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Mercredi 22 février 2017

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 34

Présidence de
M. Jean-Paul Chanteguet, Président

– Audition de M. Dominique Minière, directeur exécutif groupe de la direction du parc nucléaire et thermique d’EDF, suite à la publication du rapport de la mission d’information sur la faisabilité technique et financière du démantèlement des installations nucléaires de base (Mme Barbara Romagnan, rapporteure).

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Dominique Minière, directeur exécutif groupe de la direction du parc nucléaire et thermique d’EDF, suite à la publication du rapport de la mission d’information sur la faisabilité technique et financière du démantèlement des installations nucléaires de base (Mme Barbara Romagnan, rapporteure).

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Nous recevons à présent M. Dominique Minière, directeur exécutif du parc nucléaire et thermique d’EDF, accompagné par M. Bertrand Le Thiec, directeur des affaires publiques, M. Sylvain Granger, directeur des projets de déconstruction et déchets, et Mme Isabelle Triquera-Gonbeau, directrice comptable.

Lors de l’examen du rapport de la mission d’information sur la faisabilité technique et financière du démantèlement des installations nucléaires de base, dont Mme Barbara Romagnan était rapporteure et M. Julien Aubert président, plusieurs d’entre vous ont souhaité connaître les réactions de l’entreprise EDF et de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) au constat dressé et aux inquiétudes exprimées. Je suis donc heureux d’accueillir M. Dominique Minière, à qui je donne sans plus tarder la parole.

M. Dominique Minière, directeur exécutif groupe de la direction du parc nucléaire et thermique d’EDF. Je tiens tout d’abord à vous remercier de donner à l’entreprise EDF l’opportunité de s’exprimer devant vous suite à la publication récente du rapport de la mission d’information sur la faisabilité technique et financière des infrastructures nucléaires.

Au sein du comité exécutif d’EDF, je suis en charge de la production nucléaire et thermique, et ce périmètre de responsabilité comprend le démantèlement de nos centrales ainsi que la gestion de nos déchets radioactifs car, pour inscrire durablement le nucléaire dans un mix énergétique bas carbone, nous voulons être un producteur responsable non seulement de ses installations mais aussi de leur cycle de vie.

Je serai assisté pour cette audition par Sylvain Granger, qui est, dans ma direction, le responsable du démantèlement et de la gestion des déchets radioactifs, et par Isabelle Triquera-Gonbeau, responsable à la direction financière d’EDF de la comptabilité et de la fiscalité du groupe.

Dans cet exposé liminaire, je souhaite faire quelques remarques et commentaires sur les conclusions principales du rapport telles qu’elles vous ont été présentées par Mme Barbara Romagnan le 1er février dernier. J’évoquerai les quatre principaux points abordés, à savoir la faisabilité technique du démantèlement des centrales nucléaires, la mutualisation et les effets de série à l’échelle d’un parc de production, les hypothèses d’évaluation de nos provisions, critiquées dans le rapport, enfin la durée des opérations de démantèlement.

Premier point : la faisabilité technique du démantèlement des centrales nucléaires. Nous avons aujourd’hui neuf centrales en cours de démantèlement, correspondant à quatre technologies de réacteur très différentes. Il y a un réacteur à eau pressurisée dans la centrale de Chooz. Ce réacteur est de même technologie que les cinquante-huit réacteurs du parc actuellement en fonctionnement et son démantèlement nous permet d’acquérir un retour d’expérience précieux pour le démantèlement futur du parc. Il y a par ailleurs six réacteurs de la filière Uranium Naturel Graphite Gaz (UNGG), à Chinon pour trois d’entre eux, à Saint-Laurent-des-Eaux pour deux autres, et à Bugey pour le dernier, un réacteur à eau lourde à Brennilis, et un réacteur au sodium, Superphénix, à Creys-Malville.

Concernant les réacteurs à eau sous pression, la faisabilité technique est d’ores et déjà acquise. Comme l’a indiqué Mme Barbara Romagnan lors de la présentation du rapport, le démantèlement à Chooz est « presque terminé » et des démantèlements de réacteurs à eau sous pression sont déjà achevés aux États-Unis. Nous disposons d’un retour d’expérience significatif, directement transposable au parc de cinquante-huit réacteurs en fonctionnement, et l’enjeu n’est plus la faisabilité mais l’optimisation des opérations. C’est un point fondamental car le véritable enjeu industriel et financier qui est devant nous et préoccupe à juste titre nos concitoyens est bien celui du démantèlement futur des centrales actuellement en exploitation, qui sont toutes des centrales à eau pressurisée.

Concernant les autres technologies de réacteur, si nous sommes convaincus que la faisabilité technique est à notre portée, personne dans le monde n’a encore mené à terme le démantèlement complet d’un réacteur de puissance, même si, pour ce qui nous concerne, nous avons franchi des étapes importantes et levé de nombreux verrous technologiques en développant des technologies innovantes. Par exemple, à Creys-Malville, nous sommes les premiers à avoir développé, avec le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et Areva, un procédé de traitement original permettant de rendre le sodium inerte et donc sans risque d’inflammation ou d’explosion au contact de l’eau ou de l’air humide. Nous avons ainsi pu vider la cuve des 6 000 tonnes de sodium liquide qu’elle contenait.

Je voudrais conclure ce point de la faisabilité technique en mentionnant que, même si sur ces technologies de réacteur, graphite, eau lourde et sodium, nous avons encore des défis à relever, nous sommes malgré tout, à EDF, les plus en avance dans le monde sur ce type d’opérations et nous avons d’ores et déjà acquis une expérience précieuse qui pourra être valorisée à l’international. Ce sont vingt réacteurs au graphite, par exemple, qui sont actuellement arrêtés dans le monde et en attente de démantèlement.

Deuxième point : la mutualisation et les effets de série à l’échelle d’un parc de production. Même si la faisabilité du démantèlement d’un réacteur à eau pressurisée ne fait pas de doute, le rapport indique que nous n’avons pas encore démantelé un parc entier – c’est vrai – et s’interroge sur les effets de mutualisation et de série que nous avons pris en compte dans notre évaluation technico-économique du démantèlement futur du parc actuellement en fonctionnement.

Les effets de mutualisation et de série que nous avons considérés sont des effets très « mécaniques » et ils n’ont strictement rien à voir avec une hypothèse sur l’évolution de la productivité de nos ingénieurs ou de nos sous-traitants, qui sera réelle mais que nous n’avons pas prise en compte.

Par exemple, lorsque, sur un site, vous avez deux réacteurs et non un réacteur isolé, ces deux réacteurs partagent des bâtiments et des équipements qu’il n’y a donc pas à démanteler deux fois. C’est pour cela que, structurellement, le démantèlement d’une paire de réacteurs sur un même site coûte moins cher que le démantèlement de deux réacteurs isolés sur deux sites différents. Or, en France, à la différence de quasiment tous les autres pays, nous n’avons pas de réacteurs isolés mais des sites avec deux, quatre et même, dans le cas de Gravelines, six réacteurs.

De même, certains coûts ne sont pas accrus si l’on démantèle deux réacteurs ou quatre réacteurs sur un même site. C’est le cas de beaucoup de coûts de surveillance et de maintien du site en conditions opérationnelles sûres. Le traitement des déchets dans des installations centralisées, par exemple pour la découpe des grands composants, est par ailleurs moins onéreux que la multiplication des installations de traitement sur les chantiers de démantèlement.

Les effets de série, que je distingue des effets de mutualisation, sont quant à eux essentiellement de deux natures différentes. Un premier effet provient du fait que, pour un parc de même technologie – c’est le gros avantage de notre parc actuellement en exploitation –, une large part des études ne doit pas être refaite à chaque fois. Un second effet provient du fait que, sur un parc de même technologie, les robots et les outillages peuvent être très largement réutilisés d’un chantier à l’autre.

De tels effets de série ne sont pas neufs. Ce sont exactement les mêmes que ceux que nous avons eus lors de la construction du parc, que ce soit en termes d’études – nous avons réalisé un rapport de sûreté pour trente-quatre réacteurs de 900 mégawatts, ce qui n’est pas la même chose que de réaliser trente-quatre rapports différents – ou encore d’usines de fabrication de composants, ce qui explique que notre parc nucléaire est plus rentable que des parcs morcelés.

L’évaluation des effets de mutualisation et de série a fait l’objet de deux contrôles indépendants dans le cadre de missions plus larges : l’un par les auditeurs commandités par le ministère en charge de l’énergie en 2015 pour contrôler notre évaluation du coût du démantèlement futur du parc en fonctionnement, et l’autre par les commissaires aux comptes d’EDF à la demande d’EDF en 2016, dans le cadre d’une mission spécifique complémentaire à la certification des comptes, suite au travail de mise à jour et d’approfondissement du devis de démantèlement que nous avons conduit en 2016.

Dans les deux cas, les auditeurs ont considéré les évaluations d’EDF comme appropriées, voire prudentes. Les auditeurs commandités par le ministère ont en particulier bien noté que nous ne valorisions pas d’effet d’apprentissage ou de productivité. Ils ont estimé, sur la base du retour d’expérience industriel, que la prise en compte de cet effet pourrait réduire les coûts de l’ordre de 20 %. Cet effet est bien réel mais nous ne l’avons pas pris en considération. C’est un élément qui sécurise le devis que nous avons présenté.

Troisième point : les hypothèses d’évaluation de nos provisions, critiquées par le rapport de la Commission, qui semble considérer que certaines charges ne sont pas provisionnées et que certaines hypothèses sont optimistes. Les charges non provisionnées seraient les taxes et assurances, l’évacuation du combustible usagé et la remise en état des sols. L’évacuation du combustible usagé et la remise en état des sols sont bien intégrées dans nos provisions au 31 décembre 2016 ; nous venons de les revoir, à l’occasion de l’exercice de présentation de nos résultats. En revanche, pour les taxes et assurances, nous suivons, en accord avec nos commissaires aux comptes, l’avis du Conseil national de la comptabilité, qui considère que les coûts à provisionner sont les coûts directement attribuables aux opérations de démantèlement : les taxes et assurances n’entrent pas dans ces coûts.

Les hypothèses optimistes seraient, en plus de la question des effets de mutualisation et de série évoquée précédemment, tout d’abord le fait de considérer qu’un réacteur serait en construction en parallèle du démantèlement d’un autre réacteur sur un même site : cette hypothèse n’est pas retenue dans nos évaluations inscrites dans nos comptes au 31 décembre 2016.

Il y aurait ensuite la non-prise en compte des impacts de Fukushima sur les réacteurs en démantèlement : l’analyse a été conduite, elle ne conduit pas à des impacts significatifs et en tout état de cause ils sont pris en compte dans le chiffrage de nos provisions.

De même, le taux d’actualisation serait présenté comme élevé. Le taux d’actualisation retenu dans nos comptes au 31 décembre 2016 est de 4,2 %. Il se trouve inférieur au taux plafond calculé conformément aux règles fixées par l’État – 4,3 % au 31 décembre 2016 – et surtout se situe très en dessous de la rentabilité sur dix ans de nos actifs dédiés destinés à financer le démantèlement, d’environ 6 %. Il convient à cet égard de rappeler qu’EDF, conformément aux textes en vigueur, a réservé à fin 2016 des actifs destinés au financement du démantèlement des centrales et des déchets radioactifs, pour un montant de plus de 25 milliards d’euros.

Enfin, pour les mêmes raisons que les taxes et assurances, le coût social n’a pas à être provisionné, d’autant que, dans le cas d’EDF, sa matérialité n’est pas démontrée.

Je voudrais juste ajouter, pour conclure sur ce point, que ces sujets ont été regardés de près par les auditeurs mandatés par le ministère en charge de l’énergie en 2015 et par les commissaires aux comptes d’EDF dans le cadre de leur mission de certification des comptes du groupe.

Les auditeurs mandatés par le ministère avaient identifié la non-prise en compte de certaines charges d’évacuation du combustible usé et de la remise en état des sols. A contrario, ils avaient aussi pointé d’autres sujets où ils considéraient que le niveau de prudence pris par EDF pouvait être reconsidéré à la baisse. Ils ont conclu que, globalement, l’évaluation d’EDF était prudente et ont émis des recommandations pour améliorer la qualité de notre estimation. Ces recommandations, dont l’intégration de l’évacuation du combustible usé et de la remise en état des sols dans notre évaluation, ont été prises en compte en 2016 et contrôlées par nos commissaires aux comptes. Au total, elles n’ont pas donné lieu à une évolution significative de la provision.

Quatrième point : la durée des opérations de démantèlement. Le rapport conclut que le démantèlement prendra plus de temps que prévu. Citant Brennilis, le rapport titre : « Dix-huit ans d’exploitation, quarante-sept ans de démantèlement ». C’est une vision inexacte de la réalité qui ne tient pas compte de l’évolution de stratégie proposée par EDF à l’ASN début 2000 et désormais inscrite dans la loi française depuis 2006.

Lorsque la centrale de Brennilis a arrêté de produire en 1985, les opérations de mise à l’arrêt définitif et d’évacuation du combustible ont d’abord démarré. En 1996, un premier décret a autorisé des opérations de démantèlement essentiellement dans les parties non nucléaires. Une étude prescrite par ce décret prévoyait une attente de quarante ans avant d’engager le démantèlement nucléaire à proprement parler, soit pas avant 2036.

Ceci n’est pas choquant si l’on se rappelle qu’avant les années 2000, la stratégie de référence au niveau international était une attente pour décroissance radioactive afin de simplifier les opérations ultérieures, notamment pour réduire les enjeux de radioprotection du personnel assurant la déconstruction. C’est au début des années 2000 qu’EDF, qui avait repris au CEA la responsabilité du site de Brennilis, a proposé à l’ASN d’engager sans plus attendre les opérations de démantèlement nucléaire, en considérant que l’avancée des technologies le permettait.

Le décret autorisant le démantèlement des installations et équipements nucléaires en dehors du réacteur a été obtenu en 2011 et les dernières opérations devraient s’achever au plus tard en 2018. Le démantèlement du réacteur lui-même est encore soumis à l’obtention d’un nouveau décret et EDF envisage la fin du démantèlement en 2032, soit quatre ans avant le début des opérations prévu dans le premier décret de 1996. Ainsi, la durée effective de démantèlement de Brennilis sera de l’ordre de vingt ans, et non de quarante-sept ans.

De même, à Chooz, le démantèlement du premier réacteur à eau pressurisée française, très important pour nous car c’est ce démantèlement qui nous donnera la visibilité quant à la déconstruction de notre parc, a été autorisé par décret en 2007, alors que le réacteur a été arrêté en 1993. Les opérations de démantèlement, très avancées, devraient s’achever en 2022, soit quinze ans après leur autorisation. C’est cette durée qu’EDF retient de manière prudente pour le démantèlement des réacteurs à eau sous pression, même si le retour d’expérience des États-Unis permet d’espérer une optimisation du calendrier.

J’en viens à présent à l’UNGG, sujet qui a fait couler beaucoup d’encre. Avec le nouveau scénario industriel de démantèlement sous air, le premier réacteur UNGG devrait être démantelé environ cinquante ans après son autorisation. Il faut noter qu’un réacteur UNGG contient, en masse, environ vingt fois plus d’équipements et matériels qu’un réacteur à eau sous pression, sans compter la difficulté particulière de gestion du graphite. Ceci explique la différence importante de durée de démantèlement entre ces deux technologies. Malgré cela, EDF sera le premier opérateur à démanteler un réacteur de puissance au graphite.

Pour résumer, il est important d’avoir présents à l’esprit les points suivants. Lorsque les centrales en cours de démantèlement ont été définitivement arrêtées, la stratégie industrielle de référence était un démantèlement différé et, au début des années 2000, EDF a proposé de faire évoluer cette stratégie vers un démantèlement immédiat, stratégie qui est depuis 2006 inscrite dans la loi française. La durée de démantèlement dépend de la technologie des réacteurs qui influe significativement sur la complexité et donc le temps et le coût des opérations de démantèlement. Pour un réacteur à eau sous pression, une durée de l’ordre de quinze ans peut être considérée comme prudente au regard du retour d’expérience, et c’est la durée que nous retenons.

La faisabilité technique du démantèlement des réacteurs à eau sous pression est acquise et le retour d’expérience existant permet de faire une évaluation robuste du coût du démantèlement futur du parc nucléaire actuellement en fonctionnement.

Les spécificités techniques et organisationnelles du parc français, essentiellement une structure de sites avec a minima deux réacteurs au lieu de sites avec un réacteur isolé, un parc très standardisé techniquement et le fait d’avoir un responsable global des opérations de démantèlement qui puisse exploiter les effets de série sur l’ingénierie, les robots, les outillages et les déchets, expliquent le coût moyen plus faible du démantèlement du parc français par rapport aux coûts internationaux présentés pour un réacteur isolé. L’audit commandité en 2015 par le ministère en charge de l’énergie a regardé très précisément la comparaison internationale. Il a souligné que la comparaison immédiate des chiffres publics conduisait à des conclusions erronées à cause des différences de périmètre, par exemple liées à l’intégration de la gestion des déchets ou du combustible usé au sein de la provision pour démantèlement alors qu’EDF les traite dans des catégories spécifiques. Nous regrettons que la mission n’ait pas tenu compte de ce travail dans son rapport et ait comparé des chiffres correspondant à des objets et à des périmètres différents. En effet, après un examen détaillé des données internationales, l’audit a conclu que l’évaluation d’EDF se situait, je cite, « à périmètre comparable, au-dessus du retour d’expérience et des estimations internationales ».

Plus généralement, je souhaite rappeler que les provisions d’EDF sont très encadrées par la loi et la réglementation qui, depuis 2006, fixent la manière dont ces provisions doivent être établies et encadre le contrôle de ces évaluations ainsi que leur sécurisation financière par des actifs dédiés. La loi et la réglementation prévoient que le ministère en charge de l’énergie, en l’occurrence la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), agit en tant qu’autorité administrative et assure le contrôle des provisions et actifs dédiés d’EDF. Par ailleurs, la Cour des comptes, dans le cadre de ses missions plus générales, assure également un contrôle de ces éléments.

Nous adressons tous les trois ans un rapport sur nos provisions et actifs dédiés à la DGEC et annuellement une note d’actualisation. La DGEC communique ces éléments à l’ASN pour recueillir son avis dans son périmètre de responsabilité. Elle contrôle les éléments qui lui sont fournis, a toute latitude pour demander des compléments d’information ou commanditer un audit sur un sujet particulier. C’est ce qu’elle a fait en 2015, suivant une recommandation de la Cour des comptes, en mandatant deux cabinets indépendants pour auditer l’évaluation du coût et de la provision d’EDF concernant le démantèlement futur du parc actuellement en fonctionnement. À l’issue d’un travail très détaillé qui a duré plus d’une année, l’audit a conclu que les provisions d’EDF étaient globalement prudentes.

Je cite les termes du rapport d’audit. En page 33 : « Sur la base des diligences qu’il a menées, le groupement considère que la prudence du devis Dampierre 09 et le niveau d’aléas retenus ne justifient pas de provision supplémentaire. » Et dans la conclusion : « Ce devis est prudent tant du point de vue des postes de coûts que du planning qui le sous-tendent. » On peut regretter que ces éléments majeurs n’aient pas été pris en compte, ni même mentionnés, dans le rapport de la mission d’information.

La confiance que nous pouvons avoir dans nos provisions dédiées au démantèlement futur du parc nucléaire actuel est essentielle puisqu’elle représente 10,9 milliards d’euros et plus des trois quarts des provisions que nous consacrons au démantèlement de nos installations.

Je voudrais conclure en rappelant que le démantèlement est aussi un marché d’avenir à l’international. Aujourd’hui, environ cent réacteurs de puissance ont été définitivement arrêtés et le démantèlement est engagé pour environ la moitié d’entre eux. Dans les quinze prochaines années, des études estiment qu’environ deux cents nouveaux réacteurs pourraient être arrêtés et entrer en phase de démantèlement dans le monde. Le marché du démantèlement est donc un marché en émergence mais appelé à une forte croissance dans les quinze prochaines années, même si la dynamique de son développement reste pour le moment incertaine. L’expérience acquise par EDF ces dix dernières années dans des projets de démantèlement de réacteurs de quatre technologies différentes, dont celle des réacteurs à eau sous pression, la plus répandue dans le monde, représente un avantage comparatif qui doit nous permettre d’entrer favorablement dans la compétition internationale sur ce nouveau marché en emmenant avec nous, comme nous l’avons fait au moment de la construction des réacteurs, tous nos partenaires industriels. Mais c’est aussi un enjeu politique. Pour contribuer au développement à l’international d’une filière française menée par EDF, la France doit aussi être consciente de ses atouts et les porter avec discernement et conviction sur la scène internationale.

Mme Barbara Romagnan. Merci, monsieur le directeur, d’avoir accepté notre invitation, ainsi que des éléments que vous nous apportez, même si beaucoup d’entre eux étaient déjà à notre disposition. À titre personnel, je considère, vous vous en doutez, qu’ils ne répondent pas à toutes les inquiétudes que nous avons exprimées.

S’agissant de la technique, il existe en effet des différences de technologie qui expliquent que certains réacteurs, bien qu’arrêtés depuis longtemps, ne soient pas encore démantelés. Néanmoins, aux États-Unis, huit réacteurs qui appartenaient à des exploitants différents l’ont déjà été et, en France, le CEA et Areva ont déjà, certes avec des réacteurs d’une taille bien différente, mené à terme un certain nombre de démantèlements, alors qu’EDF n’en a mené aucun à terme, même si celui de Chooz A approche de la fin.

S’agissant des UNGG, personne ne conteste la difficulté du travail, mais convenez que la situation a de quoi inquiéter, alors que ces réacteurs ont été arrêtés il y a longtemps, que cela fait près de quinze ans que des études sont menées, que celui de Fort Saint Vrain aux États-Unis a été démantelé il y a dix-neuf ans, et que vous avez présenté une stratégie de démantèlement à l’ASN, qui l’avait acceptée.

Au plan financier, nous relevons le fait que votre estimation est la plus basse de l’OCDE. Cela ne signifie pas qu’elle est injustifiable ; nous convenons qu’il y aura probablement un effet de série, il est d’ailleurs reconnu par tous, même s’il est difficile de le mesurer. Il n’en reste pas moins que certains éléments de coût ne sont pas prévus. Nous avons bien mentionné le fait que le périmètre n’était pas le même mais ces taxes, ces assurances, le combustible usé, le coût social, même si eux non plus ne sont pas faciles à évaluer, existeront et il faudra bien en supporter la charge. Si vous ne les prenez pas en considération, nous craignons que ces coûts soient reportés sur le contribuable.

La mutualisation des services est un élément pouvant expliquer de moindres coûts, mais il existe une limite. Quand vous avez deux réacteurs, cela marche pour le premier mais, une fois celui-ci démantelé, comment fait-on pour le second ? Cela suppose-t-il que, chaque fois que l’on démantèle une centrale, on en reconstruise une autre, ce qui n’est pas impossible a priori mais entre en contradiction avec la loi de transition énergétique ?

Quand nous avons bouclé le rapport fin janvier, vous n’étiez pas en mesure de nous fournir les chiffres concernant le coût du démantèlement de Brennilis et de Superphénix. Nous ne disposons donc, en gros, que des chiffres de vos détracteurs. Cette absence relativise par ailleurs la valeur que nous pouvons accorder à vos prévisions sur les réacteurs à eau pressurisée. Vous ne pouvez pas nous dire combien cela a coûté jusque-là, pour des réacteurs respectivement arrêtés en 1985 et 1997. La centrale de Brennilis a été arrêtée en 1985 ; son réacteur est certes unique mais il est de seulement soixante-dix mégawatts alors que la moyenne est de 900 mégawatts aujourd’hui.

Enfin, le modèle Dampierre, qui consiste à estimer le coût du démantèlement d’un réacteur type et à le multiplier par cinquante-huit pour obtenir le coût total, pose plusieurs problèmes, soulevés notamment par le rapport d’audit Ricol Lasteyrie de 2015 que vous avez évoqué. Ce rapport constate qu’une telle évaluation ne tient pas compte de l’historique de chaque réacteur. En outre, le modèle date de 2009, soit avant Fukushima, et nous n’avons toujours pas eu les chiffres du surcoût lié à l’intégration des mesures de sécurité. Vous nous avez répondu que vous auriez des données plus précises le 14 février. Pouvez-vous donc nous dire aujourd’hui ce qu’il en est ?

M. Julien Aubert. Il ne vous aura pas échappé que le rapport fait état de divergences de vue entre la rapporteure et moi-même sur certaines formulations – et pas forcément sur les préconisations. Le nucléaire souffre d’une certaine opacité et donc d’un déficit de confiance dans l’opinion publique et une partie de la classe politique. C’est dû en partie au fait qu’il s’agit d’une industrie parfois très consanguine et que les enjeux sont complexes. Nos auditions ont montré que nos voisins n’étaient pas plus transparents que nous ; tout le monde patauge un peu, s’agissant des méthodes d’évaluation. C’est en adoptant les méthodes les plus transparentes et les plus consensuelles possibles que nous parviendrons à établir la confiance qui permettra de débattre sereinement des enjeux.

C’est dans cette optique que nous avons formulé des propositions. Dans votre prise en compte des provisions, vous vous référez à des hypothèses normatives telles qu’une rentabilité des actifs de 6 %, vous êtes donc bordés juridiquement et comptablement, mais j’attends que vous soyez bordés pratiquement. Que se passera-t-il, demain, si la rentabilité financière des actifs baisse à cause de problèmes sur les marchés financiers ou si l’on se rend compte en cours de route que le modèle Dampierre est sous-évalué parce qu’il existe des problèmes spécifiques se posant pour chaque centrale et que l’effet de série n’est donc pas aussi évident qu’on le pensait ?

Nous avons été confrontés davantage à des impressions qu’à des faits, entre des anti-nucléaires nous expliquant que l’effet de série était le plus bas possible et d’autres, plutôt dans l’industrie nucléaire, que cet effet serait important. En réalité, nous n’avons pas de base objective pour quantifier cet effet de série et de mutualisation. D’où une nécessaire prudence, et ce d’autant plus que l’évaluation de vos provisions est parmi les plus basses. L’audition du président de l’ASN juste avant vous a bien montré que l’agence reste sur sa faim quand elle compare le dossier du CEA et celui d’EDF. On ne peut se satisfaire du fait que le CEA, qui ne porte qu’une minime partie du problème, constitue de gros dossiers pour justifier son démantèlement et qu’EDF, à qui en revient la plus grande part, se contente de nous dire qu’elle multiplie par cinquante-huit son étude sur Dampierre puis qu’elle fait une règle de trois.

C’est pourquoi nous avons émis l’idée de prévoir des provisions par réacteur. Êtes-vous prêts à le faire ? Vous allez me répondre que c’est déjà le cas puisque nous avons découvert à la fin de nos travaux que vous aviez certains chiffrages et mesures plus avancés. C’est essentiel car ces provisions vont s’inscrire à un moment donné dans la réalité des Français : des centrales fermeront dans les bassins d’emplois, les sites devront être transformés, il faudra trouver une logistique pour coordonner gestion des déchets, stockage, reconstruction… Pour que ce ballet complexe, qui n’a jamais été conduit dans notre pays, se déroule au mieux, nous avons intérêt à ce que le sujet financier soit derrière nous et à être au moins en mesure de financer ce déploiement.

Que pensez-vous par ailleurs de l’idée de laisser la maîtrise industrielle à l’opérateur mais de recourir à un moment à la concurrence de manière à le décharger ? Pensez-vous que le démantèlement soit une partie de l’opérationnel ou bien pourrait-il relever d’une autre filière industrielle ?

M. Claude de Ganay. Le décret du 27 octobre 2016 vous demandait de présenter dans un délai de six mois un plan de démantèlement de la filière nucléaire afin d’atteindre le fameux objectif de 50 % du mix énergétique en 2025. Atteindre cet objectif en moins de huit ans implique de fermer environ vingt-cinq réacteurs, soit de six à huit centrales. Étant très concerné par la centrale de Dampierre, qui a servi en 2009 à la constitution de la base de calcul pour le démantèlement, je souhaite savoir où vous en êtes de ce plan. Quelles centrales envisagez-vous de fermer ? La liste des centrales les plus anciennes comprend Dampierre, Tricastin, Le Blayais, Gravelines : l’ancienneté sera-t-elle le critère que vous retiendrez ? Associerez-vous les populations locales sur le sujet ?

M. Yannick Favennec. Les provisions calculées par EDF sont, semble-t-il, insuffisantes pour faire face au coût du démantèlement. Il est vrai que les comparaisons avec les autres pays sont très difficiles à établir. Les coûts étant calculés sur l’ensemble du parc nucléaire, ne pensez-vous pas, comme le recommande le rapport, qu’il serait plus réaliste et plus prudent de procéder à une évaluation réacteur par réacteur ?

Une structure indépendante composée d’experts ne devrait-elle pas évaluer le coût de ce démantèlement ?

Enfin, si les montants provisionnés s’avèrent insuffisants, c’est sur le contribuable que le surcoût se répercutera. Les Français ont, durant des années, disposé de l’électricité la moins chère d’Europe ; il n’est pas certain qu’il en soit de même à l’avenir. Je voudrais connaître votre point de vue à ce sujet.

M. Jean-Marie Sermier. EDF participe au démantèlement en France. Participez-vous, avec d’autres équipes, à des projets de démantèlement dans le monde, aux États-Unis ou ailleurs ?

M. Guy Bailliart. J’ai posé tout à l’heure une question à l’ASN sur l’actualisation. Vous évoquez 4,1 % par an ; on peut en douter mais ce n’est pas impossible. Ce dont on ne parle pas, c’est de la durée de l’actualisation. Elle est estimée de façon théorique mais c’est quelque chose sur quoi vous n’avez pas de contrôle, ni de certitude quant aux montants dont vous disposerez le moment venu. Est-ce que je me trompe ?

La question de savoir où mettre les déchets ne cesse d’être débattue. Quel est selon vous le degré d’adaptation lors de la déconstruction, si les exutoires viennent à manquer ou à être retardés ?

Ma dernière question porte sur l’acceptabilité. Une centrale nucléaire, c’est, tant qu’elle fonctionne, la gentille centrale qui crée des emplois et rapporte des impôts locaux. Quand elle a cessé de fonctionner, c’est une source de pollution et de danger. C’est un point sur lequel le débat n’a pas encore eu lieu mais il s’imposera rapidement. On l’a vu avec Fessenheim : certains s’inquiètent de la perte de nombreux emplois et de ressources importantes tandis que d’autres s’impatientent en raison de la dangerosité de l’installation. Les deux points de vue sont irréconciliables et, à ma connaissance, la difficulté n’a pas été traitée.

Mme Barbara Romagnan. J’ai oublié de vous interroger au sujet du taux d’actualisation, de 6 % sur les deux dernières années alors que vous tablez sur un peu plus de 4 %. Les deux dernières années ont donné lieu à des révisions, notamment en Belgique.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. La loi sur la transition énergétique prévoit de porter la part du nucléaire de 75 à 50 % à l’horizon 2025 et la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) a été arrêtée par décret. Nous ne savons cependant pas exactement ce que sera demain la stratégie nucléaire de la France. Vous me répondrez peut-être que c’est aux politiques qu’il revient de définir cette stratégie nucléaire, je peux l’entendre mais j’aimerais que les responsables d’EDF nous donnent quelques indications sur la façon dont ils voient les choses.

Comme M. Claude de Ganay l’a rappelé, le passage à 50 % implique la fermeture de plusieurs centrales. Or la PPE reporte ces décisions à 2018-2019 et indique que l’évolution du parc nucléaire sera fonction de l’évolution de la consommation d’électricité, du taux d’utilisation des centrales, du développement des énergies renouvelables. Nous avons du mal à y voir clair. Avez-vous des indications à nous donner ?

M. Dominique Minière. Monsieur Julien Aubert a parlé d’opacité du nucléaire. En vérité, en trente-cinq ans chez EDF, j’ai pu constater les progrès réalisés en matière de transparence, et on peut difficilement nous accuser aujourd’hui de manque de transparence. Même s’il est parfois compliqué de communiquer sur certaines difficultés, nous nous efforçons malgré tout de le faire. Je rappelle par ailleurs que nous sommes l’industrie la plus contrôlée et la plus réglementée de France et que, chaque jour, deux équipes de l’ASN sont présentes dans le parc pour des visites de surveillance.

J’ai entendu vos inquiétudes à propos des actifs dédiés. Isabelle Triquera-Gonbeau vous expliquera en détail à quoi ils correspondent, mais sachez que nous sommes très attentifs à placer cet argent de manière à pouvoir en disposer lorsque cela est nécessaire.

En ce qui concerne les effets de série, il s’agit d’un sujet assez technique. Pour bien les comprendre et bien les mesurer, il est nécessaire de s’appuyer sur une chronique réelle de la manière dont vont être déconstruits les réacteurs, qu’il s’agisse des réacteurs UNGG ou du parc en exploitation. Cette chronique permet une évaluation précise des dépenses et, partant, un calcul des provisions à constituer dans le temps, pour parvenir à un résultat actualisé.

Tout notre travail de ces dernières années, notamment en 2016, a ainsi consisté à élaborer cette chronique fine pour les réacteurs de deuxième génération, c’est-à-dire les réacteurs à eau pressurisée, ce qui nous permet aujourd’hui de disposer, pour la déconstruction future de notre parc nucléaire, d’un coût de démantèlement réacteur par réacteur, sachant qu’il existe des effets de série, puisque le coût de l’étude imputable au premier réacteur peut aussi bien être ventilé sur le nombre de réacteurs qu’elle aura concernés in fine : cela dépendra de la clef de répartition des coûts retenue. Quoi qu’il en soit, ce travail, qui a nécessité une année complète, nous a permis de sécuriser nos provisions.

La responsabilité de l’opérateur en matière de sûreté est posée comme un principe par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AEIA). Elle concerne tout autant le démantèlement des réacteurs que leur construction, et je suis très attaché à ce que la responsabilité et la maîtrise d’ouvrage globale de nos réacteurs soient assurées par l’opérateur, comme cela est d’ailleurs prévu par la loi. Cela ne veut pas dire que l’opérateur assume tous les travaux. Comme pour la construction, nous nous appuyons pour le démantèlement sur un tissu industriel, que nous nous efforçons de soutenir et de développer pour conquérir des marchés internationaux. Le schéma est efficace, y compris pour la collectivité, puisque l’opérateur qui supporte les provisions pour charge a évidemment intérêt plus que tout autre à ce que le coût de déconstruction soit contrôlé et ne dépasse pas le devis initial.

La loi de transition énergétique prévoit que la production de nucléaire atteigne 50 % de la production « à l’horizon de 2025 ». Cette évolution va dépendre de plusieurs paramètres : production, consommation, exportations, sans obéir à une planification annuelle stricte. Le principe de la loi est d’opérer cette transition dans le cadre de programmations pluriannuelles de l’énergie, d’une durée de cinq ans chacune.

La première programmation s’étend jusqu’en 2018, la seconde jusqu’en 2023. À partir de cette dernière, la loi nous impose d’établir un plan stratégique d’entreprise. Nous sommes en train de le finaliser et comptons le présenter prochainement à notre conseil d’administration, auquel vous comprendrez que j’en réserve la primeur.

En ce qui concerne l’indépendance des experts, je signale que les premiers à étudier nos comptes sont les experts réunis par la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) lorsque nous lui soumettons nos devis. En 2015, cette dernière a diligenté une mission qui s’appuyait sur deux cabinets d’audit indépendants, lesquels ont travaillé une année complète, pour conclure, au terme de leurs travaux, que les provisions constituées étaient suffisantes et prudentes. Nous sommes naturellement ouverts à toute évaluation supplémentaire, y compris de la Cour des comptes.

Au plan international, nous avons l’intention de développer une vraie filière de la déconstruction. C’est ainsi qu’en 2016 nous avons acquis la société suédoise Studsvick, spécialisée dans le traitement des déchets. Grâce à la fusion avec notre filiale Socodei, nous entendons devenir la référence européenne, puis internationale, en matière de réduction des déchets métalliques. Il faut savoir en effet que, lors de la déconstruction, on récupère beaucoup de gros composants métalliques qu’il faut découper, faire fondre et réduire en volume pour éviter de saturer les centres de stockage. Cela servira non seulement au démantèlement de notre parc mais également au développement de notre filière à l’étranger.

M. Sylvain Granger, directeur des projets déconstruction et déchets. Je vais revenir en premier lieu sur la question de l’évaluation des coûts du démantèlement du parc actuellement en fonctionnement et des UNGG. Si l’hypothèse d’une mutualisation avec des centrales en construction ou en fonctionnement a été évoquée lors de l’audit de 2015, elle a été écartée en 2016, et nous ne parlons aujourd’hui de mutualisation que pour des installations en déconstruction. Nous avons ainsi intégré dans nos calculs, en faisant une analyse très détaillée poste par poste, le fait que certains coûts d’exploitation ou de maintien en condition opérationnelle des installations ne sont pas beaucoup plus importants pour quatre tranches de déconstruction que pour deux, on peut citer l’exemple du gardiennage.

Quant à l’historique des réacteurs, elle est désormais intégrée dans notre démarche d’évaluation, ce qui n’était pas le cas dans l’étude Dampierre 09. Nous continuons à progresser dans cette démarche pour obtenir les analyses les plus fines possibles, sachant que l’audit de 2015 a conclu que cela ne changeait pas significativement les résultats obtenus.

Il en va de même pour les évaluations post-Fukushima. Nous avons certes repris les analyses de robustesse, mais, comme l’a indiqué M. Pierre-Franck Chevet, les problématiques ne sont pas les mêmes pour un réacteur en déconstruction et un réacteur en fonctionnement, dans la mesure où ce qui a posé problème à Fukushima, c’est le combustible, et que la première chose que l’on fait lorsque l’on arrête une centrale, c’est d’en ôter le combustible et, avec lui, 99,9 % de la radioactivité. Il s’est avéré que nos référentiels de sûreté étaient assez solides. Nous avons néanmoins refait nos évaluations en 2016 sur la base des nouveaux référentiels, sans aboutir à des changements majeurs.

Quant à la provision réacteur par réacteur, c’est une nouveauté. L’étude Dampierre 09 s’appuyait sur une extrapolation globale faite à l’aide de ratios à partir d’un site moyen à quatre tranches. Si les auditeurs ont considéré ces ratios raisonnables, ils nous ont néanmoins recommandé de travailler réacteur par réacteur, ce que nous avons fait, le travail s’étant en vérité effectué pour des paires de tranches, puisqu’il s’agit du plus petit module que nous ayons en France, les réacteurs isolés n’existant pas.

C’est cet important exercice tenant compte des particularités de chaque réacteur que nous avons réalisé en 2016 et inscrit dans nos comptes. Je répète que cela n’a pas conduit à une évolution significative de la provision globale, ce qui confirme les conclusions de l’audit de 2015 selon lequel notre évaluation était globalement prudente.

En ce qui concerne les déchets et leur stockage, il ne faut pas perdre de vue le fait que les opérations de déconstruction génèrent relativement peu de déchets radioactifs. En moyenne 80 % des déchets sont des déchets conventionnels non radioactifs ; sur les 20 % restants, on estime entre 0,3 et 0,5 % le taux de déchets de moyenne activité à vie longue et à 0 % les déchets de haute activité à vie longue.

Seuls 0,3 à 0,5 % des déchets seront donc concernés par Cigéo et la question du stockage souterrain. Tous les autres déchets sont soit des déchets conventionnels soit des déchets pour lesquels il existe déjà, en France, des structures de gestion et des centres de stockage, comme le centre TFA Morvilliers ou le centre de stockage de l’Aube, à Soulaines, pour les déchets de faible et moyenne activité, exploités par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA).

Dans la mesure où la France a anticipé cette question des déchets, le démantèlement ne pose a priori guère de problème en la matière. Les centres de stockage étant en revanche des ressources rares, nous nous attachons à les économiser, et c’est dans cette perspective que nous développons à l’échelle européenne notre activité de traitement des déchets, de façon à en réduire le volume.

Pour ce qui concerne à présent les opérations portant sur les autres technologies que celle des réacteurs à eau pressurisée, il faut savoir qu’un réacteur UNGG représente une masse vingt fois plus importante qu’un réacteur à eau pressurisée, qu’il contient autant de métal que la tour Eiffel et autant de béton que la moitié du viaduc de Millau, soit 24 000 mètres cubes, qu’il faut rapporter aux 5 000 mètres cubes de béton de la centrale de Fort Saint-Vrain.

Par ailleurs, à Fort Saint-Vrain, l’essentiel du graphite avait été enlevé au moment de l’arrêt du réacteur, parce que le dispositif de chargement et de déchargement du combustible permettait de le faire. Or la déconstruction des blocs de graphite est la grosse difficulté à laquelle se heurtent aujourd’hui tous les opérateurs qui ont à démanteler des réacteurs de forte puissance. Fort Saint-Vrain était un petit réacteur, et il ne me semble donc pas pertinent d’en faire un point de comparaison.

J’en viens aux coûts. Nous faisons partie des opérateurs qui donnent le plus de détails sur leurs coûts, et Isabelle Triquera reviendra sur nos provisions et nos actifs dédiés, lesquels sont un outil de sécurisation typiquement français, extraordinairement robuste par rapport à ce qui se pratique dans les autres pays, et dont nous avons donc tout lieu d’être fiers.

Cela étant, nous hésitons à aller au-delà d’un certain niveau de détails, dans la mesure où une grande part de la valeur d’une société d’ingénierie – prenons, par exemple, l’américain Bechtel – réside dans sa base de coûts. Si nous voulons conquérir des marchés internationaux et être en position de force par rapport aux fournisseurs à qui nous sous-traitons un certain nombre d’opérations sur site, nous n’avons pas intérêt à être trop précis sur notre base de coûts, pas plus qu’on ne l’est dans l’industrie pétrolière ou l’industrie pharmaceutique.

En gage de transparence, je peux néanmoins vous donner un ordre de grandeur de ce que nous ont coûté l’ensemble des opérations de démantèlement des réacteurs de première génération, c’est-à-dire Chooz À – dont le chantier sera achevé dans cinq ans, soit cinq ans avant la date prévue par notre décret d’autorisation –, les six UNGG, Superphénix – qui est une opération très complexe – et Brennilis enfin, où les travaux ont traîné pour des questions de contentieux qui n’ont pas grand-chose à voir avec la technique : l’ensemble du programme nous aura coûté environ 2,5 milliards d’euros.

Mme Isabelle Triquera-Gonbeau, directrice comptable. Lors du vote de la loi de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs en 2006, notre portefeuille d’actifs dédiés aux provisions était évalué à 6 milliards d’euros ; il atteint aujourd’hui 25,7 milliards d’euros, ce qui signifie qu’en une dizaine d’années, EDF a consacré 20 milliards de cash à la sécurisation du financement des charges nucléaires, preuve de l’énorme effort qui a été fourni.

La composition du portefeuille a beaucoup évolué ces dernières années, notamment du fait de la réglementation, l’idée étant de répartir les investissements entre des objets de nature aussi diverse que possible de façon à supporter d’éventuelles baisses de valeur.

Aujourd’hui les 25,7 milliards sont investis à hauteur de 14,9 milliards d’euros dans des actifs cotés ou ayant une valeur de marché, pour moitié des obligations, pour moitié des actions, au travers notamment d’organismes de placements collectif en valeurs mobilières (OPCVM). Nous avons également affecté la créance des charges de service public de l’énergie (CSPE) à ce portefeuille. L’opération de titrisation partielle de cette créance fin 2016 nous a permis d’encaisser du cash destiné à être placé sur d’autres types d’actifs.

L’évolution récente la plus marquante dans la composition de ce portefeuille d’actifs dédiés est la multiplication des placements sur des actifs non cotés, qui ont une rentabilité relativement sécurisée. C’est ainsi que nous avons affecté il y a quelques années une partie des titres RTE aux actifs dédiés et que nous poursuivons aujourd’hui, au travers d’EDF Invest, des opérations d’acquisition ciblées sur des titres non cotés émis par des sociétés d’infrastructures – Aéroports de la Côte d’Azur – ou de distribution de gaz – Thyssengas. Il s’agit souvent d’activités régulées, dont le rapport est stable et a donc vocation à sécuriser de manière globale l’équilibre du portefeuille. Les 5,6 milliards investis par EDF Invest sur des titres non cotés rapportent ainsi des dividendes pérennes, car non seulement compte la rentabilité de l’année n mais également la rentabilité projetée dans le futur.

Il faut souligner ici la très bonne rentabilité de notre portefeuille d’actifs dédiés. Il est géré par des spécialistes, sous le contrôle d’un comité spécifique du conseil d’administration et en lien avec des experts externes, qui examinent notre allocation stratégique et notre allocation tactique, et fournissent, le cas échéant, des conseils. Cette rentabilité s’établissait ainsi à 10,4 % en 2012, à 9,4 % en 2013, à 7,9 % en 2014 et à 3,5 % en 2015. En 2016, elle a atteint 11,1 % du fait de la valorisation des titres RTE, liée à la cession ; sans intégrer ces actifs dans le calcul, l’on obtient néanmoins une rentabilité de 5,7 %, ce qui est une excellente performance compte tenu de l’état actuel des marchés.

Je rappelle par ailleurs qu’un décret a récemment renforcé nos obligations en matière de liquidités, puisqu’il faut désormais que les actifs cotés couvrent à eux seuls quinze ans de décaissement. Nous possédons de notre côté nos propres critères de liquidité, en vertu desquels notre capacité de décaissement monte jusqu’à vingt-cinq ans.

En termes de performance, de composition, d’équilibre et de contrôle externe et de liquidités, notre portefeuille d’actifs dédiés répond donc aux enjeux de sécurisation du financement des charges nucléaires.

En ce qui concerne le mécanisme d’actualisation, qui sert à actualiser, année par année, les futurs flux financiers pour les rapporter à leur valeur d’aujourd’hui, il est vrai que le taux d’actualisation a notablement diminué en 2016, puisque nous avons perdu vingt points de base, passant de 4,5 à 4,3, tandis que le taux d’inflation diminuait également. Cela a donc induit une augmentation très significative de nos provisions, augmentation qui doit donc donner lieu en 2017 à la constitution de nouveaux actifs dédiés, pour un montant d’environ 1 milliard d’euros.

Cette baisse du taux d’actualisation s’inscrit dans la logique de l’évolution des taux sur ces dernières années. Il reflète les préconisations de la Commission de démantèlement des centrales nucléaires belges, qui arrête, dans son rapport triennal, un taux de 4,2 % pour 2016, soit celui que nous retenons nous-mêmes.

La Commission anticipe également des taux plus bas encore dans les années qui viennent, et certains opérateurs choisiront de communiquer sur des taux bas en présentant leurs états financiers. Nous nous en tenons pour notre part au taux de 4,2 % conforme aux recommandations actuelles.

En ce qui concerne les charges qui incombent à EDF, nous payons certes nos taxes, ce qui est une obligation légale, pour autant, elles ne sauraient être considérées comme des charges de démantèlement. On peut en revanche se demander pourquoi cette obligation de payer, sur des réacteurs arrêtés des taxes aussi lourdes – qu’il s’agisse de la taxe sur les installations nucléaires de base, de la contribution à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) ou encore de la taxe foncière, mais c’est un autre sujet.

Ces charges n’ont donc pas vocation à être provisionnées dans les comptes, dès lors que l’on démontre que le parc de réacteurs français est rentable économiquement et qu’il permet d’absorber ces coûts. Par ailleurs nous faisons évidemment l’hypothèse d’une continuité d’exploitation d’EDF.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. À quel niveau est évaluée la part de RTE dans les actifs dédiés ?

Mme Isabelle Triquera-Gonbeau. Fin 2016, les titres RTE au sein des actifs dédiés sont évalués à 3,9 milliards d’euros. Pour autant, l’intégralité de cette valeur n’est pas reconnue comme telle de façon réglementaire puisque, réglementairement, les actifs RTE ne peuvent servir à provisionner plus de 15 % de nos charges futures. Cela explique que, réglementairement, le taux de couverture de nos provisions soit très légèrement inférieur à 100 %, tandis qu’en termes économiques il se situe autour de 104 %. Dès que la cession sera finalisée, son produit sera reversé au portefeuille d’actifs dédiés et réinvesti ailleurs.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Nous vous remercions, madame et messieurs, pour vos interventions et la précision de vos réponses.

Pour ce qui nous concerne, nous tenions notre dernière séance de la législature, et je tenais à renouveler mes remerciements à tous les parlementaires pour leur participation, ainsi qu’à toutes nos équipes.

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Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 22 février 2017 à 11 h 10

Présents. - Mme Sylviane Alaux, M. Julien Aubert, M. Guy Bailliart, M. Serge Bardy, M. Sylvain Berrios, M. Florent Boudié, M. Christophe Bouillon, Mme Marine Brenier, Mme Sabine Buis, M. Vincent Burroni, M. Alain Calmette, M. Yann Capet, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Luc Chatel, M. Guillaume Chevrollier, Mme Françoise Dubois, M. Philippe Duron, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Jean-Marc Fournel, Mme Geneviève Gaillard, M. Michel Heinrich, Mme Valérie Lacroute, M. François-Michel Lambert, M. Alain Leboeuf, Mme Viviane Le Dissez, M. Michel Lesage, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Gérard Menuel, M. Bertrand Pancher, M. Rémi Pauvros, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, Mme Sophie Rohfritsch, Mme Barbara Romagnan, M. Martial Saddier, M. Jean-Marie Sermier, Mme Suzanne Tallard, M. Pascal Thévenot, M. Thomas Thévenoud, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - M. Jacques Alain Bénisti, Mme Chantal Berthelot, M. Jean-Louis Bricout, Mme Florence Delaunay, M. Julien Dive, M. Christian Jacob, M. Jacques Kossowski, M. Jacques Krabal, M. Patrick Lebreton, Mme Marie Le Vern, M. Franck Marlin, M. Napole Polutélé, M. Gilbert Sauvan, M. Gilles Savary, M. Gabriel Serville

Assistaient également à la réunion. - M. Claude de Ganay, M. Éric Straumann