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Commission des affaires économiques

Mardi 18 février 2014

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 62

Présidence de M. François Brottes Président

– Présentation, ouverte à la presse, de l’ordonnance « logement intermédiaire » par Mme Cécile Duflot, ministre de l’Égalité des territoires et du logement

La commission a auditionné Mme Cécile Duflot, ministre de l’Égalité des territoires et du logement sur l’ordonnance « logement intermédiaire ».

M. le président François Brottes. Madame la ministre, nous sommes heureux que vous veniez nous présenter, comme vous vous y étiez engagée, l’ordonnance relative au logement intermédiaire. Si les parlementaires ne sont généralement pas ravis d’autoriser le Gouvernement à légiférer par ordonnances, en l’espèce, il y a urgence et vos propositions sont assez largement approuvées dans nos rangs pour que nous puissions aller un peu plus vite que si nous légiférions directement. Pour mémoire, l’examen de la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite ALUR, qui va être votée cette semaine, aura nécessité deux lectures et duré quelque huit mois.

La présente ordonnance complète et parachève une série de six ordonnances prises comme elle en application de la loi du 1er juillet 2013 : l’ordonnance du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme, destinée à lutter contre l’abus de recours ; les trois ordonnances du 3 octobre 2013 destinées respectivement à mettre fin à la garantie intrinsèque, à créer une procédure intégrée pour le logement et à favoriser les projets de densification, notamment en vue de transformer des bureaux inutilisés en logements ; enfin, les deux ordonnances du 19 décembre 2013 relatives, l’une, à l’amélioration des conditions d’accès aux documents d’urbanisme et aux servitudes d’utilité publique, l’autre, au taux de garantie que les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent apporter à des emprunts souscrits par un concessionnaire d’aménagement.

L’ordonnance relative au logement intermédiaire a en substance pour but de proposer des loyers inférieurs aux prix du marché libre. En effet, les écarts entre les loyers du logement social, même les plus élevés, et ceux du marché privé sont tels que nombre de nos concitoyens qui n’ont pas droit au logement social ne peuvent se loger. Ce sont eux que vise prioritairement le texte, lequel commence par définir le logement intermédiaire, puis le bail réel immobilier, avant d’autoriser certaines entités, notamment les offices publics de l’habitat, à créer des filiales dédiées au logement intermédiaire.

Le texte était prêt depuis quelques semaines, mais notre commission n’a pu vous recevoir plus tôt, madame la ministre, car nous étions retenus par des travaux législatifs dans lesquels vous aviez d’ailleurs votre part. Nous sommes donc impatients de vous entendre.

Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement. En effet, monsieur le président, je m’étais engagée lors du débat sur le projet de loi d’habilitation à venir vous présenter les ordonnances qui en seraient issues. Celle-ci est la dernière, puisque la disposition concernant les délais de paiement, elle aussi attendue par les professionnels, a finalement été intégrée au projet de loi relatif à la consommation.

L’ordonnance « logement intermédiaire » résulte du plan d’investissement pour le logement annoncé par le Président de la République le 21 mars 2013, qui comportait vingt mesures et visait notamment à modifier rapidement le cadre juridique afin de lever les entraves à la construction et d’accélérer la conduite des projets. L’ensemble des autres mesures prévues ont été prises. Moins de huit mois après que le Parlement a habilité le Gouvernement, toutes les ordonnances auront ainsi été élaborées et publiées.

Le principe consistant à légiférer par ordonnances a été débattu. Je vous l’avais dit, certaines dispositions ont vocation à suivre jusqu’au bout le parcours législatif ; tel était le cas du projet de loi ALUR. En l’espèce, il convenait d’aller plus vite, sur un domaine circonscrit.

L’objectif est de développer un parc et des loyers intermédiaires entre ceux du logement social et ceux du marché, dans les zones les plus tendues, où l’écart très marqué qui les sépare freine l’accès au logement ou la sortie du parc social pour les ménages de catégorie intermédiaire. Si chacun comprend ce qu’est le logement intermédiaire, celui-ci ne faisait jusqu’à présent l’objet d’aucune définition juridique ni d’aucune disposition fiscale encadrée. Voilà pourquoi le Gouvernement a décidé de créer ce dispositif.

Ce sont les leviers fiscaux qui ont été activés en premier lieu. D’abord à l’intention des particuliers, avec le dispositif de réduction d’impôt en contrepartie de l’engagement à louer pendant neuf ans à un prix inférieur de 20 % à celui du marché ; ensuite, depuis la loi de finances pour 2014, à l’intention des investisseurs institutionnels qui bénéficient, en miroir, d’une TVA à taux réduit de 10 % à condition de s’engager à pratiquer pendant quinze ans des loyers intermédiaires.

Afin de doter le logement intermédiaire d’un cadre unifié, la présente ordonnance complète ces dispositions fiscales, en trois temps : définition du logement intermédiaire ; création du bail réel immobilier, dédié à la production de ces logements ; enfin, possibilité offerte aux organismes de logement social de créer des filiales dédiées à la création et à la gestion de logements locatifs intermédiaires.

Sur le premier point, le logement intermédiaire est réservé aux zones dites tendues, caractérisées par une différence de prix très significative entre le parc social et le parc privé, conformément au projet de loi d’habilitation. Le législateur y avait délimité précisément ces zones, qui correspondent au périmètre de la taxe sur les logements vacants, composé de 28 agglomérations, auquel s’ajoutent les communes de plus de 15 000 habitants en croissance démographique, ce qui englobe au total plus de 21 millions d’habitants.

Le logement intermédiaire peut être un logement en location ou un logement en accession.

Enfin, pour être qualifié d’intermédiaire, un logement devra obéir à trois conditions. Premièrement, il fait l’objet d’une aide directe ou indirecte de l’État ou d’une collectivité locale, accordée en contrepartie d’un engagement du propriétaire à pratiquer des loyers modérés. Deuxièmement, il est destiné aux classes moyennes, définies par un plafond de ressources identique à celui qui s’applique aux locataires du « Duflot ». Troisièmement, son prix ou son loyer est plafonné à un niveau intermédiaire défini par décret ; pour les logements locatifs, le plafond de loyer sera identique à celui du « Duflot ». Comme pour le zonage, nous reprenons ainsi le plafond qui existe déjà, ce qui évitera de compliquer le dispositif.

Cette définition permettra d’unifier les différents régimes de logements intermédiaires – « Duflot particulier », « Duflot institutionnel », prêt locatif intermédiaire, accession à prix maîtrisés – sous un seul et même statut. Peut-être l’expression d’« investissement en logement intermédiaire » deviendra-t-elle ainsi générique, y compris pour les particuliers, ce qui aurait l’avantage de ne plus accoler au dispositif le nom du ministre du logement qui l’a vu naître !

Elle permettra en outre aux élus de faire référence à la notion de logement intermédiaire dans leur document de programmation ; en d’autres termes, les programmes locaux de l’habitat (PLH) pourront mentionner des objectifs de réalisation de logements intermédiaires.

Le deuxième volet de l’ordonnance est consacré au bail réel immobilier, qui vise à faciliter la dissociation du foncier et du bâti, comme dans nombre d’autres pays européens, afin de proposer des logements en location ou en accession à des prix moins élevés. Le principe est connu : plutôt que de payer ab initio l’acquisition du terrain, le bailleur ou le promoteur conclut avec le propriétaire foncier un bail par lequel il s’engage à verser une redevance sur une longue durée en contrepartie de l’autorisation de construire des logements abordables.

On retrouve ici le principe du bail à construction ou du bail emphytéotique logement, à ceci près que le nouveau contrat de bail, spécifiquement conçu pour ce type d’opérations, permet d’organiser la cession du bâti entre acquéreurs successifs tout en conservant au logement le statut de logement intermédiaire. En matière d’accession, le dispositif est particulièrement novateur : l’acquéreur bénéficiera d’un prix moins élevé mais sa propriété sera limitée en durée ; il disposera néanmoins d’un droit réel sur son logement, qu’il pourra revendre, ce qui permettra d’éviter les difficultés liées aux clauses anti-spéculatives applicables à une revente dans le cadre de l’accession à prix maîtrisé.

L’ordonnance prévoit bien entendu les garde-fous indispensables à de tels montages : encadrement des conditions de vente, encadrement du maintien dans les lieux des locataires, gestion des transmissions successorales, sanction en cas de non-respect du caractère intermédiaire des logements.

Le projet d’ordonnance crée donc un nouvel outil, en particulier à l’intention des collectivités qui souhaiteraient développer des opérations de logement intermédiaire sur leurs terrains, tout en assurant que les logements créés conserveront durablement leur statut.

La troisième partie de l’ordonnance concerne le cadre d’intervention des organismes de logement social : la création de filiales.

Pour développer ce type de logements, nous avons en effet besoin d’opérateurs dotés des compétences de maîtrise d’ouvrage et de gestion nécessaires pour mener à bien de tels projets. Or il n’existe quasiment plus en France de grands bailleurs privés détenant un parc important de logements locatifs. Les organismes de logement social possèdent toutes ces compétences ; certains d’entre eux gèrent déjà un parc de logements intermédiaires. Motivés non par des impératifs de rentabilité à court terme, mais par l’intérêt général, ils sont tout désignés pour développer le logement intermédiaire que nous appelons de nos vœux.

Ils sont toutefois limités par deux contraintes : premièrement, les logements intermédiaires réalisés ne peuvent représenter plus de 10 % de leur parc de logements locatifs sociaux ; deuxièmement, ils ne peuvent pas faire appel à des capitaux extérieurs pour financer ces opérations, auxquelles ils doivent donc consacrer un volume important de fonds propres. En les autorisant à créer des filiales dédiées au logement intermédiaire, le Gouvernement leur permet de surmonter ces deux obstacles tout en définissant un cadre clair et sécurisé évitant toute confusion entre l’activité de logement social et l’activité de logement intermédiaire. De ce point de vue, l’habilitation était parfaitement claire : l’hermétisme devait être total entre les fonds du logement social et l’activité de logement intermédiaire de la filiale. C’est le principe d’étanchéité.

Pour le respecter, le projet d’ordonnance prévoit les trois contraintes suivantes. Premièrement, les fonds nécessaires à la création des filiales ne peuvent provenir que des activités du bailleur social hors service d’intérêt économique général ou de son parc existant de logements intermédiaires. Pas un euro de l’activité de logement social ne peut être versé à la filiale. Deuxièmement, le ministre du logement peut s’opposer à la création d’une filiale de logements intermédiaires par un bailleur qui n’accomplirait pas correctement ses missions en matière de logement social, et notamment de construction et de rénovation. La priorité de ces organismes est et reste donc le logement social. Troisièmement, le préfet de région peut s’opposer à toute augmentation de capital ultérieure qui ne respecterait pas les règles précédentes.

Ces contraintes sont fortes, mais la volonté du législateur l’était aussi. Elles permettent de séparer de manière parfaitement claire les différentes activités des bailleurs. On peut s’attendre à ce que peu de bailleurs se saisissent de cette possibilité dès lors qu’ils peuvent déjà construire directement des logements intermédiaires, mais ceux qui souhaitent, notamment dans les zones les plus tendues, développer leur activité de logement intermédiaire sans empiéter sur leur activité de logement social pourront ainsi le faire dans un nouveau cadre, parfaitement sécurisé.

Une nouvelle définition du logement intermédiaire, un nouvel outil permettant de dissocier foncier et bâti, un nouveau cadre d’intervention dédié et séparé pour les organismes de logement social : ce projet d’ordonnance met la dernière main à la boîte à outils qui permettra de développer le logement intermédiaire dans notre pays. Si les élus, les bailleurs et les investisseurs s’en saisissent, une étape importante aura été franchie dans l’accélération de la production de logements abordables en France.

Mme Annick Lepetit. Rapporteure du projet de loi d’habilitation, je tiens tout d’abord à vous remercier, madame la ministre, d’avoir tenu votre promesse en venant nous présenter cette ordonnance, comme vous l’aviez fait avec celle concernant les recours abusifs. Nous clôturons ainsi les travaux engagés en mai 2013 en vue d’accélérer la construction de logements.

Je constate en premier lieu que les délais qui vous étaient impartis – de quatre, six ou huit mois selon les textes – ont été respectés. En outre, le Gouvernement reprend dans la présente ordonnance les trois limites fixées par le Parlement.

D’abord, un régime clair du logement intermédiaire est créé, qui pourra être prescrit dans les documents d’urbanisme des villes des zones tendues. Depuis longtemps, on parlait de logements intermédiaires, à Paris comme dans d’autres zones où la construction de logements pose un problème et où le prix du foncier et les loyers explosent ; mais, jusqu’à présent, personne ne savait exactement ce que cela signifiait. Le régime du prêt locatif intermédiaire (PLI) a longuement entretenu la confusion, notamment à Paris. Je me réjouis donc que les maires disposent de ce nouvel outil, dont ils se saisiront certainement.

Ensuite, le texte crée un nouveau type de bail emphytéotique, le bail réel immobilier, qui permet de dissocier le foncier du bâti. C’est une nouveauté, voire une révolution, pour notre société si attachée à la possession de la pierre, mais je ne doute pas que nos concitoyens se l’approprieront quand ils comprendront qu’elle entraîne une baisse substantielle des coûts.

La troisième des limites que nous avions adoptées, et la plus complexe à transcrire, correspond au cadre d’intervention des organismes de logement social. Nous en avons abondamment débattu en commission et en séance, ce qui témoigne de la vigilance du Parlement sur ce sujet.

La loi prévoyait ainsi que les organismes de logement social pourraient créer des filiales consacrées au logement intermédiaire, à condition que cela ne limite pas les moyens qu’ils allouent au logement social et que la stricte étanchéité des fonds soit garantie. La formulation de l’ordonnance tient compte de ces précautions. La création d’une filiale sera soumise à l’accord direct du ministre du logement et les éventuelles augmentations de capital le seront à l’accord du préfet. Les autres formes de concours financier devront respecter les conditions du marché et donner lieu à remboursement.

Couplée aux dispositions fiscales qui la complètent, cette ordonnance conforme à l’habilitation donnée par le Parlement devrait favoriser le retour des investisseurs institutionnels, en particulier dans les zones tendues et plus généralement dans celles dont ils se sont retirés. Nous pourrons enfin construire des milliers de logements à des prix accessibles aux classes moyennes. Il nous restera – mais cela ne concerne pas notre seule commission – à définir exactement ce que sont les classes moyennes.

M. le président François Brottes. Je profite de l’occasion pour indiquer qu’après en avoir parlé avec plusieurs d’entre vous, je souhaite que notre commission se saisisse pour avis du texte sur la dépendance, car la question du maintien à domicile est indissociable de celle, cruciale, du logement.

M. Éric Straumann. Ce texte est un bon texte. Le besoin de logements intermédiaires se fait sentir, à Paris comme dans les autres grandes villes françaises. Le bail réel immobilier me paraît intéressant – sinon révolutionnaire puisque, en droit français, le propriétaire du fonds devient un jour ou l’autre propriétaire des constructions – dans la mesure où il pourrait favoriser un parcours résidentiel. Permettra-t-il au locataire d’acheter son logement avec l’accord du bailleur, à la différence du bail emphythéotique ? Si tel est bien le cas, les collectivités et les opérateurs pourront ainsi dégager des fonds propres.

Mme Michèle Bonneton. Je vous remercie à mon tour, madame la ministre, d’avoir tenu parole en venant nous présenter cette ordonnance avant que celle-ci n’ait force de loi, ce que vous n’étiez pas obligée de faire.

Nous avions fait état de nos interrogations lorsque le dispositif du logement intermédiaire a été introduit dans la loi. Aujourd’hui, il est doté de fondements clairs, ce qui rassure tout le monde, opposition comprise.

Les critères de définition d’une zone tendue incluent une forte croissance démographique. Or il existe paradoxalement des zones qui ne sont pas en croissance démographique mais où l’on manque de logements, ce qui s’explique sans doute en partie par le phénomène de décohabitation. Est-il envisageable d’étendre à ces zones la possibilité de construire des logements intermédiaires ?

A-t-on une idée du nombre de logements intermédiaires qui pourraient être construits chaque année ? Il semble que leur construction pourrait être freinée par des difficultés de financement. Comment envisage-t-on de résoudre ce problème ? Est-il possible de solliciter non seulement les collectivités locales, mais aussi la Caisse des dépôts et consignations et Bpifrance ? En effet, financer le logement, c’est bien financer l’activité économique. En outre, peut-être pourrait-on mettre à profit les fonds que Bpifrance dédie à la transition énergétique.

Mme Marie-Hélène Fabre. Je remercie moi aussi madame la ministre. Le logement intermédiaire est une nécessité, en particulier dans les zones tendues. En effet, le déséquilibre entre l’offre et la demande de logements entraîne une forte hausse des prix et un manque de logements dans les parcs locatifs privé et social. On note par ailleurs une augmentation de l’écart moyen entre le prix au mètre carré dans le privé et celui qui a cours dans le social. Les classes dites moyennes sont ainsi exclues du parc privé comme du parc social. Or il n’existe pas à l’heure actuelle de dispositif spécifiquement destiné au parc intermédiaire, et les outils fonciers disponibles apparaissent inadaptés. Il fallait donc définir un statut du logement locatif intermédiaire.

Votre objectif à court terme, madame la ministre, serait de réaliser 10 000 logements intermédiaires dans les zones les plus tendues, afin d’éviter tout effet d’aubaine. Comment envisagez-vous de les financer ?

Par ailleurs, quels sont les critères retenus pour identifier les classes moyennes qui en bénéficieront ?

M. François Pupponi. Madame la ministre, vous connaissez mon sentiment. Certes, vous avez prévu des garde-fous afin que les bailleurs sociaux ne puissent entretenir des relations trop étroites avec les filiales et que le financement du logement social ne puisse bénéficier au logement intermédiaire. Toutefois, et bien que favorable au principe du logement intermédiaire, je ne comprends pas la logique de certains bailleurs sociaux qui se précipitent dans cette voie. Les bailleurs sociaux devraient s’interroger sur la manière dont ils gèrent leur patrimoine et dont ils assurent la gestion urbaine de proximité. Pour participer à bien des réunions de quartier et réunions publiques avec des locataires, je peux vous dire – sans vouloir critiquer le monde du logement social en général – qu’il y a beaucoup à faire. Les bailleurs sociaux les plus importants, notamment en Île-de-France – chacun comprendra auquel je fais allusion –, auraient intérêt à se recentrer sur leur métier de base.

Autre chose me gêne, même si la méthode est éprouvée. Je pense à la fameuse opération d’Icade, grand scandale de la fin du siècle dernier dont j’espère qu’il sera un jour tiré au clair, à l’occasion de laquelle des logements sociaux ont été transférés d’une structure à une autre dans des conditions financières éminemment douteuses. Cela s’est fait sur le dos des collectivités locales, auxquelles l’exonération de taxe foncière dont les acquéreurs du patrimoine d’Icade ont assez longtemps bénéficié n’a pas été intégralement compensée. En d’autres termes, ce sont les collectivités, souvent les plus pauvres, qui ont payé une partie du transfert du patrimoine des bailleurs sociaux vers d’autres bailleurs.

Aux termes de la loi de finances pour 2014, les logements intermédiaires bénéficient non seulement du taux intermédiaire de TVA à 10 % pour leur construction, mais également, par la suite, d’une exonération de taxe foncière pendant vingt ans. Certes, il ne s’agit pas d’une perte sèche pour les collectivités, mais celles-ci ne toucheront pas les impôts locaux qu’elles pourraient escompter de la construction de nouveaux logements et de l’arrivée de nouveaux habitants. S’il faut assurément favoriser la construction, il est regrettable de le faire au détriment des collectivités locales et sans leur avoir demandé leur avis. L’État décide de réduire le taux de TVA, d’accorder des avantages en contrepartie de la construction de logements intermédiaires : soit, cela relève de son choix budgétaire, voté par les parlementaires ; mais il n’est pas normal que ce choix nuise aux finances locales, à moins d’associer les collectivités locales à la décision de bâtir ces logements sur leur territoire.

M. Jean-Luc Laurent. Instruit par l’expérience, notamment celle de l’affaire Icade, j’ai été et je demeure pour ma part réticent à l’idée de la création de filiales par les structures et offices qui pourraient réaliser directement des logements intermédiaires. Je crains en effet que les bailleurs qui créeront des filiales n’abandonnent le logement locatif social familial ou spécifique. À mon sens, le projet d’ordonnance ne prend pas assez de précautions, outre la responsabilité confiée au ministre et au préfet de région, pour garantir à long terme la poursuite des objectifs essentiels de construction, de logements sociaux surtout ; d’autant que l’on demande à chaque bailleur des efforts supplémentaires.

Je me félicite de l’étanchéité des activités, que Mme Bonneton et moi-même avions travaillé à renforcer. J’ai bien noté que les fonds propres destinés à financer le logement intermédiaire ne pourraient provenir du logement social. Il n’y aura pas de filiale de filiale ; c’est une bonne chose. Il n’y aura pas d’administrateur commun, en dehors des représentants des collectivités locales ; c’est salutaire et conforme aux conclusions de notre débat en séance sur le projet de loi d’habilitation. Mais qu’en est-il de la responsabilité de la maison mère en cas de difficulté de la filiale ? Comment l’étanchéité sera-t-elle alors préservée ?

Le dispositif étant réservé aux zones tendues, pourquoi ne pas avoir prévu une durée limitée renouvelable ou une clause de revoyure ?

Le ministre pourra s’opposer à la création de la filiale et le préfet de région à une augmentation de capital. Mais pourquoi ne pas rendre plus transparente la création de la filiale elle-même, en la soumettant à l’avis du comité régional de l’habitat ?

M. Daniel Goldberg. Je me félicite de l’organisation de ce débat sur les ordonnances. Malgré mon peu d’appétence pour cette méthode dans des domaines davantage législatifs que techniques, je dois reconnaître que le choix de cette voie était pertinent pour accélérer l’adoption des mesures.

La question soulevée par M. Pupponi mérite une réponse : dès lors que les opérateurs dans le logement intermédiaire bénéficient d’incitations fiscales – TVA à taux réduit et exonération de taxe foncière – , il est légitime d’exiger de leur part un souci de l’intérêt collectif.

Je me réjouis de l’instauration du bail réel immobilier qui facilitera la réalisation des opérations de logement intermédiaire.

Le logement intermédiaire doit être bien distingué du logement social. Les nouveaux logements construits à ce titre ne devront en aucun cas, dans l’avenir, être comptabilisés pour atteindre les objectifs fixés par la loi SRU. Ce nouvel outil doit permettre de créer des logements qui se situent précisément entre le logement social et le logement locatif dit « de marché », car le fossé entre les loyers de ces deux catégories est énorme.

S’agissant des filiales, je salue l’étanchéité qui est assurée entre les ressources de la maison mère et celles de la filiale. On peut envisager une distribution des rôles claire entre les opérateurs institutionnels apportant les capitaux et les organismes de logement social, forts de leur savoir-faire dans la gestion des logements et des locataires. Cependant, deux questions restent posées, la première en cas de difficultés financières d’une filiale, la seconde en cas de gains de celle-ci. Je souhaite que la maison mère puisse éventuellement utiliser les gains réalisés par la filiale pour financer de la rénovation ou de la construction de logement social. L’étanchéité pourrait ne pas être nécessairement à double sens.

Par ailleurs, comment se prémunir contre une évolution du statut des logements intermédiaires, à l’instar de ce que l’on a connu avec Icade ? Comment empêcher que les logements intermédiaires, qui auront à ce titre été aidés, soient transformés en logements locatifs sociaux ou en logements locatifs libres ?

M. Michel Piron. Je salue le fait que l’on aborde ce sujet du logement intermédiaire et je ne suis pas choqué qu’il soit traité dans le cadre d’une ordonnance compte tenu de l’extrême urgence de certaines situations.

Je partage le constat des besoins considérables qui existent en matière de logement intermédiaire ainsi que l’idée selon laquelle l’instauration d’un statut spécifique permettrait de libérer des places dans le parc social dans les zones très tendues.

Il faut néanmoins s’entendre sur la notion de logement intermédiaire. Le besoin de logements intermédiaires naît de l’écart considérable existant entre les loyers sociaux, très maîtrisés, et les loyers libres, très élevés. À cet égard, il faut rappeler la distinction élémentaire, qui n’est pas toujours faite, entre financer, construire et gérer. Ce ne sont pas toujours les mêmes métiers, et il faut favoriser la complémentarité entre eux.

Pour proposer des loyers intermédiaires, un système d’aide est inévitable. Mais qu’en sera-t-il à long terme ? Les objectifs fixés sont hélas très modestes au regard des besoins qui sont, eux, très importants.

Se pose également la question de la plus value – qui n’est pas un gros mot pour des modèles économiques comme celui de la Caisse des dépôts et consignations dans lequel le retour sur investissement est programmé sur quarante ans – et de leur fiscalité. L’instabilité en la matière nourrit une confusion dissuasive pour de nombreux investisseurs institutionnels.

Les investisseurs dans le logement intermédiaire seront nécessairement peu nombreux. Quels investisseurs institutionnels pensez-vous convaincre ?

M. Henri Jibrayel. Comment les ordonnances s’articuleront-elles avec la loi ALUR ?

M. le président François Brottes. Quelle est la différence entre ce qu’on a longtemps appelé le logement conventionné et le logement intermédiaire ?

Trois questions se posent : qui détient la propriété du foncier, d’une part, et du bâti, d’autre part ? Quel est le mode de financement ? Quels sont les critères d’entrée pour les locataires ?

Certains propriétaires privés peuvent bénéficier de mesures fiscales à condition de louer leur logement à des personnes sous plafond de ressources. Or, les maires ne sont pas informés de l’existence de ce parc privé qui s’apparente, pour les locataires concernés, au parc social. Pourtant, dans la pratique, ils pourraient utilement diriger les demandeurs vers ce type de logement s’ils disposaient de l’information.

Mme la ministre. Je vous remercie pour le grand intérêt que vous portez à ce sujet.

Messieurs Pupponi et Laurent, je connais votre engagement sur le dossier Icade. Je vous informe que le président de la Caisse des dépôts et consignations a décidé de confier une mission à un inspecteur des finances et à l’ancienne directrice de la Mission interministérielle d’inspection du logement social pour éclaircir cette affaire, dont je sais le trouble qu’elle a créé dans certaines communes.

Madame Lepetit, la dissociation du foncier et du bâti offre en effet des opportunités. En Grande-Bretagne, le leasehold property est l’élément majeur de la détention du foncier à Londres. La possibilité donnée aux collectivités territoriales de rester propriétaires du foncier leur permettra de maîtriser la destination des biens dans la durée et de s’assurer du maintien du statut du logement intermédiaire.

Monsieur Straumann, il sera possible d’acheter le logement mais celui-ci uniquement. Le propriétaire foncier donnera le terrain à bail tandis que le propriétaire du bâti pourra habiter le logement ou le mettre en location. Le mécanisme que nous créons permettra à la fois l’accession à coûts maîtrisés et le logement locatif intermédiaire.

Cette question a été longuement débattue, mais je le répète : les logements intermédiaires n’ont aucune vocation à entrer dans le décompte des 25 % de logements locatifs sociaux imposés par la loi SRU. Les logements intermédiaires constituent un parc complémentaire, à l’instar du parc privé. Je comprends qu’il puisse y avoir des inquiétudes, mais la définition est très précise. Si, à l’avenir, le législateur souhaite fixer une proportion obligatoire de logements intermédiaires à réaliser dans certaines zones, celle-ci viendra s’ajouter au quota de 25 % de logements locatifs sociaux. En outre, les mesures fiscales ne s’appliqueront que si les opérations, qui seront donc mixtes, comportent une proportion de 25 % de logements locatifs sociaux.

Madame Bonneton, l’ambition est de parvenir à 30 000 logements en location au titre du « Duflot » – dont 20 000 dans le périmètre de l’ordonnance et 10 000 logements « Duflot institutionnel » –, 8 000 logements anciens conventionnés avec l’agence nationale de l’habitat (ANAH) et, en accession, 20 000 logements au prêt à taux zéro renforcé (PTZ+), soit un total d’environ 60 000 logements intermédiaires par an.

S’agissant du rôle de Bpifrance et des investisseurs intéressés par la production de logements intermédiaires, la situation évolue. Certains investisseurs qui s’étaient retirés du logement résidentiel s’y intéressent de nouveau pour plusieurs raisons : d’une part, ils prennent en considération l’intérêt de leurs clients pour lesquels l’investissement dans le logement intermédiaire valorise certains placements délivrés par des organismes bancaires ; d’autre part, les investisseurs sont sensibles au cadre transparent, stable et sécurisant que nous mettons en place. Le nouveau dispositif devrait permettre de faire revenir les investisseurs institutionnels vers le logement résidentiel.

Madame Fabre, les plafonds de ressources des locataires de logements intermédiaires se situent entre ceux du PLS et ceux du PLI. En zone B1, le plafond pour une personne seule est de 29 751 euros par an, soit 2 479 euros par mois. Pour un couple, ce plafond est fixé à 39 731 euros, soit 3 311 euros par mois.

Monsieur Laurent, en cas de difficulté d’une filiale, la responsabilité de la société mère est engagée dès lors que celle-ci est actionnaire majoritaire. Néanmoins, les risques sont limités en zone tendue car l’activité est restreinte à la construction et à la location de logements. Le patrimoine pourra également être cédé pour couvrir les pertes. En outre, le préfet pourra s’opposer à une augmentation de capital qui ne serait pas conforme aux besoins ou aux capacités de l’organisme. Aucune clause de revoyure n’a été prévue car il faut garantir la stabilité des règles dans la durée si l’on veut attirer les investisseurs institutionnels.

Il serait par ailleurs difficile de soumettre la création d’une filiale à l’avis du comité régional de l’habitat dans la mesure où plusieurs régions sont nécessairement concernées. Une telle création relève d’une décision nationale, ce qui justifie le pouvoir d’opposition du ministre.

L’étanchéité entre la société mère et la filiale sera d’autant plus forte que le capital de la filiale ne pourra provenir que de logements intermédiaires déjà construits. Peu d’opérateurs sont aujourd’hui susceptibles de remplir cette condition qui suppose de disposer d’un patrimoine de logements intermédiaires. Seuls les plus grands d’entre eux, déjà diversifiés, ont les moyens d’assumer un développement équilibré.

Monsieur Goldberg, le logement intermédiaire sera bien inscrit dans le programme local de l’habitat, mais le nouveau cadre juridique ainsi créé viendra compléter les dispositifs en matière de logement, sans se confondre avec le logement social et les obligations qui s’y rattachent au titre de la loi SRU. Je le dis une nouvelle fois et le redirai si nécessaire. Si d’aucuns utilisaient le statut du logement intermédiaire pour remettre en cause la loi SRU, ils commettraient une faute.

Monsieur Piron, la question de la fiscalité des plus values dépasse le seul cadre du logement intermédiaire. Vous le savez, le législateur a souhaité renforcer les précautions prises lors de la cession d’immeubles dans le cadre de la vente à la découpe. Aux États-Unis, le projet de vente à la découpe d’un immeuble doit recueillir l’approbation de la moitié des locataires. Sans aller jusque-là, notre volonté a été de freiner la dispersion du parc motivée par l’appât d’une forte plus value.

L’application de la procédure de réquisition l’année dernière a obéi à la même logique. La valorisation du patrimoine de certaines sociétés foncières est plus importante lorsque les logements sont vides, mais nous ne pouvons pas nous satisfaire d’une telle vacance quand la vocation des logements est d’accueillir des habitants.

L’idée qui a présidé à la création d’un statut du logement intermédiaire est de donner la transparence, la cohérence et la visibilité nécessaires au dispositif afin d’en faire un placement rentable, sécurisé et durable.

Monsieur Jibrayel, vous aurez noté que la loi ALUR ratifie certaines des ordonnances qui étaient prévues par le projet de loi d’habilitation.

Monsieur le président Brottes, je confirme que les baux ouvrant droit à des avantages fiscaux n’étaient pas jusqu’à présent soumis à déclaration. Désormais, en vertu des règles applicables au logement intermédiaire, les opérations devront faire l’objet d’un agrément pour bénéficier des dispositifs fiscaux. Elles seront donc connues des services de l’État qui pourront ensuite en informer les maires.

M. le président François Brottes. En vertu d’une disposition adoptée par le gouvernement précédent, le pétitionnaire peut déposer une demande de permis de construire sans faire état de l’accord avec le propriétaire du terrain sur lequel il dépose ledit permis. Cela semble extravagant.

S’agissant des surfaces commerciales, les collectivités territoriales disposent du droit de préemption urbain, du droit de préemption commercial et du droit de préemption sur les sociétés civiles immobilières. Mais les collectivités n’ont aucune prise sur la pratique du bail à long terme, conclu pour une durée de soixante ans entre deux personnes privées. Une société commerciale peut ainsi louer à des propriétaires privés un bâtiment dans l’attente d’installer une grande surface. Ce mécanisme permet de contourner les règles en matière de préemption.

M. Philippe Kemel. Le logement intermédiaire pourra t-il être développé dans toutes les zones couvertes par le dispositif « Duflot » ? Si, comme je le crains, ce n’est pas le cas, pouvez-vous m’en indiquer les raisons ?

Mme la ministre. En effet, le logement intermédiaire est réservé aux 28 agglomérations soumises à la taxe sur les logements vacants ainsi qu’aux agglomérations de plus de 15 000 habitants en forte croissance démographique. Cela correspond au choix du législateur. Les dispositions du projet de loi d’habilitation ont été substantiellement modifiées par le Parlement sur ce point.

Monsieur Brottes, vous avez raison sur le permis de construire. Je m’engage à étudier quelles garanties législatives ou réglementaires pourraient être apportées au propriétaire du terrain.

Quant au bail à long terme, la réforme du droit de préemption reste à faire. Nous avons procédé par petites touches jusqu’à présent – l’article 70 quater du projet de loi ALUR suscite de vifs débats – mais une refonte globale s’impose afin d’éviter les contournements du droit de préemption auquel nous assistons.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 18 février 2014 à 17 heures

Présents. - M. Damien Abad, Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Michèle Bonneton, M. François Brottes, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Goldberg, Mme Pascale Got, M. Henri Jibrayel, M. Philippe Kemel, M. Jean-Luc Laurent, Mme Annick Le Loch, Mme Annick Lepetit, Mme Jacqueline Maquet, Mme Frédérique Massat, M. Germinal Peiro, M. Hervé Pellois, M. François Pupponi, M. Frédéric Roig, M. Éric Straumann

Excusés. - M. Christophe Borgel, M. Jean-Claude Bouchet, M. Joël Giraud, M. Thierry Lazaro, M. Kléber Mesquida, Mme Josette Pons, Mme Béatrice Santais

Assistaient également à la réunion. - M. Philippe Bies, M. Michel Piron