La commission a auditionné M. Arnaud Montebourg, ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique sur la situation du dossier Alstom.
M. le président François Brottes. En votre nom à tous, mes chers collègues, je remercie le ministre Arnaud Montebourg d’avoir accepté l’invitation que je lui ai fait parvenir hier en fin de journée. La Commission des affaires économiques se doit de suivre au plus près les questions d’actualité et c’est à ce titre que nous nous retrouvons ce matin. Les décisions prises hier soir par le conseil d’administration d’Alstom nous préoccupent en effet, car cette entreprise est l’un des fleurons industriels de la France dans les secteurs éminemment stratégiques de l’énergie et du transport.
M. Arnaud Montebourg, ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique. Je vous remercie, monsieur le président, pour votre invitation.
Depuis que nous avons appris les opérations engagées par Alstom, j’ai été très sollicité par les parlementaires. J’ai d’ailleurs proposé hier aux présidents des différents groupes de l’Assemblée nationale de m’adresser une délégation réduite afin que je puisse communiquer aux parlementaires, quelle que soit leur sensibilité politique, des informations qui ne peuvent être rendues publiques. MM. Vigier, Le Roux et Chassaigne m’ont répondu, et j’attends la réponse de M. Christian Jacob. Je suis à votre disposition pour organiser ces échanges dès que possible, y compris demain jeudi 1er mai.
Je commencerai par retracer la chronologie des événements concernant l’affaire Alstom.
Nous examinons depuis un certain temps la situation de l’entreprise avec son président M. Patrick Kron et ses actionnaires, dont M. Martin Bouygues. J’ai d’ailleurs ordonné cet hiver une étude, qui s’est poursuivie au printemps, sur les options stratégiques susceptibles de construire des alliances mondiales au bénéfice d’Alstom, donc de l’industrie française, pour bâtir les conditions d’un renforcement de la puissance industrielle de notre pays. Nous l’avons fait alors même que le seul actionnaire public dans le capital d’Alstom est la Caisse des dépôts et consignations, à hauteur de 0,9 %. En effet, comme pour le dossier PSA – entreprise dans laquelle nous n’avions pas d’actions – nous considérons que les intérêts industriels de notre pays doivent faire l’objet de réflexions avec les dirigeants des entreprises et leurs actionnaires.
Le 13 février 2014, Roland Berger, sollicité par l’Agence des participations de l’État (APE), m’a remis son rapport, que je n’ai pas dévoilé publiquement mais dont l’existence est connue puisque la presse l’a mentionné. Si ce document, naturellement connu des dirigeants d’Alstom, montre certaines des faiblesses de l’entreprise, il souligne surtout la grande force de celle-ci : disposer d’un potentiel considérable pour construire des alliances au plan mondial et assurer ainsi un réel avenir à l’industrie française.
Ce document qui a fait l’objet de remarques plutôt désagréables de la part du président d’Alstom, a le mérite de montrer que l’État s’est intéressé à cette question et, surtout, qu’il sait quoi penser de certaines initiatives prises par le PDG d’Alstom. Nous savons désormais où les uns et les autres veulent aller et nous ne sommes pas surpris par des événements qui, s’ils ne nous ont pas été annoncés, nous permettent de réfléchir intelligemment dans la période critique que nous traversons.
J’ai entendu les critiques portant sur l’absence d’anticipation. Mais tout a été anticipé. Le problème c’est que des manœuvres ont été entreprises sans que ni le Gouvernement, ni les cadres dirigeants, ni les instances de direction n’en aient été informés. Le directeur financier d’Alstom a découvert dans la presse ce qui se passait dans son entreprise, de même que les organisations syndicales et la plupart des membres du conseil d’administration. Ce n’est pas parce que de grands concurrents d’Alstom ont manifesté auprès du Gouvernement leur intérêt pour l’entreprise que cela constitue une opération d’acquisition ou de vente.
Je tiens à souligner qu’Alstom n’est pas une entreprise en difficulté. C’est une entreprise qui connaît des hauts et des bas, mais qui a du temps devant elle pour construire intelligemment des alliances au plan mondial. De la même manière que, dans le dossier PSA, nous avons considéré qu’il était nécessaire de nouer une alliance avec les Chinois, nous tenons à exprimer notre position politique sur ce qu’il conviendrait de faire pour favoriser la France et Alstom.
Alstom compte 25 sites en France ; elle emploie 18 000 salariés dans notre pays et 95 000 dans le monde, et son chiffre d’affaires s’élève à 20 milliards d’euros. L’entreprise a deux grands partenaires dans les domaines de l’énergie et du transport : Siemens – 9 000 salariés –, et General Electric – 10 à 11 000 collaborateurs en France.
Nous connaissons ces grandes entreprises et apprécions le respect qu’elles ont pour notre territoire et le made in France. Je n’ai donc rien contre ceux qui s’intéressent à Alstom. En revanche, j’ai des critiques à adresser à ceux qui ont considéré qu’ils pouvaient vendre 75 % d’une entreprise sans en parler à personne, sans attendre que le Gouvernement décide s’il doit, ou non, prêter main forte, entrer, ou non, en négociation, et placer certains points durs dans la discussion.
Je rappelle qu’Alstom fabrique les turbines pour les centrales nucléaires construites par Areva et exploitées par EDF. C’est donc une industrie de souveraineté et il était naturel que le Gouvernement intervienne comme il l’a fait. Quel est l’État dans le monde qui accepterait de ne pas être prévenu et associé aux discussions s’agissant d’une opération de cette nature concernant une industrie stratégique qui vit de la commande publique, locale et nationale ?
Jeudi, lorsque nous avons appris par hasard, sur le site de l’Agence Bloomberg, l’opération en cours, c’est-à-dire la signature de l’offre exclusive avec General Electric, qui devait avoir lieu dimanche dernier – le conseil d’administration d’Alstom a été convoqué pour le dimanche à 18 h 30 ! – nous avons donc commencé par demander à Alstom de ne pas prendre de décision. Samedi, nous avons écrit aux dirigeants de General Electric pour invoquer la clause du décret de 2005. Ce décret réglementant les relations financières avec l’étranger et portant application de l’article L. 151-3 du code monétaire et financier, pris à l’initiative de M. Thierry Breton, permet de contrôler les investissements étrangers en France dans les secteurs stratégiques. Nous avons ainsi gagné du temps pour organiser l’intervention de l’État dans ce dossier.
Nous avons ensuite, c’est vrai, suscité une offre de la part de Siemens, entreprise européenne dont les activités sont à la fois concurrentes et complémentaires de celles d’Alstom. D’ailleurs dès le mois de février, l’entreprise Siemens avait pris contact avec Alstom pour proposer exactement ce qu’elle a proposé hier soir au board d’Alstom, à savoir la naissance de deux leaders franco-allemands dans les domaines de l’énergie et du transport, l’un à direction française, l’autre à direction allemande. Une alternative a donc été posée sur la table.
Lundi soir, j’ai en outre demandé au commissaire du Gouvernement qui siège devant le collège de l’Autorité des marchés financiers, qui relève de mon autorité, de demander au gendarme de la Bourse de faire en sorte que l’égalité de traitement des offres soit assurée, bien que l’on soit en présence non pas d’une offre publique d’achat ou d’échange, mais de la cession de 75 % d’une société cotée.
Hier soir, le management et le conseil d’administration d’Alstom ont entendu la demande du Gouvernement. Ils ont indiqué leur préférence pour l’offre de General Electric, mais ont décidé d’examiner toute offre alternative non sollicitée, c’est-à-dire celle de Siemens, pendant un délai d’un mois.
Dans un communiqué paru ce matin à 7 heures, dès l’ouverture des marchés, le conseil d’administration d’Alstom nous informe de sa décision de créer un comité ad hoc dans les termes suivants : « Un comité d’administrateurs indépendants a été mis en place, conduit par M. Jean-Martin Folz, qui procédera d’ici la fin du mois de mai à un examen approfondi de l’offre de General Electric en tenant compte des intérêts de l’ensemble des parties prenantes, y compris ceux de l’État français ».
Nous avons donc obtenu un délai d’un mois pendant lequel les discussions et les négociations vont pouvoir commencer. Voilà le travail du ministère de l’économie !
Le Président de la République et moi-même avons reçu M. Jeffrey Immelt, président de General Electric, groupe avec lequel, je tiens à le dire ici publiquement, nous avons une bonne relation. Dans le département de Saône-et-Loire, dont j’ai été l’élu pendant près de dix-sept ans, j’avais sur mon territoire, à l’instar des Belfortains, à la fois une usine General Electric et une usine Alstom. Je connais donc bien les pratiques de cette grande entreprise. Je l’ai répété à Jeffrey Immelt, General Electric est une entreprise sérieuse qui respecte notre territoire, ses collaborateurs et assure un dialogue social de bonne qualité. Nous n’avons pas à nous plaindre de sa présence sur le sol français, bien au contraire. Nous avons dit aux représentants de General Electric qu’ils étaient les bienvenus, mais il est naturel que le Gouvernement défende les intérêts industriels de notre pays. Dans un cas semblable, le gouvernement des États-Unis serait parfaitement fondé, compte tenu de sa législation, à défendre les intérêts industriels de son pays. Cela fait partie de l’exercice naturel du pouvoir des nations et des États qui ont leur légitimité, au même titre que les grandes entreprises globales.
C’est de la conjugaison de nos intérêts économiques et de la préservation de notre souveraineté économique et industrielle que doit émerger la solution qui assurera l’avenir d’Alstom en France. Car ce qui m’intéresse, moi, c’est la France !
Nous avons par ailleurs déclaré à M. Immelt que nous étions disponibles pour des alliances égalitaires et capitalistiques, mais pas pour des absorptions. En effet, si le centre de décisions d’Alstom, qui deviendrait General Electric, se trouve demain dans le Connecticut, lorsqu’il faudra décider de l’allocation mondiale des investissements au Creusot, en Bourgogne ou dans l’une de vos circonscriptions, mesdames, messieurs les députés, il faudra aller dans le Connecticut. Les board des grandes entreprises globales fonctionnent sur les mérites comparés des sites industriels. Nous n’avons donc aucune garantie que les promesses actuelles de M. Immelt de créer de nombreux emplois en France se réaliseront à l’avenir. En disant à M. Immelt que nos centres de décision étaient pour nous un élément fondamental, le Président de la République faisait en réalité référence à la nécessité pour nous de contrôler notre destin économique et industriel.
Mais il existe un contre-exemple, la joint venture qui depuis cinquante ans associe pour moitié Safran, anciennement Snecma, et GE pour la fabrication de moteurs CFM et bientôt des nouveaux moteurs LEAP. Cette alliance a produit dans le monde 25 000 moteurs d’avion. Toutes les deux secondes, décolle ou atterrit un avion équipé de l’un de ces moteurs qui sont le résultat d’une alliance technologique, industrielle et économique entre GE et Safran. Ne peut-on envisager une alliance semblable entre GE et Alstom ? Voilà qui pourrait être la réponse à nos questions.
Le président de General Electric a adressé hier un courrier à M. François Hollande, dont certains extraits ont été publiés dans la presse. Ce courrier, dont je me dois de rendre compte devant la représentation nationale, détaille les engagements de GE. En voici quelques extraits :
« Nous nous engageons à faire croître le nombre de nos emplois en France, particulièrement les emplois hautement qualifiés dans l’ingénierie, la production localisée en région.
« Nous nous engageons à implanter en France les sièges mondiaux, les activités réseau – le grid – hydrauliques, éolien offshore et turbines vapeur.
« Nous nous engageons à développer le site de Belfort – où sont déjà situées certaines de nos activités d’envergure mondiale – pour en faire le siège européen de l’activité énergie thermique de GE.
« Nous nous engageons à implanter en France nos activités mondiales dans le secteur de l’éolien offshore et à honorer les engagements industriels et en termes d’emplois déjà pris par Alstom à Cherbourg et à Saint-Nazaire » – il s’agit des champs d’éoliennes offshore, en mer, et des usines qu’Alstom construit dans ces deux secteurs.
« Nous nous engageons à développer notre centre d’excellence sur les machines rotatives à Nancy, GE Power conversion.
« Nous nous engageons à accroître nos investissements dans le Centre technologique de Grenoble, spécialisé dans la R&D et l’ingénierie hydroélectrique.
« Nous avons entendu votre volonté de tenir compte du caractère souverain de l’industrie nucléaire. Nous sommes résolus à collaborer avec l’État, Areva et EDF afin de protéger ce secteur et de préserver ses exportations. Nous avons d’ailleurs su depuis longtemps être un fournisseur fiable pour ces deux entreprises comme pour l’État dans des secteurs stratégiques.
« Compte tenu de l’importance de l’activité hydroélectrique pour la France et de notre choix d’implanter son siège mondial sur le sol français, nous sommes prêts à accueillir des investisseurs français au capital de cette activité. Notre appel n’a été entendu pour constituer une joint venture que dans le secteur de l’activité hydroélectrique ». Je précise que l’activité hydroélectrique est un secteur très profitable dont Alstom possède 25 % des parts de marché. Nous disposons là d’une technologie extraordinaire dont nous sommes très fiers. Nos amis américains ont bien compris qu’il y avait là un petit problème…
« Nous sommes prêts à étudier toute proposition d’acquisition de la part d’investisseurs français pour les activités éolien, onshore et offshore, d’Alstom.
Et le point suivant concerne notre souci de renforcer l’activité transport. En effet, la filière industrielle ferroviaire qui rassemble les grands clients d’Alstom, dont la SNCF et la RATP, nous a fait part de sa vive inquiétude en cas de séparation entre la branche énergie et la branche transport. Le Président de la République et moi-même avons donc demandé à M. Immelt de nous donner la branche transport de GE. Cette solution, outre qu’elle nous permettrait d’accéder au marché américain, nous permettrait de nouer une alliance avec nos amis américains dans le domaine du ferroviaire pour la fabrication de locomotives diesel qui ont tant de succès dans le monde mais que nous ne produisons pas en France. Voici ce que nous a répondu M. Immelt :
« Vous nous avez également demandé d’examiner des solutions permettant de renforcer Alstom Transport, qui deviendrait une entreprise autonome. Je vous confirme que nous avons décidé d’étudier avec Alstom la possibilité de créer une joint venture avec l’activité mondiale de signalisation de General Electric, accompagnée d’un partenariat technologique ».
Nous considérons, mesdames, messieurs les députés, que le compte n’y est pas !
Hier soir, nos amis allemands ont fait une autre proposition au board d’Alstom. Ils ont d’abord exprimé le souhait d’être traités avec les mêmes égards que General Electric. Le Gouvernement est attentif à ce que cette égalité de traitement soit réelle. À cet égard, les accords qui ont pu être signés entre les uns et les autres sont problématiques du point de vue de la procédure. L’égalité de traitement doit être assurée jusqu’à l’assemblée générale extraordinaire qui validera la décision prise par Alstom.
La proposition de Siemens est ambitieuse puisqu’elle consiste à racheter le secteur énergétique et à installer dans notre pays des global Haidquarters for Steam and Nuclear Power pour que les centres de décision restent en France.
Siemens s’étant retiré du nucléaire, ses représentants nous assurent également, en liaison avec le gouvernement allemand, que les technologies nucléaires feront l’objet d’un traitement particulier de manière à préserver notre souveraineté industrielle en la matière.
En contrepartie de cette prise de contrôle, Siemens propose d’apporter à Alstom le Rail System Business, c’est-à-dire la totalité de ses activités dans le domaine ferroviaire : les trains à grande vitesse – carnet de commandes de 5,5 milliards d’euros – les locomotives –carnet de commandes de 2 milliards d’euros – les Commuter trains, c’est-à-dire les automoteurs destinés aux trains de courte distance – carnet de commandes de 3 milliards d’euros – et l’activité Urban Transport Business metros and trams – carnet de commandes de 2,5 milliards d’euros. Au total, le Rail System Business représente 16 milliards d’euros de business amounts.
Nous avons demandé à Siemens si la signalisation était intégrée dans la discussion. Et nous avons fait part de notre souhait de créer une alliance dans ce secteur qui concentre les marges, la croissance et les emplois de haute technologie. Les Allemands nous ont répondu qu’ils étaient ouverts à la discussion et à la négociation.
Voilà où nous en sommes. L’intervention du Gouvernement a donc permis d’améliorer les offres de General Electric et de faire surgir une offre nouvelle pour élargir le choix dans la perspective d’une stratégie industrielle.
Le Gouvernement a été entendu par les dirigeants d’Alstom. Nous avons devant nous plusieurs semaines, que nous comptons utiliser pour défendre les intérêts industriels de la nation.
M. Yves Blein. Au nom du groupe socialiste, je vous remercie, monsieur le ministre, pour cet exposé très complet, mais permettez-moi de joindre ma stupéfaction à la vôtre devant la méthode utilisée. À un moment où la nation fait tant d’efforts pour favoriser la compétitivité de ses entreprises, nous attendons de celles-ci un comportement plus civique.
On a pu lire ici ou là que les activités de Siemens seraient moins complémentaires, donc potentiellement plus destructrices d’emplois, que celles de General Electric. Qu’en pensez-vous ?
M. Daniel Fasquelle. Je vous remercie, monsieur le ministre, au nom du groupe UMP, d’être présent parmi nous ce matin, mais je regrette qu’une fois de plus, nous n’ayons pas anticipé en menant dans ce secteur stratégique une véritable politique industrielle. En laissant Alstom seule, nous prenions le risque qu’un jour ou l’autre des groupes étrangers s’y intéressent.
Votre réaction vis-à-vis de l’offre de General Electric ne risque-t-elle pas d’être mal perçue par les investisseurs américains en France, alors même que ces investissements étrangers ont chuté de 22 % en 2013 ? Vous soutenez l’offre de Siemens, entreprise qui est engagée dans une négociation avec Rolls-Royce en Angleterre. Les deux négociations sont-elles compatibles ?
M. André Chassaigne. Monsieur le ministre, les députés du groupe GDR partagent votre vision d’un un État stratège qui contrôle notre destin économique et industriel.
Au-delà des moyens mis en œuvre et des objectifs affichés par le Gouvernement, celui-ci ne peut qu’accompagner les entreprises. N’est-il pas indispensable de faire évoluer la législation pour permettre à l’État d’intervenir concrètement sur le développement industriel ?
M. François Sauvadet. Monsieur le ministre, je vous ai trouvé excellent dans la façon dont vous avez dressé l’état des lieux, mais ce matin la presse économique nous annonce que l’affaire est pratiquement « pliée », General Electric ayant fait une offre ferme à hauteur de 12,5 milliards d’euros. Les députés du groupe UDI sont favorables à l’offre de Siemens, qui permettrait de construire une alliance franco-allemande. Mais pouvez-vous faire quelque chose ? Quel est le choix du Gouvernement ?
M. Razzy Hammadi. Notre pays est-il capable d’accompagner sur le long terme de grands groupes comme Alstom ? Quelles sont les perspectives en la matière ? L’assise financière d’Alstom, à long terme, est-elle suffisante ?
La loi de 2004 ne définit pas scrupuleusement la notion de secteur stratégique, ce qui entraîne des difficultés d’interprétation, en particulier pour les activités énergétiques et nucléaires. Faut-il, selon vous, la faire évoluer ?
Mme Laure de La Raudière. Je vous remercie, monsieur le ministre, d’être parmi nous ce matin. Le décret de 2005 permet-il au Gouvernement de s’opposer juridiquement à une offre de rachat de 75 % ? La loi identifie-t-elle assez précisément les entreprises et activités stratégiques ?
Eu égard aux intérêts de la France, nous pensons qu’une alliance avec Siemens serait plus judicieuse, mais quel est le meilleur rapprochement en matière de complémentarité industrielle ?
Mme Delphine Batho. Je vous remercie, monsieur le ministre, d’avoir partagé vos informations avec les parlementaires. Je vous rejoins sur les enjeux de souveraineté, en y ajoutant les perspectives industrielles de la transition énergétique et la place de la France dans la mutation en cours.
Il est reproché à M. Kron d’avoir dissimulé certaines choses, mais le même reproche ne pourrait-il pas être adressé à Martin Bouygues, qui est un actionnaire important d’Alstom ?
L’option d’une prise de participation temporaire de l’État est-elle à l’ordre du jour ?
Enfin, que pouvez-vous nous dire des rumeurs qui ont circulé dans la presse concernant la vente d’actions EDF dans l’éventualité d’une prise de participation de l’État dans le capital d’Alstom ?
M. Antoine Herth. Si vous voulez vraiment faire quelque chose pour renforcer la branche transport, monsieur le ministre, demandez à Bercy de débloquer les crédits nécessaires pour rénover la voie ferrée qui dessert l’usine de Reichshoffen, d’où sortent tous les Régiolis de France !
M. Philippe Baumel. En tant qu’élu de Saône-et-Loire, je suis particulièrement sensible à l’avenir du Creusot. Comment seront articulées les productions de General Electric avec celles du groupe Alstom ?
Nous avons déjà été échaudés par le comportement de General Electric. Il y a quelques mois, ses représentants ont demandé aux collectivités concernées – région, département, communauté urbaine – de financer l’installation, au Creusot, d’un centre de recherche qui accueillerait une centaine d’ingénieurs. Mais compte tenu de l’évolution du contexte économique, ils n’ont pas hésité à oublier ce projet. Comment, dans ces conditions, croire à la fiabilité de leurs engagements ?
M. Éric Straumann. Le 18 septembre 2011, Siemens a déclaré renoncer définitivement au nucléaire et ne fabrique donc plus de turbines pour l’industrie nucléaire. Cela ne pose-t-il pas un problème dans le cas d’un éventuel rapprochement, s’agissant d’une activité qui, vous l’avez dit vous-même, monsieur le ministre, relève de la souveraineté nationale ?
M. Franck Reynier. Comme mon collègue Sauvadet, je crains, que nous ne soyons pas en position de force pour négocier sur ce dossier.
Si Alstom vit en grande partie de la commande publique, l’État ne doit-il pas se positionner plus fermement dans les secteurs du nucléaire et des énergies renouvelables, vis-à-vis des donneurs d’ordre et des entreprises ? Quelle est la position du Gouvernement sur les investissements dans le nucléaire ?
Je vous rappelle en outre que le gouvernement de M. Ayrault a bloqué les investissements dans le domaine ferroviaire, ce qui n’est pas sans conséquence. Quelle est votre position sur cette question ?
M. le ministre. Faut-il nouer une alliance ou développer une stratégie française ? Vous ne pouvez pas nous reprocher d’effrayer les investisseurs étrangers et nous dire en même temps qu’il faut une solution française. Notre stratégie consiste à souhaiter la bienvenue aux investisseurs, que ce soit Siemens ou General Electric, tout en défendant notre souveraineté nationale, comme tous les États. C’est naturel et légitime.
Je rappelle que dans l’affaire Pechiney et la prise de contrôle par Alcan et Rio Tinto, qui avait provoqué la dispersion de tous les actifs, nous avions appliqué un décret pris par M. de Villepin, alors Premier ministre. Et dix ans plus tard, je reconstitue les morceaux de Pechiney par une alliance franco-allemande entre Rio Tinto et l’entreprise Trimet dans la vallée de la Maurienne. Voilà où mène l’absence de réaction en termes de souveraineté !
Nous avons des exigences et elles ont été formulées : nous sommes favorables à des alliances, mais pas à des absorptions car nous voulons conserver nos centres de décisions.
Je vous invite à comparer un centre de décisions français ou européen et un centre de décisions d’un autre pays situé au-delà des océans. Vous constaterez qu’ils sont très différents. Dans les alliances franco-allemandes, que ce soit en Allemagne quand Areva décide de fermer un site ou en France avec Bosch, nous disposons de cordes de rappel – à savoir des éléments de discussion et de négociation. Nous avons le même modèle social, qui associe les organisations syndicales. Les choses sont différentes aux États-Unis. C’est un grand pays que nous respectons, mais il est différent et nous n’y avons pas les mêmes possibilités d’intervention.
Jean-Pierre Chevènement, auquel je rends hommage car il a été un grand ministre de l’industrie, m’a téléphoné hier pour m’indiquer qu’à Belfort General Electric avait supprimé 178 emplois. Et ce que nous disait à l’instant Philippe Baumel, député de Saône-et-Loire, concernant des investissements qui avaient été prévus mais n’ont pas été réalisés, est vrai, je le sais parfaitement.
Nous devons accroître la pression pour obtenir davantage, à savoir des alliances et un renforcement de la branche transport d’Alstom, plutôt que le contraire. C’est l’élément fondamental.
Quant aux conditions dans lesquelles nous pourrions bloquer le rachat, nous avons déjà utilisé le décret et la réponse nous a été donnée par M. Immelt. À l’instar de Siemens, le PDG de General Electric est prêt à détourer la partie des turbines en rapport avec l’industrie nucléaire, mais nous ne pouvons pas, au titre de ce décret, bloquer la totalité du rachat.
J’ai réuni hier les représentants des cinq centrales syndicales – CFDT, CGC, CFTC, CGT et FO – pour leur communiquer les informations dont je disposais. À l’issue de l’entretien, voici ce qu’ils ont déclaré à l’unanimité :
« Pour nos organisations syndicales, qui l’ont dit clairement au ministre, c’est une solution de consolidation d’Alstom dans son intégrité et son indépendance qui doit être privilégiée par le Gouvernement. Cela passe nécessairement par une évolution du capital du groupe puisque l’actionnaire de référence, M. Bouygues, a manifesté sa volonté de céder sa participation dans le groupe Alstom.
« Nos organisations syndicales ont demandé au Gouvernement d’envisager y compris la montée de l’État au capital d’Alstom – il n’en détient actuellement que 0,9 % et le carnet de commandes d’Alstom est majoritairement le fait d’entreprises ou de fonds publics – ce qui donnerait les moyens de dessiner une solution garantissant la pérennité du groupe Alstom, la préservation des emplois et des intérêts de la France ».
Cette question des organisations syndicales vient de m’être posée par les représentants de tous les groupes politiques de l’Assemblée. Nous la mettons donc à l’étude.
Non, monsieur Sauvadet, l’affaire n’est pas « pliée ». Nous avons été entendus. Nous avons un mois pour décider et je vous propose de vous revoir pour suivre avec vous ce dossier.
M. le président François Brottes. Je vous indique que j’ai informé M. Kron de mon intention de l’auditionner. Je vous remercie, monsieur le ministre.
*
* *
La commission a auditionné M. Christian Descheemaeker président de la formation interchambres de la Cour des comptes ayant préparé le rapport sur la mise en œuvre, par la France, du Paquet énergie-climat, MM. Arnold Migus et Jacques Rigaudiat, conseillers maîtres, rapporteurs généraux et M. Alain Resplandy-Bernard, conseiller référendaire, sur le Paquet énergie climat.
M. le président François Brottes. Les éclairages de la Cour des comptes nous sont toujours utiles, en particulier sur les questions d’énergie et de climat, d’autant que nous sommes à la veille de l’examen du projet de loi de programmation sur la transition énergétique.
L’Europe se fixe des objectifs en matière climatique et de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, mais les directives sectorielles ont plutôt tendance à contrarier ces objectifs, ce qui paraît pour le moins paradoxal.
Présidence de Mme Frédérique Massat, vice-présidente de la Commission
M. Christian Descheemaeker, président de la formation interchambres de la Cour des comptes. Le rapport que je vais vous présenter est la réponse à une commande du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) de l’Assemblée nationale.
Le Paquet énergie-climat est un ensemble de textes européens – un règlement, trois directives et une décision – adopté en 2008, à charge pour chaque État de prendre les mesures nécessaires pour l’appliquer. La Cour des comptes a eu à traiter de la mise en œuvre des mesures d’application de ce Paquet énergie-climat. Plutôt que de confier le travail à une seule chambre de la Cour, nous avons décidé de créer une formation interchambres comprenant une chambre énergie et une chambre climat, et nous avons fait appel à un comité d’experts indépendants pour affermir nos positions.
Le rapport de la Cour contient quatre messages.
Tout d’abord, la France s’est fixé des objectifs ambitieux sans suffisamment tenir compte de ses spécificités, dont la première tient à ce que l’économie de notre pays est l’une des moins émettrices de carbone. Le secteur de l’énergie pesant moins lourd que dans d’autres pays, le secteur des transports devient le premier émetteur de carbone, l’agriculture étant la principale émettrice des autres gaz à effet de serre.
Par ailleurs, les instruments communautaires de réduction des gaz à effet de serre ont pour le moment échoué ; quant aux mesures prises au niveau national, qui sont foisonnantes, il arrive qu’elles se contrarient.
En outre, les premiers résultats des mesures prises sont plutôt positifs dans la mesure où nous devrions atteindre les objectifs fixés, mais ils sont ambivalents car ils ont été réalisés en partie en raison de la crise économique.
Enfin, pour limiter le réchauffement climatique, il serait préférable que l’Europe et la France se fixent un objectif de réduction de l’empreinte écologique plutôt que des émissions. En effet, en important un produit fabriqué à l’étranger, nous importons aussi un contenu de carbone, donc de gaz à effet de serre.
Revenons au premier message : les objectifs du Paquet énergie-climat ne tiennent pas suffisamment compte des spécificités françaises. Sans vous rappeler l’historique des négociations internationales – la Conférence de Rio en 1992, le protocole de Kyoto, entré en vigueur en 2005 – il faut garder à l’esprit que depuis 2009, la négociation internationale échoue à fixer pour les États membres des objectifs contraignants.
Toujours est-il que l’Union européenne, qui ne pèse pas lourd dans les émissions mondiales – 8 % seulement – s’est fixé avec le Paquet énergie-climat un ensemble hétérogène de trois objectifs ambitieux, dits « 3x20 ».
Le premier vise à réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2020 par rapport au niveau de 1990, et non pas seulement à les stabiliser. Derrière cet objectif se profile la division par quatre des émissions en 2050.
Le deuxième objectif consiste à faire progresser d’ici à 2020 la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique totale jusqu’à ce qu’elle atteigne 20 %. La France est allée plus loin en retenant un objectif de 23 %.
Le troisième objectif est d’augmenter notre efficacité énergétique de 20 % en 2020, mais aucun texte ne rend cet objectif contraignant.
Il est plus facile d’atteindre un objectif que trois. En outre, on peut poursuivre deux objectifs qui vont dans le même sens, mais qui peuvent se contrarier dans certains cas. C’est exactement ce qui se passe avec les énergies renouvelables et le fameux problème de l’intermittence. La production d’une usine marémotrice est intermittente, mais cette intermittence est parfaitement prévisible puisqu’elle est liée aux horaires de marées. Le problème se pose lorsque l’intermittence n’est pas facilement prévisible, car elle désorganise la production et la distribution d’électricité. Nous en avons l’illustration avec ce qui se passe en Allemagne. La production allemande d’électricité fluctue selon que le vent souffle ou ne souffle pas, que le soleil brille ou ne brille pas. L’Allemagne peut se trouver un jour avec une production considérable d’électricité et ne plus en avoir du tout le lendemain. Et contrairement à ce qu’affirment certains, l’absence de vent dans le nord de l’Allemagne ne signifie pas nécessairement qu’il y a du vent dans le sud, et cela vaut également pour le soleil.
Or il n’existe pas de compensation pour équilibrer les fluctuations considérables de la production d’énergies renouvelables. En Allemagne, pour combler les déficits, l’électricité ne se stockant pas, on utilise le gaz et plus encore le charbon. Or les centrales au charbon sont très polluantes, ce qui a pour résultat l’augmentation des émissions de carbone.
Le recours aux énergies renouvelables en Allemagne produit donc un effet exactement inverse à celui recherché, à savoir la réduction des émissions de GEF, sans parler des problèmes liés aux réseaux de distribution et aux tensions avec la Pologne et la Tchéquie, l’électricité circulant sans passer la douane…
J’en reviens à la situation particulière de la France qui est l’un des pays les moins carbonés. Si l’on rapporte le volume des émissions au PIB, la France produit, pour 1 million d’euros de PIB, 227 tonnes d’équivalent CO2. C’est un chiffre très faible comparé aux autres pays – cela représente les deux tiers de la moyenne européenne.
En France, la production d’électricité étant très largement d’origine nucléaire et hydraulique, elle est cinq à six fois moins émettrice de carbone que celles de l’Allemagne et des Pays-Bas, et dix fois moins émettrice que celles de Pologne et de Chine.
De ce fait, le secteur qui émet le plus de gaz à effet de serre est celui des transports, qui représente 28 % des émissions, pour l’essentiel dues au transport routier, et dont les émissions se sont nettement accrues entre 1990 et 2004. Le deuxième secteur est l’industrie – 22 % des émissions. Celles-ci sont en diminution, mais nous ne sommes pas en mesure de faire la part entre ce qui relève de l’amélioration des techniques de production et de dépollution et la diminution de la production industrielle due aux difficultés économiques et aux délocalisations.
L’agriculture produit 21 % des émissions nationales de gaz à effet de serre, alors que le niveau européen se situe autour de 9 %. Certes, ce n’est pas le dioxyde de carbone qui est en cause, car l’agriculture émet relativement peu de CO2 ; c’est le protoxyde d’azote et le méthane, le premier étant dû aux engrais, le second à l’élevage. Ces chiffres sont intéressants, d’autant que les mesures prises dans le domaine agricole sont peu nombreuses.
Les émissions du secteur du bâtiment, résidentiel et tertiaire, sont stables en France alors que les pays voisins sont parvenus à les réduire. Nous avons tendance à améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments, mais l’isolation est une entreprise complexe. Par ailleurs, l’augmentation des surfaces du parc de logements contrebalance les efforts obtenus.
La situation démographique de la France n’est pas suffisamment prise en compte. Notre population, comme celle de l’Irlande, connaît une évolution plus dynamique que les autres pays d’Europe, de sorte que les objectifs contraignants acceptés par la France seront plus difficiles à tenir pour elle à terme et dans l’immédiat. Sans doute avons-nous accepté ces contraintes parce que nous n’avons pas décomposé tous les éléments de la négociation et toutes les étapes qui ont abouti à ce processus. Il ne s’agit pas de dire que le Gouvernement n’a pas négocié, mais le résultat de la négociation, toutes proportions gardées, est plus contraignant pour nous que pour d’autres pays.
Deuxième message adressé dans son rapport par la Cour : les mesures prises sont foisonnantes, mais pas toujours cohérentes entre elles.
Au plan communautaire, le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre est un échec. Ce mécanisme compliqué n’a pas réussi à donner au carbone une valeur économique suffisamment dissuasive. En outre, il s’est traduit à ses débuts par une fraude massive à la TVA, qui a occasionné pour la France une moins-value de recettes de 1,6 milliard d’euros.
Quant au captage et au stockage de CO2, la rentabilité des projets est faible. Il existe des démonstrateurs, mais les procédés consistant à enfouir le carbone capté n’ont pas encore dépassé le stade expérimental.
Au plan national, les mesures sont très nombreuses. Leur coût est estimé approximativement à 19,8 milliards d’euros, dont 3,6 milliards de crédits budgétaires de l’État. La Cour des comptes regrette que le document de politique transversale consacré à la lutte contre le changement climatique, annexé à la loi de finances, ne dispense pas une information complète sur ce sujet.
Parmi ces mesures, le crédit d’impôt développement durable permet de financer des travaux d’isolation dans des conditions qui fluctuent d’une année sur l’autre. Il faut savoir que le coût public pour éviter l’émission d’une tonne de gaz carbonique par le biais de l’isolation est de 21 euros quand il est de 432 euros en recourant à l’énergie solaire thermique, soit une multiplication par vingt. Mieux vaut donc privilégier l’isolation des toits et des murs pour une meilleure utilisation des crédits.
D’autres mesures concernant le logement manquent d’efficacité : l’éco-prêt à taux zéro et le diagnostic de performance énergétique qui se révèle peu fiable. En revanche, le fonds chaleur ayant fait la preuve de son utilité, la Cour plaide – chose rare – pour une augmentation de ses moyens, actuellement trop limités.
Le soutien aux énergies électriques renouvelables repose sur le tarif d’achat qui est financé par le consommateur au travers de la contribution au service public de l’électricité. On connaît les effets pervers de ce mécanisme qui est à l’origine de la bulle dans l’énergie photovoltaïque. Quant à la filière éolienne, son développement est freiné par la rigidité du cadre réglementaire. La géothermie, pour sa part, est victime de la lourdeur du code minier.
Dans l’agriculture, les rares mesures portent de surcroît sur les émissions de gaz carbonique alors que celles-ci ne représentent que 8 % des gaz à effet de serre émis par ce secteur. Pour être efficace, l’action devrait être orientée vers la fertilisation et l’élevage.
Dans le secteur des transports, les mesures sont onéreuses et faiblement efficientes. Le coût de la tonne de gaz carbonique évitée est ainsi de 1 000 euros pour les infrastructures. J’indique à cet égard que le TGV est moins miraculeux qu’on ne le dit, car il faut intégrer le coût de la construction du train et de la ligne.
Enfin, la politique d’exemplarité de l’État reste lettre morte, faute de crédits.
Ces différentes mesures ne constituent pas un ensemble cohérent. Pour y remédier, le pilotage interministériel pourrait être assuré plus fortement par la Direction générale de l’énergie et du climat.
Troisième message : les premiers résultats sont positifs, mais contrastés. Les émissions de gaz à effet de serre ont baissé de 13 % depuis 2005, en dépit d’une faible contribution des transports et de l’agriculture, que compense une plus forte contribution de l’industrie en raison de la crise économique.
L’objectif d’une réduction de 20 % semble accessible même s’il repose sur des hypothèses volontaristes, voire irréalistes dans certains domaines comme la construction de logements neufs ou la rénovation thermique des bâtiments. En outre, les outils de modélisation font défaut pour aider à la décision.
Les énergies renouvelables enregistrent des progrès sensibles. Leur part représente aujourd’hui 13 %, contre 10 % en 2005. Mais cette augmentation profite davantage à l’électricité qu’aux sources de chaleur, alors que le rendement est plus élevé pour ces dernières que pour la première. L’objectif de 20 % paraît là difficile à atteindre, sauf à consentir des efforts bien plus importants, notamment financiers.
Je reviens sur la question de l’intermittence des principales énergies renouvelables. Compte tenu de son extrême variabilité, la production d’électricité d’origine renouvelable est très inférieure à la puissance installée – elle n’en représente que 20 %. Pour compenser cette insuffisance, il n’existe pas, à ce jour, de meilleure solution que les centrales thermiques qui malheureusement fonctionnent au charbon plutôt qu’au gaz. La préférence va au charbon, moins coûteux aujourd’hui en raison de l’évolution des prix aux Etats-Unis. Mais ce phénomène n’était pas prévisible il y a cinq ans.
Il faut également intégrer dans le coût du développement des énergies renouvelables celui du transport. La modernisation du réseau de distribution actuel, qui n’est pas adapté à une production éolienne, engendre un coût supplémentaire.
La France consacre chaque année 37 milliards d’euros, publics ou privés, aux investissements dans le domaine de l’énergie, pour des projets aussi divers que l’installation d’une pompe à chaleur chez un particulier ou une ligne à grande vitesse. Pour réaliser la transition énergétique, ce montant devrait augmenter d’un tiers, voire doubler jusqu’en 2050. La Cour en déduit qu’il est souhaitable de faire porter les efforts plus sur les économies d’énergie que sur la décarbonation de la production d’énergie.
Pour ce faire, des actions dans le domaine des transports, de l’agriculture et du bâtiment doivent être menées. En matière de transports, la réduction de la consommation des voitures est une réalité – moins que ne le prétendent les constructeurs automobiles cependant – mais pour les camions, les progrès sont moindres.
Les mesures à prendre auront nécessairement un impact sur les modes de vie. Cela signifie, au-delà de 2020, une baisse de la consommation de viande et une diminution de l’utilisation des transports routiers.
Le quatrième message est relatif à la prise en compte de l’empreinte écologique. C’est une idée qui fait son chemin. La poursuite de l’objectif de réduction des émissions sur un territoire donné peut conduire à délocaliser celles-ci, ce qui est ennuyeux du point de vue non seulement économique, mais aussi climatique – à l’échelle de la planète, le lieu des émissions importe peu. Cet objectif n’est pas fondé sur un raisonnement très solide même s’il est plus facile à mesurer. Mesurer l’empreinte écologique est cependant chose faisable – on parle déjà de fuite de carbone pour désigner le fait de faire produire à l’étranger quelque chose qui émet beaucoup de carbone.
Avec les panneaux photovoltaïques, on se trouve face à un paradoxe : leur développement a été soutenu par des politiques nationales, mais leur bilan carbone global, sur leur cycle de vie qui n’est pas très long, est négatif dès lors que les plaques de silicium qui les composent sont importées de Chine, compte tenu des émissions de carbone chinoises. Pour éviter de tels effets pervers, les émissions de gaz à effet de serre liées aux importations doivent être mieux prises en compte, ce que permet la notion d’empreinte carbone.
Il est intéressant de noter que l’empreinte carbone de la France – 545 millions de tonnes de gaz carbonique – est plus importante que ses émissions – 410 millions de tonnes. Nous importons plus de carbone que nous en exportons.
Derrière le raisonnement de la Cour, qui justifie la préférence pour la notion d’empreinte, se trouve l’idée qu’il est difficile d’être cohérent en cherchant à atteindre en même temps trois objectifs. Le prochain Paquet énergie-climat devrait obéir à une autre logique, définissant un seul objectif décliné en sous-objectifs. Il faut éviter que les objectifs se télescopent comme le montre l’exemple de l’Allemagne où les émissions augmentent.
Mme Frédérique Massat, présidente. Vous avez évoqué la forte empreinte écologique du transport routier. Avez-vous évalué la responsabilité du fret en la matière ? Quelles sont vos préconisations sur les modèles de mobilité ? Le véhicule électrique, que la France a l’ambition de développer, est-il une piste ? Une future directive européenne doit, semble t-il, imposer aux États un certain nombre de contraintes pour favoriser le véhicule électrique, notamment l’installation d’infrastructures.
Quelles incitations financières peut-on envisager au bénéfice des économies d’énergie, à l’instar des dispositifs en faveur des énergies renouvelables ?
Quelles sont vos préconisations en matière de gouvernance pour nourrir notre réflexion à la veille de l’examen du texte sur la transition énergétique ?
L’hydroélectricité est aujourd’hui la seule énergie dotée d’une capacité de stockage et l’une des premières énergies renouvelables dans le mix énergétique. Ne serait-il pas opportun d’accroître sa production ? Contrairement aux idées reçues et anciennes, il n’est pas nécessaire pour cela de noyer de nouveaux villages. Les nouvelles technologies permettraient déjà de produire plus. En outre, il existe des projets respectueux de l’environnement dans les montagnes et sur les fleuves. Ce sujet mérite d’être étudié.
Enfin, l’idée de modifier les critères d’évaluation est fort intéressante. Pouvez-vous nous donner des précisions sur la mise en œuvre de l’empreinte écologique ?
M. Dominique Potier. Les cycles combinés gaz, bien que plus vertueux que ceux au charbon que vous avez évoqués, sont tous aujourd’hui à l’arrêt ou au ralenti en France faute de modèle économique. Y a-t-il des solutions envisagées pour y remédier ?
Votre rapport critique les parcs géants de production solaire au nord de l’Europe. Les économies en matière de transport que permettent la dispersion et la décentralisation de cette production ne seraient-elles pas de nature à compenser les inconvénients constatés dans les parcs au nord de la Loire ?
Enfin, les bilans carbone pour l’agriculture concernent-ils l’ensemble de la chaîne ? Avez-vous comparé les élevages à forte concentration et les systèmes plus diffus de production d’azote ? Existe-t-il un modèle technico-économique de méthanisation adapté aux petites unités ou est-ce le monopole des concentrations agricoles à caractère plus industriel ?
M. Dino Cinieri. L’article 107 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne est très clair : toute aide d’État est interdite. Mais il y a heureusement de nombreuses exceptions, pour l’environnement et l’énergie notamment. Il faut encore engager 200 milliards d’euros d’investissements en infrastructures énergétiques pour atteindre les objectifs du Paquet énergie-climat d’ici à 2020.
La crise économique et les règles imposées aux banques par Bâle III restreignent l’accès au crédit bancaire. Vous avez rappelé que le nouveau paquet s’adressait à tous les secteurs pouvant investir dans la protection de l’environnement et l’énergie ; en revanche, le texte exclut de son champ d’application la fabrication d’éco-produits, le financement de mesures destinées à réduire l’impact environnemental d’infrastructures de transport ou les aides à la recherche ou la préservation de la biodiversité. Il semble que Bruxelles souhaite limiter le montant des aides. De façon générale, l’aide devra être proportionnée et ne pourra financer que le surcoût occasionné par l’aspect environnemental ou énergétique du projet.
Pensez-vous qu’un changement en faveur des énergies renouvelables soit possible dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons ?
Mme Michèle Bonneton. Les rapports du GIEC sont de plus en plus alarmants. Ils font état de l’impossibilité d’éviter l’augmentation moyenne de la température du globe de deux degrés, voire de quatre degrés d’ici à la fin du siècle. Or, face à ce constat, beaucoup de belles déclarations dans les conférences internationales mais peu d’objectifs contraignants et d’obligations nationales.
Le groupe écologiste considère que les énergies renouvelables représentent un atout certain et une source d’innovation, créatrice d’emplois. Mais ces dernières demandent de revoir notre façon de penser et d’agir, en misant par exemple sur une production et une consommation plus locales qui suscitent la réticence des grands opérateurs.
Il serait préférable de fabriquer les panneaux photovoltaïques en France ; nous savons le faire, le reste est affaire de volonté politique. Des recherches pour augmenter le rendement sont en cours. Celui-ci est actuellement de l’ordre de 25 %, contre 17 % il y a peu.
Quant aux quotas de carbone, peut-on parvenir à un prix de la tonne de CO2 correct, qui reflète véritablement les dégâts causés à l’environnement ? Comment faire pour agir dans ce sens ?
Enfin, dans l’appréciation sur le nucléaire et son coût, il ne faut pas oublier la construction, le démantèlement et le combustible.
M. Franck Reynier. Je vous remercie pour ce travail qui sera fort utile dans notre débat sur la transition énergétique.
La France se distingue par son parc nucléaire et ses énergies renouvelables qui en font l’une des économies les moins carbonées d’Europe. Dans le même temps, l’Allemagne fait partie des plus gros émetteurs de carbone. L’harmonisation des politiques nationales en Europe est-elle nécessaire ?
Le développement des énergies renouvelables bute sur le coût et le stockage. Comment, selon vous, développer les moyens de la recherche aux niveaux national et européen ?
La France souffre des lacunes de l’évaluation, en amont comme en aval, de ses politiques énergétiques. Que préconisez-vous pour remédier à ce problème ?
M. André Chassaigne. Comment sont prises en compte les émissions de gaz à effet de serre liées aux importations dans le calcul de l’empreinte écologique ?
Quelle appréciation portez-vous sur ce que l’on appelle la règle verte, à savoir ne pas prendre à la nature plus que ce qu’elle peut donner ? Est-ce un objectif atteignable dans les décennies à venir ?
Vos observations sur les énergies renouvelables sont très justes. Pouvez-vous préciser le coût pour les réseaux de l’atomisation de la production qui caractérise ces dernières ? Avez-vous évalué les coûts externes ?
Enfin, comment résoudre l’incompatibilité entre l’objectif de respect de la planète qui s’inscrit dans le long terme et le règne de l’argent qui exige une rentabilité à court terme ? Notre préoccupation pour l’avenir de la planète exige que l’argent soit investi dans l’intérêt collectif et non dans quelques intérêts particuliers.
Mme Jeanine Dubié. Le rapport annuel de la Cour des comptes souligne la faible sollicitation par la France des financements européens en faveur de l’efficacité énergétique. Sur la période 2007-2013, 5,7 % de l’enveloppe communautaire, soit 48 millions d’euros par an, ont été consommés. Pouvez-vous nous éclairer sur les raisons et les freins que vous avez pu identifier ?
J’approuve l’idée de privilégier le critère de l’empreinte écologique, mais sommes-nous capables de mesurer celle-ci ? Peut-on envisager une fiscalité mondiale assise sur l’empreinte écologique ?
Pour relever le défi de l’intermittence des énergies renouvelables, il est indispensable d’investir dans le stockage et la gestion des réseaux. La France est-elle suffisamment équipée pour faire face ? Où en est la recherche en matière de stockage d’énergie ?
Enfin, je soutiens la présidente dans sa défense de l’hydroélectricité. Cette énergie représente 12 % de la production électrique française. Elle mérite plus de considération. J’indique à l’attention de M. Descheemaeker que les eaux peuvent être turbinées plusieurs fois.
M. Arnold Migus, conseiller maître. Les transports routiers sont responsables de 95 % des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur des transports. Si des progrès ont été enregistrés pour le transport de passagers, les émissions par le fret continuent d’augmenter sans que les causes en soient connues.
Quelles sont les solutions pour diminuer les émissions dans le domaine des transports ? On oublie souvent que la croissance démographique favorise mécaniquement les voyages. Il faut donc chercher à diminuer les émissions par kilomètre parcouru, grâce à la construction de voitures moins polluantes – en la matière, les progrès sont réels même s’ils sont exagérés par les constructeurs – ou à la décarbonation des carburants, qu’il s’agisse de l’électricité ou des biocarburants. Pour ces derniers, la Cour a émis, dans un rapport il y a deux ans, des doutes sur leur intérêt environnemental. Quant à l’utilisation du bois, je rejoins le président Descheemaeker pour la recommander pour la production de chaleur plutôt que dans les biocarburants.
S’agissant des véhicules électriques, leur développement est poussif en raison notamment du problème du stockage. Les progrès sur les batteries sont très lents – en 150 ans, on a divisé par quatre le rapport entre l’énergie et le poids. Il n’y a pas eu de révolution technologique. La voiture électrique est adaptée aux centres villes, mais ce n’est pas une solution à long terme.
M. Jacques Rigaudiat, conseiller maître. Sur l’empreinte écologique, il existe des études internationale et nationale ; nous nous référons aux chiffres du service statistique du ministère du développement durable (SOeS). La définition de l’empreinte fait l’objet, il est vrai, de discussions méthodologiques et de procédures lourdes.
Mais, pour les émissions nationales de CO2 et de gaz à effet de serre, nous acceptons des chiffres qui s’appuient également sur des règles conventionnelles. Je ne suis pas sûr que les modalités de calcul du potentiel de réchauffement global du protoxyde d’azote qui sont utilisées aujourd’hui seraient approuvées par un physicien. Mais elles ont été négociées et sont acceptées par tous aujourd’hui.
Dans les procédures nationales, il n’y a pas de recensement des émissions de CO2, l’évaluation reste conventionnelle même si elle obéit à des procédures.
Il ne faut pas sous-estimer la complexité actuelle. La mesure de l’empreinte écologique n’est pas plus contraignante que celle des émissions nationales, mais la difficulté tient à l’adoption d’une définition internationale ou européenne. La Conférence de Paris peut être l’occasion d’avancer dans cette voie.
L’empreinte et les émissions en France divergent complètement : la première est évaluée à 12 tonnes d’équivalent CO2 par habitant quand la seconde est de 8 tonnes. Cette différence s’explique par le contenu en carbone du solde du commerce extérieur et l’importation croissante de produits chinois fabriqués à partir d’une énergie très carbonée. Alors que les émissions sont passées de 10 tonnes en 2000 à 8 tonnes en 2011-2012, l’empreinte est passée de 11 à 12 tonnes. Si l’objectif est la lutte contre le réchauffement climatique, on ne peut pas se satisfaire du critère des émissions de gaz à effet de serre.
En matière d’intermittence, vous avez évoqué un rendement de 20 à 22 % pour le photovoltaïque. Le rapport prend en compte le facteur de charge, c’est-a-dire le nombre d’heures de production par rapport à la capacité disponible. Nous parvenons à 11-12 % pour le photovoltaïque et 20 % pour l’éolien. Il ne faut pas confondre la puissance installée avec la production électrique.
En France, 15 % de la production d’électricité sont le fait des énergies renouvelables ; 12 % proviennent de l’hydroélectricité, soit 80 % des énergies renouvelables. Les énergies intermittentes fournissent 3,5 % de la production – 0,7 % pour le photovoltaïque.
Le problème de ces énergies vient de ce que l’électricité produite est injectée de manière décentralisée en moyenne tension sur un réseau de distribution qui n’a pas été conçu pour cela. Le coût des investissements pour adapter les réseaux n’est donc pas seulement lié à la construction de lignes mais aussi à l’installation de stockage rapide.
Les investissements dans les réseaux nécessaires pour respecter l’objectif de 20 % d’énergies renouvelables d’ici à 2020 sont estimés à 5,5 milliards d’euros, dont 4,3 milliards selon ERDF pour la distribution et 1,2 milliard pour les transports selon RTE.
S’agissant de l’hydroélectricité, une très intéressante étude de l’ADEME sur les technologies de stockage montre que les capacités des stations de transfert de l’électricité par pompage (STEP) sont limitées à un terrawatt, ce qui ne correspond pas à l’ampleur des besoins.
Autre difficulté, les STEP comme les combinés charbon-gaz ne sont aujourd’hui pas rentables. C’est le cas en France et en Allemagne. Les technologies ne sont pas en cause. C’est le contexte énergétique mondial, durable selon nous, qui l’explique. Aux Etats-Unis, grâce au développement très rapide des gaz et huiles de schiste, l’économie est décarbonée, les gaz non conventionnels se substituant au charbon. Il en résulte des exportations massives de charbon américain qui font baisser les prix de ce dernier en Europe.
Le développement des énergies renouvelables suppose une solution alternative lors des creux de production : l’Allemagne utilise à cet effet le charbon, voire le lignite. La conséquence en est depuis trois ans une augmentation des émissions de CO2 pour la production d’électricité en valeur absolue et relative.
Le développement des gaz non conventionnels va bouleverser durablement la donne et avoir un effet sur le prix relatif du charbon alors que le marché du carbone, qui se voulait un instrument de régulation, est un échec.
Mme Brigitte Allain. Vous mettez en avant l’empreinte énergétique globale au détriment des émissions de carbone. Il importe, selon moi, de prendre en considération l’efficience économique et sociale liée au manque d’efficacité énergétique.
Mon propos porte sur la sobriété dans l’agriculture, qui inspire l’agroécologie.
L’utilisation d’engrais issus des énergies fossiles est également une source d’importation de CO2 et de dépense énergétique liée au transport. Connaît-on le coût des pollutions diffuses en énergie pour dépolluer ?
La fausse solution des plantes énergétiques vient d’être évoquée. La méthanisation est intéressante si elle produit de l’énergie nette. On peut s’interroger en revanche sur les cultures dédiées. Je salue les propos de la ministre qui vont dans le sens d’une interdiction.
La stratégie de la grande distribution en France, fondée sur du zéro stock et l’absence de regroupement territorial, fait qu’il coûte plus cher au producteur de livrer en France que d’exporter. A chaque fois qu’on délocalise, on crée du chômage et des coûts énergétiques.
M. Hervé Pellois. Vous avez dénoncé les situations de rente créées par le laxisme de l’État, notamment pour le photovoltaïque. Les chiffres sur le coût de la tonne de CO2 évitée sont à cet égard édifiants. Personne ne remet en cause la diversification des sources d’approvisionnement, mais quelle pourrait être l’aide optimale au photovoltaïque pour favoriser un développement à un coût compatible avec l’efficacité énergétique ?
M. Alain Suguenot. Votre réponse sur l’empreinte énergétique est d’une grande clarté.
Pensez-vous que le paquet législatif, malgré les positions un peu tièdes de la Commission, permettra de mettre en place une politique européenne de l’énergie plus soutenable et durable dont la situation en Ukraine confirme la nécessité ?
L’objectif d’améliorer l’efficacité énergétique de 20 % en 2020 est-il réalisable alors que la réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % nécessitera une hausse des économies d’énergie de 25 % en 2030 ?
Il y a urgence à rassurer les entreprises du secteur des énergies propres confrontées à la réduction des engagements européens en matière d’efficacité énergétique, au risque de voir celles-ci se délocaliser.
Mme Annick Le Loch. On évoque peu le transport maritime ou le cabotage alors que celui-ci pollue peu – 1,4 % des émissions de gaz à effet de serre. Avez-vous abordé ce sujet ? Quels investissements peut-on envisager dans ce secteur ?
Même question pour l’utilisation du potentiel naturel des ressources, très conséquent dans notre pays – le vent, les marées, la houle. Le développement de l’hydrolien et de l’éolien en mer fait partie des ambitions de notre pays. Quels sont les investissements nécessaires pour atteindre les objectifs en matière d’énergies renouvelables ? Quels sont les freins éventuels à lever ? Nous connaissons les difficultés de financement des projets dans ces domaines.
Mme Audrey Linkenheld. L’évaluation des bénéfices et des coûts du crédit d’impôt développement durable est intéressante. Votre rapport dit très bien que la meilleure manière de diminuer les émissions consiste à économiser nos énergies. Comment inciter davantage les personnes physiques à faire des travaux d’isolation des toits et des murs dans les bâtiments ?
Mme Delphine Batho. Une étude de l’INRA de 2009 montre qu’en introduisant 6 % de lin dans la ration des vaches, on diminue de 27 à 30 % les émissions de méthane.
J’approuve le critère de l’empreinte écologique qui ne se substitue pas à celui des émissions car il les prend en compte. On sait que l’empreinte carbone des produits consommés a augmenté en France de 15 % au cours des vingt dernières années du fait de la délocalisation de notre production.
Je crois à la cohérence des trois objectifs ensemble. Je partage votre souhait de donner la priorité aux économies d’énergie, mais cet objectif est le moins contraignant au niveau européen et celui sur lequel nous sommes le plus en retard.
Je crois également à un modèle français de transition énergétique fondé sur la complémentarité des énergies décarbonées – nucléaire et énergies renouvelables. Je récuse le procès fait à ces dernières. L’enjeu est de les amener le plus rapidement possible à maturité économique. Il est vrai que le mécanisme de soutien choisi par la puissance publique n’était pas adapté à la phase transitoire dans laquelle elles se situent. Il faut signaler qu’en Allemagne, la hausse des émissions de CO2 est moins imputable aux énergies renouvelables qu’au transfert du gaz vers le charbon.
Enfin, puisse Bercy vous entendre sur le Fonds chaleur afin que la France développe massivement la chaleur renouvelable, y compris le solaire thermique.
Mme Béatrice Santais. Je souhaite défendre le solaire thermique. Je n’accepte pas vos propos sur la durée de vie des panneaux solaires. Il s’agit d’un mauvais procès car j’ai la preuve que cette durée de vie est longue.
L’Institut national de l’énergie solaire mène des travaux qui permettraient de régler le problème de l’empreinte écologique du photovoltaïque en créant une industrie française. Il faut aider la recherche afin que l’industrie puisse prendre le relais.
Les trois objectifs du Paquet énergie-climat sont complémentaires. Ils obligent à modifier notre modèle de consommation et notre modèle de production, qui est en France particulier. Le recours aux énergies renouvelables garantira la stabilité des charges en matière d’énergie pour les foyers. Le solaire thermique demande un investissement initial, mais il permet de lutter contre la précarité énergétique. Cette question nous oblige à réfléchir constamment aux trois objectifs.
M. Alain Resplandy-Bernard, conseiller référendaire. La priorité donnée aux travaux d’isolation se heurte à une difficulté : la durée de rentabilité des investissements est plus longue que la durée de vie des matériaux utilisés, ce qui n’est guère encourageant en l’absence de d’incitation.
Afin d’encourager davantage à entreprendre ces travaux, deux mesures doivent être mises en avant : la première, qui n’est pas encore aboutie, porte sur le partage des bénéfices entre locataire et propriétaire – il s’agit d’améliorer la rentabilité pour le propriétaire qui finance les travaux. Des travaux existent actuellement sur le tiers financeur. La seconde mesure est le certificat d’économie d’énergie. Cet instrument doit être revisité et débarrassé de ses lourdeurs administratives pour une pleine efficacité.
M. Arnold Migus. Le rapport ne critique absolument pas les énergies renouvelables, il émet des réserves sur les politiques mises en œuvre.
Sur le solaire thermique, nous disons que l’empreinte sur le climat des panneaux, pour une durée de vie de trente ans, est négative lorsque les plaques qui les composent sont achetées en Chine. Il est préférable de fabriquer en France.
Le problème de l’intermittence ne se posera pas d’ici à 2020, les autres sources d’énergie suffisent. En revanche, RTE émet des réserves sur la sécurité des approvisionnements du fait du circuit européen. Une politique européenne s’impose sur ce sujet, mais les politiques nationales divergent.
M. Christian Descheemaeker. En matière d’agriculture, ce qui compte au regard du climat, c’est le nombre de vaches, plutôt que leur position géographique. À terme, nous devrons modifier notre consommation de viande et revenir ainsi à la pratique ancienne.
Le transport a été évoqué pour les engrais, mais il n’est pas seul en cause. Le problème pour l’agriculture n’est pas le CO2 ; ce sont les autres gaz à effet de serre. Pour atteindre les objectifs de réduction des émissions, il faut ainsi diminuer la quantité d’engrais utilisée et adapter les méthodes de fertilisation. Cette modification des pratiques repose sur une évolution lente des comportements.
Mme Frédérique Massat, présidente. La loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt devrait y contribuer.
M. Christian Descheemaeker. Le rapport est muet sur le transport maritime, qui est économe sur de nombreux plans.
M. Arnold Migus. Les statistiques en matière de transports ne tiennent pas compte du transport international de marchandises et de passagers, y compris pour l’aviation.
M. Christian Descheemaeker. Le rapport n’aborde pas non plus les techniques de production d’énergie liées à la houle ou à la marée – la Cour ne les a pas étudiées.
S’agissant de l’éolien en mer, les obstacles sont avant tout financiers. Alors que l’éolien terrestre atteint péniblement l’équilibre économique, l’implantation des éoliennes en mer demeure très coûteuse et complexe du fait de l’éloignement de la terre notamment. L’Allemagne et la Grande-Bretagne rencontrent également des difficultés. En revanche, les Danois sont très avancés dans ce domaine car leur modèle de production, aidé par la géographie – une mer peu profonde et la proximité de la Suède et de la Norvège qui assurent le stockage –, permet une production intermittente à coût raisonnable. Mais partout ailleurs, l’enthousiasme initial s’est dissipé au vu de l’addition.
Afin de trouver un vent suffisant, les éoliennes doivent être implantées au nord de l’Europe – les caractéristiques du vent en Méditerranée rendent celui-ci sans intérêt pour les éoliennes – ce qui engendre d’importantes contraintes géographiques. On ne sait pas à quelle échéance les éoliennes en mer seront rentables, d’autant que les difficultés techniques sont multiples.
Alors que les débats mettent l’accent sur l’électricité, la chaleur renouvelable est une voie intéressante. Il est plus pertinent techniquement de produire directement de la chaleur plutôt que de produire de l’électricité qui ensuite fournit de la chaleur.
Quant à la maturité des énergies renouvelables, on ne sait pas à quel moment elle interviendra, mais on sait qu’elle ne sera pas concomitante pour chacune d’entre elles.
En matière de stockage électrique, les progrès sont très lents, rendant ainsi les prévisions difficiles.
M. Arnold Migus. Le panorama en matière de stockage montre qu’il ne faut pas désespérer. De nombreux démonstrateurs fonctionnent dans les laboratoires, mais le développement industriel n’est pas encore à l’ordre du jour. L’Allemagne a choisi les voies de l’hydrogène et de la méthanation, dont on ne connaît pas encore les rendements et les coûts.
Le coût des investissements nécessaires à la réalisation de l’objectif en matière d’énergies renouvelables, chaleur comprise, s’établit entre 64 et 110 milliards d’euros.
Le mix énergétique doit utiliser l’ensemble des énergies. À cet égard, les énergies renouvelables comme les éoliennes ou les hydroliennes sont intéressantes, mais elles sont marginales.
M. Jacques Rigaudiat. S’agissant de la possibilité d’atteindre les objectifs pour 2020, il ressort de notre rapport que, pour les émissions et l’efficacité énergétique, les prévisions sont optimistes et fragiles et qu’elles pourraient l’être davantage en cas de reprise économique durable.
En matière d’énergies renouvelables, les objectifs seront difficiles à tenir malgré les progrès réalisés. Les besoins d’investissement sont importants pour combler le retard accumulé.
Quant aux mécanismes de soutien aux énergies renouvelables, nous reprenons le dernier rapport publié par la Cour sur ce sujet.
Enfin, s’agissant des trois objectifs, nous estimons que cette méthode n’est pas satisfaisante au niveau européen tant les situations nationales diffèrent. La définition d’un objectif pour l’empreinte écologique, qui se substituerait aux émissions, sans fixer un pourcentage, serait préférable. Le pourcentage pénalise les pays peu carbonés comme le nôtre.
Mme Brigitte Allain. Vous n’avez pas évoqué l’apport de la forêt pour absorber le gaz carbonique.
M. Arnold Migus. La comptabilisation des puits carbone est très récente. La France est bien placée, mais la mise en œuvre d’une politique des bois se heurte à la parcellisation de ces derniers.
En matière de transports, les mesures comme le schéma national d’infrastructures de transport sont onéreuses, mais celles qui promeuvent un changement de comportement – plus de passagers par voiture, par exemple – ne coûtent rien.
Selon les chiffres du ministère de l’environnement, sur cinquante ans, pour économiser 150 millions de tonnes de CO2, soit 3 millions par an, il faut investir 240 milliards d’euros. Sur une année, cela retarde de trente minutes les émissions dans le monde. On aboutit à un coût de 80 millions d’euros à la minute… Cette politique coûte cher alors que la politique d’explication est très économique.
Mme Frédérique Massat, présidente. Messieurs, je vous remercie de nous avoir présenté votre rapport demandé par le Parlement et d’avoir bien voulu répondre à nos questions.
M. Christian Descheemaeker. Je vous remercie, madame la présidente. Je tenais à vous dire notre intérêt à venir devant vous évoquer ce sujet passionnant.
——fpfp——
Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Réunion du mercredi 30 avril 2014 à 9 heures
Présents. - M. Damien Abad, Mme Brigitte Allain, M. Frédéric Barbier, Mme Delphine Batho, M. Thierry Benoit, M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, M. Christophe Borgel, M. Jean-Claude Bouchet, M. François Brottes, M. André Chassaigne, M. Dino Cinieri, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Christian Franqueville, M. Franck Gilard, M. Georges Ginesta, M. Daniel Goldberg, Mme Pascale Got, M. Jean Grellier, Mme Anne Grommerch, M. Razzy Hammadi, M. Antoine Herth, M. Henri Jibrayel, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Luc Laurent, M. Michel Lefait, Mme Annick Le Loch, Mme Annick Lepetit, M. Philippe Le Ray, Mme Audrey Linkenheld, Mme Marie-Lou Marcel, M. Philippe Armand Martin, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Kléber Mesquida, M. Yannick Moreau, M. Hervé Pellois, M. Dominique Potier, M. Patrice Prat, M. François Pupponi, M. Franck Reynier, Mme Béatrice Santais, M. François Sauvadet, M. Éric Straumann, M. Alain Suguenot, M. Lionel Tardy, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Jean-Marie Tetart, Mme Catherine Troallic, M. Fabrice Verdier
Excusés. - M. Bruno Nestor Azerot, Mme Ericka Bareigts, M. Joël Giraud, M. Philippe Kemel, M. Thierry Lazaro, M. Serge Letchimy, M. Germinal Peiro, Mme Josette Pons, M. Bernard Reynès, M. Jean-Paul Tuaiva, Mme Catherine Vautrin
Assistaient également à la réunion. - M. Jean-Pierre Barbier, M. Serge Bardy, M. Philippe Baumel, M. Alain Chrétien, M. Yves Fromion, M. Jean-Pierre Gorges, M. Christophe Léonard, M. Paul Molac, Mme Monique Rabin, M. Marcel Rogemont, Mme Sophie Rohfritsch, Mme Suzanne Tallard, M. François Vannson