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Commission des affaires économiques

Mercredi 7 novembre 2012

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 21

Présidence de M. François Brottes Président et de M. Gilles Carrez Président de la commission des finances

– Audition, ouverte à la presse, conjointe avec la commission des finances, de M. Louis Gallois, commissaire général à l’investissement

La commission a auditionné M. Louis Gallois, commissaire général à l’investissement conjointement avec la commission des finances.

M. le président François Brottes. J’ai le plaisir d’accueillir, avec le président Gilles Carrez, M. Louis Gallois, commissaire général à l’investissement. Monsieur Gallois, vous êtes presque un habitué de la Commission des affaires économiques, qui vous a souvent auditionné au titre des différentes fonctions que vous avez occupées. Aujourd’hui, vous n’êtes pas seulement au centre de l’attention ; vous êtes aussi au centre d’un débat majeur pour notre pays, celui de la reconquête industrielle et du nécessaire regain de compétitivité pour nos entreprises.

Vous êtes un homme respecté, principalement en raison de votre action passée à la tête d’entreprises œuvrant dans différents secteurs d’activité, industriels et de service. Cette légitimité explique l’attention qui est portée à vos propos. Le Gouvernement n’a d’ailleurs pas beaucoup attendu après la publication de votre rapport pour s’en inspirer et présenter un plan d’action très ambitieux.

Je vous propose de commencer par une présentation liminaire relativement brève, de façon à ce que nos nombreux collègues présents puissent poser des questions et échanger avec vous.

M. le président Gilles Carrez. Monsieur le commissaire général, la Commission des finances vous a reçu beaucoup moins souvent que la Commission des affaires économiques. La dernière fois, c’était fin 2006, et vous veniez de prendre vos fonctions à la tête d’EADS. Tout allait très mal alors : retards sur l’A380, problèmes de gouvernance, doutes sur l’opportunité de lancer l’A350… Si la « cote d’alerte » n’était pas encore atteinte pour l’entreprise, on n’en était toutefois pas loin. Voir le chemin parcouru depuis par EADS redonne donc confiance. C’est dans cet esprit que j’ai lu votre rapport, d’autant plus intéressant qu’il a été suivi, presque immédiatement, par des décisions de la part du Gouvernement. Nous vous interrogerons donc non seulement sur le contenu de vos propositions, mais aussi sur le plan présenté hier, qui en a repris un bon nombre.

J’espère que notre séance de travail sera aussi interactive que possible, car nous sommes très nombreux.

M. Louis Gallois, commissaire général à l’investissement. J’ai compris le message subliminal adressé par les deux présidents : « sois bref ! ». Je tenterai de m’y conformer.

Le rapport que j’ai présenté avant-hier au Premier ministre dresse un diagnostic assez sévère du décrochage industriel de la France et de son accélération depuis une dizaine d’années – c’est à dessein que je reste flou sur la durée exacte, car nous parlons d’une évolution progressive, et non d’un phénomène brutal dont on pourrait dater précisément la naissance.

M. le président Gilles Carrez. Je vous rassure : nous n’avions pas interprété vos propos comme un réquisitoire !

M. Henri Emmanuelli. Vous devriez !

M. Louis Gallois. J’ai donc proposé 22 grandes mesures – en fait, elles sont plus nombreuses, mais je n’ai voulu en mettre qu’une partie en exergue – destinées à la fois à stopper la glissade, c’est-à-dire à remettre les entreprises en situation d’investir, et à mener la reconquête. Ce deuxième objectif prendra du temps. Il faudra une méthode, de la persévérance et le soutien des Français.

Ce dernier élément est décisif. On ne peut imaginer qu’un tel plan puisse être mis en œuvre sans l’adhésion du corps social autour, non seulement de la nécessité de fournir un effort, mais aussi de ce magnifique projet collectif qu’est la reconquête industrielle. Cela suppose beaucoup d’explications, de débats – auxquels je prendrai ma part. Mais il faudra également que le dialogue social trouve un nouvel élan, dans les entreprises comme dans les branches, au niveau régional comme au niveau national. Nous devons parvenir à une forme de pacte social, socle du pacte de compétitivité que le pays doit conclure avec lui-même.

Notre industrie n’est pas suffisamment montée en gamme, c’est-à-dire qu’elle n’a pas créé les éléments de différenciation susceptibles de lui permettre d’échapper à un affrontement sur les prix, contrairement à l’industrie allemande, dont la force est de ne pas être sous la pression des prix mondiaux.

L’industrie française est donc prise en étau entre l’industrie de notre voisin, à très forte valeur ajoutée, et celle des pays émergents, de l’Europe de l’Est, mais aussi de l’Espagne, qui peuvent pratiquer des prix moins élevés parce que leur structure de coûts est différente de la nôtre.

Pour continuer à vendre, aussi bien sur le marché intérieur qu’à l’exportation, les entreprises françaises ont été amenées à s’aligner sur ces prix, et donc à rogner sur leurs marges. Entre 2001 et 2011, notre industrie a ainsi perdu dix points de marge, tandis que l’industrie allemande en a gagné cinq. En conséquence, le taux d’autofinancement de nos entreprises est tombé en 2011 à environ 65 %, une situation que nous n’avions pas connue depuis trente ans. Dès lors, il ne faut pas escompter qu’elles puissent investir. Depuis dix ans, l’investissement en France stagne à un niveau qui ne permet pas d’envisager une reconquête.

Nos entreprises sont donc prises dans un cercle vicieux : ne pouvant pas investir, elles ne peuvent pas monter en gamme puisque la montée en gamme exige en effet des investissements, de la recherche, de l’innovation. Cela a un coût.

Des faiblesses structurelles expliquent cette situation : le niveau élevé des dépenses publiques, qui entraîne une importante pression fiscale ; le millefeuille de l’administration déconcentrée et décentralisée ; une réglementation effervescente, source d’instabilité juridique. Tous ces éléments, que d’autres rapports – comme le rapport Attali – avaient déjà pointés, doivent être pris en compte.

Certaines faiblesses sont propres à l’industrie : un appareil de recherche et de formation insuffisamment articulé avec ce secteur ; une épargne qui n’est pas assez drainée vers lui ; la faible structuration de notre tissu industriel ; l’absence relative, entre PME et grands groupes, d’entreprises de taille intermédiaire – elles sont deux fois moins nombreuses qu’en Italie ou au Royaume Uni, sans même parler de l’Allemagne – ; et une insuffisante solidarité au sein des filières. Demandez aux entreprises qui fournissent à la fois des entreprises françaises et allemandes ce qu’elles pensent des relations entre fournisseurs et donneurs d’ordres dans les deux pays…

Par ailleurs, le dialogue social tombe trop souvent dans le formalisme et les stratégies de positionnement.

Enfin, le marché du travail ne fonctionne pas bien. Beaucoup de responsables d’entreprise imputent ces difficultés à l’excessive rigidité des contrats à durée indéterminée, mais ces derniers ne recouvrent qu’une partie des relations de travail. Le reste, c’est-à-dire les emplois intérimaires ou les contrats à durée déterminée, marqués par la précarité et l’absence de lien entre l’entreprise et le salarié, représente aujourd’hui 80 % des embauches. En réalité, il existe deux marchés du travail : celui des CDI, et celui des CDD et de l’intérim.

Devant l’afflux de chômeurs, Pôle emploi éprouve des difficultés à assumer son rôle d’accompagnement. L’institution est par ailleurs trop peu articulée avec l’appareil de formation : 9 % des chômeurs en France suivent une formation, un chiffre totalement insuffisant.

Ces faiblesses ne doivent pas nous pousser au fatalisme, ne serait-ce qu’en raison de l’exemple donné par certains pays qui ont réussi leur reconquête industrielle – comme la Suède ou le Canada – ou ont consolidé leurs positions – comme l’Italie, qui est parvenue à maintenir une industrie compétitive, au point que sa partie Nord est devenue la première région industrielle d’Europe.

Mais la France dispose également d’atouts, sur lesquels elle va devoir s’appuyer. Elle conserve ainsi certains pôles d’excellence, comme l’aéronautique, le luxe, la pharmacie ou le nucléaire. Elle compte de nombreuses pépites dans ses provinces. Elle dispose également de groupes mondiaux qui, certes, n’investissent plus beaucoup dans le pays, mais peuvent jouer un rôle important de structuration du tissu industriel. Air Liquide, Michelin, Saint-Gobain, etc. : nous avons plus de groupes de taille mondiale que l’Italie ou même que l’Allemagne.

L’appareil de recherche est de très haut niveau : la France fait partie des quatre ou cinq pays dans le monde capables d’être présents au niveau mondial sur un très large spectre. Même si cet appareil n’est pas suffisamment articulé avec l’industrie, il constitue un atout qu’il faut valoriser.

La productivité du travail reste forte en France, même si elle ne croît pas suffisamment, ce qui commence à poser un problème. En effet, sans augmentation de la productivité du travail, il est difficile de générer de la croissance économique. Or il existe 35 000 robots en France, contre 62 000 en Italie et 150 000 en Allemagne. Les robots ne sont pas des destructeurs d’emplois ; au contraire, ils en créent.

Le coût de l’énergie et la qualité de nos infrastructures sont également des atouts et des éléments d’attractivité. Une exception, toutefois : les ports. Nous ne disposons pas des grands ports dont notre industrie a besoin ; il suffit de comparer Gênes et Marseille.

L’ambition de l’industrie, c’est la montée en gamme. J’ai donc essayé de présenter un plan cohérent articulé autour de cet objectif, ainsi que de l’innovation et de la productivité. Il faut s’appuyer sur ce qui marche en favorisant chaque évolution positive – c’est plus facile que de lutter contre la marée. Mais il faut aussi renforcer les partenariats et la solidarité, de façon à donner un corps au « club France ». Cela passe clairement par la notion de patriotisme. Toutes les forces vives du pays doivent aller dans le même sens. Ce qui fait la force de l’industrie allemande, c’est bien le consensus et la capacité de l’ensemble des acteurs de l’industrie à travailler ensemble.

Nous devons attaquer de front la question clé de l’investissement et celle des faiblesses structurelles. S’agissant de l’investissement, seuls les chefs d’entreprise sont en mesure de prendre les décisions nécessaires. Pour cela, ils réclament trois choses : la reconnaissance, la stabilité et la prévisibilité.

Reconnaissance, tout d’abord. Les chefs d’entreprise veulent que les entreprises soient reconnues comme le lieu de la création de richesse, et qu’eux-mêmes soient reconnus comme des acteurs majeurs de l’économie. Or leur place dans la société pose actuellement problème : ils ont l’impression que le pays ne les aime pas.

Stabilité, ensuite. Nous devons freiner le déferlement réglementaire. Au sein des entreprises, nous devons faire apparaître des éléments de stabilité dans l’actionnariat et autour de l’actionnariat. Je propose donc que les actions détenues pendant deux ans créent automatiquement un droit de vote double, ce qui n’est pas le cas actuellement. Par ailleurs, pour équilibrer les instances dirigeantes, je suggère d’introduire quatre représentants des salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance des entreprises de plus 5 000 salariés. Si l’expérience est concluante, ce seuil pourrait être abaissé.

Prévisibilité, enfin. Le Gouvernement doit afficher ses priorités afin d’étendre l’horizon des entreprises. Peut-être faut-il également prévoir des structures de débat. J’ai ainsi proposé la création d’un commissariat à la prospective, qui remplacerait l’actuel Conseil d’analyse stratégique et coordonnerait les travaux d’organismes tels que la Conférence nationale de l’industrie, le Conseil d’orientation pour l’emploi ou le Conseil d’orientation des retraites.

Une fois que la décision d’investir est prise, il reste à trouver les moyens de la financer. J’ai donc proposé de donner aux entreprises un ballon d’oxygène, grâce au choc de compétitivité. Vous en connaissez les caractéristiques : il s’agit de transférer 30 milliards d’euros de charges sociales – 20 milliards de cotisations patronales et 10 milliards de cotisations salariales – vers la fiscalité – taux intermédiaires de TVA, fiscalité écologique, niches fiscales, CSG – et la réduction de la dépense publique. Je n’en dis pas plus, car ces modalités n’ont finalement pas été retenues par le Gouvernement.

Par ailleurs, je crois essentiel que la réduction de la dépense publique soit mise à contribution pour prendre, à terme, et pour une part, le relais de la fiscalité.

M. Jean-François Lamour. Ce n’est pas dans le rapport !

M. Louis Gallois. Mon rapport n’évoque pas la question du coût du travail. Cela ne signifie pas que je sous-estime l’importance de ce paramètre, mais ce n’est, dans l’entreprise, qu’un coût parmi d’autres, avec celui de la fiscalité, des services, des matières premières, des intrants et de l’énergie. Ce qui est important, c’est la marge qu’in fine, les entreprises sont capables de dégager. Or cette marge dépend à la fois des coûts et des prix. S’agissant des prix, seule une montée en gamme peut permettre de les augmenter. Quant aux coûts, ils doivent être réduits, celui du travail comme les autres.

Il est donc important de contenir le coût de l’énergie. Je propose de développer les énergies renouvelables, dans la mesure où elles n’entraînent pas un accroissement, à moyen et à long terme, du coût de l’énergie pour l’industrie. L’Allemagne, dont la facture énergétique est beaucoup plus élevée que la nôtre, s’arrange ainsi pour que ses électro-intensifs – c’est-à-dire les grands consommateurs d’électricité – payent le kilowatt un peu moins cher que leurs homologues français. C’est un facteur important en terme de concurrence.

S’agissant de l’électricité nucléaire, je propose que l’Autorité de sûreté nucléaire ait la responsabilité de décider si une centrale peut ou non fonctionner dans des conditions de sécurité.

Enfin – et je sais que ce point est controversé –, j’appelle à poursuivre les études sur les techniques d’exploration des gaz de schiste.

M. Henri Emmanuelli. Je suis pour !

Plusieurs députés du groupe UMP. C’est le bon sens !

M. Louis Gallois. En ce qui concerne l’innovation, condition de la montée en gamme, je ne propose pas de mettre beaucoup plus d’argent qu’il y en a aujourd’hui. Mais d’une part, l’effort financier actuellement fourni doit être consolidé – je pense bien sûr au crédit d’impôt recherche –, et d’autre part nous devons aller beaucoup plus loin en matière de collaboration entre les industriels et les différents acteurs de la recherche et de l’innovation. Des structures existent : les pôles de compétitivité, les instituts de recherche technologique, les sociétés d’accélération du transfert de technologies. Elles doivent se développer, car leurs premiers résultats sont encourageants.

Le deuxième axe de la stratégie que je soutiens concerne la structuration et la solidarité du tissu industriel. Comment pouvons-nous faire grossir nos PME ? Dans ce domaine, les propositions contenues dans mon rapport ne sont pas exhaustives. Il n’y a pas de recette miracle : seul un environnement favorable peut permettre aux entreprises de grandir et aux chefs d’entreprise de prendre le risque de grandir. Pour cela, ils doivent disposer de financements, pouvoir compter sur une stabilité de l’environnement réglementaire
– notamment en matière de transmission d’entreprise –, utiliser des outils pour se constituer des fonds propres sans perdre le contrôle de leur entreprise, être formés. En effet, pourquoi les chefs d’entreprise ne bénéficieraient-ils pas, au même titre que les cadres, d’une aide à la formation ?

Il convient également de renforcer la solidarité des filières industrielles. Dans ce domaine, l’État a un rôle à jouer : je propose par exemple qu’il apporte son soutien aux grandes entreprises à la condition que celles-ci associent leurs sous-traitants et fournisseurs à leur programme de recherche. Mais la constitution de filières organisées – à l’image de la filière aéronautique, que je connais bien et qui est sans doute celle qui fonctionne le mieux – est surtout l’affaire des industriels eux-mêmes. Cela implique que des syndicats professionnels forts perçoivent des cotisations substantielles de la part des entreprises concernées et soient impliqués dans la gestion opérationnelle des filières.

Les grands groupes devraient proposer des chartes destinées à organiser leurs relations avec les fournisseurs et les sous-traitants, non pas tant pour normaliser ces relations que pour participer à l’effort visant à renforcer la compétitivité de la filière. Il y va de leur intérêt à long terme, et ce serait également une manifestation de patriotisme.

Il faut enfin développer les solidarités territoriales. Les régions devront jouer un rôle essentiel, celui de coordonner toutes les actions concernant les entreprises de taille moyenne à l’échelle régionale. Je propose ainsi qu’une partie des pôles de compétitivité soient placés sous le pilotage des régions. La nouvelle étape de la décentralisation devrait leur donner la capacité à jouer ce rôle de coordination.

J’en viens aux leviers de la politique industrielle, et au premier d’entre eux, la formation.

S’agissant de la formation initiale, je propose que les entreprises soient associées à la gouvernance de l’enseignement technique et professionnel, soit au niveau des établissements, en étant représentées au conseil d’administration, soit au niveau régional, en participant à l’élaboration des cartes de formation, soit au niveau national.

Par ailleurs, nous devons nous donner des objectifs très ambitieux en matière de formation en alternance et d’apprentissage. J’ai donc proposé le doublement, en cinq ans, du nombre de contrats de professionnalisation.

De son côté, la formation continue représente un poids financier considérable : 31 milliards d’euros par an. Il me semblerait d’ailleurs sain d’effectuer un audit du dispositif, afin d’en mesurer l’efficacité. La formation doit être beaucoup plus orientée vers l’employabilité des salariés, et notamment de ceux qui, aujourd’hui, en bénéficient le moins, à savoir les salariés non qualifiés des PME. Or on observe au contraire un phénomène de réduction de la durée des formations, qui indique qu’elles sont de plus en plus orientées vers l’adaptation au poste de travail.

Je propose que chaque salarié dispose d’un compte individuel de formation, alimenté soit au début, soit au cours de sa vie active, afin de lui permettre d’exercer réellement son droit à la formation. Les partenaires sociaux ont par ailleurs reconnu l’objectif, pour tout salarié, d’une progression d’au moins un niveau de qualification au cours de sa vie professionnelle. Il convient maintenant de passer à l’acte.

Le deuxième levier est le financement. Les banques doivent faciliter l’accès au marché financier des petites et moyennes entreprises et des entreprises de taille intermédiaire, les ETI, dans la mesure où elles seront de moins en moins capables de les financer directement en raison des Accords de Bâle III.

Le crédit interentreprises est décisif, puisque son volume est cinq fois plus important que le crédit bancaire de trésorerie des entreprises. Mais son fonctionnement pose un énorme problème, comme l’a illustré le rapport Volot. Il faut donc que les commissaires aux comptes fassent leur travail, et joignent à leur avis sur les comptes de l’entreprise, conformément à la loi, un rapport sur le crédit fournisseur. En cas de manquement, des sanctions administratives doivent être prises, car il serait vain d’attendre d’un fournisseur qu’il poursuive son client en justice.

Par ailleurs, l’épargne longue des Français n’est pas suffisamment orientée vers les entreprises, et encore moins vers l’industrie. Il faut donc avantager les placements à risques et l’épargne à long terme, et soutenir le capital investissement, qui est passé de 12 milliards d’euros en 2008 à seulement 6 milliards aujourd’hui.

La Banque publique d’investissement doit jouer un rôle de levier sur les financements privés, comme Oséo a su le faire.

Enfin, le troisième levier est le Commissariat général à l’investissement, outil essentiel pour faire travailler ensemble des acteurs aujourd’hui trop isolés. Je suggère qu’il soit plus particulièrement orienté vers trois priorités techniques et industrielles : les technologies génériques, la santé et les sciences du vivant et la transition énergétique.

Le rapport contient également un chapitre sur l’Europe. Le principe a été accepté d’une sorte de conseil des ministres européens consacré à la politique industrielle, mais cela reste une mesure trop générale. Deux politiques européennes concourent à la compétitivité, celle du marché intérieur et celle de la recherche. En revanche, il n’y a pas de politique européenne pour l’énergie ou pour les matières premières, ce qui pose un véritable problème. Et trois politiques sont insuffisamment orientées vers la compétitivité industrielle : la politique de la concurrence, la politique commerciale extérieure et la politique monétaire extérieure.

Je terminerai par l’exigence d’un nouveau pacte social, un élément selon moi décisif. Notre société est en effet fondée sur le pacte de 1946, issu du Conseil national de la résistance. Or ce pacte est à bout de souffle : après avoir porté les Trente glorieuses, il ne produit plus ses effets. Mais nous avons une chance historique à saisir, puisque trois négociations majeures ont lieu en ce moment, sur le financement de la protection sociale, les institutions représentatives du personnel et la sécurisation de l’emploi. Nous avons donc l’opportunité de rebâtir un pacte social digne du XXIe siècle, qui permettrait à l’économie française de s’adapter tout en assurant aux salariés la sécurité qu’ils sont en droit d’attendre. C’est aussi l’occasion pour ces derniers de s’exprimer. L’intérêt de tout le monde est que le niveau d’intelligence collective s’élève, ce qui n’est possible que dans le dialogue social.

Ce pacte social est essentiel, car il est le socle du pacte de compétitivité que j’appelle de mes vœux.

M. le président François Brottes. Nous allons devoir faire preuve de performance et de compétitivité au cours de cette séance, dans la mesure où plus de quarante orateurs souhaitent poser des questions à M. Gallois. Le temps de parole sera donc limité à une minute, et à trois minutes pour les porte-parole des groupes.

M. Christian Eckert, rapporteur général de la Commission des finances. Le Gouvernement a décidé de mettre en place un CICE, un crédit d’impôt pour la compétitivité des entreprises. À votre avis, comment peut-on éviter les effets d’aubaine, toujours à craindre dans le cas de dispositifs trop généraux ? Quels critères de sélection pourrait-on envisager ? Je n’en citerai que quelques-uns, pour provoquer la discussion : la taille de l’entreprise, le secteur d’activité, le nombre de créations d’emploi, la présence ou non d’investissement, l’éventuelle distribution de dividendes ou la prise en compte du développement durable.

Par ailleurs, quelle peut être la place de l’État dans l’actionnariat des entreprises à caractère industriel, grandes ou petites ? Quel doit être le rôle de la BPI ? Vous évoquez dans votre rapport l’effet pervers des rachats d’actions, qui se sont élevés à 7,5 milliards d’euros en 2011. Serait-il utile de taxer, ou du moins de décourager cette pratique ?

Vous avez évoqué la fiscalité écologique. Pouvez-vous préciser ce que cette expression recouvre pour vous ?

M. Louis Gallois. Vous me torturez !

M. le rapporteur général. Ce n’est pas mon intention, mais on sait que de nombreux responsables d’entreprise ont du mal à admettre la pertinence d’une telle fiscalité.

Enfin, comment voyez-vous le rôle de l’Europe en matière de relance industrielle ? Cette question fait sans doute l’objet de la partie la moins dense de votre rapport, si vous me permettez cette critique.

M. le président Gilles Carrez. Le rapport propose de créer un choc de compétitivité en transférant la part des charges patronales jusqu’à 3,5 SMIC, tandis que le Gouvernement semble retenir comme assiette du crédit d’impôt la plage de salaires comprise entre 1 et 2,5 SMIC. Ce faisant, il reprendrait à son compte le choix effectué lors de la réforme de février, qui ciblait les charges en dessous de 2,4 SMIC. Rapporteur du texte sur la TVA sociale, j’avais jugé à l’époque ce choix décalé compte tenu du montant, un peu plus élevé en moyenne, des salaires industriels. Selon vous, quelle serait la bonne cible ?

M. Pierre-Alain Muet. Ce rapport est important dans la mesure où il dément la thèse selon laquelle le secteur tertiaire serait l’avenir de notre économie. Il rappelle au contraire que l’industrie est au cœur du développement économique. Il a également le mérite de décrire la situation dans laquelle nous nous trouvons, résultant de dix années d’absence de politique industrielle et marquée par la perte de 750 000 emplois et la chute de 18 à 12 % de la part de l’industrie dans la valeur ajoutée.

Plusieurs députés du groupe UMP. À cause des 35 heures !

M. Pierre-Alain Muet. C’est aussi un rapport très complet parce qu’il rappelle que la question de la compétitivité forme un tout. Elle dépend de la montée en gamme, de l’organisation des filières, mais aussi du dialogue social.

J’ai fait partie de ceux qui plaidaient pour le remplacement du transfert de charges par une politique de crédit d’impôt, et je trouve que le Gouvernement a trouvé la bonne formule. En effet, le coût de l’allègement de charges ne sera pas transféré sur les ménages en 2013, ce qui permettra de préserver la consommation. En outre, financer plus de la moitié du dispositif par une réduction du déficit est aussi une façon de favoriser la compétitivité.

Nous n’avons jamais su comment préserver ce qui faisait la force du Commissariat au plan, c’est-à-dire le dialogue entre partenaires sociaux sur la politique économique à moyen terme de la France. C’est pourquoi je trouve intéressante la proposition de créer un commissariat à la prospective.

De même, je suis sensible à la partie du rapport relative aux filières industrielles, et notamment à la mise en place des comités stratégiques de filière. Pouvez-vous développer vos onzième, douzième et treizième propositions ? Comment peut-on articuler l’organisation des filières avec la politique de régionalisation ?

Enfin, que pensez-vous de la politique de la concurrence ?

M. Daniel Fasquelle. Monsieur Gallois, le groupe UMP salue votre rapport qui valide a posteriori la politique mise en place par l’ancienne majorité, …

M. Henri Jibrayel. Quel culot !

M. Daniel Fasquelle. …qu’il s’agisse du crédit d’impôt recherche, des pôles de compétitivité, des mesures « Dutreil » sur la transmission d’entreprises, de la réforme de la taxe professionnelle, de la remise en cause du millefeuille administratif – à laquelle les socialistes se sont d’ailleurs opposés –, de la priorité donnée à l’alternance, de la réforme des universités, de la création du Commissariat général à l’investissement ou de la TVA anti-délocalisation… Je pourrais citer de nombreux autres exemples.

Cette politique a d’ailleurs commencé à porter ses fruits : non seulement l’emploi industriel a vu son déclin stoppé en 2011, mais il a même connu une légère amélioration.

Ce rapport a également permis d’ouvrir enfin les yeux du Gouvernement et de l’actuelle majorité, qui niaient depuis six mois l’existence d’un problème de compétitivité et de coût du travail.

M. Henri Jibrayel. Vous l’avez niée pendant dix ans !

M. Daniel Fasquelle. C’est leur chemin de Damas. Alors que le Gouvernement a combattu violemment la TVA anti-délocalisation, vous nous donnez raison a posteriori.

Malgré tout, j’identifie deux problèmes. Premièrement, le rapport est incomplet dans la mesure où il n’aborde pas, ou très peu, la question centrale du temps de travail. Pourtant, créer un choc de compétitivité implique de jouer à la fois sur les charges sociales, le coût et la durée du travail.

Deuxièmement, vous avez évoqué la nécessité de réduire les dépenses publiques, – et la Cour des comptes l’avait fait avant vous –, mais cette question est absente de votre rapport. À cet égard, le projet de loi de finances ne contient aucun signal encourageant, bien au contraire.

M. le président François Brottes. Avez-vous des questions à poser, monsieur Fasquelle ?

M. Daniel Fasquelle. Je souhaite vous interroger, monsieur Gallois, sur les conséquences que le Gouvernement entend tirer de votre travail. Nous considérons que 20 milliards d’euros est une somme trop faible par rapport aux 30 milliards évoqués dans le rapport et aux 60 milliards attendus par les entreprises.

Nous pensons également que la mesure vient trop tard, après le choc fiscal anti-compétitivité.

M. Henri Emmanuelli. Vous avez eu dix ans !

M. Daniel Fasquelle. La Commission européenne l’a dit ce matin : le Gouvernement ne tiendra pas ses prévisions économiques, et donc ses prévisions budgétaires.

L’application de ce plan est aussi trop étalée dans le temps, alors que vous aviez proposé des dispositions plus ponctuelles et plus efficaces.

Nous pensons par ailleurs que le dispositif choisi est trop compliqué. Le Gouvernement a renoncé au gaz de schiste, pas aux usines à gaz !

De même, il n’est pas suffisamment ciblé, contrairement à ce qui se pratique en Allemagne et contrairement à la TVA anti-délocalisation.

Nous le jugeons également dangereux pour les secteurs de la restauration et du bâtiment.

En matière d’énergie, il faudrait revenir sur le gaz de schiste, la transition énergétique et l’impact du coût de l’énergie sur la compétitivité de la France.

Bref, en ce qui nous concerne, le plan Ayrault ne permettra ni choc de compétitivité, ni choc de confiance. Quel est votre avis à ce sujet ?

M. Henri Emmanuelli. C’est lamentable !

Mme Michèle Bonneton. Votre rapport, monsieur Gallois, constitue une contribution tout à fait remarquable. Vous proposez que l’État joue un rôle déterminant en mettant en place une vraie stratégie industrielle, rompant ainsi avec la pratique des dix années précédentes.

La quatrième proposition vise à créer un choc de compétitivité en transférant une partie significative des cotisations sociales – de l’ordre de 30 milliards d’euros – vers la fiscalité et la réduction de la dépense publique. Mais ne pensez-vous pas que la réduction de la dépense publique et l’augmentation de la fiscalité vont conduire à contracter la demande et, de ce fait, à appauvrir les entreprises, au risque de réduire leur capacité à investir ?

Une partie de la solution ne se trouverait-elle pas plutôt dans la stimulation de la demande, particulièrement des ménages ? Pour l’obtenir, on pourrait notamment diminuer les coûts dus au logement, qui impactent gravement le pouvoir d’achat des ménages français. On pourrait également aider les activités non délocalisables, comme la construction, la rénovation et l’isolation thermique des logements. Quel est votre point de vue à ce sujet ?

Le rapport classe parmi les priorités l’investissement dans le domaine des énergies renouvelables, de façon à faciliter la transition énergétique. Ce serait un puissant levier en faveur de l’innovation et du respect par notre pays de ses engagements internationaux. Ne jugez-vous pas indispensable d’aller plus avant dans ce domaine ? Je précise qu’à nos yeux la transition énergétique doit se faire sans gaz de schiste, car nous devons réduire notre dépendance à l’égard des énergies carbonées, dont l’usage est catastrophique pour notre climat.

La transition écologique nécessiterait par ailleurs des efforts importants en recherche et développement afin de trouver de nouveaux process, de nouveaux matériaux, de nouveaux objets moins consommateurs en ressources naturelles – qu’il s’agisse d’énergie ou de matières premières – et moins émetteurs de gaz à effet de serre. Des entreprises innovent déjà dans ce sens. Ne faudrait-il pas conditionner certaines aides de l’État à cet « éco-développement » ?

Sur le plan international, vous jugez nécessaire de ramener l’euro à un niveau plus acceptable par rapport aux principales monnaies mondiales. Je partage ce point de vue, mais il faudra une forte volonté politique pour convaincre nos partenaires de l’Union, en particulier le plus fort d’entre eux.

Selon vous, une des deux faiblesses dont souffre la politique de la concurrence de la Commission est qu’elle « intègre mal la dimension de la compétition mondiale à laquelle l’industrie européenne est confrontée ». L’Union européenne ne devrait-elle pas protéger ses entreprises par rapport à celles qui produisent avec des conditions fiscales, sociales et environnementales beaucoup plus faibles, pratiquant ainsi un véritable dumping ? Ne faudrait-il pas instaurer des normes et des taxes aux frontières de l’Union, mais aussi réduire les distorsions et favoriser la solidarité à l’intérieur de ces frontières ?

Je terminerai par deux regrets. Le rapport n’aborde ni la fiscalité écologique, qui pourrait constituer un puissant levier pour l’avenir, ni le coût représenté par la rémunération du capital. Or une partie des 40 milliards d’euros de dividendes distribués chaque année par les entreprises françaises pourrait servir à des investissements industriels. Les aides de l’État aux entreprises ne devraient-elles pas être conditionnées à ce type d’investissement ?

M. Charles de Courson. Contrairement à la solution retenue par le Gouvernement, vous préconisiez le transfert de deux tiers des charges patronales vers la CSG. D’un point de vue économique, pourquoi privilégier la CSG plutôt que la TVA ? Est-il possible de concentrer la mesure pour favoriser le secteur concurrentiel ? Depuis des années, nous nous heurtons à ce problème : ainsi, l’industrie ne serait concernée qu’à 25 ou 30 % par les mesures préconisées dans votre rapport.

Par ailleurs, tous ceux qui s’intéressent à l’industrie sont persuadés de l’intérêt d’une politique européenne en ce domaine. Mais le chapitre que vous y consacrez est assez faible, dans la mesure où, comme vous l’avez vous-même rappelé, cela ne dépend pas seulement de notre pays. Quelle est la probabilité d’obtenir un accord en ce domaine ? Ne faudrait-il pas changer complètement la conception qu’a l’Union européenne de la notion de concurrence, et opérer une véritable révolution culturelle ?

En ce qui concerne l’orientation de l’épargne, vous constatez, comme tous les gens de bon sens, que notre fiscalité favorise l’épargne courte, alors que nous avons plutôt besoin d’une épargne longue, stable et rémunérée en proportion des risques pris. Pouvez-vous préciser les mesures à prendre en ce domaine ?

Enfin, rappelant que les ETI sont deux fois moins nombreuses en France qu’en Allemagne, vous évoquez un « faisceau d’initiatives » destinées à réparer le tissu industriel. Mais le remède est-il à la hauteur du mal ? Le drame français n’est-il pas de manquer de dispositifs, en matière fiscale ou de droit des sociétés, susceptibles de favoriser, comme en Allemagne, l’émergence d’un capitalisme familial stable ?

Mme Jeanine Dubie. Monsieur le commissaire général, le groupe RRDP a pris connaissance de votre rapport avec beaucoup d’attention et salue la qualité de ce travail. Plus que jamais, en cette période économique troublée, le soutien à nos entreprises est nécessaire. Il en va de l’amélioration du niveau d’emploi dans notre pays. Comme vous le rappelez dans votre rapport, la France a malheureusement subi un véritable décrochage industriel depuis dix ans. Nous nous situons à la quinzième place parmi les dix-sept pays de la zone euro. Nous ne sommes plus seulement derrière les pays du Nord de l’Europe, qui résistent mieux que les autres à la crise, mais aussi loin derrière certains pays du Sud tels que l’Italie.

Ce décrochage industriel a des conséquences néfastes, non seulement sur le marché du travail, mais aussi sur notre balance commerciale. Celle-ci n’a d’ailleurs jamais été aussi déficitaire.

Dans votre rapport, vous avancez des propositions indispensables pour soutenir notre économie – propositions que Jean-Michel Baylet, au nom des Radicaux de gauche, avait d’ailleurs avancées lors des primaires citoyennes. Vous prônez un Small Business Act pour les PME ; nous y sommes tout à fait favorables. Vous proposez de donner plus de poids aux représentants des salariés dans les grandes entreprises : c’est en effet une condition sine qua non pour améliorer le dialogue social en France et permettre l’émergence d’objectifs partagés entre la direction et les salariés. On notera d’ailleurs que certains pays sans cesse cités en exemple ont depuis longtemps intégré la représentation des salariés dans les conseils d’administration.

Vous appelez également à un renforcement des contrats d’alternance. L’apprentissage est en effet le meilleur moyen de rapprocher l’enseignement du monde des entreprises.

Enfin, votre idée de systématiser la présence des entreprises dans la gouvernance de l’enseignement technique et professionnel au niveau des établissements, des régions et au niveau national est intéressante. Elle mérite d’être étudiée.

Cependant, alors que vous insistez sur le manque de compétitivité hors prix des entreprises françaises, la proposition la plus significative de votre rapport porte sur l’allègement des cotisations sociales. Comme vous l’expliquez, une majorité de nos entreprises industrielles sont moyennement ou faiblement compétitives en raison d’un niveau de gamme inférieur à celui d’autres pays européens. C’est la conséquence d’une qualité moindre de nos produits, qui elle-même résulte en grande partie d’un manque d’innovation et d’investissements productifs trop faibles.

De fait, ce positionnement oblige nos entreprises à être compétitives sur les prix, ce qui, à facteurs de production constants, ampute leur marge et, par ricochet, leur capacité d’autofinancement. C’est ce constat qui vous amène à suggérer une diminution des cotisations sociales. Cependant, on pourrait aussi considérer que ce qui doit être recherché avant tout, c’est la montée en gamme des produits français. Le problème est que la seule proposition de réduction des cotisations sociales surpasse, et de très loin, le budget qui serait nécessaire à la mise en place de toutes vos propositions sur la montée en gamme. Pourriez-vous nous dire ce qui vous a amené à ce chiffre de 30 milliards ? Le Gouvernement, qui a pourtant suivi en grande partie vos recommandations, a revu ce montant à la baisse.

Le crédit d’impôt n’est pas une mauvaise idée, car il permet de reporter l’effort budgétaire à 2014. Après un budget pour 2013 très contraint, un effort supplémentaire de 20 milliards d’euros aurait en effet été difficile à soutenir. Toutefois, il nous semble nécessaire de mieux cibler les entreprises susceptibles de bénéficier de ces allègements de charges, afin que l’effort puisse porter avant tout sur celles qui en ont le plus besoin.

M. Nicolas Sansu. À mon tour, je félicite le commissaire général pour son travail, tout en m’étonnant de la date à laquelle se tient cette réunion. Il aurait fallu auditionner M. Gallois avant la remise de son rapport, et auditionner le Gouvernement aujourd’hui, dans la mesure où le lancement du « pacte national » a déjà été annoncé…

Votre rapport est intéressant en ce qu’il révèle l’incurie de l’ancienne majorité. Il suffit de citer ces quelques chiffres : 720 000 emplois industriels perdus en dix ans, un excédent brut d’exploitation de l’industrie manufacturière passé de 34 % en 2000 à 21 % aujourd’hui, des échanges de produits manufacturés qui accusent un déficit de 42 milliards d’euros en 2010. Tel est le résultat de dix ans d’inaction en matière de développement industriel.

M. Fasquelle a prétendu que le problème venait du coût du travail, qui aurait explosé en France. C’est une contre-vérité. Selon le rapport publié en octobre 2009 par le Conseil des prélèvements obligatoires, le coût, en France, du travail par unité de production – c’est-à-dire compte tenu de la productivité – est l’un des plus faibles de la zone euro : il s’élève à 83,75, contre 96,33 en Allemagne, pour une base 100 correspondant à la moyenne dans la zone euro. Voilà la réalité !

La situation de l’industrie française est grave, nous partageons tous ce constat. Mais, je le répète, ce n’est pas le coût du travail qui la pénalise. M. de Courson a dit que la compétition était parfois mortifère. C’est en effet le cas, en particulier pour le retraité grec, le salarié allemand payé 4,50 euros de l’heure ou le petit commerçant français.

Les députés du Front de gauche regrettent qu’il ne soit jamais question du coût de la rémunération du capital. Pourtant, en trente ans, dans les entreprises non financières – c’est-à-dire l’industrie et les services –, alors que la masse salariale a été multipliée par 3,6, la somme des dividendes versés aux actionnaires a été multipliée par 20 ! L’année 2002 est la dernière où les investissements réalisés par les entreprises ont dépassé les dividendes versés. En 2010, les premiers représentaient 180 milliards d’euros, les seconds 230 milliards. Les 20 milliards d’euros destinés à soutenir la réindustrialisation ne peuvent-ils pas être obtenus par la baisse des charges financières payées par les entreprises et celle des dividendes ?

De même, vous proposez de créer un plan d’épargne en actions « PME », mais n’y a-t-il pas moyen de sortir de l’addiction aux marchés financiers ? Ne serait-il pas préférable de créer un vrai pôle public pour mobiliser l’épargne longue ?

Il n’est pas acceptable de financer le crédit d’impôt bénéficiant aux entreprises par une augmentation de la TVA, prélevée sur les ménages. C’est dangereux pour la croissance. Pourquoi ne pas prévoir une modulation de l’impôt sur les sociétés favorisant les entreprises qui investissent au détriment de celles qui nourrissent la spéculation ?

De même, il est inacceptable que de telles aides soient accordées sans condition, et que le crédit d’impôt puisse ainsi profiter aux établissements bancaires, aux sociétés d’assurance ou à la grande distribution, voire être redistribué sous forme de dividendes plutôt qu’être dirigé vers l’investissement productif. C’est pourquoi les salariés doivent non seulement donner leur avis, mais intervenir directement dans la gestion des entreprises.

Enfin, il est urgent de porter l’effort sur un nouveau modèle de production et d’assurer la transition écologique en mettant en place un véritable plan de filière européenne d’industrie verte. À titre personnel, j’estime d’ailleurs que toute recherche est utile : elle peut permettre de mettre au point des techniques respectueuses de l’environnement, de réduire les coûts de l’énergie et de garantir notre indépendance énergétique.

M. Louis Gallois. Le plan du Gouvernement est un projet d’envergure, qui prend acte du fait que l’on ne peut plus se contenter de demi-mesures. Il constitue une base permettant aux acteurs économiques de prendre leurs responsabilités.

Par rapport à ce que je proposais, le crédit d’impôt a des avantages. Tout d’abord, il sera calculé à partir des résultats de 2013 et payé en 2014. Il n’aura donc aucun impact fiscal en 2013, ce qui est un élément positif. Des avances de trésorerie pourraient par ailleurs être envisagées afin de donner un peu d’oxygène à certaines entreprises – mais je crois que cela est prévu.

Un autre intérêt est que les 20 milliards d’euros de réduction de charges sociales constituent un avantage net, alors que le transfert que je proposais ne tenait pas compte de l’éventuelle augmentation de bénéfices, et partant de l’impôt sur les sociétés, qu’il pourrait induire dans certaines entreprises. Le montant que j’indiquais était donc un montant brut, même si la différence n’aurait pas été nécessairement très importante, dans la mesure où une marge plus importante peut se traduire par des emplois plus nombreux, un surcroît d’investissement ou une baisse des prix, et donc n’avoir aucun effet sur les bénéfices.

Ce que ne fait pas le plan gouvernemental, c’est le transfert de charges. Si bien qu’une question reste posée, celle de savoir qui doit assumer le coût de certaines prestations relevant de la solidarité nationale, comme les allocations familiales ou une partie de la sécurité sociale. Le sujet sera sans doute abordé dans le cadre de la concertation menée par le Haut conseil du financement de la protection sociale. En tout cas, il devrait l’être. En effet, la solidarité nationale doit être financée par la fiscalité, et non par le travail, pour ne pas pénaliser l’emploi.

Plusieurs députés du groupe UMP. Exact !

M. Louis Gallois. On m’a interrogé sur la place de l’État dans l’actionnariat. La détention par l’État de parts dans un certain nombre d’entreprises lui donne des responsabilités ; en particulier, il ne peut pas leur demander d’agir à l’encontre de leur logique de développement. Mais elle lui donne aussi une capacité d’intervention.

Ainsi, dans le secteur de l’énergie, l’État est actionnaire de presque toutes les grandes entreprises. Il dispose donc des outils nécessaires pour coordonner une politique publique en matière énergétique, et notamment en faveur du développement des énergies renouvelables.

M. Henri Emmanuelli. Bravo !

M. Louis Gallois. J’en viens à la banque publique d’investissement, dont les activités seront de trois ordres : l’aide à l’innovation, le crédit et le renforcement des fonds propres des entreprises. À ce dernier titre, elle sera amenée à prendre des participations, pour l’essentiel minoritaires, afin d’exercer un effet de levier et de générer d’autres financements. Mais je n’exclus pas non plus qu’elle puisse prendre temporairement des participations majoritaires si l’intérêt national le justifie, ne serait-ce que pour défendre certaines entreprises menacées par des prédateurs.

En ce qui concerne les rachats d’action, ils sont de deux types. Certains correspondent à des opérations de réorganisation du capital dans certaines entreprises familiales, ou bien sont un moyen de mettre fin à une cotation en bourse. Mais d’autres servent en réalité à faire monter le cours de l’action et peuvent s’assimiler à des distributions de dividendes déguisées. Dans cette hypothèse, ils doivent être taxés. Le fruit de cette taxe pourrait être utilisé pour donner un avantage fiscal aux bénéfices réinvestis par rapport aux bénéfices distribués. L’administration fiscale estime que ce serait difficile, mais ce n’est pas impossible – certains pays le font.

Cela m’amène à la question des dividendes. Dans ce domaine, ce qu’il faut observer, c’est le rapport entre les montants distribués et les fonds propres des entreprises. Or ce ratio n’a pas beaucoup évolué. Il n’en demeure pas moins que les grandes entreprises ont distribué assez généreusement des dividendes dans les années récentes. Cela étant, dans la mesure où le projet de loi de finances pour 2013 prévoit déjà une fiscalisation des dividendes, je n’ai pas jugé nécessaire de préconiser la création d’une nouvelle taxe.

M. Daniel Fasquelle. Cela vaut mieux, car la coupe est pleine !

M. Louis Gallois. Au sujet de la fiscalité écologique, je m’exprimerai à titre strictement personnel. J’évoque la notion de taxe carbone dans mon rapport, mais je le regrette un peu, car la vraie question réside dans le traitement fiscal du diesel, qui pose un problème pour l’industrie automobile française. Le diesel a été outrageusement avantagé, si bien que ce carburant alimente désormais 70 % du parc automobile français, une situation très différente de celle des autres pays européens. D’une certaine manière, nous avons isolé notre industrie automobile du reste du continent.

Je reconnais, monsieur le rapporteur général, que la partie consacrée à l’Europe est la moins dense de mon rapport, pour la simple raison que notre possibilité d’action est moindre en ce domaine. Mais je note tout de même que l’absence de politique européenne de l’énergie va entraîner une augmentation du prix de l’énergie en Europe et une dépendance accrue à l’égard des sources énergétiques extérieures. De même, l’absence d’une politique d’accès aux matières premières, à la différence de ce qui se pratique aux États-Unis, en Chine ou au Japon, est dramatique. Si cela continue, nous allons dépendre de ces pays pour nos approvisionnements. C’est un vrai problème.

S’agissant de la politique de la concurrence, celle-ci ne tient pas compte au bon niveau de la mondialisation de l’économie – et donc de la compétition. En outre, le contrôle est essentiellement de nature juridique, et non politique : le seul moyen de contester une décision prise par la Commission est le recours devant la Cour de justice de l’Union européenne. Tout est donc fait pour éviter les recours. Pour contrebalancer cette judiciarisation excessive, ma proposition – d’ailleurs reprise par le Gouvernement – est que toutes les décisions européennes concernant la concurrence s’accompagnent d’un avis d’experts économiques et industriels extérieurs à la Commission. Mais au fond, j’estime qu’il faudrait aller encore plus loin et faire du Conseil des ministres européens une structure d’appel des décisions de la Commission en matière de concurrence – ce qui passerait évidemment par la modification des traités. En France, il est possible de faire appel des décisions de la Direction de la concurrence devant le ministre de l’économie. Il en est de même en Allemagne s’agissant des décisions du Bundeskartellamt. Il me paraît donc anormal que la politique européenne, dans un domaine aussi essentiel, ne fasse pas l’objet d’un contrôle politique.

J’en viens à la politique du commerce extérieur. Si nous voulons éviter le protectionnisme, il faut mettre en place le principe de réciprocité : ceux qui exportent chez nous doivent appliquer les règles que nous nous imposons pour exporter chez eux, qu’il s’agisse du domaine social, de l’environnement, de la santé, de la sécurité ou de la propriété intellectuelle. De même, un pays dans lequel on ne peut pas acheter des entreprises ne devrait pas pouvoir en acheter chez nous.

Quant à la politique monétaire extérieure, son effet se résume ainsi : l’euro fort renforce les forts et affaiblit les faibles.

Plusieurs députés du groupe UMP. L’euro n’est pas fort, il est cher !

M. Louis Gallois. On me rétorquera que le niveau de l’euro est fixé par les marchés. Mais les marchés écoutent ce que disent les responsables politiques.

Monsieur Muet, la Conférence nationale de l’industrie a montré sa capacité à organiser un débat sur les filières. J’ai proposé de renforcer la gouvernance et les moyens des comités stratégiques de filière.

Il est vrai, monsieur Fasquelle, que je n’ai pas abordé en tant que telle la question de la durée du travail, non parce que je serais un fanatique des 35 heures – ce n’est pas le cas –, mais parce que la durée hebdomadaire n’est pas vraiment un problème. En effet, en moyenne annuelle, la durée du travail dans notre pays se situe dans la moyenne européenne. Le vrai problème, monsieur le député, concerne le taux d’emploi. La population active est extrêmement faible par rapport à la population totale, ce qui entraîne deux conséquences. Tout d’abord, et dans la mesure où c’est la population active qui génère l’activité économique, notre croissance potentielle est limitée. Ensuite, les charges sont plus lourdes, puisque le poids des inactifs est plus élevé qu’ailleurs. En moyenne, les Français entrent à 28 ans sur le marché du travail et en sortent à 58 ou 59 ans !

Quant à la baisse de la dépense publique, contrairement à ce que vous affirmez, je l’évoque bien dans mon rapport.

Vous jugez le plan du Gouvernement trop complexe, mais je ne comprends pas ce reproche. Il me paraît plus simple que le crédit d’impôt recherche, qui se heurte à une difficulté importante, celle de déterminer l’assiette. Ici, l’assiette est simple : ce sont tous les salaires jusqu’à deux fois et demi le SMIC. Une fois le crédit d’impôt calculé, il ne reste plus qu’à le déduire de l’impôt sur les sociétés.

Mme Bonneton s’est prononcée pour une politique de la demande. Pour ma part, bien que nourri au keynésianisme, au point de le porter dans mes gènes, j’ai été obligé de virer ma cuti, parce que la France souffre d’un véritable problème d’offre, et que toute politique de la demande se traduirait aussitôt par un afflux d’importations.

M. Olivier Carré. Très bien !

Mme Michèle Bonneton. C’est bien pour cela qu’il faut des taxes aux frontières de l’Union !

M. Louis Gallois. Lorsque vous augmentez de 1 % la demande en France, vous augmentez de 1,4 % – et même de 1,6 % à court terme – le montant des importations.

Cela ne veut pas dire que l’on ne peut rien faire dans ce domaine. Par exemple, vous avez parfaitement raison d’évoquer l’importance du coût du logement pour les ménages, qui est le double de celui observé en Allemagne. Il s’agit donc d’un vrai problème, mais il appartient justement à la représentation nationale de prendre les dispositions nécessaires.

Quant à votre proposition sur l’isolation thermique des logements, je suis d’autant plus d’accord que des programmes très importants de rénovation ont été lancés dans le cadre des investissements d’avenir. Il n’y a en effet pas de meilleure énergie renouvelable que l’économie d’énergie. Elle a tous les avantages, y compris celui de générer de l’emploi : l’isolation des bâtiments, par exemple, exige de la main-d’œuvre.

M. de Courson s’est demandé pourquoi je suggérais d’augmenter la CSG et non la TVA. Je vous renvoie aux termes exacts de mon rapport, qui trahissent une certaine lâcheté de ma part : « si on ne peut pas faire appel au taux normal de la TVA », la plus grande part des compensations devra provenir du relèvement de la CSG. Le Gouvernement a d’ailleurs compris le message, puisqu’il propose d’augmenter la TVA.

La CSG a un avantage, toutefois : elle est modulable.

M. Thierry Benoit. Mais elle ne touche pas les importations !

M. Louis Gallois. On peut donc épargner les bas salaires, et prendre des mesures mieux ciblées.

M. le président Gilles Carrez. Avec la TVA aussi, grâce au taux réduit.

M. Louis Gallois. Certes, mais la différenciation est moins subtile, parce que tout le monde doit s’alimenter, par exemple.

Cela étant, il n’existe pas de solution miracle en matière de prélèvements. Seule la baisse de la dépense publique permet de les réduire. Mais celle-ci n’est pas non plus une affaire simple, car il faut éviter de casser les dispositifs qui permettent à la France de rester un pays solidaire. Une grande partie de la dépense publique est en effet orientée vers la cohésion nationale. Il faut donc faire preuve de discernement, même si des économies peuvent être réalisées dans certains domaines. On doit agir sur les trois catégories de dépense : les dépenses de l’État ; celles des collectivités territoriales, qui sont d’un volume équivalent aux premières ; celles de la protection sociale, égales à la somme des deux autres catégories.

En ce qui concerne l’assiette du transfert de charges, monsieur Carrez, j’ai voulu, en choisissant un seuil de 3,5 SMIC, orienter plus précisément la mesure pour favoriser la compétitivité dans l’industrie. De son côté, le Gouvernement a retenu un niveau de salaire moins élevé pour l’application de son crédit d’impôt, parce qu’il recherche plutôt un effet sur l’emploi. C’est un choix que je peux comprendre.

De toute façon, l’industrie n’est pas un isolat. Lorsque les coûts baissent dans l’ensemble de l’économie française, l’industrie en bénéficie. C’est pour cette raison que le faible coût des services outre-Rhin est présenté comme un avantage compétitif pour l’industrie allemande. Mais je n’irai pas jusqu’à en faire un modèle, dans la mesure où une partie de ces faibles coûts s’explique par des niveaux de salaire inacceptables. La pauvreté se développe en Allemagne – 2 millions de salariés ont un salaire inférieur ou égal à 4 euros de l’heure –, de même que le travail à temps partiel, qui atteint 21 %, contre 13 % en France. Le modèle allemand ne saurait donc être appliqué tel quel à notre pays.

J’en viens à la question de l’orientation de l’épargne, en prenant l’assurance-vie pour exemple. Les contrats sont de deux sortes : ceux dits « en euros » concernent les placements en obligations, tandis que ceux dits « en unités de compte » portent majoritairement sur des actions. Or ils font l’objet du même traitement fiscal, ce qui est injuste, dans la mesure où il existe un risque dans un cas, mais pas dans l’autre. Aujourd’hui, les contrats en euros représentent 85 % du total, contre 15 % pour les contrats en unités de compte, c’est-à-dire à risque. Il faudrait introduire une différenciation fiscale, de façon à ramener les premiers à 70 % et à porter les seconds à 30 %. Cela représenterait un apport substantiel de financement pour les entreprises.

Pour favoriser un capital familial stable au sein des ETI, monsieur de Courson, je propose de maintenir le dispositif « Dutreil », un élément décisif en matière de transmission d’entreprise. Je suggère également de permettre à la BPI d’investir dans des actions de préférence, sans droit de vote mais assorties d’un dividende prioritaire, pour ne pas déstabiliser l’actionnariat de certaines entreprises familiales ayant besoin d’un apport de fonds propres pour pouvoir grandir.

Dans douze pays d’Europe, dont l’Allemagne, des représentants de salariés siègent dans les conseils d’administration. Ma proposition, madame Dubie, n’a donc rien de révolutionnaire.

Vous suggérez de poser des conditions à l’octroi des aides, mais une telle politique est extrêmement compliquée à mettre en place et peut avoir des effets contre-productifs. Un débat parlementaire aura lieu sur cette question, et je ne veux pas préjuger de son résultat, mais sachez qu’il est très difficile de définir des critères de conditionnalité qui ne remettent pas en cause l’équilibre de la mesure.

De toute façon, il y a toujours des effets d’aubaine, surtout quand on prend une disposition qui concerne toutes les entreprises. Le problème est de parvenir à l’orienter vers l’investissement. Je propose donc que les bénéfices réinvestis fassent l’objet d’un avantage fiscal, et que les dirigeants s’expliquent devant le comité d’entreprise sur l’usage qu’ils feront du supplément de ressources ainsi apporté. Mais surtout, l’ensemble des propositions forme un tout destiné à créer un écosystème favorable à l’investissement. Les industriels veulent investir, car pour eux, cela représente l’avenir. Il leur faut seulement un environnement favorable.

M. Sansu a évoqué une addiction aux marchés financiers. Mais le pôle public, qui a besoin de financements, devra lui-même y avoir recours. La BPI, par exemple, va émettre des obligations. Le problème de l’Europe est le manque de profondeur de son marché financier. Dans l’Union, les banques assurent 70 % des financements, contre 30 % pour le marché financier. Or, en raison de la diminution de l’offre de crédit, ce dernier va devoir prendre le relais des banques. Aux États-Unis, la proportion est inversée : la part du marché financier, qui est beaucoup plus profond, est de 70 %. Le rôle de la BPI sera donc d’éviter ce que l’on appelle le credit crunch, c’est-à-dire la pénurie de crédit.

En ce qui concerne la conditionnalité, je le répète, le débat est légitime, mais il faut éviter la complexité ou les effets pervers.

Enfin, vous avez raison d’en appeler au développement de l’industrie verte. C’est d’ailleurs une des trois priorités que je suggère de fixer pour le Commissariat général à l’investissement.

M. Germinal Peiro. Nul ne conteste le constat de décrochage sans précédent que vous dressez dans votre rapport, mais je n’y ai rien lu concernant les obstacles à la compétitivité dus à la finance : rien sur la régulation ; rien sur les freins à la spéculation ; très peu sur la rémunération du capital ; rien sur les fonds de pension qui exigent des rendements de 15 % au mépris de l’entreprise ; rien sur les prélèvements financiers, alors que, selon l’INSEE, les charges d’intérêt payées aux banques en 2011 s’élevaient à 309 milliards d’euros contre 145 milliards pour les cotisations sociales. Pourquoi ?

Mme Laure de La Raudière. Chacun trouve dans ce rapport fort attendu et fort commenté ce qu’il souhaite. Je salue la prouesse politique…

Ayant souligné l’importance pour l’industrie du coût de l’énergie, pensez-vous souhaitable de prolonger les centrales nucléaires les plus anciennes, à condition que l’Autorité de sûreté nucléaire n’y voie pas d’inconvénient ?

Quelles mesures concrètes envisagez-vous pour inciter à la coopération entre grands groupes et PME au sein des filières ?

Sans doute par méconnaissance, sans doute aussi à cause de la médiatisation des fermetures d’entreprise, les Français éprouvent un désamour certain pour l’industrie au point que certaines PMI ont du mal à recruter, que les sections bacs pro de maintenance industrielle ne sont pas pleines alors que les bacs pro secrétariat le sont. Comment lutter contre cette évolution ?

M. Guillaume Bachelay. Au-delà de votre rapport, je tiens à saluer le patriote que vous êtes. Parmi les causes structurelles à l’origine de la perte de substance industrielle du pays, vous identifiez « des flux de financement insuffisamment orientés vers le tissu industriel », ce qui confirme notre expérience de terrain. Nous assistons déjà à un assèchement du crédit – notamment des crédits de trésorerie – sans doute à cause de l’effet négatif des nouvelles normes de Bâle III, tandis que les besoins en fonds propres se heurtent au recul de la collecte de capital investissement, qui a fondu de moitié depuis 2008, passant de 12 à 6 milliards d’euros. Dans ce contexte, comment la future banque publique d’investissement peut-elle contribuer, non seulement à renforcer les fonds propres des PME, mais surtout à structurer les filières stratégiques – à ce propos, lesquelles faut-il privilégier ? –, et à financer l’innovation dans les PME ? Et comment articuler banque publique d’investissement et régions puisque vous déplorez la faiblesse des solidarités territoriales ?

Votre rapport laisse entendre que l’épargne réglementée pourrait être davantage orientée vers le financement des PME. Vous paraîtrait-il utile d’assurer une partie du financement de la BPI par le fonds d’épargne ?

M. Michel Sordi. Le Haut-Rhin, que je représente, est en concurrence directe avec l’Allemagne et les cantons suisses. Cette année, outre-Rhin, les saisonniers étaient payés 3 euros de l’heure, ce qui pose des problèmes à l’agriculture locale. Quand les entreprises alsaciennes gagnent des chantiers en Allemagne, elles trouvent par comparaison qu’il y a chez nous trop de réglementations, trop de contrôles et des délais administratifs trop longs. Ne faudrait-il pas revoir notre système de fonctionnement ?

Fessenheim est dans ma circonscription et je suis très heureux que vous souligniez que le prix de l’énergie est un avantage concurrentiel pour nos entreprises et que vous recommandiez d’arrêter une centrale sur décision de l’ASN, et non pour des raisons politiciennes.

N’est-il pas temps de revoir le dogme des 35 heures ? Elles n’existent qu’en France. Ne faudrait-il pas au moins en discuter par secteur d’activité ou par entreprise ?

M. Daniel Goldberg, rapporteur de la mission d’information sur les coûts de production en France. Le crédit d’impôt recherche devrait être étendu à l’innovation – un terme à préciser –, ce qui implique de contrôler qu’il est bien utilisé dans ce but. Ne trouvez-vous pas que les mécanismes que vous proposez sur ce point ne sont pas suffisants ?

Dans le chapitre que vous consacrez à la politique industrielle européenne, vous stigmatisez « la politique de concurrence [qui] domine toutes les politiques européennes » et faites plusieurs propositions sur le marché extérieur et la compétitivité européenne. En revanche, vous ne dites rien de la concurrence sur le marché intérieur. Comment aider nos entreprises à s’y développer ?

M. Éric Alauzet. Quel est précisément le rendement en emplois de la politique que vous préconisez ? Car au-delà de la compétitivité, de l’investissement, de la croissance, c’est bien notre principale préoccupation, d’autant que les mesures prises ces dernières années n’ont guère été concluantes.

Avec un écart de revenus qui se creuse et une rémunération du travail souvent insuffisante, l’élan de cohésion du peuple français autour du projet industriel est-il possible ?

Le levier écologique a été, à mon avis, insuffisamment traité et utilisé. La fiscalité écologique occupe une place peu importante dans le dispositif de ressources supplémentaires. Pourtant, le potentiel est réel – deux à trois fois moins d’engagements en France que dans le nord de l’Europe. Dans cette optique, la question de l’éco-conditionnalité des aides se pose aussitôt. Prendre la question à bras-le-corps permettrait de considérer différemment les gaz de schiste, de limiter le diesel – dont vous regrettez de n’avoir pas suffisamment parlé – et d’intégrer les coûts externes que vous n’avez pas évoqués, en termes de santé ou d’environnement, et en rareté en cas de relance économique.

M. Éric Straumann. Nous sommes très heureux, en Alsace, que vous ayez évoqué la question des centrales nucléaires. Le Gouvernement a donné, pour des raisons politiciennes, des gages aux écolos en déclarant vouloir fermer Fessenheim qui a pourtant obtenu une prolongation de dix ans. J’espère que vous serez entendu.

L’augmentation de la TVA dans la restauration, qui représente tout de même une hausse de 40 % – est mal vécue par les hôteliers restaurateurs. Pourrait-on envisager un aménagement dans ce secteur, comme dans celui de la rénovation des bâtiments, deux secteurs porteurs d’emploi ?

Vous avez invoqué l’urgence de mettre fin à la glissade à laquelle nous assistons, mais, pour des raisons électorales, l’augmentation de la TVA n’interviendra qu’en 2014. Que penser d’un tel décalage ?

Mme Frédérique Massat. Vous avez reconnu avoir manqué de courage en ne parlant pas, dans votre rapport, du diesel. Mais cet aveu a fait le tour des rédactions et Internet s’en fait l’écho. Ne devriez-vous pas plutôt faire un rapport complémentaire car le sujet mérite d’être traité ?

La conditionnalité nous préoccupe tous – nous les parlementaires mais aussi nos concitoyens à qui des efforts vont être demandés –, surtout après les déclarations de la présidente du MEDEF qui y est totalement opposée.

Pour appuyer les exportations, vous dénoncez une action insuffisante en matière de normes et de brevets. Pourriez-vous nous donner davantage de détails ?

J’approuve vos remarques concernant la politique de la concurrence, mais nous l’avons largement subie. Comment faire partager nos convictions ?

M. Thierry Benoit. Monsieur le commissaire général, j’ai été très intéressé par ce que vous avez écrit sur le pacte social qu’il faut, selon vous, revisiter sur trois points : le financement de la protection sociale, les institutions représentatives, et la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels. Que pense le dirigeant de grandes entreprises publiques que vous avez été de l’harmonisation des statuts de droit public et de droit privé ? Pour relever le défi de l’attractivité des métiers de l’industrie, un nouveau pacte social pourrait-il, après un examen dépassionné, déboucher sur un décloisonnement entre deux sphères étanches, de façon à sécuriser les parcours professionnels ?

Mme Brigitte Allain. J’ai bien entendu vos remarques sur la politique de l’énergie et l’accès aux matières premières, mais votre rapport est fortement orienté sur le coût du travail. Or ne faites-vous pas des choix stratégiques ? Ainsi, vous recommandez la recherche sur les techniques d’exploitation des gaz de schiste. Mais, l’exemple des États-Unis révèle, outre les risques pour la population locale, avec la diffusion d’aluminium ou d’arsenic, et des fuites de méthane, que l’exploitation de certains gisements est interrompue au bout de six mois, parce qu’ils ne sont plus productifs. Certains États ont ainsi décidé d’un moratoire. Quel est l’intérêt économique d’une source d’énergie aussi hypothétique ? Je me demande si, plutôt qu’un choc de compétitivité, vous ne proposez pas finalement un choc de toxicité. Ne serait-il pas préférable de se tourner vers des énergies renouvelables, énergies que vous ne mentionnez pas ?

M. Louis Gallois. Mais si.

M. Éric Woerth. Votre rapport, monsieur le président Gallois, est-il un cinglant réquisitoire contre la politique des gouvernements précédents, selon l’interprétation – à mon avis assez libre – de celui qui est en place en ce moment ? Après tout, n’êtes-vous pas le mieux placé pour expliciter ce que vous avez écrit… ?

Le crédit d’impôt n’est-il pas un chemin bien détourné pour réduire le coût du travail ? Diminuer les charges aurait été plus durable que de créer une nouvelle niche fiscale, dont j’ignore si elle sera vraiment lisible par des investisseurs étrangers qui, pour mesurer l’attractivité d’un pays, se réfèrent surtout au coût du travail.

Enfin, un choc est aussi une question de calendrier. Avec des mesures étalées de 2014 à 2016, peut-on encore parler de choc ?

M. Louis Gallois. Monsieur Peiro, ayant participé à la commission Liikanen sur les banques et leur avenir, je crains que le coût des financements bancaires n’augmente sous l’effet des nouveaux ratios de fonds propres. Vous avez stigmatisé les fonds d’investissement particulièrement exigeants en termes de retour sur investissement et vous avez raison car de tels comportements ne permettent pas de développer des stratégies de long terme. C’est pourquoi la BPI doit se fixer des taux de retour moins ambitieux et étalés sur des périodes plus longues, même si elle n’est pas là pour sauver les canards boiteux. Et c’est dans cette perspective que je propose d’allonger la durée de l’épargne. Rémunérer l’épargne est normal. À ce sujet, il faut savoir que l’épargne la mieux rémunérée est celle placée sur le livret A, au détriment des autres circuits, notamment de l’investissement productif.

Par ailleurs, le coût du crédit est historiquement bas et il ne peut que remonter. Si les entreprises paient beaucoup d’intérêts, c’est parce qu’elles sont très endettées. Et si elles sont très endettées, c’est parce que leurs marges étaient insuffisantes. Le coût des prélèvements financiers sur les entreprises est considérable mais il faut y voir la conséquence de leur endettement.

Je n’ai pas le temps de détailler les solutions, madame de La Raudière, mais il n’y a pas de miracle pour faire travailler ensemble les entreprises. Il y va de la responsabilité des grands groupes, mais on peut les y aider, par exemple en prévoyant des sanctions si les dispositions de la loi LME sur le crédit interentreprises ne sont pas respectées. On peut les obliger, quand elles bénéficient d’aides à leurs programmes de recherche, à travailler avec leur chaîne de fournisseurs. Je souhaite que les comités de filière puissent fonctionner, que les industries se prennent en main notamment par le biais du renforcement de leurs syndicats professionnels. Est-il normal que, dans l’industrie automobile, il y ait un syndicat professionnel de constructeurs et un autre pour les équipementiers ? Comment le dialogue peut-il exister ? En Allemagne, tout le monde est dans le même bateau.

Vous avez raison de parler de désamour. L’image de l’industrie qu’ont les Français est celle d’une activité polluante, où les conditions de travail sont moins favorables, et surtout, qui offre des emplois à risque. D’une façon générale, le progrès technique n’est pas valorisé dans notre pays. On ne l’envisage que sous l’angle du risque qu’il présente, jamais sous celui de ses potentialités. Le plus grand risque que nous prenons, c’est celui de ne pas en prendre assez avec, à la clé, le déclin assuré.

Monsieur Bachelay, la BPI devra intervenir sur trois compartiments – aide à l’innovation, crédit, fonds propres. En tant que banque, elle sera soumise aux règles prudentielles et il faut qu’elle se garde d’investir dans des canards boiteux – je vous rappelle le précédent des sociétés de développement régional, les SDR, qui ont presque toutes fait faillite. Bref, la BPI doit soutenir l’innovation et les filières, aider au renforcement des fonds propres des PME, mais sans prendre des risques excessifs.

L’État dispose d’un levier en tant qu’actionnaire direct, ou indirect par l’intermédiaire de la Caisse des dépôts, de différents organismes d’épargne et d’assurance, de la CADES à la CNP, dont il peut orienter les placements.

Monsieur Sordi, je vous ai dit ce que je pensais des 35 heures. Je pourrais vous rejoindre sur la souplesse, mais il faudra donner des contreparties, en termes de sécurisation de l’emploi, de réduction de l’emploi intérimaire et des CDD, car il n’y a pas de négociation sans concession.

La conditionnalité, monsieur Goldberg, est un sujet délicat compte tenu des multiples objectifs visés. Le Parlement va en débattre et je suivrai la discussion avec intérêt.

Le marché intérieur crée de la concurrence, et il se faut se féliciter que M. Barnier soit un commissaire actif, qui œuvre au brevet européen et dans le sens de l’industrie européenne. Mais le marché intérieur est aussi le lieu où s’affrontent des économies qui sont inégalement compétitives et il ne doit pas devenir une mécanique au service des plus forts, qui accentue les divergences. Il faut donc y associer des mécanismes de solidarité, par exemple les project bonds.

Monsieur Alauzet, ne disposant pas des modèles de Bercy, je ne peux pas être très précis sur le chiffrage. M. Moscovici a évoqué 300 000 à 400 000 emplois. En tout cas, il est évident qu’une baisse de 6 % du coût du travail se ressentira sur l’emploi.

La France a tout de même la chance d’être un des pays d’Europe où les écarts de revenus se sont le moins élargis. Nous sommes encore dans une honnête moyenne, mais je suis d’accord que, dans un pays hanté par l’idée d’équité, si nous ne sommes pas capables de démontrer que les politiques qui sont menées bénéficient à tous et aboutissent à une répartition juste, nous courons à l’échec. Il faut que les gens sachent que l’effort sera partagé et que les bénéfices le seront aussi. C’est tout à fait essentiel.

Les leviers écologiques, je crois avoir suggéré d’en actionner quelques-uns, mais, dans certains domaines, je ne peux pas aller aussi loin que vous.

Monsieur Straumann, j’aurais préféré deux ans, mais à partir du moment où la décision est prise, l’important, c’est de s’y tenir pour la durée du quinquennat. Le drame, c’est de changer sans arrêt.

Je regrette d’avoir ouvert un débat national, madame Massat, parce que ce n’est pas le moment, compte tenu de la situation de l’industrie automobile française. Il n’en reste pas moins qu’il faudra revoir la fiscalité du diesel en France.

S’agissant des normes et brevets, la France est insuffisamment présente dans les instances de délibération. Il faut que notre présence soit plus forte et mieux coordonnée.

Je ne sais pas répondre à votre question, monsieur Benoit, bien qu’elle soit essentielle. Vous avez évoqué les statuts de droit public et de droit privé, moi les CDI, les CDD ainsi que le cas des intérimaires. Nous avons un « marché du travail » – je n’aime pas beaucoup cette expression – qui est très éclaté, avec des compartiments très cloisonnés. Il faut le réorganiser car ce sont toujours les mêmes qui sont du mauvais côté.

Madame Allain, je n’ai pas utilisé l’expression « coût du travail ». Je l’ai dit, je le répète, tous les coûts doivent être examinés, y compris celui de l’énergie. Ce qui compte, au fond, c’est la marge de l’entreprise, sans laquelle il n’y a ni investissement ni développement. Les Français, toutes sensibilités politiques confondues, doivent s’habituer à ce que les entreprises fassent de la marge.

Vous considérez les gaz de schiste comme une fausse solution et parlez de « choc de toxicité ». Vous y allez fort ! Je dis seulement : pourquoi ne pas rechercher des techniques propres d’exploitation des gaz de schiste ? La question est de savoir si nous préférons acheter le gaz de schiste à M. Bouteflika ou à M. Poutine, ou le produire chez nous si nous en avons sous nos pieds. J’ignore quelles sont nos ressources mais, si nous trouvons des techniques d’extraction plus propres que celles utilisées par les Américains – au moins au début, car ils ont fait beaucoup de progrès –, je ne vois pas pourquoi il faudrait par principe y renoncer. Dans tout schéma de transition énergétique, le gaz occupe une place significative. On ne sait pas faire autrement.

Monsieur Woerth, le crédit d’impôt n’est pas un instrument si compliqué, et je m’adresse avec humilité à un ancien ministre du budget. L’impact sur le coût du travail n’est pas direct, mais je lisais ce matin le compte rendu du programme du Gouvernement dans le Financial Times qui n’a pas la réputation de soutenir les dirigeants français, et il y était plutôt favorable.

Quant au calendrier, j’aurais préféré que les choses aillent plus vite, mais je reconnais l’extraordinaire difficulté que créent la contrainte budgétaire et la contrainte économique. Quand M. Schroeder a pris les mesures Hartz, la croissance en Europe était comprise entre 2,5 % et 3 %, et l’euro valait entre 0,9 et 1 dollar. Autrement dit, le contexte économique était extraordinairement porteur. Aujourd'hui, c’est beaucoup plus compliqué.

M. Jean Grellier. Vous voyez dans la conférence nationale de l’industrie un élément fédérateur du dialogue social, capable de mobiliser pour retrouver une dynamique industrielle en s’appuyant sur une stratégie de filière. Le Gouvernement s’est rallié à cette priorité et envisage de transformer la Conférence en Conseil national de l’industrie. Y aurait-il un intérêt à décliner une telle structure au niveau régional, afin d’assurer la cohérence de la démarche au plus près des territoires ?

M. Jean-François Lamour. Le pacte social, dites-vous, fait partie des moteurs de la compétitivité de nos entreprises. J’en conviens, mais un de nos problèmes réside dans notre déficit extérieur et notre déficit public. Or vous ne précisez pas dans votre rapport comment leur réduction peut accompagner le choc de compétitivité. Pour tenir nos objectifs et ramener le déficit public à 2,2 % en 2014 et à 1,3 % en 2015, ce sont 34 milliards d’euros qu’il faudra aller chercher avec les dents, auxquels viendront s’ajouter les 10 milliards d’économies lissés sur deux exercices que M. Ayrault a annoncés, soit 44 milliards. Pourquoi ne pas avoir fait du rétablissement de nos comptes publics la vingt-troisième préconisation de votre rapport, et même la première ? Estimez-vous surtout, comme beaucoup à gauche, que le cap des 3 % en 2013, et a fortiori les objectifs pour les années suivantes, ne sont pas à notre portée ? Ou bien en faites-vous, comme nous, une priorité ?

M. Philippe Kemel. L’épargne spéculative peut déstabiliser les industries et les exemples abondent dans nos régions où des fonds de pension ont réussi à dépecer des entreprises de taille intermédiaire. En drainant l’épargne, la BPI pourrait, selon vous, apporter une réponse, mais elle ne serait que partielle dans la mesure où une grande partie de l’épargne s’oriente vers les circuits internationaux et revient sous forme de fonds de pension, et de LBO. La fiscalité pourrait-elle empêcher les reprises d’entreprise sous cette forme, de façon à favoriser la réindustrialisation ?

Mme Annie Genevard. Plusieurs de vos préconisations insistent sur la pertinence et l’efficacité des actions collectives et des stratégies de filière – à l’œuvre dans les pôles de compétitivité, les clusters, les contrats d’aide à la compétitivité –, lesquelles ont fait leurs preuves, tel le cluster autour des métiers du luxe et de la finition soignée que nous avons créé dans ma région, avec quarante PME. Aujourd'hui, la crise, plus inquiétante parce que plus profonde encore qu’en 2008, peut conduire au repli. Or une stratégie collective suppose au contraire une capacité à se projeter dans l’avenir et à partager une vision stratégique de filière. Au moment où il faudrait conforter cette attitude, la crise risque de mettre à mal ce qui s’est construit non sans difficulté depuis de nombreuses années, dans les grands groupes mais aussi chez les PME et les TPE. Comment les aider à ne pas lâcher prise dans la tourmente ?

Mme Annick Le Loch. Les marges des PME de l’agroalimentaire, bien ancrées dans les territoires, souffrent beaucoup du fait de l’augmentation des coûts des matières premières, mais aussi des relations entre producteurs et distributeurs. Comment rééquilibrer le rapport de forces qui opposent les producteurs et les industriels à la grande distribution ?

Mme Marie-Christine Dalloz. Les propositions n° 1 – l’engagement de pérenniser certains dispositifs en faveur des entreprises – et n° 3 – la création d’un Commissariat à la prospective – sont-elles de nature à contrecarrer l’instabilité juridique et fiscale qui pénalise fortement nos industries ? Et la proposition n° 13 qui vise à donner aux régions la responsabilité de coordonner l’action des politiques de recherche et d’innovation ne va-t-elle pas se heurter à leur disparité, au risque de pénaliser certaines filières ? Les moyens et les potentialités de la Franche-Comté, par exemple, ne peuvent pas se comparer à ceux de Rhône-Alpes ou de PACA.

Les graphiques qui figurent à la fin de votre rapport sont très instructifs, mais je regrette que vous n’ayez pas pris partout la même date de référence. Celui sur l’évolution du taux de valeur ajoutée part de 1980, alors que les autres ne commencent qu’en 2000, notamment le taux d’autofinancement.

M. Louis Gallois. J’aurais pu le donner en effet. Sachez qu’il est stable entre 1990 et 2000, et s’effondre ensuite.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Vous insistez sur la nécessité de provoquer un « choc de compétitivité » et d’apporter aux entreprises un « ballon d’oxygène », notamment à l’industrie, par le biais d’un transfert de cotisations sociales. Cependant, vous n’évoquez pas la conditionnalité des aides ; tout au plus faites-vous référence à la concertation prévue sur le financement de la protection sociale pour en examiner les conditions. Vous insistez sur la complexité du problème et renvoyez les solutions aux politiques. Pourtant, la conditionnalité des aides et des contreparties est primordiale pour limiter les effets d’aubaine, nécessaire pour obtenir l’adhésion de tous, et essentielle au succès du pacte de compétitivité. Votre rapport aurait gagné à traiter le sujet.

D’autre part, le Small Business Act que vous préconisez serait-il applicable aux très petites entreprises et aux artisans, qui sont les plus grands pourvoyeurs d’emplois non délocalisables ? Et selon quelles modalités ?

Mme Arlette Grosskost. À l’instar de mes collègues de la région frontalière qu’est l’Alsace, j’insisterai, monsieur le commissaire général, sur le temps de travail qui fausse la concurrence, mais je souscris à vos propositions. Toutefois, je ne comprends pas comment une région pourrait « animer le dialogue social » comme le suggère la proposition n° 13. Cette responsabilité aura-t-elle des répercussions dans les entreprises, considérées individuellement ?

Qu’on le veuille ou non, le regard des investisseurs étrangers passe encore et toujours par le prisme du coût du travail. Or diminuer l’impôt sur les sociétés – toutes les entreprises n’en paient pas – n’a qu’un impact différé sur la trésorerie en n+1, voire n+2, et c’est évidemment moins simple que de baisser le coût du travail.

À la lumière de vos propositions sur la souscription par la BPI d’actions privilégiées sans droit de vote, et sur une meilleure rémunération du capital, la taxation des revenus qu’il génère à la même hauteur que ceux du travail me pose problème.

M. Dominique Potier. Avant de faire l’audit de l’enseignement technique, je vous invite à regarder les résultats de l’enseignement technique agricole, fruit d’une tradition à la fois pragmatique et humaniste. Il prouve qu’un engagement équilibré entre la région, l’État et les professionnels peut se révéler bénéfique. Le partenariat avec les entreprises favorise l’apprentissage et il y a vraiment des leçons à tirer de cette démarche respectueuse à la fois de la tradition de l’éducation nationale et du monde de l’entreprise. Ne pourrait-on pas faire de l’accueil en entreprise, qui freine incontestablement le développement de l’apprentissage, une des contreparties des crédits d’impôt qui sont envisagés ?

Votre rapport est très lapidaire sur l’économie circulaire, qui constitue pourtant un secteur d’avenir. Quelles sont les évolutions législatives, aux plans national et international, qui pourraient contribuer à son essor ?

Mme Catherine Vautrin. Vous invitez, dans vos propositions n°s 11 et 17, à renforcer la solidarité des filières et au respect des délais de règlement interentreprises. Pour ce faire, vous incitez les acteurs à se concerter pour « normer » les informations à fournir aux commissaires aux comptes. Ne faudrait-il pas réfléchir en parallèle à une concertation sur les délais de paiement au sein des filières en difficulté, comme l’agroalimentaire, le textile ou les activités saisonnières ?

S’agissant des pôles de compétitivité, vous dites pudiquement que « la baisse du Fonds unique interministériel […] devrait être corrigée », mais malheureusement, pas plus que les présidents de pôle qui ont lancé un appel, vous n’avez été entendu.

Vous n’avez rien dit de la fiscalisation des heures supplémentaires. Or, la fiscalisation des heures supplémentaires dans les entreprises de moins de vingt salariés représente un coût administratif pour les entreprises et pèse sur la consommation.

Mme Corinne Erhel. Comment analysez-vous le rôle du numérique dans la politique industrielle ? La conversion des PME au numérique est un facteur de compétitivité mais, pour que les innovations dans les services se développent, la fibre optique à très haut débit doit être déployée sur l’ensemble du territoire. Quel rôle donner à la filière numérique, qui est à la fois stratégique et transversale, puisqu’elle participe au développement des autres filières ?

La réciprocité est un point très important pour nos entreprises soumises à la compétition internationale car le risque existe de perdre nos compétences – je pense particulièrement aux équipementiers de la filière télécoms, mais il y en a d’autres. Il y a urgence à agir. Que faire concrètement ?

Mme Anne Grommerch. Vous proposez de favoriser l’épargne en actions, notamment celle investie en assurance-vie, mais cette mesure ne se heurte-t-elle pas à l’alourdissement de la fiscalité du capital et au doublement du plafond du livret A ?

À propos des 35 heures, vous avez déclaré que le problème ne réside pas tant dans la durée hebdomadaire du travail que dans le taux d’emploi. Pourtant, vous n’avez rien dit de l’âge de départ à la retraite. Pourquoi ?

La BPI sera censée soutenir la politique industrielle. Or il est apparemment envisagé d’abonder certains secteurs comme l’économie sociale et solidaire ou l’agroalimentaire. L’argent destiné à financer les entreprises n’est-il pas aujourd'hui trop précieux pour procéder à un saupoudrage ?

M. Razzy Hammadi. Votre rapport aborde plusieurs dimensions de la politique européenne : l’énergie – domaine dans lequel la stratégie allemande est clairement non coopérative, avec les gazoducs Northstream et Southstream – ; la monnaie, qui permet à l’Allemagne de jouer sur une forme de dévaluation importée par le biais des délocalisations hors zone euro ; la politique de la concurrence, en suggérant de faire du Conseil des ministres l’instance d’appel des mesures prises en ce domaine par la Commission. Vous évoquez les programmes européens en citant Galileo, qui a pourtant, selon la Cour des comptes européenne, coûté 30 % à 40 % de plus que prévu, sans parler de ses retards. Mais pourquoi ne pas avoir abordé la problématique du budget européen, dont la discussion commence aujourd'hui ? Les grands programmes, concernant notamment l’industrie spatiale, ne peuvent-ils servir à trouver des marges de manœuvre ?

Sur la fiscalité, vous avez réfléchi à périmètre constant, en parlant de la TVA, de la CSG. Mais ne peut-on envisager une fusion entre la CSG et l’impôt sur le revenu, pour trouver des ressources pour financer votre plan ?

Je termine en mentionnant, comme d’autres, la conditionnalité, qui est aussi une de nos préoccupations.

M. Jean-Louis Gagnaire. Monsieur le commissaire général, il était important que vous rappeliez devant la commission des finances, plus soucieuse du redressement des finances publiques, et celle des affaires économiques, plus sensible au redressement productif, – sans que les deux objectifs soient incompatibles –, que nous ne sommes pas condamnés à la spirale du déclin. Votre rapport mentionne le programme-cadre de recherche et de développement technologique – PCRDT – Horizon 2020, auquel j’adhère entièrement. Mais comment réussir à mobiliser efficacement les crédits européens ? J’ai appris la semaine dernière que nous étions sous la menace d’un dégagement d’office de 2 milliards d’euros parce que nous ne sommes pas capables de faire passer nos demandes de fonds structurels. Il ne suffit pas de mobiliser 84 milliards d’euros au niveau européen, encore faut-il pouvoir les utiliser. Il y va de notre excellence scientifique et de la primauté de notre industrie.

Vous ne dites pas un mot de l’investissement des salariés dans le capital des entreprises, auquel je suis attaché. Il y a plus de vingt ans, le Québec a réussi son redressement productif, grâce notamment aux fonds de solidarité parrainés par les salariés. Excluez-vous une telle hypothèse dans notre pays ? Ou bien mérite-t-elle d’être explorée dans le temps puisque le bouquet de solutions que vous proposez contient des mesures à plus ou moins long terme ?

M. Patrick Hetzel. Monsieur le Commissaire général, plus de soixante-dix députés de l’opposition ont lancé un appel pour que votre rapport ne soit pas enterré et que le choc de compétitivité dont le pays a besoin ait bien lieu.

Il est écrit dans le premier paragraphe de la page 15 de votre rapport : « la faiblesse du couple durée du travail-taux d’emploi […] coûte cher et limite la croissance potentielle de l’économie. » La formulation subtile et élégante ne dissimule pas un diagnostic hélas très juste. Pour vous, quel serait le remède le plus pertinent pour surmonter définitivement un handicap aussi sérieux ? Et avez-vous décelé, dans le plan gouvernemental, des mesures susceptibles d’y remédier ? J’avoue ne pas les avoir trouvées et je suis d’ailleurs circonspect quant à la capacité de rétablir notre compétitivité sur ce point décisif.

M. Frédéric Barbier. En tant qu’élu du Doubs, qui a été le berceau de Peugeot, je suis particulièrement intéressé par la compétitivité de l’industrie automobile. Lui faites-vous les mêmes recommandations qu’aux autres secteurs ?

Votre rapport plaide pour une politique centrée sur l’offre. Mais, pour une industrie qui représente 10 % de l’emploi salarié en France, les mesures que vous prônez ne risquent-elles pas de voir leurs effets limités par une demande insuffisante ? Les prévisions pour 2013 sont à cet égard inquiétantes.

La montée en gamme de l’industrie automobile ne comporte-t-elle pas aussi des risques dans la mesure où les produits en question arriveront sur un marché aujourd'hui largement occupé par les constructeurs allemands ? Que recommandez-vous et quelles aides faut-il apporter à nos industriels ?

M. Régis Juanico. Vous avez exprimé votre scepticisme à l’égard d’une conditionnalité quelconque du crédit d’impôt emploi-investissement. Nous devrions au moins tomber d’accord pour le réserver aux entreprises qui créent des emplois, qui investissent sur le territoire national ou qui relocalisent. Ensuite, il ne faut pas ne favoriser que les grands groupes. Par ailleurs, vous suggérez un mécanisme de contrôle de l’utilisation de la marge via une information au comité d’entreprise. Or, dans les entreprises de moins de cinquante salariés, cette instance n’est pas obligatoire. En outre, qu’il s’agisse de délégués du personnel ou des représentants des salariés au comité d’entreprise, il faudra qu’ils reçoivent une solide formation, si l’on veut que le dialogue soit fructueux. Comment s’y prendre ?

M. Arnaud Richard. Monsieur le commissaire général, vous avez exposé avec diplomatie les recommandations du rapport en matière de politique monétaire extérieure. Pourriez-vous être un peu plus précis ?

Si la BPI est une banque, et même si le sujet a une dimension européenne, ne faudrait-il pas lui appliquer des règles prudentielles spécifiques pour qu’elle puisse mener une politique d’investissement pertinente ?

M. Alain Fauré. Votre rapport constitue un souffle d’optimisme et il apporte de l’espoir à ceux qui veulent rester vivre en France. Que pensez-vous des chefs d’entreprise – et de ceux qui les ont aidés par une fiscalité accommodante – qui ont acheté de belles PME, les ont filialisées, les ont revendues après les avoir spoliées de leurs brevets et licencié une partie du personnel, pour finir par toucher une belle plus-value, non taxée, ou si peu ? Que faire pour aider les chefs d’entreprise à la tête de PME que leur croissance trop rapide finit par étouffer ? Au-delà des fonds que pourrait leur procurer la BPI, ne faut-il pas créer une banque d’hommes ?

M. le président François Brottes. La banque publique d’investissement doit-elle inclure dans son périmètre les très petites entreprises ? Une gouvernance mixte État-régions fonctionnant dans la sérénité est-elle envisageable ? Avons-nous les moyens d’éviter que l’intervention de la BPI ne devienne nécessaire pour obtenir celle des autres banques ?

M. Louis Gallois. Je n’ai pas d’objection à des conseils régionaux de l’industrie. Il y a bien le Conseil économique, social et environnemental, et les CESER mais il ne faut pas multiplier les instances. Peut-être serait-il possible de donner une dimension plus industrielle aux CESER, qui ne sont pas partout d’un extrême dynamisme, mais je n’ai pas d’avis tranché sur le sujet.

Monsieur Lamour, je ne suis ministre ni du budget, ni de l’économie, ni même ministre tout court ! Je ne peux donc pas avoir réponse à tout. La lutte contre les déficits budgétaires doit être menée dans un cadre extrêmement contraignant, tant à cause de la situation économique que de la vigilance des marchés. La marge de manœuvre est très étroite et tout gouvernement aurait les mêmes contraintes. Il devrait arbitrer entre l’emploi, problème numéro un des Français ; le déficit budgétaire, qu’il faut réduire ; et la compétitivité ; sans qu’il y ait une parfaite cohérence entre ces trois objectifs. Il y a des choix très difficiles à faire, surtout quand la croissance est nulle et que l’euro reste très fort. Je ne veux pas m’élever au-dessus de ma condition en avançant une réponse qui est, de toute façon, très difficile à trouver. J’ai tendance à penser que le Gouvernement ne s’en est pas trop mal tiré avec le crédit d’impôt, qui reportera la charge sur 2014, 2015 et partiellement sur 2016, en évitant 2013, l’année la plus difficile, celle où le saut budgétaire sera le plus important. J’aurais préféré une mise en œuvre plus rapide mais je n’ignore pas les contraintes du Gouvernement.

Monsieur Kemel, nous n’avons pas de fonds de pension français puisque nous avons opté pour un système par répartition. Cela étant, certaines institutions liées à la Caisse des dépôts ressemblent à des fonds de pension et peut-être pourraient-elles agir de manière plus volontariste sur le tissu productif, sous l’impulsion de l’État. J’en parle d’ailleurs dans mon rapport. Sur les 1 400 milliards d’euros de l’assurance-vie, la moitié part à l’étranger, et le reste va très peu vers les investissements à risque. Il y a fort à faire dans ce domaine. J’ai proposé quelques pistes mais je n’ai pas la solution à tous les problèmes.

Parmi les LBO, il y en a qui sont parfaitement destructeurs, mais tous ne le sont pas. J’en connais qui ont sauvé des entreprises. À cet égard, ma position est moins affirmée qu’il y a quelques années. À la SNCF, nous avons organisé le LBO de Keolis, qui a marché, et celui d’Ermewa, qui a également été un succès, parce que nous avons travaillé avec des gens sérieux, des investisseurs qui sont restés dans l’entreprise. Ils ont certes fait une plus-value mais ils sont sortis de manière ordonnée, sans déstabiliser l’entreprise. Il y a donc moyen de négocier avec d’autres personnes que les prédateurs ou les spéculateurs de court terme.

Oui, il y a un risque de repli sur soi en période de crise, madame Genevard, alors qu’il faudrait, au contraire, être le plus solidaire possible. Mais l’État ne peut pas tout et c’est aux industriels de se serrer les coudes sachant que les plus grandes entreprises ont, dans ce domaine, plus de responsabilités que les petites.

Madame Le Loch, votre description de l’agroalimentaire français est juste, car il est pris en étau entre la hausse des matières premières et la grande distribution. Et il souffre, alors qu’il s’agit de la première filière industrielle française. Elle ne se modernise pas assez vite et, à des quelques brillantes exceptions près, elle n’innove pas assez. J’ai choisi de ne pas évoquer de secteur particulier dans mon rapport. Sinon, il aurait fait au moins 250 pages. Cela dit, l’agroalimentaire mérite un examen spécifique car il emploie 500 000 personnes.

J’ai fait des propositions pour assurer la stabilité, madame Dalloz, car elle est nécessaire et, vous avez raison, il y a les grandes régions, et les autres. À cet égard, je me réjouis que, pour le pôle de compétitivité de l’aéronautique, l’Aquitaine et Midi-Pyrénées se soient mises ensemble. Je ne vois pas pourquoi la Franche-Comté ne s’entendrait pas avec la Lorraine ou l’Alsace. Les grandes régions comme Rhône-Alpes ont des atouts, mais aussi des problèmes. En ce qui concerne les graphiques, je suis désolé de ne pas avoir retenu la même origine, mais n’y voyez pas de malignité de ma part.

Madame Battistel, il n’y a pas d’aide sans effet d’aubaine. Mes propositions concernent tout le tissu industriel français. Le champ est peut-être trop large, mais au moins n’y aura-t-il pas de discrimination et l’artisanat en bénéficiera-t-il comme les autres.

Madame Grosskost, le paramètre important, c’est surtout le taux d’emploi : il faudrait que les Français entrent plus tôt sur le marché du travail, et le quittent plus tard, au-delà de 58 ou 59 ans en moyenne. S’ils partaient à 62 ans, on gagnerait deux ans et demi sans toucher à l’âge légal de la retraite, et ce serait déjà un avantage non négligeable. Sur les coûts de la trésorerie, j’ai répondu.

L’enseignement technique agricole est en effet un exemple remarquable, monsieur Potier. On méconnaît souvent que les établissements d’enseignement agricole servent à la fois à la formation initiale et à la formation continue, ce qui est un point extrêmement positif. L’enseignement agricole a des leçons à nous donner, tout comme le bâtiment. Il s’agit d’auditer non l’enseignement mais la formation continue, qui absorbe 31 milliards d’euros.

Comme je vous l’ai dit, je n’ai pas traité les filières une par une, mais je crois avoir mentionné l’économie circulaire où il y a beaucoup à faire. Je suis très intéressé par des entreprises comme Paprec qui sont capables de se développer.

Madame Vautrin, s’agissant des délais de paiement, oui, la LME doit être respectée. Pour qu’elle le soit, il faut contrôler. Et qui est mieux à même de le faire, sinon le commissaire aux comptes ? Une PME ne traînera jamais son donneur d’ordre devant un tribunal. Seule une personne indépendante peut s’en charger. Quant à la fiscalisation des heures supplémentaires, c’est au Parlement d’en décider.

Madame Erhel, le numérique est évidemment essentiel et le programme du réseau à très haut débit a été doté de 900 millions d’euros au titre des investissements d’avenir. Nous sommes en discussion avec des départements, voire des régions sur ce point, sachant qu’une partie du réseau pourra être installée par France Télécom et SFR essentiellement, parce que l’investissement est rentable. L’introduction du numérique dans les PME est décisive et la filière numérique en tant que filière industrielle est fondamentale car il faut que nous conservions et valorisions nos grandes capacités logicielles. Sur la réciprocité, je suis évidemment d’accord.

Madame Grommerch, la fiscalité du capital est diverse. La nôtre avantage plutôt la rente que le risque, à tort à mon avis, mais c’est une question pour la représentation nationale.

Étant président de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale – la FNARS –, il me serait difficile d’être contre l’économie sociale et solidaire… Les sommes en cause se chiffrent seulement en dizaines de millions, mais la solidarité du corps social doit s’exprimer vis-à-vis des plus démunis. Si nous ne sommes pas capables, en période de crise, de manifester notre solidarité, c’est tout le corps social qui risque de se disloquer.

Monsieur Hammadi, ayant été écarté des appels d’offre de Galileo, je ne parlerai pas de ce projet. Le prochain programme européen de recherche et de développement technologique, qui verra ses crédits passer de 56 à 84 milliards d’euros, marque un progrès significatif, et la France doit pouvoir en bénéficier. Nous contribuons pour 17 % et ne recevons que 11 % des fonds. Le taux de retour n’est pas très bon, contrairement à l’Espagne et à l’Italie dont les entreprises, à cause de l’arrêt des programmes nationaux, se sont précipitées à Bruxelles pour aller chercher le complément. En France, il reste encore des capacités, mais nous devons aider nos entreprises à obtenir des crédits de Bruxelles. Elles doivent se regrouper, les chambres de commerce se mobiliser ainsi que tous les acteurs qui peuvent aider à préparer des dossiers extrêmement complexes.

Je laisse la fusion de la CSG et de l’IRPP pour un prochain numéro… Premièrement, je ne suis pas un spécialiste de la fiscalité. Deuxièmement, sur ce vaste sujet, d’aucuns ont des opinions plus tranchées que la mienne, notamment M. Piketty.

Monsieur Gagnaire, même en l’absence de fonds de pension, l’épargne des ménages doit bénéficier à l’industrie et il faut encourager l’actionnariat des salariés, mais sans excès pour ne pas les exposer au double risque de perdre leur emploi et leur épargne.

Je ne me prononcerai pas sur l’industrie automobile tant le sujet est complexe et les enjeux graves. La montée en gamme que Citroën est en train d’organiser avec la DS, par exemple, va dans le bon sens. Tout ce qui permet de se différencier par rapport aux voitures à bas coûts est une nécessité. La France est bonne sur ce créneau spécifique, mais les véhicules ne sont pas fabriqués sur notre territoire. Nous n’avons pas d’autre choix que de monter en gamme et de nous différencier : voiture électrique, hybride, modèles très économes en énergie.

La conditionnalité, je n’y reviens pas. De toute façon, les PME, PMI et ETI bénéficieront du système, d’autant que leur échelle de rémunérations est plus réduite que celle des grandes entreprises, ce qui constitue un petit avantage. Il faudra que le Gouvernement fasse le point tous les six mois. Le crédit d’impôt présente l’avantage d’être ajustable, même si j’aurais préféré le voir stabilisé pour cinq ans.

En matière de politique monétaire extérieure, monsieur Richard, je n’ai pas de recette miracle, d’autant que je ne suis pas sûr qu’il y ait consensus au sein du conseil de l’Eurogroupe. La France doit plaider pour qu’il s’exprime sur le taux de change, comme cela se fait pour la monnaie américaine ou la monnaie chinoise. Les marchés écoutent les politiques.

Je pense qu’il ne sera pas possible de prévoir des règles spécifiques pour la BPI parce que, en tant que banque, elle sera soumise à une supervision européenne. De plus, elle devra toujours agir en investisseur avisé, même si sa doctrine doit privilégier le long terme.

Monsieur Fauré, bien sûr, les grands groupes ne se comportent pas toujours bien, mais il leur arrive aussi de développer les entreprises qu’ils rachètent. J’ai quelques exemples personnels à citer. Cela dit, la chasse aux grands groupes n’est pas saine, car on a besoin d’eux. Ils figurent parmi les atouts de la France d’autant que leur effort de recherche dans notre pays est très important, même si leurs activités de production sont réparties dans le monde entier, tel Michelin par exemple.

Sans aller jusqu’à créer une banque des hommes, contribuer à élever le niveau de formation et de qualification des chefs d’entreprise est une tâche essentielle. Il est très important que les chefs d’entreprise puissent trouver des appuis en matière de formation, de coaching – même s’ils détestent le mot. En tout cas, il faut les soutenir. Ils ont parfois peur de faire grandir leur entreprise, par peur de ne pas être capables de la gérer.

Monsieur le président, je ne sais pas jusqu’à quel point la BPI peut être la banque de l’artisanat, qui a déjà à sa disposition des instruments spécifiques comme le Crédit coopératif. Il ne faut pas mélanger les genres dans la mesure où l’expertise n’est pas la même.

S’agissant de la gouvernance, les régions peuvent aider à définir la ligne de la BPI, mais la décision doit obéir à une discipline interne, sans influence extérieure sur des dossiers précis. Sinon, on aboutira à une politisation de l’aide, ce qui me paraît dangereux à en juger d’après l’exemple des SDR ou des Cajas en Espagne.

La BPI est là pour faire levier. À cet égard, l’expérience d’Oséo a été positive. Très souvent, les banques l’ont suivi et une telle démarche n’est pas forcément négative, au contraire. Toutefois, les banques auront de plus en plus de difficulté à participer au financement de l’industrie car les règles prudentielles ne vont pas les y aider.

M. le président François Brottes. Je vous remercie, et je vous réinviterai dans le cadre de la commission des affaires économiques avec quelques acteurs économiques pour envisager votre action concrète de commissaire général à l’investissement. En attendant, nous vous remercions pour cet échange. Le président Carrez et moi-même sommes ravis de la façon dont s’est déroulée cette audition.

M. le président Gilles Carrez. Oui, chacun a pu intervenir et vous avez pris la peine de répondre individuellement à tous, en évitant à l’occasion des sujets politiques…

J’ai bien noté que le temps de travail devait s’entendre sur la vie entière, jusqu’à l’âge de la retraite. M. Gallois a d’ailleurs été très explicite sur ce point.

M. Louis Gallois. J’ai été prudent, monsieur le président.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 7 novembre 2012 à 16 h 30

Présents. - M. Damien Abad, Mme Brigitte Allain, M. Frédéric Barbier, Mme Ericka Bareigts, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Thierry Benoit, Mme Michèle Bonneton, M. François Brottes, M. André Chassaigne, M. Jean-Michel Couve, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Franck Gilard, M. Daniel Goldberg, Mme Pascale Got, M. Jean Grellier, Mme Anne Grommerch, M. Razzy Hammadi, M. Antoine Herth, M. Henri Jibrayel, M. Philippe Kemel, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Luc Laurent, M. Michel Lefait, Mme Annick Le Loch, M. Philippe Le Ray, Mme Audrey Linkenheld, Mme Jacqueline Maquet, M. Alain Marc, Mme Frédérique Massat, M. Yannick Moreau, M. Germinal Peiro, M. Dominique Potier, M. Patrice Prat, M. François Pupponi, M. Frédéric Roig, Mme Béatrice Santais, M. Michel Sordi, M. Éric Straumann, M. Lionel Tardy, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Jean-Marie Tetart, Mme Catherine Vautrin

Excusés. - M. Christophe Borgel, M. Joël Giraud, M. Fabrice Verdier

Assistaient également à la réunion. - M. Christian Assaf, Mme Catherine Beaubatie, Mme Françoise Dumas, Mme Annie Genevard, M. Patrick Hetzel, Mme Monique Iborra, M. Boinali Said, M. Gabriel Serville, M. Jean-Michel Villaumé