nous aussi à l’unanimité, une loi relative à la biodiversité — j’allais dire : une loi sur la chasse. (Sourires)

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Il fut un temps où le Parlement votait chaque année une loi sur la chasse. La dernière en date, en 2011, est la proposition de loi de Jérôme Bignon, que l’opposition d’alors avait votée.

M. Yves Nicolin. Ce projet de loi cherche à atteindre des objectifs multiples et importants, que nous pouvons partager, mais qui sont parfois contradictoires. Certains ont parlé de la sagesse du Sénat. Mais, tandis que notre agriculture est en plein désarroi, certaines mesures adoptées par le Sénat ne font qu’aviver l’inquiétude, car elles auraient des conséquences désastreuses pour certaines professions, en particulier pour la profession agricole. Alors que le principe de complémentarité entre l’agriculture et l’environnement devrait prévaloir, on a parfois le sentiment que ce texte les oppose.

Certains amendements votés au Sénat frisent l’extravagance. Ainsi, l’article 72 bis vise à interdire purement et simplement l’abattage de certains arbres, notamment « les allées d’arbres et alignements d’arbres, qui constituent un patrimoine culturel et une source d’aménités ». Est donc interdit « le fait d’abattre, de porter préjudice à l’arbre ou à son domaine vital, de compromettre la conservation ou de modifier radicalement l’aspect d’un ou de plusieurs arbres d’une allée ou d’un alignement d’arbres ».

Il paraîtrait logique de demander que l’Agence française de la biodiversité ne vienne pas contredire, voire perturber le rôle d’autres instances, comme l’ANSES ou l’Institut national de la recherche agronomique (INRA). Il faudra faire cohabiter tout ce petit monde en bonne intelligence.

Nous souhaitons que la création des réserves d’eau ne soit plus soumise à la réglementation des carrières, comme cela peut être le cas aujourd’hui. En ce qui concerne les débits réservés, il pourrait être demandé de permettre de déroger aux obligations, notamment en zone de montagne ou de piémont méditerranéen, pour permettre l’irrigation. Dino Cinieri, député de la Loire, est tout particulièrement concerné par cette question.

Si ce texte a permis à la sagesse du Sénat de s’exprimer, il me semble que le bon sens de l’Assemblée peut à son tour apporter une contribution intéressante et positive.

Mme Valérie Lacroute. Je veux évoquer les dispositions afférentes à l’activité agricole. En première lecture, le groupe Les Républicains avait voté contre ce texte, car il comptait de nombreuses dispositions qui préoccupaient le monde agricole. Les débats ont parfois été très durs à l’encontre des agriculteurs. Pourtant, l’agriculture contribue aussi à la préservation de la biodiversité. Les agriculteurs sont en contact avec le vivant tous les jours, sur leurs exploitations.

Face à la crise que traverse l’agriculture française, il serait suicidaire d’imposer à nos agriculteurs de nouvelles contraintes environnementales qui vont au-delà des exigences européennes. Au tout réglementaire, il vaut mieux privilégier la contractualisation et les partenariats avec les agriculteurs. Il est primordial de trouver le juste équilibre entre développement durable et compétitivité de notre agriculture.

Je voudrais saluer nos collègues sénateurs pour le travail qu’ils ont effectué. Ils ont répondu aux interrogations du monde agricole en modifiant substantiellement certaines dispositions trop contraignantes. J’en veux pour preuve que l’interdiction, à compter du 1er janvier 2016, de l’usage des produits phytosanitaires de la famille des néonicotinoïdes a été supprimée, au motif que le législateur français n’est pas habilité à interdire l’usage d’une famille de produits phytosanitaires. Une telle disposition relève en effet du législateur européen.

Je soutiendrai donc, pour ma part, le texte tel qu’il a été adopté par les sénateurs, tout en m’opposant à certains articles qui augmentent les contraintes, telles que le renforcement des missions de l’AFB ou l’obligation de transmission systématique par les agriculteurs de leur registre de produits phytosanitaires.

La Commission en vient à l’examen des articles du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

TITRE Ier
principes fondamentaux

Article 1er (article L. 110-1 du code de l’environnement) : Actualisation des principes généraux du droit de l’environnement

La Commission examine, en discussion commune, l’amendement CD172 rectifié de la rapporteure et les amendements identiques CD493 de Mme Laurence Abeille, CD568 de M. Bertrand Pancher et CD749 de M. Joël Giraud.

Mme la rapporteure. L’amendement CD172 rectifié vise à rétablir les dispositions issues des travaux de l’Assemblée nationale incluant les paysages diurnes et nocturnes, les êtres vivants et la biodiversité dans le patrimoine commun de la Nation.

Mme Laurence Abeille. Je retire l’amendement CD493 au profit de celui de Mme la rapporteure, dont la rédaction s’avère plus exhaustive.

M. Bertrand Pancher. L’amendement CD568 est défendu.

M. Olivier Falorni. De même que l’amendement CD749.

Mme la secrétaire d’État. Ces amendements proposent de réintroduire les notions de paysages diurnes et nocturnes ; la biodiversité englobe des espaces, des ressources et des milieux naturels terrestres et marins, ainsi que les sites et les paysages diurnes et nocturnes. Des paysages nocturnes, la biodiversité et des insectes se trouvent affectés par la pollution induite par l’excès de lumière artificielle. Je suis favorable à l’adoption de ces amendements.

M. Martial Saddier. Insérer ces précisions dans la loi nous semble inutile. Le texte évoquait les sites et les paysages, et leur qualification de diurnes et de nocturnes entraînera d’importantes conséquences quand on connaît l’ampleur des débats portant sur la luminosité entre les zones très urbaines, périurbaines, rurales et d’infrastructures.

L’amendement CD493 est retiré.

À la demande du président Jean-Paul Chanteguet, les amendements CD568 et CD749 sont également retirés.

La Commission adopte l’amendement CD172 rectifié.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements identiques CD494 de Mme Laurence Abeille, CD750 rectifié de M. Jacques Krabal et l’amendement CD173 de la rapporteure.

Mme Laurence Abeille. Il s’agit de rétablir une disposition, adoptée par l’Assemblée nationale et supprimée par le Sénat, qui vise à reconnaître la biodiversité des sols. Celle-ci n’est pas immédiatement visible, mais elle a toute sa place dans ce projet de loi qui réaffirme l’importance de la biodiversité ordinaire. Les sols jouent un rôle primordial dans les équilibres écosystémiques pour l’agriculture et dans le cycle du carbone.

M. Olivier Falorni. L’amendement CD750 rectifié est défendu.

Mme la rapporteure. L’amendement CD173 défend l’idée selon laquelle les sols concourent à la constitution du patrimoine commun de la Nation. Ils sont le support d’un patrimoine génétique fondamental et assurent des fonctions de première importance.

Mme la secrétaire d’État. Les sols remplissent une fonction essentielle, car une grande partie de la biodiversité s’y trouve nichée. Néanmoins, l’introduction de cette notion suscite des craintes pour l’agriculture, alors que les sols sont déjà inclus dans le terme de géodiversité. L’objet de ces amendements étant déjà satisfait, je vous propose de les retirer.

M. Jean-Marie Sermier. Vous avez parfaitement raison, Madame la secrétaire d’État. Le texte n’a pas à rappeler que le sol fait partie de la biodiversité, puisqu’il s’agit d’un élément minéral. N’effectuons pas de transposition inutile envoyant un mauvais signal à l’agriculture française.

M. Jean-Yves Caullet. Le sol résulte d’un élément géologique minéral et d’interactions vivantes, végétales et animales. Dès lors que l’on protège la biodiversité végétale et animale, on protège les sols avec la géodiversité ; le texte inclut donc déjà cette notion.

Mme Laurence Abeille. L’Assemblée nationale avait adopté cette disposition en première lecture ; il me semble essentiel de réintégrer les sols dans le texte pour ne pas les oublier. Les sols ne sont pas des minéraux, mais des corps vivants dont la biodiversité se révèle primordiale.

Mme la rapporteure. Le sol est constitué d’éléments minéraux, mais aussi de bactéries et de germes qui ont leur importance. L’Union européenne nous demande de nous pencher sur la question des sols, et une convention sur leur biodiversité se tiendra prochainement. L’insertion de cette notion dans le texte n’enlève ni n’impose rien aux agriculteurs, car on se contente de constater que les sols concourent à la biodiversité.

M. Julien Aubert. Lorsque l’on élabore un projet de loi sur la biodiversité, il semble opportun de s’entendre sur le périmètre du texte ; après deux années de navette parlementaire, on ne s’accorde toujours pas sur l’acception du terme de biodiversité, ce qui devrait nous faire réfléchir.

Les sénateurs ont sans doute supprimé la notion de sol dans l’article 1er pour de bonnes raisons. Il serait intéressant de les connaître. Sont-elles de forme ou obéissent-elles à une conception différente de la biodiversité ? L’existence de deux chambres devrait nous permettre de mener un débat sur le fond.

Mme la rapporteure. L’amendement de Mme Laurence Abeille affirme que les sols font partie du patrimoine de la Nation, alors que le mien explique que les sols concourent à la biodiversité et à la constitution de ce patrimoine. Madame Abeille, accepteriez-vous de retirer votre amendement ?

Mme Laurence Abeille. Oui.

M. Gilbert Sauvan. Je suis sceptique quant à la pertinence d’introduire dans le texte la notion de sol, qui ne touche pas qu’à l’agriculture, mais également à l’urbanisme. Nous ne devons pas contrarier les vocations agricoles ou d’accueil de constructions des sols.

Les amendements CD494 et CD750 rectifié sont retirés.

La Commission rejette l’amendement CD173.

Puis elle en vient à l’amendement CD174 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Tout en intégrant certaines modifications votées par le Sénat, cet amendement propose de définir la biodiversité à partir du texte adopté par l’Assemblée nationale en première lecture, qui s’appuyait lui-même sur la Convention sur la diversité biologique (CDB).

Mme la secrétaire d’État. La définition de la CDB, enrichie par la notion d’interactions entre les organismes vivants, est complète et précise. Les sénateurs sont parvenus à un accord consensuel établissant une caractérisation plus simple et acceptée par les associations. Je m’en remets à la sagesse de la Commission.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 1er ainsi modifié.

Article 2 (article L. 110-1 du code de l’environnement, article L. 1 du code rural et de la pêche maritime) : Actualisation des principes de préservation et de reconquête de la biodiversité

La Commission est saisie de l’amendement CD823 de M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Je propose souvent de supprimer des dispositions bavardes, et cet amendement s’inscrit dans cette démarche. Le code de l’environnement définissant déjà la biodiversité et son caractère prioritaire, il s’avère inutile de préciser que le patrimoine commun de la Nation « génère des services écosystémiques et des valeurs d’usage ».

Mme la rapporteure. J’approuve cette proposition de supprimer les deux premiers alinéas de l’article 2 et émets donc un avis favorable à l’adoption de cet amendement.

Mme la secrétaire d’État. Je m’en remets à la sagesse de la Commission.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, les amendements CD175, deuxième rectification, de la rapporteure et CD901 de Mme Marie Le Vern n’ont plus d’objet.

La Commission étudie les amendements identiques CD176 de la rapporteure et CD541 de Mme Laurence Abeille.

Mme la rapporteure. Nous souhaitons supprimer les alinéas 7 et 8 de l’article 2, car nous nous opposons à ce que la protection des espaces, des ressources et des milieux naturels, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état, leur gestion, la préservation de leur capacité à évoluer et des services qu’ils fournissent doivent prendre « en compte les valeurs intrinsèques ainsi que les différentes valeurs d’usage de la biodiversité reconnues par la société ». Contrairement au Sénat reprenant une proposition de chasseurs, il ne nous semble pas pertinent d’insérer dans l’un des premiers articles du texte et dans la partie du code de l’environnement relative au développement durable la notion de valeur d’usage, qui est d’essence économique. On sait ce qu’est la valeur intrinsèque, mais celle d’usage peut recouvrir beaucoup de choses.

Mme Laurence Abeille. Mon amendement a le même objet que celui de Mme la rapporteure.

M. Philippe Plisson. Il m’apparaît utile de reconnaître que le patrimoine commun de la nature est constitué par les espaces et les milieux naturels, et se trouve valorisé et entretenu par les chasseurs et les agriculteurs ; il convient de prendre en compte les valeurs intrinsèques et d’usage de la nature dans l’action pour la biodiversité. Je souhaite donc le maintien de ces deux alinéas.

Mme la secrétaire d’État. Ces amendements visent à supprimer du projet le fait que les mesures prises en faveur de la biodiversité doivent prendre en compte les valeurs intrinsèques et d’usage de la nature. Il existe un ensemble de valeurs reconnu par la société aux écosystèmes, mais la loi n’a pas à dresser une liste qui pourrait s’avérer incomplète, voire créer des opposabilités. Je suis donc favorable à l’adoption de ces amendements.

La Commission rejette les amendements.

Puis elle aborde l’amendement CD177 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Le présent amendement reprend la définition du triptyque « éviter, réduire, compenser » adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture.

Mme la secrétaire d’État. Cet amendement propose de rétablir le texte voté par l’Assemblée nationale. Les deux définitions de la séquence « éviter, réduire, compenser » retenues par les deux chambres du Parlement en première lecture sont acceptables, si bien que je m’en remets à la sagesse de la Commission.

Mme Laurence Abeille. Je préfère la rédaction de mon amendement CD515 à celle du vôtre, Madame la rapporteure, car elle précise que la compensation apparaît comme une dérogation au principe de précaution.

Mme la rapporteure. Il faut se montrer prudent : insérer les mots « par dérogation au principe de précaution » peut ouvrir des débats inutiles, car la Charte de l’environnement a permis d’atteindre un équilibre fragile mais efficace qu’il convient de ne pas rompre.

Le texte du Sénat dispose que « ce principe implique d’éviter les atteintes significatives », alors que nous pensons préférable d’écrire que « ce principe implique d’éviter les atteintes à la biodiversité ». Dans un texte de loi consacré à la biodiversité, il y a lieu de se concentrer sur celle-ci et non sur l’environnement. Par ailleurs, qu’est-ce qu’une atteinte significative à la biodiversité ? La rédaction sénatoriale s’avère des plus confuses.

M. Jean-Marie Sermier. Madame la rapporteure, vous nous dites que l’on ignore ce que recouvre la qualification de « significatives », mais cette remarque vaut également pour les atteintes portées à l’environnement. En revanche, l’expression d’« atteintes significatives » permet le développement de l’activité économique et la construction d’infrastructures. Si l’on inclut dans la loi toute atteinte à un habitat naturel, on ne pourra plus enlever le moindre arbre ! Votre amendement va trop loin et crée une norme supplémentaire, si bien que nous préférons la rédaction adoptée par le Sénat.

M. Julien Aubert. Toute activité humaine porte atteinte, de manière significative ou non, à l’environnement, et, dès que l’on construit, on heurte la biodiversité. La formulation du Sénat s’avère bien préférable, votre amendement, Madame la rapporteure, pouvant ouvrir la voie à des contentieux et à des dérives. Des projets ont été interrompus parce que la vie de deux espèces de scarabées était en jeu ! (Murmures) On ne peut pas bloquer toute activité humaine au prétexte qu’elle porterait atteinte à la biodiversité. On comprend néanmoins ce que signifie l’objectif d’éviter une « atteinte significative à l’environnement », à savoir que nos actions ne doivent pas conduire à détériorer la qualité environnementale. Il faut introduire une notion de seuil. Pourquoi n’avez-vous pas proposé la formulation d’« atteinte significative à l’environnement » ?

M. Jean-Louis Bricout. Il importe de qualifier les atteintes, afin de limiter les risques de dérives.

M. Gérard Menuel. La rédaction proposée engendrera de la jurisprudence et de la confusion. On a empêché un projet parce qu’une pie-grièche avait pondu quelques œufs en 1930. Je suis donc opposé à l’adoption de cet amendement.

Mme Delphine Batho. L’article L. 110-1 du code de l’environnement définit les principes généraux. Madame la rapporteure, vous avez raison de souligner le caractère inopérant et même dangereux de la rédaction adoptée par le Sénat. Le terme « significatives » créera immanquablement des problèmes d’application et d’interprétation de la loi. Votre formulation s’avère donc la meilleure.

L’absence de distinction entre la prévention et la réparation pose un problème de fond, et il aurait été plus clair de les séparer pour assurer une meilleure effectivité au principe « éviter, réduire, compenser ».

Mme la rapporteure. Cet amendement s’insère en effet dans les grands principes énoncés par le code de l’environnement. La loi du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l’environnement évoquait déjà le principe « éviter, réduire, compenser », mais aucun progrès n’a été enregistré depuis trente ans puisque la biodiversité continue de diminuer. La séquence d’évitement, de réduction et de compensation s’est avérée inefficace, et l’on empirerait la situation en utilisant l’expression d’« atteintes significatives », cette qualification étant sujette à diverses interprétations.

Je reprends l’exemple : toute construction d’équipement porte atteinte à la biodiversité ; on évite de la mener à bien et, à défaut, on en réduit les externalités négatives, voire on les compense. Il faut dresser le bilan des trente dernières années afin de progresser. La rédaction sénatoriale porte la promesse du statu quo, si bien que nous devons supprimer le terme « significatives ».

M. Julien Aubert. Le juge évalue le caractère proportionné d’une atteinte. Même si la loi parle d’« atteintes à la biodiversité », la jurisprudence découlant des contentieux nés de son application mesurera le caractère significatif ou non de l’atteinte portée. Est-ce au législateur ou au juge de fixer le seuil ? Cette question renvoie à la conception que l’on se fait de la répartition des pouvoirs entre le législatif et le juridictionnel ; pour ma part, je souhaite que la loi soit précise, afin d’éviter le gouvernement des juges.

Mme Viviane Le Dissez. Je soutiens les propos de Mme la rapporteure, car le terme « significatives » complexifiera l’application de la loi. Puisqu’une jurisprudence ne manquera pas de se développer, le mot « atteinte » suffit, et il n’y a pas lieu de la qualifier.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, les amendements CD515 de Mme Laurence Abeille et CD268 de M. Dino Cinieri tombent.

Puis la Commission examine, en discussion commune, les amendements CD178 de la rapporteure, CD540 de Mme Laurence Abeille et CD751 de M. Jacques Krabal.

Mme la rapporteure. L’amendement CD178 vise à rétablir le principe d’absence de perte nette et de recherche de gain de biodiversité. Je tiens à rappeler que l’objet de ce texte de loi est la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Le terme de « reconquête » implique de regagner du terrain par rapport à la perte de biodiversité.

Mme Laurence Abeille. L’amendement CD540 a pour objet de définir le principe de compensation et d’inscrire plusieurs garde-fous dans la loi. Ainsi, l’absence de perte nette exige une compensation intégrale, la non-substitution interdit de recourir à la compensation lorsque les opérations d’évitement et de réduction sont possibles, et le respect de l’équivalence écologique oblige les résultats de la compensation à être équivalents écologiquement et non financièrement aux pertes induites par les impacts du projet. La compensation doit être effective pendant toute la durée des externalités, un aménageur étant chargé de s’en assurer. Il convient d’effectuer la compensation in situ et non à des centaines de kilomètres ou à l’étranger. Il faut également éviter le morcellement, et il ne doit pas être possible d’aménager quinze parcelles d’un hectare pour compenser la dégradation d’un lieu de quinze hectares. Enfin, l’obligation de résultat importe d’autant plus qu’il s’avère compliqué de définir a priori celui de la compensation, et l’aménageur doit modifier son projet de compensation pour obtenir le résultat escompté.

M. Jacques Krabal. L’amendement CD751 est défendu.

Mme la rapporteure. Je ne suis pas favorable à l’adoption des amendements CD540 et CD751, car l’article L. 110-1 du code de l’environnement énonce des grands principes, alors que ces amendements définissent et encadrent la compensation de manière précise. L’article 33 A du projet de loi a trait à ces sujets, et nous devrons en débattre lorsque nous examinerons cet article. Madame Laurence Abeille et Monsieur Jacques Krabal, je vous demande de retirer vos amendements.

Mme Laurence Abeille. La compensation constitue un thème fondamental de ce texte relatif à la biodiversité, et il s’avère essentiel de la définir. Je maintiens donc mon amendement.

M. Julien Aubert. Madame la rapporteure, l’absence de perte ou la recherche d’un gain sont des notions quantitatives. Comment les mesurez-vous ? Comptez-vous le nombre d’espèces ? Il est important de connaître l’intention du législateur.

Mme la rapporteure. Des organismes de recherche sont capables d’apprécier l’évolution de la biodiversité. Mon amendement adopte une perspective globale : constate-t-on une absence de perte nette en matière de biodiversité ?

Mme Delphine Batho. Madame la rapporteure, Madame la secrétaire d’État, j’ai défendu la notion de perte nette, mais sa portée normative pose problème. Je me demande si la rédaction précisant que l’absence de perte s’entend quantitativement et qualitativement n’est pas la meilleure. Ces dispositions devraient en revanche figurer dans la partie du texte traitant de la mise en œuvre des mesures de compensation.

Mme la secrétaire d’État. L’article 2 pose le principe essentiel d’éviter, de réduire et de compenser, un autre titre de la loi développant la réalisation de la compensation. La loi doit être lisible, et nous devrions en rester ici au niveau des principes. J’émets donc un avis défavorable à l’adoption de ces trois amendements.

M. Guy Bailliart. Si l’on veut qualifier la perte, il ne faut pas écrire « quantitative et qualitative », mais « quantitative ou qualitative » pour ne pas réduire la portée de l’article. Une autre solution consisterait à supprimer tous les qualitatifs.

Mme la rapporteure. Mme la ministre a eu raison de rappeler que l’article 2 s’insérait dans la partie définissant les grands principes. Nous pourrons les qualifier plus loin dans le texte. Nous examinons un projet de loi de reconquête de la biodiversité, et nous devons proclamer les principes sur lesquels il repose.

M. Jacques Krabal. Je retire mon amendement CD751.

L’amendement CD751 est retiré.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Madame Laurence Abeille, vous maintenez toujours votre amendement CD540 ?

Mme Laurence Abeille. Oui !

La Commission rejette alors successivement les amendements CD178 et CD540.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Nous reprendrons nos travaux à 21 heures 30.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mardi 1er mars 2016 à 18 h 15

Présents. - Mme Laurence Abeille, Mme Sylviane Alaux, M. Julien Aubert, M. Guy Bailliart, Mme Chantal Berthelot, M. Florent Boudié, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, Mme Sabine Buis, M. Vincent Burroni, M. Alain Calmette, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, Mme Florence Delaunay, M. Stéphane Demilly, M. David Douillet, M. Olivier Falorni, M. Charles-Ange Ginesy, M. Michel Heinrich, M. Jacques Krabal, Mme Valérie Lacroute, M. François-Michel Lambert, Mme Viviane Le Dissez, M. Arnaud Leroy, M. Michel Lesage, Mme Marie Le Vern, M. Philippe Martin, M. Gérard Menuel, M. Yves Nicolin, M. Bertrand Pancher, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, Mme Sophie Rohfritsch, M. Martial Saddier, M. Gilbert Sauvan, M. Jean-Marie Sermier, Mme Suzanne Tallard

Excusés. - M. Christian Jacob, M. Alain Leboeuf, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Rémi Pauvros, M. Napole Polutélé, M. Gabriel Serville

Assistaient également à la réunion. - Mme Delphine Batho, Mme Michèle Bonneton, M. Dino Cinieri, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Serge Letchimy, M. Lionel Tardy