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Commission des affaires économiques

Mercredi 23 octobre 2013

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 13

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Anne Lauvergeon, présidente de la Commission Innovation 2030

La commission a auditionné Mme Anne Lauvergeon, présidente de la Commission Innovation 2030.

M. le président François Brottes. Nous sommes très heureux de recevoir Mme Anne Lauvergeon, présidente du directoire d’AREVA jusqu’en 2011 et membre de plusieurs conseils d’administration, dont celui d’EADS. Mais si nous vous recevons aujourd’hui, madame, c’est parce qu’après avoir été désignée en novembre 2012 pour participer au comité de pilotage du débat national sur la transition énergétique, vous avez été choisie, en avril 2013, pour présider la commission Innovation 2030, qui vient de remettre un premier rapport. Venant après l’annonce par M. Montebourg de trente-quatre plans industriels destinés à développer des produits ayant une chance de trouver un marché à l’échelle mondiale, mais aussi au milieu d’un débat sur le crédit impôt recherche (CIR), ce rapport préconise un certain nombre d’innovations « de rupture ». Ce sont ces priorités d’avenir que vous allez nous présenter.

Cependant, songeant à vos responsabilités passées, oserai-je vous demander aussi ce que vous pensez du tout récent accord entre le Royaume-Uni, EDF, AREVA et des entreprises chinoises, pour la construction de deux réacteurs nucléaires en Grande-Bretagne ? Mais à cette question-là, vous n’êtes pas obligée de répondre…

Mme Anne Lauvergeon, présidente de la commission Innovation 2030. La commission Innovation 2030 vient en effet de rendre son premier rapport au Président de la République ; il y en aura un deuxième mais, entre-temps, nous lancerons, le 2 décembre, à l’Élysée, sept grands concours mondiaux d’innovation.

Notre rapport est extrêmement concis : 58 pages, annexes comprises. Mais on peut le résumer encore en disant qu’il pose un principe, définit sept grandes ambitions et insiste sur la nécessité de fabriquer du consensus de long terme.

Le principe, tout d’abord : face au principe de précaution, que nous ne remettons pas en cause, nous estimons que la société française a besoin d’un principe d’innovation. Innover, c’est expérimenter, prendre des risques, et les vingt personnes venues d’horizons très divers qui composent la commission se sont accordées à juger que notre pays ne pouvait que gagner à s’appuyer sur cet élément de dynamique interne – il serait d’ailleurs intéressant que le Parlement se penche sur ce sujet.

Sept grandes ambitions stratégiques, ensuite. Pour les définir, nous sommes partis d’idées très simples sur la façon dont évoluera le monde au cours des dix à quinze prochaines années.

Notre planète comptera bientôt neuf, voire neuf milliards et demi d’habitants ; l’urbanisation s’y accroît, l’espérance de vie s’y allonge. Dans les grands pays émergents, les classes moyennes se développent, ce qui augmente le nombre de nos clients potentiels. S’affirment aussi depuis le début du siècle des tendances de fond, que la crise de 2008 a encore accentuées : sous l’influence en particulier du numérique, l’idée de propriété – idée maîtresse des années de la reconstruction en Europe, ainsi que des années du développement des pays émergents – laisse peu à peu la place à d’autres : bien d’usage, location, partage…

La certitude du changement climatique crée aussi de nouvelles contraintes, par exemple en matière d’eau potable, de nourriture, d’énergie. Enfin, apparaissent de nouveaux rapports à la santé, cependant que se modifient aussi les relations entre chacun et sa collectivité proche – y compris, aujourd’hui, la collectivité virtuelle – et que se distend la relation avec l’État.

Dans ce monde qui change, la France a de vrais atouts à faire valoir et ces atouts sont connus : nos ingénieurs, nos chercheurs, notre école de mathématique… On ne devient pas chef du jour au lendemain, sans avoir d’abord appris à cuisiner : nous devons donc définir une stratégie industrielle et commerciale cohérente en nous appuyant sur nos acquis, sur ce que nous savons faire.

Jusqu’ici, nous avons ajouté des priorités aux priorités et donc beaucoup dispersé nos efforts, d’autant que nous « zappons » de l’une à la suivante. Désormais, il faut non seulement faire des choix stratégiques, mais aussi nous y tenir, comme nous avons su le faire il y a trente ou quarante ans dans les domaines du nucléaire ou de l’aéronautique – étant toutefois entendu que cette ère des grands programmes est révolue.

Pour écrire ce rapport, nous avons rencontré beaucoup de gens qui entreprennent et innovent, qui créent des choses passionnantes, à mille lieues de l’image que l’on donne parfois de notre pays. À partir de ce qu’ils nous ont dit, nous avons défini sept chantiers sur lesquels nous proposons de concentrer nos moyens sur le long terme :

– la médecine individualisée, enjeu majeur pour les comptes publics et domaine où s’ouvrent pour nous d’énormes possibilités, car nos forces sont grandes : nous avons par exemple de nombreuses start-ups dans les secteurs de l’imagerie médicale ou des objets connectés ;

– la silver economy, autrement dit l’innovation au service de la longévité ; en 2025, 30 % de nos concitoyens, et un milliard de personnes sur la planète, auront plus de soixante ans : le marché est donc colossal et les nouvelles technologies alliées aux services de proximité permettront de révolutionner la prise en charge de ces aînés ;

– le stockage de l’énergie, absolument indispensable à toute transition énergétique, mais que l’on ne sait pas encore réaliser ;

– le recyclage des métaux rares, secteur dans lequel les acteurs majeurs vont se constituer et où nous devons suivre l’exemple de l’Allemagne, qui est en train de s’organiser efficacement grâce à une très bonne législation ;

– la valorisation des richesses marines, qu’il s’agisse des gisements métallifères ou du dessalement de l’eau de mer ; nous pouvons à cet égard nous appuyer sur des organismes tels que l’IFREMER, qui a réalisé la cartographie des fonds marins ;

– la valorisation des données massives, le Big Data et l’Open Data, qui est un élément clé pour la réforme de l’État comme pour la création de start-ups ;

– enfin, les protéines végétales et la chimie du végétal, car l’homme ne peut pas continuer à manger toujours plus de viande : il faudra donc apprendre à consommer davantage de protéines végétales. Cela suppose bien sûr une modification de notre agriculture et une réorientation de notre industrie agro-alimentaire, mais aussi un changement de culture mais nous pouvons bénéficier à cet égard de notre tradition d’innovation en matière culinaire. Et ce dernier point montre que l’innovation n’est pas qu’affaire de technologie.

Notre deuxième rapport devra examiner comment éviter de retomber dans la tentation de la dispersion et du « zapping », comment nous tenir à ces ambitions à long terme – c’est la condition nécessaire de notre efficacité collective. Pour cela, il nous faut créer un consensus, ce qui n’est possible qu’avec la collaboration des parlementaires, des partenaires sociaux et des entreprises. Mais je crois que cette volonté est déjà présente.

Nous organiserons sept grands concours ; une première vague sera lancée le 2 décembre prochain. Ces concours seront mondiaux en ce sens qu’ils seront ouverts aux entrepreneurs de toutes nationalités, mais il leur faudra évidemment s’installer en France, investir en France et créer des emplois en France. Nous leur donnerons deux mois environ, et le dossier sera le moins technocratique possible : cinq pages maximum. À la fin de l’année 2014, nous ferons un choix pour retenir quelques projets seulement. Nous prévoyons d’attribuer jusqu’à 200 000 euros à ceux qui seront sélectionnés. Nous faisons appel à toutes les bonnes volontés – grandes ou petites entreprises, start-ups, entreprises en cours de création même. Toutefois, nous ne pourrons donner d’argent qu’à des entreprises.

J’insiste pour finir sur la nécessité de « fabriquer » du consensus ; bien sûr, il faut évaluer, s’interroger, mais il faut absolument, pour être efficaces, cesser de se disperser et de passer sans cesse d’une priorité à l’autre. Je note d’ailleurs que d’autres pays, même très libéraux, se sont engagés dans ce genre d’exercice : le Royaume-Uni a ainsi défini huit sujets stratégiques, mais on pourrait aussi citer Singapour ou les États-Unis.

M. le président François Brottes. En tout cas, contrairement à Jacques Attali en son temps, vous avez les moyens d’agir… J’espère aussi qu’on peut vous croire quand vous affirmez que ces concours seront ouverts même à ceux qui n’ont pas pignon sur rue : en général, pour ce genre de dossiers, il faut des pièces à n’en plus finir, des tampons, des agréments, sinon on ne vous prête rien, même pas un peu de bonne volonté !

Mme Michèle Bonneton. J’ai beaucoup apprécié certains de vos propos – par exemple sur la nécessité de changer de mode d’alimentation pour consommer davantage de protéines végétales – mais votre rapport me paraît présenter des faiblesses. Par exemple, si la capacité de stocker l’énergie est un enjeu crucial pour réussir la transition énergétique, celle-ci passe aussi par l’aménagement des logements et par le développement des énergies renouvelables – à côté du nucléaire, ou en concurrence avec lui. De même, le recyclage des métaux rares est certes un thème intéressant, mais il faudrait se préoccuper du recyclage en général : nous sommes de plus en plus nombreux et nous consommons de plus en plus, mais la planète est finie et ses ressources s’épuisent ; nous devons donc aller vers une économie circulaire, où le recyclage sera prévu et organisé dès l’étape de la conception.

M. Alain Suguenot. L’innovation est un très beau sujet, mais pourquoi avoir pris pour terme 2030 plutôt que 2025 ? Pourquoi attendre ?

Vous acceptez le principe de précaution, dites-vous, mais, dans sa conception actuelle, ne constitue-t-il pas un frein à l’innovation ?

Les entreprises françaises sont-elles bien armées pour prospérer dans la compétition mondiale ? En particulier, la distinction entre produits et services, qui prévaut actuellement, vous paraît-elle encore pertinente ?

Comment allez-vous juger les dossiers qui vous seront présentés ? Quels outils utiliser ensuite, pour accompagner les entreprises sélectionnées ?

Vous plaidez pour la création d’un centre de ressources technologiques afin de valoriser les données massives : quelle forme prendrait cette entité ? Quelles seraient ses ressources ?

Votre rapport souligne les difficultés que rencontrent les PME pour accéder aux marchés publics ; pourtant, des mesures destinées à y remédier avaient été annoncées en 2012. Quelles sont vos propositions ? Vous connaissez les initiatives de Marc Simoncini, Jacques-Antoine Granjon et Xavier Niel : est-ce dans ce sens-là qu’il faut travailler ?

M. Jean Grellier. Nous pouvons partager votre diagnostic et vos grandes options, mais comment ces orientations s’articulent-elles avec celles du Conseil national de l’industrie et avec les trente-quatre grands projets industriels présentés par M. Montebourg ?

M. Franck Reynier. Je me réjouis de vous voir, madame Lauvergeon, mobilisée pour aider notre économie, et la création de la commission Innovation 2030 me paraît une excellente initiative. Mais je dois aussi vous souhaiter de mieux réussir que M. Gallois, dont le rapport, qui recommandait une baisse du coût du travail, un assouplissement du droit du travail, un maintien des budgets de la recherche et de l’innovation, un soutien au financement des entreprises et une réorientation de la politique européenne de la concurrence, a été l’objet de toutes les louanges avant d’être enterré – enterrement de première classe, dans l’intimité, condoléances sur registre !

Il reste qu’il faut sans aucun doute mettre l’innovation au service de notre pays, et je ne peux que souscrire à votre volonté de mobiliser à cet effet toutes les ressources et toutes les bonnes volontés.

Je voudrais pour ma part mettre l’accent sur la sûreté et la sécurité. En matière d’énergie, la sûreté de nos approvisionnements et la sécurité de nos installations sont des préoccupations qui doivent tenir une place essentielle dans notre stratégie ; le débat sur la composition de notre bouquet énergétique me paraît également important et, à cet égard, le groupe UDI insistera pour qu’on prenne en compte le coût de ses composantes : tous les projets sont admissibles, mais à quel prix, pour notre compétitivité notamment ?

S’agissant du big data, du traitement et du stockage de l’information, ce que nous savons du programme PRISM fait froid dans le dos : nous devrons nous montrer beaucoup plus efficaces dans ce domaine, car il en va de notre sécurité et de notre indépendance nationales. S’impose-t-il d’ailleurs de traiter ces sujets à l’échelle européenne, connaissant les relations étroites que le Royaume-Uni, par exemple, entretient avec les États-Unis ?

Cela étant, le groupe UDI entend bien contribuer à ces travaux pour renforcer la compétitivité et l’innovation dans notre pays.

Mme Jeanine Dubié. Merci, madame, de votre exposé. Comment vos travaux s’articulent-ils avec les plans qui nous ont été présentés par M. Montebourg ? Certains thèmes semblent se recouper largement.

La France est mal classée dans les palmarès internationaux de l’innovation : notre recherche et développement privée est faible, de même que la coopération entre recherche publique et recherche privée. Comment y remédier sachant que nous disposons déjà d’un outil unique au monde avec le crédit d’impôt recherche ?

Votre rapport relève la faiblesse du capital-investissement en France : comment mieux financer les start-ups ? Le PEA-PME y suffira-t-il ?

Enfin, si la silver economy peut beaucoup améliorer la vie quotidienne de nos concitoyens, jamais la robotique et la domotique ne suppléeront la présence humaine auprès des personnes isolées. J’en veux pour preuve que les jeunes, très liés entre eux par les réseaux sociaux, se disent pourtant de plus en plus seuls.

M. Lionel Tardy. Votre rapport relève que « notre système éducatif décourage la prise de risque et stigmatise l’échec », et il appelle au contraire à « réapprendre à oser, à accepter le risque et donc l’échec ». Je partage entièrement ce point de vue, mais comment votre commission peut-elle contribuer concrètement à ce changement de culture ?

Vous plaidez aussi pour une plus grande ouverture de la commande publique aux PME et aux start-ups. Un changement des règles de droit est-il pour cela nécessaire, ou bien faut-il plutôt, là aussi – et comme je le crois –, un changement de culture, par nature plus difficile ?

Vous préconisez l’ouverture des données publiques dans tous les secteurs, mais, pour m’intéresser à cette question depuis plusieurs années, j’ai pu mesurer l’importance des résistances que rencontre une telle mesure, particulièrement dans le domaine de la santé. Faites-vous le même constat ? Comment y remédier ?

Enfin, comment éviter que votre rapport ne soit qu’un rapport de plus ? Quelles sont les prochaines échéances pour en évaluer les résultats ?

Mme Frédérique Massat. Vous écrivez que « la France présente aussi des handicaps, avec un écosystème culturel et une organisation qui n’incitent pas à l’innovation » : que voulez-vous dire précisément ?

Quel budget sera mobilisé pour financer les 200 000 euros qui seront alloués à chacun des projets sélectionnés ? Combien ceux-ci seront-ils, car j’imagine que ce cadre financier sera contraint ? Quels seront les critères de choix ?

D’autres vous ont déjà demandé comment vos propositions s’articulent avec celles de M. Montebourg, mais, puisque vous insistez à juste titre sur la nécessité de concentrer les moyens sur quelques projets afin de mieux agir sur le long terme, ne pensez-vous pas que trente-quatre plans, c’est trop ?

Enfin, puisque vous souhaitez associer le Parlement à la tâche, ferez-vous des propositions en ce sens ?

M. Jean-Charles Taugourdeau. Vos précédentes auditions m’ont permis, madame, de mesurer votre expertise sur d’autres sujets, mais je dois dire que ce rapport m’a laissé sur ma faim : il se cantonne à des généralités et manque de vision d’avenir. Vous parlez d’innovation culinaire, mais on ne sait pas vraiment quel sera l’avenir à la sauce hollandaise…

Comment allez-vous faire le grand écart entre le principe de précaution et le principe d’innovation que vous proposez en précisant qu’il suppose la prise de risque ?

Enfin, puisque la transparence financière est particulièrement chère aux députés socialistes, pourrions-nous savoir si les membres de votre commission reçoivent une indemnité ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. Alors que vous vous préoccupez de doter notre pays d’outils lui permettant d’occuper des positions de premier plan dans plusieurs secteurs, vous ne faites que peu de place aux énergies renouvelables. Il y a pourtant beaucoup à faire dans ce domaine, ne serait-ce que pour substituer aux panneaux photovoltaïques, très coûteux, des revêtements ou peintures qui joueraient le même rôle. Pourquoi avoir écarté ce secteur ?

Mme Anne Lauvergeon. Toutes ces questions sont fort importantes et intéressantes.

Nous avons essayé d’être très pragmatiques et de choisir des sujets qui n’étaient pas trop généraux – qui trop embrasse mal étreint. C’est ce qui nous a conduits à écarter le recyclage « en général » – celui des métaux est déjà un sujet très vaste ! En second lieu, il existe déjà des politiques des énergies renouvelables et du logement, et répéter ce qui se fait n’aurait rien apporté. Enfin, nous avons voulu privilégier des projets susceptibles de créer des emplois et de contribuer à nos exportations ; or, si l’équipement en énergies renouvelables satisfait à la première de ces exigences, c’est moins le cas du développement même de ces nouvelles sources d’énergie. J’ai d’ailleurs appelé pour ma part à la création d’un acteur européen, un « Airbus des énergies renouvelables » qui pourrait concurrencer les acteurs asiatiques et américains. Mais ne nous racontons pas d’histoires : on ne voit pas aujourd’hui dans ce domaine-là d’acteur français susceptible de devenir un géant mondial.

Monsieur Suguenot, l’innovation, c’est tout de suite ! Les concours seront ouverts dès cette année. Quant au principe de précaution, il est inscrit dans la Constitution et il serait difficile de le faire évoluer. Mais nous proposons de mettre en face le principe d’innovation : c’est par l’expérimentation et par la prise de risque – acceptée, discutée – que l’on avance. Souvent, nous aimons les jardins à la française, ordonnés suivant un seul principe ; ici, il paraît plus efficace de chercher un équilibre dynamique entre ces deux principes, comme le fait la culture chinoise entre le yin et le yang…

Produits ou services ? Vous avez raison, il s’agit là de l’une de ces querelles byzantines que la France adore, mais qui sont complètement dépassées. Deux économistes viennent d’écrire un pamphlet selon lequel il serait absurde de réindustrialiser : je crois au contraire qu’il faut absolument réindustrialiser notre pays, que c’est là que réside une partie de notre avenir, mais qu’il faut aussi développer les services ; cela ne s’oppose pas, bien au contraire. J’ajoute que l’innovation n’est pas seulement technologique : elle est aussi culturelle, sociale… L’innovation est enfant de bohème !

J’en viens à la question de nos outils. La commission deviendra le comité de pilotage, mais tout se fera au sein du Commissariat général à l’investissement. En effet, nous ne voulons surtout pas créer de nouvelle structure, car nous considérons qu’il y en a déjà bien assez ! Nous ne coûtons rien ; nous n’avons pas de locaux propres et nous utilisons Bpifrance. Pour le tri des projets, nous travaillons à mettre au point des critères et nous ferons également appel à des experts de chaque domaine. Nous voulons surtout éviter la bureaucratisation.

Pour faciliter l’exploitation des données massives, nous avons effectivement repris l’idée de créer un « centre de ressources technologiques », mais ce serait un dispositif souple, à mettre en place avec les auteurs du rapport remis sur le sujet. Nous sommes, je le répète, tout à fait opposés à la création de nouvelles structures.

Les commandes publiques constituent un enjeu crucial : elles représentent 200 milliards d’euros par an, mais elles sont très peu innovantes. Les acheteurs publics sont formés pour ne pas innover ! Au surplus, le fait qu’ils puissent – cas certainement unique au monde – être poursuivis pénalement jusqu’à trois ans après l’acte d’achat ne pousse pas à la prise de risque.

En lien avec le médiateur des marchés publics, Jean-Lou Blachier, nous proposons donc que 3 % des commandes publiques – soit 6 milliards d’euros, ce qui est considérable – soient réservés à l’innovation. Nous proposons aussi, ce qui ne coûte rien, la création d’un réseau social destiné aux acheteurs publics, qui permettrait de référencer systématiquement l’innovation une fois qu’elle aurait été acquise par l’un d’entre eux. Il existe des difficultés spécifiques à certains domaines : les hôpitaux publics, par exemple, ont interdiction d’acheter un produit qui n’aurait pas de concurrent ! Une start-up française a ainsi trouvé un moyen beaucoup moins cher, non intrusif et rapide de détecter les glaucomes : les cliniques achètent cet appareil, mais pas l’hôpital public, puisqu’il n’y a pas de concurrent… Par définition, les produits très innovants n’en ont pas : il faut par conséquent faire cesser cette absurdité.

M. le président François Brottes. C’est d’autant plus déraisonnable que le patron d’EADS nous a expliqué il y a peu que, pour de nombreux produits, il n’existait en effet qu’une seule référence.

M. Alain Suguenot. C’est une règle que les hôpitaux arrivent à détourner.

Mme Anne Lauvergeon. Sans doute, mais quelle perte de temps et d’efficacité !

J’ajoute que l’achat d’un produit par l’État ou par une collectivité est une vraie référence pour les entreprises : cela leur permet de se développer et d’exporter beaucoup plus facilement !

Nos propositions sont cohérentes avec les orientations du Conseil national de l’industrie comme avec les trente-quatre plans du ministère du redressement productif. Ces démarches sont profondément complémentaires : les trente-quatre plans partent de l’existant, ils ne sont pas conçus pour l’innovation ; ce sont des plans à court et moyen terme. Nos travaux visent à identifier ce qu’il ne faut surtout pas rater dans les prochaines décennies. Cela n’exclut pas de s’intéresser à ce qui existe déjà, cela n’exclut pas que des projets passionnants et tout à fait différents puissent surgir ailleurs !

Je peux comprendre votre surprise, puisque ces différents projets ont été présentés presque simultanément, mais je vous assure que nous avons travaillé en très bonne intelligence.

Monsieur Reynier, nous avons voulu être très pragmatiques – les membres de la commission partagent la passion de l’innovation, et sont tous des gens efficaces, soucieux de construire. Nous ne faisons pas des rapports pour le plaisir de faire des rapports. Nous souhaitons travailler sur l’élimination des freins législatifs et réglementaires à l’innovation, mais aussi, inversement, sur les mécanismes qui permettraient de faire bouger les lignes.

La sûreté et la sécurité, vous avez entièrement raison, sont essentielles, notamment dans le domaine de l’énergie : bien sûr, nous avons oublié l’époque des black-outs, mais il faut se méfier ; l’attente de nos concitoyens en la matière est très claire : ils ne supporteraient certainement pas des coupures de courant régulières !

Le big data est un terrain d’innovation extraordinaire. Si nous réussissons à proposer à nos entreprises le terreau adéquat pour inventer des systèmes qui protègent les données privées tout en assurant la sécurité des échanges, nous ferons un tabac mondial, grâce à une remarquable campagne publicitaire : PRISM ! Ce que vous ferez en matière législative et réglementaire sera d’ailleurs crucial même si, sur certains sujets, il faut, je crois, savoir ne pas légiférer.

La dimension européenne de notre travail est évidente : tous nos projets ont vocation à devenir européens. Mais, à vingt-huit, c’est beaucoup trop compliqué, nous userions le soleil. La solution réside plutôt dans les projets à trois ou quatre, sur le modèle d’Airbus. Il faut effectivement construire des acteurs européens de dimension mondiale.

En matière d’innovation, madame Dubié, la France n’est pas toujours mal classée : le classement américain Thomson-Reuters place ainsi douze grands groupes et centres de recherche français parmi les cent premiers mondiaux, ce qui nous place en troisième position derrière les États-Unis et le Japon – devant l’Allemagne. Ne cédons pas à la morosité ambiante : nous sommes très bons !

La répartition de la recherche et développement est en effet très atypique dans notre pays : nous faisons bien trop peu de recherche privée et énormément de recherche publique. C’est un très vaste sujet. Quant au crédit d’impôt recherche, je le considère comme un outil très intéressant : hier, le responsable d’une entreprise allemande m’a dit que son existence l’avait convaincu de développer la recherche que sa société effectue en France. Il faut sans doute examiner de près les modalités de ce dispositif, mais ce que les entreprises veulent avant tout, c’est de la stabilité, de la visibilité à long terme. Et plus elles sont petites, et donc fragiles, plus c’est le cas.

M. le président François Brottes. C’est également le point de vue de la Commission.

Mme Anne Lauvergeon. Changer les règles du jeu serait donc catastrophique.

Aucun robot, bien sûr, ne remplacera jamais la présence humaine. Mais les objets connectés peuvent permettre de rester chez soi plus longtemps, par exemple. Ils favorisent aussi la prévention. Regardez par exemple ce petit appareil, le capteur d’activité de l’entreprise française Withings : il compte vos pas, calcule les calories que vous consommez, analyse votre sommeil… Nous n’en sommes qu’au tout début de ces évolutions, j’en suis convaincue. Cela pose d’ailleurs aussi le problème de la sécurité des données ! Mais l’entreprise qui fabrique ce capteur doit pouvoir se développer, avant d’être avalée par un gros poisson.

Quant à notre école, elle met en effet en avant le négatif plus souvent que le positif : si, dans une dictée de cent mots, un enfant fait deux fautes, le maître lui enlève quatre points ; aux États-Unis ou au Brésil, vous avez 98 mots justes, et vous êtes un petit génie ! De même, aux États-Unis, si vous fondez une start-up et qu’elle échoue, on considère que vous avez osé et appris beaucoup ; en France, jusqu’à très récemment, vous étiez inscrit pendant cinq ans dans un fichier tenu par la Banque de France ! C’est heureusement terminé, et c’est un grand progrès, mais le fait était édifiant.

Monsieur Tardy, les réticences du monde médical vis-à-vis de l’usage des données massives sont réelles, profondes, mais l’évolution sera, j’en suis sûre, rapide. Il faut d’ailleurs peut-être se demander si l’on doit continuer de former nos médecins sans les initier à la gestion et aux nouvelles technologies.

Pour notre commission, les prochaines étapes, ce seront le lancement des concours, le 2 décembre, et le deuxième rapport. Mais je compte vraiment sur vous pour identifier les freins à l’innovation, ainsi que tout ce qui pourrait nous permettre de renforcer celle-ci. Les partenaires sociaux détiennent une partie de la réponse, mais le Parlement est un acteur central.

Nous devons fabriquer du consensus, du consensus politique entre la majorité et l’opposition, mais aussi de façon plus large. Quand j’étais à la tête d’AREVA, j’avais été interviewée par l’animateur de l’émission américaine Sixty Minutes, qui voulait savoir comment une femme pouvait être à la tête d’une telle entreprise dans un pays aussi macho que le nôtre, et comment un pays aussi versatile avait pu mener aussi opiniâtrement une même politique du nucléaire pendant trente ans. Le premier problème est réglé ; quant au second, je dirai qu’il nous faut désormais montrer la même ténacité pour réaliser les ambitions définies par notre commission.

S’agissant enfin du cadre budgétaire, madame Massat, nos activités se déroulent dans le cadre du Commissariat général à l’investissement ; 300 millions d’euros sont prévus : 150 millions déjà votés et 150 millions qui restent, je crois, à voter.

Mme Marie-Lou Marcel. Les réponses apportées par la commission Innovation 2030 sont parfois en décalage avec son diagnostic. Ainsi vous prenez acte de la raréfaction des ressources énergétiques, mais vous proposez d’y remédier partiellement par la recherche et l’expérimentation sur l’extraction des gaz de schiste. Or il n’existe aucune solution alternative à la fracturation hydraulique et, d’autre part, l’exploitation de produits schisteux rejette du CO2 dans l’atmosphère. Vous avez même parlé de « crime contre l’esprit » à propos du refus d’autoriser les recherches dans ce domaine ; mais l’utilisation continue des énergies fossiles n’est-elle pas un crime contre le vivant ?

Je m’interroge donc sur l’absence dans votre rapport de propositions plus innovantes en matière d’énergie, notamment en faveur des énergies renouvelables et des énergies douces.

Mme Pascale Got. Croyez-vous au financement participatif pour les projets d’entreprise, notamment pour ceux des TPE et des PME ?

M. Alain Marc. Quelles pourraient être les modalités d’une éventuelle collaboration internationale en matière de stockage de l’énergie ? En travaillant avec d’autres, on est toujours plus intelligent que tout seul et on obtient plus vite des résultats !

Mme Corinne Erhel. Je salue votre démarche. Cependant, en matière de big data, nous sommes face à un paradoxe : alors que l’enjeu est considérable, les entreprises, comme d’ailleurs les collectivités territoriales, ne sont pas assez sensibilisées à la valeur des données qu’elles produisent et leur conversion au numérique est insuffisante. Il nous faut aussi construire un « cadre de confiance ». Comment y arriver ? Comment imaginez-vous dans ce domaine les indispensables synergies européennes ?

S’agissant du financement des entreprises innovantes, nous disposons maintenant de dispositifs relativement efficaces pour l’amorçage, mais les entreprises rencontrent souvent de grandes difficultés dans la phase suivante, faute de capital-investissement et de capital-développement. On pourrait imaginer de créer des fonds de fonds paneuropéens, par exemple : qu’en pensez-vous ?

Mme Laure de La Raudière. Je suis très heureuse que nous puissions vous entendre sur ces sujets, madame. Les grands groupes français sont très innovants, mais sont souvent réticents face à des innovations venues de l’extérieur, qui pourraient remettre en cause leur modèle économique ; or, s’ils n’évoluent pas, ils risquent de disparaître, et avec eux des pans entiers de notre industrie. Avez-vous fait l’expérience de cette attitude chez AREVA ? Que pourrait-on faire pour que ces groupes considèrent plus favorablement ce qui se fait dans les start-ups ?

Toute innovation provoque en effet des ruptures ; le système en place, menacé, cherche alors – au lieu de s’adapter et de s’approprier ces innovations – à faire modifier la réglementation pour se protéger. L’exemple des taxis face aux voitures avec chauffeur est, de ce point de vue, édifiant. Comment faire disparaître ce réflexe pavlovien, et comment faire que l’innovation soit mieux accueillie, pour faciliter l’apparition de nouveaux marchés au lieu de préserver à tout prix les anciens en perte de vitesse ?

Mme Annick Le Loch. Le secteur breton de l’agro-alimentaire traverse une crise majeure ; on peut dire que son modèle économique est au bout du rouleau. Louis Gallois l’a dit : s’il y a un secteur qui a manqué d’innovations et d’investissements, c’est bien celui-là. Je voudrais donc vous entendre davantage sur le sujet de l’innovation culinaire, car le défi de l’alimentation est immense.

M. Jean-Luc Laurent. Vous proposez d’équilibrer le principe de précaution – qui n’est pas un principe scientifique – par un principe d’innovation : comment a été accueillie cette proposition ? Comment pouvons-nous vous aider à faire avancer cette excellente idée ?

S’agissant du gaz de schiste, si je ne méconnais pas la loi, je crois, pour ma part, que nous devrions avoir un débat raisonné sur ce sujet, ce qui passe par l’autorisation de la recherche et l’expérimentation en vue d’une exploitation respectueuse de l’environnement. Où en sont les réflexions, par exemple au sein du Commissariat général à l’investissement ?

Je me réjouis de vos propos sur la silver economy : je connais bien le pôle « allongement de la vie » de l’hôpital Charles-Foix, à Ivry-sur-Seine, dans ma circonscription. C’est effectivement un défi colossal, l’innovation devant venir conforter l’humain au service de nos concitoyens âgés. Vous n’avancez toutefois que peu de mesures pour organiser cette filière : concrètement, que proposez-vous, par exemple en matière fiscale ?

Mme Marie-Hélène Fabre. Je me réjouis de ce travail et, en particulier, parce que je suis élue du pourtour méditerranéen, de vos propositions sur la valorisation des richesses marines : votre projet comprend-il le traitement des pollutions marines, dont l’IFREMER a également dressé la carte ?

M. Éric Straumann. Quelle est la stratégie allemande dans le domaine de l’innovation ? Une coordination avec nos voisins est-elle envisagée ?

Que pensez-vous de la fermeture annoncée de la centrale de Fessenheim ?

M. Christophe Borgel. J’approuve le principe d’innovation, mais l’esprit d’innovation ne doit-il pas se doubler d’un esprit de recherche ? Or vous avez souligné à juste titre l’insuffisance de notre recherche privée. N’est-elle pas liée à la trop faible présence de docteurs dans les entreprises, même les grandes ? Nous sommes l’un des rares pays où l’on entretient une dualité de formation des élites entre les grands corps et les chercheurs.

Je partage en tout cas votre refus du pessimisme, mais ne pensez-vous pas que l’un des freins à l’innovation dans notre pays tient à ce que nous la restreignons trop à la seule innovation technologique ?

Enfin, quels éléments faut-il selon vous revoir pour aider nos PME à grandir ?

M. le président François Brottes. Quant à moi, je me permets de réitérer ma question initiale…

Mme Anne Lauvergeon. Au risque de décevoir certains, je veux souligner qu’il n’y a pas dans notre rapport un seul mot sur les gaz de schiste, et cela pour une raison très simple : nous ne disposons d’aucun inventaire de nos réserves.

Mme Laure de La Raudière. Et ce serait hors sujet !

Mme Anne Lauvergeon. Absolument. Si j’ai été amenée à en parler devant des micros, c’est parce que nous avons rendu notre rapport le jour même où le Conseil constitutionnel a validé la loi interdisant la fracture hydraulique. Mais la position que j’ai exprimée n’engage que moi ! Je continue de penser effectivement qu’il faudrait d’abord savoir si notre sol contient des gaz de schiste. Ensuite, et seulement ensuite, pourquoi refuser d’imaginer qu’une méthode nouvelle pourrait en permettre l’exploitation tout en respectant l’environnement ? Cela produirait du CO2, c’est vrai, mais il faut une réflexion globale : aux États-Unis, l’empreinte en CO2 a diminué pour la première fois depuis plusieurs décennies mais, dans le même temps, ce pays exporte maintenant du charbon, en particulier vers l’Allemagne où il remplace l’énergie naguère produite par des réacteurs nucléaires.

Si j’ai parlé de « crime contre l’esprit », c’est parce qu’il me paraîtrait sain d’au moins inventorier les réserves existantes ; le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et l’Institut français du pétrole Énergies nouvelles (IFPEN) sauraient le faire. Il ne faut pas non plus arrêter la recherche de nouvelles méthodes d’extraction : si nous y renonçons, d’autres le feront et nous serons à la traîne, ce qui n’est jamais une bonne chose.

J’ai déjà expliqué pourquoi nous n’avons pas retenu pour priorité les énergies renouvelables en général.

Le stockage de l’énergie est un sujet absolument majeur, qu’il s’agisse de conduire la transition énergétique, de renforcer notre sécurité énergétique ou d’assurer notre indépendance.

Il nous faut, je le répète, fabriquer du consensus. Il y a beaucoup de travail pour être plus efficaces, pour réformer notre fiscalité, nos normes… Ainsi, lorsqu’on stocke de l’énergie dans les barrages, puis lorsqu’on la libère, l’électricité est taxée lors de chaque trajet. Il n’en va pas du tout ainsi dans tous les pays d’Europe. N’est-ce pas un point à modifier ? Certes, c’est un petit sujet, mais les petits sujets font parfois de grosses différences.

Mme Laure de La Raudière. Ne vous y trompez pas, c’est un très vaste sujet : il s’agit en effet de concevoir différemment la réglementation dans le temps.

Mme Anne Lauvergeon. Tout à fait ! Au cours de notre histoire, nous avons su adapter nos réglementations à nos grands intérêts stratégiques : c’est cette capacité que nous devons retrouver. Mais, dans le même temps, il faut garantir aux entreprises un cadre stable.

La coopération internationale est un recours que nous avons systématiquement gardé à l’esprit. Il faut, sujet par sujet, se demander ce que nous pouvons construire et avec qui, en fonction des acteurs existants et des volontés politiques des uns et des autres. Il faudra toutefois faire attention car, sur certains thèmes, nous ne sommes pas prêts et nous risquerions de nous trouver marginalisés. Nous sommes là encore très demandeurs d’un travail en profondeur avec le Parlement.

Donner de la valeur aux données, savoir combien coûtent les choses, madame Erhel, est essentiel : c’est selon moi la meilleure façon de réformer l’État, de simplifier efficacement.

Sur la nécessité d’un cadre de confiance, je suis entièrement d’accord avec vous. Il faut notamment beaucoup discuter avec les start-ups ; mais c’est difficile, car ces entreprises n’ont pas de porte-parole. Elles ont à la fois du mal à se faire entendre et beaucoup à dire. Il ne sera pas aisé de créer les structures adéquates, mais c’est indispensable.

En matière d’amorçage, effectivement, nous sommes devenus bons, voire très bons ; en revanche, nous ne le sommes pas encore pour le deuxième, voire pour le troisième « tour de piste », lorsque les entreprises en arrivent à réaliser vingt ou trente millions de chiffre d’affaires. Les établissements financiers considèrent l’activité de « venture » comme insuffisamment rentable. Pourquoi, effectivement, ne pas créer des fonds de fonds ? On pourrait imaginer aussi de meilleures incitations à la création de fonds par les établissements financiers.

Les relations entre les grands groupes et les start-ups, madame de La Raudière, constituent une question de première importance. Souvent, les premiers rachètent les secondes : ainsi AREVA avait acheté Hélion. Mais certains groupes anglo-saxons, comme Google, savent s’y prendre bien mieux que nous : par exemple, lorsqu’ils achètent des start-ups – et ils en achètent beaucoup –, ils créent pour elles des structures spécifiques, avec notamment un système de reporting complètement différent de celui du reste du groupe. C’est une très bonne idée, car les moutons à cinq pattes se sentent vite très mal si on les oblige à entrer dans un système trop rigide. De même, Google n’a pas de département R&D : celle-ci est répartie partout. Chaque nouveau projet est ainsi accueilli très facilement et très rapidement par toute l’entreprise. Nous avons donc beaucoup à apprendre de ces nouveaux acteurs du numérique.

Vous avez mille fois raison, l’innovation rebat forcément les cartes et menace les situations établies : elle provoque donc une forte résistance. Mais protéger l’existant, c’est créer des freins ; du coup, on paye deux fois : on maintient à bout de bras des structures sans avenir, et pendant ce temps, d’autres innovent et progressent. Il faut donc savoir ce qui a un avenir et ce qui n’en a pas.

L’innovation culinaire, madame Le Loch, est cruciale. Comme le disait M. Borgel, l’innovation ne se limite pas à la technologie, bien au contraire, et, dans ce domaine précis, nous avons de grands atouts à faire valoir : la cuisine est une de nos forces. Les innovations ne sont pas vraiment des innovations technologiques, là, mais plutôt des innovations dans les usages : ainsi, vous pourrez bientôt acheter des œufs mollets à cuire en trente secondes au micro-ondes ou des œufs durs découpés au laser !

Il y a beaucoup d’entreprises qui réussissent très bien dans le secteur agro-alimentaire, et ce qui a fait la différence, c’est leur vision stratégique : Sofiprotéol, qui a réinventé l’ensemble de la filière protéo-oléagineuse, Unigrains, les vins et spiritueux, voilà trois belles réussites, et les trois postes bénéficiaires de notre commerce extérieur. J’admire beaucoup ce qu’ils ont réussi, sur le long terme, et notre commission a beaucoup réfléchi avec le monde agricole. Inversement, quand il n’y a pas construction d’une filière, pas de stratégie d’ensemble, on ne peut qu’être à la peine. J’espère que les drames actuels seront aussi l’occasion de reconstruire la filière agro-alimentaire.

Monsieur Laurent, je n’ai entendu aucune critique sur le principe d’innovation – je n’en aurais pourtant pas été surprise. Je veux y lire une envie largement partagée, et je crois beaucoup à la dynamique qui pourrait se créer. Le principe de précaution n’est pas un principe qui nous entraîne vers l’avenir… Mais je compte vraiment sur vous pour donner au principe d’innovation un contenu, une cohérence, un statut.

Madame Fabre, pourquoi pas effectivement des recherches sur la pollution des mers ? Nous avons identifié comme priorité le dessalement de l’eau de mer, car la croissance de la population rendra l’utilisation de cette eau indispensable, sachant qu’il faut à tout prix préserver les nappes fossiles.

Monsieur Straumann, les Allemands ont défini une stratégie et des objectifs plus nombreux encore qu’au Royaume-Uni. Mais ils ont aussi ajouté une dimension R&D, ce qui n’est pas absurde du tout.

Les États-Unis réfléchissent aussi à ces sujets. Il y a quelques années, ils ont travaillé sur l’innovation ciblée et le président Obama vient de recevoir un rapport qui montre que, lorsqu’elles cessent de produire aux États-Unis, les entreprises finissent par obérer leur capacité d’innovation et de conception. Quand on ne produit plus, on finit par ne plus créer ! Nous avons donc intérêt à avoir une base industrielle française aussi solide que possible.

Monsieur Borgel, vous avez entièrement raison s’agissant de la place faite aux docteurs. Le statut du savoir en France est indigne : nous payons les chercheurs de façon dérisoire par rapport à ce qu’ils gagneraient aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Le monde de la recherche n’est absolument pas traité comme il devrait l’être : il est urgentissime d’y réfléchir.

J’en viens au nucléaire ! Fessenheim représente 3,5 % de la production nucléaire française : si je comprends donc que sa fermeture pose problème dans la région, il faut bien dire que ce ne sera pas gravissime à l’échelle française. En revanche, faire passer de 75 % à 50 % la part du nucléaire dans notre bouquet énergétique, c’est-à-dire fermer une vingtaine de réacteurs, c’est tout autre chose ! Et je ne vois pas bien comment les réseaux européens pourraient supporter l’arrêt de huit réacteurs allemands, puis de dix-neuf, et l’arrêt de nombreux réacteurs français. Les risques d’instabilité de la fourniture d’énergie seraient forts, car les énergies renouvelables sont par définition intermittentes. On jouerait avec le feu !

J’ajoute – c’est l’industrielle qui parle – que ce serait jouer aussi avec des investissements réalisés durant des dizaines d’années. Fallait-il les consentir ? C’est une autre question. Ils l’ont été, et si l’on arrête des réacteurs avant la fin de leur durée de vie normale, on détruit de la valeur, des investissements.

M. Franck Reynier. Et on fait augmenter le coût de l’électricité.

Mme Anne Lauvergeon. Oui. Mais le Parlement sera saisi de ces questions.

Il faut aussi regarder ce qui se fait ailleurs. Fukushima nous a rappelé la nécessité de la transparence : il ne peut pas y avoir de nucléaire sans transparence, sans sûreté, sans sécurité ; cette industrie n’est pas faite pour des pays qui ne sont ni stables, ni rationnels. Je me suis beaucoup opposée au gouvernement précédent quand il voulait vendre des réacteurs à la Libye du colonel Kadhafi, et je crois avoir eu raison ! J’ai aussi été effarée de la mode – avant Fukushima – du nucléaire bas de gamme, low cost : imagine-t-on une centrale nucléaire avec un peu moins de béton, des systèmes de sécurité un peu moins performants ? L’accident de Fukushima a mis en évidence la nécessité d’un retour aux fondamentaux.

Aujourd’hui, c’est ce qui se passe : des pays stables et rationnels veulent utiliser l’énergie nucléaire, de manière moderne, grâce aux centrales de troisième génération. La Turquie vient de choisir le réacteur Atmea, développé par AREVA avec Mitsubishi, et le Royaume-Uni a choisi l’EPR. Les choix français de long terme se trouvent donc plutôt confortés. Notre politique nucléaire aura aussi, il faut en être conscient, un retentissement sur la vente de nos produits à l’étranger.

Vendre des réacteurs, des TGV, etc. est l’une de nos forces. Mais il faut être conscient que cela implique désormais des financements : au Royaume-Uni, ce financement est apporté par EDF, en Turquie par l’État japonais, à Abou Dabi par les Coréens… En revanche, il n’existe ni financement français, ni financement européen : il faudra régler ce problème si nous voulons continuer à vendre des infrastructures dans le monde. Ne nous payons pas de mots : aujourd’hui, c’est le système asiatique qui marche !

M. le président François Brottes. Merci, madame, de ces propos directs.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 23 octobre 2013 à 11 heures

Présents. - Mme Brigitte Allain, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Thierry Benoit, Mme Michèle Bonneton, M. Christophe Borgel, M. Jean-Claude Bouchet, M. François Brottes, M. André Chassaigne, M. Jean-Michel Couve, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Christian Franqueville, M. Franck Gilard, Mme Pascale Got, M. Jean Grellier, M. Antoine Herth, M. Henri Jibrayel, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Luc Laurent, M. Thierry Lazaro, Mme Annick Le Loch, M. Philippe Le Ray, Mme Audrey Linkenheld, Mme Jacqueline Maquet, M. Alain Marc, Mme Marie-Lou Marcel, M. Philippe Armand Martin, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Kléber Mesquida, M. Yannick Moreau, M. Germinal Peiro, M. Hervé Pellois, Mme Josette Pons, M. Dominique Potier, M. François Pupponi, M. Franck Reynier, Mme Béatrice Santais, M. François Sauvadet, M. Michel Sordi, M. Éric Straumann, M. Alain Suguenot, M. Lionel Tardy, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Jean-Marie Tetart, Mme Clotilde Valter

Excusés. - M. Damien Abad, M. Bruno Nestor Azerot, M. Frédéric Barbier, Mme Ericka Bareigts, M. Yves Blein, M. Dino Cinieri, M. Joël Giraud, M. Daniel Goldberg, Mme Anne Grommerch, M. Razzy Hammadi, M. Philippe Kemel, M. Serge Letchimy, M. Bernard Reynès, Mme Catherine Troallic, M. Jean-Paul Tuaiva, Mme Catherine Vautrin

Assistaient également à la réunion. - Mme Sophie Rohfritsch, M. François Vannson