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Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire
La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a poursuivi l’examen, en deuxième lecture, sur le rapport de Mme Geneviève Gaillard, du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (n° 3442).
Article 2 (suite) (article L. 110-1 du code de l’environnement, article L. 1 du code rural et de la pêche maritime) : Actualisation des principes de préservation et de reconquête de la biodiversité
L’amendement CD269 de M. Dino Cinieri est retiré.
La commission examine les amendements identiques CD55 de M. Guillaume Chevrollier, CD92 de M. Jean-Marie Sermier, CD108 de Mme Sophie Rohfritsch, CD216 de M. Martial Saddier, CD317 de M. Dino Cinieri, CD382 de M. Julien Aubert, CD784 de M. Gérard Menuel, CD844 de Mme Valérie Lacroute et CD863 de M. Jean-Louis Bricout.
M. Guillaume Chevrollier. Le principe de complémentarité entre l’agriculture, la sylviculture et l’environnement, introduit par l’Assemblée nationale en première lecture, repose sur l’idée que les surfaces agricoles et forestières sont porteuses d’une biodiversité spécifique.
Il convient donc que ce principe figure dans le code de l’environnement, ainsi qu’il était prévu initialement, et non dans le code rural et de la pêche maritime.
M. Jean-Marie Sermier. Ce principe de complémentarité est un principe extrêmement important. Deux solutions s’offrent à nous : soit nous l’inscrivons dans le code rural, comme le fait le projet de loi dans son état actuel, soit nous le gravons dans le code de l’environnement, comme je le propose par mon amendement, identique à ceux de nombre d’autres collègues.
L’article L. 110-1 du code de l’environnement édicte en effet les principes sur lesquels repose la protection de l’environnement : le principe de précaution, le principe de l’action préventive, le principe « pollueur-payeur », le droit à l’accès à l’information, le droit à la participation. Alors que nous y ajoutons deux nouveaux éléments, il serait dommage de ne pas compléter cette liste par un huitième principe, à savoir la complémentarité entre l’agriculture et l’environnement. Si les agriculteurs de France sont réellement les « jardiniers de l’espace » en même temps que les producteurs d’une alimentation de qualité, ce serait leur donner un bon signal que de faire ce choix.
M. Jean-Louis Bricout. Je partage l’argumentation de mes collègues.
Mme Geneviève Gaillard, rapporteure. Avis défavorable. J’appelle votre attention sur le fait que la rédaction de l’alinéa tel qu’adopté par le Sénat est moins claire que celle que nous avions votée, et je pense que nous ferions preuve d’intelligence en inscrivant dans les deux codes, comme je le propose par mon amendement CD181 rectifié, le principe de complémentarité entre l’agriculture et l’environnement, car cette complémentarité va de pair avec la transversalité des actions nécessaires en faveur de la biodiversité, laquelle souffre du cloisonnement vertical des activités.
Mme Barbara Pompili, secrétaire d’État chargée de la biodiversité. Le code de l’environnement n’a pas vocation à identifier les pratiques agricoles et sylvicoles favorables à la biodiversité. Comme l’a dit Ségolène Royal lors de la première lecture du projet de loi à l’Assemblée nationale, « le fait de reconnaître la complémentarité entre l’environnement et l’agriculture incitera encore davantage la profession à se remettre en cause, surtout dans ses pratiques les plus intensives, et à envisager une réflexion collective sur l’avenir de notre planète, et donc a toute sa place dans le code rural ». Pour ces raisons, j’émets un avis défavorable.
Mme Laurence Abeille. J’ai beaucoup critiqué les modifications apportées par le Sénat, mais je trouve celle-ci plutôt opportune. Nous avions eu des échanges en séance sur la complémentarité, difficile à organiser entre une agriculture conventionnelle et intensive, qui utilise des intrants chimiques – dont je souhaite pour part que l’usage soit réduit, voire supprimé – et la biodiversité des sols. En consacrant le principe de complémentarité dans le code rural, nous saluons les efforts réalisés et adoptons une attitude positive vis-à-vis des agriculteurs. C’est pourquoi, à l’instar du Gouvernement, je suis opposée à son inscription dans le code de l’environnement.
M. Jean-Yves Caullet. Depuis la première lecture, nous avons adopté la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, qui a bel et bien inscrit dans le code rural le principe de la triple performance économique, sociale et environnementale. Je souligne au passage que le livre préliminaire du code rural où l’insertion est demandée ne comporte aucune référence à la forêt, et je défendrai tout à l’heure l’amendement CD649 à ce propos.
Je ne suis pas opposé à un « effet miroir » entre les deux codes, mais je préférerais que le code de l’environnement précise seulement que la sylviculture et l’agriculture ont, sur un plan général, une complémentarité avec l’environnement, en réservant au code rural la consécration du principe de la triple performance.
La commission rejette les amendements.
Elle en vient à l’examen de l’amendement CD243 de M. Martial Saddier.
M. Martial Saddier. Je remercie le président Chanteguet d’avoir tenu compte de mon intervention de cet après-midi et veillé à ce que mon amendement vienne en discussion.
Mme la rapporteure. Avis défavorable. Nous nous réjouissons que le principe de solidarité écologique, qui dérive d’un principe jusqu’à présent circonscrit aux parcs nationaux et énoncé à l’article L. 331-1 du code de l’environnement, soit inscrit à l’article L. 110-1 du même code. J’insiste sur la double dimension de ce principe, qui consacre l’interdépendance et l’interaction du vivant, des espèces, des milieux et des fonctionnalités, mais aussi des territoires et de leur gestion, parfois lourde à assumer – aspect qui nécessitera sans nul doute un prolongement budgétaire de cette reconnaissance.
En effet, les collectivités riches d’une vaste biodiversité, sous forme de mares ou de zones humides par exemple, rencontrent de ce fait une vraie difficulté à attirer des entreprises ou des constructions neuves. Si nous arrivons à faire voter une disposition en ce sens en loi de finances, la solidarité territoriale pourra s’exprimer à travers la participation de collectivités voisines, qui bénéficient de cette biodiversité sans en subir le contrecoup économique. Il est donc important de maintenir dans la présente loi le principe de solidarité écologique.
Mme la secrétaire d’État. Ce principe existe déjà pour les bassins-versants, au titre de la solidarité entre amont et aval dans la gestion de l’eau, ainsi que pour les parcs nationaux, au titre de la solidarité entre la zone-cœur et l’aire d’adhésion. Il convient donc de préserver, et même de généraliser, ce qui est l’une des innovations importantes de ce projet de loi, et je fais mien l’avis défavorable de la rapporteure.
M. Martial Saddier. Nous débattons, depuis cet après-midi, de problèmes posés par la précision, ou plutôt l’imprécision juridique, du texte. Le Sénat l’a amélioré sur ce point, mais nous risquons fort de nous défausser sur l’autorité judiciaire de la résolution des questions laissées pendantes au terme d’un examen législatif qui aura pourtant duré deux ans.
J’apprécie l’honnêteté intellectuelle de la rapporteure, qui convient que le texte mériterait plus de précision. Nos amendements ne visent pas à remettre en cause des principes, mais à éviter que des définitions trop larges créent des nébuleuses juridiques, ouvrant un champ très large à l’interprétation, en amont de toute décision publique. Si nous restons trop peu rigoureux, n’importe quel dossier pourra, demain, être retardé ou même arrêté. Nous sommes naturellement opposés à toute atteinte à la biodiversité, mais il ne faut pas qu’il soit possible d’invoquer n’importe quel motif, n’importe quand et n’importe où, car aucun projet d’aménagement ne serait plus possible.
M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je ne suis pas sûr que vous ayez tous deux la même interprétation de ce qu’est le principe de solidarité écologique.
M. Julien Aubert. C’est bien ce qui nous inquiète ! Nous avons pourtant l’occasion d’en donner une définition unique. Or, lorsque je lis, dans la nouvelle rédaction proposée de l’article L. 110-1 du code de l’environnement, que le principe de solidarité écologique « appelle à prendre en compte, dans toute prise de décision publique ayant une incidence notable sur l’environnement des territoires directement concernés, les interactions des écosystèmes, des êtres vivants et des milieux naturels ou aménagés », je trouve que la mention des territoires introduit une forme d’ambiguïté, l’idée d’une solidarité territoriale que je peine à distinguer d’une solidarité purement écologique.
Si nous, législateur, ne savons pas donner de ce principe une définition précise, nous ne pourrons nous étonner de la manière dont pourront l’interpréter nos concitoyens demain. Saisissons l’occasion qui nous est donnée de définir clairement le principe. Comment l’interpréter, par exemple, dans le cas du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ?
M. Michel Heinrich. Notre discussion met bien en évidence le problème. S’il n’y a pas d’interprétation univoque du principe de solidarité écologique, c’est le juge qui devra trancher en cas de litige, car nous n’aurons pas réussi à élaborer un texte compréhensible et applicable.
Mme la rapporteure. Il ne s’agit pas d’une simple divergence d’interprétation, puisque notre collègue Saddier veut tout bonnement supprimer l’alinéa. Nous n’avons pas du principe une interprétation différente : c’est lui qui n’en veut pas. Ce n’est pas la même chose !
Nous en sommes au stade de la définition des grands principes du code de l’environnement. Le code rural en compte dix-sept, similaires à celui-ci. Vous n’allez pourtant pas revenir dessus ! Une fois posés les principes, les choses se développeront au fil du temps. Dans ce contexte, la définition que nous proposons peut être intéressante à la fois pour les écosystèmes et pour les territoires.
Il y a quelques années, j’ai commis avec l’un de nos collègues un rapport sur cette question, dont il ressortait que les communes riches d’une vaste biodiversité, étant obligées de protéger leur territoire, ne pouvaient engager autant de projets que les communes des environs, qui profitaient pourtant de cette biodiversité proche sans participer à son maintien ni à sa gestion. Nous pouvons corriger cette situation, grâce à l’alinéa 13 que M. Martial Saddier propose de supprimer, Si nous ne le faisons pas, nous continuerons à porter atteinte à la biodiversité au motif qu’il faut construire, se développer, etc. Il serait dommage de laisser la biodiversité passer en dernier lieu.
M. le président Jean-Paul Chanteguet. Monsieur Martial Saddier, ne proposez-vous pas vous-même la prise en compte du patrimoine naturel des communes dans le calcul de leur dotation globale de fonctionnement (DGF) ? Vous aurez d’ailleurs tout loisir de réécrire cet alinéa d’ici l’examen en séance publique.
La commission rejette l’amendement.
Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CD884 de M. Christophe Bouillon et CD752 de M. Jacques Krabal.
M. Christophe Bouillon. Cet amendement vise à expliciter le principe de solidarité écologique, de façon à le placer dans une logique de territoire et de planification.
M. Olivier Falorni. L’amendement est défendu.
Mme la rapporteure. Avis défavorable à l’un comme à l’autre amendement, au demeurant fort différents. Tandis que notre collègue Christophe Bouillon tend à restreindre à la définition des plans et programmes publics la prise en compte du principe de solidarité écologique, ce qui me paraît trop étroit, l’autre amendement vise à l’étendre à toute décision, qu’elle soit publique ou privée, ce qui me paraît trop large.
Mme la secrétaire d’État. Même avis. L’amendement CD884, qui réserve l’application du principe de solidarité écologique aux seuls plans et programmes faisant l’objet d’une décision publique, restreint considérablement sa portée, puisqu’il ne pourrait s’appliquer pas à des projets particuliers. J’en demande donc le retrait, à défaut de quoi j’émettrai un avis défavorable.
L’amendement CD752, en revanche, va trop loin en étendant sa portée aux décisions privées.
Par ailleurs, d’autres amendements tendent à insérer le mot « indirectement » dans l’alinéa 13 afin de revenir à la rédaction initiale, mais leurs auteurs pourront recevoir satisfaction d’une autre façon.
M. Martial Saddier. Ces deux amendements, déposés par des membres de la majorité, montrent que mon amendement précédent était justifié. Il faut que la rapporteure, la ministre et la majorité travaillent davantage sur la définition juridique de la solidarité écologique. Je déplore le flou juridique dans lequel nous nous mouvons.
La commission rejette les amendements.
Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements identiques CD495 de Mme Laurence Abeille, CD902 de Mme Marie Le Vern et CD1040 de M. Jacques Krabal et les amendements identiques CD179 de la rapporteure et CD621 de Mme Viviane Le Dissez.
Mme Laurence Abeille. Nous proposons de supprimer l’adverbe « directement », qui peut être source d’imprécision. Mieux vaut se contenter d’évoquer les territoires sur l’environnement desquels une décision peut avoir une incidence notable, sans préciser s’ils sont « directement » ou « indirectement » concernés.
Mme la rapporteure. Avis défavorable. Je propose, pour ma part, d’ajouter plutôt « indirectement », ce qui reviendra au même.
Mme la secrétaire d’État. Je partage la position de la rapporteure. Je demande le retrait de ces amendements.
M. Julien Aubert. Nous nous trouvons dans un écosystème global où tout dépend de tout : le battement d’ailes d’un papillon à un bout du monde peut déclencher une tempête à l’autre bout… (Sourires) Dans ces conditions, il me semble nécessaire de borner un périmètre précis. Pour reprendre l’exemple de Notre-Dame-des-Landes, le Gouvernement entend demander l’avis des habitants des territoires « directement » concernés, mais on pourrait considérer que les citoyens « indirectement » concernés soient consultés aussi. Ce serait plus cohérent même si je ne comprends toujours pas ce que recouvre concrètement, financièrement, le principe de solidarité écologique…
Les amendements CD495, CD902 et CD1040 sont retirés.
Mme Viviane Le Dissez. À l’appui de mon amendement CD621 qui, comme celui de la rapporteure, tend à la prise en considération de tous les territoires concernés, directement ou indirectement, je voudrais rappeler que la biodiversité est mouvante : tenons-en compte !
M. Martial Saddier. Je prendrai, pour ma part, l’exemple de la qualité de l’air. Nous avons voté des dispositions selon lesquelles l’État établit des plans de protection de l’atmosphère, mais l’air ne connaît pas les frontières ! Quand ces plans sont adoptés ou révisés, faut-il organiser la consultation des citoyens à l’intérieur du seul périmètre couvert par les plans, ou également au-delà ? En Île-de-France, 30 % des polluants atmosphériques viennent de zones extérieures à la région. Faudra-t-il élargir l’enquête publique à la moitié de la France, voire à l’étranger ?
L’imprécision juridique est telle que nous ouvrons un champ béant à toutes les interprétations, et la multiplication des amendements de la majorité ne peut qu’alimenter notre méfiance. Je rappelle que cette commission a dans ses compétences, outre le développement durable, l’aménagement du territoire.
M. le président Jean-Paul Chanteguet. C’est le Sénat, je le rappelle, qui a supprimé le mot « indirectement ». Il ne s’agit donc que de rétablir ce que nous avons adopté en première lecture.
Mme la rapporteure. Certes, nous pouvons faire le choix de l’immobilité, mais la biodiversité a besoin d’actions fortes. Ce souci commun devrait nous amener à travailler plus collectivement, sans chercher de problèmes juridiques là où il n’y en a pas. La population et les élus sont plus raisonnables que vous ne le laissez entendre.
M. Yves Nicolin. Le manque de sérieux de vos propos est quasi criminel, madame la rapporteure. (Murmures)
La loi a besoin d’être interprétée, dès lors qu’elle n’est pas suffisamment claire, car d’abusifs procéduriers ne manqueront pas de s’engouffrer dans les brèches ouvertes par l’imprécision du texte. Loin de protéger la biodiversité, vous aurez créé les conditions d’un blocage généralisé, compte tenu de l’état d’engorgement de nombre de nos juridictions.
La commission adopte les amendements identiques CD179 et CD621.
Puis elle examine l’amendement CD819 de M. Joël Giraud.
Mme la rapporteure. Je souhaite le retrait de cet amendement, car il n’a guère sa place à cet endroit du texte.
L’amendement est retiré.
La commission examine l’amendement CD542 de Mme Laurence Abeille.
Mme Laurence Abeille. Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 14, relatif à la valeur d’usage de la biodiversité, qui est inutile.
Mme la rapporteure. Avis défavorable. Plutôt que de supprimer cet alinéa, il me paraît préférable d’en modifier la rédaction, ainsi que je le propose par l’amendement CD180 rectifié que je présenterai dans un instant.
Mme la secrétaire d’État. L’alinéa 14 de l’article 2 introduit le principe de la conservation par l’utilisation durable, qui est appliqué dans le cadre des conventions internationales. Je propose donc à Mme Laurence Abeille de retirer son amendement au profit de celui de la rapporteure.
L’amendement est retiré.
La commission examine, en discussion commune, les amendements CD180 rectifié de la rapporteure, CD271 de M. Dino Cinieri et CD882 de Mme Anne-Yvonne Le Dain.
Mme la rapporteure. Comme je viens de l’indiquer, l’amendement CD180 rectifié vise, d’une part, à remplacer le « principe de la conservation par l’utilisation durable », qui n’existe pas dans les conventions internationales, par le « principe de l’utilisation durable » et, d’autre part, à préciser que la pratique des usages « peut être » – plutôt que « est » – un instrument au service de la conservation de la biodiversité.
Mme Anne-Yvonne Le Dain. La rédaction de l’alinéa 14 me semble par trop complexe. L’amendement de la rapporteure contribue à la simplifier, mais je suggère de le compléter par l’amendement CD882, qui tend à préciser que « la pratique des usages est un instrument qui contribue à la conservation de la biodiversité », plutôt qu’un « instrument au service de la conservation de la biodiversité ». Celle-ci est en effet, par nature, évolutive ; elle n’est pas figée dans le temps. L’homme a contribué à la façonner, et il a vocation à la modifier, y compris en l’augmentant, dans le respect de sa préservation. Il me paraît important d’introduire cette précision à l’article 2, qui énonce des principes.
Mme la rapporteure. Avis défavorable à l’amendement CD271. En revanche, je ne vois pas de difficulté à ce que l’amendement CD882 soit également adopté.
Mme la secrétaire d’État. Je suis également défavorable à l’amendement CD271. Quant aux amendements CD180 rectifié et CD882, ils sont tous deux intéressants, mais la rédaction proposée par la rapporteure me paraît préférable.
M. Philippe Plisson. La nature ne se suffit pas toujours à elle-même ; son entretien et sa régulation sont, sinon indispensables, du moins bénéfiques à la biodiversité et doivent être reconnus en tant que tels. Je suis donc opposé à la modification de l’alinéa 14.
M. David Douillet. L’alinéa 14 est en effet très clair et n’a pas besoin d’être modifié. On protège mieux ce que l’on connaît et ce que l’on utilise, à condition que cette utilisation soit durable ; tout cela est simple. Pourquoi vouloir introduire des notions subjectives sujettes à interprétation, en particulier de la part des juges ? J’ai le sentiment qu’en modifiant cet alinéa, on fragiliserait le texte.
M. Jean-Yves Caullet. Je rappelle que l’article L. 110-1 du code de l’environnement énonce des principes. Si je suis sensible aux arguments qui viennent d’être exposés, il me semble que l’amendement de la rapporteure apporte une clarification dans la mesure où il précise que, si les usages humains apportent une contribution positive, tous ne doivent pas forcément être conservés. Au demeurant, je doute que les avocats s’attaquent en premier lieu à un article qui, encore une fois, énonce des principes.
Mme Laurence Abeille. À ce stade du débat, je me demande si nous n’aurions pas dû adopter l’amendement CD852 (Sourires). Il aurait été en effet plus simple de supprimer cet alinéa, inutile à cet endroit du texte.
La commission adopte l’amendement CD180 rectifié, puis rejette l’amendement CD271 et adopte l’amendement CD882.
Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CD649 de M. Jean-Yves Caullet et CD254 de M. Martial Saddier.
M. Jean-Yves Caullet. Mon amendement vise à replacer le principe de complémentarité de l’environnement, de l’agriculture et de la sylviculture dans le code de l’environnement, comme le prévoyait le texte voté en première lecture par l’Assemblée nationale. Introduire ce principe dans le code rural modifierait en effet l’équilibre de ce texte tel qu’il est issu de l’adoption de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt (LAAF), laquelle précise, du reste, que les exploitations agricoles doivent s’inscrire dans une triple performance environnementale, économique et sociale. Il s’agit donc d’une clarification.
Mme la rapporteure. J’ai dit quel était mon point de vue sur cette question ; j’estime qu’il serait dommage que ce principe ne figure pas dans les deux codes. Néanmoins, je m’en remets à la sagesse de la commission.
Mme la secrétaire d’État. J’ai indiqué tout à l’heure les raisons pour lesquelles je suis défavorable à ces amendements.
La commission adopte successivement les deux amendements.
En conséquence, les amendements CD181 rectifié de la rapporteure, CD953 de Mme Viviane Le Dissez et CD270 de M. Dino Cinieri tombent.
La commission est saisie des amendements identiques CD182 de la rapporteure et CD574 de M. Bertrand Pancher.
Mme la rapporteure. Je propose de rétablir l’alinéa 17, qui prévoyait que le Gouvernement remette au Parlement, dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la loi, un rapport sur l’opportunité d’inscrire le principe de non-régression dans le code de l’environnement.
M. Bertrand Pancher. Si nous avons compris qu’il était difficile d’inscrire dans le code de l’environnement le principe de non-régression – dont je précise qu’il est reconnu dans un certain nombre de pays anglo-saxons – en raison des difficultés techniques et juridiques que peut poser son application, il nous semble néanmoins intéressant de réfléchir à cette question. Je rappelle que ce principe juridique, qui exclut tout abaissement du niveau d’exigence de la protection de l’environnement, garantit une sorte de non-retour en arrière dans les politiques publiques de l’environnement. J’ajoute qu’il est déjà présent en droit international, notamment dans la convention des Nations unies sur le droit de la mer. Un rapport nous permettrait d’évaluer les incidences juridiques et économiques de l’application de ce principe, et donc de nous prononcer sur l’opportunité de l’inscrire un jour dans notre code de l’environnement.
Mme la secrétaire d’État. Je suis naturellement très favorable à ces deux amendements.
Mme Delphine Batho. Si nous appliquions le principe de non-régression à ce projet de loi – je pense en particulier à son article 2 bis, relatif au préjudice écologique –, ce serait déjà un premier pas important… Par ailleurs, je rappelle qu’en 2013, j’avais fait de ce principe un des principes fondamentaux de la modernisation du droit de l’environnement. Or, depuis, nous n’avons guère progressé. Je m’interroge donc sur le calendrier proposé par ces amendements. De fait, si l’on prévoit que la remise du rapport doit intervenir dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la loi, on le renvoie aux calendes grecques, puisque la législature actuelle prendra fin dans un peu plus d’un an.
M. Arnaud Leroy. Je me demande également quel peut être l’intérêt de remettre un tel rapport deux ans après la promulgation de la loi, d’autant, madame la secrétaire d’État que de nombreux groupes de travail consacrés à la modernisation du droit de l’environnement ont été constitués. Pouvez-vous nous dire comment s’articulent ces différentes initiatives ?
M. David Douillet. L’application du principe de non-régression aurait des conséquences extrêmement graves pour la biodiversité, puisqu’il ne permettrait plus de revenir sur la protection d’une espèce devenue invasive. Or, une espèce prolifère toujours au détriment d’une autre, de sorte que ce principe risque, en supprimant la régulation, de provoquer la disparition de certaines espèces. Il faut donc traiter ce sujet à part pour éviter une catastrophe annoncée.
M. Martial Saddier. L’amendement me paraît beaucoup trop précis. En effet, il s’agit d’examiner l’opportunité d’inscrire le principe de non-régression dans le code de l’environnement, principe dont l’application peut avoir des incidences sur le code de la santé ou sur le code rural.
M. le président Jean-Paul Chanteguet. Il s’agit uniquement du principe et d’une opportunité.
M. Martial Saddier. Certes, mais l’amendement anticipe sur le résultat du rapport, puisque seul le code de l’environnement y est mentionné. Or, je le répète, l’application de ce principe pourrait avoir des conséquences non seulement sur certaines espèces animales, comme l’a dit David Douillet, mais aussi sur la santé humaine. Chacun sait en effet qu’on s’interroge aujourd’hui sur des produits dont on nous disait en toute bonne foi, il y a vingt ou trente ans, qu’ils pouvaient être consommés sans danger. Il me semble donc utile de préciser que la réflexion ne doit pas être limitée au code de l’environnement.
Mme Laurence Abeille. Nous discutons de grands principes, et je regrette que l’on se perde dans des détails et des raisonnements oiseux sur la protection des espèces. La question qui se pose est de savoir comment nous pouvons préserver « ce qui reste », si je puis dire. La perte de biodiversité est massive, au point que l’on peut s’interroger sur l’utilité de ce que nous faisons. La moindre des choses serait donc de ne pas régresser dans ce domaine. Le principe de non-régression du droit de l’environnement devait d’ailleurs être inscrit dans le projet de loi. Hélas ! nous n’en sommes plus là, puisqu’il s’agit maintenant de demander un rapport sur le sujet. Qu’au moins le Gouvernement remette ce rapport au Parlement le plus rapidement possible.
M. Bertrand Pancher. Je suis peiné que l’on s’engage dans une controverse sur un principe simple, qui a été théorisé, sous le nom de standstill, dans de nombreux pays anglo-saxons bien plus libéraux que le nôtre. Ce principe, je le rappelle, exclut tout abaissement du niveau d’exigence de la protection de l’environnement. Il ne s’agit donc pas de figer l’évolution de telle ou telle espèce : cela n’a pas de sens. S’opposer au principe de non-régression donne une image rétrograde de notre action dans le domaine de la protection de l’environnement. Il ne s’agit que d’un rapport !
M. Martial Saddier. Qu’un pays anglo-saxon où l’exploitation du gaz de schiste est autorisée et où l’on tue n’importe quelle espèce protégée applique le principe de non-régression, soit. Mais, en France, nous n’en sommes pas là. Notre pays – et c’est notre fierté – est le champion du monde toutes catégories de la protection des espèces animales. Comparons ce qui est comparable.
Par ailleurs, on a présenté à plusieurs reprises la situation de la France comme catastrophique du point de vue de la consommation des espaces agricoles et de la diminution de la biodiversité. Je m’inscris en faux contre une telle affirmation. Certes, il existe une marge de progression, mais je rappelle que, depuis quelques années, ont été votées, sous deux majorités différentes, les lois « Grenelle » 1 et 2, la loi de modernisation agricole et la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR). Seuls les parlementaires qui n’ont jamais participé de près ou de loin à l’élaboration d’un schéma de cohérence territoriale (SCOT) ou d’un plan local d’urbanisme (PLU) peuvent imaginer que l’on consomme l’espace et que l’on détruit la biodiversité comme on le faisait il y a vingt ou trente ans. La situation de notre pays n'est tout de même pas tout à fait la même que celle du Royaume-Uni, des États-Unis ou de pays dont la densité de population est particulièrement faible.
Mme la rapporteure. Je regrette que nous tergiversions au moment de voter des amendements qui concernent uniquement un rapport sur l’opportunité d’inscrire le principe de non-régression dans le code de l’environnement. Attendons que ce rapport nous soit remis, et nous en débattrons. Il est inutile de faire peur en invoquant je ne sais quelle prolifération des espèces. En tout état de cause, je suis plutôt d’accord avec Mmes Batho et Abeille pour que le délai dans lequel ce rapport doit être remis au Parlement soit réduit.
M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je m’étonne, monsieur Martial Saddier, que vous teniez de tels propos, vous qui avez été, je le rappelle, rapporteur pour avis du projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte pour l’environnement.
Mme la secrétaire d’État. M. Arnaud Leroy m’a interrogée sur les groupes de travail qui ont été créés pour réfléchir à la modernisation du droit de l’environnement. Sur certains sujets, notamment la participation du public, l’évaluation environnementale et le permis environnemental unique, leurs travaux ont bien avancé. Mais tel n’est pas le cas sur le principe de la non-régression. Ce rapport, qui est un bon compromis, est donc nécessaire : il faut non seulement réfléchir à cette question, mais inscrire, à terme, ce principe dans le code de l’environnement. Toutefois, il est vrai que le délai prévu est un peu long. Je suis donc favorable à ce qu’il soit réduit au moins de moitié.
M. Arnaud Leroy. Il est important que nous nous efforcions de canaliser l’ensemble des initiatives relatives à la modernisation du droit de l’environnement. À ce propos, je rappelle que le Parlement a été écarté des groupes de travail consacrés à cette question, ainsi que de l’élaboration de certaines dispositions de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « loi Macron », qui ont fait l’objet d’une ordonnance. À force de multiplier les rapports sur le sujet, nous n’aboutirons jamais ! Je partage l’objectif, mais je tiens à appeler votre attention sur la méthode utilisée : prenons garde à ne pas prendre nous-mêmes des mesures dilatoires. Si un rapport doit être remis au Parlement, je pense qu’il peut l’être dans les six mois suivant la promulgation de la loi.
M. Martial Saddier. La majorité doit assumer ses positions : si elle veut un tel rapport, il doit être remis au Parlement d’ici à la fin de l’année 2016. Je vous promets, monsieur le président, que, si je me suis trompé, je ferai amende honorable.
Mme la secrétaire d’État. Il est légitime que vous souhaitiez que ce rapport soit remis avant la fin de la législature. Un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi me paraît acceptable.
M. le président Jean-Paul Chanteguet. Les amendements sont donc ainsi rédigés : « Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur l’opportunité d’inscrire le principe de non-régression dans le code de l’environnement. »
La commission adopte les amendements ainsi rectifiés.
M. le président Jean-Paul Chanteguet. M. Martial Saddier, pour une explication de vote du groupe Les Républicains.
M. Martial Saddier. Monsieur le président, j’ai bien compris que vous aviez souhaité, en faisant référence à la Charte de l’environnement, rendre hommage à l’actuelle opposition, qui est à l’origine de la première inscription du droit de l’environnement dans notre loi suprême. Je rappelle d’ailleurs que Mme Geneviève Gaillard fut alors la seule députée de l’opposition à voter cette charte, en dépit des pressions amicales qu’ont dû exercer sur elle les responsables de son groupe.
Au plan juridique, outre l’article 5 de la Charte de l’environnement, relatif au principe de précaution, la question de savoir si la protection de l’environnement, le progrès social et le développement économique devaient être mis sur un pied d’égalité avait suscité de longs débats. À cet égard, nous tenons à exprimer les plus grandes réserves sur l’article 1er et l’article 2 du présent projet de loi, qui accordent une priorité à la protection de l’environnement sur le pilier social et le pilier économique. C’est pourquoi nous voterons contre l’article 2.
La commission adopte l’article 2 ainsi modifié.
Article 2 bis A (article L. 110-1 du code de l’environnement) : Inscription de la sauvegarde des services fournis et des usages se rattachant à la biodiversité parmi les engagements fondant la recherche du développement durable
La commission est saisie des amendements identiques CD183 de la rapporteure, CD543 de Mme Laurence Abeille, CD825 de M. Lionel Tardy et CD970 de M. Gérard Menuel, tendant à supprimer l’article.
Mme la rapporteure. Je demande la suppression de l’article 2 bis A, qui n’apporte strictement rien sur le plan des grands principes. Les usages n’ont pas à figurer à cet endroit du texte ; nous les évoquerons ultérieurement.
M. Lionel Tardy. Cet article étend l’objectif de préservation de la biodiversité à la sauvegarde des services et des usages qui s’y rattachent. Or une telle extension n’est pas souhaitable : elle ajoute de la complexité et nous fait perdre de vue l’objectif global, qui est celui du développement durable. Du reste, on peut craindre que, s’il est maintenu, cet article ne se traduise par des contraintes supplémentaires, car il est difficile de mesurer et de prendre en compte dans les faits les services et les usages dont il est question. C’est pourquoi je propose également la suppression de l’article 2 bis A.
M. Gérard Menuel. Cet article nuit en effet à la lisibilité du texte et le complique excessivement. Il est donc souhaitable de le supprimer.
Mme la secrétaire d’État. L’article 2 bis A complexifie en effet beaucoup la prise en compte de la biodiversité par l’ensemble des acteurs locaux. Je suis donc favorable à ces amendements de suppression.
M. Philippe Plisson. Je suis, quant à moi, opposé à la suppression de cet article. Il s’agit de faire de la préservation des services écosystémiques et des usages de la nature une des finalités du développement durable, dans la mesure où, précisément, l’usage et l’entretien de la nature sont souvent une condition du maintien de la biodiversité.
M. Daniel Fasquelle. L’article 2 bis A énonce un principe, puisqu’y est affirmée la nécessité de préserver tous ceux qui participent au développement des services écosystémiques et des usages de la nature. Il a donc toute sa place à cet endroit du texte. Il serait bon, en effet, que soit enfin reconnu le rôle des chasseurs, qui sont également des protecteurs de la nature dans la mesure où ils régulent les espèces et protègent les espaces naturels. Supprimer cet article serait une erreur.
M. David Douillet. Il est évident que, sans l’intervention des chasseurs, certaines espèces auraient disparu de nos plaines, notamment en Ile-de-France. Mais ils ne sont pas les seuls à protéger la faune et la flore ; je pense, par exemple, aux amateurs de plongée sous-marine. Or, cette activité touristique, qui est également importante au plan économique, a disparu des côtes françaises. Supprimer l’article 2 bis A, c’est fragiliser l’action de celles et ceux qui concourent à faire de notre pays un véritable territoire de biodiversité.
M. Julien Aubert. Les chasseurs sont les horlogers de la biodiversité (Rires et murmures). Je rappelle, du reste, que Mme Ségolène Royal a indiqué que ce projet de loi n’a rien à voir avec la chasse et qu’elle a estimé nécessaire de l’expurger de tous les éléments qui pouvaient laisser croire qu’il s’agissait d’un texte anti-chasse. Maintenir l’article 2 bis A, c’est montrer que l’on peut parfaitement concilier biodiversité et respect des usages et des services rendus notamment par les chasseurs. Je partage donc l’opinion de mes collègues Fasquelle et Douillet.
M. Jean-Yves Caullet. Parmi les grands principes énoncés dans le code de l’environnement figure celui de l’épanouissement des êtres humains, ce qui signifie bien que ces derniers peuvent légitimement profiter des bienfaits de la biodiversité. Les chasseurs, dont je suis, ne sont pas les seuls concernés : pensons à d’autres pratiques, telles que la cueillette ou le pâturage. Si nous affirmons, au cours de nos débats, que les principes énoncés reconnaissent bien la légitimité des usages humains des services de la biodiversité, cela suffit. Il est inutile d’en rajouter, dès lors que l’on a explicitement indiqué que l’on n’est pas contre une activité particulière.
M. Gérard Menuel. Je suis moi-même chasseur, mais il y va de la lisibilité du texte, qui énonce ici des principes généraux. Je retire donc l’amendement CD970.
M. Lionel Tardy. Je retire également l’amendement CD825.
Mme la rapporteure. Tout à l’heure, nous avons adopté un amendement qui inscrit dans le texte le « principe de l’utilisation durable, selon lequel la pratique des usages peut être un instrument qui contribue à la conservation de la biodiversité ». Pourquoi faudrait-il mentionner de nouveau, ici, les usages ? Je vois bien ce qui inspire ces interventions, mais soyez responsables ! Comme l’a dit Jean-Yves Caullet, ces usages sont nombreux, et il n’est pas question de les nier.
Mme la secrétaire d’État. Monsieur Julien Aubert, puisque vous avez salué la position équilibrée adoptée par Mme Ségolène Royal lors de l’examen du texte au Sénat, je vous rappelle, pour information, qu’elle avait émis un avis défavorable à l’amendement visant à créer cet article additionnel, au motif qu’il complexifiait inutilement le texte.
Les amendements CD825 et CD970 sont retirés.
La commission adopte les amendements identiques CD183 et CD543.
En conséquence, l’article 2 bis A est supprimé.
Article 2 bis (articles 1386-19 à 1386-21 [nouveaux] du code civil) : Inscription de la responsabilité environnementale dans le code civil
Mme Delphine Batho. Avant que nous n’abordions les amendements à l’article 2 bis, notamment ceux de la rapporteure et d’Arnaud Leroy, qui ont beaucoup travaillé sur la question du préjudice écologique, je souhaite débattre de l’aspect politique du sujet.
En 2012, un jugement de la Cour de cassation, rendu après plus de dix ans de procédures engagées à la suite de la marée noire provoquée par le naufrage du pétrolier Erika, a reconnu le préjudice écologique. C’était un grand jour pour le droit de l’environnement, cette décision jurisprudentielle impliquant qu’il n’y ait plus d’impunité en la matière. Le Gouvernement de l’époque – je m’en souviens bien puisque c’était par ma voix – avait annoncé sa volonté d’inscrire dans le code civil le préjudice écologique.
Par la suite, la Chancellerie a été chargée de préparer un projet de loi et, à cet effet, différents groupes de travail ont été conduits par Christiane Taubira, composés entre autres de juristes reconnus, spécialisés dans le droit de l’environnement. Puis une proposition de loi a été déposée au Sénat par Bruno Retailleau, qui n’a jamais été mise à l’ordre du jour des travaux de cette assemblée, si bien que c’est par voie d’amendement au présent texte que le dispositif a été introduit.
La ministre de l’environnement a annoncé, au cours du débat au Sénat, que l’article 2 bis serait récrit, et le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) a exprimé sa vive opposition à cette disposition.
Ce matin-même, nous avons découvert un amendement du Gouvernement qui récrit en effet entièrement cet article, amendement que j’ai dû relire deux fois pour en avoir le cœur net puisqu’il prévoit une impunité généralisée, remet en cause le principe pollueur-payeur, remet en question le principe même de la responsabilité de celui qui est à l’origine de la pollution dès lors qu’il aurait bénéficié, dans une vie antérieure, d’une quelconque autorisation administrative, et déclare irrecevable le principe des dommages et intérêts qui peuvent être réclamés par les victimes. Il s’agirait d’une régression très grave, au point que je me suis demandé s’il n’y avait pas une « loi des séries » si l’on songe à ce qui s’est passé avec la loi sur le travail récemment – j’espère que non et j’espère, madame la secrétaire d’État, que, sur cette question politique plus que juridique, vous allez nous annoncer soit le retrait de l’amendement du Gouvernement, soit sa modification sur les deux points que je viens d’évoquer.
Mme la secrétaire d’État. Delphine Batho a bien rappelé l’histoire de notre volonté d’inscrire dans notre droit le principe du préjudice écologique après en avoir déterminé les conditions et le périmètre d’application. Le Sénat, après de nombreux débats, y a en effet procédé à l’initiative d’un sénateur du groupe Les Républicains qui, par ailleurs, a dû faire face au drame de l’Erika. Il n’est évidemment pas question, contrairement à ce que j’ai pu entendre, d’attenter de quelque manière que ce soit au principe pollueur-payeur qui, je vous le rappelle, est un principe constitutionnel.
Il était prévu de créer un groupe de travail après l’examen du texte par le Sénat. Le temps a manqué ; aussi le Gouvernement a-t-il proposé un amendement dont la rédaction suscite des interprétations divergentes et pas seulement sur le plan juridique – je suis d’accord avec vous, Delphine Batho. Ségolène Royal et moi-même n’entendons ni dramatiser ni ignorer ces questions ; c’est pourquoi nous avons travaillé avec la rapporteure, aujourd’hui, afin de rédiger un amendement certes encore imparfait, mais qui permet d’avancer et de débattre. Le Gouvernement va retirer par conséquent son amendement en faveur de celui de la rapporteure. Il nous reste quinze jours avant l’examen en séance pour travailler tous ensemble, dans la sérénité, à une rédaction plus explicite et qui réponde aux objections et aux interrogations. Nous continuerons d’autant plus de pratiquer cette méthode que nous poursuivons tous le même objectif.
M. Martial Saddier. Les députés de l’opposition, par définition, disposent de moins de moyens et sont plus tardivement informés que leurs collègues de la majorité. Aussi pouvez-vous imaginer combien il nous est difficile d’interpréter un amendement de quatre pages, éminemment juridique, et qui ne nous est parvenu que ce soir. C’est même impossible si l’on tient compte des implications du dispositif proposé, que l’on en donne une interprétation maximaliste ou minimaliste. Si nous souhaitons sacraliser le principe de préjudice écologique, il ne serait peut-être pas inintéressant de demander son avis, même informel, à la commission des lois. Les députés du groupe Les Républicains souhaitent donc que des précisions soient apportées, notamment en ce qui concerne la portée du dispositif ; en effet, les conséquences du vote de cet amendement pourraient se révéler catastrophiques.
Mme Delphine Batho. Je prends acte avec satisfaction du retrait par le Gouvernement de son amendement au profit de celui de Geneviève Gaillard. Je ne souhaite toutefois pas que les dispositions en question, après avoir été sorties par la porte de la commission du développement durable, reviennent par la fenêtre en séance publique. Je rappelle que les différents principes qui auraient été écornés renvoyaient explicitement à la loi et donc étaient dépourvus de garantie absolue. Enfin, au cours de la discussion des amendements, je souhaite, madame la secrétaire d’État, que vous précisiez votre position sur le fond.
En effet, l’amendement que vous retirez disposait : « N’est pas réparable, sur le fondement du présent titre, le préjudice résultant d’une atteinte autorisée par les lois, règlements, et engagements internationaux de la France ou par un titre délivré pour leur application. » Selon cette disposition, par exemple, pour une industrie qui aurait bénéficié d’une autorisation au titre des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) en 1980 et qui serait victime d’une pollution grave en 2015, le préjudice écologique ne pourrait être reconnu.
De la même manière, plus loin, votre amendement disposait que « toute demande formée aux fins d’octroi de dommages et intérêts [était] irrecevable ». Autrement dit, seule une réparation en nature était prévue ou alors, certes, des dommages et intérêts versés à l’Agence française pour la biodiversité (AFB). Ainsi, ce que la Cour de cassation a décidé à l’encontre du groupe Total dans le cadre du procès de l’Erika ne serait plus possible. Les opposants à votre amendement n’ont donc pas mal interprété le texte mais l’ont décodé avec précision.
M. Arnaud Leroy. Je fais partie de ceux qui ont milité pendant très longtemps pour que la loi reconnaisse le préjudice écologique ou le dommage environnemental. Martial Saddier l’a dit avec raison, et il ne faut pas minorer l’enjeu, pas plus qu’il faudrait en avoir peur : nous sommes face à une vraie révolution juridique. Nous complétons, modernisons un système de responsabilité conçu en 1804 en l’élargissant à la protection d’une nature menacée.
Il faut par ailleurs savoir, monsieur Martial Saddier, que votre groupe, au Sénat, a adopté la reconnaissance du principe du préjudice écologique par la loi.
M. le président Jean-Paul Chanteguet. Martial Saddier ne le conteste pas !
M. Arnaud Leroy. Certes, je rappelle seulement que le Sénat a introduit le principe dans le texte.
L’idée est néanmoins de clarifier la rédaction sénatoriale. Il y a en effet, en France, une concurrence des régimes de responsabilité. La reconnaissance du préjudice écologique complétera par conséquent des systèmes en vigueur qu’il ne s’agit pas de remettre en cause. Il faudra également réfléchir à l’articulation juridique du dispositif – la question du sursis à statuer est importante et concurrence ou complète le régime prévu par la loi de 2008 relative à la responsabilité environnementale (LRE), régime qui n’est toujours pas appliqué.
Enfin, où ira le produit des amendes ? De nombreux opérateurs craignent que le préjudice écologique ne soit utilisé pour financer, en tout cas en partie, l’Agence française pour la biodiversité.
M. Bertrand Pancher. J’avoue trouver le pavé qu’on nous a donné à lire difficilement digeste. Je suis d’autant plus surpris que j’ai été alerté par l’importance de ce débat non par les rapports, mais par le réseau Twitter : j’ai bien reçu, en cinq ou six heures, une cinquantaine de tweets. Il serait bon d’apaiser le débat et d’aboutir à une version qui nous rassemble plus, je n’y verrais que des avantages.
Mme la secrétaire d’État. Nous sommes bien d’accord.
M. Bertrand Pancher. Par pitié, cessons de travailler ainsi. Je n’aurai pas la cruauté, chers collègues, d’insister sur le fait que vous réfléchissez sur cette loi depuis trois ans ! « Déposer » un tel amendement à la dernière minute n’est pas très sérieux.
Mme la rapporteure. Je tiens à remercier Viviane Le Dissez qui a participé à nos travaux sur le préjudice écologique.
J’entends bien les remarques de Martial Saddier et de Bertrand Pancher sur la difficulté d’analyser au dernier moment quatre ou cinq pages d’amendement, surtout pour des gens qui, comme moi, n’ont jamais fait de droit sinon un peu de droit rural. Mais Mme la secrétaire d’État nous propose justement de travailler ensemble pour essayer de trouver un terrain d’entente sur l’amendement CD943 rectifié, que je présente et qui, je le rappelle, n’est pas identique à celui du Gouvernement et n’en a pas les défauts. (Sourires) Nous disposons de quinze jours. Moi-même j’ai obtenu l’amendement du Gouvernement ce matin à onze heures et demie… (Murmures)
La commission examine l’amendement CD888 de Mme Anne-Yvonne Le Dain.
Mme Anne-Yvonne Le Dain. Cet amendement vise à supprimer l’article 2 bis car il me paraît étrange de transférer dans le code civil ce qui relève actuellement du code de l’environnement, la justice n’ayant jamais été empêchée pour autant de statuer sur des dommages graves – ainsi, dans l’affaire Erika, le groupe Total a-t-il été sévèrement condamné. Il est donc bon que les codes techniques conservent leur valeur profonde, à moins d’entrer dans une logique de culpabilité en ayant recours au civil puis au pénal. Je souhaite donc que nous en restions au code de l’environnement.
M. Martial Saddier. C’est intéressant !
Mme la rapporteure. J’émets un avis défavorable à cet amendement, puisque nous avons choisi de faire référence au code civil. Au passage, je ne trouve pas que le groupe Total ait été trop sévèrement condamné pour le préjudice qu’il a causé aux côtes françaises.
Mme la secrétaire d’État. Je suis défavorable également à cet amendement : l’article 2 bis est important puisqu’il met en place le principe du préjudice écologique que nous voulons introduire dans le droit. Autant nous devons modifier considérablement le dispositif, autant je pense que nous ne devons pas le supprimer.
Mme Anne-Yvonne Le Dain. J’entends bien, mais je pense qu’il est bon de conserver au code de l’environnement sa puissance. La tentation d’une logique punitive me paraît quelque peu dangereuse et le recours à une logique de prise en compte me semble préférable. Néanmoins, je retire mon amendement.
M. Martial Saddier. C’est dommage.
Mme Viviane Le Dissez. Le préjudice écologique nous paraissait initialement devoir figurer dans le code de l’environnement mais il nous est apparu opportun, au fil des auditions d’avocats et de juristes auxquelles nous avons procédé, de l’introduire finalement dans le code civil.
L’amendement est retiré.
L’amendement CD1048 du Gouvernement est retiré. En conséquence, les sous-amendements CD1049 et CD1050 de Mme Delphine Batho n’ont plus d’objet.
La commission examine, en discussion commune, l’amendement CD943 rectifié de la rapporteure, qui fait l’objet du sous-amendement CD1056 de Mme Delphine Batho, les amendements CD516 de Mme Laurence Abeille, CD666 et CD1053 rectifié de M. Arnaud Leroy.
Mme la rapporteure. La rédaction de l’amendement CD943 rectifié s’inspire du rapport d’Yves Jegouzo, mais aussi de l’avis d’éminents spécialistes.
Il est proposé de créer un régime de responsabilité civile environnementale et de réparation du préjudice écologique, qui serait défini comme le préjudice résultant d’une atteinte grave aux éléments et aux fonctions des écosystèmes ainsi qu’aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement. Les actions en réparation du préjudice seraient ouvertes à l’État, au ministère public, à l’Agence française pour la biodiversité, aux collectivités territoriales et à leurs groupements dont le territoire est concerné, ainsi qu’aux établissements publics, fondations reconnues d’utilité publique et associations agréées ou ayant au moins cinq années d’existence, ayant pour objet la protection de la nature et de l’environnement.
La réparation du préjudice écologique s’effectuerait en priorité en nature. En cas d’impossibilité, des dommages et intérêts seraient versés à l’Agence française pour la biodiversité, qui les affecterait à la protection de l’environnement exclusivement.
L’action serait prescrite après un délai de dix ans à compter du jour où le titulaire de l’action a connu ou aurait dû connaître la manifestation du dommage environnemental, sans que ce délai puisse être porté au-delà de cinquante ans à compter du fait générateur du dommage. Le choix du délai de dix ans s’imposait. Quant au délai de cinquante ans, il a été fixé entre deux extrêmes : trente ans pour les uns, cent ans pour les autres. La spécificité de la matière concernée impose d’explorer des voies inédites et il conviendra bien de ne pas caricaturer le délai de cinquante ans qui ne trouvera à s’appliquer que pour des pollutions diffuses et lentes qui se caractériseront après un temps long et dont nous savons qu’elles existent.
Par conséquent, ces délais de dix et cinquante ans seraient également ceux fixés par l’article L. 152-1 du code de l’environnement, qui prévoit un délai de prescription particulièrement long, trente ans, pour les obligations financières liées aux dommages causés à l’environnement par certaines activités par rapport au droit commun de cinq ans ; mais ce délai court à partir du fait générateur du dommage, ce qui ne nous semble pas très protecteur.
Les présentes dispositions s’appliqueraient dès la publication de la loi. Le choix a été fait de ne pas créer d’amende civile en cas de faute grave dans la mesure où la pénalisation des comportements les plus graves est à même de garantir une dissuasion et une répression efficaces.
Le choix a été fait de ne pas créer de régime de sursis à statuer pour articuler les dispositions du présent article avec celles des articles L. 160-1 et suivants du code de l’environnement, créés par la loi du 1er août 2008 relative à la responsabilité environnementale. Le juge, en effet, ne pourra pas ordonner de deuxième réparation pour le même préjudice qui aurait déjà été réparé. Il a déjà, en outre, la possibilité de surseoir à statuer, aux termes de l’article 377 du code civil, pour un motif de bonne administration de la justice. Cela viserait les cas dans lesquels le préfet et le juge agiraient de façon concomitante. La procédure judiciaire serait alors temporairement arrêtée.
Telle est, présentée de manière succincte, la teneur du présent amendement. Bien entendu le débat est ouvert tant le sujet est difficile. Il importe en tout cas que ce dispositif soit introduit dans le code civil, faute de quoi nous affaiblirions la portée du texte.
Ensuite, nous demandons en priorité une réparation en nature et, dans les cas exceptionnels, j’y insiste, où une telle réparation serait impossible, une réparation financière serait envisageable.
Nous avons tâché de tirer les conséquences de la très longue procédure concernant l’affaire Erika.
Nous avons par ailleurs beaucoup discuté de la question du sursis à statuer. On nous a expliqué qu’un tel dispositif n’était pas nécessaire puisque figurant déjà dans le code civil. Or j’ai tendance à croire ce que me disent d’éminents juristes même si le débat, je le répète, reste ouvert.
Quoi qu’il en soit, nous devons nous efforcer d’aboutir à une rédaction simple.
Je remercie ceux qui, en l’espace de quelques heures ont pu nous aider à mettre au propre les grandes lignes de ce que nous souhaitions. Enfin, je remercie la secrétaire d’État d’avoir retiré son amendement qui, en effet, n’était pas très heureux.
Mme Delphine Batho. Je constate que l’une des dispositions de l’amendement de Mme Geneviève Gaillard est rédigée exactement de la même manière que l’une des dispositions prévues par l’amendement que le Gouvernement vient de retirer : « Toute demande formée aux fins d’octroi de dommages et intérêts est irrecevable, sous réserve des dispositions prévues au présent article. » Ainsi que l’a indiqué la rapporteure, la réparation serait en priorité en nature et, sinon, prendrait la forme de dommages et intérêts versés à l’Agence française pour la biodiversité. Cela signifie que les parties civiles – collectivités locales, associations, État… – ne pourraient pas être indemnisées et ne pourraient pas demander de dommages et intérêts pour cause de préjudice écologique.
Je suis en total désaccord avec cette disposition, et mon sous-amendement CD1056 vise à supprimer la phrase que j’ai citée.
M. Martial Saddier. J’imagine que, si l’amendement de Mme Geneviève Gaillard était adopté, un certain nombre d’autres tomberaient, y compris les nôtres.
M. le président Jean-Paul Chanteguet. En effet.
M. Martial Saddier. Vous comprendrez, étant donné le flou juridique des dispositions que nous sommes amenés à examiner, dans des délais qui plus est restreints, que nous ne puissions que nous opposer au texte, sur la forme et sur le fond. Nous sommes tout de même en train de récrire le droit de l’environnement, issu de la Charte de l’environnement, sans que la commission des lois, je le répète, ait donné son avis – or nous avons pu constater que la remarque d’un de ses membres, Mme Le Dain, ici présente, n’était pas dénuée de bon sens juridique.
Personne n’a relevé, par exemple, que l’amendement « bricolait » la carte judiciaire. Une disposition prévoit en effet une spécialisation des tribunaux. Nous souhaitons donc que le Garde des Sceaux vienne en séance nous expliquer sa conception de la spécialisation des tribunaux en matière de droit de l’environnement.
Mme la rapporteure. C’est en effet un sujet de débat.
M. Martial Saddier. Le site du Mont Blanc, l’un des joyaux environnementaux de notre pays, se trouve dans le ressort d’un tribunal situé dans ma circonscription. Si, demain, ce site subissait une catastrophe écologique, sera-t-elle jugée par un tribunal de Marseille, de Lyon, de Lille, de Paris ? Voilà qui est de nature à m’inquiéter.
Je nous invite donc à la plus grande sagesse et à faire attention à ce que nous allons voter.
M. Jean-Marie Sermier. Je ne comprends pas, moi non plus, un certain nombre d’éléments de ce texte, qui paraît prévoir une possible rétroactivité. Quand survient une catastrophe naturelle, on connaît en général le fait générateur de façon assez claire, comme ce fut le cas pour l’Erika. En revanche, en cas de pollution diffuse, tant qu’on ne dépasse pas certains seuils, il n’y a pas pollution. Dans ce dernier cas, le fait générateur est-il le moment du dépassement de la norme ou bien le moment où les opérateurs ont commencé de produire ce qui sera considéré comme pollution ? Dans ce dernier cas, on pourrait remonter dix ans, voire cinquante ans en arrière, ce qui présente pour de nombreux opérateurs, notamment dans le secteur agricole, une certaine insécurité juridique. Qu’en est-il ?
M. le président Jean-Paul Chanteguet. Le code de l’environnement répond à votre question.
Mme la rapporteure. Je souhaite que nous constituions un petit groupe de travail afin d’examiner un certain nombre de points. Nous devrions notamment nous efforcer de présenter, quant au préjudice écologique, un dispositif sur lequel nous soyons tous d’accord, tant l’enjeu est important. Il nous faut dépasser les considérations idéologiques et faire preuve de plus de pragmatisme, faute de quoi ce serait une bataille perdue pour l’environnement en général et pour la biodiversité en particulier.
Mme la secrétaire d’État. Le sous-amendement CD1056 touche à un principe sur lequel nous devons bien nous mettre d’accord. Nous considérons tous que la réparation doit en priorité s’effectuer en nature. Delphine Batho souhaite supprimer la possibilité d’une demande d’une réparation sous forme de dommages et intérêts. En fait, l’idée est que cette demande ne soit permise qu’en cas d’impossibilité d’obtenir une réparation en nature qui, je le répète, doit être la priorité absolue.
Ensuite, l’idée que le produit de ces dommages et intérêts soit versé à l’Agence française de la biodiversité peut être discutée. C’est pourquoi je suis d’avis que nous en débattions ensemble – le sujet est passionnant. Il est proposé de verser cet argent à l’Agence plutôt que de le répartir entre des associations ou des collectivités, parce qu’elle aura pour mission, précisément, de mettre sur pied des actions en faveur de la biodiversité là où elle aura été détériorée. Reste, j’y insiste, que nous devons prendre le temps d’examiner cette disposition. En attendant, puisque nous ne pourrons pas avancer beaucoup plus ce soir, je vous suggère de voter l’amendement de la rapporteure, quitte à le retravailler en profondeur d’ici à l’examen en séance. J’ajoute être ouverte à toute autre méthode.
M. Bertrand Pancher. Je suis d’accord avec votre proposition, madame la rapporteure, consistant à nous donner le temps de la réflexion. Le texte est suffisamment important pour que nous en analysions plus avant l’impact. Ensuite, je souhaite connaître la position des différentes parties prenantes, au-delà des seules organisations environnementales, que je soutiens. Enfin, nous devons tenir compte du fait que la valeur de la nature n’est pas un débat mineur et varie en fonction de la jurisprudence, du vécu de chaque pays – en d’autres termes, tenir compte du fait que nous nous engageons dans une voie difficile.
Mme Viviane Le Dissez. Je suis d’avis que nous prenions l’amendement de la rapporteure pour base de discussion, puisqu’il est le fruit d’un travail de trois ou quatre semaines. Il y a certes lieu de le retravailler, mais avec prudence. Et si, comme le demande Mme Delphine Batho, les collectivités, les associations, doivent pouvoir recouvrer le produit de la réparation des dommages subis, l’Agence française pour la biodiversité doit être le garant de l’impartialité de sa répartition vers les différents sites.
M. Philippe Plisson. Ma position est quelque peu identique : nous devons partir de l’amendement de la rapporteure et voter le sous-amendement de Delphine Batho, car il me semble important qu’une réparation financière, lorsqu’une réparation en nature n’est pas possible, bénéficie au territoire qui a subi le préjudice. Si, par exemple, les dommages et intérêts versés à la suite d’un accident écologique dans l’estuaire de la Gironde, sont confiés à l’Agence française pour la biodiversité, il ne faudrait pas qu’elle le redistribue aux collectivités riveraines de celui de la Seine…
M. Arnaud Leroy. Je serai plus radical (Sourires) : nous devrions ne rien voter ce soir. Je m’explique. Je ne fais pas sécession : j’ai travaillé sur le sujet avec la rapporteure et avec Viviane Le Dissez. La question des tribunaux, par exemple, mérite débat : on a entendu, lors des questions au Gouvernement, cet après-midi, la polémique liée à la spécialisation des tribunaux de commerce.
En outre, jusqu’à ce soir, madame la secrétaire d’État, je ne savais pas qu’il était prévu qu’une partie des réparations liées à un préjudice écologique viendrait abonder, sous une forme qui reste à définir, l’Agence française pour la biodiversité !
Ensuite, la question reste posée de savoir qui pourra ester en justice. Les amendements que je propose visent à élargir la capacité à agir alors que l’amendement de la rapporteure me paraît assez restrictif en la matière.
Nous avons par ailleurs travaillé sur les notions de suivi, d’acte attestant que les réparations ont été effectuées, de réparation-protection… La protection de l’environnement n'en reste pas moins un concept très flou et l’argent des réparations, à mon sens, ne doit pas servir à la fabrication, par exemple, de films de promotion... Aussi devons-nous nous concentrer sur la question de la réparation, d’une éventuelle compensation sur une échelle territoriale à déterminer.
Nos positions sont proches, madame la rapporteure, mais je vous invite à examiner les amendements que je propose car nous devons clarifier les notions que nous employons.
Nous ne sommes pas tout nus puisque nous disposons du texte sénatorial qui introduit le préjudice écologique dans le droit. Nous devrions toutefois, j’y insiste, reprendre l’ensemble des questions soulevées par Delphine Batho ou d’autres afin d’établir la liste des sujets à approfondir et des notions à préciser afin de nous entendre sur leur définition. Par exemple, en ce qui concerne la rétroactivité, les gens doivent comprendre que la notion de préjudice écologique viendra en sus de régimes déjà en vigueur, notamment de régimes de police administrative.
Il nous reste un gros travail à réaliser pour aboutir à un texte simple, lisible et applicable dès promulgation.
M. Martial Saddier. Très bien !
Mme Laurence Abeille. La situation est assez complexe, en effet, et nous devons garder à l’esprit que les médias comme les réseaux sociaux sont attentifs à notre travail en commission ce soir.
Je trouve très positif que le Gouvernement ait décidé de retirer son amendement. Il nous est proposé de nous « rabattre » sur l’amendement de la rapporteure qui, on le voit, n’est pas parfait car rédigé rapidement. Je souscris pour ma part totalement au sous-amendement de Delphine Batho : elle montre du doigt un élément important. Je suggère donc que nous adoptions, ce soir, l’amendement de la rapporteure, sous-amendé par Mme Batho, sous réserve de la création d’un groupe chargé de revoir la rédaction du texte dans le sens d’une clarification, ainsi que nous y invite Arnaud Leroy. Nous partageons le même objectif, mais il nous reste à préciser les modalités pour y parvenir. La réparation en nature est évidemment prioritaire et indispensable, mais la question des dommages et intérêts à accorder aux victimes se pose.
Mme Chantal Berthelot. Nous avons évoqué la catastrophe de l’Erika, survenue il y a un certain nombre d’années, mais je rappelle que nous avons organisé, la semaine dernière, une table ronde sur l’orpaillage illégal en Guyane qui, lui, est un phénomène bien actuel. Or le texte ne peut présenter d’intérêt pour la Guyane, dans ce contexte, qu’à la double condition que l’on précise la notion de réparation en nature et que les dommages et intérêts éventuels résultant du dommage subi bénéficient au seul territoire concerné. Cela peut paraître évident mais l’évidence ne vaut pas loi, aussi devons-nous nous montrer très clairs. C’est pourquoi je serai très vigilante, quand nous récrirons l’amendement de la rapporteure, sur la destination des dommages et intérêts – d’autant que, plus encore que de préjudice écologique, la Guyane subit un véritable meurtre écologique.
Mme la secrétaire d’État. L’idée est que l’Agence française de biodiversité utilise les montants dont elle aura été destinataire pour exercer une action réparatrice sur les territoires pollués, en lien avec les différentes collectivités. Cela mérite certainement des précisions, et nous allons approfondir le sujet.
Il me semble toutefois qu’une confusion est en train de s’installer. Le préjudice écologique n’est absolument pas exclusif d’autres procédures civiles, pour des dommages aux personnes ou des dommages économiques. Dans l’affaire de l’Erika, par exemple, les conséquences sur le tourisme représentent des pertes économiques. Si la rédaction devait conduire à une confusion de cette nature, il faudrait absolument la corriger.
Mme la rapporteure. Il est écrit au deuxième alinéa : « indépendamment des préjudices réparés suivant les modalités du droit commun ». Ce ne sont pas les mêmes procédures et elles n’ont pas les mêmes conséquences.
Mme Delphine Batho. Il existe aujourd’hui une jurisprudence de la Cour de cassation ; l’enjeu est de la graver dans le marbre. Si la loi devait être en recul par rapport à la décision de la Cour, j’y serais opposée, comme je suis opposée au fait que les victimes d’un préjudice écologique ne puissent plus demander de dommages et intérêts.
La proposition d’Arnaud Leroy, consistant à en rester ce soir au texte du Sénat et à conduire un travail collectif d’ici à la séance publique, me paraît sensée. Le débat au fond reviendra de toute façon en séance. Ce n’est pas un hasard si ce texte annoncé depuis trois ans par le Gouvernement n’a jamais trouvé sa place dans le calendrier parlementaire, car il va à l’encontre d’intérêts de très grandes firmes.
Mme Anne-Yvonne Le Dain. Je vous proposerais bien, si cela était possible, de reprendre mon amendement de suppression… (Sourires.)
M. le président Jean-Paul Chanteguet. Considérez-vous, madame Laurence Abeille, monsieur Arnaud Leroy, que l’amendement de la rapporteure soit amendable de votre point de vue ?
M. Arnaud Leroy. Je ne le crois pas.
Mme Laurence Abeille. Je serais moins négative, mais je ne suis pas aussi au fait des questions juridiques qu’Arnaud Leroy. (Sourires)
M. le président Jean-Paul Chanteguet. Compte tenu des réponses qui ont été faites, j’invite les auteurs des amendements à les retirer, afin que nous en restions pour le moment à la rédaction du Sénat, à charge pour nous de parvenir ensemble, d’ici la réunion que nous tiendrons au titre de l’article 88 du Règlement, à une solution acceptable pour le plus grand nombre.
Mme la rapporteure. Soit, mais je crains que, ce faisant, nous n’enterrions le préjudice écologique, car nous n’aurons pas le temps, en quinze jours à peine, d’entrer dans le détail. Nous avons, Viviane Le Dissez et moi, mis de longs mois à comprendre certaines choses, qui exigent le regard de juristes chevronnés. Je crains que nous ayons quelques surprises d’ici au 15 mars.
Mme la secrétaire d’État. Je m’en remets à la sagesse de votre président. Nous avons peu de temps devant nous, mais nous ne partons pas d’une feuille blanche : le travail de la rapporteure est un bon travail, qui offre une base de discussion solide. Il existe entre nous des différences d’appréciation sur le principe même du préjudice écologique, et nous devrons avoir ce débat, mais sur des bases qui soient un peu plus claires. Je ferai en sorte que nous nous rencontrions très rapidement pour travailler ensemble et faire mentir ceux qui pensent que nous ne parviendrons pas à instituer le préjudice écologique.
M. le président Jean-Paul Chanteguet. Si les auteurs de tous les amendements en discussion commune sont d’accord pour les retirer, la cohérence voudrait que les amendements qui suivent soient également retirés ou, en tout cas, ne soient pas votés.
M. Martial Saddier. Je souhaite, pour ma part, soumettre au vote les trois amendements que j’ai déposés.
Les amendements CD943 rectifié, CD516 et CD666 sont retirés, de même que les amendements CD575 et CD576 de M. Bertrand Pancher, CD517 et CD518 de Mme Laurence Abeille ? CD1053 et CD623 de M. Arnaud Leroy.
La commission rejette successivement les amendements CD 260, CD258 et CD259 de M. Martial Saddier.
Puis elle adopte l’article 2 bis sans modification.
Après l’article 2 bis
La Commission examine l’amendement CD677 de la rapporteure.
Mme la rapporteure. Il s’agit d’insérer à cet endroit l’article 51 quater AA sur l’action de groupe introduit par le Sénat, afin d’améliorer la cohérence de la loi en plaçant l’article dans le code de l’environnement.
Mme la secrétaire d’État. Je préfère, pour ma part, que nous traitions cette question à l’article 51 quater AA et vous invite donc à retirer l’amendement.
L’amendement est retiré.
Article 3 (article L. 110-2 du code de l’environnement) : Intégration de la lutte contre les nuisances lumineuses dans le droit environnemental
La commission examine l’amendement CD496 de Mme Laurence Abeille.
Mme Laurence Abeille. Nous proposons de supprimer les termes « et l’utilisation durable », ajoutés par le Sénat. C’est une notion extrêmement vague, qui soulève la question des moyens employés pour assurer cette durabilité.
L’amendement tend par ailleurs à harmoniser la rédaction de l’alinéa 3 avec les dispositions du code de l’environnement relatives à la trame verte et bleue et les objectifs assignés à cette politique publique par les articles L. 371‑1 et suivants dudit code.
Mme la secrétaire d’État. Avis favorable. L’article 3 érige les continuités écologiques en élément fondamental de la protection de la biodiversité. La notion d’utilisation durable, en revanche, est difficile à définir et ne constitue pas un élément fondamental. En outre, les outils de la trame verte et bleue concernent toutes les échelles de planification et sont destinés à identifier les usages qui profitent à la biodiversité et à les valoriser.
M. Philippe Plisson. Cette notion vise à préserver les usages vertueux dans les continuités écologiques. Cela peut paraître évident, mais cela va mieux en le disant. Je suis donc favorable à son maintien, et défavorable à l’amendement.
Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la commission adopte l’amendement.
Elle examine ensuite l’amendement CD826 de M. Lionel Tardy.
M. Lionel Tardy. L’ajout des mots « y compris nocturne » à la fin du deuxième alinéa de l’article n’apporte rien. C’est l’environnement dans son ensemble qui doit être protégé, qu’il soit diurne ou nocturne ; une telle distinction n’a pas lieu d’être.
Mme la secrétaire d’État. Certains travaux récents montrent que la fragmentation des continuités écologiques est également le fait des éclairages urbains et routiers. Leur contribution à cette fragmentation est très importante et induit des modifications de comportement chez certaines espèces. Compte tenu de l’impact de la pollution lumineuse sur les espèces, je suis très défavorable à cet amendement.
Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la commission rejette l’amendement.
Elle adopte ensuite l’article 3 ainsi modifié.
Article 3 ter (articles L. 371-3, L. 411-3, L. 411-5, titre Ier du Livre III [supprimé] du code de l’environnement) : Contribution des maîtres d’ouvrage à l’inventaire national du patrimoine naturel par le versement des données brutes de biodiversité et diffusion des données
La commission adopte successivement les amendements de coordination CD185, CD186 et CD187 de la rapporteure.
Elle examine ensuite l’amendement CD200 de M. Jean-Marie Sermier.
M. Jean-Marie Sermier. Cet amendement vise à supprimer les alinéas 7 à 9, qui prévoient la mise à disposition gratuite de toutes les données recueillies dans le cadre des évaluations environnementales. Il est surprenant que des entreprises qui travailleront sur un projet et constitueront de ce fait des données sur la biodiversité dans tel ou tel secteur soient obligées de les mettre à disposition gratuitement, par un outil informatique, et que de surcroît les personnes qui souhaiteraient faire des recours contre les projets puissent les utiliser.
Mme la rapporteure. Avis défavorable. Je suis certes sensible à la nécessité d’encadrer l’open data mais cet amendement va directement à l’encontre de notre volonté d’un véritable open data en matière de biodiversité.
Mme la secrétaire d’État. Même avis. Il est important de maintenir la notion de données brutes, qui rend possible l’open data sans pour autant emporter de droits de propriété intellectuelle. Il est par ailleurs important que les données brutes qui fondent les interprétations et conclusions des études d’impact puissent être portées à la connaissance des acteurs, administration et public, et pas seulement les analyses qui en découlent.
La commission rejette l’amendement.
Puis elle se penche sur l’amendement CD399 de Mme Florence Delaunay.
Mme Florence Delaunay. Cet amendement porte sur la démarche d’inventaire du patrimoine naturel institué pour l’ensemble du territoire national, qu’il vise à compléter par la géodiversité. L’expression de « données brutes de biodiversité » introduite dans le présent article est insuffisante car l’inventaire ne porte pas uniquement sur le patrimoine vivant mais également sur les richesses géologiques, pédologiques, minéralogiques et paléontologiques.
Il n’apparaît pas non plus opportun que les données issues de la bibliographie ainsi que celles acquises auprès d’organismes détenant des données existantes soient saisies par les bureaux d’études, dont ce n’est pas le rôle, au risque de créer des doublons et d’autres difficultés.
Mme la rapporteure. L’intention est louable, mais ce n’est malheureusement pas possible : nous ne sommes pas prêts, nous n’avons pas les outils qui nous permettraient d’inventorier tout notre sous-sol. Une solution serait de renvoyer le sujet à ce « serpent de mer » qu’est la réforme du code minier...
Mme Florence Delaunay. L’inventaire national du patrimoine naturel est déjà en cours de réalisation, notamment par les conservatoires botaniques nationaux. Des données doivent être échangées entre le Muséum national d’histoire naturelle et ces conservatoires. J’ai déposé un autre amendement portant sur la validation de ces données : elles existent déjà.
Mme la rapporteure. C’est dans la transmission par les maîtres d’ouvrage que réside la difficulté.
Mme Viviane Le Dissez. Je comprends les difficultés qui peuvent exister pour enregistrer toutes ces données, même si elles ne sont pas aussi pléthoriques qu’on peut le penser. La géologie est souvent oubliée, alors que ces connaissances sont importantes. Nous manquons par exemple de données sur les sous-sols du milieu marin, en vue de permettre ou non l’extraction de ces fonds, qui ne sont pas des milieux morts mais vivants. Espérons que le code minier ne restera pas indéfiniment un serpent de mer.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte successivement l’amendement rédactionnel CD188, l’amendement de cohérence CD189 et l’amendement rédactionnel CD190 de la rapporteure.
Elle examine ensuite l’amendement CD827 de M. Lionel Tardy.
M. Lionel Tardy. Cet article prévoit une sorte d’open data pour les données de la biodiversité. Plus précisément, il oblige les maîtres d’ouvrage à partager leurs données en la matière. Une telle disposition, qui concerne à la fois les acteurs publics et privés, me rappelle l’article 12 du projet de loi pour une République numérique visant à recueillir les données des entreprises dès lors qu’elles ont un intérêt public, et je m’interroge sur l’articulation entre ces deux textes. Il est louable de prévoir que le versement des données se fasse sans coût supplémentaire pour les entreprises, mais des précisions sont à apporter sur les modalités de collecte et d’enregistrement temporaire des données. Il faut prévoir ces modalités par décret, comme c’est le cas dans le projet de loi pour une République numérique.
Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la commission adopte l’amendement.
Elle en vient ensuite à l’amendement CD961 de M. François-Michel Lambert.
M. François-Michel Lambert. Il s’agit de reconnaître la présence et l’action positive des fédérations de chasseurs et de pêcheurs comme acteurs de la nature. Les structures de la chasse et de la pêche contribuent à la connaissance des espèces et des espaces. Les études scientifiques qu’elles réalisent apportent des éléments positifs pour la connaissance de notre biodiversité. La ministre et le Conseil national de la transition écologique (CNTE) encouragent déjà ces acteurs à participer au développement des connaissances sur la biodiversité, par le biais de l’open data. Il apparaît donc légitime de prévoir que ces structures puissent, le cas échéant, contribuer directement à la connaissance du patrimoine naturel.
Mme la rapporteure. Avis défavorable. Il faudrait, dans cette logique, dresser une liste à la Prévert de tous ceux qui peuvent contribuer à la connaissance du patrimoine naturel : organisations non gouvernementales (ONG), associations de protection de l’environnement, etc.
Mme la secrétaire d’État. Cet amendement créerait dans la loi une forme d’exclusivité à l’égard des chasseurs et des pêcheurs. Or le système d’information tel qu’il existe aujourd’hui permet déjà à quiconque d’y participer : personnes physiques et morales, fédérations des conservatoires botaniques, réseaux des conservatoires d’espaces naturels, associations locales ou nationales, établissements publics… Il n’y a pas de raison de cibler telle fédération ou tel réseau plutôt que tel autre : l’inventaire national s’adresse à tous, y compris aux pêcheurs et aux chasseurs. Je demande le retrait de l’amendement, faute de quoi mon avis sera défavorable.
Mme Delphine Batho. Les fédérations de pêcheurs ou de chasseurs ne sont pas des établissements publics. C’est l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) qui en est un. Il est important de reconnaître le rôle de sentinelle et d’alerte de ces fédérations.
M. Martial Saddier. Je soutiens cet amendement. Les pêcheurs et les chasseurs ont un rôle important dans les commissions locales de l’eau. Une association communale de chasse agréée (ACCA) est une association et non un établissement public. Par le passé, ces associations ont été parfois montrées du doigt, mais tout le monde reconnaît aujourd’hui que ce sont des acteurs qui jouent un rôle extrêmement positif, contribuant à la recherche scientifique et aux alertes.
M. Philippe Plisson. Ces fédérations de chasseurs et de pêcheurs sont des acteurs importants et une reconnaissance les inciterait à une démarche plus professionnelle, qui ne s’est pas encore développée partout de manière uniforme sur le terrain.
M. Jean-Yves Caullet. Je soutiens également l’amendement. Les fédérations de pêcheurs ont longtemps été les seules à pouvoir ester en justice en cas de pollution aquatique dans les milieux d’eau douce, et l’on fait appel aux chasseurs en cas d’épizootie et autre. Je propose que nous adoptions l’amendement tout en prévoyant d’élargir la rédaction d’ici à la séance.
Mme Laurence Abeille. Depuis le début de l’examen de cette loi, nous avons entendu à de multiples reprises les demandes des chasseurs et des pêcheurs, et vous savez ce que j’en pense... Je ne comprends pas pourquoi ces fédérations n’ont pas accepté d’entrer dans l’Agence française de la biodiversité. Il y a une contradiction très grande entre les grands discours sur la contribution du monde de la chasse au maintien de la biodiversité et cette attitude de refus. Je ne voterai pas l’amendement.
M. Jean-Yves Caullet. Les pêcheurs sont entrés dans l’Agence !
Mme la rapporteure. Cet alinéa concerne les collectivités territoriales, qui « peuvent contribuer à la connaissance du patrimoine naturel par la réalisation d’inventaires locaux ou territoriaux ou d’atlas de la biodiversité ». Avec qui pensez-vous que les collectivités réalisent des atlas de la biodiversité, sinon avec les pêcheurs, les chasseurs, les agriculteurs, les ONG… ? Quel est l’intérêt d’un tel ajout, venant qui plus est de ceux qui nous mettent en garde contre les lois « bavardes » ?
Mme la secrétaire d’État. Il y a d’une part les maîtres d’ouvrage de cet inventaire, qui sont, conformément aux textes, l’État et les régions, et d’autre part ceux qui y contribuent. L’amendement donnerait aux chasseurs et aux pêcheurs un statut supérieur aux autres contributeurs, en les plaçant au même niveau que les régions et l’État. Les autres contributeurs – forestiers, agriculteurs, naturalistes… – ne sont pourtant pas moins respectables.
M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je me retrouve pleinement dans les explications de la rapporteure et de la secrétaire d’État. Donner le sentiment qu’il faudrait faire allégeance aux pêcheurs et chasseurs serait tomber dans l’excès. (Approbations diverses)
M. François-Michel Lambert. Je n’ai pas la même lecture de l’alinéa que la secrétaire d’État. J’ai choisi les fédérations de pêcheurs et de chasseurs car ce sont des personnes qui sont au contact direct de la biodiversité. D’autres structures tout aussi spécifiquement consacrées à la biodiversité peuvent exister. Ce n’est pas le cas des agriculteurs. Ce serait le cas des chasseurs de papillons (Sourires), s’ils étaient organisés en fédérations locales ! Les fédérations de chasseurs, comme l’a rappelé Philippe Plisson, sont de plus en plus professionnelles ; elles recourent à des doctorants pour produire des bases de données, dont nous nous priverions.
Mme Delphine Batho. Pour une fois, je ne suis pas d’accord avec le président Chanteguet (Sourires). Il serait bon d’arrêter de caricaturer les positions des uns et des autres quand on parle des fédérations de chasseurs ou de pêcheurs. Le problème de cet article, c’est que la société civile en est absente. Il est dommage de ne pas prévoir que les fédérations de chasseurs, les fédérations de pêcheurs, les ONG, etc., peuvent contribuer à l’inventaire.
La commission rejette l’amendement.
Elle examine ensuite les amendements identiques CD191 de la rapporteure et CD402 de Mme Florence Delaunay.
Mme Florence Delaunay. Cet amendement a été repris par la rapporteure et je m’en félicite. Il apparaît indispensable de rétablir la référence aux conseils scientifiques régionaux du patrimoine naturel (CSRPN) créés par la loi du 27 février 2002.
Mme la rapporteure. Il convient en effet de rétablir ces dispositions effacées par erreur.
Mme la secrétaire d’État. Je suis favorable au rétablissement, dans l’article L. 411-5 du code de l’environnement, cette mention malencontreusement supprimée par le Sénat ; et je remercie la rapporteure et Mme Delaunay de leur vigilance.
M. Martial Saddier. Une structure de plus, au moment où la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) est censée faire œuvre de rationalisation ! J’observe au passage que nous avons la fâcheuse habitude de voter en cours d’année des textes dont le financement est renvoyé à la loi de finances à venir... Enfin, la nomination des membres par le préfet de région exclusivement n’augure pas d’une bonne coopération avec les nouvelles régions, compétentes en matière d’environnement à travers les schémas régionaux d’aménagement et de développement du territoire (SRADT).
La commission adopte les amendements.
Elle examine ensuite l’amendement CD744 de la rapporteure.
Mme la rapporteure. Le présent amendement vise à ce que l’inventaire national soit établi sous la responsabilité du Muséum national d’histoire naturelle, sans que ce dernier ait en outre à le valider ou à le diffuser. La centralisation proposée nous apparaît excessive.
La commission adopte cet amendement.
Puis elle étudie l’amendement CD400 de Mme Florence Delaunay.
Mme Florence Delaunay. Cet amendement consiste à ajouter la phrase suivante : « Les données recueillies font l’objet d’une validation scientifique, en lien avec les structures et instances d’experts, existantes ou créées à cet effet. » Il apparaît en effet contradictoire de confier aux régions la qualité de chef de file pour la compétence « biodiversité » tout en les dessaisissant de tout rôle dans la validation et l’assemblage des données, qu’elles assurent pourtant de longue date avec l’appui de partenaires locaux. Au surplus, l’article méconnaît les missions déjà confiées par le législateur à certains acteurs reconnus, comme par exemple les conservatoires botaniques nationaux, eux-mêmes en charge d’une mission de diffusion des données qu’ils recueillent.
Mme la rapporteure. Il me semblait que l’adoption de l’amendement CD744 faisait tomber celui-ci. J’en demande le retrait.
Mme la secrétaire d’État. L’amendement précise que la validation scientifique des données effectuée par le Muséum national d’histoire naturelle se fait en lien avec d’autres structures. Cette disposition, que je partage sur le fond, n’est pas du domaine législatif, et l’amendement CD744 que nous venons de voter supprime en effet la référence à la validation et à la diffusion des données qui avait été confiée au Muséum par le Sénat. Je demande, moi aussi, le retrait de l’amendement.
Mme Anne-Yvonne Le Dain. Je suis rassurée par la précision apportée par la secrétaire d’État. En matière d’écologie et de biodiversité, nous avons intérêt à ce que beaucoup de formations soient créées dans toute la France. Le blocage au niveau du Muséum, même s’il s’agit d’une instance prestigieuse, ne va pas dans le bon sens.
L’amendement est retiré.
La commission examine l’amendement CD745 de la rapporteure.
Mme la rapporteure. Il s’agit de faire préciser par décret les conditions dans lesquelles certaines données, pour des motifs liés à la protection de l’environnement, ne sont pas diffusées. Leur diffusion pourrait en effet inciter trafiquants et pillards à se précipiter sur les lieux ainsi désignés à l’attention du public.
Mme Chantal Berthelot. C’est ce qui s’est passé lorsque le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a réalisé, voici trente ans, un état des lieux de la recherche aurifère en Guyane, apprenant ainsi aux orpailleurs où se trouvaient les filons.
Mme la rapporteure. L’objectif est de faire le maximum pour nous prémunir de ces agissements. Y réussirons-nous ? Je l’espère.
La commission adopte l’amendement.
Elle discute ensuite l’amendement CD1024 de M. Jean-Marie Sermier.
M. Jean-Marie Sermier. La mise à disposition de données brutes met à mal la sécurité juridique des projets et peut en outre avoir pour effet, comme vient de le rappeler notre rapporteure, que ces données tombent en de mauvaises mains. Le présent amendement est un amendement de repli par rapport à mon précédent amendement CD200 : je propose de remplacer les termes « données brutes » par « informations ».
Mme la rapporteure. Avis défavorable. En termes de propriété intellectuelle, le terme « informations » n’a guère de sens. C’est l’expression « données brutes » qui est reconnue.
Mme la secrétaire d’État. Il est important de conserver dans la loi la notion de données brutes d’inventaire. L’observation des espèces, des espaces ou des habitats est considérée comme la transcription d’une réalité physique ; il ne s’agit pas d’une création originale et la notion de plagiat ne s’applique pas. Ainsi, il n’existe pas de propriété intellectuelle sur les données brutes d’observation de biodiversité. Par contre, en visant des informations, l’amendement proposé peut avoir des incidences sur le droit de propriété intellectuelle. J’en demande le retrait.
La commission rejette l’amendement.
Puis elle examine l’amendement CD401 de Mme Florence Delaunay.
Mme Florence Delaunay. La mention relative à la gratuité de la diffusion des données paraît contraire aux dispositions de l’article L. 127-9 du code de l’environnement selon lesquelles « les autorités publiques peuvent soumettre l’accès ou le partage des séries et services de données géographiques visés à l’article L. 127-8 à une redevance ou une licence d’exploitation dans les conditions définies par les dispositions des articles 14 à 16 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public ».
De même, l’article L. 414-10 du code de l’environnement dispose que les conservatoires botaniques nationaux « assurent l’accès aux données recueillies à toute personne qui en fait la demande […] moyennant, le cas échéant, une contribution financière ».
Je propose donc de supprimer la mention de la gratuité et d’ajouter, après le mot « diffusées », les mots « conformément aux dispositions des articles L. 127-4 à L. 127-9 ».
Mme la rapporteure. Il me semble que cet amendement aurait pour effet de supprimer de facto l’open data. Mon avis est donc défavorable.
Mme la secrétaire d’État. Même avis. L’open data suppose la mise à disposition gratuite des données.
La commission rejette l’amendement.
Elle en vient à l’amendement CD828 de M. Lionel Tardy.
M. Lionel Tardy. Il s’agit d’un amendement de cohérence avec la formulation commune à tous les textes traitant de l’open data, à savoir que les données sont diffusées « gratuitement et dans un format librement réutilisable ».
Mme la rapporteure. Ce n’est pas tout à fait la même chose. Avis défavorable.
Mme la secrétaire d’État. La rédaction proposée est moins sûre juridiquement, car elle laisse entendre que la liberté d’utilisation des données est liée à leur format. Avis défavorable également.
M. Lionel Tardy. Ce sont les termes même qui figurent dans le projet de loi pour une République numérique !
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte ensuite successivement l’amendement de coordination CD192 de la rapporteure et son amendement CD193 tendant à rectifier une erreur matérielle.
Puis elle examine l’amendement CD1025 de M. Jean-Marie Sermier.
M. Jean-Marie Sermier. Il convient que nous disposions, dans les six mois suivant la promulgation de la loi, d’une étude d’impact de la mise à disposition gratuite des données, afin de nous assurer que celle-ci ne compromet pas la sécurité juridique des projets.
Mme la rapporteure. Un rapport de plus ! Je ne suis pas contre a priori, mais cela dépend des possibilités du Gouvernement.
Mme la secrétaire d’État. La saisie et le versement des données brutes d’observation de biodiversité permettent d’alimenter l’inventaire en continu. S’agissant des données issues des évaluations environnementales, ce sera également un processus continu. Dès lors, un rapport dans un délai de six mois après la loi ne sera probant que si l’application informatique permettant la saisie et le versement des données fonctionne. Dans ces conditions, je vous invite à retirer l’amendement, en m’engageant à faire une communication lorsque l’application informatique sera opérationnelle.
L’amendement est retiré.
La commission adopte l’article 3 ter ainsi modifié.
Mme la secrétaire d’État. Je me félicite de l’adoption de cet article relatif à l’open data. C’était un engagement du Président de la République : il est tenu.
——fpfp——
Membres présents ou excusés
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire
Réunion du mardi 1er mars 2016 à 21 h 30
Présents. - Mme Laurence Abeille, M. Julien Aubert, M. Guy Bailliart, M. Serge Bardy, Mme Chantal Berthelot, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, Mme Sabine Buis, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, Mme Florence Delaunay, M. David Douillet, Mme Françoise Dubois, M. Philippe Duron, M. Olivier Falorni, Mme Geneviève Gaillard, M. Michel Heinrich, M. Jacques Krabal, Mme Valérie Lacroute, M. François-Michel Lambert, Mme Viviane Le Dissez, M. Arnaud Leroy, M. Michel Lesage, M. Gérard Menuel, M. Yves Nicolin, M. Bertrand Pancher, M. Philippe Plisson, M. Martial Saddier, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, Mme Suzanne Tallard
Excusés. - M. Christian Jacob, M. Alain Leboeuf, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Rémi Pauvros, M. Napole Polutélé, M. Gabriel Serville
Assistaient également à la réunion. - Mme Delphine Batho, M. Dino Cinieri, M. Daniel Fasquelle, M. Serge Letchimy, M. Gilles Lurton, M. Paul Molac, M. Yannick Moreau, M. Lionel Tardy