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Commission des affaires économiques

Mercredi 10 avril 2013

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 69

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence et M. Jean-Ludovic Silicani, président de l’Autorité de régulation des communications électroniques des postes (ARCEP), sur « la concurrence dans le secteur des télécoms : amie ou ennemie du consommateur et de la filière ? ».

– Informations relatives à la commission

La commission a auditionné M. Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence et M. Jean Ludovic Silicani, président de l’Autorité de régulation des communications électroniques des postes (ARCEP), sur « la concurrence dans le secteur des télécoms : amie ou ennemie du consommateur et de la filière ?

M. le président François Brottes. Je remercie M. Bruno Lasserre et M. Jean Ludovic Silicani d’avoir accepté d’être auditionnés ensemble sur le secteur des télécommunications, et cède immédiatement la parole à Corinne Erhel et Laure de La Raudière, auteures d’un rapport assez critique sur le sujet.

Mme Corinne Erhel.  Le développement de la concurrence figure parmi les 21 objectifs assignés à la régulation, aux côtés de l’emploi et de l’investissement. L’intitulé quelque peu provocateur de notre audition nous invite à nous interroger sur la manière de concilier, d’une part, l’intérêt du consommateur et celui de la filière dans son ensemble – en termes d’emploi, d’innovation et d’investissement – et, d’autre part, le développement des usages et l’aménagement du territoire.

La quatrième licence de téléphonie mobile fut octroyée à l’époque sans qu’aucune étude d’impact préalable n’ait été réalisée. Son objectif – développer la concurrence et faire baisser les prix pour le consommateur – a été pleinement atteint puisque les prix observés sont extrêmement bas, nous plaçant dans le peloton de tête des pays européens. Cependant, l’arrivée d’un quatrième opérateur a eu des répercussions sur l’emploi dans la filière. Sommes-nous enfermés dans une logique de court terme ? Faisons-nous face à une restructuration conjoncturelle ou plutôt structurelle du marché ?

L’autorisation accordée à la société Bouygues Télécom d’utiliser de façon anticipée la bande de 1800 mégahertz (Mhz) pour la 4G est-elle de nature à lui fournir un avantage concurrentiel ? Envisagez-vous de nous présenter une étude globale, en lieu et place de la compilation d’avis annexés à la décision accédant à cette demande de refarming ? Quel l’impact la présentation récente de nouvelles offres de forfait 4G – soit au même prix que la 3G, soit pour quelques euros de plus – aura-t-elle sur la croissance et sur la filière ? Le relais de croissance qu’elle induit permettra-t-il réellement de développer un écosystème vertueux ?

Chargée par le Gouvernement de se prononcer sur le contrat d’itinérance conclu entre Orange et Free mobile sur la 3G, l’Autorité de la concurrence estime que si ce contrat anime la concurrence, il doit être borné dans le temps afin d’éviter tout risque concurrentiel et ne pas se prolonger au-delà d’une échéance raisonnable, 2016 ou 2018. Comment l’ARCEP compte-t-elle vérifier que ses préconisations en matière d’investissements sont bien appliquées ? Où en est l’installation de l’observatoire des investissements et sur quels indicateurs fondera-t-il son analyse ? Comment son activité s’articulera-t-elle avec celle de l’observatoire de la qualité de service que Laure de La Raudière et moi appelons de nos voeux ? Nous sommes en effet persuadées que c’est l’établissement d’un lien entre le niveau d’investissement et la qualité de service qui permet de constituer un écosystème vertueux. Quelles seront les modalités d’extinction progressive de l’itinérance nationale ? Enfin, comment percevez-vous l’évolution de la téléphonie mobile en France, par rapport aux autres pays européens ?

Mme Laure de La Raudière.  Lors de notre mission, nous avons constaté une certaine violence dans le discours des opérateurs qui, lorsqu’ils s’expriment par voie de presse et par voie médiatique, ne mâchent pas leurs mots, les uns traitant les autres de « pigeons » sans oublier de critiquer les autorités que vous représentez. Comment expliquer un tel durcissement ? Comment mieux répartir les responsabilités du Gouvernement et des autorités administratives indépendantes dans la définition de la réglementation ? Le contexte politique et économique de 2007 visait à favoriser le pouvoir d’achat – ce qui justifie la décision prise à l’époque concernant la quatrième licence. Or, le contexte politique et économique a changé et depuis 2012, tant la gauche que la droite cherchent à favoriser l’emploi et à relancer les investissements dans le secteur. Pourtant, la réglementation n’a guère évolué.

La décision autorisant Bouygues Télécom à exploiter en refarming sa bande de 1800 MHz, en réallouant des fréquences 2G en 4G, et par conséquent à développer la 4G environ un an et demi plus tôt que prévu, ne profite qu’à ce seul opérateur – ce dont se plaignent SFR, Free et Orange, qui y voient une forme de concurrence déloyale. Ceux-ci craignent en effet de ne pas pouvoir développer la 4G en augmentant les prix comme ils le prévoyaient. D’aucuns y voient même une aide accordée à l’opérateur semblant le plus affecté par l’arrivée de Free mobile sur le marché. Pourquoi ne pas avoir inclus ce refarming dans les enchères initiales de la 4G et pourquoi ne pas imposer un délai d’un an et demi à Bouygues Télécom ? Quel sera l’impact de cette décision sur la concurrence et sur l’emploi ?

Quant au très haut débit, l’autorisation d’installation du VDSL2 (Very high speed Digital Subscriber Line 2) dans les zones appel à manifestation d’intentions d’investissement (AMII) où les opérateurs se sont engagés à installer la fibre optique nous préoccupe beaucoup : il conviendrait alors aussi d’autoriser les collectivités territoriales à installer la fibre dans les zones AMII, ce qui leur permettrait de rentabiliser leurs investissements dans les zones moins denses sur une période moins longue. Comment mettre fin à l’utilisation du réseau de cuivre et basculer complètement sur le réseau fibré ? À quelle échéance cela paraît-il réaliste ? On observe une différence de tarif très importante entre l’offre grand public – de quelques dizaines d’euros par mois – et l’offre aux entreprises – de l’ordre de 1 000 euros par mois : comment l’expliquer ? Ne pourrait-on rendre les offres tarifaires plus avantageuses pour les entreprises en faisant évoluer le cadre réglementaire actuel ?

Enfin, un conflit ouvert oppose les géants de l’internet aux opérateurs privés qui administrent ce bien collectif immense qu’est la toile. Tous reconnaissent l’importance de la neutralité d’internet et des réseaux pour la liberté d’expression, l’économie et l’innovation. Pourtant, en début d’année, confronté à la nécessité d’augmenter ses investissements d’interconnexion, Free a bloqué la publicité afin de faire pression sur Google. Si l’Autorité de la concurrence a rendu un avis sur le sujet, le marché demeure très opaque : comment assainir ces relations et ainsi garantir aux internautes l’accès à un réseau de qualité ?

M. le président François Brottes. Comme chacun l’aura compris, coexistent à la fois les règles édictées par le Parlement, les décisions prises par le Gouvernement et par le régulateur et enfin les corrections apportées par l’Autorité de la concurrence.

M. Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence. Je me réjouis que ce débat puisse avoir lieu – tant il est de notre devoir de rendre des comptes au Parlement pour lui permettre d’évaluer notre action.

J’ai pour ma part trois convictions fortes à l’égard de ce secteur. Tout d’abord, la concurrence est non pas une fin en soi – sorte de veau d’or devant lequel il faudrait se prosterner et qui résoudrait tous les problèmes –, mais un levier permettant d’atteindre de multiples objectifs. Dans une économie de marché, je ne connais pas de meilleur ressort pour inciter les entreprises à innover, à produire le meilleur d’elles-mêmes, à tirer la croissance et à prendre des risques. Ensuite, la régulation ne saurait constituer le seul instrument de politique publique : le Gouvernement et le Parlement ont de toute évidence un rôle à jouer pour construire une telle politique. Enfin, l’articulation entre le régulateur sectoriel et le gendarme de la concurrence est une nécessité. Jean Ludovic Silicani et moi-même partageons cette conviction tout en sachant que nos rôles sont différents : si le régulateur sectoriel est le paysagiste qui définit le design général du jardin, l’Autorité de la concurrence joue plutôt le rôle du jardinier chargé d’entretenir celui-ci, c’est-à-dire de vérifier que les arbres poussent harmonieusement, qu’aucun d’eux ne prend la place d’un autre et que la végétation y pousse selon les mérites propres à chaque espèce.

M. le président François Brottes. Il fait aussi parfois office de bûcheron…

M. Bruno Lasserre. Certes, il est quelquefois nécessaire de rappeler aux opérateurs la dure réalité des règles du jeu. Et de ce point de vue, l’Autorité de la concurrence n’hésite pas à faire preuve de fermeté.

Quant à la turbulence des échanges entre les opérateurs, je la trouve préférable à la période de calme antérieure – au cours de laquelle ceux-ci s’étaient entendus entre eux pour se partager le marché. Il est néanmoins vrai que ce n’est pas à coup de procès antitrust que l’on règlera les problèmes de la France.

S’agissant de la mutualisation et du contrat d’itinérance d’Orange et de Free Mobile, l’Autorité de la concurrence a rendu un avis important le mois dernier à la demande du Gouvernement. Dans le domaine mobile, la concurrence par les infrastructures nous paraît le modèle le plus durable et le plus favorable non seulement à l’innovation et à la différenciation des offres, mais également à l’emploi et à l’investissement. C’est pourquoi nous devons veiller à ce que les opérateurs respectent les engagements de déploiement du réseau qu’ils ont pris dans le cadre de la licence qu’ils ont obtenue.

Si nous croyons à cette concurrence par les infrastructures, celle-ci pose cependant deux interrogations.

La première est la suivante : étant donné l’importance des investissements nécessaires au développement de la 4G, est-il possible de les mutualiser ? Notre réponse à cette question se fonde sur trois critères. Tout d’abord, en fonction de l’intensité de la coopération, la réponse n’est pas la même selon qu’on met en commun des infrastructures passives telles que les pylônes, les réseaux et les points hauts, des infrastructures actives ou des fréquences – point le plus poussé de la coopération entre opérateurs. Le deuxième critère réside dans le pouvoir de marché obtenu par les opérateurs concluant des accords et la capacité des concurrents à y réagir. Le troisième critère est celui de la zone dans laquelle s’effectue cette mutualisation : autant nous encourageons celle-ci dans les zones peu denses où l’investissement doit être partagé, autant elle pose problème en zone très dense, où le partage d’informations et la définition commune d’une manière de densifier la couverture peut entraîner une collusion ou une restriction de la concurrence sur le marché du détail. Si la coopération est possible en amont, le processus concurrentiel doit être préservé en aval. Quoi qu’il en soit, nous sommes favorables à la mutualisation sur le réseau mobile français.

La seconde interrogation concerne l’itinérance : nous considérons que celle-ci était nécessaire pour permettre à Free de concurrencer efficacement les trois opérateurs mobiles déjà en place mais qu’elle ne peut constituer qu’un instrument temporaire, transitoire, le temps que Free déploie son réseau dans le respect des engagements qu’il a pris aux termes de sa licence. Il nous faut donc annoncer clairement dès maintenant la règle du jeu : à savoir que cette itinérance nationale doit prendre fin dans un délai à la fois raisonnable et proportionné et que d’ici là, le régulateur sectoriel vérifiera que Free se trouve sur une trajectoire d’investissements conforme à ses engagements – soit un taux de couverture de 75 % de la population en 2016 et de 90 % en 2018. Enfin, nous avons d’ores et déjà annoncé les conditions dans lesquelles cette itinérance nationale doit prendre fin. Le maintien de l’itinérance locale pourra demeurer utile dans les zones peu denses où la mise en commun des infrastructures permet au réseau de se développer plus rapidement que par le seul jeu du marché et constitue un moyen de pallier l’inadaptation du patrimoine de fréquences d’un opérateur aux exigences de couverture du territoire.

Il me semble essentiel d’évoquer la situation des opérateurs de réseau mobile virtuels (MVNO) – qui se sont sensiblement développés et représentent désormais 13 % du marché. Leur présence sur le marché dynamise la concurrence pour deux raisons : non seulement ils ont la capacité d’explorer la demande et de satisfaire des segments de clientèle peu pris en compte par les opérateurs, mais ils jouent également un rôle majeur en innovant et en proposant une offre adaptée à des clients spécifiques tels que les jeunes et les publics « communautaires ». Nos propositions visent à faire en sorte que ces opérateurs virtuels continuent à animer le marché au profit de l’ensemble de la filière des télécoms.

Pour conclure, les débats très violents auxquels se sont livrés les opérateurs, de même que la contestation dont ont fait l’objet les décisions des régulateurs, ne doivent pas nous faire oublier deux éléments capitaux. D’une part, la bataille du mobile sera gagnée si l’offre des opérateurs est suffisamment attrayante non seulement sur le créneau low cost adressé au grand public, mais également dans le haut de gamme, et si les opérateurs sont en mesure d’être présents sur ces deux segments en même temps. D’autre part, ce combat se joue à l’échelle mondiale et ce sont les applications qui constitueront demain le nerf de la guerre. Les opérateurs européens doivent être présents dans ce combat afin de créer de la valeur. L’Autorité de la concurrence fut la première autorité dans le monde à lancer une étude sectorielle sur la publicité en ligne et à contraindre Google à adopter une politique de contenu plus objective, plus transparente et non discriminatoire sur adwords. Nous souhaitons poursuivre ces enquêtes aux côtés de la Commission européenne afin de vérifier que le consommateur n’est ni captif d’un écosystème ni dépendant des seules applications pré-installées – qu’il s’agisse d’Android, d’Apple ou d’Amazon – et de permettre aux opérateurs européens de développer leurs propres applications. Il nous faudra donc vérifier que l’intégration en aval de ces géants de l’internet n’emprisonne pas le consommateur et n’empêche pas les concurrents de créer et d’animer leurs propres applications. L’Autorité de la concurrence est convaincue qu’elle investira toute son énergie afin de garantir les bonnes conditions de la concurrence au profit des consommateurs et de l’ensemble de la filière.

M. le président François Brottes. Monsieur Silicani, à en croire Bruno Lasserre, vous voilà devenu paysagiste ! Cependant, dans votre paysage, toutes les plantes ne profitent pas du même ensoleillement ni du même engrais, fût-il naturel : certaines bénéficient de l’arrosage automatique, d’autres pas, et ce jardin comprend également des plantes grasses et quelques fleurs virtuelles. Votre métier paraît donc assez compliqué …

M. Jean Ludovic Silicani, président de l’ARCEP. Je vous remercie, monsieur le président, de nous avoir invités à cet échange : il me paraît fort utile que les autorités administratives indépendantes soient placées sous le contrôle du Parlement, comme du juge d’ailleurs.

J’ai depuis quinze ans la profonde conviction – liée à ma formation et à mon expérience – que l’État doit jouer un rôle de régulateur. L’économie de marché – seul système qui fonctionne – doit être régulée non seulement par des autorités telles que l’Autorité de la concurrence ou l’ARCEP, mais plus généralement par des politiques publiques relevant du Gouvernement et du Parlement. Seules certaines politiques spécifiquement délimitées par le législateur – qui, souvent, transpose des directives européennes – relèvent d’autorités indépendantes, notamment lorsqu’un opérateur est propriété de l’État, ce qui risque de placer le Gouvernement en situation de conflit d’intérêts.

Ce secteur étant régulé, il appartient au Gouvernement de mener une politique publique d’investissement, de recherche, de fiscalité et de formation, les autorités indépendantes étant pour leur part chargées d’assurer l’animation concurrentielle du marché. Nombreux sont les entreprises et les décideurs politiques qui partagent une vision naïve – ou faussement naïve – selon laquelle la concurrence existe spontanément dans l’économie alors que sans intervention publique, les grands groupes capitalistes ont tendance à se concentrer massivement et à constituer des monopoles et des oligopoles. L’intervention de l’État est donc nécessaire pour animer la concurrence.

La construction de ce système concurrentiel s’effectue en deux temps. La régulation ex ante est l’œuvre du régulateur sectoriel, sorte d’architecte contribuant à construire un marché – ex nihilo lorsque la situation d’origine est monopolistique – en fixant des règles, en procédant à des consultations publiques et à des auditions de l’ensemble des acteurs du secteur et en menant des études et des expérimentations. Une fois le marché construit, on en assure le suivi en fixant des règles symétriques ou asymétriques en ce qui concerne les réseaux fixes, ou en attribuant des fréquences sur les réseaux mobiles. Il appartient ensuite à l’Autorité de la concurrence d’observer ex post – et éventuellement de sanctionner – les défaillances du marché. Celle-ci rend également des avis définissant les objectifs généraux et des lignes directrices pour les acteurs économiques.

Lorsqu’une autorité de régulation telle que l’ARCEP souhaite construire une économie de marché à partir d’une situation de monopole, elle se retrouve confrontée à la fois aux opposants à l’économie de marché et aux adversaires de l’intervention publique – ce qui n’est pas peu dire dans un pays tel que la France ! Je me méfie d’ailleurs des secteurs dans lesquels on ne critique jamais le régulateur …

M. le président François Brottes. Songez-vous au régulateur des chemins de fer ?

M. Jean Ludovic Silicani. Je ne citerai personne en particulier. Toujours est-il qu’un régulateur doit prendre des décisions difficiles : après concertation, il lui revient de fixer des règles du jeu et éventuellement de sanctionner les acteurs – comme nous l’avons fait en 2009 en mettant Orange et SFR en demeure de respecter leurs engagements de déploiement de la 3G.

Et dès mars 2012, l’ARCEP a indiqué, lors d’un point presse consécutif au lancement de Free mobile, qu’elle était suffisamment armée pour assurer le suivi du déploiement du réseau du quatrième opérateur mobile, dans des conditions tout à fait différentes de celles de ses prédécesseurs puisqu’il ne dispose pas d’un réseau 2G. Nous lui avons donc accordé un droit à l’itinérance 2G pour une durée maximale de six ans. Par symétrie, les autres opérateurs se sont vu imposer l’obligation de lui fournir cette itinérance 2G dans le cadre de la licence 3G attribuée dans les années 2000 aux opérateurs historiques et il était possible d’utiliser un droit à l’itinérance dans le cadre de la licence accordée à Free à la fin de l’année 2009 et au début de l’année 2010. En revanche, nous ne pouvions accorder l’itinérance 3G à Free puisque les autres opérateurs n’avaient pas l’obligation de la lui fournir. C’est pourquoi l’Autorité de la concurrence a recommandé une itinérance 3G cadrée dans le temps.

Cet exemple illustre à quel point nos deux autorités jouent un rôle complémentaire dans la définition des règles du jeu. La mutualisation des réseaux constitue ainsi une nuance apportée à la règle de concurrence par les infrastructures. Quant à l’attribution de la licence 4G, pour la première fois en Europe, nous encourageons la mutualisation dans une vaste zone, appelée zone prioritaire de déploiement, qui correspond à 62 % du territoire. Un opérateur pourra donc bénéficier de la mutualisation si sa demande est raisonnable.

Appartenant au domaine public de l’État, le spectre hertzien est un bien rare et cher qu’il nous faut éviter de gaspiller. Or, depuis l’origine, dans les années 90, les licences ont toujours été spécifiquement réservées à une technologie ou à un usage précis. Loin d’être optimale, cette solution a conduit certains opérateurs à sous-utiliser leurs fréquences – la bande de 1800 MHz, qui avait été attribuée il y a près de vingt ans à la 2G, était ainsi sous-utilisée par des opérateurs tels que Bouygues Télécom – alors que les besoins de fréquence sont croissants pour le très haut débit. Et si nous avons attribué des licences pour la 4G à la fin de l’année 2011 et au début de l’année 2012, nous savons pertinemment que nous aurons rapidement besoin de fréquences supplémentaires.

C’est pourquoi, en août 2011, la France a transposé une directive communautaire préconisant d’optimiser ces fréquences en neutralisant chaque bande – une bande de fréquences pourra être utilisée pour tous les usages. Cette neutralisation sera automatique en 2016, mais les opérateurs sont autorisés à en bénéficier par anticipation, ce qu’a fait Bouygues. Avant de la lui autoriser à titre temporaire, nous avons vérifié, d’une part, si cela risquait de déséquilibrer le marché concurrentiel, et d’autre part, si cette autorisation risquait à elle seule de mettre en péril les objectifs d’innovation, de compétitivité et d’emploi. Nous en avons conclu que cette mesure transitoire n’occasionnait aucune distorsion de concurrence et qu’elle favorisait l’innovation en accélérant le déploiement de la 4G. Quant aux conséquences de cette décision sur les autres opérateurs, rien ne permet de conclure qu’elle risque de porter atteinte à leur chiffre d’affaires et à l’emploi dans le secteur.

M. André Chassaigne. Vous avez sans doute raison lorsque vous affirmez que l’économie de marché est la seule qui fonctionne – et cet avis est partagé dans cette commission –, puisque d’autres modèles économiques ont échoué. Mais cela ne vaut que pour le contexte actuel ! Et il faudra bien finir par inventer un autre système tant les conséquences du nôtre sur le quotidien des habitants de cette planète est catastrophique ! Cette approche ne vous est d’ailleurs pas propre : elle ne fait que correspondre au cadre dans lequel vous devez intervenir.

L’Autorité de la concurrence considère par exemple l’itinérance comme une distorsion de concurrence en cas d’accord de mutualisation. Ainsi, dans le cas très précis d’Orange et Free Mobile, l’Autorité a considéré que la mutualisation devait cesser au plus tard en 2018 car elle conférait un avantage aux deux opérateurs. Or, au lieu de démultiplier les réseaux comme le dicte la règle concurrentielle, on aurait plutôt intérêt à en assurer l’unicité sur nos territoires afin de limiter le nombre d’antennes-relais dont l’installation manque de transparence et a des conséquences nuisibles sur la santé.

Quant à l’ARCEP, nous avons tous été informés de l’existence d’un rapport confidentiel d’Arnaud Montebourg et Fleur Pellerin, selon qui  la guerre des prix s’est faite au détriment des entreprises du secteur et des objectifs d’emploi, d’investissement efficace, d’innovation et de compétitivité. Selon ces auteurs, « le régulateur a mis sous forte pression l’ensemble des opérateurs et a contribué à diminuer leur capacité d’investissement sur le long terme ; l’emploi est désormais en diminution ; la compétitivité de plusieurs acteurs-clefs est atteinte, et le développement de nouveaux services se fait essentiellement au bénéfice d’acteurs localisés hors de France et parfois même d’Europe ».

Dans l’intérêt général, nous nous devons donc de mesurer les conséquences d’une concurrence exacerbée, considérée comme seul levier efficace mais dont les prix ont des effets pervers, comme en témoignent les conséquences très dures, pour les autres opérateurs, de la politique de low cost menée par Free ou la dénonciation des avantages accordés à Bouygues Télécom pour le lancement de la 4G. Cette libre concurrence présentée comme la seule solution possible a des effets pervers considérables et porte un coup au développement de notre économie – ou tout du moins à l’emploi et à la vie de nos territoires.

M. Franck Reynier. Il s’agit non pas de remettre en cause la concurrence, mais d’envisager la manière de l’encadrer au mieux. Les bienfaits de l’ouverture à la concurrence doivent être envisagés du point de vue du consommateur qui, grâce à l’émergence de nouveaux opérateurs et à la remise en cause des monopoles, a pu bénéficier de tarifs beaucoup plus accessibles et compétitifs. Et les pouvoirs publics ont choisi d’accompagner le développement de nos infrastructures, ce qui a eu un effet très positif.

Les acteurs du marché ne sont pas uniquement des opérateurs télécom ; ce sont aussi des opérateurs de service. Or, lorsque l’État français taxe plus lourdement les opérateurs téléphoniques, il touche 120 000 salariés en France – tandis que les opérateurs délocalisés ne contribuent pas à cet effort fiscal national. Il conviendrait donc de rétablir une plus grande justice et une plus grande solidarité en la matière.

Quant au très haut débit et à la fibre, leur développement est très important tant les usages, les contenus et la demande évoluent. La politique d’investissement a donc du sens : le régulateur se doit de l’encadrer et de résoudre le problème des « zones blanches » puisque le coût d’installation de la fibre optique y est particulièrement élevé.

Mme Brigitte Allain. Cette audition arrive à point nommé, alors que le Gouvernement vient de publier sa feuille de route pour le numérique, et a annoncé l’insertion d’un volet consacré à l’aménagement numérique dans le projet de loi de décentralisation à venir.

La concurrence me paraît plus dommageable à long terme que la coopération : si elle fait baisser les prix pour le consommateur dans un premier temps, elle a également pour effet de déstructurer l’offre, et par conséquent les emplois du secteur et la qualité de service – à l’inverse de l’objectif visé initialement. Lorsque le téléphone fut rendu accessible à tous, parce qu’il s’agissait d’un service public, les bénéfices réalisés dans les zones denses permettaient d’équiper les zones moins denses et par conséquent moins rentables du territoire. À l’inverse, le plan numérique du Gouvernement privatise ces bénéfices, laissant à l’État le soin de financer les zones les moins denses : cela ne correspond-il pas à une forme de concurrence déloyale ?

Dans la filière des télécoms, cette concurrence a été si féroce et rapide qu’il n’a guère fallu attendre longtemps pour en ressentir les effets néfastes : dès 2012, tous les opérateurs ont annoncé des plans de licenciement – 856 suppressions d’emploi chez SFR, 566 chez Bouygues, le non-remplacement des départs à la retraite chez France Télécom, sans parler des conséquences subies par les équipementiers ou les centres d’appel. Dans un tel contexte, les acteurs sont-ils encore en mesure d’investir dans la recherche-développement et les technologies innovantes ?

Par ailleurs, les inégalités d’accès aux nouvelles technologies demeurent très fortes en France : ainsi, 75 % des cadres supérieurs disposent d’une connexion internet à domicile, contre seulement 24 % des ouvriers, 15 % des retraités et 13 % des non diplômés. Tout le monde n’a donc pas le même accès aux outils informatiques.

Le Gouvernement s’est récemment fixé l’objectif d’une couverture de 50 % du territoire en très haut débit d’ici à 2017 : comment améliorer la situation des 50 % non servis dans un délai acceptable ? Comment l’Autorité de la concurrence peut-elle assurer l’égalité d’accès des citoyens et des territoires à la technologie numérique ?

Enfin, comment qualifieriez-vous l’état de vos relations avec les opérateurs ? Le système actuel garantit-il véritablement l’indépendance des autorités régulatrices ? Le poids politique des opérateurs n’est-il pas supérieur au pouvoir juridique du régulateur, comme nous l’avons vu récemment lors de l’examen de la proposition du groupe écologiste relative aux ondes électromagnétiques ?

Mme Jeanine Dubié. Je vous remercie pour la clarté de vos exposés sur un sujet aussi ardu. Ce type d’audition nous permet de mesurer l’utilité et la fécondité de celles des autorités administratives indépendantes qui contribuent à la régulation de secteurs économiques complexes.

L’intitulé de cette audition nous paraît biaisé dans sa formulation, puisqu’il sous-entend, comme on le lit partout depuis plusieurs mois, que la concurrence serait l’amie du consommateur et l’ennemie de la filière. La question est en réalité plus complexe, comme l’ont illustré vos propos. La vague d’enthousiasme qu’a connue Free lors du lancement de son offre mobile mérite d’être saluée même si la qualité du service rendu laisse parfois à désirer. Restera à vérifier dans les prochains mois que le quatrième opérateur poursuit son développement conformément à ses engagements. Dans son avis, l’Autorité de la concurrence préconise de ne pas autoriser la prolongation du contrat d’itinérance d’Orange et de Free mobile au-delà de 2016 ou 2018, selon les zones concernées. De quels moyens disposez-vous pour vérifier si les investissements de Free mobile sont à la hauteur de ses engagements ?

Il reste que certains craignent pour l’emploi et l’innovation dans la filière. Si la baisse des prix de la téléphonie mobile est incontestable, a-t-elle réellement dynamisé la demande et exercé un effet positif sur l’emploi dans les autres secteurs grâce au gain de pouvoir d’achat enregistré – comme nous l’enseigne la théorie économique ? Si c’est le cas, cela a probablement permis la création d’emplois sur d’autres continents, tandis que la filière subit de grosses turbulences en France : la concurrence induit en effet une instabilité et une réallocation des emplois entre les entreprises et les activités.

Dans ce contexte de morosité, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste (RRDP) réitère son soutien aux propositions du rapport de Corinne Erhel et Laure de La Raudière, qui préconisent notamment un enrichissement des critères pris en compte par le régulateur afin d’assurer un équilibre entre l’intérêt du consommateur, l’emploi, l’investissement et l’innovation dans l’ensemble de la filière.

Que pensez-vous des principales propositions de ce rapport ? Quels éléments de notre législation vous paraissent-ils devoir être modifiés dans le cadre d’un projet de loi sur le numérique ? Dans quelle mesure les territoires ruraux et de montagne seront-ils pris en compte par ce texte ?

L’Autorité de la concurrence a clairement délimité les possibilités de mutualisation des infrastructures en zone dense alors que celle-ci permettrait aux opérateurs d’y réaliser des économies d’investissement importantes. Avez-vous pris en compte la situation économique particulièrement fragile des opérateurs parmi vos critères d’évaluation ?

Enfin, quels moyens vous permettent-ils d’évaluer, de contrôler et, le cas échéant, de sanctionner les pratiques anticoncurrentielles des opérateurs américains qui rendent le consommateur captif d’écosystèmes d’applications mobiles fermés ?

M. Daniel Fasquelle. Soumis à la concurrence, le secteur des télécoms doit aussi être régulé : quels rapports vos deux autorités entretiennent-elles ? Si l’Autorité de la concurrence consulte parfois l’ARCEP, l’inverse est-il vrai ? Ne devrait-on pas confier à une seule autorité le soin de traiter à la fois des questions de concurrence et de régulation, afin d’éviter les complications actuelles ?

Au milieu des années 2000, l’Autorité de la concurrence a sanctionné une entente entre opérateurs de téléphonie mobile qui portait préjudice aux consommateurs. Et dans une décision prise en décembre dernier, elle a cette fois dénoncé un abus de position dominante. Est-on condamné à constater régulièrement ce type de pratiques ou la situation va-t-elle s’assainir au fil du temps ?

Quant à la concentration, quatre opérateurs sont présents sur le marché : n’est-ce pas un de trop ? Seriez-vous favorables à leur regroupement ? Ne conviendrait-il pas d’assouplir les règles de la concurrence et de laisser les opérateurs travailler ensemble sur certaines parties du territoire national afin de mieux aménager celui-ci et de permettre à chacun de nos concitoyens d’accéder au téléphone mobile ?

Enfin, votre prise de position sur le contrat d’itinérance entre Orange et Free me paraît extrêmement importante car la concurrence doit être assurée à armes égales. Et pour la première fois dans le monde, l’Autorité de la concurrence a rendu un avis portant sur les rapports entre France Télécom et Cogent. Pourriez-vous nous préciser à quels dédommagements France Télécom pourrait prétendre afin de compenser le déséquilibre dont elle est victime ?

Mme Frédérique Massat. Peut-on inciter, voire obliger les opérateurs à mutualiser leurs infrastructures de réseaux dans les zones peu denses ? L’autorisation de refarming délivrée à Bouygues Télécom constitue-t-elle un avantage concurrentiel ? Est-il envisageable de prendre des mesures à l’encontre des équipementiers chinois ou coréens dans le domaine des technologies 4G ou des stations de base dans le mobile au nom de la cyberdéfense, comme le font déjà les États-Unis ?

M. Alain Marc. Pour filer la métaphore par laquelle M. Lasserre a comparé son travail à celui d’un jardinier, chargé de veiller à ce que les arbres croissent harmonieusement, je voudrais évoquer le problème des zones où il n’y a quasiment aucun arbre ! Dans les zones peu denses, les collectivités locales sont souvent obligées de se substituer aux opérateurs de téléphonie pour financer les infrastructures de réseaux. Selon quelles modalités réglementaires, voire législatives, pourrait-on imposer aux opérateurs l’obligation d’assurer la couverture de 100 % du territoire ?

M. Dino Cinieri. Selon le rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale relative à l’impact de la régulation sur la filière des télécommunications de Mmes Corinne Erhel et Laure de La Raudière, ce secteur a connu de profonds changements en 2012 : entrée d’un quatrième opérateur sur le marché mobile, finalisation du processus d’attribution des licences mobiles 4G et poursuite du déploiement de la fibre optique. Selon nos collègues, l’équilibre entre l’intérêt du consommateur, la préservation de la capacité d’investissement des acteurs économiques et la sauvegarde de l’emploi a été mis à mal par les décisions successives de la régulation européenne et de la régulation française, qui auraient privilégié le développement de la concurrence plutôt que l’intérêt du consommateur. Selon le rapport, la régulation n’est souvent abordée que sous l’angle de la concurrence et il conviendrait de mener une réflexion sur un possible resserrement de périmètre de compétence du régulateur. Quelles remarques ces réflexions vous inspirent-elles ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. Dans leur excellent rapport, nos collègues Corinne Erhel et Laure de La Raudière préconisent la création au sein de l’ARCEP d’un observatoire de la qualité de service sur les réseaux fixes et mobiles, afin de permettre à l’État et aux consommateurs d’avoir une perception des débits réels du net ou de la couverture réelle des territoires en 3 G et en 4G qui ne soit pas tributaire des arguments de vente des opérateurs. Qu’en pensez-vous ? Présenterez-vous à la commission les indicateurs de contrôle que vous utiliserez dans ce cadre ? Pourquoi observe-t-on aujourd’hui un écart aussi important entre le taux annoncé de couverture en téléphonie mobile et la perception qu’on en a sur le terrain ?

M. Philippe Armand Martin. Lorsqu’un consommateur de services de téléphonie fixe rencontre des difficultés d’accès à internet, il doit s’adresser à la fois à l’opérateur historique, qui gère les lignes, et à son fournisseur d’accès. Faute d’un dossier partagé, il doit multiplier les allers et retours entre les deux instances avant de pouvoir identifier la source du dysfonctionnement. L’absence de concertation entre les deux opérateurs retarde considérablement la résolution du problème, interdisant au consommateur l’accès au service durant une longue période. Que préconisez-vous pour faciliter les démarches des consommateurs en pareil cas ?

M. Lionel Tardy. Quels sont, pour les consommateurs et les différents acteurs de la filière, les avantages et les inconvénients de la concurrence dans le secteur des télécommunications ? Comment distinguer, dans les difficultés rencontrées par les acteurs de la filière, ce qui est dû à l’arrivée d’un quatrième opérateur et ce qui relève de l’évolution normale du secteur ? Comment l’Autorité de la concurrence peut-elle en 2013 considérer la concurrence par les infrastructures comme un principe fondamental, alors qu’en 2012 elle se déclarait favorable aux MVNO, dont elle jugeait qu’ils contribuaient à animer le marché et qu’on devait à ce titre leur préserver un espace économique ? Quelle est la différence entre Free, lorsqu’il utilise le réseau d’un tiers, et un MVNO ?

M. Patrick Lebreton. En décembre dernier, l’ARCEP a autorisé une baisse très significative du tarif de la terminaison d’appel en ce qui concerne le prix des communications à partir d’un réseau mobile de l’hexagone vers les départements d’outre-mer. Les conditions sont désormais réunies pour que les communications depuis l’hexagone vers les DOM soient intégrées dans tous les forfaits proposés par les opérateurs de téléphonie mobile. Cette décision est une avancée essentielle vers l’intégration de ces territoires dans le champ concurrentiel normal. A-t-elle déjà eu un impact significatif sur les tarifs pratiqués par les opérateurs pour les communications de l’hexagone vers les DOM ? Plus largement, croyez-vous que les tarifs doivent être davantage encadrés pour compenser la faiblesse de la concurrence sur les marchés ultramarins ?

Mme Marie-Lou Marcel. Notre pays a désormais les prix de téléphonie mobile les plus bas d’Europe, ce qui ne va pas sans dégâts collatéraux pour les équipementiers, les opérateurs ou leurs sous-traitants. Pensez-vous vraiment que Free couvrira 75 % du territoire avec ses propres antennes dès 2015 ? De quels outils disposent l’ARCEP et l’Autorité de la concurrence pour vérifier que Free respecte ses engagements sur ce point ? Les opérateurs ne devraient-ils pas pouvoir mettre en commun leurs réseaux en zones rurales – je parle là d’une coopération de l’ensemble des opérateurs, et non d’une alliance des uns contre les autres – ? Pensez-vous que le principe ALARA, ou « As Low As Reasonably Achievable », doit être introduit dans le droit des télécommunications afin de protéger les consommateurs et les usagers ?

M. François Sauvadet. L’objectif du Gouvernement est clair : il s’agit d’assurer le très haut débit pour tous d’ici à dix ans. Pour mon seul département de la Côte-d’Or, cela suppose plus de 250 millions d’euros d’investissement. Comment garantir un tel niveau d’investissement dans le contexte actuel, à un moment où l’opérateur historique est affaibli par l’arrivée de Free, dont on dit qu’il ne tient pas ses engagements – j’aimerais savoir à ce propos quels sont les moyens dont vous disposez pour vérifier qu’il les respecte – ? Quant aux collectivités territoriales, elles ne pourront pas assumer le coût du déploiement du réseau dans les zones peu denses en l’absence de garantie des opérateurs. Que préconisez-vous pour atteindre cet objectif ?

M. François Vannson. Au moment où les quatre opérateurs de réseaux mobiles sont amenés à investir massivement dans des réseaux de quatrième génération, il est légitime de s’interroger : les opérateurs respecteront-ils le principe de la concurrence par les infrastructures ? Quelles seront les conséquences de ces investissements massifs pour les consommateurs ?

M. Alain Suguenot. Comment se justifie la différence entre le prix public et le prix pour les entreprises de l’équipement en fibre optique ? Les réseaux de télécommunications n’étant rentables qu’au bout de cinq ans minimum, et pas avant plusieurs décennies dans certains cas, les opérateurs ne devraient-ils pas relever de règles de concurrence différentes que celles qui s’appliquent aux activités de cycle court, aux productions rapidement substituables ? L’autorité publique ne devrait-elle pas, à chaque fois qu’elle modifie les règles du jeu économique, évaluer l’impact de cette modification sur les acteurs et verser une compensation financière à ceux qu’elle aurait lésés ?

M. Jean-Charles Taugourdeau. Je déplore que beaucoup de nos citoyens qui vivent dans les campagnes les plus reculées veuillent avoir accès aux moyens de communication les plus pointus tout en s’opposant à l’installation de toute activité économique près de chez eux.

M. Jean Ludovic Silicani. S’agissant du rapport des deux ministres évoqué par M. Chassaigne, je suggère à celui-ci de demander aux ministres eux-mêmes de lui en préciser le contenu.

Il est tout à fait légitime de s’interroger sur l’impact de l’arrivée d’un quatrième opérateur sur le secteur des télécommunications en 2012. J’observerai d’abord que les évolutions que celui-ci a connues en France ont été observées dans tous les pays développés. Il est vrai que le marché a été mouvementé en 2012, mais l’économie c’est le mouvement. La question est de savoir si ces mutations ont été globalement positives ou négatives. Ma formation d’ingénieur m’incite à regarder les faits avant de les commenter.

Je résumerai ces faits en trois chiffres. Globalement, le secteur des télécommunications en France a connu une baisse de 3,5 % de son chiffre d’affaires, qui traduit exactement la baisse du tarif des terminaisons d’appel. Si on déduit l’effet de cette baisse, le chiffre d’affaires du secteur est resté stable en 2012, à l’inverse de ce que certains prophétisaient. Je rappelle que dans d’autres pays européens, qui n’ont pas connu l’arrivée d’un nouvel opérateur, le chiffre d’affaires du secteur a baissé : je pense notamment à l’Allemagne.

Deuxièmement, avec près de 9,5 milliards d’euros, les investissements dans le secteur ont atteint en 2012 un niveau record. L’achat de fréquences effectué en janvier 2012 représentant 2,5 milliards, il reste 7 milliards d’investissements physiques dans les réseaux, anciens ou nouveaux, ce qui est exceptionnel. C’est là un point extrêmement important pour le régulateur, les investissements permettant l’innovation et la croissance – c’est pourquoi nous veillons à ce qu’ils se maintiennent à un niveau suffisant dans les années qui viennent.

J’en viens au sujet de l’emploi, sujet délicat pour le régulateur qui sera critiqué, quelle que soit sa réponse. Si nous ne disons rien, on nous accuse de ne pas nous intéresser à la question ; si nous disons que l’emploi risque de baisser, comme je l’ai fait l’année dernière, on nous reproche d’être porteur de mauvaises nouvelles. Et si nous disons qu’il ne baisse pas, on nous dit que nous sommes aveugles.

Je prends cependant le risque de vous exposer les faits, en m’appuyant sur les chiffres qui sont ceux des opérateurs eux-mêmes. Le nombre d’emplois directs des opérateurs est resté stable en 2012, autour de 129 000. S’agissant des emplois indirects, il faut distinguer l’amont, c’est-à-dire les entreprises qui vendent des biens ou des services aux opérateurs – équipementiers, centres d’appel, boutiques – et l’aval, soit les entreprises qui leur achètent des services de communication en ligne. En amont, les effectifs des plus petits équipementiers ont cru, alors qu’ils ont baissé chez les plus importants, notamment chez Alcatel-Lucent. Ce serait accorder une importance excessive aux décisions de l’ARCEP que de penser que la diminution des effectifs de cette entreprise est due à l’arrivée d’un quatrième opérateur. Au risque de paraître politiquement incorrect, j’y verrais plutôt la conséquence d’erreurs de management gravissimes commises il y a plusieurs années. Par ailleurs, alors que le marché des opérateurs de télécommunications est un marché national, celui des équipements est un marché mondial et non régulé, où la baisse constante des prix est due à une concurrence exacerbée et à la baisse des coûts. Dans la mesure où nous sommes susceptibles d’avoir une influence positive dans ce domaine, nous sommes disposés à travailler avec les équipementiers, notamment dans le cadre du comité de filière.

M. le président François Brottes. Pourriez-vous évoquer dès maintenant la cyberdéfense ?

M. Jean Ludovic Silicani. La question est d’importance en effet. Comme vous le savez, l’importation d’équipements sensibles, notamment de cœur de réseaux, est déjà soumise à une procédure d’autorisation préalable par le secrétariat général de la défense nationale, service rattaché au Premier ministre. J’ai cru comprendre que le Gouvernement et certains parlementaires réfléchissaient à l’opportunité de durcir la réglementation dans ce domaine, voire d’interdire totalement l’importation de certains équipements. En tout état de cause, une telle décision relève du cadre communautaire et excède les compétences du régulateur des télécommunications.

En ce qui concerne l’emploi, c’est une erreur profonde que de penser qu’une économie des télécommunications comptant moins d’acteurs favoriserait la création d’emplois. Les États-Unis sont un contre-exemple en l’espèce : alors que le nombre d’opérateurs de télécommunications y est passé de onze à quatre, l’emploi dans le secteur a baissé de 35 %, contre moins de 12 % en France. Quand on réduit le nombre des entreprises, ce n’est pas pour créer des emplois ; c’est pour en supprimer.

Nous souhaitons que le marché de la téléphonie mobile reste un marché à quatre opérateurs. C’est grâce à cela que le prix des services de téléphonie mobile en France est désormais, non pas le plus bas d’Europe, mais dans la moyenne européenne, alors qu’il lui était auparavant supérieur de 20 %.

On peut donc dire qu’en 2012, l’arrivée d’un quatrième opérateur n’a pas occasionné d’effets trop perturbants sur le secteur. Il faudra cependant rester extrêmement vigilants en 2013 et en 2014.

Les rapports entre l’ARCEP et l’Autorité de la concurrence sont excellents. Quant à l’opportunité de fusionner ces deux autorités, tout est possible en matière d’organisation administrative. Dans la plupart des pays, concurrence et régulation sont confiées à deux autorités distinctes. Dans ceux où les deux missions relèvent d’une instance unique, soit l’autorité chargée de la concurrence absorbe les autorités sectorielles, soit, comme aux États-Unis ou au Royaume-Uni, le régulateur sectoriel est compétent dans le domaine de la concurrence. Tout est une question de choix. Si l’on pense que le régulateur sectoriel doit poursuivre d’autres objectifs que la concurrence – l’aménagement du territoire ou la neutralité du net par exemple –, il peut être utile de maintenir pendant un certain temps une autorité de régulation distincte.

La feuille de route du Gouvernement pour le déploiement du très haut débit prévoit une couverture de 100 % du territoire en dix ans. Je ne sais pas si une étude d’impact a précédé l’annonce de cet objectif. C’est un objectif politique, dont l’ambition dépasse celui du précédent gouvernement, qui était déjà très ambitieux, et qui implique l’engagement de moyens financiers, techniques et opérationnels très importants. Si les moyens sont là, c’est faisable : on est bien parvenu à faire passer le nombre de lignes téléphoniques de six à trente millions entre 1975 et 1983.

Free étant un opérateur de réseau, et non pas un MVNO, il est essentiel qu’il investisse dans les réseaux, et c’est pourquoi ses possibilités d’itinérance doivent être encadrées. L’ARCEP a limité dans le temps le droit à l’itinérance de Free pour la 2G et, sur recommandation de l’Autorité de la concurrence, pour la 3 G, hormis dans les cas où cet opérateur rencontrerait des difficultés de déploiement indépendantes de sa volonté, du fait notamment de la réglementation administrative.

L’Observatoire des investissements et du déploiement dans les réseaux mobiles que nous sommes en train de mettre en place doit nous permettre de vérifier l’effectivité du déploiement des réseaux, notamment celui de Free. Dès le mois de janvier, nous avons, après consultation des acteurs, fixé par voie réglementaire la nomenclature des investissements fixes et mobiles dont les opérateurs devront nous fournir un état trimestriel. Nous devrions pouvoir rendre publics nos premiers résultats dès la fin du semestre. Ce que je peux vous dire, c’est que le taux de couverture de Free, qui était à l’origine de 28 %, et de 38 % à la fin de l’été 2012, se situerait aujourd’hui entre 45 et 50 %.

Nous pouvons vérifier la véracité des informations que les opérateurs nous communiquent à partir d’éléments tels que le nombre des sites d’antennes-relais. D’après les chiffres de l’Agence nationale des fréquences – l’ANFR – Free a construit 2 200 sites, dont 1 800 sont ouverts. Free nous a indiqué être actuellement à la recherche de 2 000 sites supplémentaires « au fil de l’eau » et d’un nombre équivalent auprès d’acteurs institutionnels et d’autres acteurs de télécommunications. Cet opérateur est donc actuellement à la recherche de 4 000 sites au total. Il ne faut pas sous-estimer par ailleurs les difficultés rencontrées par Free, comme par les autres opérateurs, pour déployer des antennes 4G, du fait notamment d’une réglementation de plus en plus contraignante. Sachant qu’un site représente 100 000 euros d’investissements physiques, hors coût de l’itinérance et des redevances, on peut dire qu’aujourd’hui Free déploie son réseau normalement.

En tout état de cause, nous disposons, avec la mise en demeure anticipée, d’un outil juridique qui nous permet, dans l’éventualité où nous constaterions qu’un opérateur est en retard au regard de ses obligations réglementaires, de le contraindre, avant même l’échéance, à accélérer le rythme de son déploiement, sous peine de sanctions financières qui peuvent être extrêmement lourdes.

M. Bruno Lasserre. Le rapport de Mmes Corinne Erhel et Laure de La Raudière constitue une contribution utile à la réflexion, compte tenu du temps d’évaluation ex post nécessaire pour apprécier l’effet des décisions politiques autant que de celles des régulateurs. J’y ai vu plutôt un soutien aux orientations de l’Autorité de la concurrence et à celles de la régulation. D’une manière générale, il constitue une réflexion bienvenue sur la place respective du politique et des autorités indépendantes. De ce point de vue, madame Erhel, je partage votre conviction de la nécessité d’une politique publique des télécommunications. Et j’apprécie l’accent que vous mettez sur l’utilité de l’étude d’impact pour anticiper, mettre en balance le coût et les avantages de la décision publique, la professionnaliser en quelque sorte.

Vous nous avez posé, monsieur Fasquelle, d’intéressantes et stimulantes questions institutionnelles. Je rejoins M. Silicani pour souligner la richesse des relations entre l’Autorité de la concurrence et l’ARCEP. Sur la cinquantaine d’avis que nous avons rendus durant les dix dernières années, trente l’ont été en réponse à une demande de l’ARCEP. À chaque fois que nous enquêtons, que nous ouvrons un cas ou que nous entrons en phase d’examen approfondi sur des concentrations dans le secteur des télécommunications, nous sollicitons l’avis du régulateur sectoriel, afin de nourrir notre analyse de sa connaissance du secteur et de la réflexion qu’il tire des auditions qu’il mène et des observations qu’il recueille. Nos métiers sont à la fois différents et complémentaires : la loi nous impose de croiser nos regards, et ce dialogue me paraît une bonne chose. Je ne pense pas cependant qu’il faille aller jusqu’à fusionner les deux autorités : je n’y vois aucun avantage, pas même en termes d’économies budgétaires. En revanche, nos missions étant différentes, une fusion présenterait d’évidents risques de confusion des rôles. Je crains que les objectifs que vous avez, vous, législateurs, imposés au régulateur, et qui excèdent la construction de la concurrence, ne se diluent dans une telle unification.

Il est légitime, en revanche, qu’une fois le secteur devenu mature et la concurrence installée, on démantèle les instruments les plus interventionnistes de la régulation ex ante pour laisser la place au contrôle ex post des comportements qui prévaut dans tout secteur concurrentiel. Nos analyses de marché ont précisément pour objectif de vérifier si le droit commun de la concurrence suffit à réduire les obstacles à la concurrence sans intervention de l’autorité publique.

Nous sommes l’autorité de la concurrence la plus active en Europe en matière de répression d’ententes ou d’abus de position dominante, dont beaucoup concernent le secteur des télécommunications. Il faut remarquer cependant que depuis qu’en novembre 2005 nous avons lourdement sanctionné un grave cas d’entente entre opérateurs de téléphonie mobile, nous n’avons pas constaté d’autres ententes : il semble que l’amende de 534 millions d’euros que nous avons infligée aux trois opérateurs, et qui a été entièrement confirmée en appel et en cassation, a été dissuasive. En revanche, il y a toujours des abus de position dominante – vous avez rappelé la décision de décembre dernier par laquelle nous avons sanctionné une différenciation tarifaire abusive entre les appels on net et off net, pratique qui n’avait d’ailleurs déjà plus cours.

Il faut reconnaître que les opérateurs coopèrent de plus en plus avec nous pour trouver une sortie vers le haut. De nouveaux outils, notamment le partage de diagnostics et la prise d’engagements par les opérateurs, se substituent progressivement à la sanction des comportements pour favoriser un retour à une meilleure situation concurrentielle.

Je ne crois pas plus que M. Silicani qu’un regroupement d’opérateurs contribuerait à une consolidation du secteur, notamment dans la téléphonie mobile. Je n’ai jamais vu de concentration qui soit créatrice d’emplois : chaque fois qu’un marché se concentre, c’est au détriment de l’emploi, les opérateurs désirant économiser sur leurs coûts fixes. La réduction du nombre d’opérateurs à trois serait quand même un aveu d’échec de ce qui est entrepris depuis dix ans, d’autant qu’elle risquerait de préfigurer le retour à un duopole qui est loin d’être l’optimum concurrentiel : il suffit pour s’en convaincre de voir les effets du duopole américain AT & T et Verizon sur le niveau des tarifs et la qualité du service.

N’oublions pas que des tarifs de téléphonie mobile compétitifs contribuent aussi à l’attractivité de notre pays. On ne peut pas opposer de manière aussi simpliste consommateurs et entreprises : les entreprises sont aussi des consommatrices de services de téléphonie et la baisse des prix contribue à leur compétitivité. Il faut éviter de se lamenter et attendre avec sang-froid d’avoir suffisamment de recul pour mesurer les effets sur le long terme de ces évolutions. Ce n’est pas la concurrence qui tue l’emploi, même si je ne nie pas les effets virtuellement délétères d’une concurrence faussée.

Si le modèle de la concurrence par les infrastructures doit être préservé, celle-ci ne saurait être la panacée et une dose de coopération peut se révéler nécessaire. Comme nous l’avons dit dans notre avis du 11 mars, nous sommes favorables à tous les types de mutualisation d’infrastructures de téléphonie mobile dans les zones peu denses et les zones de déploiement prioritaire, qu’il s’agisse de partage des installations passives, des installations actives, voire des fréquences, sous réserve d’autorisations administratives, dès lors qu’on privilégie la création d’entreprises communes, notamment pour limiter les risques de remontées d’information vers les divisions commerciales des opérateurs. En revanche, l’Autorité de la concurrence n’a pas le pouvoir d’imposer une telle mutualisation, une obligation de cette sorte ne pouvant être prévue que dans le cadre des licences.

En ce qui concerne la question du partage de la valeur, l’Autorité de la concurrence a rendu l’année dernière une décision importante dans l’affaire qui opposait Orange à Cogent. Le contexte de cette décision est celui d’une croissance exponentielle du trafic des données sur internet. Les transitaires, opérateurs spécialisés dans l’acheminement de données, négocient avec les opérateurs de réseaux des accords de peering par lequel ils s’échangent gratuitement leur trafic, ces échanges étant censés s’équilibrer globalement. Cependant l’échange de données entre Orange et Cogent était devenu totalement déséquilibré, du fait notamment de Megaupload, qui générait un trafic de données extrêmement important. C’est pourquoi Orange avait demandé que cette asymétrie soit compensée par une rémunération.

Nous avons estimé qu’il n’était pas anticoncurrentiel que les opérateurs de réseaux soient rémunérés pour l’ouverture de capacités de peering supplémentaires destinés à absorber un déséquilibre des échanges. Nous avons en revanche demandé à France Télécom de publier clairement le contenu des accords de peering qui la lient aux transitaires, afin notamment de vérifier qu’elle traitait les demandes des transitaires extérieurs comme celles d’Open Transit, son propre transitaire. France Télécom s’est engagée à publier une sorte d’offre publique de transit qui ne soit pas discriminatoire, afin de contribuer à la transparence du marché.

Je voudrais revenir sur un point déjà évoqué par Jean-Ludovic Silicani et qui me semble important. Quand un opérateur s’engage à déployer un réseau et obtient pour cela des fréquences hertziennes, qui sont une ressource rare, il est normal que ses engagements soient étroitement surveillés et que le régulateur sectoriel mobilise tous ses moyens pour vérifier que la parole donnée est bien respectée. J’attire cependant votre attention sur le fait que le déploiement d’un réseau est devenu un véritable parcours du combattant administratif, en raison du durcissement des contraintes réglementaires. Ce durcissement traduit votre sensibilité légitime aux inquiétudes des citoyens, notamment face aux ondes électromagnétiques, mais on ne peut pas ne pas tenir compte de ce fait.

M. le président François Brottes. En effet, les maires doivent aujourd’hui faire face à l’inquiétude croissante de leurs administrés à l’égard des ondes électromagnétiques et c’est pourquoi nous réfléchissons à la possibilité d’introduire dans la loi le principe de sobriété.

Mme Corinne Erhel. L’objectif de notre rapport n’est pas de stigmatiser qui que ce soit : il est de favoriser l’apaisement du secteur et de contribuer à l’instauration du climat de confiance nécessaire aux investissements.

J’aimerais quelques précisions supplémentaires. Les indicateurs retenus pour la mise en œuvre de l’Observatoire des investissements seront-ils présentés aux parlementaires ? Quand sera mis en place un observatoire de la qualité de service sur les réseaux fixes et mobiles ?

Je me réjouis, monsieur Lasserre, de vous entendre soutenir la nécessité des études d’impact et de l’évaluation des politiques publiques : encore faudrait-il définir ce que doit être une étude d’impact en matière économique, afin qu’elle ne se résume pas à une compilation des opinions des différents acteurs !

M. Jean Ludovic Silicani. Je voudrais d’abord dire un mot sur la neutralité du net, avant d’apporter une réponse globale aux conclusions du rapport de Mmes Erhel et de La Raudière.

Nous sommes le régulateur européen qui a le plus travaillé sur les questions relatives à la neutralité du net, et nous sommes désormais opérationnels sur ces sujets, ayant pris dans ce domaine deux décisions réglementaires qui ont été homologuées par les ministres successifs. L’une d’elle vise à collecter des informations sur les conditions techniques et tarifaires de l’interconnexion et de l’acheminement de données, afin de favoriser la transparence des relations entre opérateurs de réseaux et fournisseurs d’accès à internet et autres acteurs du net, et de vérifier le caractère non discriminatoire des pratiques – je rappelle que la transparence et l’absence de discrimination sont les deux conditions de la neutralité.

Pour résumer notre doctrine quant aux flux financiers entre FAI et acteurs de l’internet, que je crois partagée par l’Autorité de la concurrence, je dirais que ces flux ne sont ni interdits ni obligatoires. C’est au cas par cas, en fonction de la situation des acteurs, de l’asymétrie des flux de données, de leur importance et de leur poids sur les marchés qu’il conviendra d’évaluer leur légalité.

L’ARCEP a fait savoir, le jour même de la publication de votre rapport, qu’elle approuvait vos préconisations. Nous sommes en particulier favorables à votre proposition de structurer la filière au niveau national. Le fait que seuls les opérateurs de réseaux et les fournisseurs d’accès à internet relèvent de la compétence du régulateur ne nous interdit pas de travailler avec les acteurs économiques qui œuvrent en amont et en aval. Certes, cette filière rassemble des acteurs divers, puisqu’elle compte à la fois des industries et des services, mais c’est précisément de cette diversité que peut naître une dynamique de croissance en termes de chiffre d’affaires, de revenus et d’emplois.

Quant à la deuxième préconisation importante du rapport, à savoir renforcer les moyens de pilotage stratégique du Gouvernement, je l’avais déjà formulée il y a plus de deux ans. Je ne peux donc que me féliciter que vous le proposiez et que le Gouvernement envisage de mettre en œuvre une telle préconisation. De ce point de vue, la mise en place d’une mission « très haut débit » est une excellente nouvelle. Nous avons d’ores et déjà noué de bonnes relations avec elle, et il y aura entre nous autant d’échanges d’informations que nécessaire.

Vous préconisez également de clarifier les très nombreux objectifs assignés au régulateur par l’article L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques. Il est vrai qu’ils se sont accumulés au fil du temps, au point d’être peu lisibles. Nous sommes prêts à travailler, avec le Gouvernement et le Parlement, à leur clarification et à leur simplification, dans le respect du cadre communautaire.

On ne peut que partager l’objectif très ambitieux fixé par votre rapport en matière d’études d’impact ; il faut cependant travailler ensemble – Gouvernement, parlementaires et régulateur – à une définition commune de ce que doit être une étude d’impact économique. Nous n’avons pas les moyens juridiques de contraindre les acteurs extérieurs au champ de notre régulation à nous transmettre des informations. La question des moyens humains et financiers nécessaires se posera également. Il faut savoir qu’une étude préalable réalisée par une banque d’investissement coûte au Gouvernement un million d’euros, voire plus, alors que le budget d’études de l’ARCEP est de 800 000 euros par an. Pour notre décision sur le refarming 1 800 MHz, nous avons fait ce que nous pouvions avec ce que nous avions. C’est peut-être insuffisant, mais c’est la première fois qu’une autorité de régulation européenne réalise une étude économique avant de prendre une décision de ce type.

Nous avons en particulier demandé aux opérateurs quels seraient les effets d’une telle décision sur leur chiffre d’affaires et sur leurs effectifs dans la perspective de la neutralité du net à l’horizon 2016. France Télécom représentant 80 % des effectifs des opérateurs, on sait que la réduction des effectifs du secteur dans les prochaines années sera due essentiellement à cette société, si elle maintient son objectif de non-remplacement d’au moins 2 000 emplois par an. À cela s’ajoutera l’effet du plan de départs volontaires mis en œuvre par Bouygues Télécom depuis 2012 et le projet de plan social de SFR, qui doit prendre effet en 2013 même s’il n’est toujours pas confirmé. Ces destructions d’emploi seront compensées par la création d’un nombre non négligeable d’emplois par Free. Il reste à déterminer l’évolution de l’emploi en amont de la filière – on est en droit de craindre une évolution négative – et en aval, où elle sera probablement positive.

S’agissant des moyens dont dispose l’ARCEP pour mettre en place un Observatoire de la qualité de service sur les réseaux fixes et mobiles, nous devons aujourd’hui laisser aux opérateurs le soin de choisir eux-mêmes le prestataire de services qui va faire les mesures, et vous préconisez de changer la loi sur ce point. Le résultat de ces études serait en effet plus légitime si nous pouvions choisir nous-même le prestataire tout en faisant payer les études par les opérateurs. Nous pourrions alors assurer une cohérence entre l’Observatoire de la qualité de service et l’Observatoire des investissements.

Je voudrais à ce propos rappeler que nous avons défini, à l’issue de consultations menées durant toute l’année 2012, une nomenclature détaillée des investissements des opérateurs. Nous disposons d’ores et déjà de résultats, que nous sommes tout disposés à soumettre aux parlementaires intéressés par ce sujet.

Je souhaiterais enfin exprimer le vœu que la préparation du deuxième dividende numérique ne soit pas trop retardée : c’est essentiel pour la dynamique et la croissance du secteur.

*

Informations relatives à la Commission

En concertation avec Mme Elisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères, il a été décidé de créer un groupe de travail commun chargé de suivre l’évolution des négociations commerciales entre l’Union européenne et les États-Unis.

Par ailleurs, suite à une demande formulée par le Président Jacob en Conférence des présidents, il a été également décidé de créer une mission d’information conjointe avec la commission des affaires étrangères sur les investissements étrangers en France, chaque commission devant désigner un rapporteur.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 10 avril 2013 à 10 heures

Présents. - Mme Brigitte Allain, M. Bruno Nestor Azerot, M. Frédéric Barbier, Mme Ericka Bareigts, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Thierry Benoit, M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, M. Jean-Claude Bouchet, M. François Brottes, M. André Chassaigne, M. Dino Cinieri, M. Jean-Michel Couve, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Christian Franqueville, M. Franck Gilard, M. Georges Ginesta, M. Daniel Goldberg, M. Jean Grellier, Mme Anne Grommerch, M. David Habib, M. Razzy Hammadi, M. Antoine Herth, M. Henri Jibrayel, M. Armand Jung, M. Philippe Kemel, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Luc Laurent, M. Thierry Lazaro, M. Michel Lefait, Mme Annick Le Loch, Mme Annick Lepetit, M. Philippe Le Ray, Mme Audrey Linkenheld, Mme Jacqueline Maquet, M. Alain Marc, Mme Marie-Lou Marcel, M. Philippe Armand Martin, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Kléber Mesquida, M. Yannick Moreau, M. Yves Nicolin, M. Hervé Pellois, Mme Josette Pons, M. Dominique Potier, M. Patrice Prat, M. François Pupponi, M. Bernard Reynès, M. Franck Reynier, M. Frédéric Roig, M. François Sauvadet, M. Éric Straumann, M. Alain Suguenot, M. Lionel Tardy, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Jean-Marie Tetart, Mme Catherine Troallic, Mme Clotilde Valter, M. Fabrice Verdier

Excusés. - M. Joël Giraud, Mme Pascale Got, M. Serge Letchimy, M. Germinal Peiro, Mme Béatrice Santais, M. Jean-Paul Tuaiva, Mme Catherine Vautrin, M. Jean-Sébastien Vialatte

Assistaient également à la réunion. - M. Patrick Lebreton, M. François Vannson