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Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire
La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a organisé, conjointement avec la Commission des affaires européenne, une table ronde sur les enjeux environnementaux du projet de Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP), avec M. Pierre Hausswalt, directeur-adjoint du cabinet de M. Matthias Fekl, secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, M. Edouard Bourcieu, représentant de la Commission européenne à Paris, en charge de la politique commerciale, Mme Lisa Santos, directrice du département des relations internationales de Business Europe, M. Johan Tyszler, de l’ONG AITEC, et de M. Jean-David Abel, de France Nature Environnement, membre du CESE.
La Présidente Danielle Auroi. Nous sommes heureux, Jean-Paul Chanteguet et moi-même, de vous accueillir pour cette table ronde sur les enjeux environnementaux du projet de Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI), aussi connu sous les acronymes de TTIP ou TAFTA, projet de traité qui a déjà fait couler beaucoup d’encre et suscité des craintes d’autant plus vives qu’il est élaboré et négocié dans une logique de secret dénoncée par tous.
La divulgation lundi, par Greenpeace, de nombreux documents confidentiels n’a fait que conforter le sentiment que l’on peut tirer de la consultation des synthèses en anglais, qui sont les seuls documents que nous avons pu consulter au Secrétariat général des affaires européennes (SGAE), à savoir que les Américains sont très réticents à faire des propositions à la hauteur des attentes des Européens, qu’ils n’ont que faire des enjeux liés au développement durable et du principe de précaution qu’ils n’ont pas l’intention d’intégrer.
Ainsi, le sort réservé aux OGM reste incertain, tandis qu’il est en revanche très clair que les Américains ne veulent pas entendre parler d’appellation d’origine protégée (AOP), notion à laquelle ils préfèrent celle de marque : c’est ce qui permet, lorsque l’on se rend aux États-Unis, de se faire servir un mauvais mousseux sur l’étiquette duquel on peut lire : « Véritable champagne de Californie – Méfiez-vous des imitations étrangères ».
Greenpeace pointe en outre les conséquences potentiellement néfastes de cet accord dans le domaine de l’environnement, en raison de l’absence de référence au principe de précaution. Sans parler du mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS), qui n’est pas au cœur de notre sujet d’aujourd’hui, mais peut néanmoins concerner certains produits comme les pesticides. On le voit, les négociations sur le traité posent donc de nombreux problèmes.
Le Président de la République lui-même s’est exprimé hier très clairement contre un traité qui remettrait en cause les principes fixés par la France, laquelle n’entend pas franchir les « lignes rouges » qu’avait définies Nicole Bricq lorsqu’elle était ministre du commerce extérieur.
Cette actualité nous amène à examiner avec encore plus d’acuité le chapitre sur le développement durable que contiendra le PTCI. Ce chapitre, s’il est pour l’heure fort mince, a néanmoins le mérite de rappeler que le développement durable est l’un des objectifs de l’Union européenne, dont tous les membres ont signé les accords de la COP21. Reste à déterminer le réel degré de protection qu’il offrira contre les risques que représentent la convergence réglementaire et l’ISDS pour l’environnement.
Nous allons avoir l’occasion d’évoquer ces différents points avec nos invités : M. Edouard Bourcieu, représentant de la Commission européenne à Paris, en charge de la politique commerciale ; Mme Claire Rabès, conseillère technique au cabinet du secrétaire d’État au commerce extérieur, M. Matthias Fekl ; Mme Lisa Santos, directrice des relations internationales de Business Europe ; M. Johan Tyszler, de l’Association internationale des techniciens, experts et chercheurs (AITEC), et M. Jean-David Abel, membre de France Nature Environnement ainsi que du Conseil économique, social et environnemental.
Le Président Jean-Paul Chanteguet. Je me félicite de cette initiative conjointe de la commission des affaires européennes et de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, qui nous permet d’avoir un débat particulièrement opportun sur un sujet qui, avec la publication par Greenpeace des documents auxquels a fait référence Danielle Auroi, la rencontre entre le président Obama et Mme Merkel, et les récentes déclarations du Premier ministre, du Président de la République et du secrétaire d’État au commerce extérieur, se trouve au cœur de l’actualité, preuve s’il en était besoin que les parlementaires savent être en phase avec celle-ci et peuvent parfois servir à quelque chose.
M. Édouard Bourcieu, représentant de la Commission européenne à Paris, en charge de la politique commerciale. La négociation du traité transatlantique est importante pour l’avenir de l’Europe, notamment en ce qui concerne la défense de l’environnement. Hier après-midi, François Hollande a fait savoir qu’en l’état il n’était guère possible de conclure les négociations : c’est une évidence, et la Commission européenne est parfaitement d’accord sur ce point avec le Président de la République française. En effet, l’actuel projet d’accord ne reflète pas certains des intérêts fondamentaux de l’Union européenne.
D’où la poursuite de négociations difficiles, car nous sommes face à un partenaire coriace. Mais l’Europe sait, elle aussi, se montrer coriace et faire preuve de ténacité. Ce n’est pas la première fois que l’on négocie un accord commercial de ce type, et nous avons démontré, lors de précédentes négociations, que nous étions capables d’obtenir davantage de nos partenaires que ne pouvaient, de leur côté, en obtenir les États-Unis. Nous n’avons donc ni à rougir ni à partir perdants dans la conduite de ces négociations. Nous devons tout faire pour promouvoir nos intérêts et pousser les Américains à concéder des résultats substantiels sur les sujets importants comme la défense et la promotion des indications géographiques et des appellations d’origine contrôlée (AOC).
En ce qui concerne le principe de précaution, il y est fait référence dans la proposition européenne divulguée par Greenpeace, dont l’article 2 stipule très clairement que chaque partie se réserve la possibilité de maintenir des réglementations et un niveau de protection jugés appropriés et conformes à ses principes fondamentaux et à son cadre réglementaire, ce qui inclut, en l’occurrence, pour l’Europe, le principe de précaution inscrit dans le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Si la référence n’était pas assez claire, la Commission a mis sur la table en matière de coopération réglementaire une proposition révisée postérieure aux documents divulgués par Greenpeace, dans laquelle a été rajoutée une note de bas de page qui fait explicitement référence aux principes figurant dans le traité européen, dont le principe de précaution. Cette version est consultable en ligne sur le site de la Commission, comme le sont, je le rappelle, tous les textes que la Commission propose à la négociation au nom de l’Union européenne.
J’en viens à présent à la question de l’environnement qui est l’un des domaines des négociations dans lesquels l’Union européenne affiche des ambitions à la hauteur de ce qu’a été la signature de l’accord sur le climat à Paris, en décembre 2015.
Il faut se souvenir au préalable que l’objectif stratégique de ces négociations avec les États-Unis est de réguler la mondialisation, dans un contexte marqué entre autres par l’émergence de nouveaux acteurs et l’apparition de nouvelles formes de concurrence, dont certaines peuvent être qualifiées de déloyales.
Si l’Union européenne est favorable à l’ouverture des marchés internationaux, elle souhaite que les échanges soient encadrés par des règles. Or, dans de nombreux domaines, au premier rang desquelles les questions sociales et environnementales, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) s’est révélée incapable d’imposer ces règles – ce fut notamment l’enjeu de la grande bataille perdue par les Européens à Seattle, en 1999. Mais ces règles, nous en avons besoin, comme nous avons besoin de règles plus ambitieuses en matière d’accès à l’énergie et aux matières premières – on ne peut pas impunément couper le gaz à son voisin ! – ou concernant le comportement des entreprises d’État.
La politique commerciale que l’Union européenne a développée sur la base d’accords bilatéraux avec ses principaux partenaires, y compris les États-Unis, est aujourd’hui le seul et le meilleur moyen de développer ces règles, notamment en matière sociale ou environnementale, a fortiori si l’on songe que l’économie européenne et l’économie américaine pèsent ensemble plus de 40 % de l’économie mondiale.
C’est la raison pour laquelle, en octobre 2015, la Commission européenne a pris l’initiative de proposer aux Américains d’introduire dans les négociations transatlantiques un chapitre sur le développement durable, qui couvre à la fois les questions sociales et les questions environnementales, et comporte également des dispositions horizontales relatives à la responsabilité des entreprises. J’invite chacun à lire ce chapitre, librement accessible, depuis six mois, sur le site internet de la Commission européenne. En la matière, les documents publiés par Greenpeace n’apportent strictement rien de nouveau, et je signale ici, madame la présidente, que nous avons obtenu l’an dernier des Américains le droit de mettre à disposition de tous les parlementaires européens et nationaux les textes consolidés des négociations, que nous avons fait parvenir à l’ensemble des administrations nationales.
La proposition européenne en matière de développement durable s’organise autour de trois piliers. Le pilier domestique, d’abord, affirme le droit des États à réguler et réclame en la matière des engagements explicites et contraignants, notamment en matière de protection des investissements. Nous demandons un haut niveau de protection en matière environnementale et la possibilité pour chaque pays d’appliquer sa législation environnementale sans que les mesures visant à attirer des investissements internationaux ou à favoriser le commerce puissent diminuer le niveau de protection de l’environnement : pas de nivellement par le bas.
Le second pilier, qui concerne la coopération et la gouvernance mondiale en matière d’environnement, rappelle que l’Union européenne est partie à plus d’une cinquantaine d’accords multilatéraux, qui portent notamment sur le changement climatique ou la biodiversité. Il s’agit de défendre la mise en œuvre effective de ces accords multilatéraux et d’organiser le soutien mutuel que l’Europe et les États-Unis peuvent s’apporter sur ces sujets.
Le troisième pilier enfin porte sur les mesures à prendre en matière de coopération bilatérale pour protéger la biodiversité, les espèces en danger ou la pêche, et sécuriser le transport de déchets ou de produits chimiques dangereux.
Sans pouvoir développer l’ensemble des éléments sur lesquels portent les négociations, je conclurais en soulignant que deux points sont encore absents de la proposition européenne : d’une part le changement climatique, domaine dans lequel, à partir des résultats de la COP21, nous souhaitons pousser plus loin la coopération entre l’Europe et les États-Unis, qu’il s’agisse de l’efficacité énergétique ou des énergies renouvelables ; d’autre part, les mécanismes de mise en œuvre des accords, qui doivent être améliorés, en particulier dans le domaine social et environnemental, si nous voulons que ces derniers ne restent pas lettre morte mais soient effectivement appliqués.
Mme Claire Rabès, conseillère technique au cabinet du secrétaire d’État au commerce extérieur. Si le TTIP – ou PTCI – est à la une de l’actualité, ses enjeux environnementaux ne sont pas les mieux éclairés. Ils souffrent par ailleurs, en matière de négociations commerciales internationales, de s’être inscrits jusqu’à présent dans le cadre juridique et institutionnel de l’OMC, aujourd’hui dépassé puisqu’il remonte aux années quatre-vingt-dix et à l’Uruguay Round, cependant que, dans le domaine climatique, des avancées ont eu lieu depuis, avec le Protocole de Kyoto en 1997, l’adoption des objectifs de développement durable par les Nations Unies en septembre 2015 ou, tout récemment, l’accord de Paris adopté en décembre 2015, à l’issue de la COP21.
Le logiciel de l’OMC est resté axé sur la libéralisation des échanges et, si le droit à réglementer pour protéger l’environnement est reconnu, il reste considéré comme subsidiaire : il y aurait en quelque sorte des normes « dures » – les règles commerciales – et des règles « molles » – les normes environnementales et sociales. Ainsi, l’OMC n’a jamais envisagé la progression du commerce mondial sous l’angle des émissions de gaz à effet de serre ou de CO2, les pays du Sud ayant par ailleurs tendance à considérer les normes environnementales et sociales réclamées par les pays du Nord comme une forme de protectionnisme déguisé.
C’est dans ce contexte qu’ont été lancées les négociations du TTIP, prototype des accords de troisième génération, envisagés pour surmonter les blocages dont souffre l’OMC lesquels font, par exemple, obstacle à la conclusion de l’accord sur les biens environnementaux.
Dans cette perspective, l’Union européenne a choisi, pour défendre le développement durable, la voie conventionnelle et a tenu à insérer dans les accords de libre-échange en négociation un chapitre consacré au développement durable, visant à promouvoir, d’une part, les droits sociaux, en référence aux conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail (OIT), et, d’autre part, les impératifs environnementaux, l’adhésion aux accords multilatéraux sur l’environnement, la gestion des déchets ou la préservation des ressources halieutiques, autant de sujets qui ont déjà été intégrés dans les accords signés avec le Canada ou avec Singapour.
L’enjeu est de créer les conditions d’une concurrence équitable et loyale pour les entreprises des pays signataires. À cet égard, le TTIP se présente comme une véritable opportunité de promouvoir et de défendre les normes européennes au plan international. Édouard Bourcieu a raison : il n’y a aucune raison pour que nous n’abordions pas ces négociations dans un état d’esprit offensif, nous sommes suffisamment compétitifs pour pouvoir l’être.
Le secrétariat d’État au commerce extérieur a rappelé que l’un de nos objectifs primordiaux était de lutter contre le dumping social et environnemental, et d’éviter le nivellement des normes par le bas, ce qui est l’une des inquiétudes principales de la société civile et pénaliserait en outre les entreprises françaises et européennes qui observent des standards plus contraignants que les entreprises américaines
L’autre ligne rouge à ne pas franchir est le respect des préférences collectives. En ce qui concerne les produits les plus sensibles, qu’il s’agisse de la décontamination chimique des viandes ou des OGM, la législation européenne ne sera pas modifiée, pas davantage que ne sera remis en question le droit à réguler des États et leur faculté de renforcer leur législation interne, autre ligne rouge fondamentale dans ces négociations.
Enfin, la France, suivie en cela par l’Union européenne, entend rendre les normes sociales et environnementales aussi contraignantes que les dispositions commerciales. Elles devront donc être soumises au mécanisme de règlement des différends, c’est-à-dire à la Cour de Justice qui doit remplacer l’ISDS.
Cela étant dit, négocier avec les États-Unis est difficile. En matière de coopération réglementaire, le déséquilibre reste important entre les Européens et les Américains, qui ne reconnaissent pas le principe de précaution mais sont favorables au mécanisme de la preuve scientifique.
Les problématiques que je viens d’évoquer correspondent aux positions qu’ont constamment défendues l’Union européenne et la France, y compris face à d’autres blocs régionaux. Cette constance est essentielle si l’on veut pouvoir peser sur les normes internationales de demain. Rien ne serait pire en effet que des enceintes multilatérales d’où nous serions absents, sans pouvoir participer à l’élaboration de ces normes.
Mme Lisa Santos, directrice du département des relations internationales de Business Europe. Business Europe représente l’ensemble des fédérations patronales nationales des pays membres de l’Union européenne, dont le Medef pour la France. Nous ne défendons pas uniquement les grandes entreprises mais également les PME.
Nous sommes favorables au TTIP car nous avons besoin de créer, à l’extérieur de l’Europe – aux États-Unis, en Asie, en Afrique ou en Amérique du Sud –, de nouvelles chances de développement pour nos entreprises. Nous défendons donc une politique commerciale offensive. C’est essentiel, surtout pour les petites et moyennes entreprises, les grosses étant déjà présentes sur le marché américain.
Dans le secteur du textile par exemple – et l’on sait que la France est très performante dans le domaine du textile technique –, les droits de douane peuvent aller jusqu’à 20 % et il existe encore aux États-Unis des dispositions liées au Buy American Act, en vertu duquel les entreprises étrangères n’ont pas accès aux marchés publics américains.
Nous souhaitons d’autre part que nos appellations d’origine soient protégées, notamment pour le vin, le champagne ou le fromage.
Nous prônons un accord plus ambitieux que l’accord dans sa forme actuelle, qui se limite aux tarifs comme les accords traditionnels. Nous souhaitons obtenir l’accès aux marchés publics, ainsi qu’un accès effectif à l’énergie.
Nos entreprises n’ont aucun intérêt à voir abaisser les standards internationaux en matière environnementale et sociale, puisqu’elles sont contraintes par les normes européennes. Cela étant, pour obtenir des résultats, il faut être prêt au compromis. Nous courons le risque, si nous n’avons pas accès au marché américain aux mêmes conditions que les Japonais ou les Australiens, qui viennent de signer l’accord de partenariat trans-pacifique (TPP), de ne plus être compétitifs pour l’exportation de nos voitures ou de nos vins.
En ce qui concerne le développement durable, les propositions qui sont actuellement sur la table vont bien plus loin que l’accord que l’Union européenne a signé, il y a cinq ans, avec la Corée du sud et qui était le premier accord comportant des dispositions relatives au développement durable : là où ces mesures tenaient en trois pages, la proposition européenne soumise à la négociation en fait dix-sept et comporte des règles sociales et environnementales qui doivent ensuite pouvoir être étendues dans le cadre de l’OMC, ce que refusent pour l’heure des pays comme l’Inde.
Quant au règlement des différends et à l’ISDS, Business Europe n’est pas favorable à la proposition de la Commission, dont nous craignons qu’à terme elle limite le recours de nos entreprises à la nouvelle procédure d’ISDS aux États-Unis et ne confère à nos investisseurs un degré de protection moindre que ceux des pays ayant signé le traité transpacifique.
M. Johan Tyszler, membre de l’Association internationale des techniciens, experts et chercheurs (AITEC). Membre de l’ONG AITEC, je représente ici, plus largement, le collectif Stop TAFTA, qui regroupe soixante-quinze organisations – associations, ONG et syndicats – de la société civile. Depuis deux ans et demi, nous nous efforçons de percer l’extrême opacité qui entoure les accords transatlantiques pour en révéler les conséquences sur la démocratie, la santé et nos normes environnementales. Car il y a en réalité deux accords transatlantiques, puisque le 29 février dernier a été publié le texte final de l’Accord économique et commercial global (CETA), négocié avec le Canada, qui devrait être ratifié à l’automne. Il y a donc urgence à ouvrir un débat public et démocratique.
Ces deux traités transatlantiques sont indissociables, puisqu’ils s’organisent autour des mêmes mécanismes néfastes et que l’accord avec le Canada ne respecte pas les lignes rouges, pourtant rappelées par le Gouvernement récemment. Nous les considérons donc incompatibles avec l’accord de Paris, signé en décembre, dont l’un des objectifs et de contenir le réchauffement climatique en dessous de 1,5 à 2 degrés.
La communauté scientifique est unanime sur le fait que, pour contenir le réchauffement climatique en dessous de ces 2 degrés, il faut laisser dans le sol au moins 80 % de nos réserves en énergies fossiles. Or le CETA, en baissant les droits de douane et en favorisant l’investissement transatlantique, entérine la libéralisation du commerce des hydrocarbures issus des sables bitumeux d’Alberta qui comptent parmi les énergies fossiles les plus polluantes.
De même, comme le révèlent les documents dévoilés par Greenpeace, l’Union européenne aimerait favoriser, avec le TAFTA, l’importation de pétrole brut mais aussi de gaz naturel liquéfié (GNL), en abaissant les restrictions à l’export des États-Unis. Or, comme les sables bitumeux, il s’agit d’une des énergies les plus polluantes. Par ailleurs, les investissements nécessaires au transport, à la liquéfaction et à la regazification du GNL vont capter une part des moyens financiers qui auraient pu être consacrés à la transition énergétique et écologique, au lieu d’être utilisés à alimenter, dans une logique extractiviste, la production et la consommation des énergies les plus carbonées.
Sur deux autres points, le CETA et le TAFTA sont en totale contradiction avec les objectifs de limitation des gaz à effet de serre et l’accord de Paris, d’une part la coopération réglementaire, d’autre part l’ISDS.
En ce qui concerne l’arbitrage, on assiste depuis les années quatre-vingt-dix à une explosion du nombre de contentieux, le record ayant été atteint en 2015 avec soixante-dix nouvelles affaires enregistrées. Selon le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), 50 % d’entre elles sont liées à des questions environnementales, taux qui monte à 60 % pour l’Union européenne. Parmi ces affaires, j’évoquerai les plus emblématiques : Vattenfall I contre l’Allemagne en 2009, l’entreprise suédoise demandant à l’Allemagne une compensation de 4,1 milliards de dollars en contrepartie des contraintes environnementales imposées aux centrales à charbon ; Vattenfall II contre l’Allemagne, en 2012, cette même entreprise réclamant cette fois-ci une compensation de 4,7 milliards de dollars suite à la décision allemande de se retirer progressivement de l’atome ; Lone Pine Resources contre le Canada, l’entreprise ayant créé une société boîte aux lettres dans le Delaware pour pouvoir porter plainte contre le Canada suite à la décision du Québec d’interdire la fracturation hydraulique ; plus récemment enfin, TransCanada contre les États-Unis, l’entreprise canadienne demandant 15 milliards de dollars de compensation, suite au rejet par le président Barack Obama du projet d’extension de son pipeline, dans lequel pourtant elle n’avait investi que 2,4 milliards de dollars mais pour lequel elle intégrait dans le préjudice la perte sur les profits escomptés. Or, selon un rapport publié par plusieurs organisations européennes, les dispositions concernant le droit des investisseurs telles qu’envisagées dans la réforme de l’ISDS incluse dans le TAFTA seront semblables à celles du CETA et offriront à ces investisseurs les mêmes capacités de recours contre les États.
Le Président Jean-Paul Chanteguet. Monsieur, je vous rappelle que vous avez été invité à cette table ronde pour parler du TAFTA et non du CETA.
M. Johan Tyszler. Mais il s’agit de la même logique. Dans les deux cas, en amont du processus législatif, la coopération réglementaire va peser sur les États et leur capacité à mettre en œuvre des politiques de transition énergétique, chacune des mesures envisagées devant être compatible avec les objectifs de libéralisation du commerce et de l’investissement portés par les traités.
C’est une façon de restreindre l’espace démocratique dévolu à la transition écologique, et ce d’autant plus que les chapitres du TAFTA et du CETA consacrés au développement durable n’offrent aucune garantie juridiquement contraignante permettant à la puissance publique de se dresser contre les privilèges accordés aux investisseurs grâce à l’ISDS et à la coopération réglementaire.
M. Jean-David Abel, membre de France Nature Environnement, membre du CESE. Votre invitation montre que la société civile n’est pas la seule à s’inquiéter de ce qui est en train de se négocier dans le cadre du TTIP et que nombre de parlementaires s’interrogent.
Si France Nature Environnement, fédération généraliste qui intervient dans le domaine de l’environnement et de la protection de la nature, s’intéresse de près au TAFTA, c’est que les dispositions qu’il contient ont ou auront des incidences sur les politiques publiques qui concernent l’environnement ou l’énergie.
En vérité, il est beaucoup moins question, dans cet accord, d’économie et de commerce – les barrières douanières qui s’établissent en moyenne autour de 5 % ne sont plus vraiment au cœur du débat avec les États-Unis –, que des normes visant à encadrer et à réguler le marché. Ces dernières constituent pour les pays européens de vieille culture démocratique des acquis, consolidés dans les traités. Elles n’ont pas vocation à entraver le commerce et les échanges mais à offrir des garanties environnementales, sanitaires et sociales.
Or les négociations actuelles reposent sur un double axiome, d’une part le fait que la maximisation des échanges est bonne pour l’ensemble des individus, des sociétés, de l’économie mondiale et de la planète – assertion assez peu documentée, en particulier pour ce qui est des impacts de cette maximisation en termes de développement durable ; d’autre part, le fait que, comme l’a exprimé Mme Santos, les normes ne peuvent que faire obstacle à cette maximisation et à cette accélération des échanges. Partant, le mandat de négociation européen, comme les réponses américaines, ne peuvent aboutir qu’à fragiliser non seulement les règles existantes, mais également celles que les États pourraient vouloir appliquer dans le futur.
Les intérêts en jeu nécessitent apparemment que les discussions se tiennent au sein de comités d’experts et de cénacles, dans la plus totale opacité, M. Bourcieu en effet a beau nous expliquer que les députés européens ont accès aux documents, ils ne peuvent en vérité que les consulter sans pouvoir se les approprier comme documents de travail, ce qui n’est pas vraiment un gage de transparence. Vu de l’extérieur du champ politique, depuis la société civile, ce sont des pratiques stupéfiantes, quand bien même nous savons qu’elles existent déjà parmi les instances européennes, au sein desquelles fonctionnent déjà des comités d’experts, fermés à la société civile mais ouverts aux lobbys.
Le phénomène ne fait que s’amplifier dans le cadre des négociations du TAFTA et, quoi qu’en dise M. Bourcieu, le mandat européen révèle la position très velléitaire de l’Europe, qui se borne à parler d’encouragements ou d’incitations, toujours au futur ou au conditionnel. Quant aux documents divulgués par Greenpeace, ils font apparaître que, si l’Europe est déjà peu allante, les États-Unis refusent tout mécanisme qui viendrait contrarier leur logique. Il est donc essentiel que les législateurs que vous êtes prennent conscience de la responsabilité qui est la leur en ce qui concerne les réglementations présentes ou à venir par lesquelles la France et l’Europe souhaiteraient garantir la protection de l’environnement.
M. Christophe Bouillon. Je voudrais saluer ici la constance et la persévérance de Matthias Fekl depuis qu’il occupe les fonctions de secrétaire d’État au commerce extérieur. Il plaide avec beaucoup de force non seulement pour plus de transparence mais également pour des négociations plus respectueuses de notre environnement et de notre agriculture.
Dans ces négociations, trois points essentiels sont au cœur des débats. D’abord, le projet de la cour d’arbitrage censée assurer le règlement des différends entre investisseurs et États, qui risque de limiter le droit de ces derniers à légiférer ; ensuite, la capacité des économies européennes à résister à la concurrence américaine ; enfin l’harmonisation des normes, qui risque de se traduire par un affaiblissement des normes européennes, notamment dans le domaine de l’environnement.
En ce qui concerne les OGM, l’Union européenne sera-t-elle obligée de modifier sa législation ?
Dans le domaine agroalimentaire, va-t-on voir apparaître dans nos supermarchés de la viande américaine issue d’animaux nourris aux hormones ?
La France défend des positions fermes auxquelles elle tente de rallier ses partenaires européens, mais est-elle isolée et, le cas échéant, comment compte-t-elle procéder pour convaincre d’autres États ?
Enfin pourriez-vous nous apporter quelques précisions sur le calendrier ? Quand le Parlement aura-t-il son mot à dire sur ce projet de traité ?
M. Martial Saddier. Je voudrais exprimer le regret du groupe Les Républicains qu’aucun membre du Gouvernement ne soit présent à cette table ronde ; compte tenu de l’importance du sujet, c’eût été la moindre des choses.
A priori, sur le papier, un traité qui vise à développer l’emploi et à favoriser l’investissement devrait avoir notre faveur. Néanmoins, à ce stade, nous ne pouvons que déplorer l’absence de transparence qui entoure les négociations. Le représentant de la Commission nous dit que les textes sont à notre disposition, mais il ne s’agit que de synthèses pour le moins succinctes. De la même manière, nous n’avons pas eu communication de la feuille de route confiée aux négociateurs par le Gouvernement français ni des lignes rouges à ne pas franchir. Si nous avons entendu le Président de la République hier, nous jugeons sa réaction pour le moins tardive.
La position des États-Unis est aujourd’hui intransigeante, notamment pour ce qui concerne l’ouverture des marchés publics américains aux entreprises européennes. Or il y a dans notre pays de grandes entreprises capables de décrocher ce type de marchés aux États-Unis.
En ce qui concerne l’agriculture, il est hors de question pour nous d’apposer notre signature sur un traité qui mettrait à mal le monde agricole et les signes de qualité.
Enfin, en matière de normes environnementales, la reconnaissance mutuelle défendue par les États-Unis n’est pas acceptable. Il faut aboutir à une harmonisation qui préserve les avantages des uns et des autres.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains demande une suspension immédiate des négociations afin de refaire un point sur la position française et sur la position européenne. Nous considérons en effet qu’il est impossible, en l’état actuel, de ratifier cet accord.
Le Président Jean-Paul Chanteguet. Monsieur Martial Saddier, la commission des affaires européennes recevra M. Matthias Fekl, mercredi prochain, avec la commission des affaires étrangères.
Mme Seybah Dagoma. Je vous remercie pour cette initiative particulièrement bienvenue. J’ai entendu les propos liminaires de certains intervenants sur la pratique de l’Union européenne en matière environnementale et sociale dans les accords de libre-échange. Mais celle-ci se confronte à une autre pratique.
Bien qu’ils reconnaissent tous deux le droit à réguler dans le domaine social et environnemental, les accords de libre-échange américains et européens diffèrent à la fois sur la forme et sur le fond. Les accords américains comportent deux chapitres – l’un relatif aux droits sociaux, l’autre relatif aux normes environnementales – tandis que les accords européens n’en comptent qu’un seul. Ensuite, les premiers contiennent des normes sociales et environnementales plus faibles que les seconds. Ils se réfèrent peu à des normes précises en matière de droit du travail et de protection de l’environnement ; ils définissent des champs de coopération et visent avant tout à faire adopter et appliquer des législations et réglementations nationales. On en connaît la raison : les Américains ont ratifié un faible nombre d’accords internationaux – deux engagements de l’OIT sur les huit – et ils ne l’ont pas fait pour le protocole de Kyoto alors que l’Union européenne a une démarche très proactive puisqu’elle ratifie la plupart des accords internationaux dans le domaine social et environnemental, particulièrement dans la lutte contre le changement climatique.
S’agissant de la mise en œuvre, les différences sont également significatives. Dans les accords américains, les normes environnementales et sociales sont soumises au mécanisme de règlement des différends. En cas de non-respect, des sanctions qui peuvent aller de l’amende financière au retrait des préférences commerciales sont prévues. La société civile joue un rôle extrêmement important aux États-Unis puisqu’elle peut introduire des plaintes en cas de violation des droits sociaux et environnementaux. Dans les accords européens, les normes sociales et environnementales ne sont pas soumises au mécanisme de règlement des différends. En cas de violation, des consultations gouvernementales et des comités d'experts sont chargés de trouver une solution au préjudice commercial. Autrement dit, ce sont des pratiques très différentes.
Nous n’allons pas gagner sur tous les tableaux. Qui peut nous faire croire que nous allons réussir à imposer aux Américains notre pratique ? Quelle est donc la stratégie de l’Union européenne ?
Les entreprises américaines souhaitent affaiblir la réglementation REACH. Quelle est la position de la Commission sur ce point ?
Enfin, le commerce du bois illicite a des implications néfastes, tant pour l’environnement que pour les États en privant ces derniers de revenus et les populations autochtones de moyens de subsistance. Un accord est-il envisageable sur ce point ?
M. Stéphane Demilly. Le projet de TTIP me fait penser à l’Arlésienne d’Alphonse Daudet. Tout le monde en parle mais personne ne l’a vu. Les derrières annonces du Gouvernement laissent à penser qu’il manquera au moins l’une des deux parties le jour des fiançailles.
Martial Saddier a évoqué le manque de transparence. Personne n’a vu le projet de TTIP car le texte n’est pas accessible pour le public. Seuls quelques députés européens ont, semble-t-il, eu le droit de le consulter sans pour autant être autorisés à le diffuser. Si l’Union européenne a rendu publiques un certain nombre de ses propositions, ce n’est toujours pas le cas pour les États-Unis. Il est donc difficile de commenter un texte dont on ne connaît pas aujourd’hui les détails.
Pour autant, les enjeux économiques et environnementaux sont a priori colossaux. L’argument majeur en faveur de la signature d’un tel traité réside bien, pour nous, dans l’ouverture aux entreprises européennes d’un marché américain de 120 millions de ménages et de 320 millions d’habitants. Une étude de 2013 du Center for economic policy research, basé à Londres, avance le chiffre de 119 milliards de dollars de gains annuels pour l’Union européenne et de 95 milliards pour les États-Unis. Mme Santos a évoqué les opportunités économiques que ce traité représente sans pour autant nous donner de chiffres. Je ne sais pas si les chiffres que je viens de citer sont réalistes.
Sans remettre en cause ce calcul particulièrement avantageux pour les Européens, je souhaite rappeler que les arguments nous invitant à la prudence sont légion, comme l’ont rappelé M. Tyszler et M. Abel. Mardi dernier, en clôture de la conférence environnementale, le Premier ministre lui-même a ainsi jugé que les négociations sur la santé et l’environnement étaient loin du compte. Le secrétaire d’État au commerce extérieur a également considéré que la possibilité de signer un accord s’éloignait et que la France et l’Union européenne n’étaient pas prêtes à signer, je cite, « n’importe quoi et à n'importe quel prix ». Nos voisins allemands semblent sur la même ligne puisque le ministre de l’économie, Sigmar Gabriel, a déclaré que, sans concessions des États-Unis, cet accord allait échouer.
Mes questions seront donc simples et directes. Elles s’adressent à ceux de nos invités qui connaissent ces négociations de l'intérieur : quel est le calendrier pour les mois à venir ? Quelles normes environnementales moins ambitieuses que les nôtres les États-Unis cherchent-ils à nous imposer ? Au-delà des OGM, poulets au chlore, ou autres bœufs aux hormones qui inonderaient le marché européen, comme on peut le lire ça et là, quel serait l’impact d’un tel traité sur notre réglementation environnementale, et notamment agricole ? La question de la souveraineté des décisions de nos États semble posée. Certains craignent que des grands groupes américains attaquent les législations d’États membres de l’Union européenne devant les juridictions internationales sur la base de ce fameux traité. Qu’en pensez-vous ? Quelles options défendez-vous pour sécuriser juridiquement les aspects les plus sensibles ? Enfin, pouvez-vous nous indiquer à quel moment des négociations les parlementaires français auront accès aux propositions américaines et au projet de traité ? Il serait en effet fâcheux que la représentation nationale se retrouve finalement devant le fait accompli.
M. Philippe Plisson. Les propos des divers intervenants ne m’ont pas particulièrement rassuré. Nous sommes encore une fois à la recherche de l’équilibre entre l’environnement et le commerce. Dans le monde tel qu’il est, je devine dans quel sens va pencher la balance. Je m’inquiète d’autant plus que l’Europe, au travers notamment du principe de la concurrence libre et non faussée, a, à ce jour, toujours privilégié le profit au détriment du social et de l’environnement. Ainsi, le fait de laisser à chaque partie le soin de définir ses niveaux de protection ne me paraît pas être une garantie mais plutôt une fragilité connaissant les positions minimalistes de nos partenaires américains en la matière.
Mes questions seront donc simples et courtes : la conclusion d’un accord avec des dés aussi pipés ne va-t-elle pas nous faire perdre notre âme et nos avancées dans le domaine de l’environnement et du social ? La France ne devrait-elle pas adopter une posture claire d’opposition ?
M. Jacques Kossowski. La convergence des normes automobiles fait l’objet d’une négociation spécifique entre les États-Unis et l’Union européenne. L’objectif en est de faciliter les exportations de véhicules entre les deux rives de l’Atlantique. Il me semble que, sur ce point, des avancées pourraient être positives. Les commentaires accompagnant les documents publiés sur le TTIP évoquent des points sur lesquels une harmonisation bilatérale rapide est possible, parmi lesquels les phares adaptatifs, le système automatique de freinage d’urgence ou encore le verrouillage des ceintures de sécurité. N’est-ce pas aussi l’occasion d’avancer en matière de lutte contre la pollution automobile ? En effet, une voiture peut aujourd’hui être hors-la-loi aux États-Unis mais rester dans les normes en France et en Europe. Les normes américaines sont beaucoup plus restrictives pour les émissions d’oxyde d’azote tandis que les normes européennes sont plus contraignantes pour le dioxyde de carbone. Enfin, les critères de test anti-pollution ne sont pas les mêmes.
Une convergence des normes ne représenterait-elle pas un progrès, notamment pour l’environnement ? Des avancées sur ce sujet sont-elles envisageables si les négociations devaient continuer ?
M. Yannick Favennec. Si l’ouverture des marchés offre des perspectives à nos entreprises, elle va aussi les exposer à la concurrence dans des secteurs dans lesquels elles sont parfois déjà en difficulté, en particulier celui de l’élevage. Si l’accord était signé, quel en serait l’intérêt pour nos PME et pour nos agriculteurs ?
Une des seules études sur le potentiel économique du projet de traité fait état d’environ 119 milliards d’euros de croissance d’ici à 2027, soit moins d’1 % du PIB européen par an. Cette perspective justifie-t-elle un tel chamboulement réglementaire ?
M. Michel Lesage. Les interventions de ce matin montrent bien que les craintes que nous avions sur les discussions en cours sur le TAFTA sont largement justifiées. Que ce soit l’absence totale de prise en compte des enjeux environnementaux, la menace claire sur le principe de précaution auquel nous sommes attachés, en France comme en Europe, ou encore la reconnaissance mutuelle des réglementations et non l’harmonisation que nous souhaitons, tous ces éléments nous font craindre le pire.
Alors que le treizième cycle de négociation s’engage, comment les choses sont-elles susceptibles d’évoluer ? Après des mois de négociation, le Parlement et le Gouvernement doivent afficher des positions de principe extrêmement claires.
M. Julien Dive. La société civile exprime des inquiétudes à l’égard du TTIP. Certains secteurs d’activité ont plus de raisons que d’autres de manifester de telles craintes, je pense notamment à l’agriculture.
Le projet d’accord prévoit, par la mise en œuvre d’un marché commun, d’améliorer de facto les exportations ; nous ne pouvons qu’y être favorables. En revanche, l’harmonisation des normes qu’il imposerait mettrait en concurrence les petites et moyennes exploitations agricoles européennes avec les grands groupes agroalimentaires américains. Les États-Unis bénéficient d’un avantage concurrentiel indéniable du fait de la taille moyenne des exploitations, bien supérieure à la nôtre, de normes environnementales bien moins exigeantes et de techniques de génie génétique auxquelles les exploitations européennes ne peuvent, et souvent ne veulent pas, recourir. De même, les contraintes environnementales auxquelles sont soumis les agriculteurs français, comme ceux de ma circonscription de Saint-Quentin, ne sont absolument pas les mêmes que les normes d’une industrie américaine puissante. Il est normal que l’effort en faveur du respect de l'environnement, qui coûte cher, soit récompensé pour nos petits producteurs. À la question de la sécurité alimentaire de l’ensemble des consommateurs, s’ajoute un enjeu de sécurité économique pour nos agriculteurs qui peuvent à juste titre s’inquiéter d’un tel accord et des risques qu’il fait peser sur le modèle de production locale auquel les Européens restent profondément attachés.
Pouvez-vous nous assurer que la France lors de ces négociations fera valoir les intérêts de son agriculture et de ceux qui la font vivre ?
Mme Chantal Guittet. Lorsqu’une consultation de documents est organisée, j’aimerais qu’un interprète soit rémunéré pour traduire ces derniers en français. Je suis membre de la francophonie, je juge inadmissible que les documents qui nous sont donnés à lire soient en anglais. Tout le monde n’est pas anglophone. Je pense que des interprètes au chômage seraient très heureux de traduire ces textes.
J’ai du mal à savoir sur quoi porte le traité. J’ai l’impression qu’il est très difficile à comprendre, notamment parce que ni les négociateurs européens, ni leurs homologues américains ne sont capables de nous expliquer ce qu’ils font. Dans les rounds de l’OMC, nous savions que les négociations portaient sur les droits de douane. Aujourd’hui, celles-ci portent sur des standards qui sont des standards de vie. Autant je conçois pour les droits de douane la nécessité de protéger un secret des affaires, autant pour des normes, je considère que nous devrions être davantage informés.
Une étude d’impact accompagne systématiquement les projets de loi que nous votons. Quel peut être l’impact économique et social de cet accord ? Je redoute que les gros gagnent et les petits meurent. Je n’arrive pas à comprendre grand-chose à ces négociations et je ne pense pas être la seule dans ce cas. En outre, je vous rappelle que ce qui se conçoit clairement, s’énonce clairement.
Un accord historique vient d’être signé sur le changement climatique. De nombreux pays se sont engagés. J’ai l’impression, mais peut-être suis-je dans l’erreur en raison de l’opacité, que ce qui est signé n’est pas repris dans les traités de libre-échange. Il y a une contradiction à vouloir agir en matière de changement climatique et à voter des accords qui n’en tiennent pas compte. Je me trompe peut-être mais j’aimerais bien un éclaircissement sur ce point.
Le Président Jean-Paul Chanteguet. L’analyse n’est pas complètement fausse…
Mme Michèle Bonneton. J’ai fait des efforts pour m’informer. Je suis allée voir les synthèses, en anglais, dans la salle de lecture du ministère des affaires étrangères. Je confirme que ce sont des synthèses et que nous n’avons que deux heures pour les consulter. J’ai cru comprendre mais je n’en suis pas complètement sûre que les domaines environnemental et social ne seraient pas vraiment contraignants. Madame Rabès, vous avez parlé de normes dures et de normes faibles. Pouvez-vous préciser à quoi correspond cette distinction ?
Monsieur Bourcieu, où en sont exactement les négociations sur les trois points que vous avez évoqués : le pilier domestique, la gouvernance au niveau mondial, la coopération entre les États-Unis et l’Union européenne ? Les États-Unis ont-ils apporté des réponses ? Quelles sont-elles ?
S’agissant des préférences collectives, je me demande si elles ne risquent pas d’être sérieusement mises à mal par l’organe de coopération réglementaire puisque, d’après ce que j’ai cru comprendre, les décisions de celui-ci s’imposeraient aux préférences exprimées par les peuples. Cet organe interviendrait avant même que les directives et les lois ne soient votées pour orienter celles-ci.
Les négociations se déroulent dans le contexte de la signature du traité transpacifique. Il me semble avoir compris que les États-Unis ne souhaitent pas aller au-delà des normes contraignantes qui figurent dans ce traité. N’est-ce pas utopique d’espérer les dépasser ? Comment faire pour concrétiser cette utopie ?
M. Jean-Pierre Vigier. Le rapprochement des réglementations constitue l’un des objectifs majeurs du TTIP. Il suscite toutefois des inquiétudes en raison du risque d’une convergence vers le bas. Il est essentiel de garantir le respect des normes françaises et européennes en matière de sécurité alimentaire et de santé humaine et animale. Ces normes constituent pour notre agriculture un point fondamental des négociations dont les incidences seront directes pour nos produits, notre identité et notre sécurité. Quel est votre avis sur ce point ?
M. Jean-Marie Sermier. Je ne souhaite pas tomber dans le piège du dogmatisme sur le TTIP. Il faut évidemment développer le commerce international pour faire vivre la planète. Mais il faut aussi protéger nos petites entreprises et nos agriculteurs. Tomber dans l’excès favorise ceux qui prospèrent sur l’éternel refus de tout.
Je suis effaré par le contenu des documents que nous pouvons consulter sur un tel accord. Madame la conseillère du ministre, le Gouvernement peut-il transmette les documents, s’il en dispose, aux parlementaires qui les demanderaient ?
M. Charles Ange Ginésy. À mon tour, je vous remercie pour l’organisation de cette réunion. J’ai souvent été interpellé par des citoyens sur le TTIP. J’étais le plus souvent dans l’incapacité de leur répondre. La réunion d’aujourd’hui m’apporte un éclairage un peu plus complet. Je reste néanmoins dans un certain flou qui me fait m’interroger sur le besoin d’arrêter les négociations tant que, sur la forme, les choses ne sont pas organisées différemment.
Je souhaite connaître les prochaines étapes ainsi que les modalités d’information et d’association aux débats des parlementaires. Je considère qu’une régulation du marché international est bonne pour nos entreprises, et pour fluidifier les relations commerciales. Mais il ne faudrait pas que notre agriculture, nos entreprises et nos parfumeurs – tout un pan de l’économie – y laissent leur peau.
Le président a dit que le député allait démontrer toute son utilité aujourd’hui. J’espère que nous serons capables de faire en sorte que le député puisse exister demain.
M. Guillaume Chevrollier. Le TTIP est un sujet d’inquiétude pour beaucoup de nos compatriotes dans le contexte économique difficile de notre pays, même si certains affirment que cela va mieux.
Le manque de transparence sur les négociations ne contribue pas à nous rassurer. En tant qu’élu d’un département rural, je souhaite rappeler les inquiétudes de nos agriculteurs et tout particulièrement des éleveurs. Alors que la filière bovine est déjà en grande difficulté, l’augmentation massive d’importations de viande américaine pourrait lui être fatale. Le prix de la production de viande aux États-Unis est plus bas que celui que nous connaissons ; les modèles d’élevage sont très différents, la taille des exploitations ainsi que les normes de production et de protection des consommateurs le sont également – qu’il s’agisse de traçabilité, d’identification ou de qualité des produits mis sur le marché ou encore des normes sanitaires.
J’invite les négociateurs à faire preuve de la plus grande vigilance et de la plus grande fermeté en la matière. Il faut résister à la volonté des Américains d’imposer un accord déséquilibré qui nous placerait sous leur tutelle économique et financière. Comme d’autres collègues, j’appelle à la mobilisation du Parlement pour qu’il assume son rôle de contrôle. Je souhaite davantage de transparence et de réciprocité dans cet accord.
La Présidente Danielle Auroi. Cette table ronde répond à la demande que vous exprimez, cher collègue.
Les documents que nous consultons, avec toutes les ambiguïtés qui ont été soulignées, montrent que les États-Unis, dès lors qu’ils ont obtenu satisfaction en Asie, considèrent qu’il suffirait d’appliquer les mêmes normes à l’Europe. Partagez-vous mon impression ?
Nous ne sommes pas revenus sur l’ISDS dans le domaine de l’environnement. Or, un investisseur américain mécontent des normes environnementales européennes sur les gaz de schiste, les OGM ou l’interdiction de certains produits chimiques – le TAFTA est différent des autres traités car il n’obéit pas à la logique de libre-échange classique, il porte sur les normes et les règles, autrement dit sur notre mode de vie – pourra attaquer la réglementation de l’État membre dans une instance internationale. Les États devront alors payer de lourdes compensations. Cette possibilité figure-t-elle toujours dans le projet de traité ? Pouvez-vous clarifier ce point qui fait partie des inquiétudes que nous pouvons tous légitimement partager ?
M. Edouard Bourcieu. Je vais m’efforcer d’apporter brièvement les réponses que méritent les nombreuses questions très importantes qui ont été soulevées.
S’agissant de la transparence, les parlementaires français, comme tous les parlementaires européens et comme tous les parlementaires nationaux, doivent avoir accès aux textes consolidés, aux textes européens et américains, dans les salles de lecture dédiées.
La Présidente Danielle Auroi. Ce ne sont que des synthèses.
M. Edouard Bourcieu. La Commission envoie deux types de documents à tous les États membres en même temps : le premier, les comptes rendus tactiques des cycles de négociation – à distinguer des comptes rendus publics d’une vingtaine de pages, très détaillés, qui sont mis en ligne –, car ils comportent des commentaires additionnels sur les positions des États-Unis que nous n’avons pas l’intention de leur dévoiler. Ils sont disponibles dans les salles de lecture. Second type de documents envoyés par la Commission pour mise à disposition de tous les parlementaires dans les salles de lecture, ce sont les textes juridiques, extensifs, consolidés, avec la partie européenne et la partie américaine.
Cela doit être ainsi dans tous les États membres. Si ce n’est pas le cas en France, je vous invite à poser la question à Mathias Fekl. Je n’ai pas accès à la salle de lecture française, je ne vérifie pas ce genre de choses moi-même. Je sais ce que nous transmettons à l’administration française et j’entends ce que dit Mathias Fekl en matière de transparence, à savoir qu’on n’en fait pas assez aujourd’hui dans ce domaine. J’espère donc qu’il fait en sorte que les documents que la Commission transmet à la France soient bien à la disposition des parlementaires.
J’ajoute que, sur le site de la Commission européenne sont accessibles à tous les citoyens européens tous les textes que la Commission met sur la table des négociations. C’est une initiative de Cecilia Malmström à son arrivée à la Commission à la fin de l’année 2014 – elle est suédoise, elle défend une conception très avancée de la transparence des administrations publiques. Elle a pris cette décision radicale dans le cadre des négociations transatlantiques mais celle-ci est maintenant appliquée à toutes les négociations.
Deuxième point qui a souvent été abordé, où en est-on dans la négociation ? Que peut-on attendre des Américains ? Que peut-on obtenir ?
Il ne faut pas se leurrer, ce sont des négociations difficiles entre deux partenaires qui jouent à armes égales, qui ont négocié beaucoup d’accords jusqu’ici, qui ont l’habitude d’imposer leur modèle à leurs partenaires et qui se retrouvent face à face à devoir discuter plus sérieusement de ce qu’il est possible de faire. Ces négociations vont prendre un certain temps, il va falloir être tenace mais aussi faire preuve de sang-froid.
Ce n’est pas parce que les résultats ne sont pas au rendez-vous aujourd’hui dans les domaines clés pour les Européens, comme les marchés publics ou les indications géographiques – il y en a toutefois dans un certain nombre d’autres domaines – qu’il faut tout lâcher et partir en courant. Il faudra être tenace jusqu’au bout.
Nous avons été capables avec des partenaires très coriaces d’obtenir des résultats excellents. Nous avons été confrontés récemment à des difficultés très similaires avec le Canada. Alors que sur les marchés publics, le Canada était très fermé, beaucoup plus que l’Union européenne, nous avons pourtant obtenu la réciprocité et un rééquilibrage des conditions d’accès aux marchés, y compris au niveau des provinces canadiennes. Ce résultat est exceptionnel et il constitue un très bon précédent pour les négociations avec les États-Unis.
Avec la Corée du sud, tout le monde disait que ce pays était un maquis de barrières non tarifaires, qu’il était sans espoir de négocier avec elle, qu’il y avait une barrière non tarifaire derrière chaque coréen. Quel est le résultat ? Nous avons obtenu un excellent accord avec la Corée, très ambitieux, plus ambitieux que celui que les Américains avaient signé – ils ont dû renégocier leur accord à la suite de la conclusion du nôtre. Quatre ans après, quels sont les résultats ? Les exportations ont augmenté de 70 %. Le déficit commercial de 10 milliards est devenu un excédent de 10 milliards, y compris dans l’automobile.
M. Jean-David Abel. Il serait souhaitable que les temps de parole soient un tant soit peu équilibrés. Nous participons à une table ronde, nous avons tous des choses à dire.
Le Président Jean-Paul Chanteguet. Une répartition du temps de parole équitable est en effet nécessaire. Mais le représentant de la Commission européenne a beaucoup à dire.
M. Edouard Bourcieu. Ne voulant pas monopoliser la parole, je termine sur un point qui appelle une réponse de la part de la Commission. S’agissant du rôle du Parlement, la Commissaire européenne est très claire : compte tenu des ambitions que nous portons dans ces négociations et du périmètre de ces dernières, une fois conclu, l’accord devra être ratifié par les vingt-huit États membres au Conseil à l’unanimité, par le Parlement européen et par les Parlements nationaux.
Mme Claire Rabès. Il faut tout de même rappeler que l’Union européenne est une puissance économique mondiale, avec 500 millions de consommateurs, qui n’a pas à rougir des intérêts offensifs qu’elle défend dans les négociations avec les États-Unis ou d’autres pays. Telle est aujourd’hui l’attitude adoptée par la Commission européenne, poussée par tous les États membres, notamment la France.
Les négociations doivent obéir à deux impératifs : elles doivent se dérouler sur un pied d’égalité avec les États-Unis et permettre la réciprocité dans tous les domaines – l’agriculture, les marchés publics ou les services.
Les préférences collectives constituent une ligne rouge, j’insiste – la Commission européenne, le Gouvernement français, le Premier ministre et le Président de la République l’ont rappelé. Cela signifie que la législation européenne sur les OGM ne pourra pas connaître de changements. La position française sur ce point est très claire puisqu’elle a récemment fait le nécessaire pour interdire le maïs MON810.
Dans le domaine de l’agriculture, le modèle de production européen correspond aux attentes des consommateurs et à un équilibre pour les producteurs. Il fixe le cadre dans lequel nous devons négocier. Ensuite, nous devons déterminer une stratégie cohérente et efficace, valable non seulement pour le TTIP mais aussi pour tous les accords de libre-échange.
En la matière, une étude d’impact s’impose, la France en fait la demande régulièrement. La Commission s’est engagée à en publier une sur l’agriculture et le développement durable. Un centre de recherche a été missionné à cet effet. La France reste exigeante sur ce point.
Dans le mandat de négociation, l’article 14 prévoit une clause de sauvegarde. Il permet d’établir des lignes rouges sur les produits dits sensibles dont font partie les produits agricoles. L’article 25 donne à l’Union européenne la possibilité de prendre des mesures visant à protéger la santé, la vie des personnes et le bien-être animal. Les normes de protection des consommateurs et les normes environnementales ne seront pas touchées par les négociations.
S’agissant de la transparence et de l’expression du Parlement, la position du secrétaire d’État est constante : le Parlement français, comme celui de tous les autres États membres, doit avoir à se prononcer. C’est la raison pour laquelle le mandat de négociation précise le caractère mixte de l’accord. J’entends la position de la Commission, j’espère qu’elle pourra être tenue, alors que la Cour de Justice de l’Union européenne doit se prononcer sur l’accord de libre-échange avec Singapour.
Concernant la capacité de la France à peser dans l’Union européenne, quelques jours avant la foire de Hanovre, le secrétaire d’État au commerce extérieur a fait une déclaration commune avec son homologue allemand pour présenter les positions communes des deux pays dans laquelle ils posent les conditions de la négociation. Ils exigent un accord suffisamment ambitieux et mutuellement bénéfique, ainsi que des avancées sur le développement durable et sur le caractère contraignant des mesures dans ce domaine mais aussi sur le mécanisme d’arbitrage. Les Français et les Allemands ont défini une ligne claire dans cette déclaration.
Quant au calendrier, le prochain cycle de négociation commence en juillet. Si un accord est conclu, le Parlement français aura ensuite à se prononcer évidemment.
Le « forum réglementaire », l’instance chargée de discuter les normes, n’est pas, selon la vision française, doté d’un pouvoir contraignant. Il n’y a pas aujourd’hui de raison particulière de s’en inquiéter, ce qui ne dispense pas d’une vigilance accrue sur cette question.
Enfin, sur le mécanisme de règlement des différends, nous essaierons de renforcer le texte pour éviter les plaintes abusives et les conflits d’intérêts devant la Cour de Justice publique, qui serait le nouveau modèle.
Mme Lisa Santos. S’agissant de la transparence, je ne ferai pas de commentaire sur la situation des parlementaires. Je signale néanmoins que le TTIP advisory group, un groupe d’experts réunissant des représentants du monde des affaires, la société civile, des syndicats et des représentants des consommateurs européens, dont je suis membre, n’a pas accès aux textes consolidés alors qu’il est supposé donner son avis à la Commission. Votre situation est donc meilleure que la nôtre.
Business Europe n’est pas pleinement satisfait de la proposition de la Commission sur l’ISDS. Dans le projet d’accord, les entreprises ne bénéficient pas de la protection de ce qu’on appelle le « pre-establishment », c’est-à-dire qu’elles ne peuvent pas déposer plainte si elles n’ont pas déjà réalisé un investissement dans le pays. Quant aux « frivolous claims », les plaintes abusives, le nouveau système comporte de nombreux filtres rendant sa mise en œuvre très difficile. Enfin, la partie qui perd l’arbitrage sera obligée de payer, sauf si le tribunal en décide autrement. Les risques encourus font peser d’importantes contraintes sur les PME.
La réaffirmation du droit des États de légiférer et de réglementer est tellement forte qu’il sera, selon nous, presque impossible de déclencher une plainte aux États-Unis. Certains États membres connaissent déjà l’ISDS dans les litiges avec les États-Unis. S’il n’est pas possible de s’entendre sur un nouveau système, la discrimination entre les États membres au sein de l’Union européenne sera inévitable.
Les entreprises européennes sont soumises à la réglementation REACH. Ce point n’est pas pour nous remis en question par le TTIP.
Nous discutons avec les États-Unis dans de nombreux domaines. Ce n’est pas nouveau. Nous sommes parvenus à conclure un accord sur la sécurité aéronautique. Nous devons poursuivre la discussion, sinon les réglementations seront de plus en plus éloignées, ce qui pénalisera les entreprises – on a évoqué le secteur automobile.
Il n’est pas dans nos intentions d’abaisser le niveau de protection. Nous voulons éviter les tests et les labels différents. Il ne s’agit pas de revenir sur la substance de la protection.
M. Johan Tyszler. L’opacité autour des négociations reste la règle d’or. La question de la démocratie est posée dès lors que nos préférences collectives sont concernées. La transparence doit être la règle sur tous les textes consolidés, pour les parlementaires mais également pour le public. C’est l’une des propositions récentes de Mathias Fekl. Les comptes rendus des rounds de négociation, diffusés par la Commission européenne, qu’a évoqués M. Bourcieu, ne donnent aucune information. Ils nous apprennent que l’Union européenne et les États-Unis ont négocié. Lorsque vous comparez le compte rendu officiel avec le tactical state of play qui a été publié dans la presse à l’initiative de Greenpeace, la rétention d’information est claire. Le compte rendu est édulcoré et vidé des informations importantes.
Deux solutions sont possibles en matière de normes : l’harmonisation, permettant d’aller vers un mieux-disant, ce que tout le monde espère, d’une part, et la convergence réglementaire d’autre part, qui conduit à accepter les normes de l’autre partie. Il s’avère que les États-Unis campent sur leur position ; ils sont inflexibles sur les normes. On voit mal comment il serait possible de parvenir à une harmonisation par le haut. D’après les rares informations dont nous disposons sur l’issue du treizième round, il semble que les Américains continuent de camper sur leur position en matière de normes sanitaires, sociales et environnementales. Il est clair qu’il n’y aura pas d’harmonisation par le haut.
S’agissant de la sécurité alimentaire, d’une part, les normes alimentaires agricoles sont directement menacées, faute de garantie explicite sur le principe de précaution. La mention du principe qu’a mise en avant M. Bourcieu vaut seulement pour les Européens. Rien ne nous dit que les États-Unis l’accepteront, alors qu’il ne se passe rien après trois ans et treize cycles de négociation. Il faut arrêter de nous mentir !
D’autre part, alors que les protections douanières permettent de préserver le modèle de l’agriculture française et européenne, avec le TAFTA, tous les droits de douane existants seront réduits et des contingents tarifaires seront attribués dans les secteurs les plus protégés et les plus vulnérables – le bétail, le porc, le bœuf. Je vous invite à lire la dernière étude de l’association interprofessionnelle du bétail et des viandes ; il en ressort que les contingents tarifaires accordés aux États-Unis auraient pour conséquence la disparition de 30 000 emplois directs et de 20 000 emplois indirects. Soyons clairs, l’abaissement des barrières douanières et l’affaiblissement des normes représentent une menace directe pour la sécurité alimentaire.
Sur l’ISDS, je reste inflexible, aucune garantie ne nous est donnée. Madame Auroi, je partage votre analyse, les États-Unis n’ont aucun intérêt à modifier les droits accordés aux investisseurs par le biais des ISDS. Nous attendons toujours un retour des États-Unis sur la proposition européenne.
Enfin, aux termes des traités européens, les Parlements nationaux ont leur mot à dire sur les traités mixtes, qui, par définition, relèvent à la fois de la compétence de l’Union européenne et des États membres. Cependant, on oublie un élément essentiel : la clause d’application provisoire de ces traités, y compris le CETA. Celle-ci signifie que, malgré la reconnaissance de la mixité par la plupart des États membres, dès que le Conseil européen aura donné son aval, toutes les clauses du TAFTA qui relèvent de la compétence de l’Union européenne – environ 80 à 90 % des clauses mais surtout toutes celles qui sont décriées : agriculture, normes, ISDS, coopération réglementaire –, pourront juridiquement être mises en œuvre provisoirement, même si politiquement, il faut attendre un accord du Parlement européen. Alors que les Parlements nationaux commencent enfin, et c’est heureux, à débattre de cet accord et à s’inquiéter de ses dangers, avec cette clause, on leur refuse de donner leur avis.
M. Jean-David Abel. Sur les questions agricoles, le CETA pose les mêmes problèmes que ceux que vous avez soulignés pour le TTIP.
Certains d’entre vous ont évoqué l’accord de Paris. La situation est un peu extravagante : les accords signés semblent être en caoutchouc, c’est-à-dire vidés de tout contenu. L’accord de Paris emporte des conséquences très précises en termes de politiques publiques, sur les énergies fossiles et les énergies renouvelables notamment. Il n’est pas compatible avec le projet de TTIP, ni même avec le mandat de négociation. Ainsi, l’appui public à certaines filières, consécutif à l’accord de Paris, est-il remis en cause par le projet de traité. D’un côté, on réussit, sous la pression de la communauté scientifique et de la société civile, à prendre des engagements forts pour progresser dans la voie du développement durable. De l’autre, au nom de logiques de court terme, on négocie d’autres traités qui empêchent les États de mettre en application ces engagements. L’Europe et les États membres doivent sortir de cette schizophrénie mortifère.
Je note une autre contradiction : le TTIP est gouverné par la logique du libre-échange, la volonté d’accroître les échanges et d’offrir de nouvelles opportunités, aux grands groupes bien plus qu’aux agriculteurs et aux PME. Cette logique de la compétitivité externe s’oppose à celle du développement durable qui prend en compte les impacts sociaux et environnementaux, et, pour ce faire, s’appuie sur la régulation. J’ai entendu Mme Santos dire que pour conclure un accord, il faut faire des compromis. Cela signifie que les normes européennes seront nécessairement remises en question demain dans un accord avec les États-Unis.
Les États-Unis ne signeront pas un traité qui ne comprendrait pas d’accord sur les tribunaux d’arbitrage et ne comporterait aucun abaissement des normes réglementaires, ni aucune ambiguïté sur les droits des États à légiférer dans le futur. C’est ce que nous apprend la fuite organisée par Greenpeace dans la presse : sur tous les sujets, notamment sur la question de l’harmonisation des normes, on ne constate aucune avancée. Nous demandons donc à nos États, à vous les représentants des citoyens et à l’Union européenne – cela n’a pas été fait lors de la tournée de Barack Obama – de dire « stop ou encore ». Peut-être le Gouvernement français doit-il en prendre l’initiative. M. Martial Saddier a suggéré d’arrêter ou de suspendre les négociations. Cela nous semble absolument nécessaire à la fois sur les questions de fond et de forme.
M. Bourcieu vante la disponibilité des documents de la négociation, je suis heureux de cette initiative de la Commissaire européenne mais il a fallu batailler pendant des années et recueillir trois millions de signatures pour y parvenir. En outre, la fuite des documents dans la presse nous a permis d’apprendre des choses que nous ne savions pas, contrairement à ce que prétend la Commission. Celle-ci conteste avec beaucoup d’aplomb la rétention d’informations mais nous voyons bien ce qui se passe depuis trois ans.
Nous disons à nos gouvernements et à nos représentants qu’il est temps de sortir de la schizophrénie. Les accords en matière d’environnement ne doivent pas seulement être mentionnés, ils doivent être repris dans le traité pour garantir leur opposabilité. Sinon, dans cinq ans, M. Philippe Plisson s’interrogera toujours sur la dichotomie entre développement durable et commerce. Les gouvernements doivent faire savoir à l’Union européenne qu’il n’est pas possible de négocier dans le mou en matière de développement durable et dans le dur en matière d’économie. Il faut poser la question aux États-Unis : que voulez-vous ? Il est un point qui n’apparaît pas dans les documents mis à disposition par la Commission européenne mais qui est très clair dans les documents diffusés par Greenpeace : les États-Unis renvoient toujours aux accords avec le Canada ou avec le Pacifique pour signifier qu’ils n’entendent pas aller plus loin. À un moment, il faut sortir du bois et dire ce qu’on veut et ce qu’on fait.
Le Président Jean-Paul Chanteguet. Nos échanges de ce matin ont permis d’identifier et de clarifier certains points.
D’abord, la transparence demeure problématique. Je ne suis pas sûr qu’elle soit totale aujourd’hui en dépit des progrès qui ont été accomplis. Ensuite, je le redis, quel modèle de développement voulons-nous porter au niveau international ? Chacun peut avoir son avis. Enfin, la cohérence des accords internationaux pose question. L’accord de Paris et ses orientations risquent d’être remis en cause par le TTIP.
Je remercie les différents intervenants et je vous rappelle que Mathias Fekl sera entendu par la commission des affaires étrangères et la commission des affaires européennes mercredi prochain.
——fpfp——
Membres présents ou excusés
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire
Réunion du mercredi 4 mai 2016 à 9 h 45
Présents. - Mme Laurence Abeille, M. Yves Albarello, M. Guy Bailliart, Mme Catherine Beaubatie, M. Jacques Alain Bénisti, M. Sylvain Berrios, M. Florent Boudié, M. Christophe Bouillon, Mme Sabine Buis, M. Vincent Burroni, M. Alain Calmette, M. Yann Capet, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, Mme Karine Daniel, M. Stéphane Demilly, M. Julien Dive, M. David Douillet, Mme Françoise Dubois, M. Philippe Duron, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Jean-Marc Fournel, Mme Geneviève Gaillard, M. Charles-Ange Ginesy, M. Michel Heinrich, M. Jacques Kossowski, Mme Valérie Lacroute, M. Alain Leboeuf, Mme Viviane Le Dissez, M. Arnaud Leroy, M. Michel Lesage, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Franck Marlin, M. Philippe Martin, M. Gérard Menuel, M. Yves Nicolin, M. Rémi Pauvros, M. Philippe Plisson, Mme Catherine Quéré, Mme Sophie Rohfritsch, Mme Barbara Romagnan, M. Martial Saddier, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, M. Pascal Thévenot, M. Jean-Pierre Vigier, M. Patrick Weiten
Excusés. - M. Julien Aubert, Mme Chantal Berthelot, M. Jean-Louis Bricout, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Florence Delaunay, M. Christian Jacob, Mme Marie Le Vern, M. Bertrand Pancher, M. Napole Polutélé, M. Gilbert Sauvan, M. Gabriel Serville
Assistaient également à la réunion. - M. François André, Mme Michèle Bonneton, Mme Nathalie Chabanne, Mme Chantal Guittet, M. Jérôme Lambert, M. Christophe Léonard, M. Michel Ménard