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Commission des affaires économiques

Mercredi 5 décembre 2012

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 32

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Bernadette Malgorn, présidente du conseil d’orientation de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles (ONZUS)

La commission a auditionné Mme Bernadette Malgorn, présidente du conseil d’orientation de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles (ONZUS).

M. le président François Brottes. Comme je l’ai indiqué lors de notre dernière réunion, un groupe de suivi de la mise en œuvre de l’accord entre l’Etat et ArcelorMittal va être mis en place au sein de la commission des affaires économiques. La composition de ce groupe de suivi a été précisée : il comprendra deux membres du groupe SRC et un membre de chacun des six autres groupes. Pour l’heure, ont été désignés : Mme Clotilde Valter et M. Michel Liebgott – qui rejoint la commission des affaires économiques – pour le groupe SRC et Mme Anne Grommerch pour le groupe Rassemblement-UMP. Il serait souhaitable que l’ensemble des candidatures puisse me parvenir dans la journée, étant précisé que l’objet du groupe de suivi pourrait être élargi à l’ensemble des entreprises publiques dont l’État est actionnaire, majoritaire ou non. Je n’évoque habituellement pas les activités de contrôle parlementaire avec le Gouvernement mais, sur cette question, le Premier ministre m’a encouragé à m’intéresser aux entreprises publiques dans lesquelles l’Etat est partenaire. Ce groupe de travail, que je présiderai, s’inscrira dans la durée afin d’analyser les actions engagées par ces différents groupes en matière d’innovation, d’investissement, d’exportation, etc. Participer à ce groupe de suivi impliquera donc une mobilisation forte de ses membres pendant toute la durée de la présente mandature.

Permettez-moi maintenant d’accueillir Mme Bernadette Malgorn dont la carrière en tant que grand commis de l’État mais aussi les engagements politiques sont connus. Mme Malgorn intervient aujourd’hui en qualité de présidente de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles (ONZUS). Cet Observatoire vient, en effet, de publier son neuvième rapport annuel qui donne globalement le sentiment que tout va plus mal dans les quartiers populaires, que ce soit en matière de pauvreté, d’emploi, d’activité économique ou même de santé. L’impression qui se dégage à la lecture de ce rapport est que la situation s’aggrave, avec un net accroissement des inégalités au détriment des zones urbaines sensibles (ZUS). Ce constat doit sans doute être nuancé, ce que vous allez certainement faire dans votre exposé liminaire. Je souhaiterais que vous en profitiez pour évoquer la péréquation financière, en faveur de laquelle d’importants efforts viennent d’être réalisés, ainsi que le chantier de la rénovation urbaine dans la mesure où une mission d’évaluation vient d’être confiée à l’ONZUS par le ministre délégué à la ville, M. François Lamy, que nous avons reçu hier.

Mme Bernadette Malgorn, présidente de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles (ONZUS). Permettez-moi de rappeler brièvement que l’ONZUS a été créé par la loi du 1er août 2003, dont les principales dispositions ont été prises à la suite d’un rapport de la Cour des comptes qui a également inspiré le programme de cohésion sociale et la mise en œuvre de la rénovation urbaine. L’idée était de répondre à un besoin de connaissance et de mettre en place un outil d’observation en même temps que de nouvelles politiques. En annexe de la loi étaient ainsi prévus des indicateurs dans sept catégories distinctes, dont l’Observatoire était chargé de suivre l’évolution. Les données correspondantes n’étaient pas immédiatement disponibles ; les premières années suivant la promulgation de la loi de 2003 ont donc été consacrées à leur élaboration au niveau des ZUS qui existaient, elles, depuis 1996. Ce travail a suscité des interrogations sur les périmètres d’intervention, qui sont reprises aujourd’hui dans la concertation nationale engagée, par le ministre François Lamy, sur la réforme de la géographie prioritaire. Le neuvième rapport de l’ONZUS repose sur des sources hétérogènes : certaines de nature structurelle – comme le recensement – ; d’autres sont plus conjoncturelles. Il s’agit d’enquêtes spécifiques comme celle sur les trajectoires et origines, qui permet de prendre en compte l’immigration, réalité longtemps occultée. Au-delà de ces enquêtes, l’Observatoire exploite désormais un panel qui vient de faire l’objet d’une deuxième photographie, ce qui permettra, là encore, de disposer de données conjoncturelles.

En ce qui concerne les résultats de ce neuvième rapport, quel constat peut-on dresser ? En premier lieu, on observe que les indicateurs ne bougent pas beaucoup. L’esprit qui a présidé à la mise en place de l’ONZUS était d’observer une réduction de l’écart entre la situation en ZUS et la situation de l’agglomération à laquelle elle appartient. Or, tel n’est pas le cas : chaque année, on constate que le taux de pauvreté en ZUS est trois fois plus élevé que dans le reste de l’agglomération dans laquelle elle est située et que le taux de chômage y est le double. Progressivement, l’Observatoire s’est forgé un indicateur – le revenu fiscal médian – qui est révélateur de ces évolutions. Toutefois, on constate un ancrage dans la pauvreté, non pas de la population des ZUS, mais des territoires : il existe, en effet, des mobilités qui viennent contredire l’image de « ghetto ». Ainsi, la moitié de la population qui réside actuellement en ZUS n’y résidait pas il y a six ans, ce qui signifie que la population de ces quartiers change. Les personnes qui quittent les ZUS ont atteint des niveaux d’intégration, en moyenne, supérieurs à celles qui y résident tandis que les « nouveaux entrants » sont en situation de plus grande précarité. Il y a donc concentration des populations en difficulté au sein des ZUS mais ces populations sont mobiles. Certains bailleurs sociaux ont estimé qu’il convenait d’atténuer la portée de cette mobilité mais, en réalité, l’écart entre la mobilité observée en logement locatif social et celle constatée tous logements confondus (propriétaires occupants, parc HLM et parc locatif privé) est très faible. Un autre bémol doit être introduit quant à la composition de la population résidant en ZUS. On cite fréquemment le taux de chômage qui affecte les jeunes et qui atteint effectivement près de 40 % des jeunes actifs, soit le double de celui enregistré hors ZUS. Mais, pour analyser précisément la situation des jeunes, il est préférable de la comparer à celle de l’ensemble d’une génération : certains jeunes sont, en effet, encore en formation ou poursuivent des études. Le taux de chômage représente alors un jeune sur sept. La principale difficulté est en réalité de repérer ceux qui ne sont ni en emploi, ni en formation, ni en demande d’emploi afin de pouvoir éventuellement mettre en place des actions adaptées en leur faveur. On observe, en outre, une différence accrue entre les garçons et les filles sur le marché du travail : alors que les garçons restent sur ce marché, les filles ont tendance à s’en retirer. Ce phénomène où elles ne sont ni emploi, ni au chômage, correspond bien souvent à une situation de « retour à la maison », en dépit de résultats scolaires bien souvent supérieurs à ceux des garçons. Ce retrait des filles, résidant en ZUS, du marché du travail est une réalité nouvelle, qui pose, là encore, la question d’une action spécifique dans leur direction.

S’agissant des politiques publiques, un « coup de chapeau » doit être adressé à l’éducation nationale quand on compare notamment le taux de réussite attendu en fonction de la catégorie socioprofessionnelle des parents et le taux de réussite scolaire observé. Des efforts importants ont été réalisés en faveur des établissements situés en ZUS mais aussi en faveur des élèves dont les familles résident en ZUS et qui ont pu étudier dans un établissement extérieur. Enfin, il faut souligner l’existence d’une perception des discriminations supérieure en ZUS par rapport au reste de l’agglomération, en lien avec une population immigrée plus importante dans ces quartiers. Plus de la moitié de la population de 18 à 50 ans en ZUS est en effet immigrée ou descendante d’immigrés. Au-delà de facteurs structurels liés, par exemple, à l’éloignement d’un bassin d’emplois ou la desserte en transports, on constate qu’un facteur « non expliqué » de discrimination à l’emploi subsiste qui reflète un problème lié à l’origine ou à la couleur de peau de la personne.

M. le président Francois Brottes. En termes de culture, un sentiment d’appartenance à un quartier ou un village n’est-il pas constaté comme semblent le montrer certains modes d’expression ; cet attachement affectif est-il étudié ?

Mme Bernadette Malgorn. Nos études portent plus sur l’évaluation du PNRU. Cependant, les données du relogement montrent des difficultés à déplacer les gens qui sont attachés à leur quartier, ou leur cité, comme à un village. Cependant, une enquête conduite sur le cadre de vie montre, qu’en termes d’appréciation, les habitants des ZUS évoquent en premier lieu la mauvaise image de leur quartier et la délinquance alors qu’ailleurs, les préoccupations portent plus sur la circulation et la pollution.

M. Daniel Fasquelle. Les ZUS méritent toute notre vigilance, cependant, bien des zones rurales ne doivent pas être oubliées. En ce qui concerne l’emploi, le rôle de l’école demeure primordial. A cet égard, le ministre a annoncé une modification des rythmes scolaires. Ce qui fait question, ce sont les moyens devant être mis en œuvre pour réaliser cette modification ; sans moyens supplémentaires de l’État, les communes seront démunies. Au sujet de l’activité commerciale, que pensez-vous de la baisse des crédits du FISAC ? Disposez-vous d’éléments d’appréciation sur le CV anonyme, qui demeure pertinent pour les personnes vivant dans quartiers stigmatisés. Par ailleurs, un bilan portant sur la dégradation de l’habitat et les incivilités est-il disponible ? Enfin, quel type d’expertise l’Observatoire peut-il apporter sur les progrès du communautarisme, qui appellent des mesures ?

M. François Pupponi. On ne peut que saluer la qualité des travaux réalisés par l’Observatoire qui donnent une image fidèle d’une situation à un instant T. Cependant, un défaut français consiste à lancer des politiques sans définir clairement les objectifs ni les contrôler au cours de leur application. Ainsi, on ne sait pas toujours comment évolue la situation d’une population donnée. Il faudrait se donner les moyens d’affiner les études, en travaillant sur des cohortes, par exemple, et faire ainsi évoluer l’Observatoire en même temps que ses méthodes. Il est donc temps d’adapter les outils aux réalités du terrain et de les harmoniser entre toutes les administrations concernées. A cet égard, la mise en place d’observatoires régionaux, voire locaux, est-elle envisagée ?

M. Michel Piron. Dans un premier temps, j’observe que les politiques mises en œuvre ne l’ont jamais été sans que des objectifs n’aient été préalablement fixés. Mais, ce qui fait fréquemment défaut, ce sont les moyens pour évaluer leurs résultats. Je tiens, en outre, à souligner que l’attachement à la péréquation horizontale est partagé sur les différents bancs de notre assemblée, de même que le sont d’ailleurs, à l’opposé, les égoïsmes locaux qui s’expriment parfois. Il s’agit, en réalité, d’une question transversale. En ce qui concerne les travaux de l’Observatoire, vous avez fourni un certain nombre d’indications mais je souhaiterais que vous nous éclairiez sur l’évolution du choix des indicateurs. Bien souvent, ce choix commande en effet l’évolution des indications qui sont ensuite fournies. Dans ce domaine, quel est le degré de précision que vous pouvez atteindre ? Vous êtes en charge d’un travail de synthèse indispensable mais les données restent à un niveau très macroéconomique. A titre d’exemple, vous disposez d’informations de qualité pour les niveaux d’enseignement maternel et primaire, qui sont essentiels puisque je reste convaincu que c’est là que se joue 80 % de l’égalité des chances. Dispose-t-on de la même qualité d’information pour le collège, niveau à partir duquel d’autres critères d’évaluation entrent en considération ? Par ailleurs, vous avez indiqué que si les territoires sont figés, les populations peuvent être mobiles. Disposez-vous d’outils d’observation suffisamment développés pour parvenir à une géographie et à une cartographie différenciées au plan national ? J’illustrerai mon questionnement à travers l’exemple du droit au logement opposable (DALO) où l’on constate que 60 % des difficultés sont concentrées dans la région Île-de-France, avec des réponses totalement différentes puisque, dans le reste de l’hexagone, on règle les flux et le stock est géré par le contingent préfectoral alors qu’on n’y parvient pas en Île-de-France. Au-delà de la différenciation géographique, il y a également des différenciations démographique et sociologique que vous avez abordées à travers vos observations sur le rapport des filles et des garçons aux études et à l’emploi. Mais, est-ce la nature des emplois qui est à l’origine de la moindre insertion des filles sur le marché du travail ou est-ce que la nature des études est en cause. Les observations que vous présentez sont indispensables mais suscitent de nombreuses interrogations et il serait utile qu’à l’instar de la Cour des comptes par exemple, l’Observatoire puisse également formuler des propositions, par exemple sur la gouvernance, tant au niveau central (qui arbitre au niveau interministériel ?) qu’au niveau territorial, niveau sur lequel le ministre a fourni des précisions intéressantes en privilégiant l’échelon intercommunal.

Mme Brigitte Allain. La pratique du zonage fait question ; de fait, il existe plus de territoires pauvres que de populations pauvres. Les personnes vivant dans ces zones pauvres souhaitent en sortir. Ainsi, la violence dans ces quartiers n’est pas statistiquement plus élevée qu’ailleurs mais le sentiment des habitants est contraire, ce qui reflète l’insécurité sociale que connaissent les résidents. Un habitant sur deux est immigré et 28 % descendent d’immigrés, les intéressés se considèrent victimes de discrimination. Le dézonage serait de nature à atténuer ces disparités. Il faut faire évoluer les outils statistiques et les mesures proposées par M. François Lamy ne sont pas mauvaises, à condition qu’elles trouvent leurs financements. Il faut développer l’animation culturelle et sportive ainsi que l’aide à l’enfance et relancer la politique rurale à travers une logique similaire de contrats de territoire définissant des objectifs concrets à atteindre. Il est également nécessaire d’intégrer la prise en compte des habitants des quartiers et, en particulier, leur propre évaluation sur leur lieu de vie. Je terminerai en renouvelant mon interpellation sur la question du zonage, en particulier dans le cadre des contrats d’avenir que nous venons d’adopter et dont la mise en œuvre risque de se heurter à la persistance de cette approche privilégiant le zonage.

M. Franck Reynier. Je tiens à saluer la qualité du travail de l’Observatoire sur les zones urbaines sensibles et à rappeler l’engagement constant du groupe UDI en faveur de la rénovation urbaine, de l’égalité des chances et de l’emploi, qu’illustre la loi Borloo de 2003 à l’origine de la création de l’ONZUS. Le groupe UDI reste toutefois attentif à l’écart pouvant exister entre ce qui a été décidé et ce qui a été réalisé. Vous avez appelé notre attention sur la grande précarité qui domine dans les zones urbaines sensibles ainsi que sur le chômage des jeunes, le caractère souvent inadapté et défaillant de la formation et la situation des femmes, de plus en plus en retrait du marché du travail, ce qui doit nous alerter. Il nous semble que l’amélioration des outils d’évaluation des politiques publiques sera l’instrument de l’amélioration de ces politiques mêmes. Il faut remettre en cause certaines méthodes et cesser la pratique du millefeuille par zonages multiples. Pourriez-vous nous indiquer où se situent les zones les plus en difficulté et votre sentiment sur les actions particulières qui pourraient y être instituées ? A l’heure actuelle, de nombreuses annonces sont faites en matière d’éducation, d’accompagnement du FISAC ou de logement, sans que les moyens ne soient au rendez-vous et il nous revient d’alerter sur ce point. Vous avez évoqué la mobilité qui existe dans les ZUS, ce qui tend à démontrer que l’ascenseur social existe bel et bien, que notre travail porte ses fruits et que l’exemple républicain reste une nécessité. Je souhaiterais recueillir votre sentiment sur ce dernier point.

Mme Jeanine Dubié. Dans le cadre de la grande concertation nationale menée par le ministre François Lamy pour une refonte de la politique de la ville (qui a d’ailleurs permis d’identifier trois grands objectifs : la réforme de la géographie prioritaire, une contractualisation unique, l’élaboration de projets de territoires), je tiens à remercier notre président, François Brottes, d’avoir permis à notre commission de prendre le temps d’aborder la politique de la ville sous l’angle particulier qui est le nôtre, à savoir le développement économique des quartiers sensibles. Il faut vraiment que l’on réfléchisse aux inégalités et aux moyens à mettre en œuvre pour y remédier : tout cela nous sera utile pour enrichir les futurs débats législatifs qui nous attendent sur ce sujet. Je souhaite également vous remercier, Mme Malgorn, pour le travail que vous faites et pour la présentation que vous avez effectuée, qui établit un diagnostic qui ne pourra que nous être utile.

Sans vouloir établir de hiérarchie entre les difficultés qui affectent ces quartiers, j’ai été personnellement touchée par deux d’entre elles : l’éducation et les discriminations. Sur l’éducation, 57 % des élèves en classe de première sont engagés dans des voies professionnelles : la part qu’ils occupent dans ces filières est plus importante que dans le reste du pays et doit nous interpeller, car elle apparaît bien souvent comme étant une fatalité qu’il convient de combattre. Il faut agir à la racine, et donc dès le collège, pour faire en sorte que cela change. Sur les discriminations, 25 % des habitants des ZUS disent avoir subi des discriminations, sachant par ailleurs qu’une personne sur six estime que ces discriminations ont été causées par sa couleur de peau, sa nationalité ou ses origines. On constate également qu’un tiers seulement de l’écart entre le taux d’activité constaté dans les ZUS et le reste du pays s’explique par d’autres raisons, de nature objective. En outre, chacun sait que la crise économique a considérablement aggravé ces travers.

Je souhaiterais vous poser deux questions Mme Malgorn. Quel regard portez-vous sur le resserrement prévu des ZUS, dont le nombre devrait passer de 751 à seulement une centaine alors que, dans le même temps, la précarisation augmente ? Sur l’emploi dans les quartiers défavorisés, où le taux de chômage s’est accentué trois fois plus que dans le reste du pays, pensez-vous qu’il soit opportun de donner suite à l’une des recommandations figurant dans le dernier rapport annuel de la Cour des comptes selon laquelle il conviendrait de cibler les publics des ZUS dans les parcours d’accompagnement de Pôle Emploi destinés aux demandeurs d’emplois ayant des difficultés de reclassement ? Enfin, pouvez-vous nous faire un rapide bilan de l’impact du système des zones franches urbaines ?

M. le président François Brottes. Mme Malgorn, je pense que si vous craigniez un manque de questions de la part de notre commission, vous ne devez pas être déçue : je vous laisse donc la parole avant que les douze autres intervenants puissent à leur tour vous questionner.

Mme Bernadette Malgorn. Je vous remercie M. le président et je répondrai dans l’ordre des questions qui m’ont été posées.

Tout d’abord, il n’y a pas que les personnes résidant en ZUS qui sont touchées par la précarité, une exclusion relative dans l’accès aux services publics ou à l’emploi, par une moins grande qualité de vie. L’ONZUS est concerné au premier chef par cette dimension. Je rappelle qu’une mission a été lancée par Mme la ministre en charge de l’égalité des territoires qui souhaite créer ce qui pourrait être un « Commissariat général à l’égalité des territoires » et qui regrouperait notamment l’actuel SG-CIV (Secrétariat général du Comité interministériel des villes) et la DATAR. J’ai, à ce titre, été auditionnée par les membres de cette mission de préfiguration, conduite par M. Thierry Wahl. Sans préjuger des résultats, je souhaiterais seulement indiquer que lorsqu’on veut fusionner des organismes entre eux, il faut veiller à le faire au moment propice : il est en effet illusoire de penser que la culture d’un organisme pourrait ainsi disparaître purement et simplement au profit de l’autre, que l’une serait sans difficulté absorbée par l’autre. À mon sens, il est encore trop tôt pour considérer que la politique de la ville est suffisamment rentrée dans le droit commun pour en faire une simple politique globale d’égalité des territoires.

Sur les moyens affectés à la politique scolaire dans les ZUS, cela pose une question qui avait déjà été soulevée par les CUCS (contrats urbains de cohésion sociale) expérimentaux et qui va l’être de nouveau à la faveur de ces conventions d’objectifs que souhaite conclure M. François Lamy avec les différents ministères : la question consiste à savoir de quelle manière on va mobiliser le droit commun de l’État et des collectivités territoriales compétentes chacune dans leur domaine ? Si l’on souhaite par exemple répartir autrement le temps de l’enfant par rapport notamment à son temps de scolarisation, on va évidemment s’en remettre aux collectivités territoriales qui sont compétentes en la matière. Or, ce sujet, également traité par l’État, ne pourrait-il pas être abordé de manière spécifique dans les ZUS ? Je le pense très sincèrement et ce serait à mon sens un très bon angle d’attaque. De ce point de vue, la combinaison entre la politique de droit commun et les besoins spécifiques pouvant exister par ailleurs est certainement un très bon point d’entrée.

En ce qui concerne les activités commerciales appelées à se développer dans ces zones, on a été auditionné par la mission de l’Assemblée nationale relative aux zones franches urbaines. Il existe un besoin pour renforcer l’attractivité des ZFU (la première génération de ZFU ayant eu, je le rappelle, un impact réellement positif) mais il faut également s’occuper de l’accompagnement ; à ce titre, on a besoin d’une véritable ingénierie technique, comme peut par exemple la dispenser l’EPARECA. Il faut également un accompagnement qui puisse concerner l’animation locale, car les résultats d’une telle politique varient selon le lieu considéré.

Nous n’avons pas spécifiquement étudié le sujet du CV anonyme, qui est un sujet important ; nous prévoyons d’ailleurs de le faire dans les mois à venir, au regard notamment des résultats qu’ont pu donner certains « teasing ».

Lorsqu’on étudie l’habitat dégradé, on constate que les ZUS ont de grands ensembles de logement social mais elles comprennent également des copropriétés privées, de l’habitat insalubre… On ne pourra pas, à mon avis, parler de réhabilitation des quartiers dans les ZUS si rien n’est fait par ailleurs : il faut agir non seulement sur le logement locatif social mais aussi sur la mixité urbaine qui a été, je le rappelle, une des idées de base de la rénovation urbaine.

En matière de sécurité, les études montrent que la délinquance n’est effectivement pas plus importante dans les ZUS qu’ailleurs. Mais je rappelle tout d’abord que les statistiques administratives dont nous disposons se fondent sur les plaintes enregistrées : si les gens ne portent pas plainte, les résultats s’en trouvent faussés. De plus, certains délits, que l’on pourrait qualifier de « délits lucratifs », n’existent pas dans ces quartiers car ils n’offrent pas les mêmes tentations que des quartiers plus riches. Cela dit, le sentiment d’insécurité réside non seulement dans le ressenti mais aussi dans le fait d’avoir été soi-même victime et là, dans les ZUS, on se rend compte que les réponses positives sont légèrement supérieures à celles que l’on peut obtenir ailleurs.

Pour répondre à M. Pupponi, il faut effectivement que les objectifs soient bien déterminés mais il faut également qu’on mène des politiques claires. Dans le rapport que nous avons fait cette année, on a consacré un chapitre spécifique et détaillé au « retour sur les indicateurs de la loi de 2003 ». Le fait est qu’on n’a pas pu suivre un certain nombre d’indicateurs car ils sont liés à des données censitaires (et, dans ce cas, il faut attendre le prochain recensement pour les actualiser) ou ils sont tout simplement victimes de l’absence d’observations administratives. Avec la mise en place de nouvelles politiques et de nouveaux zonages, on va demander une mobilisation de tous les outils existants mais aussi d’outils nouveaux que nous ne pouvons personnellement pas mettre en œuvre.

Sur la réforme de la géographie prioritaire, on peut considérer que notre territoire comprend trois grandes zones. La première, c’est l’outre-mer, qui compte un type d’habitat et de population qui ne répondent pas aux mêmes exigences, ni aux mêmes types d’intervention que dans le reste du pays. La deuxième, c’est l’Île-de-France : un ensemble tout à fait particulier qui réclame une approche spécifique, notamment par rapport au DALO. La troisième, c’est le reste de la métropole dans laquelle il reste des points durs : ainsi, la région PACA (Provence Alpes Côte d’Azur) est une des régions où, compte tenu de la situation de l’emploi et de la sécurité, les ZUS sont dans une situation particulièrement difficile ; par ailleurs, la région Nord Pas-de-Calais est également très spécifique en raison, cette fois-ci, d’une indéniable paupérisation de sa population et d’un état de l’habitat spécifique. A contrario, on a été étonné de constater que la région Rhône-Alpes, pourtant traditionnellement difficile, avait fait d’indéniables progrès grâce, notamment, à une approche d’agglomération sur l’agglomération lyonnaise qui a permis d’obtenir de très bons résultats.

Quant à l’articulation entre l’observation nationale et l’observatoire local, l’observatoire fait les deux et s’appuie pour ce faire sur une très grande diversité de statistiques. On a d’ailleurs, dans le cadre de la réforme opérée au sein de l’observatoire lui-même, intégré des représentants des réseaux d’observatoires locaux et, ainsi, renforcé l’articulation avec le plan national. Sur le degré de précision que réclamait M. Piron, on a effectivement inséré des indicateurs dans notre rapport mais la précision dépend avant tout du niveau des sources. Pour ce qui relève du macroéconomique, on se fonde sur les « enquêtes ménages » alors que pour le microéconomique, on recourt davantage aux fichiers administratifs. Les politiques à mettre en œuvre doivent tenir compte aussi bien des populations que des territoires : ce qui compte, c’est l’endroit où l’on met le curseur. C’est la même chose entre la géographie contractuelle et la géographie réglementaire ; or, ce qui est fixe, c’est la géographie réglementaire. Cette dernière est nécessaire dès lors que l’on est face à des mesures relevant du domaine de la loi : prenez le cas de dispositifs fiscaux ou d’exonérations sociales, il est impossible de passer par une convention entre le Gouvernement et les collectivités territoriales. Il faudrait sans doute fixer un noyau dur entériné par le Parlement et prévoyant des dispositifs spécifiques mais pour le reste, plus la géographie est contractuelle, à condition que les engagements des ministères et des collectivités soient tenus, plus il est facile de s’adapter à l’évolution de la situation.

Mme Allain a évoqué l’aspect « intégration » dans l’établissement des zonages, ce qui renvoie nécessairement à la question de l’intégration sociale des populations immigrées. A cet égard, il est nécessaire de mener une réflexion sur l’articulation entre les politiques d’intégration, ciblées sur les familles primo-arrivantes qui sont suivies durant les cinq premières années après leur arrivée, et les politiques de la ville qui ne doivent pas négliger l’importance de poursuivre un accompagnement centré sur l’intégration à l’issue de cette période. A cela s’ajoute évidemment l’enjeu de l’inclusion sociale, qui concerne tant les familles d’origine immigrée que les familles les plus pauvres, confrontées à des difficultés sociales bien qu’épargnées par les problèmes linguistiques ou culturels. Ainsi, il convient de prendre en compte ces deux aspects et de bien les articuler. Au-delà, la question du zonage fait également écho à celle de l’image des quartiers. L’effet quartier est indéniable même si, j’en profite pour répondre à Mme Dubié, un tiers de l’écart constaté s’explique par quatre facteurs dont, par exemple, l’éloignement ou la desserte en transport, que nous n’avons pas pu mesurer précisément. Toutefois, nous savons qu’un facteur résiduel demeure, qui est lié à aux discriminations.

En réponse à M. Reynier sur les moyens, même si j’ai déjà répondu sur certains points, les annonces formulées hier par le ministre François Lamy en faveur d’un conventionnement au niveau ministériel constitue certainement une première étape. Néanmoins, pour que cela marche complètement, il faudrait décliner ces orientations au niveau local avec l’ensemble des collectivités responsables afin qu’elles ne soient pas amenées à intervenir soit moins, soit de façon spécifique dans des zones qui ont des difficultés particulières mais aussi des problèmes communs avec les autres régions.

Mme Dubié m’avait également interrogée sur la prédominance de l’orientation scolaire vers la voie professionnelle. En réalité, ce n’est pas l’ampleur de ce phénomène qui doit susciter l’inquiétude, car cette voie offre normalement autant de possibilités que les voies générale ou technologique. En revanche, ce que nos analyses montrent, c’est la concentration, tant des garçons que des filles, sur des filières qui ne présentent pas autant de débouchés qu’attendus. C’est plutôt ce point qui nous inquiète et sur lequel il nous faut être attentif. Quant au resserrement des ZUS, la combinaison des approches géographique et contractuelle devrait permettre de répondre à votre préoccupation : si la concentration de la géographie réglementaire est sans doute plus forte, la géographie contractuelle offre davantage de possibilités d’adaptation et de souplesse.

M. Jean-Claude Mathis. Permettez-moi d’aborder un sujet qui a déjà été évoqué au cours de cette audition et qui fait l’objet d’une partie de votre rapport annuel : les populations des ZUS, et en particulier les femmes, qui seraient davantage touchées que le reste de la population nationale par la crise économique. Ainsi, le taux de chômage des femmes en ZUS est plus élevé que celui des hommes, et elles apparaissent davantage concernées par le temps partiel et la précarité quand elles ont un emploi. Quelles sont vos préconisations à ce sujet ?

Mme Bernadette Malgorn. C’est vrai, l’augmentation du chômage se concentre sur les ZUS et plus spécifiquement, sur les femmes. De manière plus précise, les femmes qui ont été scolarisées en France s’en sortent mieux même si elles éprouvent des difficultés à valoriser leur parcours, alors que les primo-arrivantes sont dans une situation plus préoccupante. Il convient donc certainement de mener des actions spécifiques en direction des femmes, qu’il s’agisse des jeunes femmes, en les accompagnant durant leur scolarité pour s’assurer d’une non-déscolarisation précoce ou des femmes au foyer qui restent recluses chez elles.

M. Kléber Mesquida. Madame la Présidente, lors de la remise de votre rapport, vous avez constaté des retards scolaires plus importants dans les ZUS ainsi qu’un « effet de quartier ». Vous disposez d’une expertise certaine sur ces territoires qui restent ancrés dans la pauvreté. Même si cela ne fait pas partie de votre mission, pouvez-vous nous indiquer quelles mesures d’urgence devraient être prises pour remédier à ces situations ?

Mme Bernadette Malgorn. Permettez-moi d’abord de rappeler que les décisions à prendre sont avant tout de la responsabilité des décideurs politiques. En tout état de cause, il faut mener deux types d’action. Premièrement, une action en direction des populations, en analysant bien les sources de difficultés et les mesures spécifiques à prendre selon les publics : femmes, jeunes, primo-arrivants, descendants d’immigrés. Deuxièmement, il faut agir en direction des territoires. Mais il convient de clarifier les objectifs. Si l’objectif est d’assurer une mixité sociale et urbaine, il convient de préciser les indicateurs et le sens de cette mixité. Il serait utile que les responsables politiques clarifient certains concepts aux contours mal définis. Cela permettrait certainement de mieux articuler les différents types de politiques.

M. Alain Marc. Permettez-moi une remarque liminaire : certaines des politiques de la ville relèvent de l’Etat, d’autres des collectivités territoriales et en particulier des départements. Le problème récurrent est donc celui de la péréquation entre les départements. Si la situation en milieu urbain est bien connue, celle en milieu rural l’est beaucoup moins, notamment du fait d’une faible médiatisation. Or, s’il y a moins de délinquance, certaines personnes vivent dans ces territoires avec quelques centaines d’euros par mois et connaissent de réelles difficultés. Je crois qu’il est important de s’assurer de la mise en œuvre de la péréquation. Par ailleurs, l’école de la République ne remplit plus, et ce depuis trente ans, sa mission d’ascenseur social. Aujourd’hui, l’école reproduit les inégalités sociales. Vous avez évoqué la nécessité d’un enseignement précoce. L’enjeu principal est, à mes yeux, celui de la maîtrise de langue, et ce dès la maternelle. Que pouvons-nous mettre en œuvre pour élargir les plages horaires pour que ces enfants maîtrisent la langue française et par la suite réussissent leurs études ?

Mme Laure de La Raudière. C’est très juste !

Mme Bernadette Malgorn. La maîtrise de la langue par les enfants, comme par les parents, est essentielle. Certaines expérimentations ont été mises en œuvre – je pense à la valise des parents notamment – et nous procédons à des évaluations afin d’en mesurer l’impact. S’il doit y avoir des actions spécifiques dans les zones urbaines sensibles, la maîtrise de la langue est effectivement un impératif, pas seulement pour les enfants mais également pour les mères qui demeurent au foyer.

M. Lionel Tardy. Madame la Présidente, je souhaite vous poser plusieurs séries de questions, non pas sur le rapport mais sur le fonctionnement de votre institution.

M. François Brottes. Une seule série suffira !

M. Lionel Tardy. Ne vous inquiétez pas monsieur le Président je me contenterai de réponses courtes. D’abord s’agissant de l’aspect financier, quel est le budget de l’ONZUS, estimez-vous disposer des moyens de mener à bien la mission qui vous est confiée, et si vous disposiez de davantage de ressources, à quoi les affecteriez-vous ? Ensuite, alors que vous êtes notamment chargés de recueillir des données auprès de nombreux organismes, êtes-vous confrontés à des réticences de leur part, êtes-vous obligés d’insister auprès d’eux ou au contraire cela se passe-t-il bien ? Par ailleurs, ces données vous paraissent-elles fiables et quelles actions pourraient permettre d’améliorer la qualité des informations transmises ? En juin 2011, un conseil scientifique a été créé : quel premier bilan tirez-vous de son action ? Par ailleurs, la Cour des comptes, tout en apportant un satisfecit au travail de l’ONZUS dans son rapport de juillet 2012 a tout de même relevé qu’à peine la moitié des indicateurs prévus par la loi de 2003 était suivie. D’où vient ce problème et existe-il des indicateurs non pertinents ou trop difficiles à suivre ? La liste doit-elle être actualisée ? Enfin, la Cour des comptes a pointé un certain nombre de déficiences dans l’évaluation des politiques de la ville ; l’ONZUS dispose d’une expertise certaine sur les ZUS ; ne pourrait-elle pas être utilisée dans le cadre de telles politiques d’évaluations, notamment celles-menées par les collectivités territoriales ? Je suis prêt à recevoir des réponses écrites à mes questions, que je sais nombreuses…

Mme Bernadette Malgorn. Nous ne disposons en effet pas d’un organisme spécifique de recueil de données mais de l’équipe du Secrétariat général du comité interministériel des villes (SG-CIV), composée de douze personnes. Notre budget d’études s’élève à 800 000 euros environ, que nous consacrons essentiellement à la gestion de notre cohorte et au suivi du panel. Ce dont nous avons surtout besoin, c’est que les données recueillies, et disponibles, correspondent aux objectifs des politiques mises en œuvre. Dès l’adoption de nouvelles mesures, il faut intégrer dans les ministères ou les collectivités un système d’observation et de suivi approprié. Nous avons consacré une partie du rapport aux indicateurs, en expliquant les raisons pour lesquelles nous en suivons certains et pas d’autres. Il serait très certainement pertinent de faire le tri.

M. Marc Goua. Je souhaite évoquer un sujet qui, sauf erreur, n’a pas été évoqué et ne fait pas l’objet de commentaires dans votre rapport : il y a plus de jeunes dans les ZUS qu’ailleurs ! De plus, vous avez parlé de l’accroissement de la mobilité dans les quartiers ; vous avez raison, mais permettez-moi d’aller plus loin : la mobilité croît car les gens fuient ces quartiers ! Peut-être faudrait-il identifier les raisons de ces départs. Enfin, vous avez employé une expression qui me paraît, si je puis dire, hors du temps. Vous indiquez en effet que le niveau plus élevé des études protège du chômage. Si c’était vrai, ça se saurait au moment où nous dépassons 10 % de taux de chômage ! Dans les zones sensibles, ce taux est d’ailleurs beaucoup plus élevé et de jeunes diplômés de l’enseignement supérieur ne trouvent pas d’emplois. Par ailleurs le retrait des femmes du marché du travail est très net. Soyons vigilants car il est possible que le nombre de demandeurs d’emplois potentiels soit plus important qu’on ne le croit.

Mme Bernadette Malgorn. Je suis tout à fait d’accord. Lorsque j’ai parlé de protection des diplômés vis-à-vis du chômage, je souhaitais ainsi répondre à un discours, souvent entendu, selon lequel « ça sert à rien d’avoir un diplôme ». Or, force est de constater une forte corrélation entre le niveau du diplôme et la capacité d’accès à l’emploi.

M. Marc Goua. Ce n’est pas exactement la formulation du rapport, qui pourrait être mal interprétée !

Mme Bernadette Malgorn. Vous avez peut-être raison mais il s’agissait surtout d’apporter une réponse à ce type du discours. En fait le message est le suivant : le diplôme protège, relativement.

M. Michel Sordi. Madame la présidente, vous avez évoqué les ZFU, sujet sur lequel, vous le savez, je travaille de manière approfondie. Nous nous sommes d’ailleurs rencontrés et je vous renouvelle mes remerciements pour les éléments que vous avez apportés. Je partage votre constat sur l’importance de l’animation locale dans la réussite des ZFU. Mais plus largement, les ZFU ont créé de l’activité, c’est-à-dire des clients, des échanges et des déplacements, et donc une autre image du quartier. Quel est votre sentiment sur les emplois francs ? Par ailleurs, s’agissant des actions de rénovation de l’ANRU, je vous confie avoir un mauvais pressentiment : la première tranche est terminée, nous sommes à la moitié du gué, et il serait terrible d’arrêter. Ne pensez-vous pas qu’il indispensable de poursuivre ce qui a été commencé ?

Mme Bernadette Malgorn. Les emplois francs viennent d’être lancés et il est difficile d’en dresser un premier bilan. La vraie question est, une nouvelle fois, celle de la combinaison des politiques à destination des populations et celles des territoires. Le problème est le même que pour les ZFU : là où il y a eu un accompagnement et une animation des acteurs, l’effet a été très bénéfique, mais là où on a attendu que l’exonération produise seule des effets, les résultats sont encore attendus. Disons que mon sentiment sur les emplois francs s’inscrit dans cette ligne : tout dépendra de l’animation ! S’agissant de l’ANRU, nous menons actuellement la mission d’évaluation demandée par le ministre François Lamy. Nous en saurons plus d’ici un mois et demi.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Votre rapport souligne la situation particulièrement inquiétante des femmes dans les zones urbaines sensibles, où elles subissent davantage encore les discriminations que les hommes, du fait de la persistance des stéréotypes à leur encontre. La moitié des femmes qui habitent dans ces zones est en effet sans emploi, soit 20 % de plus que les hommes et quand elles exercent un emploi, celui-ci est souvent précaire, avec des niveaux moindres de responsabilité. 21 % de ces femmes ont par ailleurs la charge de familles monoparentales et sont en retrait du marché du travail. Dans le cadre de la concertation en cours, quelles recommandations concrètes pouvez-vous préconiser afin d’améliorer cette situation préoccupante ?

Mme Bernadette Malgorn. Nous souhaitons que cette situation ne soit pas occultée et c’est pourquoi nous avons consacré un chapitre spécifique à ce sujet : nous pensons en effet que l’intégration des femmes, notamment issues de l’immigration, est un facteur puissant de développement des zones urbaines sensibles.

M. Dino Cinieri. Madame la présidente, votre observatoire a remis le 16 novembre dernier au ministre chargé de la politique de la ville son rapport pour l’année 2012, basé sur l’observation de 751 zones urbaines sensibles. Pauvreté, chômage, discriminations, santé, sécurité, éducation : comme vous le soulignez, les motifs d’inquiétude de nos concitoyens ne manquent pas ! Vous pointez à juste titre l’appauvrissement et la dégradation de nombreuses villes de banlieue, où 36 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Le taux de chômage y est en augmentation et touche en particulier plus de 40 % des jeunes, mais également de plus en plus de seniors. Pour la première fois depuis cinq ans, le taux de chômage des femmes y est par ailleurs plus élevé que celui des hommes et lorsqu’elles travaillent, elles sont touchées par la précarité et le temps partiel. Ne pensez-vous pas que les mesures décidées par l’actuel Gouvernement concernant la fiscalité des heures supplémentaires et des emplois à domicile risquent de pénaliser encore davantage les femmes résidant en ZUS, qui sont souvent employées par des particuliers ?

Mme Bernadette Malgorn. On dit souvent que 40 % des jeunes sont au chômage : j’insiste bien sur le fait qu’il s’agit du taux de chômage et que cette situation concerne donc en pratique un jeune sur sept. Dans la génération des moins de vingt-cinq ans, beaucoup sont en effet encore en formation. Il s’agit de ne pas occulter le problème majeur des jeunes qui ne sont ni en formation, ni à la recherche d’un emploi. La lutte contre le décrochage est absolument prioritaire. Il faut aller chercher ces jeunes et ces femmes pour leur proposer des activités. La problématique des heures supplémentaires ne les concerne pas forcément dans l’immédiat, en tout état de cause…

Mme Audrey Linkenheld. Ma question portera également sur l’emploi, et plus particulièrement sur les contrats aidés. Vous faites le constat dans votre rapport que les résidents des ZUS embauchés en contrats uniques d’insertion occupent plus souvent que les autres des emplois manuels, dans des domaines moins valorisés, qu’il s’agisse du secteur marchand ou non marchand. Cela pose bien entendu le problème de la formation mais cela montre aussi que les discriminations classiques se perpétuent dans les dispositifs soutenus par la puissance publique. N’y a-t-il pas là un vrai problème de fond ? Comment pourrait-on responsabiliser les employeurs sur cette question ?

Mme Bernadette Malgorn. Nous n’avons pas mis en lumière des discriminations à proprement parler dans l’accès aux contrats aidés. Si discrimination il y a, le terme n’est pas forcément adapté, ce serait une discrimination positive. Le contrat unique d’insertion concerne le secteur marchand et le secteur non marchand. Pour le premier, il y a une vraie difficulté d’accès des habitants des ZUS mais pour le second, où l’Etat dispose d’un vrai levier d’intervention, le taux d’accès est en moyenne supérieur.

Mme Audrey Linkenheld. Permettez-moi d’apporter une précision sur le fondement de votre rapport. Qu’il s’agisse du secteur marchand ou du secteur non marchand, les emplois exercés par les résidents des ZUS ne sont pas les mêmes que ceux occupés par les résidents hors ZUS. Autrement dit, ils font plus souvent du nettoyage ou de l’entretien des espaces. Les chiffres qui sont dans votre rapport ne sont pas seulement corrélés aux niveaux de formation. Peut-être a-t-on aujourd’hui tendance à orienter les résidents des ZUS vers des emplois non valorisants, indépendamment de leur niveau de formation. Je ne dis pas que cette stigmatisation est volontaire, simplement qu’elle se retrouve dans les chiffres.

Mme Bernadette Malgorn. Les seules corrélations que nous avons établies sont par rapport aux niveaux de formation et de spécialisation. Nous avons aussi pointé l’attitude de Pôle emploi consistant à orienter davantage les résidents des ZUS vers les emplois non marchands. Le problème que vous soulevez existe peut-être mais nous n’avons pas pu l’identifier en tant que tel.

M. Philippe Armand Martin. Je souhaiterais connaître la position de l’ONZUS sur la question de l’open data. Menez-vous des actions pour mettre les données dont vous disposez à la disposition de tous ? Le travail de synthèse que vous élaborez pourrait alors être mieux questionné, voire contredit par d’autres. Par ailleurs, pour dynamiser l’économie, que pensez-vous d’une éventuelle bonification des dispositifs de droit commun en matière d’apprentissage, de contrats de professionnalisation et de première embauche au profit des entreprises implantées en zones franches ?

Mme Bernadette Malgorn. Je ne suis pas compétente pour répondre à votre seconde question. Pour ce qui concerne la première, nous avons un site parfaitement accessible, le système d’information géographique « SIG-Ville », où les données sont disponibles de la façon la plus large, pour autant qu’elles aient une signification. Tout ce qui a une significativité statistique est mis à disposition du public.

M. Razzy Hammadi. Les rapports de l’ONZUS se suivent et se ressemblent, même si c’est à l’aune d’une actualité différente d’une année à l’autre. Le rapport de l’an dernier ciblait un point particulier, à savoir le déficit en production de logements faisant suite aux opérations de rénovation urbaine. Où en est-on du suivi de cette question ? Le constat n’avait, à l’époque, pas fait grand bruit, mais il mérite d’être souligné. Nous avons déjà évoqué les logiques d’agglomération et je suis d’accord avec ce qui a été dit. Les problématiques d’évaluation ont été par ailleurs largement soulignées par notre collègue François Pupponi. S’agissant du débat sur les dispositifs exceptionnels et le droit commun, je souhaiterais avoir votre point de vue. L’enjeu n’est-il pas aujourd’hui de sortir de ce débat et de privilégier, pour ces zones, une logique d’articulation particulière avec le droit commun, qu’il s’agisse des transports, de l’éducation ou de la sécurité ? J’illustre mon propos par un exemple : des millions d’euros ont été investis dans le cadre du PNRU sans véritable coordination, dans de trop nombreux cas, avec les schémas locaux de transport. Cela revient à verser de l’eau dans le sable !

Mme Bernadette Malgorn. L’esprit du PNRU consistait précisément à appréhender globalement toutes ces questions et cette politique a donc constitué un progrès. Est-ce à dire que tous les objectifs ont été atteints et que la mise en œuvre a été parfaite, sûrement pas ! Nous serons amenés à évaluer prochainement cette politique et nous pourrons ainsi apporter des réponses plus précises à votre question. Les méthodes de mobilisation ont longtemps fait défaut et la notion de contractualisation doit être repensée, au-delà des bonnes intentions affichées. Il faut nous donner les moyens de suivre avec plus de rigueur la nature et la valeur des engagements contractés.

M. le président François Brottes. Il ne me reste plus qu’à vous remercier, madame la Présidente, pour toutes les réponses que vous nous avez apportées. Comme vous l’aurez constaté, notre commission suit les sujets dont vous traitez avec attention et vous a même fourni des suggestions d’idées de thèmes des futurs rapports que votre observatoire produira !

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 5 décembre 2012 à 10 heures

Présents. - M. Damien Abad, Mme Brigitte Allain, M. Frédéric Barbier, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Thierry Benoit, M. François Brottes, M. Dino Cinieri, M. Jean-Michel Couve, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Christian Franqueville, M. Franck Gilard, M. Georges Ginesta, M. Daniel Goldberg, Mme Pascale Got, M. Jean Grellier, M. David Habib, M. Razzy Hammadi, M. Antoine Herth, M. Henri Jibrayel, M. Armand Jung, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Luc Laurent, M. Thierry Lazaro, M. Michel Lefait, Mme Annick Le Loch, Mme Annick Lepetit, M. Philippe Le Ray, Mme Audrey Linkenheld, M. Alain Marc, Mme Marie-Lou Marcel, M. Philippe Armand Martin, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Kléber Mesquida, M. Yannick Moreau, M. Germinal Peiro, M. Hervé Pellois, M. Michel Piron, Mme Josette Pons, M. Dominique Potier, M. Patrice Prat, M. François Pupponi, M. Franck Reynier, Mme Béatrice Santais, M. François Sauvadet, M. Michel Sordi, M. Lionel Tardy, Mme Catherine Troallic, M. Fabrice Verdier

Excusés. - M. Bruno Nestor Azerot, Mme Ericka Bareigts, M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, M. Christophe Borgel, M. André Chassaigne, M. Joël Giraud, M. Serge Letchimy, M. Bernard Reynès, M. Alain Suguenot, M. Jean-Marie Tetart, M. Jean-Paul Tuaiva, Mme Clotilde Valter, Mme Catherine Vautrin

Assistait également à la réunion. - M. Marc Goua