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Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire
La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a organisé une table ronde sur les installations de type Seveso en France avec la participation de participation de M. Yves Blein, député, président de l’Association nationale des collectivités pour la maîtrise des risques technologiques majeurs (AMARIS) ; M. Nicolas Chantrenne, sous-directeur des risques accidentels ; MM. Jean Pelin, directeur général, et Philippe Prudhon, directeur affaires techniques de l’Union des industries chimiques (UIC) ; Mme Isabelle Muller, déléguée générale, et M. Bruno Ageorges, directeur des relations institutionnelles et des affaires juridiques de l’Union française des industries pétrolières (UFIP) ; et MM. Michel Le Cler et Sylvestre Puech, responsables de la Coordination nationale des associations riveraines des sites Seveso.
Mme Catherine Quéré, présidente. Nous organisons aujourd’hui une table ronde sur les risques industriels sur les sites Seveso en France afin de dresser un bilan de la mise en œuvre des plans de prévention des risques technologiques (PPRT) et de mieux comprendre les difficultés de l’application des normes législatives en la matière.
Nous accueillons donc notre collègue Yves Blein, président de l’Association nationale des collectivités pour la maîtrise des risques technologiques majeurs (AMARIS) ; M. Nicolas Chantrenne, sous-directeur des risques accidentels ; M. Jean Pelin, directeur général de l’Union des industries chimiques (UIC) ; Mme Isabelle Muller, déléguée générale de l’Union française des industries pétrolières (UFIP) ; MM. Michel Le Cler et Sylvestre Puech, responsables de la Coordination nationale des associations riveraines des sites Seveso. Enfin, nous accueillons également Mme Marie-France Beaufils, sénatrice d’Indre-et-Loire, membre du groupe Communiste républicain et citoyen et vice-présidente de la commission des finances du Sénat.
Je propose à nos intervenants principaux de prendre la parole chacun entre cinq et huit minutes. Nous ouvrirons ensuite un débat où les députés pourront poser des questions, auxquelles nos invités répondront au cours d’une troisième partie.
M. Jean Pelin, directeur général de l’Union des industries chimiques (UIC). Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, nous sommes très honorés de venir témoigner devant vous au sujet de cette question essentielle pour notre secteur industriel, à savoir la sécurité autour des sites chimiques.
En 2015, l’industrie chimique en France est un secteur industriel qui a représenté environ 80 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 200 000 personnes en emplois directs et près du double en emplois indirects. C’est l’un des tout premiers contributeurs de la balance commerciale, avec un solde positif de 7,5 milliards d’euros – y sont intégrés les cosmétiques, qui sont des produits chimiques. Enfin, c’est une industrie capitalistique, qui a investi 3,4 milliards d’euros l’année dernière.
Les sites chimiques sont répartis sur tout le territoire, avec une prédominance en région Provence-Alpes-Côte d’Azur – autour de l’étang de Berre, à Marseille, mais aussi à Grasse –, en Rhône-Alpes – la fameuse « vallée de la chimie », ainsi que Saint-Étienne, la plaine de l’Ain et Grenoble –, en Bourgogne-Franche-Comté, en région Est – avec le nord et le sud de l’Alsace, notamment la région de Mulhouse – ; dans le Nord-Pas-de-Calais, en Normandie et dans le Sud-Ouest.
Sur les 1 200 sites Seveso de France, environ 600 relèvent du secteur de la chimie, et près de 500 sont adhérents de l’UIC. La sécurité des sites Seveso est une question essentielle pour notre industrie, qui présente trois caractéristiques principales : elle est tournée vers l’innovation, elle exporte beaucoup, et c’est une industrie à risques – sur les sites et sur les produits.
La sécurité est pour nous un défi au quotidien : il n’est pas une seule entreprise de la chimie qui n’en ait fait sa priorité. Toutes les entreprises ont des systèmes de management internes, des guides de bonnes pratiques professionnelles basées sur le retour d’expérience en matière d’incidents ou d’accidents, et réalisent des investissements importants : chaque année, environ 40 % des 3,5 milliards d’euros d’investissements que j’ai évoqués sont consacrés à la sécurité et à l’environnement, ainsi qu’à la prise en compte des facteurs humains ou organisationnels.
Tout cela vient en complément de la réglementation, dont d’autres intervenants vous parleront mieux que moi. Je dirai simplement que la directive Seveso a été transcrite en droit français et que le dispositif des plans de prévention des risques technologiques (PPRT) est en place depuis une dizaine d’années. S’y ajoutent des dispositions spécifiques relatives au risque sismique – de loin les plus contraignantes en Europe, ce dont nous nous sommes plaints auprès du ministère de l’environnement, en demandant à ce que la réglementation soit assouplie –, ainsi que le plan de modernisation des installations industrielles (PM2I) et la directive Seveso 3. Enfin, après les attentats perpétrés à Saint-Quentin-Fallavier, sur le site de Berre-l’Étang et près de Lyon, la sûreté des sites Seveso a été considérablement renforcée à partir de fin juin 2015 par les entreprises concernées, avec le concours de la Direction générale de la prévention des risques (DGPR).
Je conclurai en disant que les relations entre notre organisation, les industriels de la chimie et les services de la sous-direction des risques accidentels sont globalement bonnes, que ce soit sur le terrain ou au niveau national.
Mme Isabelle Muller, déléguée générale de l’Union française des industries pétrolières (UFIP). Les événements récents ont montré l’importance et le positionnement des sites pétroliers en France : nous sommes un secteur industriel essentiel à l’activité économique en général. Pour ce qui est de la sécurité, le premier risque relatif aux sites pétroliers est celui de l’inflammabilité. Un incendie peut exposer les populations environnantes à des risques thermiques et à des effets de pression dus aux explosions, avec des effets proportionnels aux quantités en jeu.
Depuis que l’industrie pétrolière existe, elle a pris en compte ces risques et, bien avant la directive Seveso, mis en place des mesures spécifiques pour la protection de ses personnels, mais aussi des populations et des entreprises riveraines, ainsi qu’en ce qui concerne les éventuels impacts environnementaux.
Ces risques font partie du quotidien de notre activité et nous avons entrepris des démarches de progrès continu passant par des systèmes de management interne, par des partages de bonnes pratiques – notamment par le biais des organisations professionnelles que je représente –, par la prise en compte des aspects organisationnels et humains, essentiels en termes de sécurité – je pense notamment à la formation du personnel –, enfin par des investissements destinés à assurer le niveau de sécurité nécessaire.
Depuis la directive Seveso et l’identification des Seveso seuil haut d’une part, seuil bas d’autre part, les huit raffineries de l’industrie pétrolière française sont classées seuil haut, et une centaine de dépôts sont classés Seveso. La directive applique le principe de proportionnalité entre les sites seuil haut et les sites seuil bas : les exigences diffèrent en fonction de la nature des sites. Conformément à l’évolution de la directive, nous avons introduit la nécessité d’informer plus étroitement les populations.
En France, nous gérons les études de danger remises par les industriels, ainsi que les PPRT, en étroite concertation avec la DGPR, qui se trouve au cœur de la sécurité industrielle des établissements pétroliers. Les PPRT sont élaborés sous le contrôle des installations classées et recensent l’ensemble des phénomènes potentiellement dangereux en évaluant leurs conséquences et leurs probabilités d’occurrence, de manière concertée avec l’inspection des installations classées. On recense les barrières de prévention et les barrières de protection pour limiter la probabilité d’occurrence et l’impact des phénomènes dangereux, et intégrer les meilleures technologies disponibles.
Nous insistons sur notre implication et nos devoirs, en tant que sites à risques, vis-à-vis des élus et des riverains, pour une concertation permanente et une culture de la sécurité qui soit partagée. Pour cela, nous travaillons dans le cadre d’initiatives locales de concertation avec des comités de suivi de sites, des secrétariats permanents pour la prévention des pollutions et des risques, et des initiatives des élus – je pense notamment à l’association AMARIS présidée par M. Yves Blein.
Enfin, pour ce qui est de l’évolution de la maîtrise de la sécurité et de la sûreté, il convient de distinguer les risques naturels, sur lesquels la DGPR nous a demandé de travailler – notamment pour ce qui est de la foudre, du risque sismique et de l’inondation – des risques de malveillance, qui font l’objet d’une attention particulière – a fortiori dans le contexte actuel – et pour lesquels nous avons émis les propositions suivantes : un meilleur criblage des personnes entrant sur nos sites, la prise en compte du facteur humain et le retrait des données sensibles qui ne sont pas nécessaires à la concertation du public, afin de limiter la connaissance de personnes potentiellement malveillantes.
En conclusion, nous rappelons que, par nature, l’industrie pétrolière traite les risques technologiques et possède dans ce domaine une expérience longue et poussée ; elle améliore en permanence ses standards de sécurité. Même si nous travaillons en étroite collaboration avec les structures nationales, il nous semble également très important de travailler dans un contexte européen, correspondant à la mesure de l’exercice de notre activité.
M. Michel Le Cler, responsable de la Coordination nationale des associations riveraines des sites Seveso. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, la Coordination nationale des associations riveraines des sites Seveso a été créée en février 2012. Tout en affirmant leur attachement au maintien des activités économiques sur le secteur, les associations qui la composent ont toujours estimé qu’il était de la responsabilité de l’industriel de réduire les dangers et les risques à la source en gommant le principe de « l’économiquement acceptable », et de payer pour les risques générés selon le principe du pollueur-payeur. Elles ont confirmé cette orientation au fil du temps.
Les difficultés rencontrées pour l’application de la loi dite Bachelot sont nombreuses et reconnues par l’ensemble des partenaires – les décrets, les ordonnances et circulaires du Gouvernement en sont l’illustration. Treize ans après son adoption, la loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003 suscite un rejet toujours aussi fort de la part des riverains. Alors qu’en vertu de cette loi, les 421 PPRT prévus devaient avoir été réalisés au 31 juillet 2008, on a assisté depuis 2003 à un véritable détricotage de la loi Bachelot, preuve qu’elle était inadaptée à la réalité du terrain et qu’elle mésestimait les conséquences économiques de son application, créant de fait des injustices flagrantes entre les riverains, les industriels et les entreprises dans le périmètre PPRT. Il existait pourtant un document intéressant : le rapport rédigé en 2002 par M. Jean-Yves Le Déaut au nom de la commission d’enquête sur la sûreté des installations industrielles et des centres de recherche et sur la protection des personnes et de l’environnement en cas d’accident industriel majeur. Cette commission d’enquête présidée par M. François Loos avançait 90 propositions très intéressantes, qui n’ont malheureusement pas été suffisamment entendues.
Quelques parlementaires ont tout de même été sensibles aux propos des riverains. Plusieurs d’entre vous ont demandé la mise à plat et une révision, voire l’abrogation de la loi de 2003. Un projet de résolution relative à un moratoire sur la mise en œuvre des PPRT a pu être présenté au Sénat devant un parterre d’une demi-douzaine de sénateurs le 11 décembre 2014. Ce texte avait également été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale, mais il n’a semble-t-il jamais été donné suite à cette initiative. Quoi qu’il en soit, il nous semble qu’aujourd’hui, personne ne peut dire qu’il n’était pas informé, qu’il ne savait pas.
Les interventions de la Coordination nationale ont été nombreuses, soit pour apporter nos arguments, soit pour solliciter une rencontre. Des courriers ont été adressés aux candidats à l’élection présidentielle de 2012, puis aux candidats aux élections législatives – nous en avons rencontré plusieurs sur le terrain. Nous avons également écrit aux candidats élus, nous sommes entrés en contact avec les parlementaires auteurs de questions écrites ou orales au Gouvernement – à l’Assemblée nationale et au Sénat –, et des dossiers ont été communiqués aux présidents de groupe à l’Assemblée nationale. Reçus à plusieurs reprises au ministère de l’écologie, nous n’avons malheureusement pas été auditionnés, comme nous l’aurions souhaité, par le ou la ministre à la tête de ce ministère. Enfin, nombreuses ont été les interventions de la Coordination nationale et des associations sur le terrain.
Très rapidement, nous avons constaté que le discours officiel se polarisait sur le seul financement des travaux de renforcement des habitations, ce qui constitue, de notre point de vue, une façon de ne pas être exigeant avec l’industriel et de faire oublier sa responsabilité – une façon de se donner bonne conscience, alors que le financement des travaux n’était pas la préoccupation première des riverains.
Plusieurs d’entre vous rappelleront sans doute leurs questions écrites ou orales à l’Assemblée nationale. La demande première des riverains était que leur sécurité soit assurée en agissant sur le générateur des risques, charge à celui-ci de réduire le risque à la source sans faire référence au principe de « l’économiquement acceptable ». Les mesures prescrites de renforcement du bâti font sourire, même si le sujet que nous examinons est grave et sérieux. À qui peut-on faire croire que le fait de changer de fenêtres peut assurer la sécurité du riverain ?
Actuellement, un peu plus de 400 PPRT sont répartis sur le territoire, et le fait marquant majoritairement exprimé par les associations reste la grande frilosité en matière d’informations en direction des habitants : nombreux sont celles et ceux qui ont découvert par hasard l’existence d’un PPRT sur leur commune. Il est difficile de ne pas y voir un déni de démocratie !
Nous constatons une certaine absence d’uniformité dans les réponses apportées : certains PPRT laisseraient 10 % du montant des travaux prescrits à la charge des habitants, d’autres pas. Par ailleurs, sept sites ont été choisis dans la plus grande opacité parmi les 400 PPRT existants pour relever d’un programme d’accompagnement aux risques industriels (PARI). Les personnes touchées par cette mesure ne sont pas dupes et n’acceptent pas un système qui les rend responsables de leur choix pour se protéger. En règle générale, les PPRT se traduisent par des mesures coûteuses dont l’efficacité reste à prouver. Partout en France, on a incité les riverains à prendre part aux enquêtes publiques. Or, on constate que les préfets prennent souvent des arrêtés autorisant les PPRT, en dépit de l’avis négatif des riverains et des enquêteurs publics.
Seul le principe de la réduction des risques, point fondamental de la loi, doit être appliqué, en mettant de côté la notion de « l’économiquement acceptable ». Il est indispensable de repenser ces deux principes dans un sens plus équilibré, respectueux des intérêts des riverains. Il faut donc une révision de la loi et, préalablement à cette mesure, la mise en place d’un groupe de travail regroupant État, industriels, collectivités et riverains.
Le financement doit revenir principalement à l’industriel, et non aux collectivités : ce n’est pas au contribuable de financer les carences de l’industriel. Je regrette que nous disposions de si peu de temps pour faire valoir notre point de vue, madame la présidente, car c’est la première fois qu’il nous est donné de nous exprimer face à la représentation nationale.
M. Nicolas Chantrenne, sous-directeur des risques accidentels (ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie). Sans revenir jusqu’au décret impérial de 1810 ayant créé l’embryon des installations classées pour la protection de l’environnement, je veux rappeler que la législation française relative aux risques accidentels est ancienne, qu’elle a évolué à de nombreuses reprises et que la grande loi ayant abouti au système actuel des installations classées pour la protection de l’environnement est la loi de 1976, toujours en vigueur.
Aujourd’hui, les sites Seveso ne sont pas les seules installations classées. Il existe en France 500 000 installations classées, dont la plupart sont soumises à déclaration. Parmi ces installations, 45 000 sont soumises à autorisation ; enfin, parmi ces dernières, on compte environ 1 200 sites Seveso en France, répartis à égalité entre les établissements classés seuil bas et ceux classés seuil bas.
La première mouture de la directive Seveso date de 1982 et a été actualisée à plusieurs reprises : la directive Seveso 3 aujourd’hui en vigueur date de 2012. Cette directive fixe un certain nombre de grands principes de moyens ou d’objectifs s’imposant aux industriels sur les sites Seveso. Il existe des objectifs de moyens assez précis, telle l’obligation d’établir des plans d’urgence ou des systèmes de gestion de la sécurité, et des objectifs plus généraux, précisant par exemple que les études de danger réalisées sur les sites doivent prendre en compte les aléas naturels, ou que les États membres doivent garantir une maîtrise de l’urbanisation future.
La loi de 2003 a été adoptée à la suite de la catastrophe d’AZF survenue en 2001. Depuis 2003, on a systématiquement remis à plat toutes les études de danger des sites Seveso. Comme cela a été dit, une étude de danger a pour objet d’envisager tous les accidents susceptibles de se produire, d’en évaluer la probabilité et la gravité, et de faire en sorte que l’acceptabilité globale de l’ensemble des risques soit garantie au moyen d’améliorations mises en œuvre à la source, sur les sites industriels. Si tous les PPRT n’ont pas encore été approuvés depuis la loi de 2003, c’est précisément parce que de nombreuses années ont été consacrées à la réduction du risque à la source, ce qui a nécessité des investissements de plusieurs milliards d’euros. Nous ne sommes pas encore au bout de cette démarche, puisqu’en application de la directive Seveso 3, des travaux sont actuellement menés dans l’optique de la prévention des risques séisme et inondation.
Le deuxième volet de la politique publique a trait à la maîtrise de l’urbanisation, et consiste à envisager la combinaison de l’origine du risque avec les enjeux exposés à ce risque. Pour ce qui est de l’urbanisation future, l’enjeu consiste à empêcher que des bâtiments d’habitation ou commerciaux ne se construisent trop près des sites – la loi française prévoyait déjà la possibilité d’empêcher l’urbanisation trop proche des sites industriels depuis une loi de 1987 relative à la sécurité civile. L’urbanisation existante, qui constitue le cœur des plans de prévention des risques technologiques, est une spécificité française trouvant son origine dans l’accident d’AZF de 2001.
Sur les quelque 400 PPRT se trouvant sur le territoire national, 90 % sont aujourd’hui approuvés. Les 10 % restants le seront cette année et l’année prochaine, ce qui signifie que la mise en œuvre des PPRT approuvés va maintenant pouvoir commencer. La ministre de l’environnement a d’ailleurs adressé aux préfets une circulaire en ce sens le 31 mars dernier, afin d’enclencher le processus. Je rappelle que les PPRT prévoient trois grandes familles d’action : d’abord une maîtrise de l’urbanisation future, mais aussi deux autres types de mesures relatives à l’urbanisation existante – d’une part des mesures foncières d’expropriation pour les personnes habitant au plus près des sites industriels et se trouvant donc exposées à des dangers très importants, d’autre part des prescriptions de travaux de renforcement sur les bâtiments, afin de garantir qu’en cas d’accident, la protection des personnes se trouvant à l’intérieur soit garantie.
M. Christophe Bouillon. Élu de la vallée de la Seine, je mesure pleinement l’importance du sujet que nous évoquons dans le cadre de cette table ronde, puisque cette vallée compte un grand nombre de sites classés Seveso, aussi bien seuil haut que seuil bas. Le débat sur les installations Seveso suscite souvent beaucoup de passion. Mal connue de nos concitoyens, la classification Seveso des sites industriels provoque régulièrement des interrogations légitimes, et des peurs qu’alimentent les catastrophes industrielles que nous avons pu connaître. Je me souviens, bien entendu, de la catastrophe de l’usine AZF de Toulouse en 2001, mais aussi de l’incident survenu à Rouen sur le site de l’usine Lubrizol en 2013.
Au débat de passion, je préfère le débat de la raison. C’est précisément parce que nous avons la volonté de prévenir les risques industriels majeurs qu’existe la classification Seveso de certains sites productifs – industries chimiques ou pétrochimiques – nécessaires à la compétitivité de notre pays.
À mon sens, les enjeux de la réglementation Seveso sont triples. Il y a bien entendu l’enjeu humain, consistant à définir les meilleures normes possible pour protéger les vies de nos concitoyens ; l’enjeu économique, car un accident industriel n’impacte pas seulement l’entreprise touchée, mais bien l’ensemble du site ; enfin, l’enjeu environnemental, car s’ils se recoupent par leur nature même avec l’enjeu humain, la préservation des écosystèmes et l’empêchement des pollutions figurent parmi les priorités des normes Seveso.
La directive Seveso 3 de 2015 a renforcé les dispositifs de prévention et de concertation autour des risques industriels. Les études de risques opérées à sa suite ont permis à la puissance publique d’obtenir une vision assez précise des sites industriels exposés à de tels risques, et ont défini les contours de la politique de prévention la plus adaptée, visant à empêcher le développement de zones résidentielles à proximité de ces sites, à développer l’information de nos concitoyens vivant près de ces industries, et à organiser des plans de secours opérationnels.
Le PPRT de la zone industrielle du Havre, dont la réunion de concertation se déroulait lundi dernier, a été l’occasion de mettre en lumière les avancées, mais également les attentes des populations et des pouvoirs publics sur ce sujet : travaux de sécurisation des sites ou encore connaissance des risques réels étaient au programme.
L’objet de mon propos est d’ouvrir quelques pistes de réflexion dans l’optique d’un renforcement de la politique de prévention des risques Seveso. Tout d’abord, nous devons veiller à ne pas créer un principe de « pollué-payeur » pour les riverains de ces sites. Quand ceux-ci sont amenés à devoir réaliser certains travaux pour se prémunir des risques Seveso, c’est à la puissance publique et aux industriels de trouver des solutions communes pour éviter de nouvelles dépenses obligatoires à nos concitoyens.
Ensuite, les industries Seveso se situent bien souvent dans des zones à forte concentration d’entreprises, que nous devons également accompagner au mieux pour assurer la sécurité des salariés.
Enfin, j’ai la conviction que nos débats doivent permettre d’établir de nouvelles régulations pour protéger les écosystèmes. Que ce soit dans le démantèlement de sites Seveso ou dans la prévention des risques, nous devons prendre acte des effets irréversibles que pourraient avoir de nouvelles catastrophes sur notre environnement.
Loin des idéologies et des postures, ce débat porte en germe la définition de l’intérêt général. J’ai confiance dans l’esprit de responsabilité qui anime nos industriels, mais aussi les associations de riverains, sur ces sujets, et je serai très attentif à vos propositions en la matière.
M. Jean-Marie Sermier. Quand on parle des sites Seveso et, plus largement, des grands sites industriels français, chacun a en tête les risques que présentent ces sites. Pour autant, il ne faut pas oublier qu’ils représentent également un grand nombre d’emplois et de familles qui en vivent, une balance commerciale excédentaire, mais aussi et surtout des produits manufacturés – ou nécessaires à leur fabrication – que chacun de nous utilise tous les jours. De ce point de vue, les industries chimiques et pétrolières sont non seulement utiles, mais indispensables, et il nous faut donc vivre avec – en tout état de cause, la vie comporte toujours une part de risque.
Cela dit, le risque doit être contrôlé. C’est le cas en France, où il l’est sans doute mieux que partout ailleurs, avec une législation qui s’est construite au fil des catastrophes et qu’il convient désormais de faire évoluer. Les riverains ont rarement choisi d’habiter à proximité d’un ou plusieurs sites classés Seveso, et font preuve, en vivant à côté d’installations potentiellement dangereuses, d’une capacité exemplaire à tenir compte de tous les enjeux.
En tant que maire de Dole, dans le Jura, une commune située à quatre kilomètres d’un site Seveso, à savoir l’usine chimique Solvay de Tavaux, je suis bien placé pour savoir que lorsqu’on construit une crèche, il faut prévoir une salle de confinement à proximité : dans ce cas, il n’est pas évident pour les élus de rassurer les parents concernés, dont l’angoisse est bien compréhensible, c’est pourquoi je salue à nouveau la responsabilité dont font preuve les riverains et les collectivités.
On sait que les plateformes chimiques sont de plus en plus des plateformes partagées par plusieurs entreprises. Comment peut-on organiser une sécurité optimale sur une plateforme regroupant plusieurs opérateurs, et ne croyez-vous pas que l’on doive désigner une entreprise référente en la matière, afin de s’assurer de la qualité de la prise en compte des risques ?
Dans le contexte actuel, les risques liés aux personnes paraissent plus élevés que ceux liés à la nature. Or, ces risques sont les plus difficiles à évaluer. Pouvez-vous nous assurer que les sites Seveso sont dotés d’un contrôle des entrées permettant d’exclure toute entrée non autorisée ?
Le mouvement social touchant les raffineries ne constitue-t-il pas un risque supplémentaire pour la sécurité de ces sites ?
Enfin, avez-vous des réponses à apporter au nouveau risque que constitue le développement des drones ?
M. Stéphane Demilly. Mon intervention concerne essentiellement le risque inondation. Sur le site internet du ministère de l’environnement, on peut lire le texte suivant :
« Les inondations constituent un risque majeur sur le territoire national, mais également en Europe et dans le monde entier.
« En France, le risque inondation concerne une commune sur trois (soit environ 14 000 communes) à des degrés divers dont 300 grandes agglomérations. Pour 160 000 km de cours d’eau structurants, une surface de 22 000 km2 est reconnue particulièrement inondable : quatre millions de riverains sont concernés. Les dégâts causés par les inondations représentent un peu plus de la moitié du coût des dommages imputables aux risques naturels, soit plus de 300 millions d’euros par an. La moitié de cette somme relève des activités économiques. »
Alors que de nombreuses communes françaises ont été frappées par de terribles inondations au cours des dernières semaines – je pense notamment à ce qui s’est passé dans les Hauts-de-France, en particulier dans la Somme, ce week-end ; mais aussi à la crue de la Seine –, les inondations constituent un sujet tristement d’actualité. Les conséquences des intempéries auraient pu être terribles si les installations classées Seveso avaient été sérieusement touchées, et surtout si nos dispositifs d’alerte n’avaient pas fonctionné correctement. M. Mortureux, directeur général de la prévention des risques, a déclaré dernièrement dans la presse que les événements avaient été « bien anticipés ». Si cela semble avoir été le cas en Seine-et-Marne, en revanche, il a été souligné qu’en Auvergne, les représentants de l’État, à savoir les agents de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), n’étaient pas assez nombreux pour suivre tous les dossiers et tous les sites à risques.
Même s’il a été précisé que priorité était donnée à la surveillance des sites Seveso, nous pouvons avoir des doutes sur les moyens mis en œuvre pour éviter les risques liés à d’éventuels accidents industriels, notamment à la problématique des inondations. Pouvez-vous nous confirmer qu’aucun site Seveso de France n’a été touché et, si certains l’ont été, quelle a été l’ampleur de l’atteinte constatée ? Pouvez-vous également nous éclairer sur les moyens mis en œuvre sur le terrain pour éviter les catastrophes ? Des moyens supplémentaires sont-ils envisagés de façon à éviter que des sites à risques, même moins dangereux que les sites Seveso, soient négligés comme cela semble avoir été le cas en Auvergne ? Enfin, à la suite des dernières inondations, quels premiers enseignements peut-on tirer, et des mesures de sûreté supplémentaires vont-elles être mises en place dans notre pays ?
M. Jacques Krabal. Même si l’on ne s’en préoccupe que depuis peu, les risques naturels et industriels ne sont pas un fait nouveau. L’activité humaine, avec l’émergence de l’industrie, aggrave les caprices de la nature, du moins leurs conséquences. Par ailleurs, la modernité dans laquelle nous vivons, alors qu’elle donne le sentiment de pouvoir nous protéger de tout, expose en réalité bien plus les sociétés d’aujourd’hui aux risques naturels, mais aussi industriels, et à leurs conséquences.
La modernité fait basculer notre société industrielle vers une société de risques : risques sociaux avec le chômage, risques informatiques, risques de pollution impactant notre santé et, désormais, risques terroristes. Oui, le risque est une seconde nature : nous ne courons pas des risques, nous sommes les risques. Les risques sont partout.
Devant l’impossibilité du risque zéro, le soupçon et l’inquiétude progressent, et l’enjeu de cette table ronde est bien de tenter de trouver des solutions à ces problématiques sociétales. Il nous faut à la fois travailler sur la prévention et sur la connaissance scientifique : en effet, la prévention des risques commence par la science fondamentale et la recherche. En France, nous sommes bien armés avec l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS) et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).
En tant que rapporteur budgétaire sur la mission 181 « Gestion et prévention des risques », j’ai souligné l’effort budgétaire relatif à la sûreté nucléaire, avec l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). En revanche, les budgets consacrés à la prévention des risques sont malheureusement en baisse ces dernières années : ils ont diminué de près de 25 % depuis 2012.
Monsieur Chantrenne, vous avez fait le bilan de la mise en place des PPRT et vous nous avez rassurés en nous disant que l’objectif de 100 % serait atteint en 2017 – ce que nous souhaitons tous. Pouvez-vous nous dire où nous en sommes des PPRT qui pourraient devenir obsolètes ?
Afin de faciliter la mise en place des PPRT, le ministère de l’écologie soumet à la consultation du public jusqu’au 17 juin prochain un projet de décret précisant les modalités d’information des propriétaires ou gestionnaires de biens autres que les logements. J’aimerais savoir ce qu’en pensent les représentants de la Coordination des associations de riverains. Il prend également en compte le classement des stockages souterrains en installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Comment l’UFIP s’y prépare-t-elle ?
Suite aux attentats perpétrés à Saint-Quentin-Fallavier et sur le site Berre-l’Étang, le Gouvernement a adressé une instruction interministérielle aux préfets portant sur la sûreté des sites Seveso, et précisant sept points de mise en œuvre opérationnelle des actions décidées. Pouvez-vous établir un bilan d’étape sur ces différents points ?
Chaque exploitant d’établissement Seveso doit, par ailleurs, réaliser une autoévaluation de son site avant la fin octobre – une échéance repoussée d’un mois. Pouvez-vous nous dire où en sont ces évaluations ?
Sur tous ces sujets, il paraît essentiel d’avoir une vision commune des différents acteurs concernés. L’État a son rôle et ses responsabilités, les entreprises ont les leurs, et des outils juridiques existent, mais ces outils ne valent que dans la mesure où le territoire et les riverains se les approprient. M. Yves Blein, président de l’AMARIS, et M. Michel Le Cler, représentant des associations de riverains, peuvent-ils nous faire part de leurs réflexions sur ce point ?
Au-delà de ces bilans et de la peur qui envahit notre société, je crois pouvoir dire que les risques industriels ne doivent pas nous empêcher d’avoir confiance en l’avenir. Nous sommes à la pointe en matière de prévention des risques et, s’il existait des agences de notation dans ce domaine, notre pays serait sans doute classé AAA.
Comme le disait Jean de La Fontaine dans Le Loup, la Chèvre et le Chevreau, deux sûretés valent mieux qu’une. Il disait également, dans L’Hirondelle et les petits oiseaux, qu’« on ne croit le mal que quand il est venu ». En France, nous avons choisi de ne pas attendre que le mal vienne, et de faire beaucoup en matière de prévention, ce dont je me félicite.
M. Patrice Carvalho. Nous avons besoin de notre industrie chimique, ne serait-ce que pour satisfaire les besoins des autres industries. Nous avons également besoin de garder l’industrie chimique en France, car la délocalisation n’est en rien une solution : quand elle se fait en Chine ou en Inde, les conditions de production sont bien pires que celles en usage sur notre territoire – sans compter que les produits chimiques doivent ensuite être transportés vers la France, sur des navires que l’on peut souvent qualifier de bateaux-poubelles : en la matière, le transport de produits pétroliers a déjà donné lieu à de multiples désastres.
Dans le monde industriel, on est passé du mot d’ordre : « Produis et tais-toi ! », en vigueur il y a encore vingt ans, à une meilleure information sur les risques et les plans de prévention, largement pratiquée par les grands groupes, sur la base d’audits réalisés par les opérateurs eux-mêmes. Cette amélioration des pratiques permet de limiter les risques, donc de réduire le nombre d’accidents. Cela dit, le risque zéro n’existe pas.
Un audit d’EDF a récemment mis en évidence les dangers de l’externalisation. Je serais personnellement favorable à une loi qui interdirait que la responsabilité des entreprises du secteur de l’industrie chimique soit transférée à un sous-traitant, car de nombreux incidents, et même quelques accidents, sont survenus à la suite de l’intervention de sous-traitants, devenue très fréquente sur les sites industriels.
Si les risques sont plutôt bien gérés sur les sites industriels, il n’en va pas de même hors site. Il se trouve dans ma circonscription un site où se trouve stocké du butadiène. Ce produit présentant un risque élevé d’explosion au contact de l’air, il est contenu dans des cuves étanches et enterrées, ce qui permet de réduire le rayon d’impact selon le classement Seveso sur le site même. Cependant, il est très fréquent que des wagons-citernes restent stationnés plusieurs jours d’affilée dans la gare de la commune sans aucun contrôle : des enfants qui étaient montés sur ces wagons ont même été électrocutés. Quand on s’en émeut auprès du préfet, il répond que ce n’est pas son administration qui est compétente, mais j’aimerais bien savoir qui serait responsable si les trente ou quarante wagons-citernes stationnés en gare venaient à exploser ! Cet exemple n’est d’ailleurs pas isolé : ainsi l’ammoniac, largement utilisé sur les sites industriels, constitue-t-il également un risque très élevé.
En matière de stockage, j’ai remarqué que le gros réservoir d’hydrogène qui se trouvait autrefois sur le site industriel de ma commune – afin de servir de réserve d’urgence à un four qui ne doit jamais être éteint – a été remplacé, pour des raisons de sécurité, par une multitude de stockages de taille plus réduite : fort bien, mais nul ne sait si une première explosion ne déclencherait une suite d’explosions en cascade…
Pour ce qui est de l’environnement, n’oublions pas que ce sont souvent les maisons qui sont venues s’agglutiner autour des sites industriels, et que l’État a souvent eu tendance – cela a été le cas dans ma circonscription – à modifier le tracé de la zone inconstructible autour d’un site afin de pouvoir construire tel ou tel équipement public, par exemple une autoroute. Enfin, il me semble que les PPRT et les plans de prévention du risque inondation (PPRI) sont parfois élaborés en catimini, et pas toujours suivis scrupuleusement. Pour toutes ces raisons, il faut renforcer le rôle des élus et des citoyens, mais aussi des CHSCT, sur les sites industriels.
M. Yves Blein, député, président de l’Association nationale des collectivités pour la maîtrise des risques technologiques majeurs (AMARIS). Je vous prie d’excuser mon arrivée tardive, qui s’explique par le fait que je participe également aux travaux de la Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi Égalité et citoyenneté – pour la même raison, je devrais partir avant la fin de cette réunion.
En tant que représentant d’une association regroupant une grande partie des collectivités accueillant sur leur territoire des sites industriels classés Seveso seuil haut, je voudrais d’abord insister sur l’intérêt du dialogue entre élus locaux, industriels et services de l’État. Si nous sommes tous d’accord pour reconnaître l’importance de l’industrie chimique sur notre territoire et favoriser son développement, nous devons cependant veiller à tenir compte de la volonté de nos concitoyens à accéder à l’information. Les industriels doivent s’adapter à cette légitime aspiration en faisant en sorte de ne plus se tenir retranchés derrière des murs qui les coupent de leur environnement, mais d’engager le dialogue avec les communautés qui les entourent. Sur ce point, le rôle des élus locaux est important en ce qu’il permet de dissiper un certain nombre de fantasmes suscités par l’ignorance dans lesquels les citoyens sont parfois tenus. Il est important de maintenir un dialogue ouvert dans le temps, et surtout qui ne soit pas limité aux périodes suivant les accidents : il s’agit bien de développer une culture de la prévention des risques.
L’association AMARIS s’était particulièrement mobilisée après le vote de la loi de 2003 sur la prévention des risques technologiques et naturels. Avec le recul, il paraît plus important que jamais de ne pas légiférer sous le coup de l’émotion. La loi Bachelot a été faite après l’accident d’AZF, selon moi trop vite et sans que l’on mesure véritablement l’impact de ses effets – ce qui fait qu’elle entre tout juste dans sa phase d’application en 2016, treize ans après avoir été votée.
Si la loi a été si longue à mettre en œuvre, c’est en raison des impasses qu’elle faisait sur de nombreux sujets traités à la hâte. Premièrement, il était illusoire de penser que la protection des personnes habitant à proximité des sites industriels pouvait se limiter à la prise en charge de 15 % du montant des travaux à effectuer sur leurs habitations. Qui peut aujourd’hui trouver normal que des personnes soient obligées de procéder à des travaux en raison des risques représentés par la proximité site industriel, et que l’aide de la collectivité publique se limite dans ce cas à 15 % du montant des travaux ? Il a donc fallu faire évoluer la loi sur ce point, jusqu’à ce que ce taux atteigne aujourd’hui 40 %. Par ailleurs, le travail effectué par les industriels, notamment l’UIC et l’UFIP, en association avec l’Association des maires de France et par l’intermédiaire d’AMARIS, a permis que les industriels et les collectivités locales mettent également la main à la poche pour 25 % chacun, ce qui se traduit par une prise en charge globale de 90 % du montant des travaux – et il est permis d’espérer que les 10 % restants soient également pris en charge par une collectivité, sous une forme ou sous une autre. La disposition initiale va enfin devenir acceptable, donc applicable, mais il aura fallu une bonne dizaine d’années pour cela.
Un deuxième élément n’avait pas été pris en compte : le développement, à proximité des sites, d’activités économiques diverses, commerces ou PME. La loi prescrivait à ces entreprises la réalisation de travaux de protection analogues à ceux qu’elle imposait aux habitants. Or, le coût de ces travaux pouvait les condamner à une mort certaine dès lors qu’aucune aide n’avait été prévue. Nous avons longuement travaillé avec le Gouvernement afin de remédier à cette situation, et nous avons abouti à un texte qui rappelle aux chefs de ces entreprises la responsabilité qui leur incombe, au titre du droit du travail, d’assurer la sécurité de leurs salariés. Nous n’irons pas au-delà.
Enfin, dernier élément : les sites industriels occupent souvent des fonciers importants dont la loi empêchait le développement. Une circulaire ministérielle de 2014 permet désormais aux industriels d’accueillir sur leur site de nouvelles activités.
Mme Catherine Quéré, présidente. Nous en venons aux questions.
M. Jacques Kossowski. La filière de production de biogaz semble se développer peu à peu en France. Il s’agit, rappelons-le, de produire du gaz en plaçant certaines matières fermentescibles dans un méthaniseur, le méthane ainsi obtenu pouvant être utilisé notamment dans un réseau de gaz naturel, après épuration et mise aux normes par GRDF. Dans le secteur du bâtiment, certaines entreprises commencent à s’intéresser à cette technique. Ainsi, un groupe de construction envisage de mettre en service dans un immeuble, d’ici aux années 2025 ou 2030, une unité autonome de biogaz utilisant les rejets des résidents. Or, il semble que, d’un point de vue juridique, la sécurité d’un tel site relèverait de la réglementation ICPE-Seveso. Pensez-vous que ce type de projets puisse voir le jour à grande échelle en minimisant les risques pour les habitants et le voisinage ?
Mme Marie Le Vern. Je souhaiterais revenir sur les enjeux de la prévention des actes terroristes contre les sites Seveso. L’année 2015 a marqué, en la matière, une mobilisation très forte des pouvoirs publics et des industriels. L’État a ainsi réalisé un cycle d’inspections des 2 500 sites sensibles avec les services des DREAL. Les conclusions de la mission d’inspection interministérielle ont notamment permis de trouver un équilibre entre, d’une part, l’information légitimement délivrée aux riverains et au public sur la nature des produits et des matériaux hébergés sur ces sites et, d’autre part, la nécessité de ne pas rendre publics certains détails trop sensibles qui pourraient représenter une faille dans la prévention des actes terroristes.
Cette année, la ministre de l’environnement a donné l’instruction de procéder à une nouvelle vague d’inspection des sites. Que peut-on attendre de ces nouvelles inspections, quelques mois seulement après les précédentes ? Sur quels points particuliers porteront-elles ?
Les différents acteurs du secteur sont globalement satisfaits de l’ensemble de ces mises au point, sauf peut-être les associations de riverains. Pouvez-vous nous préciser quelle a été la nature du dialogue avec ces associations et la manière dont elles pourraient être mieux associées au cycle d’inspection à venir ?
M. Gérard Menuel. Le département de l’Aube accueille, outre la centrale nucléaire de Nogent, un site de stockage chimique en pleine campagne et, dans ma circonscription, les industriels, l’État et les riverains entretiennent de très bonnes relations. Néanmoins, les risques ont peut-être évolué depuis quelques années – je pense notamment à la sûreté. Toutes les mesures nécessaires sont-elles prises pour se prémunir contre d’éventuelles attaques, notamment de drones ?
Mme Marie-France Beaufils, sénatrice. Je rappelle que je suis maire d’une commune qui accueille plusieurs sites Seveso, pétroliers et gaziers. Je souhaite, quant à moi, que les riverains et les élus soient mieux associés à la définition du contenu de l’étude de danger. C’est ainsi, en effet, que nous avons procédé en matière de prévention du risque d’inondation – ma commune se situe également en zone inondable. Si nous n’avions pas permis aux habitants de s’approprier la connaissance du risque à travers les études de danger, nous n’aurions pas pu les convaincre de réaliser les travaux nécessaires pour protéger leurs habitations. Je souhaiterais donc savoir comment nous pourrions améliorer l’association des riverains à ces études. Par ailleurs, dans certains secteurs, les travaux ne suffiront pas à assurer leur sécurité ; il faut donc revoir cette question, en la traitant d’une manière différente.
M. Charles-Ange Ginesy. Si nos industries ne doivent pas être fragilisées, nous nous devons également de protéger nos concitoyens. Depuis la catastrophe de Seveso, en 1976, la réglementation a beaucoup évolué à cet égard. L’entreprise implantée à Carros, dans ma circonscription – Primagaz, pour ne pas la citer – se voit proposer aujourd’hui deux solutions : soit un déménagement, soit la réalisation des travaux nécessaires. Dès lors, se pose la question de savoir comment assurer le cofinancement de cette opération, sachant que France Domaine a évalué le coût foncier à plus de 15 millions d’euros.
Par ailleurs, les risques contre lesquels nous devons actuellement nous prémunir sont la foudre, les séismes, les inondations et la malveillance, laquelle comprend, selon moi, les actes terroristes. Je souhaiterais donc savoir quelles sont les mesures qui sont prises dans le cadre de l’état d’urgence concernant les sites classés Seveso. En tout état de cause, je me demande s’il ne conviendrait pas de disperser les risques sur le territoire plutôt que de les concentrer en quelques endroits qui constituent autant de cibles de choix ?
M. Guy Bailliart. Qu’en est-il de l’alimentation des sites Seveso en produits dangereux ? Les riverains concernés par le transport de ces produits sont très peu informés.
M. Yannick Favennec. Force est de constater que les mesures de sécurité et de vigilance n’ont pas empêché l’attentat perpétré sur le site d’Air Product à Saint-Quentin-Fallavier en juin 2015 ni l’incendie de deux cuves d’un site pétrochimique à Berre-l’Étang en juillet dernier. Face à des menaces terroristes toujours plus présentes, des mesures de sécurité supplémentaires sont-elles prévues, notamment pour empêcher l’intrusion de personnes malveillantes sur ces sites ? Ces installations, qui représentent des risques importants, sont-elles régulièrement inspectées et contrôlées ? Enfin, qu’en est-il, d’une part, des installations classées ICPE ne relevant de la directive Seveso et, d’autre part, du transport des matières dangereuses, qui peut également présenter des risques non négligeables ?
M. Jean-Pierre Vigier. Les réglementations européenne et française renforcent la sécurité et la prévention des accidents sur les sites Seveso. Mais les attentats commis sur des sites sensibles mettent en doute notre capacité d’assurer la sécurité des 1 171 sites classés Seveso en France. Depuis, se pose la question du contrôle des accès, des liaisons avec les forces de l’ordre et de la sécurisation matérielle. Pensez-vous que l’arsenal réglementaire et, surtout, son application sont suffisants pour prévenir des risques futurs ?
M. Yves Blein, président de l’AMARIS. L’histoire récente nous montre que les sites visés par les terroristes, dont je rappelle qu’ils cherchent à marquer l’opinion, ne sont pas forcément ceux que nous jugeons sensibles parce que dangereux. Cela ne signifie évidemment pas qu’il ne faut rien faire. Du reste, Ségolène Royal a publié une circulaire dans laquelle elle demande aux industriels de procéder à un nouvel audit de la protection de leurs sites et de prendre des mesures supplémentaires. Mais il est nécessaire que les élus locaux soient également vigilants : ils doivent apprendre à la population à acquérir les bons réflexes et disposer de moyens d’alerte adaptés afin de la protéger et de la mettre à l’abri rapidement. Ils peuvent notamment organiser régulièrement des exercices d’entraînement et profiter de la possibilité qui sera offerte, demain, aux collectivités de disposer de réserves civiles si ce type d’accidents survient.
M. Charles-Ange Ginesy a évoqué le coût important que représente l’éventuel déplacement d’un site de stockage de gaz. L’ordonnance du mois d’octobre dernier permet, lorsque des activités industrielles se trouvent dans une zone soumise à des mesures foncières, de faire évaluer les coûts respectifs des travaux de protection nécessaires – pour une installation de stockage de gaz, par exemple, l’enfouissement ou la construction d’une coque de béton – et de son expropriation et de son relogement, de façon à ce que le préfet puisse choisir la solution la plus appropriée. Il s’agit là, me semble-t-il, d’une avancée importante.
Enfin, faut-il répartir, diviser les risques ? Théoriquement, une telle logique peut paraître pertinente, mais elle est antagoniste avec la logique industrielle elle-même. En France, les plateformes industrielles sont, hélas ! d’une taille moindre que dans les autres pays européens. Aussi peut-on penser que, dans les années qui viennent, le rapprochement des activités ayant un lien logique de fabrication entre elles sera encouragé. Dans ma circonscription, au sud de Lyon, se trouvent une raffinerie et des industries chimiques et pétrochimiques qui utilisent des dérivés du pétrole. Ces différentes activités ont intérêt à se regrouper, notamment pour réduire la phase de transport des produits, qui est une véritable source de danger car, durant cette phase, les produits ne sont pas manipulés par des personnes averties.
M. Patrice Carvalho. Je souhaiterais compléter ma question. J’ai travaillé sur la question des risques liés aux drones, qui peuvent très bien être chargés en explosifs. Les services de l’État travaillent-ils sur ce risque ainsi que sur celui que représentent les châteaux d’eau, qui sont accessibles à n’importe qui et pourraient faire d’importants dégâts si l’on s’y attaquait ?
M. Julien Aubert. À propos des sites Seveso et de l’information des riverains, ne faudrait-il pas établir une hiérarchie des risques ? En d’autres termes, le fait que le risque d’attentats terroristes soit plus élevé ne devrait-il pas conduire à limiter la transparence à l’égard des riverains pour éviter que des informations sensibles ne tombent entre les mains de terroristes ? Peut-être faut-il faire un choix entre la nécessaire information des riverains et la protection de ces sites.
Ma seconde question a trait au département du Vaucluse, où sont implantés six sites Seveso en seuil haut et un site en seuil bas. Le futur gazoduc ERIDAN doit longer des centrales nucléaires, ce qui suscite les critiques des riverains. Ce type de projets ayant de plus en plus de mal à voir le jour en raison de l’opposition des populations concernées, faut-il faire évoluer la législation ?
M. Jacques Alain Bénisti. Je regrette que M. Yves Blein ait dû nous quitter, car je souhaitais lui répondre au sujet de la loi Bachelot. Je rappelle, en effet, que celle-ci prévoyait un certain nombre de financements destinés aux aménagements, mais que l’administration, hélas ! n’a pas suivi. Peut-être ne fallait-il pas, comme l’a dit M. Yves Blein, prendre de décisions immédiatement après le drame d’AZF, mais le texte avait tout prévu, qu’il s’agisse de l’indemnisation ou du financement de l’aménagement des sites.
Par ailleurs, l’an dernier, une table ronde a été organisée avec la ministre et des représentants de l’inspection et des exploitants, lors de laquelle un certain nombre de décisions ont été prises. Qu’en est-il de leur application ? Je pense en particulier à la surveillance extérieure des sites sensibles et au contrôle des allées et venues dans leur enceinte.
(Présidence de M. Christophe Bouillon, vice-président de la Commission)
M. Jean-Yves Caullet. On rapproche les risques industriels des risques naturels, dont certains, c’est vrai, ont un lien avec les premiers – je pense aux inondations par exemple. Mais, dans l’esprit de nos concitoyens, les deux types de risques sont bien distincts. On peut en effet accepter un risque naturel : une digue est forcément submergée un jour et, plus elle est haute, plus l’inondation est grave. La stratégie face à ce type de risques peut ainsi consister à admettre une sinistralité de faible ampleur mais suffisamment fréquente pour que la population soit préparée et entraînée à limiter les dégâts. Mais il en va tout autrement des risques industriels, car nos compatriotes ont du mal à admettre un risque lié à une activité humaine. Dès lors, comment entretenir la vigilance et assurer l’entraînement des populations sans pour autant cultiver la peur ?
M. Guillaume Chevrollier. Dans la période de menaces actuelle, il est évident que la question de la sécurité des installations Seveso est essentielle. Des décisions ont été prises pour améliorer la sécurité de ces sites : on sait que les points les plus sensibles sont le contrôle de l’accès des prestataires et sous-traitants ou la surveillance extérieure. Estimez-vous que les mesures prises dans ce domaine sont suffisantes ? Par ailleurs, la sécurité du transport des matières dangereuses – déchets nucléaires, produits chimiques – a-t-elle été renforcée ?
M. Patrick Weiten. L’extraction du charbon a cessé depuis plusieurs dizaines d’années, mais on en subit aujourd’hui certaines conséquences : affaissements miniers, remontée des eaux souterraines, dégradation du lit des cours d’eau, dont le niveau monte sans que les populations ou les habitations bénéficient de protections particulières. Ainsi, la valeur de l’immobilier se dégrade et les collectivités voient leur réseau routier s’affaisser. Lorsque les associations de défense des riverains s’expriment, on leur parle, non pas de plans de prévention des risques miniers, mais de plans de prévention des risques naturels. On considère ainsi que c’est la nature qui fait son œuvre, alors que, on le sait, ces phénomènes sont liés à l’activité humaine.
Il y a une dizaine d’années, une agence de prévention et de surveillance des risques miniers avait été créée mais elle n’a eu que trois ans d’existence puisque le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) lui a succédé afin de passer de l’action politique à l’action technique. Les riverains sont aujourd’hui orientés vers la voie judiciaire, mais il n’existe pas un socle juridique qui permette de qualifier ce risque de minier et d’industriel et non de naturel. Or, cela a des conséquences puisque, l’exploitant n’existant plus, c’est à l’État d’assumer une juste contribution de la collectivité publique à l’œuvre accomplie par des mineurs qui ont donné de leur vie à des moments importants de l’histoire de la France.
M. Sylvain Berrios. Lors de l’implantation d’un site, les différentes collectivités émettent un avis qui est souvent consultatif et fréquemment balayé d’un revers de main ; en tout cas, elles n’ont pas de retour des autorités qui délivrent les autorisations. Or, il est primordial de leur apporter une réponse complète, afin de rassurer les riverains. Par ailleurs, dans ma circonscription, qui accueille un port autonome comprenant plusieurs sites Seveso, les différents plans de prévention des risques, qu’ils concernent les inondations, le risque technologique ou même les incendies, ne sont pas consolidés. De fait, aucune autorité n’est en mesure de réclamer cette consolidation, puisque les autorisations sont délivrées par entité. Je souhaiterais donc savoir ce que vous pensez de la mise en œuvre d’études d’impact ou de plans de prévention des risques consolidés.
M. Julien Dive. Depuis les attentats de Charlie Hebdo, en janvier 2015, les sites industriels sensibles ont drastiquement renforcé leur sécurité. Parmi les 1 200 sites Seveso, la moitié appartient au secteur de la chimie. Je sais que l’UIC a demandé de façon prospective le retrait de toutes les informations relatives aux productions et aux stocks des usines du secteur de la chimie des différents sites internet publics, notamment les informations sur les stocks de produits dispersifs, explosifs ou les productions sensibles. Je souhaiterais donc savoir, monsieur Pelin, si vous avez pu obtenir satisfaction et où nous en sommes dans ce domaine.
L’autre enjeu en matière de sécurité réside dans le recrutement des personnels intervenant sur les différents sites Seveso. En effet, les employeurs n’ont aucun moyen légal de savoir si un candidat à l’embauche ou même un employé du site fait l’objet d’une fiche « S ». Quel concours la sécurité intérieure vous a-t-elle apporté pour combler ce manque d’information ? Sans doute est-il nécessaire que le législateur se penche sur ces aspects de la loi.
M. Nicolas Chantrenne. En ce qui concerne les PPRT, je confirme que les travaux de renforcement effectués chez les riverains sont financés à hauteur de 90 % par l’industriel, les collectivités et l’État. Quant aux expropriations et aux mesures dites supplémentaires qui permettent de réduire drastiquement le PPRT, telles que le déménagement du site – à condition que son coût soit inférieur à celui du PPRT ainsi évité –, elles sont financées à hauteur de 100 %. Le partage forfaitaire du financement se justifie par le fait que, selon la loi Bachelot, ni l’État, ni les collectivités, ni les habitants, ni l’industriel ne sont, à eux seuls, responsables de situations héritées d’une cohabitation insatisfaisante entre les industriels et leur environnement.
Par ailleurs, la notion de plateforme industrielle a été prise en compte dans une circulaire ministérielle de 2013, qui a permis de créer des PPRT regroupant diverses industries au sein d’une même plateforme afin que les risques pour la sécurité des riverains puissent être pris en compte globalement. Il n’en demeure pas moins que, d’un point de vue juridique, chaque industriel a la responsabilité de son site, d’où la nécessité d’études de danger individuelles, même si elles sont consolidées au moment de l’élaboration du PPRT.
La question de PPRT éventuellement obsolètes a été soulevée. Depuis l’ordonnance d’octobre dernier, un nouveau dispositif de révision de ces plans a été mis en place. Il est ainsi prévu de procéder à une révision simplifiée notamment lorsque le PPRT doit être revu à la baisse, par exemple dans le cas de la reconversion d’un site et de l’adoption de nouveaux procédés diminuant les risques. Cette procédure sera beaucoup plus facile et rapide à mettre en œuvre que le processus d’élaboration complet.
En ce qui concerne le récent épisode de crue, je confirme que le ministère n’a pas identifié de sites Seveso sur lesquels ces inondations auraient eu un impact. Dans de telles circonstances, nous veillons à ce que les industriels assument pleinement leurs responsabilités en mettant en sécurité les substances dangereuses avant l’arrivée de la crue, ce qu’ils ont fait, c’est à souligner, de manière satisfaisante.
S’agissant de la sûreté des sites Seveso, Ségolène Royal a en effet organisé, l’été dernier, une table ronde réunissant l’ensemble des industriels et des acteurs concernés pour établir une feuille de route sur ce sujet. Un certain nombre d’actions ont d’ores et déjà été entreprises, parmi lesquelles une grande campagne d’inspection destinée à vérifier l’état de protection de ces sites contre les menaces d’intrusion. Un certain nombre d’entre eux fera l’objet d’une nouvelle visite cette année, afin de faire un point d’étape sur les améliorations qui s’imposaient. Je tiens cependant à préciser que nous n’attendons pas des industriels qu’ils annihilent entièrement la menace. La sûreté d’un site Seveso s’inscrit dans une démarche amont, incluant le renseignement, et une démarche aval, qui comprend la lutte opérationnelle contre d’éventuelles agressions et dans laquelle interviennent les forces de l’ordre et l’industriel. Dans ce dispositif, le rôle de ce dernier – et l’administration veille à ce qu’il l’assume sur le terrain – est de détecter l’intrusion, de la ralentir et de la signaler aux forces de l’ordre pour que celles-ci puissent intervenir en temps utile.
Le bilan des inspections est globalement satisfaisant dans la mesure où aucune situation particulièrement préoccupante n’a été constatée sur le terrain. Les points qui ont été examinés sont les suivants : contrôles d’accès, clôturage, surveillance.
Enfin, il a été décidé, dans le cadre de la feuille de route, de charger une mission interministérielle de définir une doctrine en matière d’information du public. Dans ses conclusions, elle recommande d’adopter une approche proportionnée à la sensibilité des informations. Ainsi certaines d’entre elles, qui étaient jusque-là largement rendues publiques, n’ont plus forcément vocation à l’être à l’avenir – le décret évoqué par M. Jacques Krabal apporte une première correction dans ce domaine. Pour autant, la concertation avec les riverains doit demeurer opérationnelle et, dans certaines enceintes, comme les commissions de suivi de site, il restera possible d’avoir des échanges d’informations plus précis, y compris sur des éléments qui ne seront plus publiés sur internet.
M. Sylvestre Puech, responsable de la Coordination nationale des associations riveraines de sites Seveso. En ce qui concerne la sûreté des installations, toutes les informations ont disparu du jour au lendemain des sites internet, et les Personnes et organismes associés (POA) doivent, pour y avoir accès, en faire la demande à la DREAL. Or, dans les faits, pour obtenir quelque chose, il faut faire de multiples demandes. Je vais vous citer un exemple. Pour le site de Lavera, qui compte onze usines Seveso, il a fallu que l’on renouvelle plusieurs fois nos demandes d’information pour pouvoir réfléchir aux études de danger qui sont en cours. C’est tout à fait anormal !
Par ailleurs, le financement des travaux serait assuré, dit-on, à 100 %. Je ne suis pas tout à fait d’accord, car il s’agit d’un crédit d’impôt. Le riverain doit donc faire l’avance des frais, qui lui seront remboursés l’année suivante. Or, il n’a pas toujours les moyens de régler les factures, et il n’y tient donc pas du tout.
M. Michel Le Cler. On dit en effet que le coût des travaux serait pris en charge à 90 %, les 10 % restants devant être réglés par les riverains mais dans la limite, je le précise, de 10 % de la valeur vénale de l’habitation ou de 20 000 euros. Or, on s’aperçoit, lors de la réalisation des diagnostics, que le coût des travaux prescrits est tel que la somme à la charge des riverains dépasse ces 10 %. Je peux le démontrer en vous citant un document qui nous a été remis par une famille dongeoise. Son habitat est considéré comme vulnérable et nécessite des mesures de renforcement. Or, la valeur vénale du bien est fixée à 200 000 euros et le coût total des travaux est estimé à 30 000 euros, sachant que la reprise de décorations notamment est à la charge du riverain. S’ajoutent à cela les recommandations spécifiques concernant notamment le renforcement des équipements lourds, tels que les chaudières ou les ballons d’eau chaude. En outre, s’il est nécessaire de percer un mur, qui peut contenir de l’amiante, une étude doit être réalisée qui est à la charge du riverain. Le coût effectif est donc bien plus important que celui qui est annoncé.
M. Yves Blein a affirmé qu’il ne fallait pas légiférer sous le coup de l’émotion ; il y a longtemps que nous le disons et il aurait été bien inspiré de nous entendre.
Les travaux prescrits protègent-ils les riverains ? Nous, nous considérons qu’ils ne les protègent pas. De fait, ce n’est pas parce que l’on renforcera ses fenêtres qu’un riverain sera en sécurité : il peut se trouver dans son jardin, dans la rue… La mise en sécurité est donc des plus fragiles. C’est ce que nous sommes venus vous dire ce matin, à vous qui êtes élus. Nous vous demandons d’être sensibles à ces questions, car les 30 000 personnes environ qui sont concernées par les travaux prescrits risquent de rencontrer demain de multiples difficultés.
Quant au transport des matières dangereuses, comment se fait-il que celles-ci soient considérées comme dangereuses à l’intérieur de l’établissement et pas sur la route ? À Donges, par exemple, les camions qui les transportent traversent carrément la commune ! L’un de ces produits, l’acide fluorhydrique, est extrêmement dangereux ; or, il vient d’Italie par la route, sans qu’aucune précaution particulière ne soit prise. Enfin, dans ma commune, la voie ferrée qui traversait la raffinerie va être détournée, ce dont nous nous en félicitons car les riverains demandaient cette déviation depuis des années. Mais elle va être réimplantée – sans concertation aucune avec les riverains – en zone PPRT. C’est incompréhensible !
Mme Isabelle Muller. Tout d’abord, je précise que, pour l’UFIP et ses adhérents, la sécurité est une valeur primordiale de l’exploitation. Du reste, la plupart de nos entreprises sont des références dans ce domaine. Ainsi, en cas de mouvement social et en l’absence du personnel nécessaire pour assurer la sécurité, les installations sont arrêtées. C’est l’une des raisons pour lesquelles les arrêts ont été si nombreux lors du récent mouvement social.
Ensuite, je tiens à indiquer que le coût d’un PPRT – dont je rappelle qu’il relève d’une réglementation strictement française, qui ne s’applique donc pas à nos concurrents européens – s’élève entre 50 et 100 millions d’euros par site. Quant aux mesures d’accompagnement, qu’il s’agisse de mesures foncières ou de travaux, leur coût sera pris en charge à hauteur, soit de 33 %, soit de 25 %, par l’industriel, qui supporte ces contraintes supplémentaires au bénéfice des riverains et du maintien de l’activité industrielle.
S’agissant de la sûreté, il nous paraît extrêmement important de rappeler que les réglementations sont tout à fait appropriées, ainsi que les audits l’ont démontré. Il peut exister, dans certains cas, des écarts dans leur application, mais tout cela est précisément contrôlé par les DREAL dans les régions. En tout état de cause, il est apparu que le risque était essentiellement humain. Dès lors, deux mesures, sur lesquelles nous travaillons déjà avec la DGPR, nous paraissent indispensables : le contrôle des accès par le criblage des personnes et la maîtrise de la connaissance des risques que présentent les sites. L’information accessible au public doit en effet être contrôlée : personne ne sait les idées que la connaissance de ces risques pourrait donner à des individus malveillants. L’administration va nous aider pour le recrutement et le contrôle des personnes. Il est envisageable que des mesures législatives particulières soient proposées dans ce cadre, comme on l’a vu récemment pour les événements sportifs, par exemple, mais cela est de votre ressort.
Enfin, la question de la perception des risques industriels par la population est très importante. Nos activités s’exercent dans un cadre humain, économique et social auquel nous portons une grande attention dans le cadre des organismes de concertation, notamment les comités de suivi de site. L’information des riverains nous paraît en effet très importante ; nous consacrons beaucoup de temps et d’énergie à cette concertation, y compris avec les pouvoirs publics – et je salue la manière dont elle a lieu avec la DGPR et les DREAL au niveau local.
En conclusion, je tiens à rappeler que toute nouvelle mesure législative ou réglementaire doit être prise en concertation très étroite avec les industriels, pour que l’on puisse s’assurer qu’elle sera rapidement applicable et ne produira pas d’effets néfastes.
M. Jean Pelin. Ma réponse s’articulera autour de quatre axes : la sûreté, les transports, l’externalisation et le développement industriel.
S’agissant de la sûreté, j’ajouterai à ce qui a déjà été dit qu’en complément du criblage, qui relève de la législation du travail – et non de la réglementation Seveso ou de la sûreté –, nous avons décidé de limiter, dans tous les sites chimiques, l’accès à certaines zones. Bien entendu, ce n’est jamais parfait, mais des efforts considérables ont été faits dans ce domaine. Par ailleurs, l’accessibilité de l’information est un véritable défi. On ne peut pas en effet tout publier sur internet – les produits, l’endroit où ils sont stockés, leur nature explosive ou dispersive – sans risquer de donner des informations à un terroriste. Il faut donc trouver un équilibre. C’est pourquoi nous avons demandé que ces éléments soient retirés des sites internet, dans le cadre d’une concertation et en nous efforçant de globaliser les informations.
S’agissant du transport des produits chimiques, la question est pertinente car celui-ci se fait à 85 % par la route. Nous souhaitons donc que se développe le fret ferroviaire, dont vous connaissez comme moi les difficultés. Il s’agit donc d’un véritable défi, mais, à l’évidence, les produits sont plus sécurisés sur des trains.
Par ailleurs, je précise que toutes les entreprises extérieures intervenant sur des sites industriels Seveso seuil haut, que ce soit pour de la maintenance, des travaux ou de la comptabilité, sous soumises à une procédure d’habilitation.
Enfin, on constate que, depuis la loi de 2003, pas un seul nouveau site Seveso ne s’est ouvert en France. Or, la production de ce secteur est amenée à doubler au niveau mondial entre 2015 et 2035. Nous militons, bien entendu, pour que ce développement de l’industrie chimique se fasse, sinon en France, du moins en Europe. Du reste, le souhait d’une grande majorité des Français est que la part de l’industrie dans le PIB, qui est de 12 %, soit portée au moins à 15 % ou 18 %. Aussi souhaitons-nous que se développent les plateformes chimiques ; nous en avons identifié une vingtaine dans notre pays. Je rappelle que la plateforme chimique la plus importante en France occupe 1 500 personnes, la plus importante d’Allemagne 25 000 personnes…
M. Christophe Bouillon, président. Madame, messieurs, je vous remercie pour la qualité de vos contributions et l’exhaustivité de vos réponses, que vous pourrez compléter par écrit, si vous le souhaitez. Vos interventions nous seront d’une grande aide dans l’amélioration des dispositifs législatifs en la matière.
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Informations relatives à la commission
Mme Catherine Quéré, présidente. Mes chers collègues, je vous propose de procéder à la nomination d’un rapporteur sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, précisant les modalités de création d’une installation de stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue.
J’ai reçu la candidature de M. Christophe Bouillon, du groupe socialiste, écologiste et républicain.
En l’absence d’opposition, M. Christophe Bouillon est nommé rapporteur de la proposition de loi.
Mme Catherine Quéré, présidente. J’indique que le Gouvernement envisage d’inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour de la session extraordinaire de juillet. Nous pourrions donc être amenés à l’examiner très rapidement.
La commission a nommé M. Christophe Bouillon, rapporteur sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, précisant les modalités de création d'une installation de stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue (n° 3755).
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Membres présents ou excusés
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire
Réunion du mercredi 15 juin 2016 à 9 h 30
Présents. - Mme Laurence Abeille, Mme Sylviane Alaux, M. Yves Albarello, M. Julien Aubert, M. Guy Bailliart, Mme Catherine Beaubatie, M. Jacques Alain Bénisti, M. Sylvain Berrios, Mme Chantal Berthelot, M. Florent Boudié, M. Christophe Bouillon, Mme Marine Brenier, M. Jean-Louis Bricout, Mme Sabine Buis, M. Alain Calmette, M. Yann Capet, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Yves Caullet, M. Luc Chatel, M. Guillaume Chevrollier, M. Stéphane Demilly, M. Julien Dive, M. David Douillet, Mme Françoise Dubois, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, Mme Geneviève Gaillard, M. Alain Gest, M. Charles-Ange Ginesy, M. Jacques Kossowski, M. Jacques Krabal, Mme Valérie Lacroute, M. Alain Leboeuf, Mme Viviane Le Dissez, M. Michel Lesage, Mme Marie Le Vern, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Philippe Martin, M. Gérard Menuel, M. Yves Nicolin, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, Mme Sophie Rohfritsch, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, Mme Suzanne Tallard, M. Jean-Pierre Vigier, M. Patrick Weiten
Excusés. - M. Vincent Burroni, Mme Florence Delaunay, M. Christian Jacob, M. Patrick Lebreton, M. Franck Marlin, M. Napole Polutélé, M. Martial Saddier, M. Thomas Thévenoud
Assistaient également à la réunion. - Mme Marie-France Beaufils (sénatrice), M. Yves Blein, M. Dino Cinieri, M. Paul Salen, M. Alain Suguenot, M. Lionel Tardy