Accueil > Travaux en commission > Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire > Les comptes rendus |
Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire
La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Jean-Marc Bournigal, président du conseil d’administration de l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (IRSTEA).
Mme Catherine Quéré, présidente. Mes chers collègues, je vous prie tout d’abord d’excuser notre président, Jean-Paul Chanteguet, qui aurait souhaité être présent parmi nous ce matin mais qui doit encore se reposer une semaine ; nous lui souhaitons un prompt rétablissement. Je veux ensuite saluer et féliciter Marine Brenier, notre nouvelle collègue, récemment élue dans les Alpes-Maritimes.
Nous accueillons aujourd’hui M. Jean-Marc Bournigal, président du conseil d’administration de l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (IRSTEA), accompagné de M. Pierrick Givone, directeur général délégué à la recherche et à l’innovation, et de Mme Aliette Maillard, directrice de la communication et des relations publiques.
L’IRSTEA est un Établissement public à caractère scientifique et technologique (EPST) placé sous la double tutelle des ministères de l’agriculture et de la recherche dont les thèmes de recherche prioritaires rejoignent les préoccupations de notre commission ; je pense notamment à l’utilisation des produits phytosanitaires dans les vignobles, au suivi de la contamination chimique des cours d’eau, à la restauration des écosystèmes dégradés et à l’étude des différents risques naturels : inondations, avalanches, incendies de forêt.
Monsieur Bournigal, pourriez-vous nous présenter ces grands thèmes de recherche ainsi que les moyens dont vous disposez et nous expliquer la manière dont vos études scientifiques contribuent à la gestion durable des territoires ?
M. Jean-Marc Bournigal, président du conseil d’administration de l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture. Je vous remercie pour votre invitation ; c’est un plaisir et un honneur de m’exprimer devant vous ce matin.
L’IRSTEA est, à l’instar des grands organismes de recherche que sont, par exemple, le CNRS ou l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), un établissement public scientifique et technologique. De taille intermédiaire, il compte 1 500 personnes, réparties sur neuf sites en France, et son champ d’expertise est assez large. Nous revendiquons cependant un positionnement un peu particulier puisque nous intervenons en appui des politiques publiques, qu’il s’agisse de l’État ou des collectivités territoriales. Nous travaillons sur une échelle de temps intermédiaire, compatible avec la décision publique. Notre devise pourrait être : « Connaître pour agir ». En effet, nous cherchons à comprendre les phénomènes afin d’accompagner les pouvoirs publics au plan de la prévention et de la prévision.
Nous intervenons dans trois domaines.
Le premier est celui de l’eau ou, plus précisément, de l’eau de surface continentale. Ce domaine recouvre tout d’abord les risques naturels : inondations – nous y reviendrons –, avalanches, laves torrentielles et chutes de rocs. Nous développons ainsi des outils de prévision des crues pour des organismes tels que le Service central d’hydrométéorologie et d’appui à la prévision des inondations (SCHAPI). Nous intervenons également, au titre de la prévention, sur les digues et les barrages, qu’il s’agisse de leur conception, de leur résistance ou de leur positionnement par rapport au risque à couvrir. Par ailleurs, nous établissons une cartographie des avalanches et nous intervenons sur les infrastructures de protection. Mais nous nous intéressons également au développement de la montagne en tant que telle, puisque nous étudions l’évolution des stations de ski et de leur modèle économique sous l’angle de l’enneigement. L’IRSTEA est l’un des organismes de référence de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (ONEMA). À ce titre, nous étudions le bon état écologique de ces milieux, en définissant les indicateurs et les méthodes destinés à l’évaluer, et nous allons jusqu’à leur restauration, grâce à l’ingénierie écologique.
Notre deuxième domaine d’intervention est constitué des écotechnologies. Outre l’épuration dans le domaine aquatique, nous nous intéressons aux agro-équipements. Dans ce cadre, nous étudions l’utilisation des pesticides dans l’agriculture sous l’angle de la pulvérisation, du suivi – en lien direct avec la politique de l’eau – des pollutions diffuses d’origine agricole et de l’expologie, c’est-à-dire l’étude des risques liés à la pulvérisation des pesticides pour les applicateurs et les riverains. Nous intervenons également dans le domaine de l’agriculture de haute précision, qui consiste à utiliser des capteurs et la télédétection pour délivrer la bonne dose au bon endroit, qu’il s’agisse de l’irrigation, de l’épandage d’engrais ou du traitement à l’aide de pesticides.
Enfin, notre troisième domaine d’intervention est l’accompagnement du développement territorial à travers la télédétection, le suivi des problèmes de gouvernance territoriale, la gestion des conflits d’usage, notamment autour de l’eau, les feux de forêt et la biodiversité terrestre.
Notre spécificité tient au caractère pluridisciplinaire de nos recherches. Nos personnels relèvent, du reste, de deux statuts distincts : certains d’entre eux appartiennent au corps de la recherche, d’autres sont des ingénieurs de l’État. Nous sommes ainsi en mesure de traduire les résultats de la recherche de manière directement opérationnelle grâce à l’élaboration de modélisations, d’outils et de méthodes, lesquels sont souvent repris sous l’angle réglementaire par l’État.
Notre champ d’intervention est donc très étendu, et nous nous efforçons de faire au mieux, dans un contexte où les moyens sont contingentés, pour appuyer l’État, la Commission européenne et les collectivités territoriales.
Je vais maintenant laisser la parole à Pierrick Givone, pour qu’il vous présente le mode d’intervention de notre institut, l’apport de la recherche et la manière dont nous nous mobilisons, au service de l’État et des collectivités, au cours d’épisodes de crue tels que celui que nous connaissons actuellement.
M. Pierrick Givone, directeur général délégué à la recherche et à l’innovation de l’IRSTEA. Nous sommes engagés dans la production de méthodes et d’outils à usage opérationnel qui sont, certes, utilisés, en particulier par Vigicrues, pour prévenir la crue des grandes rivières, mais nous travaillons de manière tout aussi intense sur les petits bassins-versants et les petites rivières pour lesquels il n’existe ni mesure, ni capteurs, ni procédures formalisées de prévision et de prévention.
En la matière, les modes d’action sont au nombre de trois. Le premier est la prévention ; celle-ci rejoint d’ailleurs le développement territorial car, s’il est encore trop tôt pour dire que le nombre des crues augmente, il est certain qu’elles causent des dégâts de plus en plus importants, et pas uniquement dans les grandes villes. Le deuxième mode d’action est la prévision ; nous devons faire en sorte que nos outils soient plus faciles d’usage, notamment pour les communes, et plus précis afin de réduire l’incertitude. Enfin, le troisième mode d’intervention est la résilience ; au-delà des crues elles-mêmes, qui sont très stressantes pour les habitants et relèvent de la gestion de crise, il faut faire en sorte de rendre les territoires résilients pour qu’après la crue, l’activité puisse redémarrer le plus rapidement possible.
Dans ce cadre, nous menons un travail scientifique de fond sur les capteurs, en nous efforçant notamment de mesurer plus et mieux là où les mesures sont rares. Ainsi, nous recourons à des radars spécifiques qui permettent de remédier à l’impossibilité d’installer une multitude de capteurs partout. Cette préoccupation traverse l’ensemble de notre activité.
M. Jean-Marc Bournigal. Je vous propose d’aborder maintenant la question des pesticides. Dans ce domaine, l’IRSTEA n’intervient pas sur le volet agronomique, qui relève de la compétence de l’INRA. Il s’intéresse essentiellement à l’application des pesticides, c’est-à-dire à la manière dont on peut limiter leur utilisation en apportant la bonne dose au bon endroit et dont on peut assurer la protection des utilisateurs et de ceux de nos concitoyens qui se trouvent à proximité des zones agricoles. Nous élaborons donc des outils capables d’évaluer la dérive des pesticides lors de leur pulvérisation et, pour limiter cette dérive, nous travaillons sur les pulvérisateurs eux-mêmes, en particulier sur leurs têtes. Nous avons également développé des bancs d’essai qui permettent de mesurer la performance des différents outils. On a pu ainsi s’apercevoir que l’efficience de la pulvérisation pouvait varier du simple au double selon le type de pulvérisateur utilisé, une grande partie des pesticides pulvérisés se dispersant parfois davantage dans l’air ou sur le sol que sur les feuilles à traiter.
Par ailleurs, nous cherchons à déterminer la quantité de produit utile. Ainsi, nous préconisons d’adapter le dosage des pesticides au stade de développement des feuilles. En effet, la réglementation actuelle fixe une dose par hectare indépendamment de la quantité de végétation à traiter. Or, conjuguée à l’utilisation des matériels les plus performants, l’adaptation de la dose au stade de développement des feuilles traitées permettrait d’aboutir assez rapidement à une réduction très importante, de l’ordre de 20 % à 30 %, des pesticides, et d’atteindre ainsi les objectifs assignés par l’État. Dans ce domaine, nous travaillons notamment avec l’Institut technique de la vigne et du vin, car la viticulture est l’un des secteurs où ces produits sont le plus utilisés, qui plus est dans des zones habitées.
C’est pourquoi nous cherchons également, dans le cadre de ce que l’on appelle l’expologie, à améliorer la protection des applicateurs. Pour ce faire, nous mesurons précisément, à l’aide de petits capteurs, l’exposition des agriculteurs aux pesticides en fonction du type d’outils qu’ils utilisent et de la manière dont ils travaillent, et nous testons leurs combinaisons et les cabines de protection. Nous mesurons également, bien entendu, l’effet des dérives sur les riverains – ce qui nous permet d’adresser certaines préconisations à l’État – ainsi que la pollution diffuse. Nous sommes ainsi parvenus à définir la longueur que doivent avoir les bandes enherbées situées le long des rivières pour réduire le plus possible la quantité des pesticides ou des nitrates qui se retrouvent dans les cours d'eau.
Mme Karine Daniel. Monsieur Jean-Marc Bournigal, les récentes inondations ont placé l’IRSTEA sous les feux de l’actualité, mais ses recherches et son expertise couvrent un champ beaucoup plus étendu, qui inclut les risques naturels de manière générale et l’amélioration des performances environnementales des activités humaines, notamment agricoles – je pense en particulier à l’agro-équipement, qui représente un enjeu économique et environnemental très important. Je souhaiterais donc savoir quels liens votre institut entretient avec les autres EPST, notamment l’INRA ou le CNRS, dont certains domaines de recherche recouvrent le sien.
Par ailleurs, je suppose qu’en tant qu’organisme de recherche, l’IRSTEA est soumis aux évaluations du Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERS). Pourriez-vous nous dire quelles recommandations vous ont été faites dans ce cadre et la manière dont vous appréhendez les évaluations en cours ou à venir ?
M. Martial Saddier. En préambule, je veux souhaiter à mon tour la bienvenue à Marine Brenier et lui adresser nos félicitations pour son élection. Je tiens également à saluer le retour parmi nous de ceux de nos collègues – je pense en particulier à Valérie Lacroute – qui ont passé ces derniers jours les pieds dans l’eau auprès de nos concitoyens.
Monsieur Jean-Marc Bournigal, pourriez-vous nous indiquer le montant et l’évolution, au cours des quatre dernières années, du budget de l’IRSTEA ? Avez-vous les moyens de travailler ?
Puisque vous n’avez pas évoqué ce sujet, j’aimerais également connaître votre point de vue sur la compétitivité de l’agriculture française. Est-ce un élément que vous prenez en compte ? À ce propos, le projet de loi relatif à la biodiversité vise à imposer à notre agriculture des contraintes supplémentaires ; je pense notamment au préjudice écologique, qui figure à l’article 2 bis du projet de loi. Quel est votre avis sur cette mesure ? Par ailleurs, puisque l’on évoque la suppression d’un certain nombre de pesticides, je souhaiterais connaître savoir si, selon vous, il existe aujourd’hui des produits de substitution.
En ce qui concerne les risques naturels, je vous redis – mais je ne veux pas lancer ce débat aujourd’hui – que les élus de la montagne continuent de désapprouver, sur la forme et sur le fond, la manière dont l’État et les instituts de recherche ont élaboré la nouvelle cartographie des risques d’avalanche. S’agissant des inondations, les zones agricoles étant des champs d’expansion des crues extrêmement importants, je souhaiterais savoir si les programmes de recherche sont suffisants pour prévenir ces crues et minimiser leur incidence agronomique. Par ailleurs, deux sujets font débat dans la profession : d’une part, une proposition de loi actuellement discutée au Sénat et visant à créer un fonds de stabilisation des revenus des agriculteurs et, d’autre part, l’éventuelle création d’une assurance obligatoire. Quel est votre avis sur ce sujet ?
Enfin, un rapport sur la qualité de l’air, que notre commission a examiné la semaine dernière, préconise le développement de la recherche agronomique sur le travail du sol et les rejets des effluents d’élevage. Des programmes de recherche sont-ils en cours dans ce domaine au sein de l’IRSTEA ? J’observe, à ce propos, que vous n’avez pas abordé le volet énergétique ; or, l’agriculture est, à nos yeux, une source potentielle d’énergie propre.
M. Bertrand Pancher. Actuellement, en France et au-delà de nos frontières, l’expertise scientifique, dont nous avons pourtant besoin pour prendre de bonnes décisions, est remise en cause, à moins que l’on n’y mêle une expertise d’usage. Certains grands organismes scientifiques ont ainsi évolué en ce sens au cours des dernières années. Je souhaiterais donc savoir comment vous associez à vos recherches l’expérience du terrain de nos concitoyens.
Au reste, rien n’irrite plus ces derniers que des expertises qui se contredisent. Or, on est frappé par la multiplicité des organismes que compte notre pays dans le domaine environnemental : outre l’IRSTEA, on peut citer l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), l’ONEMA, etc. Comment travaillez-vous avec ces différentes agences ?
Par ailleurs, je regrette le temps où l’ensemble des agriculteurs participaient aux réunions de vulgarisation, manifestant ainsi leur appétence pour la connaissance des nouvelles techniques. Les rapports entre agriculture et environnement, agriculture et santé, nécessiteraient que l’on renoue avec cette vulgarisation. Vous qui avez travaillé au cabinet de différents ministres de l’agriculture, pourriez-vous nous faire part de votre avis sur le sujet ?
Enfin, les nouvelles technologies – je pense, par exemple, à la sémiochimie – permettront-elles, selon vous, de réconcilier agriculture, développement et environnement ?
M. Philippe Plisson. Nous sommes à la croisée des chemins. L’état de la planète, le niveau de pollution, les préoccupations concernant la santé des consommateurs et des agriculteurs soulèvent la question d’un changement de modèle agricole. L’engouement pour le bio, la promotion des circuits courts vont dans ce sens. Les citoyens sont de plus en plus sensibilisés à ces problématiques, mais la résistance est vive. On le constate ici, avec le débat sur la suppression des néonicotinoïdes et, au Parlement européen, à propos de l’interdiction du glyphosate.
En Gironde, des problèmes liés l’épandage de pesticides à proximité d’une école ont entraîné l’installation, autour des lieux publics, de haies qui, loin de rassurer, ont au contraire renforcé la suspicion. Dans la foulée, le président du Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) a annoncé la suppression des pesticides dans le vignoble bordelais. Je souhaiterais connaître votre avis sur le sujet. La solution passe-t-elle par l’amélioration de la performance du matériel et l’optimisation des substances ou faut-il envisager, à terme, la suppression totale et définitive de ces substances potentiellement nocives ?
M. Jacques Kossowski. La robotique a fait une apparition remarquée au dernier salon de l’agriculture. À l’IRSTEA, une unité de recherche est spécialisée dans ce domaine ; vous avez d’ailleurs présenté, Porte de Versailles, de nouveaux engins qui permettront, à terme, aux agriculteurs de se libérer de certaines tâches chronophages ou pénibles. Il semble ainsi envisageable de remplacer un jour les tracteurs traditionnels par des robots aptes à faire le même travail au moyen de capteurs et de caméras embarquées. En outre, grâce à l’imagerie infrarouge, ces engins autonomes pourraient être en mesure de doser au mieux les engrais nécessaires à la fertilisation des sols. L’utilisation de ces matériels dits intelligents devrait permettre donc des gains de temps et de productivité et favoriser ainsi une meilleure mutualisation entre les agriculteurs et l’émergence d’une vaste agriculture raisonnée, plus respectueuse de l’environnement.
L’IRSTEA collabore-t-il avec des groupes industriels et d’autres organismes, notamment européens, sur ces projets du futur ? Quelles avancées majeures peut-on attendre de la robotique et dans combien de temps pensez-vous que les prototypes pourront passer au stade de l’industrialisation à grande échelle ?
M. David Douillet. Nous savons que l’IRSTEA dispose d’un budget de 112 millions, dont 25 % proviennent de ressources propres. Les financements publics se raréfiant, est-il envisageable que les licences, les partenariats d’entreprise et les plateformes de recherche que vous développez lui permettent de devenir quasiment autonome financièrement ?
Mme Geneviève Gaillard. Monsieur Jean-Marc Bournigal, vous avez indiqué qu’il était possible de réduire l’utilisation d’un certain nombre de substances en travaillant sur les outils et sur l’adaptation de la pulvérisation à la taille des végétaux. Dans ce cas, comment expliquez-vous que l’utilisation des insecticides à base de néonicotinoïdes ait augmenté de plus de 30 % en un an et que le plan « Écophyto » ne produise pas de résultats ? Pourriez-vous nous dire également ce qu’il en est de la qualité bactériologique des sols, qui fait sans doute l’objet de certaines de vos recherches ?
Par ailleurs, la permaculture, une méthode nouvelle dont on parle beaucoup, n’a pas pu être introduite dans le projet de loi relatif à la biodiversité, faute d’éléments juridiques de référence suffisants. L’IRSTEA mène-t-il des recherches dans ce domaine ? Enfin, comment envisagez-vous de travailler avec la future Agence française de la biodiversité ?
M. Charles-Ange Ginesy. Monsieur Jean-Marc Bournigal, je tiens à vous féliciter pour votre récente reconduction à la tête de l’IRSTEA, qui prouve l’efficacité de votre travail et de votre investissement dans la recherche pluridisciplinaire.
Tout d’abord, si votre StationoScope donne satisfaction à l’Association des maires des stations de montagne, je partage l’inquiétude exprimée par Martial Saddier sur les couloirs d’avalanche, dits « couloirs jaunes ». C’est une préoccupation forte qui mérite que l’on y prête la plus grande attention.
Vous avez été récemment missionné par le ministre de l’agriculture pour mettre sur pied un portail numérique des données agricoles, lequel suppose l’installation de capteurs et une collecte d’informations à flux tendu. Or, certains territoires ne sont toujours pas équipés du haut débit ni a fortiori du très haut débit, pourtant indispensable dans le cadre d’un tel dispositif. Je souhaiterais donc connaître votre avis sur l’accès au numérique dans les territoires. Enfin, ayant pu constater les difficultés budgétaires que rencontre votre institut, je souhaiterais savoir si vous disposez des moyens financiers, matériels et humains nécessaires à l’accomplissement de cette nouvelle mission ?
M. Guy Bailliart. En règle générale, l’expertise, dans votre domaine, consiste d’abord à constater les dégâts, puis à expliquer la manière dont on pourrait mettre fin aux pratiques nocives. Je souhaiterais donc savoir s’il serait possible, selon vous, d’améliorer la rapidité du diagnostic, et donc de la réaction. Par ailleurs, les outils de surveillance de la qualité biologique ou chimique des milieux permettent de trouver ce que l’on cherche. Estimez-vous que la sélection des sujets de recherche est pertinente ou faut-il modifier les cahiers des charges ?
M. Julien Aubert. S’agissant de la culture des cerises, le Gouvernement s’est vu successivement refuser par la Commission l’interdiction du diméthoate au plan européen puis le déclenchement de la clause de sauvegarde nationale. Ainsi, la France a interdit, pour des raisons sanitaires, l’utilisation d’un produit sans pouvoir empêcher l’importation de fruits traités avec ce produit. Ce type de mesures pouvant mettre en danger certaines productions agricoles, en l’espèce celle de la cerise, je souhaiterais savoir si le Gouvernement vous a demandé d’accélérer la cadence et de conclure des partenariats avec des industriels afin de trouver des produits alternatifs ? Car il suffirait de laisser le parasite se multiplier pendant une année pour achever définitivement la production française sans possibilité de retour. Nous nous félicitons tous que l’agriculture soit saine, encore faut-il qu’elle existe !
M. Gilles Savary. Tout d’abord, on ne parvient pas à obtenir des données épidémiologiques concernant l’usage des biocides en agriculture. Or, cette question alimente les fantasmes et inquiète fortement les populations rurales ou rurbaines. Ces inquiétudes sont-elles justifiées ? Il nous semble, en tout état de cause, indispensable d’avoir accès à ces données pour pouvoir étudier ce problème avec la plus grande lucidité. Ensuite, je souhaiterais savoir si s’il vous paraît possible que nous disposions rapidement d’alternatives à l’utilisation de ces pesticides – je pense à la biodynamie –, si vous y consacrez certaines de vos études et, si tel est le cas, à quel horizon elles pourront se substituer aux méthodes de traitement actuelles.
Par ailleurs, il se trouve qu’une nouvelle ligne à grande vitesse doit traverser, au sud de Bordeaux, une zone humide extrêmement sensible dont la biodiversité fait l’objet d’une reconstitution depuis une dizaine d’années. Il est ainsi prévu de construire un triangle ferroviaire, composé de trois viaducs, de trois kilomètres de côté, qui nécessiteront un remblai de 54 millions de mètres cubes. Je souhaiterais donc savoir si l’expertise de l’IRSTEA est sollicitée dans le cadre des études de SNCF Réseau, par exemple, pour évaluer le degré de l’atteinte portée aux écosystèmes hydrauliques sensibles et complexes tels que celui du Ciron, qui se trouve être de surcroît l’« usine climatique » du Sauternes.
M. Jean-Marie Sermier. L’utilisation de produits phytosanitaires est, pour l’instant, le seul moyen de traiter les maladies qui affectent les cultures, notamment la flavescence dorée qui, sans traitement, continuera à se développer dans les vignes. L’une des solutions pour réduire la quantité des produits utilisés consiste à améliorer la qualité de leur application en tenant compte d’un certain nombre de données techniques : les dérives liées au vent, l’évaporation des bouillies, la taille des gouttes et leur accroche sur les végétaux. Quels sont les résultats des techniques testées par votre institut et progresse-t-on plus vite qu’auparavant dans ce domaine ? Par ailleurs, comment envisagez-vous de faire passer le message auprès des agriculteurs et, surtout, du grand public ? Il importe, en effet, que nos concitoyens comprennent que les agriculteurs utilisent des outils d’une haute technicité pour réduire au maximum l’impact de ces produits.
Mme Martine Lignières-Cassou. J’ai été très frappée par la part importante qu’occupent les recherches valorisées dans le budget de l’IRSTEA. Je souhaiterais donc savoir si le contrat d’objectif quinquennal en cours prévoit une augmentation de cette part et si, de fait, cela ne vous oblige pas à sélectionner vos missions. Je constate, en effet, que les travaux que vous avez menés sur les produits phytosanitaires ont porté sur la vigne, sans doute grâce aux nombreux partenaires qui ont pu participer financièrement à ces recherches. Cela ne vous met-il pas en concurrence avec d’autres instituts ? Enfin, puisque vous déposez des brevets et des licences, je souhaiterais savoir s’il vous manque des outils juridiques ou financiers pour développer votre activité dans cette voie.
M. Yannick Favennec. Notre agriculture est entrée dans l’ère du numérique, ce qui lui offre l’opportunité d’affirmer son leadership dans un secteur de pointe. Comment faire converger les atouts historiques de la France dans le domaine agricole et la dynamique de la french tech ? Comment sensibiliser davantage nos agriculteurs aux nouvelles technologies afin qu’ils puissent profiter pleinement de cette révolution numérique ?
M. Jean-Pierre Vigier. L’IRSTEA a été missionné par le ministre de l’agriculture et par les secrétaires d’État à la recherche et au numérique pour mettre en œuvre un portail numérique de données agricoles, dont l’objectif est de rendre disponibles un ensemble important de données et d’informations issues de diverses sources – données publiques, données des entreprises et des agriculteurs – et de favoriser ainsi l’émergence de nouveaux services proposés par des acteurs innovants. Pourriez-vous nous indiquer quels peuvent être ces services innovants et nous en donner des exemples ?
Mme Valérie Lacroute. Les inondations de la semaine dernière ont particulièrement touché le département de la Seine-et-Marne, notamment Nemours, qui a subi une crue supérieure à celle de 1910. Si l’anticipation de cette crue a permis aux habitants et aux commerçants de sauver quelques meubles, Nemours est sinistrée puisque son centre a été entièrement submergé. Aujourd’hui, les habitants ont besoin de comprendre ce qui s’est passé. Certes, la crue avait été annoncée, mais le barrage du canal de Briare et la digue de Montargis ont cédé, ce qui soulève la question de l’entretien des ouvrages et des berges, car on sait qu’un ouvrage délaissé et mal entretenu ne peut pas résister de la même façon aux sollicitations hydrauliques. Certains mettent en cause également le concept de continuité écologique, qui entraîne la suppression d’ouvrages d’art qui permettaient de retenir les eaux.
La création d’une mission d’information parlementaire nous permettra, je l’espère, d’obtenir certaines explications. Quoi qu’il en soit, votre organisme a une expertise reconnue non seulement en matière de prévision des crues mais aussi en matière de gestion des ouvrages hydrauliques et de sécurité des digues de protection. Je souhaiterais donc savoir, tout d’abord, si vous accepteriez de nous aider à comprendre ce qui s’est passé. Est-il nécessaire, selon vous, de renforcer l’entretien et le contrôle des affluents de la Seine ? La réglementation de 2007 applicable aux ouvrages hydrauliques, qui impose une inspection et un entretien de ces ouvrages, vous paraît-elle encore adaptée ou faut-il déjà, comme le préconisent certaines études, envisager une évolution législative ?
M. Yves Albarello. À la différence de Nemours, la commune de Seine-et-Marne dont je suis le maire a été épargnée par la crue. Néanmoins, je souhaiterais vous faire part de l’expérience que j’ai vécue lors des inondations qui l’ont affectée en 2002 et en 2006. Cette commune est, en effet, traversée par un affluent de la Marne, la Beuvronne, qui outre qu’elle est un bassin-versant, recueille les eaux de pluie de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, dont le bassin de rétention contient 1,3 million de mètres cubes.
Après ces inondations, j’ai pris les devants, en agissant en « bon père de famille ». De fait, la loi sur l’eau nous impose, pour le curage d’une rivière, de respecter un certain nombre de procédures. Or, les études préalables à l’opération sont très longues. J’ai néanmoins pris la décision de procéder au curage de la Beuvronne, curage qui n’avait pas été effectué depuis trente ou quarante ans, de sorte que son débit hydraulique était très faible. Nous avons ainsi supprimé les seuils, créé des bassins de retenue des eaux et conclu un accord avec l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle afin que des capteurs soient installés et que le débit de fuite dans la rivière soit régulé par un relâchement dynamique des eaux de pluie.
Aujourd’hui, hélas ! les cours d’eau ne sont plus entretenus, faute de gardes-rivières et de cantonniers, et les paysans eux-mêmes ne prennent pas toujours le soin de tracer leurs sillons parallèlement aux rivières pour ralentir les eaux de ruissellement. Il faut revenir aux techniques anciennes ! (Murmures) En outre, les présidents des syndicats de rivière ont des moyens limités. Ainsi, mon syndicat n’avait pas les moyens de stocker les boues de curage dans un établissement de classe 2 ; elles ont donc été laissées sur les berges, ce qui aurait pu me valoir des poursuites judiciaires. En tout cas, le résultat est là : la semaine dernière, la Beuvronne n’a pas débordé, mais il s’en est fallu de peu. Si je n’avais pas fait réaliser ces travaux, ma commune aussi aurait été inondée.
M. Guillaume Chevrollier. Parmi les missions de l’IRSTEA figurent la connaissance et la prévention des risques naturels. Pouvez-vous nous dire si vous avez pu prévenir les autorités de la survenance des crues et des inondations que nous venons de subir ?
Par ailleurs, j’ai lu que vous testiez avec le CNRS, dans la plaine de la Brie, un procédé d’ingénierie écologique destiné à dépolluer, à l’aide de bactéries, l’eau contenant de nombreux pesticides et fertilisants à base d’azote, avant qu’elle ne s’infiltre dans le sol. Ce procédé est qualifié d’efficace par vos services. Sans en conclure que les pesticides peuvent être utilisés sans limite, des études de ce type permettront-elles de trouver un juste équilibre entre un usage mesuré de ces produits nécessaires à nos agriculteurs et la défense de l’environnement, auquel nous sommes tous attachés ? Autrement dit, comment votre organisme peut-il apporter des informations utiles et contribuer à dépassionner le débat sur les pesticides ?
M. Jacques Alain Bénisti. Les agriculteurs utilisent de plus en plus de pesticides dangereux pour leur propre santé et pour celle des riverains et des consommateurs ainsi que pour l’environnement. Votre institut a-t-il été sollicité pour favoriser la réduction de l’emploi de pesticides dans les différentes cultures ? Par ailleurs, vous avez beaucoup travaillé au développement des nouvelles technologies dans l’agriculture. Pouvez-vous nous dire en quoi celles-ci peuvent révolutionner l’agriculture et, surtout, jusqu’où la high-tech pourra intégrer l’ensemble des activités agricoles ?
Mme Catherine Quéré, présidente. Avant de vous donner la parole, monsieur Jean-Marc Bournigal, j’ajouterai une question à celle de mes collègues : intervenez-vous sur les risques de submersion ?
M. Jean-Marc Bournigal. Oui, Madame la présidente. Dans la mesure où nous nous occupons des ouvrages, les risques de submersion font partie des sujets sur lesquels nous travaillons. L’institut est d’ailleurs chargé, depuis l’épisode de la tempête Xynthia, des digues et des protections maritimes.
S’agissant des moyens de l’IRSTEA, son budget est de 115 millions, dont un peu plus de 80 millions sont issus d’une dotation de l’État qui provient du ministère de l’enseignement et de la recherche et du ministère de l’agriculture. Ce budget est cependant consommé à hauteur de 93 % par la masse salariale de l’institut, de sorte qu’il nous reste très peu de moyens pour le faire fonctionner. Quant à ses ressources propres, elles ont, c’est vrai, toujours été assez élevées, mais elles sont liées à son rôle particulier d’appui des politiques publiques. En effet, 85 % de ces ressources sont d’origine publique : agences, collectivités territoriales, État. De fait, il est difficile de penser qu’il existe un marché opérationnel dans des domaines tels que les risques naturels ou le développement des territoires.
La situation est assez préoccupante. Les EPST reçoivent une dotation de l’État qui couvre leurs frais de fonctionnement et les salaires des fonctionnaires qu’ils emploient. Pour le reste, nous travaillons au coût marginal. Alors que les plateformes technologiques que nous faisons fonctionner sont de plus en plus coûteuses et les sollicitations de plus en plus nombreuses, nous devons faire face à une limitation des moyens qui commence à être très difficile à gérer.
Par ailleurs, nous sommes évidemment soumis, en tant qu’EPST, à l’évaluation du HCERS, qui a succédé à l’AERS. L’Institut a pour spécificité d’être structuré en douze thèmes de recherche. Les évaluations – la dernière a eu lieu il y a quatre ans et la prochaine interviendra en 2017 – portent donc sur l’ensemble de nos collectifs de recherche et sur l’établissement en tant que tel ; les dernières ont été bonnes, voire très bonnes. Je précise qu’à l’instar d’autres établissements qui ont pour vocation la recherche et l’expertise, nous avons défini avec l’AERS et le HCERS une grille d’analyse particulière. Ainsi l’évaluation de nos collectifs porte-t-elle non seulement sur la recherche pure, avec les publications de rang A, mais aussi sur les études que nous menons pour le compte de l’État et sur l’expertise que nous sommes amenés à produire pour ses services. Je précise que les dernières orientations ont été reprises, sur la base des critères d’évaluation de l’AERS, dans le contrat d’objectifs conclu avec l’État qui prendra fin en 2018.
L’IRSTEA n’existe que depuis quatre à cinq ans, mais il a succédé au Centre national du machinisme agricole du génie rural, des eaux et des forêts (CEMAGREF), qui avait préalablement fêté ses trente ans. Il est donc inscrit dans le paysage de la recherche depuis quelque temps. Son positionnement est spécifique : nous intervenons, non pas sur l’exploitation agricole et son fonctionnement, mais à sa périphérie, qu’il s’agisse de la gestion des territoires ou du domaine technologique. Dans ce cadre, nous collaborons avec l’ensemble des organismes qui constituent notre environnement. L’institut comprend ainsi des unités mixtes dans lesquelles nous sommes associés avec le Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), l’Institut recherche développement (IRD), l’INRA, le CNRS et les universités, et nous coopérons étroitement avec les organismes qui interviennent dans des champs complémentaires des nôtres, que ce soit l’INRA ou des instituts rattachés au CNRS : l’Institut écologie et environnement (InEE) dans le domaine de l’écologie et l’Institut national pour les sciences de l’univers (INSU) pour certains phénomènes naturels. J’ajoute que, depuis l’adoption de la loi sur l’enseignement et la recherche, nous avons fait évoluer l’ensemble de nos centres pour inscrire nos recherches dans la logique de polarisation régionale mise en œuvre dans le cadre des politiques de site.
Par ailleurs, nous sommes très attentifs à la compétitivité de l’agriculture française. C’est du reste ce qui ressort, me semble-t-il, du rapport « Agriculture et innovation 2025 », à la rédaction duquel j’ai eu le plaisir de participer. Notre approche est, certes, surtout technologique puisque, encore une fois, nous n’intervenons pas dans le domaine agronomique ni dans l’évolution des pratiques culturales. Mais je reste convaincu que la technologie contribuera à améliorer la vie des agriculteurs et, surtout, leur permettra d’appréhender un nombre beaucoup plus important de paramètres et de critères, dans un contexte où cela est rendu nécessaire pour limiter l’utilisation des intrants, faire face à la volatilité économique des prix, à la gestion des crises sanitaires ou à l’adaptation au changement climatique.
Ainsi des outils d’aide à la décision reliés à des capteurs au sol, embarqués sur le matériel agricole ou sur des drones, et à l’imagerie satellitaire permettront de réaliser des mesures extrêmement fines. Couplés à un agro-équipement qui intervient de manière de plus en plus autonome pour délivrer la bonne dose au bon endroit, ces outils amélioreront la réactivité des systèmes agricoles et les rendront plus facilement gérables par des agriculteurs seuls.
C’est sur cette agriculture de haute précision que nous misons. Je précise que celle-ci ne prédétermine pas les modèles agricoles : la technologie numérique et la robotique appliquées à l’agriculture biologique peuvent être extrêmement utiles. Moins on utilise d’intrants et de produits phytosanitaires, plus l’intervention humaine est nécessaire, et plus ce type de technologies pourra être utile.
En tout état de cause, la numérisation est en marche : aujourd’hui, 46 % des tracteurs utilisent déjà des bases GPS, ce qui signifie qu’ils commencent à enregistrer des données de culture. Certes, les difficultés d’accès à une connexion de haut débit peuvent poser problème, mais des plans de développement existent dans ce domaine, qu’il s’agisse d’adapter le réseau filaire ou de faciliter l’accès à des satellites à des coûts compétitifs. La numérisation des campagnes demeure néanmoins un défi, car elle nécessitera de développer un réseau adapté, même si les objets connectés ne réclament pas le même type d’équipement puisque, dans ce cas, des réseaux à basse fréquence suffisent.
Comment mieux diffuser l’information ? C’est la question à laquelle nous avons tenté de répondre en proposant, dans le rapport « Agriculture et innovation 2025 », la création de champs d’expérimentation nouveaux dans le cadre de « Living lab » – qui est une marque déposée. Il s’agit, pour un territoire donné, d’identifier des groupes d’agriculteurs et le type d’innovations, technologiques ou organisationnelles – car le traitement de la pollution diffuse, la gestion de l’eau ou de la biodiversité nécessiteront de nouveaux modes d’organisation – que l’on souhaite développer, et d’étudier les conditions de diffusion et d’acceptabilité de ces innovations par le monde agricole mais aussi par la société, car il faudra démontrer leur intérêt en termes de rapport coût-bénéfices. Ces « Living lab » comprendraient donc également des acteurs externes : collectivités territoriales, écoles... Le projet a été retenu par le Gouvernement et devrait permettre, dans des territoires un peu plus étendus, de diffuser les innovations d’une nouvelle façon en impliquant dès le départ la société dans leur conception et leur développement.
J’en viens à la question des pesticides. Notre établissement n’intervenant pas sur les molécules elles-mêmes, je suis mal placé pour vous dire s’il était ou non opportun d’interdire les néonicotinoïdes ou le diméthoate. Peut-être est-il encore nécessaire d’utiliser un certain nombre de produits. Quoi qu’il en soit, les autres technologies – qu’il s’agisse de la génétique ou du bio-contrôle, c’est-à-dire la recherche de systèmes alternatifs aux pesticides – méritent une mobilisation extrêmement forte car ils sont porteurs d’avenir si nous voulons renoncer à toute une série de molécules de synthèse. L’évolution des pratiques agricoles elles-mêmes peut également jouer un rôle dans ce domaine, car on s’est aperçu que la rotation culturale permettait de diminuer l’utilisation de ces produits. Toutefois, nous intervenons plutôt sur la technologie elle-même, de façon à limiter quantitativement l’utilisation de ces produits et l’impact négatif de leur diffusion sur l’environnement.
Pourquoi ces technologies ne se diffusent-elles pas plus rapidement ? N’oublions pas que nous parlons de centaines de milliers d’agriculteurs, qui ont tous des parcs de plusieurs tracteurs, épandeurs, pulvérisateurs. Accompagner le changement prend toujours du temps, à moins que l’on ne mène des politiques plus déterminées, en interdisant certains produits ou en distribuant des primes à la casse. Mais c’est à l’État de mener ces réflexions. Quoi qu’il en soit, les technologies s’améliorent progressivement et permettent une meilleure utilisation des produits.
Par ailleurs, nous avons investi, depuis un certain temps déjà, dans la robotique, notamment dans le déplacement en milieu naturel. En effet, nous pensons que l’introduction des robots peut marquer une rupture technologique importante. Actuellement, nous disposons d’un modèle unique – le tracteur et son outil – car, jusqu’à récemment, la seule source d’énergie disponible était le moteur à explosion. Mais l’augmentation des capacités de stockage énergétique et l’avènement de moteurs électriques performants, liés aux avancées de la robotique elle-même, nous permettront de développer des outils nouveaux, au moins pour les grandes cultures. De fait, la robotique est déjà très présente dans le secteur de l’élevage, puisque la moitié des installations sont équipées de robots de traite. On voit également apparaître, dans le secteur du maraîchage, les premiers robots qui binent. Très rapidement, ces robots seront beaucoup plus autonomes et, couplés à des drones, ils seront capables d’assurer des interventions et de la surveillance. Si nous sommes capables de créer les pôles adaptés, nous estimons qu’il est possible de commercialiser d’ici à dix ans cinq types de robots. Ce domaine suscite, du reste, l’intérêt des acteurs économiques et agricoles, comme en témoigne l’implantation d’un agro-technopôle dédié à la robotique aux environs de Clermont-Ferrand.
M. Martial Saddier m’a interrogé sur le préjudice écologique tel qu’il figure dans le projet de loi sur la biodiversité. C’est, à mon sens, un véritable sujet de réflexion. Je l’envisagerais plutôt sous l’angle de la recherche. De ce point de vue, plus que la question du préjudice écologique, c’est celle de sa réparation qui se pose. La restauration des milieux est en effet complexe et très coûteuse et elle soulève de véritables questions car, dès lors que l’ensemble du paysage a été modifié par l’activité humaine, il est difficile de déterminer le milieu originel qu’il s’agit de restaurer. En outre, l’ingénierie écologique, que nous développons notamment avec le CNRS, en est à ses balbutiements.
J’en viens enfin à notre participation au portail numérique. Aujourd’hui, nous sommes capables de développer, à partir du Big data, des outils d’aide à la décision qui modélisent les différents types de culture en tenant compte des paramètres correspondants et qui permettent de conseiller les agriculteurs pour optimiser la production. Il est vrai que le véritable enjeu, dans ce domaine, est celui de l’accélération du développement de ces outils numériques qui accompagneront la transition agro-écologique et énergétique. L’idée d’un portail est née du constat que ce ne sont pas les données, en elles-mêmes, qui génèrent la valeur, mais leur partage. Actuellement, il n’existe pas d’acteurs dominants au niveau mondial dans ce secteur, même si quelques très grandes sociétés, Monsanto ou Google, commencent à y investir. L’objectif est donc de focaliser sur le secteur agricole notre écosystème, très actif, dans le domaine du numérique pour servir le développement de notre agriculture et faire émerger des acteurs français. En résumé, ce portail numérique vise à créer un écosystème ouvert d’innovation au service de l’agriculture et de l’environnement.
Je vais maintenant laisser la parole à Pierrick Givone, qui répondra aux questions de Mme Valérie Lacroute et M. Yves Albarello sur les inondations en Seine-et-Marne et sur les infrastructures, qui mobilisent beaucoup nos chercheurs actuellement.
M. Pierrick Givone. Tout d’abord, je vous indique qu’un de nos collègues est sur site depuis hier, plus précisément sur le barrage qui a posé problème. La principale cause de ces crues est la pluie : il a plu sur ces bassins-versants, en particulier sur le Loing, trois fois plus qu’au cours d’un mois de mai normal, soit 180 millimètres contre 60 millimètres habituellement. Les prévisions ne sont jamais suffisamment précises mais, en l’espèce, elles ont au moins permis d’éviter le pire puisque, pendant cette crue très importante – la quatrième, par ordre d’importance, après celles de 1910, de 1955 et de 1982 –, nous n’avons eu à déplorer que quatre décès. Certes, ce sont quatre de trop, mais les mesures, les modèles, les données, les informations et l’action de tous ont permis de limiter le nombre de morts.
Cela dit, vous avez posé une question très importante, Madame Lacroute, celle de la relation entre la gestion des ouvrages et les crues. Je citerai un chiffre, qui me permettra de remettre les choses en perspective. À l’amont de Paris, sur le bassin-versant de la Seine, on compte quatre grands ouvrages de stockage de crue, dont la capacité totale est de l’ordre de 850 millions de mètres cubes – sachant que la crue de 1910 a généré un volume total dépassant 4 milliards de mètres cubes. Mais ce qui importe, c’est l’état de ces barrages à la veille de la crue : s’ils sont pleins, nous n’avons aucune marge de manœuvre. Or, cette année, ils étaient remplis à 90 %.
En effet, à la différence des trois grandes crues historiques que j’ai citées, qui ont eu lieu entre fin janvier et février, celle de 2016 est une crue de printemps, ce qui est exceptionnel. Or, nous faisons en sorte que ces bassins, qui se remplissent en hiver, soient pratiquement pleins au printemps, puisqu’ils sont destinés également à soutenir les étiages en été. De fait, les pluies de printemps sont dites peu contributives, c’est-à-dire qu’elles contribuent assez peu, par ruissellement, au remplissage des barrages, parce que la végétation en consomme l’essentiel. Mais, au mois de mai, la chaleur n’a pas été insupportable – de sorte que, même si la végétation a poussé, elle a sans doute moins poussé que lors d’un mois de mai ordinaire – et les pluies ont été exceptionnelles. Les réservoirs ont donc très peu joué leur rôle.
Par ailleurs, et cela se produira à chaque fois, certains ouvrages ont partiellement cédé. Hélas – car, si tel était le cas, le problème serait facilement soluble –, cela n’explique pas l’inondation de Nemours. Mais cela n’exonère personne de la nécessité d’entretenir les ouvrages et d’améliorer leur fonctionnement ; du travail reste à faire dans ce domaine. L’IRSTEA gère le système d’information national pour la gestion des digues fluviales et désormais des digues maritimes ; il informe donc les pouvoirs publics de leur état. Les ouvrages ont été prévus pour le type de crue le plus fréquent.
M. Martial Saddier. Est-ce à dire qu’il faut prévoir des réservoirs distincts pour les crues d’hiver et les crues de printemps ?
M. Pierrick Givone. Les volumes sont tels – on parle de milliards de mètres cubes – qu’il est impossible de construire des ouvrages spécifiques. Même la cinquième retenue programmée à l’amont de Paris, qui a un volume de l’ordre de 50 ou de 80 millions de mètres cubes, ne sera pas suffisante, en particulier si nous continuons à avoir des crues de printemps.
Trois éléments fondamentaux sont nécessaires à la connaissance et à la prévision des crues. Premièrement, il faut disposer du plus grand nombre de mesures possible concernant les cours d’eau, la météorologie… Sans mesures, les meilleures méthodes du monde sont à peu près inutiles. Deuxièmement, il faut améliorer, et nous le faisons autant que faire se peut, les méthodes de connaissance des écoulements, de l’infiltration, du ruissellement. Troisièmement, il faut des références. Or, celles-ci sont très abondantes sur les crues faibles ; elles le sont moins sur les crues fortes et elles sont très rares sur les crues exceptionnelles comme celle de cette année. Il faut donc accepter que, pour ce type de crues, nos outils de prévision soient plus incertains.
Mme Valérie Lacroute. À Nemours, on a pu observer que les maisons construites après 1910 avaient été épargnées : leurs caves ont, certes, été inondées, mais la montée des eaux s’est arrêtée, dans la plupart des cas, à trois centimètres du rez-de-chaussée. Ce type de crues a donc été pris en compte dans la construction de ces habitations, sauf pour quelques maisons récentes. Il importe d’installer des capteurs sur tous les petits affluents du Loing car, si nous savions, par référence à la crue de 1910, jusqu’où l’eau allait s’étendre, nous ignorions à quel niveau elle allait monter. Nous avons pu sauver les vies humaines et quelques biens, mais nous aurions pu en épargner davantage si nous avions su jusqu’à quel niveau l’eau allait monter.
M. Pierrick Givone. Vous soulevez une question de fond. Nos concitoyens attendent de nous que nous prévoyions non seulement les crues mais aussi quelles zones seront inondées. Or, cela est beaucoup plus complexe, car il nous faut, pour cela, avoir une connaissance parfaite de la topographie et de l’urbanisme. Or, les bases de données urbaines s’améliorent, mais elles sont loin d’être généralisées et d’être couplées aux dispositifs de prévision des crues. Néanmoins, il s’agit d’un axe de recherche. Mais la cartographie doit être d’une très grande précision, car chaque personne voudra savoir ce qu’il en est pour sa propre maison. Cela nous renvoie non seulement à l’étude des écoulements en ville, pour laquelle nous avons des programmes de recherche spécifiques, mais aussi à la connaissance de la topographie et de la géographie générale.
Pour l’étude des écoulements en ville, nous en sommes encore au modèle physique, c’est-à-dire aux maquettes. Une ville est un milieu en trois dimensions, et nous sommes très loin d’avoir des modèles opérationnels faciles à mettre en œuvre.
M. Yves Albarello. Partagez-vous mon constat d’un défaut d’entretien des rivières ? J’insiste sur le fait que les syndicats de rivière ont très peu de moyens : la loi sur l’eau nous impose une méthodologie que nous ne pouvons pas appliquer !
M. Pierrick Givone. En ce qui concerne l’entretien des cours d’eau, on pourrait faire infiniment mieux. Est-ce un élément constitutif de la résolution des très grandes crues ? Sans doute pas, mais il est vrai que les crues faibles ou moyennes cassent aussi les pieds de nos concitoyens. Quant à la GEMAPI (Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations), elle pose deux questions : celle des ressources et celle des compétences disponibles à l’échelle communale. En tout état de cause, sur un tronçon de rivière, une gestion basée sur la connaissance du terrain peut être efficace, mais gérer une crue sur un tronçon a des conséquences à l’aval et à l’amont, et les choses deviennent rapidement compliquées, en particulier en zone urbaine.
Mme Catherine Quéré, présidente. Messieurs, je vous remercie pour l’ensemble des précisions que vous avez apportées.
Membres présents ou excusés
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire
Réunion du mercredi 8 juin 2016 à 9 h 30
Présents. - Mme Sylviane Alaux, M. Yves Albarello, M. Julien Aubert, M. Guy Bailliart, M. Serge Bardy, M. Jacques Alain Bénisti, M. Sylvain Berrios, M. Florent Boudié, Mme Marine Brenier, M. Jean-Louis Bricout, M. Alain Calmette, M. Yann Capet, M. Luc Chatel, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, M. David Douillet, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Jean-Marc Fournel, Mme Geneviève Gaillard, M. Charles-Ange Ginesy, M. Jacques Kossowski, Mme Valérie Lacroute, M. Alain Leboeuf, M. Arnaud Leroy, Mme Marie Le Vern, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Yves Nicolin, M. Bertrand Pancher, M. Rémi Pauvros, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, M. Martial Saddier, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, Mme Suzanne Tallard, M. Jean-Pierre Vigier
Excusés. - Mme Chantal Berthelot, M. Christophe Bouillon, M. Vincent Burroni, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, Mme Florence Delaunay, M. Julien Dive, M. Christian Jacob, Mme Viviane Le Dissez, M. Franck Marlin, M. Gérard Menuel, M. Napole Polutélé, Mme Sophie Rohfritsch, M. Thomas Thévenoud, M. Patrick Weiten
Assistaient également à la réunion. - M. Dino Cinieri, Mme Karine Daniel, M. Paul Salen