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Commission des affaires économiques

Mardi 20 mai 2014

Séance de 19 heures

Compte rendu n° 81

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Patrick Kron, président-directeur général d’Alstom

La commission a auditionné M. Patrick Kron, président-directeur général d’Alstom.

M. le président François Brottes. Nous accueillons maintenant M. Patrick Kron, président-directeur général d’Alstom.

Nous ne pouvions évidemment pas, au moment où se joue l’avenir de l’un des fleurons de notre industrie nationale, ignorer votre point de vue, monsieur le président-directeur général. Nous aimerions savoir comment vous en êtes arrivé à choisir l’option de la cession à General Electric. Nous aimerions également savoir, même si ce n’est pas le cœur du débat, pourquoi vous n’avez pas informé les pouvoirs publics de votre choix. Un plan social se profile-t-il derrière tout cela et si tel est le cas quelle serait son ampleur ? Par ailleurs, si Alstom ne retenait pas l’option General Electric il lui faudrait sans doute verser quelques millions à cette dernière entreprise pour le travail effectué. Pouvez-vous nous confirmer si tel sera bien le cas ? Quelle est votre vision stratégique de l’avenir d’Alstom, que ce soit dans le domaine du transport, des satellites ou de l’énergie ?

M. Patrick Kron, président-directeur général d’Alstom. Je voudrais d’abord vous remercier, monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, pour votre invitation : vous me permettez ainsi de vous exposer les défis auxquels Alstom est confronté, de vous expliquer les raisons qui nous ont poussés à engager le processus que vous avez rappelé, monsieur le président, et enfin de vous faire savoir quel sera l’avenir d’Alstom au cas où ce processus irait à son terme. C’est aussi pour moi l’occasion de répondre à certaines critiques, notamment à l’accusation selon laquelle nous aurions placé les pouvoirs publics devant le fait accompli.

Je voudrais d’abord replacer le sujet dans son contexte. À mes yeux, le rôle d’un chef d’entreprise est d’anticiper, surtout s’agissant d’une industrie aussi lourde. Mon obsession était d’éviter à nos salariés de revivre la situation qu’ils ont vécue en 2003, date à laquelle j’ai rejoint l’entreprise. Nous avions dû alors affronter les effets d’une crise non anticipée, qui nous avait conduits dans le mur. En dix-huit mois, les effectifs de notre groupe avaient fondu, passant de 110 000 salariés à moins de 60 000 ; l’entreprise avait failli y rester. Ce fut une expérience traumatisante pour l’ensemble des salariés du groupe.

Alors que nous étions parvenus à redresser l’entreprise, faisant passer ses effectifs de 60 000 salariés en 2005 à 93 000 aujourd’hui, nous sommes depuis 2009 frappés de plein fouet par les effets de la crise, comme toutes les entreprises exposées à la concurrence internationale. Il nous a fallu nous adapter à la chute brutale des marchés par des redéploiements géographiques et l’intensification de notre investissement dans la recherche et développement.

Au cours de ces dernières années, le centre de gravité de mon action a été de définir et mettre en œuvre une stratégie autonome visant à éviter les obstacles et à préparer l’avenir de chacune des activités du groupe. Mais ce choix stratégique n’interdit pas d’être lucide quant aux défis auxquels l’activité énergie d’Alstom est confrontée, au même titre que l’ensemble des acteurs de ce marché.

Cette activité, qui représente 65 000 salariés, dont 9 000 en France, et réalise 15 milliards d’euros de chiffre d’affaires, dont un peu moins de 5 % en France, est d’abord confrontée à la crise profonde du marché européen, soit la base du développement d’Alstom Énergie. Un fait suffira à vous faire prendre la mesure du défi : en 2014, la consommation électrique en Europe n’a pas retrouvé son niveau de 2008, alors que dans le même temps, nous-mêmes et nos concurrents avons continué à livrer aux électriciens européens un certain nombre de centrales électriques. Les électriciens sont donc en situation de surcapacité significative, ce qui les a conduits à prendre des décisions draconiennes. Suez-Gaz de France a ainsi déprécié pour 15 milliards d’euros d’actifs – notamment des centrales – dans son dernier exercice comptable. En 2013, RWE, l’un des principaux électriciens allemands, a subi des pertes pour la première fois depuis les soixante et une années de son existence. En 2008, le marché européen était de 25 000 mégawatts ; aujourd’hui et pour les années qui viennent, on estime qu’il se situera entre 5 000 et 10 000 mégawatts, soit une baisse de 60 à 80 %. Dans de telles conditions, les entreprises à fortes racines européennes, comme nous, sont extrêmement fragilisées.

Nous sommes donc allés chercher la croissance là où elle est, c’est-à-dire dans les pays émergents. Mais dans ces zones plus qu’ailleurs encore, nous sommes exposés à la concurrence des acteurs asiatiques, dont les prix sont beaucoup plus bas que les nôtres, grâce notamment, comme en Chine par exemple, à un marché domestique important qui leur donne la base de coûts nécessaire pour exporter. En outre, ces acteurs accompagnent leurs offres de financements imbattables, grâce à un système bancaire qui appuie les industriels à l’exportation. Les clients eux-mêmes demandent que les livraisons de centrales soient accompagnées de solutions de financement. Or nous ne disposons pas d’une force de frappe équivalente à celle des Japonais, de General Electric, voire de Siemens ou d’autres encore. Dans le même temps, nous devons continuer à investir lourdement. Alstom n’a jamais autant investi que ces dernières années dans la recherche et développement et l’innovation, parce que c’est cela qui fera la différence.

Dans un environnement aussi tendu, incertain et dangereux, je considère comme de mon devoir de chef d’entreprise de vérifier s’il n’existe pas, à côté de cette stratégie d’autonomie, des solutions alternatives de nature à garantir un meilleur avenir aux activités concernées et à leurs salariés. Or un élément nouveau est apparu : General Electric nous a fait savoir qu’il était prêt à explorer avec nous une voie alternative.

Son offre porte sur les activités énergie d’Alstom et ne concerne en rien l’activité transport d’Alstom, dont la situation est tout à fait différente. J’ai le sentiment que l’offre de General Electric est une excellente option pour garantir l’avenir du secteur énergie d’Alstom, de ses sites et de ses employés. C’est une solution industrielle appuyée sur l’intégration des activités énergie d’Alstom au sein d’un groupe international puissant. Cette intégration ne créerait pas de doublons du fait d’une complémentarité quasi parfaite de nos activités respectives. Dans le domaine de l’énergie thermique, dans les technologies des turbines à vapeur et des turbines à gaz, Alstom apportera une compétence en projets clé en main. Par ailleurs, Alstom a une activité modeste dans l’éolien terrestre avec une offre performante dans l’éolien offshore tandis que GE est davantage axé sur l’éolien onshore. Alstom est présent dans l’hydraulique, ce qui n’est pas le cas de GE. La même complémentarité existe dans les services ou dans la transmission d’électricité.

Cette complémentarité est déterminante pour la réussite du projet industriel et garante du maintien de l’emploi, en particulier en France, du fait de l’absence de doublons entre nos activités respectives. Cette intégration à General Electric permettra aux activités énergie d’Alstom d’atteindre la taille critique et donnera à l’ensemble la capacité d’investir en recherche et développement. C’est pourquoi ce projet me semble une excellente réponse aux enjeux stratégiques que je vous ai exposés. Outre qu’il répond à mes propres préoccupations, il satisfait celles du Gouvernement concernant non seulement la préservation de l’emploi en France et le maintien des centres de décision sur notre territoire, mais également la souveraineté et l’indépendance énergétique de notre pays. Je note d’ailleurs qu’un dialogue constructif s’est instauré entre General Electric et l’État, et je m’efforce d’éclairer ces discussions dans la mesure de mes moyens.

Après avoir exposé le contexte, je vais revenir sur la genèse du projet, ce qui me permettra de faire un sort aux accusations qui m’ont été adressées d’avoir voulu mettre les pouvoirs publics devant le fait accompli.

Il est vrai que j’ai eu, dès février, un premier contact avec le président de General Electric. Cela nous a conduits à conclure, dans la deuxième quinzaine de mars, qu’il y avait matière à approfondir un projet de combinaison des activités énergie d’Alstom et de General Electric. De part et d’autre, nos équipes se sont mises au travail et ont construit ce projet entre le 23 mars et le 23 avril. Ce travail a été mené au sein d’équipes resserrées, dans le souci d’une absolue confidentialité, condition nécessaire au bon déroulement des discussions. Il était hors de question de faire publiquement état d’un tel projet avant d’avoir suffisamment de certitudes quant à ses chances d’aboutir, non seulement pour des motifs qui tiennent au droit boursier et à d’autres considérations, mais surtout pour une raison intrinsèque à notre métier. En effet, si le consommateur ordinaire ne s’intéresse pas à la situation financière ou aux perspectives d’avenir des entreprises qui produisent ce qu’il achète, dans notre secteur d’activité, le moindre doute quant à la situation financière de l’entreprise, à ses perspectives d’avenir, à l’évolution de son actionnariat ou à quoi que ce soit de cet ordre, fait fuir les clients vers la concurrence. En effet, les contrats qui nous lient à eux sont des contrats de longue durée, dont l’exécution se déroule souvent sur des décennies. C’est la raison pour laquelle nous faisons preuve, dans toutes les affaires de ce type, d’un souci de confidentialité extrême.

Malheureusement, le 23 avril dernier, quelques heures après une réunion qui s’était tenue à Chicago entre M. Immelt, président de General Electric, et moi-même, réunion qui nous a permis de lever des obstacles fondamentaux et d’identifier la base d’un accord, je prends connaissance, tout comme vous, de la dépêche de Bloomberg annonçant l’opération. Cette fuite a fait déraper le processus qui prévoyait, évidemment et naturellement, une période de concertation avec les pouvoirs publics. Le déchaînement médiatique qui a suivi a torpillé le cours normal et attendu des choses : c’est aussi simple que cela. J’imagine que les élus de la nation que vous êtes, habitués à travailler à des projets sensibles, ont déjà été exposés à de telles fuites qui bouleversent les ordonnancements préalablement prévus.

Du fait de ce dérapage, les discussions ont pris un caractère public, ce que nous n’envisagions absolument pas. En aucun cas on ne peut parler de fait accompli, puisque ce qui a été annoncé n’est en rien la fin d’un processus ; c’est son début. Nous avons annoncé que nous avons reçu une offre de General Electric, offre qui ne ferme rien mais qui ouvre au contraire un processus de consultation.

Le processus qui s’engage est rigoureux, équitable et transparent. Notre conseil d’administration a mis en place un comité d’administrateurs indépendants chargé d’examiner cette offre et de se prononcer d’ici à fin mai. Cette échéance ne sera elle-même que le point de départ d’un large processus de consultation, puisque nous devrons ensuite informer et consulter les instances représentatives du personnel et obtenir les autorisations réglementaires usuelles ainsi que l’autorisation exigée au titre des investissements étrangers aux termes du décret du 14 mai dernier. Le projet devra également obtenir l’autorisation des autorités de la concurrence de plusieurs dizaines de pays. Enfin, nous devrons recueillir l’accord des actionnaires, qui seront amenés à se prononcer en assemblée générale.

C’est ma première remarque : nous ne sommes qu’au début de l’examen de la seule offre que nous avons reçue jusqu’à présent, celle de General Electric.

Je vous confirme par ailleurs que le conseil d’administration peut être à tout moment saisi d’une offre alternative. Il n’a certes pas le droit de la solliciter, mais si une autre offre lui est présentée, il a le droit et le devoir de l’examiner et de la recommander s’il la juge meilleure. En l’occurrence, je vous confirme solennellement que le conseil d’administration examinera toute offre alternative avec le même soin et la même rigueur que celle de General Electric, en fonction de l’intérêt social de l’entreprise et de celui des parties prenantes, et avec l’ensemble des garanties nécessaires, en particulier au regard de l’intérêt national.

Je conclurai en vous disant deux mots de ce qui se passera si ce projet est mis en œuvre dans les conditions prévues. Alstom sera recentré sur son activité transport, qui n’a pas à faire face à des défis stratégiques. Alstom Transport est un leader mondial, doté de la taille critique, intervenant sur un marché dynamique. C’est une activité de 6 milliards d’euros, qui emploie 25 000 salariés dans soixante pays, dont 9 000 en France. Son carnet de commandes représente plus de 25 milliards d’euros, soit quatre ans de chiffres d’affaires. Nous venons de signer avec l’opérateur de transport sud-africain PRASA un contrat de 4 milliards d’euros, le plus gros contrat de l’histoire d’Alstom, dont les retombées seront très positives pour les sites français d’Ornans, Tarbes, Le Creusot, Reichshoffen, Villeurbanne et Saint-Ouen.

Je considère que la stratégie autonome est la meilleure option pour assurer à cette branche d’Alstom, cotée à Paris et dont le centre de décision restera en France, un développement à la hauteur de ses ambitions internationales. Elle aura d’autant plus les moyens de son développement que la cession de la branche énergie lui permettra de disposer d’un bilan solide. Cette activité est appelée à un grand développement, sur un marché tiré par les évolutions de l’urbanisation et des priorités environnementales. Je n’ai donc aucun souci, et je vous prie de ne pas en avoir non plus, quant à la viabilité de cette activité. Personne n’a d’ailleurs émis d’inquiétude sur ce point, même quand nous avons envisagé d’ouvrir le capital de cette entreprise pour lui donner les marges de manœuvre financières qui lui manquent.

En résumé, je voudrais vous dire que le processus que nous avons engagé est loin d’être à son terme. Je vous ai dit ma conviction : les défis que nous rencontrons sur le marché de l’énergie rendent la poursuite d’une démarche autonome périlleuse pour la pérennité du groupe Alstom et pour ses emplois. Ce n’est pas de gaieté de cœur que je fais ce constat. Je mesure et comprends l’émotion que suscite ce projet de cession et je juge l’intervention des pouvoirs publics dans ce dossier parfaitement légitime. Je considère qu’il est de ma responsabilité de répondre au mieux, comme je vais le faire ce soir, aux questions qu’ils se posent.

J’ai entendu pas mal de choses me concernant. Je tiens à préciser que je suis un industriel et un pur produit de l’école républicaine. Je n’ai jamais eu à démontrer mon attachement à mon pays, la passion que je mets à protéger ceux qui travaillent dans l’entreprise, mon lien viscéral avec l’industrie, secteur où j’œuvre depuis trente ans. Ma seule obsession est de ne pas revivre la situation que j’ai découverte en 2003 lorsque je suis entré chez Alstom. Mon seul objectif est de bâtir le meilleur projet pour chacune des activités d’Alstom et pour chacun de ses 93 000 salariés. J’ai le sentiment d’être fidèle à mes engagements et à mes valeurs, et mon espoir est de vous en convaincre.

M. Daniel Fasquelle. Je comprends votre souci de confidentialité, mais celui-ci ne révèle-t-il pas aussi un manque de confiance à l’égard d’un gouvernement qui a fait preuve lui-même d’une grande défiance à l’égard des entreprises ?

M. Montebourg vient de nous dire qu’il préférerait une stratégie d’alliance à la cession d’une partie d’Alstom. L’entreprise n’aurait-elle pas dû s’allier il y a quelques années à d’autres sociétés, françaises ou européennes, plutôt que de rester isolée ?

Pouvez-vous nous éclairer sur l’offre de Siemens ? Est-il vrai que vous seriez a priori réticent à l’égard de cette offre ? Si tel n’est pas le cas, sur quoi fonderez-vous votre choix ?

La cession de la branche énergie d’Alstom à une entreprise américaine ne constitue-t-elle pas une atteinte aux intérêts stratégiques de notre pays ?

Mme Clotilde Valter. Que vous inspirent les conclusions de l’étude consacrée aux orientations stratégiques d’Alstom à la demande du ministre de l’économie ? Comment protéger les intérêts stratégiques de notre pays et sa souveraineté dans cette affaire ? Quelles garanties seront apportées concernant le maintien des centres de décision dans notre pays, le positionnement stratégique d’Alstom dans les secteurs où il est en pointe et la pérennité de l’emploi ?

On dit que si l’opération était conduite avec General Electric cela pourrait rapporter un peu plus de 12 milliards d’euros. Comment comptez-vous utiliser cette somme ? Quelle proportion sera consacrée au versement de dividendes exceptionnels ?

M. Thierry Benoit. Pensez-vous qu’il y a un risque d’atteinte à la souveraineté de la France dans le domaine de l’énergie ? Jugez-vous légitime que le Gouvernement recherche les moyens d’une stratégie française ou européenne de reconquête industrielle ? Le maintien de l’emploi en France est-il un élément déterminant de vos choix stratégiques ?

Mme Jeanine Dubié. Avez-vous eu connaissance de l’étude commandée par le ministre de l’économie afin de déterminer les options stratégiques d’Alstom et qui, aux dires de M. Montebourg, conclut à la capacité de votre groupe de passer des alliances internationales ? Êtes-vous en accord avec ses préconisations ? Quel est votre sentiment quant au décret de « patriotisme économique », qui nous semble une arme contre votre rapprochement avec General Electric ?

Aucun des 740 salariés du site Alstom de Tarbes n’a été informé d’un projet de rachat et cette annonce génère chez eux une très grande inquiétude. Ils s’interrogent sur l’impact de la cession d’une partie du groupe sur les sites et les filiales du groupe Alstom. Quel serait l’avenir de la branche transport du groupe si ce projet de cession se concrétisait ?

M. Éric Alauzet. Vous avez parlé de torpillage : est-ce à dire que l’intervention du ministre a porté préjudice au projet de cession ? Plus généralement, pensez-vous que les politiques n’ont pas à se mêler de ces affaires ? Vous arrive-t-il d’être déchiré entre le court terme et le long terme ? Je serai plus direct : le citoyen que vous êtes ne doit-il pas parfois céder devant l’industriel ? Quelle est la place de la transition énergétique dans votre réflexion stratégique ? Êtes-vous concerné par le projet de création d’un « Airbus de l’énergie » ?

Vous dites que le carnet de commandes de la branche transport d’Alstom est plein pour quatre ans. Or les salariés du site d’Ornans m’ont tenu un tout autre discours : pourquoi cette divergence ?

Ce matin Luc Oursel, président du directoire d’Areva, a manifesté son intérêt pour la branche éolienne d’Alstom : qu’en pensez-vous ?

M. Patrick Kron. Le souci de confidentialité que j’ai évoqué n’a rien à voir avec de la défiance. Il est de règle, juridique et de bon sens, que ce genre de projet soit entouré de confidentialité. Je réfute l’accusation selon laquelle nous aurions voulu agir dans le dos des pouvoirs publics. Il se trouve que le 23 avril, la dépêche de Bloomberg est sortie seulement quelques heures après le moment où j’ai pris conscience que les éléments d’un accord existaient. J’avais l’intention de procéder à toutes les concertations nécessaires et d’apporter toutes les réponses entre le 23 avril et le 6 mai, date à laquelle notre conseil d’administration devait se réunir pour valider les comptes de l’entreprise. Au lieu de cela, j’ai été pris de court par l’emballement médiatique, d’autant plus déchaîné qu’on ne savait pas, et pour cause, de quoi précisément on parlait. On avait l’impression que nous cherchions à vendre un fleuron de notre industrie nationale derrière le dos de tout le monde, ce qui ne me paraît absolument pas refléter la réalité.

Cette confidentialité n’est pas une question de confiance ou d’absence de confiance, monsieur le député : c’est tout simplement une condition de travail normale. Il était légitime que M. Montebourg s’étonne que je ne l’aie pas informé de ce projet avec General Electric, mais je n’avais pas, à ce stade, l’idée que le projet en question avait une chance significative de prospérer. Il est vrai que j’avais dîné avec M. Immelt, le président de General Electric, mais j’avais également pris un petit-déjeuner avec M. Kaeser, le PDG de Siemens, comme j’ai pris beaucoup de déjeuners, de petit-déjeuner et de dîners avec beaucoup de mes homologues : ce n’est pas parce qu’on évoque des perspectives que celles-ci se transforment automatiquement en projets !

Alliance, cession, adossement, peu importe le terme employé : il s’agit en l’occurrence d’intégrer les activités d’Alstom Énergie au sein d’un groupe qui a les moyens, notamment financiers, d’assurer un avenir à cette branche et à ses salariés.

Il est vrai que nous avons reçu aujourd’hui une indication d’intérêt de Siemens. Nous avons en conséquence permis à Siemens d’accéder, dans les mêmes conditions que nous l’avons fait pour General Electric, à l’ensemble des éléments d’information nécessaires pour qu’ils puissent décider s’ils sont prêts à transformer cette indication d’intérêt en une offre ferme. Dans ce cas, le conseil d’administration, comme il en a l’obligation, examinera la pertinence de cette offre par rapport à celle de General Electric. Il ne s’agit pas simplement de prendre en compte l’intérêt des actionnaires : il faut considérer l’ensemble de l’opération, notamment son volet financier, peser les risques d’exécution, dans le respect de l’intérêt de l’ensemble des parties prenantes, des salariés au premier chef, et mesurer les conséquences pour d’autres, notamment pour l’État français qui est de toute évidence une partie prenante de ce dossier.

Le fait que le ministère de l’économie ait commandé à un cabinet de conseil une étude sur les perspectives stratégiques d’Alstom prouve bien que des questions se posaient quant à l’avenir de ce groupe et que je n’étais pas le seul à craindre un problème à moyen ou long terme. À ce propos, je ne suis pas déchiré entre le court, le moyen et le long terme. Ma préoccupation c’est de garantir un avenir sur le long terme aux activités et aux salariés du groupe. Il n’y a certes pas le feu à la maison Alstom : la situation ne va pas se dégrader demain matin. Mais on ne peut pas à la fois accuser un chef d’entreprise de laisser son entreprise aller dans le mur et lui reprocher d’anticiper. Je préfère que l’on me critique pour avoir choisi la deuxième option.

Il se trouve que l’existence de cette étude a été révélée par une fuite – encore une ! Le jour même de cette fuite, notre cours de bourse a baissé de 10 %, ce qui est déjà en soi assez désagréable. Surtout, nous avons été submergés de messages de nos clients alarmés qui voulaient savoir si nous avions un problème, si nous étions dans une situation difficile, nous demandant si dans ce cas c’était une bonne idée de répondre à l’offre de General Electric. Vous voyez, mesdames, messieurs les députés, non seulement l’intérêt de la confidentialité dans notre métier, mais surtout la nécessité que la période pleine d’incertitudes que nous vivons actuellement ne dure pas. Sinon, c’est l’entreprise et ses salariés qui en subiront les conséquences. Croyez-moi, aujourd’hui il faut se battre pour arracher des commandes. J’assume ma responsabilité : c’est moi qui ai mis cette offre sur la table. Mais il faut désormais laisser le processus se dérouler dans des conditions sereines et transparentes.

La question de la destination des 12 milliards d’euros est un problème nouveau pour Alstom : j’avais plutôt l’habitude de chercher comment maîtriser sa dette et éviter de voir sa note dégrader par les agences de rating. Cela dit, on s’habitue assez vite à ce genre de problème.

Nous comptons avant tout rembourser toute la dette qui pourra l’être. Ensuite, nous allons doter Alstom Transport d’un bilan qui lui donne les moyens de ses ambitions. Le solde reviendra aux actionnaires, sous forme de dividendes ou sous une autre forme. Si l’opération se fait, les actionnaires d’Alstom seront payés en cash et ils auront une participation dans Alstom Transport. Il est donc de l’intérêt de tous qu’Alstom Transport ait les moyens d’opter pour une stratégie de développement qui crée de la valeur pour tous.

Oui, nous dialoguons avec l’État, d’autant que, comme le ministre l’a rappelé, l’activité transport d’Alstom compte beaucoup d’institutions publiques parmi ses clients, en France comme dans les soixante pays du monde dans lesquels il est présent. Il n’est donc pas surprenant que nous soyons en relation très étroite avec les acheteurs publics et les États.

Je vous répète que mon obsession a toujours été d’assurer la pérennité de ces activités et de l’emploi. Mon premier objectif a évidemment été de chercher les moyens d’une croissance interne. Mais quand vous voyez les dangers pour l’entreprise d’une démarche autonome, peut-être pas dans l’immédiat mais à moyen ou long terme, comment refuser une opportunité, même extérieure, de lui donner des moyens solides d’assurer l’avenir, l’emploi, d’investir dans la recherche et développement et d’accompagner la croissance partout dans le monde ? Aujourd’hui, il faut aller chercher la croissance au-delà d’un marché européen sinistré, sur des terrains où nous jouons visiteurs, quand nos concurrents asiatiques jouent à domicile. C’est ça mon obsession, plus que la nationalité de tel ou tel partenaire. Ce que je veux c’est consolider l’avenir.

Cela vaut pour le site d’Alstom Transport à Tarbes. Si ce projet aboutit, Alstom Transport aura les moyens d’une stratégie plus ambitieuse, plus volontariste, grâce à un bilan plus solide qui lui permettra de se développer, à la fois par croissance interne et via des acquisitions au fil des opportunités. Je répète qu’Alstom Transport est une entreprise dynamique, en bonne santé et qui a les moyens de son avenir.

Ce n’est pas l’ensemble du processus qui a été torpillé par cette fuite ; c’est seulement la phase de consultation, mais celle-ci est fondamentale. C’est cela qui a provoqué la situation que vous connaissez.

Je ne suis pas du tout déchiré entre le court, le moyen et le long terme : ce qui m’intéresse c’est l’avenir.

En ce qui concerne « l’Airbus de l’énergie », je me méfie des formules. Alstom est un groupe international, comme l’est General Electric. Ce dernier a annoncé qu’il avait prévu d’installer en France son centre mondial de fabrication de turbines à vapeur et qu’il comptait conforter son centre européen et moyen-oriental dans le domaine du gaz. Il a pris des engagements quant au maintien en France des centres de décision. Il s’est engagé à augmenter le nombre d’emplois en France, notamment en régions, dans les secteurs de l’ingénierie et de la production. Les engagements sont là. Encore une fois, le fond m’intéresse plus que la nationalité. Regardez ce que font nos homologues allemands. Siemens, par exemple, vient d’annoncer qu’il comptait transférer en Floride le quartier général de sa branche énergie. Dans ce domaine, il faut se méfier de toute conception trop sommaire et considérer la situation de manière un peu plus fine.

Je vous promets que les quatre ans de commandes existent, monsieur Alauzet, voire un peu plus depuis la signature d’un contrat de 4 milliards avec l’opérateur sud-africain. Vous me permettrez de revenir vers vous après avoir vérifié ce qu’il en est des inquiétudes qui existeraient chez les salariés du site d’Ornans.

Il est vrai que des discussions sont en cours avec Areva à propos d’une éventuelle reprise du secteur éolien. Je n’y suis pas a priori opposé s’il s’avère qu’elle répond aux préoccupations de l’ensemble des parties prenantes. Il faut éviter cependant que ce qui est un projet industriel ne se transforme en vente à la découpe. Je ne pense pas que cela serait de l’intérêt des activités en cause.

M. Jean-Luc Laurent. Vous comprendrez, monsieur le président, l’extrême vigilance de la représentation nationale quant à l’avenir d’Alstom. Il s’agit d’abord d’une question de patriotisme économique, qui veut que l’on défende l’intérêt national. Ensuite, nous avons souvenir de certains précédents – à commencer par ArcelorMittal : il suffit de comparer ce qui avait été dit à l’époque par les dirigeants et ce qu’il est advenu. Enfin, vous êtes certes un « capitaine d’industrie », mais la restructuration du groupe que vous avez conduite en 2003 fut coûteuse économiquement, socialement et en emplois.

Je serai franc : j’ai le sentiment que vous êtes en train de rater votre sortie, faute d’avoir tenu compte de l’histoire du groupe Alstom et de la nature stratégique de ses activités. Cette affaire montre un manque de réflexion et de vision stratégique. Pourquoi avoir cherché à monter une opération financière en catimini, ou presque ? Au-delà de ce que vous nous avez déjà dit, pourriez-vous préciser quelles furent vos démarches et réflexions stratégiques durant les vingt-quatre derniers mois – car, ces affaires s’inscrivant dans la durée, il serait bon de remonter jusqu’à l’alternance de 2012 ?

M. Damien Abad. Il y a un monde entre ce que nous a déclaré le ministre de l’économie et ce que vous venez de dire !

Je comprends bien l’impératif de confidentialité que vous avez mis en avant, mais cela signifie-t-il que vous consultez les pouvoirs publics une fois qu’un accord est sur le point d’être conclu ? Dans ce cas, il ne s’agit plus vraiment d’une « consultation » !

Vous avez à juste titre insisté sur le fait qu’il ne fallait pas attendre trop longtemps pour accepter l’offre de General Electric, car ce serait dangereux pour l’entreprise. Or le ministre nous a dit exactement le contraire ; il s’est même déclaré heureux d’avoir pris un décret qui permettra selon lui de gagner du temps ! Qu’en pensez-vous ? Que change concrètement pour vous ce décret ?

Si le projet d’accord n’aboutissait pas, saisiriez-vous l’Union européenne ?

Le problème en France, c’est l’absence d’actionnaires de référence présents sur le long terme, donc, in fine, l’absence de fonds de pension. L’avez-vous ressenti comme une faiblesse ?

M. Patrice Prat. Malgré tous vos efforts, je n’ai pas été convaincu par les explications que vous avez données. Nous étions pourtant tous persuadés de la nécessité pour Alstom de changer de dimension afin de répondre aux nouveaux défis. Ce projet aurait sans doute mérité un autre traitement ; il eût fallu avoir un peu plus d’égards et de considération envers les pouvoirs publics et l’État, s’agissant de questions qui ont trait à la souveraineté nationale et aux intérêts stratégiques de la France. Je suis d’ailleurs surpris que l’on puisse s’offusquer de la réaction d’un ministre de la République – qui plus est celui chargé des questions économiques –, et que l’on ne comprenne pas l’émoi que cette affaire provoque dans le monde de l’industrie et dans l’opinion publique. Il eût fallu concilier l’intérêt de l’industrie, le souci des salariés et les projets de développement avec ces enjeux fondamentaux que sont la souveraineté nationale et l’indépendance énergétique de notre pays. On ne vous fera jamais grief d’avoir anticipé, mais peut-être vous êtes-vous un peu précipité.

Je vous poserai trois questions.

Il paraît que vous avez rendu visite au ministre en mars afin d’évoquer l’éventualité de plans sociaux. La vente de la branche énergie d’Alstom à General Electric les empêchera-t-elle ? Que vont devenir les salariés ?

Comment sera utilisé le produit financier de l’opération ?

Quel sort sera réservé à la branche transport ? Celle-ci survivra-t-elle à l’opération ? Des alliances ont-elles été prévues ?

M. Michel Sordi. Je suis d’accord avec vous : il serait préjudiciable à l’entreprise, donc aux salariés, de rester trop longtemps dans l’incertitude.

J’entends votre argumentation sur la taille critique, mais n’aurait-il pas été possible de procéder à un rapprochement avec un groupe industriel français, comme Thales ou Areva ?

M. Razzy Hammadi. Il y a une chose que je ne comprends pas : vous mettez en avant la nécessité d’une « prudente discrétion », mais lorsque vous annonciez par un communiqué de presse, le 2 janvier 2012, la création d’une société commune à 50/50 avec Shanghai Electric dans le domaine des chaudières pour centrales électriques, pourquoi cette règle ne s’imposait-elle pas ? Rien n’était encore signé : il s’agissait d’une simple déclaration d’intention commune. Or le projet a échoué, alors qu’il aurait fait de vous le leader mondial sur le marché. Pourquoi ?

Plutôt qu’une « prudente discrétion », je vois quant à moi du secret, pour ne pas dire de la cachotterie – qui aurait été difficilement envisageable dans d’autres pays comme l’Allemagne et les États-Unis s’agissant d’entreprises aussi stratégiques. Pourquoi avoir convoqué un conseil d’administration un dimanche ? Comment se fait-il qu’on l’ait appris par une dépêche de l’agence de presse Reuters ? Quelles pourraient être les conséquences juridiques des décisions prises au cours de ce conseil d’administration ?

Enfin, pourriez-vous nous dire quel est votre intérêt personnel, notamment financier, en tant que dirigeant d’entreprise, à une alliance avec General Electric ? Ce point fait-il l’objet de négociations ? Il ne devrait pas y avoir de sujet tabou dès lors que l’on touche à l’intérêt national !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Pensez-vous que les politiques industrielles actuellement menées en France et en Europe vous donnent la visibilité nécessaire pour prendre des décisions d’investissement et opérer des rapprochements avec d’autres entreprises ?

Il me semble normal que vous ayez des projets pour l’avenir : c’est le rôle d’un chef d’entreprise. Et si la représentation nationale veut être mieux considérée, il faudrait qu’elle-même fasse preuve d’un peu de considération pour les entrepreneurs : le respect doit être réciproque. Cela me choque d’entendre des collègues vous traiter presque de menteur ! On aurait pu dire la même chose au ministre : pourquoi la parole de l’État serait-elle plus digne de confiance que celle d’un chef d’entreprise ? Il y a en France beaucoup d’entreprises en difficulté ; si l’on portait un autre regard sur le monde de l’économie et de l’industrie, on s’épargnerait bien des polémiques !

M. le président François Brottes. Dans cette commission, la parole est libre, monsieur Taugourdeau.

Mme Frédérique Massat. Le Canard enchaîné s’est récemment fait l’écho d’informations concernant une affaire de corruption traitée par la justice américaine. Avez-vous des éléments à nous communiquer sur ce sujet ? Est-il vrai que le cabinet d’avocats qui défend Alstom aux États-Unis va être dirigé par le frère de Jeff Immelt, le PDG de General Electric ? De quelle manière ces deux affaires pourraient-elles influer sur les discussions en cours ?

M. Yves Blein. Je souhaite vous interroger sur les fondamentaux économiques d’Alstom.

À combien évaluez-vous le besoin en capitaux frais pour assurer la pérennité de l’entreprise ? Qu’est-ce qui vous a poussé à privilégier une opération externe ? De toute évidence, il s’agissait non pas d’un projet industriel, mais d’un besoin de liquidités ; dans ce cas, pourquoi ne pas avoir utilisé d’autres outils de financement ? Était-ce une occasion à saisir ? Des opérations sur d’autres branches du groupe auraient-elles pu satisfaire ce besoin ?

Question subsidiaire : avez-vous mesuré l’impact du CICE sur le résultat d’Alstom, ainsi que celui de la suppression annoncée de la contribution sociale de solidarité des sociétés ? J’imagine que cela contribuera à la recapitalisation de l’entreprise !

Mme Delphine Batho. Vos propos sur les surcapacités de production en Europe et leurs conséquences pour les entreprises du secteur énergétique sont fondés, mais cela devrait plutôt nous amener à nous interroger sur ce qu’il faudrait faire sur le plan industriel à l’échelon européen.

Nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises alors que j’exerçais d’autres fonctions ; je serai donc très directe avec vous.

Votre discours est révélateur de la gouvernance actuelle des entreprises, en France comme au niveau mondial. Quand il a besoin de lui, Alstom sait trouver l’État ; j’ai d’ailleurs été fière d’inaugurer avec vous le chantier de construction d’une usine de fabrication d’éoliennes offshore et de visiter à Grenoble vos installations dans le domaine de l’hydraulique. Vous avez justifié le fait de ne pas avoir informé le Gouvernement par un souci de confidentialité. Or, des informations confidentielles, les ministres en reçoivent des dizaines chaque jour : il me paraît grave de laisser entendre que l’on n’a pas informé un ministre par crainte d’une fuite !

Enfin, que penser de votre conception de la concertation avec les pouvoirs publics quand on sait que l’information révélée le 24 avril dernier a été dans un premier temps démentie par Alstom – un communiqué soutenant qu’Alstom n’était informé d’aucun projet concernant son capital a même été publié, sur lequel le Premier ministre s’est appuyé pour dire qu’il ne commentait pas des rumeurs –, avant que l’on découvre qu’un conseil d’administration extraordinaire était convoqué pour le dimanche suivant ?

M. Philippe Kemel. Votre exposé, qui fait suite à celui du ministre, montre que deux volontés s’opposent.

Pour nous, la représentation nationale, ce qui importe, c’est la valeur et l’intérêt stratégique d’Alstom, notamment dans le secteur de l’énergie. M. le ministre a dit que sa politique industrielle avait pour objectif de conserver ce qui existe sur le territoire national et de le mettre au service du système productif national et international, dans le cadre d’une économie monde.

Votre logique est nécessairement différente : vous raisonnez en termes de moyens de financement et de mobilisation de capitaux. On sait qu’un des actionnaires du groupe Alstom souhaite se retirer et valoriser ses capitaux dans d’autres secteurs, pour des raisons stratégiques qui lui sont propres – ce qui est parfaitement compréhensible. Cette information a-t-elle pesé sur votre décision ? Quel sera le montant des plus-values éventuellement dégagées ? À quel usage sera destiné le produit de la vente ? Permettra-t-il de réaliser une augmentation de capital de façon à favoriser le développement de la branche transport et pérenniser l’emploi – ce qui intéresse particulièrement la région Nord-Pas-de-Calais, où se trouve le site de Petite-Forêt ?

Mme Suzanne Tallard. Jusqu’à il y a deux ans, j’étais maire d’Aytré, commune où est implanté l’un des sites industriels d’Alstom Transport. Or il existe un écart saisissant entre vos propos très rassurants sur l’avenir de l’activité transport et le ressenti sur le terrain. La direction de l’entreprise et les salariés affirment que le carnet de commandes n’est pas rempli, qu’il n’existe pas de perspectives claires à trois ans, que si elle n’est pas adossée à la branche énergie, la branche transport d’Alstom n’atteint pas la taille critique, et que même si le groupe Alstom obtient des liquidités, il ne pourra pas utiliser cet argent pour se consolider, vu qu’il n’y a rien à acheter en Europe.

Il conviendrait que vous donniez des informations claires sur le devenir des sites, de sorte que les dirigeants, les salariés et, par la même occasion, les clients puissent être rassurés.

M. Patrick Kron. Monsieur Laurent, permettez-moi de vous dire que la question n’est pas de savoir si je vais rater ma sortie ou pas – d’autant que je considère que je suis encore loin d’être dehors ! Laisser à mon successeur le soin de régler les problèmes n’a jamais été ma façon de faire. Mon devoir est d’anticiper et de prendre mes responsabilités : c’est précisément ce que j’ai fait. Ce qui m’intéresse, c’est de veiller à l’avenir de nos activités et de nos sites, et de consolider l’emploi. Une éventuelle « sortie » n’aurait de sens que par rapport à cette préoccupation.

Ce projet n’est en rien une opération financière ; dans mon esprit, il s’agit d’une opération industrielle, que je juge bénéfique, car elle donnera un avenir aux activités énergie d’Alstom. Est-ce la meilleure ? Je l’ignore. Le conseil d’administration en délibérera ; s’il y a d’autres offres, il les examinera. Mais aujourd’hui, je vous dis en conscience que, pour les 65 000 salariés concernés, cette solution est préférable au statu quo. L’inquiétude sur Alstom Transport découle de ce que nous n’avons pas encore eu la possibilité d’informer dans le détail et de consulter les partenaires sociaux dans tous les pays concernés. Nous le ferons dès que possible : ce sera la prochaine étape du processus.

Je le répète encore une fois : il ne s’agit en rien d’une opération financière ; c’est le résultat d’une analyse qui nous a conduits à considérer que la stratégie de l’autonomie était périlleuse pour les salariés. La solution qui se présente me paraît répondre aux enjeux auxquels nous devons collectivement faire face.

Faut-il essayer de gagner du temps ? Je pense qu’il convient de trouver le bon équilibre entre la nécessaire rigueur de la démarche – qui comprend une phase de consultation et de concertation et la demande d’autorisation prévue par le décret – et l’intérêt de l’entreprise. Je veux simplement attirer votre attention sur le fait que le temps ne joue pas nécessairement en faveur de l’entreprise, qui ne doit pas rester dans l’expectative trop longtemps.

Je ne m’offusque absolument pas de l’intervention de l’État, monsieur Prat – je ne me le permettrais pas. Je sais bien qu’il s’agit d’un sujet important ; l’État est une des parties prenantes dans le dossier, de même que les salariés de l’entreprise. Le fait qu’il prenne ses responsabilités et décide d’agir ne me pose aucun problème.

Quant aux plans sociaux, je pense que la force de frappe internationale de General Electric et la puissance de la combinaison qui résultera de cet accord sont la meilleure garantie contre eux, alors qu’aujourd’hui, certaines de nos usines souffrent d’une sous-activité commerciale. Pour vous donner un ordre de grandeur, sur les douze derniers mois, nous avons vendu onze turbines à gaz quand General Electric en vendait 100 à 150. Voilà une illustration de ce qu’est la « taille critique » !

L’actionnariat n’a rien à voir avec ce projet, qui répond à un problème de taille sur un marché qui s’est consolidé au cours du temps et qui franchit aujourd’hui une nouvelle étape dans ce processus. L’activité d’Alstom Énergie s’est construite au fil des acquisitions, aux États-Unis, en Suisse ou en Scandinavie. Malheureusement, dans le contexte actuel, nous n’avons pas la taille critique qui me permettrait de dire aux salariés, les yeux dans les yeux, que nous éviterons les écueils.

J’en viens à la question du « secret ». L’État est un interlocuteur habituel d’Alstom, c’est bien évident, mais je rappelle que le projet a été construit – certes dans la confidentialité – en quelques semaines. Lorsque j’ai vu le ministre, début mars, j’avais déjà dîné avec le président de General Electric et pris un petit-déjeuner, le matin suivant – un hasard du calendrier –, avec le président de Siemens. Le président de General Electric ayant évoqué la possibilité d’une coopération, je l’ai prié de me donner la possibilité d’y réfléchir, et j’ai rencontré ses collaborateurs vers la deuxième quinzaine de mars ; nous avons alors décidé de nous rencontrer de nouveau le 23 mars, puis de travailler ensemble jusqu’au 23 avril.

Il n’y a rien de choquant à ce que je n’aie pas été au rapport durant ces trois ou quatre semaines, puisque j’ignorais s’il résulterait quelque chose de ces rencontres. Le problème, c’est qu’entre le moment où j’ai pris conscience qu’un accord était possible et la fuite de Bloomberg, il ne s’est écoulé que quelques heures. Qui pouvait y avoir intérêt ? Certainement pas nous, probablement pas General Electric. Seul un petit nombre de personnes étaient associées à ce dossier, de notre côté comme de celui de General Electric, mais il y avait également, comme toujours dans ce genre de discussions, des banquiers d’affaires et des avocats. Malheureusement, la confidentialité n’a pas été préservée.

Le projet que vous évoquez, monsieur Hammadi, était sans commune mesure avec celui dont il est aujourd’hui question ; de surcroît, il concernait une activité d’Alstom, les chaudières, qui était alors en difficulté. L’annonce de discussions avec Shanghai Electric n’était de nature à inquiéter ni notre corps social ni nos clients : tout cela apparaissait logique. Mais le fait que ces discussions se soient retrouvées dans le domaine public n’a probablement pas contribué à les faciliter ; d’ailleurs, elles ont échoué : nos intérêts et ceux de Shanghai Electric se sont révélé diverger.

Quant à la convocation d’un conseil d’administration exceptionnel un dimanche, vous comprendrez que l’agitation médiatique du vendredi m’a conduit à prendre l’initiative d’une information rapide et détaillée des membres du conseil d’administration sur ce qui était en train de se passer. Il s’agissait d’une réunion purement informative. Il y en a eu d’autres depuis, et il y en aura encore, puisque le conseil d’administration sera tenu régulièrement informé de l’avancée du processus. La question de la portée juridique de la décision ne se pose pas, puisque le conseil d’administration a simplement décidé de constituer un corps d’administrateurs indépendants et de mettre en place un processus lui permettant d’examiner de manière transparente et rigoureuse l’offre qui nous a été faite et d’examiner les éventuelles offres alternatives. Le malentendu provient du fait qu’on a cru qu’il s’agissait d’un processus abouti. Or nous en sommes encore au démarrage ; nous n’avons à l’égard de General Electric aucune obligation autre que celle d’examiner son offre et de ne pas chercher activement des offres alternatives, étant entendu que nous avons la possibilité d’examiner celles qui nous seraient soumises. Je crois que l’affaire a fait suffisamment de bruit pour que ceux qui ont envie d’en présenter une puissent le faire !

Pour ce qui est de mon intérêt personnel, c’est bien simple : je n’ai engagé aucune négociation avec quiconque. Mon statut est celui des présidents de sociétés du CAC 40, je n’ai ni contrat de travail ni protection particulière. Mon seul objectif est de trouver une solution intelligente pour nos 93 000 salariés. Je vous remercie de m’avoir posé cette question, car il a été dit certaines choses, mais je vous assure que tout cela n’a rien à voir.

S’agissant de l’article du Canard enchaîné, il est vrai que nous faisons actuellement l’objet, dans un certain nombre de pays dont les États-Unis, d’enquêtes pour des faits de corruption relatifs à des dossiers anciens ; sachez que nous collaborons étroitement avec les autorités judiciaires.

Quant aux liens entre le frère de M. Immelt et le cabinet d’avocats que nous emploierions, j’ai découvert l’information en lisant ce journal ! Il est exact que nous utilisons les services de ce cabinet – qui emploie au total 10 000 à 20 000 avocats –, mais uniquement ceux de son bureau bruxellois, où exerce un spécialiste du droit de la concurrence à qui je fais régulièrement appel depuis 2003. Cela n’a rien à voir avec General Electric !

S’agissant de nos supposés besoins en capitaux frais, pardon de le dire crûment, mais je ne crois pas qu’1 milliard de plus ou de moins dans les caisses d’Alstom changerait quoi que ce soit au nombre de turbines vendues. Il s’agit hélas d’un problème de taille critique – et nous n’avons pas la possibilité de racheter General Electric, sinon vous pensez bien que j’aurais proposé cette solution au conseil d’administration et à l’assemblée générale ! Ce dont nous avons besoin, c’est d’une taille critique qui donnera à Alstom les moyens de son avenir.

L’impact du CICE est limité du fait que nous comptons beaucoup d’ingénieurs dans notre effectif ; or, comme vous le savez, le bénéfice du CICE est soumis à un plafond d’éligibilité.

Nous avons en effet eu la chance de nous rencontrer en d’autres occasions, madame Batho, et je me réjouis de ce que nous avons fait ensemble, à commencer par l’ouverture du nouveau centre de technologie hydroélectrique de Grenoble. General Electric a pris l’engagement non seulement d’établir en France son centre mondial pour l’énergie hydraulique, mais également d’accroître les activités de recherche et développement dans le centre de Grenoble. Quant à l’usine de Saint-Nazaire, elle est la première d’une série de quatre usines qu’Alstom va construire pour développer la filière éolienne offshore. General Electric a indiqué qu’il reprendrait à son compte la totalité des engagements d’Alstom sur cette filière.

Je n’ai donc pas l’impression que le projet mette en péril notre base industrielle française ; il va au contraire lui permettre de se renforcer et de se développer. La majorité des salariés d’Alstom en France travaille aujourd’hui pour l’exportation : il ne faut pas opposer les racines française et européenne du groupe et sa capacité à attaquer les marchés internationaux ; celle-ci sortira renforcée de cette alliance.

Penser que Bouygues nous aurait fait aller à Canossa pour vendre ce fleuron national serait contraire à la réalité : c’est moi qui ai pris l’initiative de rencontrer le président de General Electric, ainsi que le président de Siemens et tous les autres présidents des sociétés présentes dans nos métiers, parce qu’il était de mon devoir d’examiner s’il y avait quelque chose d’intelligent à faire. Certes, à un moment donné, à l’aval du processus, General Electric a voulu vérifier qu’un tel accord aurait le soutien de Bouygues, mais le projet ne répond en rien à la volonté de ce dernier de vendre ses actions au meilleur prix.

Madame Tallard, je vous assure qu’il existe bel et bien un carnet de commandes de 25 milliards d’euros – ce qui ne signifie pas que nous n’aurons pas besoin d’engranger de nouvelles commandes pendant quatre ans. Certes, nous avons un devoir d’information, mais ce sera la prochaine étape : pour informer, encore faut-il avoir quelque chose à dire. Ce n’est d’ailleurs pas seulement une obligation morale et une évidence opérationnelle : c’est une obligation juridique. La prochaine étape du processus, une fois que le conseil d’administration aura accepté l’offre de General Electric, ou de toute autre société, sera de soumettre le dossier pour information puis pour consultation aux partenaires sociaux. Ce dossier sera en parallèle présenté aux autorités compétentes afin d’obtenir les autorisations nécessaires, puis les actionnaires devront donner leur accord.

Oui, Alstom Transport a la taille critique : je ne comprends même pas la raison d’être de ce débat ! En connaissez-vous beaucoup, vous, des entreprises françaises avec un chiffre d’affaires de 6 milliards et une présence dans 60 pays, répartis sur tous les continents ? Des entreprises qui emploient 9 000 personnes en France, dont une partie considérable travaille pour l’exportation ? Des entreprises dont le carnet de commandes est rempli pour les quatre prochaines années, et qui viennent de signer un contrat de 4 milliards d’euros en Afrique du sud, avec des conséquences extrêmement positives sur de nombreux sites français ? Nous avons la taille critique – dans un environnement concurrentiel différent de celui de l’énergie. Un de mes plus douloureux souvenirs de ces douze dernières années est la perte du contrat pour la construction du TGV saoudien, contre une entreprise dix fois plus petite que nous – ce qui montre que, parfois, la taille critique ne suffit pas.

M. le président François Brottes. Résumons : le projet que vous défendez prévoit une intégration des activités d’Alstom Énergie au sein de General Electric, c’est-à-dire une absorption, et non une alliance ; Alstom Transport serait exclu du dispositif ; les sommes versées par General Electric serviraient non pas tant à rémunérer les actionnaires qu’à désendetter Alstom Transport et à l’aider à passer un nouveau cap dans son développement ; enfin, vous n’êtes pas opposé à ce qu’Areva se positionne sur l’éolien offshore.

M. Patrick Kron. Je veux juste apporter une clarification concernant l’utilisation des 12,35 milliards d’euros qu’ Alstom devrait toucher si le projet était mené à bien. Comme je l’ai indiqué, la somme servirait, premièrement, à rembourser la dette ; deuxièmement, à donner à Alstom Transport les moyens de son développement ; troisièmement, à verser aux actionnaires un dividende, d’un montant pour l’heure indéterminé, mais qui fera en temps utile l’objet d’un vote de l’assemblée générale.

S’agissant de l’éolien offshore, ce qui m’intéresse, c’est d’assurer la viabilité sur le long terme de ce que nous avons construit : c’est la première fois qu’Alstom construit des usines sur le territoire national depuis plus de 40 ans. Or il ne suffit pas de bâtir les murs, encore faut-il que ces murs vivent et que se développe une filière française qui réponde non seulement aux besoins du marché français, mais aussi à de plus vastes ambitions. Qui est susceptible de réaliser au mieux ce projet ? Voilà l’angle sous lequel nous examinerons les offres qui nous seront faites.

Mme Corinne Erhel. On sait que, depuis l’arrivée sur le marché d’un quatrième opérateur de téléphonie mobile, Bouygues Télécom se trouve en difficulté, ce qui affecte le résultat global du groupe. Quel est le rôle joué par l’actionnaire Bouygues dans ce dossier ?

M. Patrick Kron. Cette question me met en porte-à-faux, puisque je ne suis ni le représentant de General Electric ni celui de Bouygues. Je dirai simplement que le groupe Bouygues est, avec 29 % des parts, un actionnaire important ; il est représenté au conseil d’administration d’Alstom, où il dispose de deux voix sur quatorze – je rappelle qu’il y a neuf administrateurs indépendants. Le groupe Bouygues a indiqué qu’il s’exprimerait, mais qu’il suivrait les recommandations du conseil d’administration – l’objectif de ce dernier étant, je le rappelle, de veiller aux intérêts de l’ensemble des parties prenantes. J’ajoute que Bouygues a précisé qu’il comptait rester actionnaire de long terme d’Alstom.

M. le président François Brottes. Si l’offre de General Electric n’était pas retenue, le pré-accord que vous avez signé prévoit-il le versement d’une compensation financière ?

M. Patrick Kron. Le conseil d’administration d’Alstom a la totale liberté d’accepter l’offre de General Electric, de la refuser ou d’en accepter une autre, sans devoir un centime à quiconque.

M. le président François Brottes. Monsieur le président, merci d’avoir pris le temps de vous livrer à cet exercice, qui était très attendu.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 20 mai 2014 à 19 heures

Présents. - M. Damien Abad, Mme Delphine Batho, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Thierry Benoit, M. Yves Blein, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, M. Daniel Fasquelle, M. Jean Grellier, M. Razzy Hammadi, M. Philippe Kemel, M. Jean-Luc Laurent, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Hervé Pellois, M. Patrice Prat, M. François Pupponi, Mme Béatrice Santais, M. Michel Sordi, M. Éric Straumann, M. Jean-Charles Taugourdeau, Mme Clotilde Valter

Excusés. - Mme Brigitte Allain, M. Alain Bocquet, Mme Michèle Bonneton, M. Jean-Claude Bouchet, M. Joël Giraud, Mme Anne Grommerch, M. Antoine Herth, M. Thierry Lazaro

Assistaient également à la réunion. - M. Éric Alauzet, Mme Suzanne Tallard