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Commission des affaires économiques

Mercredi 30 avril 2014

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 74

Présidence de Mme Frédérique MASSAT Vice-Présidente

– Présentation, ouverte à la presse, du rapport de la mission d’information sur l’impact économique de l’exploitation des hydrocarbures de schiste au niveau mondial (M. Frédéric Barbier, rapporteur)

La commission a examiné le rapport de la mission d’information sur l’impact économique de l’exploitation des hydrocarbures de schiste au niveau mondial sur le rapport de M. Frédéric Barbier.

Mme Frédérique Massat, vice-présidente de la Commission des affaires économiques. Nous examinons aujourd’hui le rapport de la mission d’information sur l’impact économique de l’exploitation des hydrocarbures de schiste au niveau mondial. Avant de laisser la parole au rapporteur, M. Frédéric Barbier, voici le message que le président de la Commission des affaires économiques, M. François Brottes, souhaitait que je vous transmette, et qui s’adresse plus particulièrement à M. Barbier :

« Mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir excuser mon absence aujourd’hui. Je suis retenu par les dernières auditions de la commission d’enquête sur le coût de la filière nucléaire. Je tiens à m’excuser tout particulièrement auprès de notre collègue Frédéric Barbier qui partage une dernière fois les bancs de notre commission…. Avant, je l’espère, de revenir parmi nous. Je veux ici le remercier pour le travail considérable qu'il a accompli dans le cadre de cette mission d’information. Bravo, cher ami pour le résultat auquel vous êtes parvenu, vous pouvez en être fier. »

Je me permets de vous remercier à mon tour, cher Frédéric, au nom de la Commission et en mon nom propre, pour votre investissement sur cette mission et dans le travail législatif en général, notamment dans le cadre du projet de loi sur la consommation. Après ces deux années quasi-complètes à nos côtés, je suis certaine que les occasions de travailler ensemble sur des sujets sur lesquels vous avez recueilli une vraie expertise se présenteront bientôt.

Je vous laisse la parole pour présenter votre rapport, en rappelant que cette mission d’information a été lancée au mois de juillet 2013. Il ne s’agissait en aucun cas de rouvrir le débat sur l’exploitation des gaz de schiste, mais de décrire cet élément de contexte qu’est l’exploitation de ces hydrocarbures aux Etats-Unis et ses conséquences sur les filières énergétiques et l’industrie françaises. Les membres de cette mission sont : Frédéric Barbier, Yves Blein, Marie-Hélène Fabre, Fabrice Verdier, Michèle Bonneton, Jean-Claude Bouchet, Josette Pons, Éric Straumann, André Chassaigne, Joël Giraud et Jean-Paul Tuaiva.

À l’issue de votre présentation et des questions, la Commission votera pour l’autorisation de la publication de ce rapport.

M. Frédéric Barbier. Je vous remercie, Madame la présidente ainsi que François Brottes, pour vos bons mots et pour m’avoir donné la possibilité de présenter ce rapport malgré le contexte précipité. Je remercie également les personnes présentes pour un sujet comme les gaz de schiste qui suscite tout de même un vif intérêt. Pour clore cette « séquence émotion », j’ai mesuré le travail considérable qui était celui de la Commission des affaires économiques et l’atmosphère de convivialité qui y régnait : cela ne nuit pas de travailler dans un climat serein, loin de là !

La Commission des affaires économiques a décidé, dès le début de la législature, de lancer une mission d’évaluation de l’impact économique de l’exploitation des gaz de schiste au niveau mondial. Pourquoi un tel sujet ? Suivant l’intuition de son président, elle a considéré que le phénomène des gaz de schiste américains pouvait avoir des répercussions très fortes sur l’économie européenne, et devait donc à ce titre être pris en compte dans le cadre du débat sur la transition énergétique. Je peux d’ores et déjà vous indiquer sans briser le suspense que cette intuition est fondée : c’est une certitude, la révolution des gaz de schiste aura des conséquences, malheureusement très défavorables, sur l’économie européenne.

J’ai eu l’honneur de conduire cette mission aux côtés d’Yves Blein et Marie-Hélène Fabre, que je remercie tout particulièrement pour leur participation, ainsi que Michèle Bonneton. Nous avons auditionné environ 25 acteurs, soit 50 personnes et il nous est apparu, à la fin de notre programme, que les choses revenaient de façon récurrentes, que les chiffres annoncés lors des premières auditions étaient sensiblement les mêmes que ceux que l’on retrouvait par la suite. J’ai été interrogé sur la nature pessimiste ou optimiste de ce rapport, notamment en comparaison avec les conclusions d’une étude de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI). En réalité, il n’est ni l’un ni l’autre : il est la synthèse des auditions que nous avons pu mener, des contributions des acteurs et des éléments recueillis dans divers rapports.

Il s’agissait d’étudier l’impact économique des gaz de schiste au niveau mondial : un tel cahier des charges n’appelait donc pas précisément de préconisations particulières, mais nous nous sommes tout de même permis de tirer quelques grandes conclusions, qui, je l’espère, attireront l’attention de ceux qui auront à débattre du projet de loi sur la transition énergétique.

J’évoquerai aujourd’hui, dans un premier temps, la situation américaine, avant d’en décrire les conséquences pour l’Europe et, enfin, de décrire les conséquences à en tirer. Ainsi que Mme la présidente l’a rappelé, il ne s’agit pas de raviver les oppositions sur la fracturation hydraulique, mais d’évoquer l’impact économique. À quel prix le gaz de schiste peut-il être exploité en France ? En fin de compte, à quoi bon rouvrir un débat pour une énergie si celle-ci n’était pas compétitive par rapport aux prix de marché européen ?

Faisons sept mille kilomètres à l’Ouest et rendons nous aux États-Unis pour un premier temps de cette présentation. La révolution des hydrocarbures de schiste : qu’est-ce que c’est ? Je signale en incise que j’emploierai pour des raisons de commodité le terme d’hydrocarbures « de schiste », même si certains spécialistes comme Pierre-René Bauquis nous ont indiqué qu’ils préféraient le terme de « roche mère ». La révolution des hydrocarbures de schiste, c’est la conjugaison de trois facteurs favorables : un tissu d’entreprises très dynamiques, le développement d’une nouvelle méthode de production grâce à l’utilisation combinée de deux techniques répandues – la fracturation hydraulique et le forage horizontal – ; un cadre juridique favorable – une réglementation environnementale peu stricte au départ et une propriété du sous-sol aux propriétaires des terrains.

Il s’agit d’une authentique révolution car les gaz de schiste représentent désormais 35 % de la production américaine de gaz. Les États-Unis sont devenus très rapidement le premier producteur mondial de gaz depuis 2010 devant les Russes. La synthèse qui vous a été distribuée contient un graphique qui illustre la progression du gaz de schiste dans la production américaine totale de gaz ; il en représente désormais la composante la plus importante.

Entre 2008 et 2013, la production de pétrole – il y a aussi des pétroles de schiste – a augmenté de près de 50 % aux États-Unis, passant de 5 millions de barils par jour à 7,4 millions de baril par jour. Dans ce total, le pétrole de schiste – « tight oil » – représentait 3 millions de barils par jour en 2013. Je signale au passage que les chiffres de production diffèrent assez sensiblement selon les sources, car ils dépendent de la méthode de comptabilisation. Grâce à la production d’huiles de schiste, les États-Unis ont annulé 30 ans de baisse de leurs réserves et la part des importations dans la consommation américaine de pétrole est passée de 59 % en 2007 à 34 % en 2013.

Quels que soient les scénarios, il s’agit d’un phénomène durable. Certains nous ont affirmé que les gaz de schiste étaient une bulle spéculative. Ils s’appuient sur un argument technique : la production de gaz décroît très fortement au cours de la première année de mise en service du puits. Mais cet argument n’est pas suffisant : on peut constater que les Américains continuent de développer et de mettre en production de nouveaux puits. Dans le même temps, les techniques progressent : le forage horizontal va plus loin – 1,5 kilomètre aujourd’hui, davantage demain – et le taux de récupération des hydrocarbures par la fracturation hydraulique s’accroît. Si bien que leurs ressources techniquement récupérables sont estimées à 93 ans. Preuve supplémentaires, les grandes compagnies pétrochimiques engagent des investissements considérables, comme nous le verrons tout à l’heure. Les États-Unis deviendront exportateurs de GNL à partir de 2016 et stabiliseront leurs importations de pétrole jusqu’en 2030.

La révolution des gaz de schiste s’est accompagnée d’une baisse des prix du gaz qui a entraîné un bénéfice économique et environnemental pour les États-Unis.

Tout d’abord, les consommateurs ont obtenu un rabais de 30 % sur leur facture de gaz annuelle entre 2005 et 2012 : les ménages américains ont vu leur pouvoir d’achat s’améliorer. De même, les industriels profitent d’un prix de l’électricité équivalent à 40 % du prix payé par les industries européennes. L’électricité y est produite de façon croissante à partir du gaz au lieu du charbon. Quant aux prix de détail du gaz, ils sont parmi les plus bas au monde, de l’ordre de 10 euros par mégawattheure (€/MWh), soit l’équivalent des prix russes, contre 35€/MWh en Chine et 40€/MWh en Union européenne. Ces prix de détails sont la conséquence d’un prix de marché très faible : 3,7 dollars par million de btu ($/Mbtu) en 2013 et autour de 4,4 $/Mbtu sur le long terme, contre 10-12$/Mbtu sur les marchés européens et 16$/Mbtu sur les marchés asiatiques. Le Mbtu (British termal unit) est une unité de mesure énergétique anglo-saxonne, équivalente à 293 kilowattheures. Retenez ces ordres de grandeur : ils sont très importants pour comprendre les prévisions d’exportations américaines.

Ce phénomène de baisse des prix conduit à un âge d’or des industries énergo-intensives nord-américaines, en particulier la pétrochimie. Il s’agit d’une conséquence très importante de la révolution des gaz de schiste : et c’est l’un des points saillants des travaux de notre mission. Comment l’expliquer ? De plus en plus, les producteurs de gaz de schiste américain valorisent la production de liquides de gaz naturel, et considèrent le méthane comme un co-produit. Par exemple, la production d’éthane a cru de 38 % entre 2008 et 2012, ce qui a fait baisser son prix de 55 % sur la même période. Comme son nom l’indique, l’éthane est utilisé par la pétrochimie, en concurrence avec le naphta, pour la production de l’éthylène. En raison de l’effondrement des prix de l’éthane et, parallèlement, de la hausse du prix du naphta, indexé sur le prix du pétrole, les vapocraqueurs fonctionnant sur base éthane sont très compétitifs. Leur coût de production est de 350 dollars la tonne, contre 1 100 dollars la tonne pour les vapocraqueurs sur base naphta.

L’éthylène est l’un des grands intermédiaires de la production de plastique, dont nous aurons un besoin croissant dans les prochaines années. Par exemple, nous parviendrons à la voiture « deux litres » par l’allègement du véhicule, grâce au recours au plastique en substitution du métal. La rénovation thermique (fenêtres, bardages, etc.) repose également sur le plastique. La pétrochimie nord-américaine est idéalement placée sur ces marchés. De nombreuses sociétés souhaitent investir dans de nouvelles capacités de production aux États-Unis pour y bénéficier de l’effet prix induit par les gaz de schiste : 90 milliards de dollars d’investissements entreront en service à partir de 2016, dont 50 % par des sociétés non américaines. Ces sociétés n’exporteront sans doute pas l’éthylène, dont le coût de transport est élevé, mais elles exporteront du polyéthylène, très facilement transportable, et des produits finis.

Enfin, les Américains exporteront bientôt leur gaz. Ce gaz ira très probablement en Asie, où le prix du gaz est le plus élevé. Un tel mouvement permettra peut-être au marché asiatique de combler son différentiel de compétitivité avec le marché européen : la différence entre les 16 $/Mbtu asiatiques et les 10-12 $/Mbtu en Europe se réduira de facto.

A l’inverse, l’Europe est la grande perdante de la révolution du gaz de schiste.

La révolution des gaz de schiste est en grande partie responsable de la fermeture des centrales à gaz européennes. Moins compétitif sur le marché américain, le charbon s’exporte sur le marché européen, où il alimente des centrales thermiques anciennes qui viennent directement remplacer le gaz comme moyen de production d’électricité. Les énergéticiens européens ont lancé une alerte – nous avions reçu ici même Gérard Mestrallet qui s’en était fait l’écho – : ils envisagent la mise sous cocon, voire la fermeture de 50 GW de capacités électriques. Par comparaison, les deux réacteurs de Fessenheim représentent 1,8 GW de puissance. L’arrivée du charbon américain en Europe représente la fermeture de 25 Fessenheim et, pour GDF Suez, la dépréciation de 14,5 milliards d’euros d’actifs.

La pétrochimie européenne va rencontrer des difficultés supplémentaires. Fonctionnant à 75 % sur base naphta, elle ne pourra pas lutter contre sa concurrente américaine. Le cas de Total l’illustre bien : l’entreprise va investir à Port Arthur, aux États-Unis, pour convertir l’un de ses vapocraqueurs de la base naphta à la base éthane. Certains secteurs utilisant le gaz intensivement, comme matière première ou source d’énergie, seront également directement touchés : les engrais et fertilisants, l’acier, etc.

Enfin, comme je l’ai indiqué précédemment, c’est l’Asie qui profitera sans doute du gaz américain, et non l’Europe.

Nous sommes donc face à deux défis : relancer la production d’électricité à partir de gaz et soutenir les industriels énergo-intensifs, dans une situation de concurrence féroce face à leurs homologues américains. De quels leviers disposons-nous pour ce faire ? Le premier d’entre eux, celui qui vient assez naturellement à l’esprit – je vois que les regards du banc écologiste se tournent vers moi –, c’est l’exploitation des gaz de schiste sur notre territoire. Selon ce que certains ont affirmé, les réserves du sous-sol français seraient très prometteuses : pourquoi, alors, ne pas reproduire le miracle américain ?

M. Frédéric Barbier, rapporteur. Encore une fois, je l’ai dit, nous ne nous sommes pas du tout penchés sur la fracturation hydraulique. Nous nous sommes centrés sur l’aspect économiques, et la conclusion était assez claire : la rentabilité d’une exploitation en France est assez aléatoire. Les entreprises que nous avons rencontrées, comme Total, Exxon et d’autres, ont eu un discours très différent de celui auquel nous nous attendions. Ils nous ont dit que la rentabilité française ne serait pas la rentabilité américaine. Alors que le prix du gaz s’élève à 4 dollars le Mbtu aux États-Unis, tout concourt à penser que nous serions plutôt autour des 8-9 dollars en Europe car le cadre fiscal, juridique et environnemental n’est pas le même et l’acceptation des populations non plus. Les prix en Pologne sont d’ailleurs autour des 8-9 dollars. Beaucoup d’entreprises d’extraction ont déjà quitté le territoire. La Pologne, à mon avis, sera une illustration et il sera donc intéressant d’en faire un retour d’expérience. La situation à laquelle nous faisons face est simple : d’un côté, la fracturation hydraulique est interdite aujourd’hui et les techniques alternatives ne pourront pas être mises en œuvre avant plusieurs années. De l’autre, les problèmes de compétitivité des entreprises françaises sont immédiats : ils frapperont notre économie d’ici un an ou deux, à partir du moment où les Américains commenceront à mettre, ne serait-ce que sur la pétrochimie, leurs investissements en route et produiront massivement un certain nombre de produits à partir de l’éthane et de l’éthylène.

La première question est donc : faut-il attaquer le débat par la fracturation hydraulique ou faut-il avant toute chose confirmer le coût auquel nous serions capables, en France, d’extraire du gaz de schiste ? Si ce coût est de 8 ou 9 dollars le Mbtu, cela en vaut-il la chandelle par rapport aux prix actuels du marché qui sont de 10 à 12 ? Cela serait certainement de nature à favoriser une meilleure négociation avec les pays qui nous fournissent. Mais dans le même temps, nous sentons bien que, pour tuer une industrie qui naîtrait en France sur le gaz de schiste, ces pays pourraient faire baisser les prix, comme ils l’ont fait en Ukraine à une certaine époque, sur quelques mois ou quelques années de façon à ce que nos productions ne soient plus rentables. Ce risque est aussi à prendre en compte.

Sur la question de l’exploitation du gaz de schiste en France, nous ne sommes pas allés plus loin. A titre personnel, je le redis ici, je suis favorable à la recherche économique afin de valider le prix auquel nous serions capables d’extraire le gaz de schiste. Si nous avons des réserves dans nos territoires, je ne serais pas opposé, à titre personnel, à ce que l’on sache effectivement ce que l’on a en termes de potentiel. Cela permettrait peut-être de tuer le débat de manière définitive si, comme on le constate en Pologne, l’eldorado du gaz de schiste n’est pas au rendez-vous.

Le deuxième levier d’action est l’augmentation du prix du carbone. Comme nous l’avons évoqué avec la direction climat de la Commission européenne, je pense que nous ne pouvons pas laisser nos énergéticiens dans la situation dans laquelle ils sont aujourd’hui. Ils ont beaucoup investi, ont été obligés de déprécier des actifs et, dans le même temps, ont émis massivement du CO2 en produisant de l’électricité à base de charbon alors que nous avons des équipements alternatifs tout à fait intéressants. Je pense qu’il faut réformer rapidement le marché du CO2. L’Europe en est d’ailleurs aussi convaincue. Il y avait des quotas, qui étaient certainement corrects à l’époque où ils ont été définis, mais depuis, avec la crise économique, le développement des énergies renouvelables et l’amélioration de l’efficacité énergétique de certains pays, le prix du carbone est tombé à 5 euros la tonne. Pour relancer nos centrales classiques au gaz, il faudrait plutôt qu’il soit à 30 euros la tonne. Réformons donc notre marché du carbone, de façon à ce qu’à terme nous revenions sur une production d’électricité à partir de gaz, qui est d’ailleurs complémentaire avec les énergies renouvelables, et non à partir de charbon, émetteur de gaz à effet de serre.

Le troisième levier, qui est aussi notre conclusion la plus importante et ce sur quoi portait notre mission, concerne les problèmes que vont rencontrer nos industries fortement consommatrices d’énergie, c’est-à-dire celles pour lesquelles la part de l’énergie dans le produit fini est importante. Celles-ci vont se trouver dans une concurrence féroce, quasi-déloyale, très rapidement à partir de 2015-2016, face aux entreprises américaines. Dans le débat qu’il y aura sur la transition énergétique, il faudra donc y penser et favoriser à chaque fois, le plus possible, l’accès de ces entreprises à une énergie compétitive en jouant sur les trois composantes du prix de l’énergie : l’accès aux réseaux, la fourniture de l’énergie et les taxes. Cela passe par une sensibilisation de l’Europe, de la part de notre pays, de façon à ce que nos industries énergo-intensives puissent avoir accès à une énergie la moins cher possible en agissant sur ces trois composantes. Nous avons un statut des énergo-intensifs en électricité, un également en gaz, il faut poursuivre dans ce sens-là.

Mme Frédérique Massat, vice-présidente de la commission des affaires économiques. Merci monsieur le rapporteur pour ce travail très fouillé et très intéressant qui servira à nos futurs travaux sur la transition énergétique. Votre conclusion et vos pistes en matière de compétitivité pour nos industries sont une préoccupation pour notre commission et l’ensemble de nos collègues.

M. Éric Straumann. Je salue le travail équilibré et approfondi du rapporteur Frédéric Barbier qui me paraît pertinent. La loi de 2011, que notre majorité avait votée, était nécessaire au moment où elle a été adoptée parce que nous n’avions pas le niveau de connaissance que nous avons aujourd’hui. Pour autant le débat ne doit pas être clos car il y a un enjeu considérable lorsqu’on voit l’impact de ce gaz sur la production mondiale de gaz. Comme vous l’avez rappelé, les États-Unis sont devenus le premier producteur de gaz depuis 2010. Le gaz est aujourd’hui quatre fois moins cher aux États-Unis par rapport à l’Europe, ce qui va poser un problème d’attractivité pour les industries européennes et de pouvoir d’achat pour les particuliers. Il y a également un aspect stratégique qu’il faut soulever. Comme vous l’avez dit, on parlait, il y a quelques années, de bulle mais aujourd’hui on se rend compte que les stocks américains représentent 90 années de réserve. Il s’agit donc aussi d’un élément de notre indépendance énergétique. D’après vous, monsieur le rapporteur, vous paraît-il utile de revoir la loi de 2011 afin de permettre des forages exploratoires auxquels vous semblez a priori plutôt favorable ? Ensuite, concernant Fessenheim, vous savez que le gouvernement a annoncé la fermeture du site. L’une des idées évoquées dans le cadre de la reconversion du site est l’installation d’une centrale à gaz. Ne serait-ce pas contradictoire avec ce que vous nous avez indiqué, à savoir que nous nous apprêtons à fermer 50 gigawatts de capacité au niveau européen ?

Mme Delphine Batho. Je salue également le rapporteur. Il n’y a, pour moi, pas de surprise dans ce que j’ai entendu. Le rapport contribue à démystifier le prétendu miracle économique qu’il y aurait derrière l’exploitation des gaz de schiste. Pour être clair, les États-Unis ont en réalité inventé le dumping environnemental. Dans les prix qui sont donnés, les dégâts environnementaux ne sont pas comptabilisés. Ces dégâts environnementaux seront supportés par la collectivité et par les générations futures. Ils sont considérables : 200 000 forages, 3 milliards de mètres cubes d’eau polluée avec un certain nombre de substances chimiques qui sont soit stockés dans les sous-sols, soit à l’air libre. C’est une réalité qui est passée sous silence dans le prix américain du gaz. De ce point de vue, l’étude de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), que vous avez évoquée, est intéressante sur le fait que seuls certains secteurs de l’économie américaine, qui représentent 1,2 % du PIB, profitent du faible coût du gaz. Il existe d’ailleurs des contradictions et des tensions entre le secteur de la chimie par exemple, qui en profite, et celui de l’extraction du gaz qui, en raison du faible prix, se retrouve face à un problème de surproduction et souhaiterait davantage exporter sa technologie. En revanche, je ne suis pas tout à fait d’accord avec l’expression « L’Europe, grande perdante de la révolution du gaz de schiste », que vous utilisez. Je pense qu’il est plus juste de dire que l’Europe subit aujourd’hui une concurrence déloyale sans réagir. C’est l’inertie européenne qui est un problème. Je crois personnellement qu’il faut refuser les gaz de schiste et la position de la France à cet égard, au niveau mondial, est très importante. La question de la fracturation hydraulique, c’est-à-dire celle de la technique d’exploitation, est absolument majeure. Ce n’est pas un sujet secondaire. Il en est de même pour la question de l’effet de serre car le bilan en matière de méthane de l’exploitation du gaz de schiste est bien plus catastrophique que ce qui est dit. Mais le problème pour l’Europe est d’avoir une alternative au gaz de schiste. C’est l’enjeu de la transition énergétique. De ce point de vue-là, je souscris entièrement à ce que dit le rapporteur. Nous avons besoin d’un choc de compétitivité pour les industries électro-intensives et gazo-intensives. Nous devons, dans le cadre de la transition énergétique, apporter une réponse à leurs problèmes. C’est l’enjeu aussi des débats actuels sur l’avenir de l’hydroélectricité.

Mme Michèle Bonneton. Merci monsieur le rapporteur pour votre travail. Vous avez bien noté la grande différence de l’intérêt de l’extraction non conventionnelle des hydrocarbures de roche-mère entre les États-Unis et la France. La densité de population n’est pas la même dans les zones d’extraction aux États-Unis et en France. Ces hydrocarbures, lorsqu’on les brûle, sont fortement émetteurs de gaz à effet de serre. Le méthane, par exemple, est 20 fois plus efficace pour l’effet de serre que le dioxyde de carbone. Les facilités que semblent offrir ces hydrocarbures ne vont pas dans le sens d’une meilleure efficacité énergétique, ce qui est pourtant un axe très fort à développer pour limiter le réchauffement climatique. Ce changement climatique aura un coût très important que l’on ne peut pas négliger. Le rapport de Nicholas Stern, vice-président de la Banque mondiale, en 2006, avait estimé un coût sur dix ans à 5 500 milliards d’euros. Peut-on, dans ces conditions, parler de « bénéfice environnemental » dû à ces hydrocarbures non conventionnels ?

Par ailleurs, du fait de l’économie de la France, pour laquelle le tourisme apporte une part non négligeable, a-t-on chiffré l’impact sur le tourisme en France que pourrait éventuellement avoir l’implantation de puits de forage ? En outre, il faut remarquer que le secteur de l’énergie aux États-Unis, et particulièrement celui du forage, est très subventionné par les pouvoirs publics afin que les États-Unis maintiennent leur souveraineté énergétique. Les prix seraient deux fois plus élevés s’il n’y avait pas ces subventions. Le PDG d’Exxon disait d’ailleurs, le 27 juin 2012, en parlant des gaz de schiste : « Nous sommes tous en train d’y laisser notre chemise ». Shell a vendu ses puits au Texas en disant qu’ils n’étaient pas rentables. Savez-vous quelle est la répartition géographique des puits rentables aux États-Unis ? Combien sont-ils par rapport aux puits forés ? C’est de l’ordre de quelques pourcents, voire 10 % je crois, mais je n’ai pas les nombres exacts. Savez-vous combien de nouveaux forages sont réalisés chaque année ? De mémoire, je crois qu’il y en a plusieurs milliers voire dizaines de milliers pour maintenir la production annuelle. Avez-vous des informations sur les subventions aux États-Unis ?

M. Lionel Tardy. Ce rapport interroge. Il n’aborde, comme l’a fort bien souligné Delphine Batho, que l’aspect économique et il faut l’inscrire dans une globalité. L’extraction de gaz de schiste s’accompagne de la production de liquides de gaz naturel très bien valorisés. Quand on lit votre troisième partie sur « L’Europe, grande perdante de la révolution du gaz de schiste », cela pose un certain nombre de questions. La question du dumping environnemental est réelle. Le secteur français de l’énergie, comme Alstom, avait beaucoup investi dans les centrales à gaz et aujourd’hui le retournement de situation lui est préjudiciable. Cela est, pour partie, responsable du dossier que l’on connaît actuellement. Quand on voit que les énergéticiens européens ont prévu la fermeture de 50 GW de capacité électrique, des questions se posent. Cela a été dit et c’est vrai, on retrouve les mêmes problématiques que l’on peut avoir sur des politiques fiscales et salariales. Que fait-on ? Encore une fois, le temps passe et l’Europe est en mauvaise position.

Même si ce n’est pas le but de votre rapport, quel impact a, par exemple, la fermeture des puits ? On parle de dix à douze fracturations avant de passer à un autre puits. Vous dites que maintenant nous allons à 1,5 kilomètre à l’horizontale et non plus 200 mètres. Il serait intéressant de savoir si toutes ces fracturations aux États-Unis ont permis d’améliorer le système ou pas. Sur l’aspect purement économique, un certain nombre de questions de concurrence se posent effectivement. Encore une fois, l’Europe est en retard. On regarde les choses passer au détriment de notre industrie et de notre énergie.

Mme Audrey Linkenheld. Je tiens à féliciter, tout particulièrement, le rapporteur, non seulement pour la qualité de son rapport, fort intéressant – cela a déjà été souligné à plusieurs reprises – mais également pour la manière dont il nous l’a présenté. Vous avez réussi à rendre compréhensible et passionnant un sujet technique et complexe pour des non spécialistes au nombre desquels je suis. Cela mérite d’être dit !

J’ai deux questions : une principale et une accessoire. Lors de l’exploration d'un gisement, on accède parfois à d’autres types de ressources que le gaz de schiste comme le gaz de houille, sans utiliser la technique de la fracturation hydraulique qui pose les problèmes environnementaux que certains dénoncent. Sans pour autant négliger les éventuels problèmes environnementaux que leur exploitation pourrait poser, j'aimerais savoir si vous avez pu obtenir, lors des différentes auditions que vous avez menées, des informations particulières sur ces nouvelles ressources, sur leur coût, sur leur exploration, sur l’avantage prix que l’on pourrait en tirer. La région Nord-Pas-de-Calais a missionné une enquête, très approfondie, sur ce sujet, néanmoins, nous disposons de peu de retours d’expérience.

Est-il possible d’exploiter ces ressources plus facilement en France et en Europe ? Peut-on en retirer un avantage économique pour les industriels comme pour les particuliers ?

J’en viens à ma question accessoire. À la page 2 de la synthèse que vous nous avez distribuée, votre titre II s’intitule « la baisse du prix du gaz : un bénéfice économique et environnemental pour les États-Unis ». Le bénéfice environnemental m'a échappé, s'agirait-il d'une coquille ou d'un oubli dans la synthèse ? Si ce n’est pas le cas, pourriez-vous nous expliquer de quelle nature est ce bénéfice environnemental ?

Mme Brigitte Allain. Je tiens, moi aussi, à féliciter le rapporteur pour la qualité de son rapport même si l'on peut noter quelques oublis dans la présentation qui en a été faite. Selon un rapport du Post Carbon Institute, depuis décembre 2011, la production de gaz de schiste aux États-Unis plafonne, et l'on observe que 80 % de cette production est concentrée sur seulement deux grands sites. Pour maintenir le niveau de cette production, il faudrait forer 7 000 puits par an. Si l’on tient compte des subventions qui ont déjà été évoquées, combien de temps cela peut-il durer ?

Concernant justement les subventions à la production, même si celles-ci sont indirectes, quelle sera la réaction de l’OMC, dont le rôle, comme chacun sait, est de contrôler les distorsions à la concurrence ?

Pour quelles raisons le rapport n’évoque-t-il pas le coût des pollutions diffuses ni leur coût sur la santé des riverains ? Vous avez précisé que l’approche que vous aviez adoptée dans votre rapport était prioritairement une approche économique. Or parler du coût des pollutions n'est-ce pas justement privilégier une approche économique ?

Concernant l’Europe, vous avez évoqué un problème économique, cela n'empêche pas de s’intéresser aux alternatives à développer, notamment pour les industries énergo-intensives, en termes d’énergies plus compétitives, durables et renouvelables.

Je partage aussi l’analyse faite par ma collègue Delphine Batho sur le dumping environnemental. Cet axe, doit, en effet, être retenu et exploré.

M. Yves Blein. Je souscris à l’ensemble des conclusions de ce rapport. Je souhaite seulement souligner un aspect particulier, non véritablement évoqué, à ce stade : un grand danger menace sérieusement les industries chimiques et pétrochimiques françaises. Celui-ci n’est pas véritablement perceptible à l'heure actuelle même si le coût de l’énergie commence à affecter le prix de revient des matières premières.

De nombreux groupes industriels indiens, américains, mais également européens, construisent des complexes pétrochimiques, aux États-Unis, à proximité des sites d’exploitation de gaz de schiste, qui vont concurrencer par l’utilisation massive de l’éthane, par exemple, des productions qui sont à la base, à la source, d’un grand nombre de productions industrielles qui entrent dans la fabrication des plastiques, de nombreux matériaux de construction, des matériaux composites que l’on trouve dans l’assemblage des voitures, de certains outils utilisés quotidiennement tels que la coque de cet iPad.

Ces stratégies, développées par les entreprises, très consommatrices de capitaux, se font sur le long terme. Les investissements réalisés aujourd’hui auront donc un impact sur les industries de demain. Ces nouvelles stratégies des grands groupes consistent à s’implanter en aval, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, des sites de production de matières premières et en particulier des sites d’extraction du gaz de schiste pour développer des activités chimiques et pétrochimiques.

Il serait intéressant de se demander quelles analyses les entrepreneurs et surtout des grandes entreprises comme Arkema, Solvay, KemOne font de ces nouvelles stratégies, d'envisager des pistes nouvelles en termes de reconversion et de développement et d'apprécier la question du prix de l’énergie. Le temps n’est-il pas venu de s'interroger sur l’avenir des industries chimiques et pétrochimiques dès lors qu’elles sont concernées par ce problème d’exploitation incidente de gaz de schiste aux États-Unis ?

M. Frédéric Barbier, rapporteur. Qui a dit que le gaz de schiste ne passionnait pas ? Je vais répondre, tout d’abord, à mon collègue M. Straumann. La question de l’exploration du gaz de schiste ne rentrait pas dans l’objet de la lettre de mission de la mission d’information. Pour les industries énergo-intensives, celles qui utilisent de l’électricité ou du gaz pour faire tourner des machines, des solutions sont envisageables. Il n’en demeure pas moins vrai que pour les industries pétrochimiques, si l’on ne souhaite pas rester lié au nafta pour produire de l’éthylène ou si l'on privilégie l'accès à une matière première à un coût avantageux comme l’éthane sans contracter de nouveaux marchés, il faudra envisager de développer d’autres ressources.

Un pays comme la France ne peut pas faire l’économie du développement de la recherche économique et technique dans ce domaine. Ce travail est celui du législateur : il n’est pas du ressort des grands groupes privés mais de celui de grands établissements d’État d'évaluer les capacités et les réserves énergétiques que l’on possède. À mon sens, le modèle américain n’est pas transposable en France. Cependant, sauvegarder notre industrie pétrochimique nécessitera peut-être d’obtenir une matière première - peut-être pas le nafta mais l’éthane - à des prix davantage compétitifs afin de maintenir notre place dans le secteur de la plasturgie.

L’industrie pétrochimique représente, en France, 80 000 emplois dont 10 000 emplois directs et 40 000 emplois indirects pour les raffineries. Dans le secteur des hydrocarbures, des pans entiers de l’industrie ont disparu ou se sont trouvés en grande difficulté comme la sidérurgie, par exemple. L’industrie pétrochimique française occupe la seconde place en Europe : si l’on peut éviter une restructuration de ce secteur, il va de soi que l’on ne doit pas en faire l’économie !

Concernant la fermeture de Fessenheim : je ne sais pas à quel horizon temporel, quarante ans, cinquante ans, il faudra l’envisager. J’ignore aussi si la transformation de la centrale en usine alimentée par le gaz est la première reconversion envisageable. Néanmoins toutes les solutions novatrices sont à prendre en compte même si elles ne font pas l’objet du débat de ce jour.

S’agissant du dumping environnemental, et sans pour autant faire de la publicité pour un certain film, certes à charge, oui, les débuts de l’exploration et de l’exploitation du gaz de schiste aux États-Unis et au Canada se sont bien traduits par des catastrophes environnementales. C'est la conséquence d'une exploitation sauvage, faite par de petites entreprises, prêtes à tout pour vivre ou survivre, n’ayant pas eu accès à des réserves importantes pour se développer, qui ont cherché à atteindre, par tous les moyens, les gisements de gaz emprisonnés dans la roche mère, tout d’abord, par l'utilisation de puits verticaux, ensuite, par celle de forages horizontaux. Le secteur n’était alors pas réglementé et autorisait ces comportements irresponsables.

Depuis de nombreux enseignements en ont été tirés. Les techniques de fracturation hydrauliques – je le répète qui ne sont pas l’objet du débat à l’ordre du jour - ont particulièrement évolué. Selon la Direction climat de la Commission européenne, les nouvelles normes sont bien plus contraignantes : l’utilisation de nouvelles techniques de fracturation hydraulique aux États-Unis vise à empêcher tout dégagement des gaz extraits, oblige à les récupérer ainsi qu'à les traiter, effluents compris. Je rappelle que la pollution des nappes phréatiques a eu, en grande partie, pour origine les effluents rejetés, épandus, lessivés au fil du temps par les averses qui se sont ensuite déversés dans les sols.

Cette nouvelle technologie n’est probablement pas encore aboutie, ce n’est peut-être pas la panacée - c’est mon opinion personnelle - mais comme pour toute nouvelle technologie le recul, l’expérience ont permis une amélioration substantielle des moyens techniques utilisés.

Une empreinte environnementale a été laissée, mais elle n’est pas la seule. La seconde empreinte environnementale, elle, est positive : il s'agit de la réduction des émissions de dioxyde de carbone. Le développement de l’exploitation du gaz de schiste aux États-Unis s’est accompagné d’une baisse de 3,8 %, en un an de ces émissions ! L’effet gaz de schiste, selon les estimations relayées par l’étude de l’IDDRI, c’est 1,4 point de ces 3,8 %.

Dans le même temps, en Europe, la réduction des émissions de CO2 marque le pas. Alors que les États-Unis ont délaissé le charbon au profit de la production de gaz, en Europe, on observe l’effet inverse : le gaz est progressivement abandonné au profit de l'exploitation du charbon avec pour corollaire une augmentation des rejets de CO2 dans l’atmosphère.

En 2002, les spécialistes prévoyaient un réchauffement climatique avec une élévation de la température de l'ordre de 2 degrés. Les prévisions actuelles privilégient davantage un scénario tendant vers une élévation du niveau des températures de 4 à 6 degrés. Il y a urgence !

Pour répondre à mon collègue Lionel Tardy, ce sont également les conséquences de l’importation du charbon américain que l'on paie. Une solution, pour déstabiliser le marché américain, consisterait à imposer un marché carbone autour de 30 euros la tonne de façon à ne plus importer de charbon américain ainsi et à relancer la production de gaz.

Je partage entièrement vos remarques sur le choc de compétitivité, l’hydroélectricité, très compétitive en France : nos industries énergo-intensives doivent privilégier l’utilisation de l’énergie électrique que l’on peut obtenir à bas coût en France.

S’agissant des entreprises qui tiennent un discours alarmiste sur leurs risques de faillite, je reste très méfiant. J’ai déjà entendu le discours consistant à dire qu’à 2,7 $ le Mbtu la faillite était assurée, depuis lors le prix est monté à 3,7, atteindra bientôt 4,5 $ le Mbtu et elles n’ont pour le moment toujours pas fait faillite, et à mon sens, elles ne le feront pas !

À ma connaissance, il n’y a pas de subventions. Certes, il y a eu un programme, aux États-Unis, développé par la puissance publique, pour encourager l’exploitation, l’exploration et la mise au point de la fracturation hydraulique, mais c’est tout.

Le nombre de puits en activité est resté stable depuis 2011 avec 490 000 puits en activité. Quant à la production de gaz de schiste elle ne cesse d’augmenter depuis 7 années consécutives, elle n’est donc ni en stagnation ni en baisse.

Sur le changement climatique, il faut aller sur un objectif de baisse de la production du carbone en favorisant les énergies renouvelables.

Sur la question du tourisme, il est évident qu’il n’y a pas le même degré d’acceptation entre la France et les États-Unis. Dans certains états américains, des puits de pétrole côtoient des orangers, des vacanciers ou des vaches. Je ne suis pas convaincu que les Français sont prêts à accepter cette cohabitation. J’étais président d’un pays, dans ma région de Franche Comté, où s’est installé le plus grand parc éolien régional, ce qui a développé le tourisme. J’étais très réservé mais les touristes sont venus. Iront-ils visiter des puits d’extraction de gaz de schiste ? Je ne saurai dire mais l’attractivité touristique peut surprendre.

Sur le futur de la chimie et pour répondre à la question d’Yves Blein, ce point est évoqué dans le rapport. Vous y trouverez un paragraphe sur les raisons d’espérer mais je pense qu’il faudra être très vigilant. Nous disposons d’une pétrochimie capable d’une production de pointe et de bénéficier d’effets de plateformes. Il est également envisageable de la repositionner sur des produits de niche à partir du moment où ils ne seraient pas en concurrence sur la partie éthylène. Mais incontestablement, l’industrie pétrochimique n’est pas très euphorique pour les années à venir malgré les perspectives de positionnement sur des produits de niche que je viens d’évoquer.

Pour répondre à la question sur l’effet de bulle spéculative, je crois qu’il n’existe pas. Aujourd’hui, les États-Unis produisent le Mbtu à 3,70 $. Ce tarif pourrait monter à 5 ou 6 $ mais malgré ce montant, les États-Unis resteraient compétitifs par rapport aux mix européen et français. Ils gardent donc de solides marges de manœuvres et ce d’autant plus que l’on estime les réserves disponibles de gaz de schiste à près de 100 ans de production. C’est pourquoi cette énergie ne peut être assimilée à une bulle spéculative.

M. Lionel Tardy. Je réponds à votre question sur le préjudice subi par Alstom. Nous sommes d’accord sur ce point. En revanche, je suis moins pessimiste que vous sur l’Union européenne. Nous avons rencontré les différentes directions de la Commission européenne en charge du dossier, qu’il s’agisse de la Direction énergie, la Direction climat ou la Direction environnement. Si la position de cette dernière consiste à souligner le caractère polluant du gaz de schiste, les directions énergie et climat ont pris en compte les nécessités de réformer le marché du CO2 et de favoriser les énergo-intensifs sans quoi il y a un risque de mettre à mal tout un pan de l’industrie européenne face à une concurrence contre laquelle elle n’arrive pas à lutter. Je veux tout de même préciser que des entreprises françaises sont implantées aux États-Unis et ont déjà lourdement investi dans le gaz de schiste, qu’il s’agisse de Vallourec, Schlumberger ou Total.

Sur le gaz de houille, les Russes possèdent certainement les réserves les plus importantes. La France en dispose également et les a exploitées par le passé. Faut-il reprendre cette exploitation ? Pourquoi pas ? Le rapport aborde indirectement le sujet des gaz de houille à travers la question de la fracturation hydraulique. Lorsqu’un sous-sol est pénétré à 3 000 mètres de profondeur sur une distance de 1 500 mètres, il est possible de trouver différents produits comme les gaz humides, les pétroles, le charbon mais aussi les gaz de houille. Tout dépend donc des forages et de leur exploitation.

Pour répondre à votre interrogation sur la mention, dans le rapport, de « bénéfice environnemental » de la baisse du prix du gaz, je répète que les gaz de schiste ont concouru à faire baisser la production de CO2 aux États-Unis de 1,4 %, ce qui n’est pas négligeable. Mme Batho ne semble pas d’accord avec moi sur ce point mais ce sont les chiffres dont on dispose.

Mme Delphine Batho. Effectivement, sur le bilan environnemental de l’exploitation des gaz de schiste aux États-Unis, il n’est pas possible de parler d’un « bénéfice environnemental ». Les calculs sur la réduction des gaz à effet de serre permise par les gaz de schiste sont faux et en tout cas vigoureusement contestés. Les dernières études rendues publiques montrent que les chiffres de l’EPA, l’agence américaine de protection de l’environnement, concernant les émanations de méthane des puits de gaz de schiste, se trompent d’un facteur de 100 à 1 000. Non seulement il n’y a pas eu de réduction des gaz à effet de serre avec l’exploitation des gaz de schiste, mais au contraire le bilan effet de serre des gaz de schiste est pire que celui du charbon. Il n’est donc pas possible d’écrire qu’il y a eu un quelconque facteur d’amélioration de l’impact sur le réchauffement climatique. Par ailleurs, je veux dire que le débat sur la recherche est fictif parce que la loi française, en particulier l’article 1er de la loi du 13 juillet 2011, interdit la fracturation hydraulique que ce soit pour l’exploitation ou pour l’exploration. Lorsque certaines positions défendent la possibilité de faire de la recherche pour l’exploration, elles remettent en cause la loi française. Les choses doivent être claires sur ce point : la loi française, validée par le Conseil constitutionnel, ne permet pas de faire de l’exploration en matière de gaz de schiste. Je ne suis pas non plus favorable à la recherche publique en la matière et ce d’autant plus dans un contexte de baisse des crédits de recherche du ministère de l’écologie et particulièrement ceux pour la recherche sur les énergies renouvelables. Le budget de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise des énergies (ADEME) a également failli être amputé de 80 millions d’euros. Il ne me semble pas opportun d’investir de l’argent public pour les gaz de schiste alors même que les compagnies pétrolières, à en croire leurs bilans financiers de l’année dernière, ne sont pas à plaindre. Vous avez évoqué de façon positive la DG énergie. Je regrette qu’elle s’oppose aux contrats de long terme pour les électro-intensifs notamment. C’est pourtant un débat que l’on a avec plusieurs pays européens. Sur la pétrochimie, je disais tout à l’heure en aparté à Yves Blein, qu’il y a un vrai enjeu en matière d’économie circulaire, sur les transformations et retransformations des produits dérivés du pétrole. Il faut que l’industrie pétrochimique s’en empare car je regrette que ce soit aujourd’hui en Italie que se développent un certain nombre de technologies. La France en a aussi la capacité. Pour finir un mot sur le secteur de la raffinerie française. Sans esprit perfide, je rappelle que si l’on alignait la fiscalité de l’essence sur celle du diesel, une économie de 13 milliards d’euros pourrait être réalisée sur le déficit de la balance commerciale de la France et la compétitivité du secteur du raffinage en serait particulièrement améliorée. En effet, on exporte de l’essence produite en France pour importer du diesel. Rééquilibrer la donne en matière de fiscalité aurait un effet positif pour le secteur pétrolier en France.

M. Frédéric Barbier, rapporteur. Étant élu de Sochaux, territoire de l’automobile, je pense qu’il y aurait sans doute un bon effet sur la partie fiscalité mais pas sur la partie automobile. Pour répondre à vos interrogations quant au CO2, je cite les chiffres contenus dans l’étude de l’IDDRI, pourtant peu en faveur des gaz de schiste, qui indiquent que ces derniers ont concouru à hauteur de 1,4 point à la baisse de 3,8 % de CO2 enregistrée aux États-Unis. Mais cette baisse ne tient pas compte de la production de méthane, nous sommes d’accord sur ce point. Du seul point de vue du CO2, cette baisse aux États-Unis doit être soulignée et comparée à l’absence d’une telle diminution en Europe du fait de l’utilisation massive du charbon. Sur la recherche publique, j’ai pris toutes les précautions pour expliquer qu’à titre personnel je pense qu’il ne faut jamais s’interdire la recherche, même si la loi aujourd’hui ne le permet pas.

Mme Frédérique Massat, vice-présidente de la commission des affaires économiques. Merci monsieur le rapporteur. Je soumets maintenant au vote l’autorisation de la publication du rapport. Je rappelle que ce vote ne concerne pas le contenu du rapport mais bien seulement l’autorisation de sa publication. La synthèse qui vous a été distribuée accompagne la présentation de M. le rapporteur. Le rapport contiendra également les débats de notre commission. Si vous votez contre, le rapport ne sera pas publié. Le vote ne vaut ni approbation ni désapprobation du contenu du rapport.

Mme Delphine Batho. J’informe la Commission que je ne participe pas à ce vote.

La Commission autorise la publication du rapport sur l’impact économique de l’exploitation des gaz de schiste.

Mme Frédérique Massat, vice-présidente de la commission des affaires économiques. La publication du rapport est autorisée. Je répète que ce vote ne vous engage pas sur le contenu du rapport. Si le vote avait été négatif, le rapport ne serait pas sorti et les commentaires qui ont été faits à son sujet n’auraient pas été publiés.

Mme Clotilde Valter. Cela signifie-t-il que la parole du rapporteur est complètement libre dans les rapports d’information ? En fait, le vote sur l’autorisation de la publication permet simplement d’ouvrir le débat.

Mme Frédérique Massat, vice-présidente de la commission des affaires économiques. L’autorisation de publication permet de mettre ce rapport de l’Assemblée nationale à la disposition du public. Les députés ne s’expriment pas sur le contenu du rapport mais autorisent simplement sa publication.

Mme Clotilde Valter. On autorise la liberté de parole du rapporteur.

M. Frédéric Barbier, rapporteur. Je veux simplement vous dire que le rapport reprendra intégralement ce que je vous ai dit. J’assume totalement. Il n’y aura pas de scoop par rapport aux chiffres présentés. Je vous remercie pour votre participation à cette réunion.

Mme Frédérique Massat, vice-présidente de la commission des affaires économiques. Je vous remercie M. le rapporteur pour ce travail. La séance est levée.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 30 avril 2014 à 16 h 15

Présents. - Mme Brigitte Allain, M. Frédéric Barbier, Mme Delphine Batho, M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, Mme Jeanine Dubié, M. Jean Grellier, M. Jean-Luc Laurent, Mme Audrey Linkenheld, Mme Frédérique Massat, M. François Pupponi, M. Éric Straumann, M. Lionel Tardy, Mme Clotilde Valter

Excusés. - Mme Marie-Hélène Fabre, M. Joël Giraud, M. Philippe Kemel, M. Thierry Lazaro, Mme Annick Le Loch, M. Germinal Peiro, Mme Josette Pons, M. Bernard Reynès, M. Jean-Charles Taugourdeau

Assistait également à la réunion. - M. François-Michel Lambert