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Commission des affaires économiques

Mardi 10 juin 2014

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 89

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Maryvonne Le Brignonen, inspectrice des finances, rapporteure générale du Conseil des prélèvements obligatoires, et Mme Catherine Démier, secrétaire générale du CPO, sur le rapport « fiscalité locale et entreprises ».

– Communication, ouverte à la presse, de Mme Régine Diyani, directrice de l’Agence pour l’informatique financière de l’État, sur la dématérialisation de la facturation entre État et personnes publiques

La commission a auditionné Mme Maryvonne Le Brignonen, inspectrice des finances, rapporteure générale du Conseil des prélèvements obligatoires, et Mme Catherine Démier, secrétaire générale du CPO, sur le rapport « fiscalité locale et entreprises », ainsi que Mme Régine Diyani, directrice de l’Agence pour l’informatique financière de l’État, sur la dématérialisation de la facturation entre État et personnes publiques.

M. le président François Brottes. Nous abordons aujourd’hui deux aspects assez techniques de la vie des entreprises.

Nous entendrons, d’abord, Mme Maryvonne Le Brignonen et Mme Catherine Démier, qui nous présenteront le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), publié en mai 2014, qui porte sur la fiscalité locale des entreprises. C’est une question qui intéresse au premier chef la Commission des affaires économiques : à mon sens, si l’on distend le lien entre fiscalité et territoire, on risque de ne plus pouvoir ouvrir d’usine, car, en l’absence de contrepartie tangible à la fumée, à un trafic dense ou au passage de camions, les élus ne seront plus intéressés. Nous ne sommes malheureusement pas dans une phase de stabilisation de la fiscalité locale, puisqu’une grande réforme territoriale s’annonce ; mais nous pouvons en profiter pour poser des questions. Quel est vraiment le rôle de la fiscalité dans les liens qui s’établissent entre les entreprises et les collectivités locales ? Le niveau de la fiscalité est-il un facteur important dans le choix d’implantation d’une entreprise ?

Nous entendrons, ensuite, Mme Régine Diyani, qui abordera la question de la dématérialisation des factures de l’État et des personnes publiques. Nous soutenons pleinement les mesures de simplification annoncées par le Gouvernement. D’après les entreprises, il semble toutefois qu’il existe encore quelques complexités.

Mme Catherine Démier, secrétaire générale du CPO. Le Conseil des impôts, ancêtre du Conseil des prélèvements obligatoires, est né en 1971, dans un contexte marqué par un mouvement de protestation fiscale des petits commerçants et artisans. Le Gouvernement avait alors voulu créer un observatoire indépendant de l’impôt sur le revenu, rattaché à la Cour des comptes. Dès la fin des années 70, les compétences du Conseil ont été élargies à l’ensemble des impôts, puis, en 2005, à l’initiative du Parlement, à l’ensemble des prélèvements obligatoires, c’est-à-dire également aux prélèvements sociaux et à la fiscalité locale. C’est alors qu’il a changé de nom pour devenir le Conseil des prélèvements obligatoires.

Le CPO comprend aujourd’hui dix-huit personnalités, fonctionnaires ou personnes issues de la société civile. Les commissions des finances des deux chambres du Parlement, ainsi que celles des affaires sociales, peuvent le saisir : ainsi le rapport Fiscalité locale et entreprises a-t-il été commandé par la Commission des finances de l’Assemblée.

Depuis 2006, le CPO a rendu pas moins de quatorze rapports, qui sont accessibles sur notre site et ont été beaucoup téléchargés.

Mme Maryvonne Le Brignonen, rapporteure générale du CPO pour le rapport Fiscalité locale et entreprises. La fiscalité locale a été largement étudiée en tant que ressource des collectivités locales ; elle l’a été beaucoup moins du point de vue des entreprises.

Le CPO a d’abord dressé un inventaire des impositions locales qui frappent les entreprises, en essayant d’en chiffrer l’ampleur financière. Il a ensuite cherché à répondre aux questions posées par la lettre de saisine, qui portaient sur le bilan de la réforme de la taxe professionnelle mise en œuvre en 2010, et sur la cohérence entre fiscalité nationale et fiscalité locale au regard de la compétitivité des entreprises. Il s’est enfin interrogé sur le rôle de la fiscalité locale dans l’attractivité des territoires.

Nous avons d’abord constaté que la fiscalité locale des entreprises est disparate, et ne peut être qu’estimée. Le CPO a recensé près de soixante-dix impositions différentes, parfois ponctuelles. On peut distinguer, d’une part, les impositions réellement locales, dont l’assiette peut être territorialisée, et qui s’élèvent à environ 43 milliards d’euros en 2012 – contribution économique territoriale (CET) ou taxe foncière notamment –, et, d’autre part, les impositions locales qui sont en réalité des impositions nationales allouées aux collectivités locales. Ces dernières ont représenté environ 16 milliards d’euros en 2012. Par ailleurs, pour certaines impositions, dont le montant s’élève à 17 milliards d’euros, l’administration fiscale ne sait pas distinguer la part payée par les ménages de celle payée par les entreprises – celle-ci s’élèverait approximativement à 3 milliards d’euros. Au total, on peut estimer que la fiscalité locale des entreprises représenterait à peu près 60 milliards d’euros par an.

Traditionnellement, la fiscalité locale des entreprises reposait en France sur des assiettes que l’on pouvait facilement rattacher à un territoire. Cette singularité s’est partiellement perdue aujourd’hui : la fiscalité transférée aux collectivités locales dans le cadre de la décentralisation est d’une nature différente. Si les assiettes demeurent majoritairement foncières, il en existe aussi de nature sectorielle dynamiques ou spécifiques à un territoire –dans les villes thermales ou celles disposant d’un casino, par exemple.

L’une des principales conclusions du rapport est que la création de la CET a effectivement favorisé la compétitivité des entreprises et amélioré la cohérence des assiettes fiscales locales et nationales. Les critiques adressées à la taxe professionnelle sont connues : elle renchérissait les coûts de production et pénalisait les secteurs exposés à la concurrence internationale. La réforme, qui a notamment créé une assiette fondée sur la valeur ajoutée, a donc globalement atteint son objectif. Elle a d’abord entraîné un allégement global de la fiscalité économique locale, ce qui a agi comme une mesure de soutien aux entreprises. Les effets ont été durables : dans les conditions fiscales de 2010, toutes entreprises confondues, on pouvait constater une baisse de l’impôt économique local des entreprises de 7,5 milliards d’euros ; en rythme de croisière, ce gain a été de l’ordre de 4 milliards d’euros. Au total, 60 % des entreprises ont été gagnantes, 15 % n’ont pas vu leur situation évoluer et 25 % ont été perdantes.

La réforme a modifié la répartition sectorielle de la charge fiscale. Le secteur de l’industrie est le premier bénéficiaire de la réforme, puisque sa charge fiscale a connu une diminution de l’ordre de 2 milliards d’euros. Les PME sont également gagnantes : les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 3 millions d’euros concentrent environ la moitié du gain fiscal initial de la réforme. Cependant, le CPO a relevé des effets non prévus, notamment pour les entreprises qui se sont trouvées assujetties à la cotisation minimale de cotisation foncière des entreprises (CFE). La réforme a entraîné, pour les professions libérales ainsi que pour les artisans et commerçants, un rétrécissement de la base d’imposition qui les a fait entrer dans le dispositif. Le nombre d’entreprises redevables de la CFE a augmenté d’environ 14 % en 2011 et 12 % en 2012. Depuis 2010, toutefois, les lois de finances successives ont affiné ces dispositifs et lissé les effets de seuil.

Le CPO a relevé que, depuis 2010, la fiscalité économique locale a connu une évolution modérée – ce qui était l’un des objectifs de la réforme –, avec un taux national de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) fixé à 1,5 %. Les évolutions de la base de CVAE sont difficiles à analyser : nous manquons de recul, puisqu’il y a un décalage de deux ans entre les montants payés par les entreprises et ceux reversés aux collectivités.

La réforme de la fiscalité locale des entreprises va se poursuivre avec la révision des valeurs locatives cadastrales, qui doit prendre en compte l’évolution des marchés locatifs. Ce travail de longue haleine devrait montrer ses premiers effets en 2016, sur les taxes foncières, sur la CVAE et la CFE, mais aussi sur la répartition de la CVAE entre les collectivités. Il y aura des transferts de charges, c’est sûr, mais il est impossible de les évaluer aujourd’hui. Le rapport demande qu’une communication adaptée et détaillée soit mise en place par l’État à destination des entreprises.

La fiscalité des entreprises s’oriente davantage aujourd’hui vers une taxation de la richesse produite que vers une taxation des facteurs de production ; c’est un point que le CPO estime positif. En effet, la création de la CVAE, les récentes réflexions – certes aujourd’hui abandonnées – sur l’excédent brut d’exploitation (EBE) ou les échanges lors des assises de la fiscalité ont montré la nécessité de s’orienter dans cette voie. Au niveau local, le CPO a conclu que la coexistence de la CVAE, dont l’assiette est la valeur ajoutée, et de la CFE, dont l’assiette foncière matérialise le lien entre l’entreprise et son territoire, constituait aujourd’hui un bon compromis.

S’agissant du rôle de la fiscalité locale dans l’attractivité des territoires, le CPO a constaté que la réforme de 2010 a réduit la concurrence fiscale entre collectivités locales, en particulier grâce à la fixation d’un taux national de CVAE. Nos nombreux entretiens nous ont convaincus que la fiscalité locale ne constitue qu’un élément parmi bien d’autres dans l’attractivité des territoires : ce qui compte, ce sont avant tout les aides et prestations de services non monétaires – développement d’une infrastructure, offre de transports. L’un des leviers majeurs est la disponibilité du foncier, et la fiscalité peut effectivement jouer un rôle important dans ce cadre. Des exonérations fiscales, bien que leur durée comme leur montant soient souvent limités, sont toutefois considérées par les entreprises comme un signal positif : il ne faut donc ni exagérer leur importance ni la négliger. Le CPO conclut que les leviers fiscaux sont aujourd’hui plutôt utilisés par les collectivités pour augmenter leurs ressources, soit par l’utilisation d’impositions facultatives, comme la taxe locale sur les enseignes et publicités extérieures (TLPE), ou par le recours au taux plafond lorsqu’il existe une possibilité de modulation, pour la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom), par exemple.

Le CPO considère que des évolutions importantes relèvent d’un débat global sur le rôle assigné à la fiscalité locale. Il propose néanmoins certaines pistes d’amélioration.

Il paraît, d’abord, nécessaire de stabiliser le paysage fiscal, sur la base des acquis de 2010. Le CPO s’est interrogé sur la meilleure façon de consolider les acquis de la réforme en matière de compétitivité, grâce à certaines simplifications. Il s’est interrogé sur la pertinence d’une CVAE spécifique pour certains secteurs économiques, notamment celui des assurances : c’est un sujet qui a fait débat à la fin de l’année dernière, lorsque la CVAE versée par les entreprises d’assurances, notamment à la Ville de Paris, a brusquement diminué. Après des travaux assez techniques que je ne développerai pas ici, le CPO a conclu qu’une telle mesure aurait toutefois au moins autant d’inconvénients que d’avantages. Il a jugé utile de simplifier certains dispositifs très complexes, certaines taxes ne faisant même pas l’objet d’un imprimé CERFA.

Il apparaît, ensuite, pertinent au CPO de consolider la gouvernance de la fiscalité locale des entreprises, pour prévenir son émiettement et renforcer son efficacité. Il n’existe, à ce jour, aucun suivi coordonné et centralisé au niveau de l’État, alors que plusieurs administrations interviennent. De plus, les collectivités locales manquent de visibilité sur leurs ressources fiscales au moment où elles votent leur budget. Le CPO a donc proposé de réunifier la maîtrise d’œuvre de la fiscalité locale des entreprises au sein d’une seule direction, rattachée au ministère de l’économie et des finances. Cela permettrait un meilleur suivi, notamment du poids pour les entreprises de cette fiscalité – car son estimation s’est révélée un exercice extrêmement difficile. La communication d’informations par l’État aux collectivités locales, notamment sur la question de la CVAE, devrait également, autant que faire se peut, arriver plus tôt dans l’année.

Le CPO propose encore la suppression de certaines petites taxes et le resserrement des ressources fiscales des collectivités locales autour de grandes impositions. Ce serait plus lisible pour les entreprises, et permettrait sans doute de limiter le coût de cette fiscalité. Toutefois, des évolutions significatives relèvent de débats plus larges, portant sur l’ensemble de la fiscalité des entreprises, ainsi que sur l’objectif assigné à la fiscalité locale des entreprises – soit assurer un financement stable des collectivités territoriales, soit donner une efficacité économique à la fiscalité. Les collectivités locales ont besoin de ressources stables, et l’assiette foncière permet de sécuriser leurs ressources fiscales puisque les bases taxables sont captives ; mais, d’un point de vue économique, l’imposition de facteurs de production est plus défavorable à l’activité économique que la taxation des richesses produites. A contrario, cette dernière varie suivant le cycle économique. L’objectif premier de la fiscalité locale est-il donc d’assurer un financement à la fois stable et dynamique des collectivités locales ou bien de disposer d’une fiscalité en phase avec le cycle économique ? La « crise des bases minimum de CFE » en 2013 a montré cette tension, difficile à résoudre. Cette question excède largement le mandat confié au CPO et implique des arbitrages politiques entre le choix d’un financement des collectivités par le biais de la fiscalité ou sur la base de dotations. Le CPO estime cependant que c’est ce cadre global qui est pertinent pour l’analyse de la fiscalité locale des entreprises.

M. le président François Brottes. Merci. Nous allons maintenant entendre Mme Régine Diyani.

Mme Régine Diyani, directrice de l’Agence pour l’informatique financière de l’État. Sur la base du rapport rendu par votre collègue Thierry Mandon, le comité interministériel pour la modernisation de l’action publique (CIMAP) a pris, en juillet 2013, un certain nombre de mesures, dont le développement de la facturation électronique entre l’administration et ses fournisseurs. Il s’agit de substituer à un échange traditionnel, sur papier, un échange numérique, dématérialisé.

Depuis le 1er janvier 2012, l’État a l’obligation d’accepter de ses fournisseurs des factures électroniques ; cette obligation, je le souligne, ne s’impose aujourd’hui ni aux collectivités territoriales ni aux établissements publics. L’Agence pour l’informatique financière de l’État (AIFE) a conçu à cet effet le logiciel Chorus Factures. Toutefois, ce portail a suscité très peu d’engouement : sur 4 millions environ de factures reçues chaque année, nous n’avons reçu en 2013 que 34 000 factures dématérialisées. Parmi les 95 millions de factures reçues par l’ensemble de la sphère publique, l’immense majorité est donc sur papier. Je parle bien ici des seules commandes publiques et non des demandes de subvention, par exemple.

Nous avons mené une concertation, à la suite de celle déjà conduite par M. Mandon. En novembre et décembre 2013, nous avons ainsi consulté l’ensemble des organisations représentatives des entreprises privées – MEDEF, CGPME, Chambres de commerce et d’industrie, Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables, entre autres. Il est apparu que les entreprises souhaitaient que l’ensemble du secteur public soit concerné par l’obligation d’accepter les factures dématérialisées : la nécessité de distinguer entre État, collectivités territoriales et établissements publics faisait perdre le temps gagné grâce à la dématérialisation. Elles considèrent également que l’ensemble des entreprises doit être concerné. Un échéancier progressif de mise en œuvre leur a également paru préférable à une date unique pour toutes les entreprises. Le calendrier initialement prévu s’étalait de 2016 à 2022 ; les représentants des entreprises ont souhaité qu’il soit à la fois resserré et décalé : le projet d’ordonnance a donc finalement retenu un étalement entre 2017 et 2020.

Nous avons également mené une concertation avec les collectivités territoriales et certains établissements publics nationaux. Nous avons ainsi rencontré, entre autres, l’Association des maires de France (AMF), l’Association des communautés urbaines de France (ACUF), l’Association des régions de France (ARF), l’Assemblée des départements de France (ADF), la Fédération hospitalière de France (FHF) et les représentants des centres hospitaliers universitaires. Ils ont souhaité la mise en place d’une solution mutualisée, unique pour l’ensemble du secteur public, afin d’éviter la multiplication des plates-formes. Ils ont également souhaité être associés à la mise en place de solutions techniques opérationnelles, afin que le calendrier puisse être respecté.

La Commission consultative d’évaluation des normes (CCEN), présidée par M. Alain Lambert, a émis un avis favorable au projet d’ordonnance.

Tous les acteurs rencontrés sont convenus que les gains d’une dématérialisation des factures seraient partagés entre les fournisseurs et les administrations.

M. le président François Brottes. La seule perdante, c’est La Poste.

Mme Régine Diyani. Effectivement.

L’ordonnance que prépare le Gouvernement a trois grands objectifs. Il s’agit, tout d’abord, de généraliser l’obligation faite à l’État d’accepter les factures électroniques : elle s’appliquera donc également aux collectivités territoriales et aux établissements publics. L’ordonnance institue, ensuite, une obligation pour les fournisseurs de transmettre leurs factures de façon électronique : cette obligation s’appliquera au 1er janvier 2017 pour les grandes entreprises, au 1er janvier 2018 pour les entreprises de taille intermédiaire, au 1er janvier 2019 pour les petites et moyennes entreprises, et enfin au 1er janvier 2020 pour les micro-entreprises. Les modalités seront multiples – échanges de données informatisées, dépôt de fichiers sous différents formats, voire saisie sur un portail. De nouveaux services sont prévus : ainsi, les fournisseurs pourront suivre l’avancement du traitement de leurs factures. Enfin, à la demande des collectivités territoriales, l’État offrira une solution technique mutualisée qui permettra le dépôt de fichiers, la réception et la transmission des factures électroniques aux différents destinataires.

L’ordonnance a été soumise au Conseil d’État, et devrait être adoptée lors du conseil des ministres du 25 juin prochain. Elle s’inscrit dans une démarche partagée de modernisation de l’État, des collectivités territoriales et des établissements publics.

M. Damien Abad. Force est de constater que la réforme de la taxe professionnelle s’est révélée plutôt positive, notamment en matière de compétitivité. La cohérence des assiettes est un point important. Toutefois, il en reste d’autres à améliorer, notamment la question des valeurs locatives cadastrales, ainsi que celle de l’assiette – ce qui concerne d’ailleurs autant les entreprises que les personnes. Le CPO a-t-il travaillé sur ce point ?

Vous soulignez bien l’opposition entre taxation de la richesse produite et taxation des facteurs de production, moins pertinente économiquement mais qui offre une stabilité des ressources des collectivités locales. Les collectivités territoriales ont, en principe, l’autonomie fiscale, mais l’on voit bien qu’elles vivent de plus en plus de dotations de l’État. Comment renforcer leur autonomie fiscale ?

Ne faudrait-il pas se pencher sur les soixante-dix taxes différentes qui existent dans notre système à des fins de simplification ?

Mme Jeanine Dubié. Nous sommes, je crois, tous d’accord pour considérer que soixante-dix taxes locales différentes pesant sur les entreprises, c’est beaucoup trop : il faut simplifier. Vous montrez que l’État n’a pas de suivi organisé de la fiscalité locale des entreprises : que préconisez-vous ? Avez-vous des informations sur la révision des valeurs locatives des locaux commerciaux et professionnels, et notamment sur son calendrier ?

Je suis l’élue d’une circonscription dans laquelle de nombreuses communes sont classées en zone de revitalisation rurale (ZRR). Votre rapport montre que la fiscalité, ou plus exactement les avantages fiscaux offerts, ne constitue pas nécessairement un facteur important dans le choix d’implantation d’une entreprise. C’est un constat qui m’a intriguée. Comment faire mieux connaître les dispositifs comme les ZRR, afin de favoriser l’implantation des entreprises dans les territoires ruraux ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. Les effets de la contribution minimale de CFE sur les commerçants et artisans ont parfois été très importants. Aujourd’hui, où en est-on ? Va-t-on parvenir à une imposition juste de ces toutes petites entreprises ?

Le CPO propose que les collectivités locales puissent « trouver des compensations à la suppression » de certaines petites taxes « soit par diminution de leurs dépenses, soit par l’augmentation des taux des impositions sur lesquelles elles disposent d’un pouvoir de modulation ». Mais les marges de manœuvre, vous le savez bien, sont aujourd’hui minimes dans les collectivités territoriales, alors même qu’elles rencontrent de grandes difficultés budgétaires. Que préconisez-vous ?

Avez-vous mesuré précisément l’impact qu’ont eu sur les entreprises les mesures d’exonération dans les ZRR ? Comment améliorer l’efficacité de ce dispositif ?

Mme Annick Le Loch. Dans le cadre de la réforme de la taxe professionnelle, a été notamment créé le Fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR) communales et intercommunales. À ce sujet, j’ai été interpellée par plusieurs présidents de communautés de communes de ma circonscription : dans ma circonscription, les trois quarts des communautés de communes versent des sommes importantes, puisqu’elles s’élèvent à 8,2 millions d’euros, soit 100 euros par habitant. Le FNGIR avait pour objectif de mettre en place une compensation entre les collectivités qui gagnaient à l’instauration de la réforme envers celles qui y perdaient. N’a-t-on pas abouti à une situation où les territoires modestes, qui comptaient très peu d’entreprises, versent maintenant des compensations à des collectivités plus riches, plus dépensières quelquefois, et qui disposent ainsi d’une rente de situation ? Ce prélèvement n’est-il pas injuste ? Une réforme du FNGIR est-elle envisagée ?

Mme Marie-Hélène Fabre. Vous mettez en évidence le paradoxe qui est au cœur de la fiscalité locale : celle-ci doit-elle servir d’abord à assurer aux collectivités territoriales un financement stable et pérenne ou bien favoriser la compétitivité des entreprises ? Ces deux objectifs ne sont pas facilement conciliables. Aujourd’hui, les collectivités territoriales « manquent de visibilité sur le niveau attendu de leurs ressources fiscales au moment du vote de leur budget. » La tentation est forte de s’appuyer sur une assiette foncière large, et donc de sécuriser des bases taxables captives ; mais ce n’est pas forcément une bonne chose pour l’activité économique.

Votre rapport laisse cette question ouverte. Le CPO a-t-il des propositions sur la meilleure façon de concilier équité fiscale et sécurisation du financement des collectivités ?

M. Jean-Pierre Le Roch. Le CPO relève l’absence d’une conception et d’un suivi de la fiscalité locale des entreprises au niveau de l’État. Ce constat peut aussi bien être élargi à l’ensemble de la fiscalité des entreprises : les décisions prises par les parlementaires comme par les élus locaux s’appuient donc fréquemment sur des approximations. Vous proposez de « réunifier la maîtrise d’œuvre de la fiscalité locale des entreprises au sein d’une seule direction rattachée au ministère de l’économie et des finances ». Qu’entendez-vous par là ? Ne serait-il pas nécessaire d’aller beaucoup plus loin en remettant à plat tous les processus d’analyse et de décision qui concourent aux évolutions de la fiscalité des entreprises ?

Mme Frédérique Massat. Je reviens, à mon tour, à la question des ZRR. Un arrêté dévastateur publié au mois de juillet dernier faisait sortir de nombreuses communes de ce dispositif ; heureusement, le Gouvernement a tout de suite pris un arrêté rectificatif et décidé de lancer des études beaucoup plus approfondies. On entend aujourd’hui parfois dire que ces dispositifs n’ont pas beaucoup d’effets ; mais je peux vous dire que, sur mon territoire, on constate vraiment les effets des ZRR comme des bassins d’emplois à redynamiser (BER). Quel est votre point de vue ?

Votre rapport évoque la possibilité de supprimer « une quinzaine de taxes dont le produit unitaire est inférieur à 35 millions d’euros » ; vous citez notamment la surtaxe sur les eaux minérales ou la taxe sur les remontées mécaniques. Or ces taxes sont affectées à des territoires, notamment de montagne, pour lesquels elles représentent des sommes importantes. Il me paraît pertinent de maintenir un lien entre les entreprises et leur territoire. Cette proposition du CPO a provoqué de fortes inquiétudes. Comment tenir un discours moins anxiogène, et comment réformer la fiscalité locale sans abandonner ces territoires ?

M. le président François Brottes. Madame Diyani, on parle beaucoup aujourd’hui de la question des délais de paiement. Or l’élément déclencheur du délai, c’est la facturation, et donc le bon de commande, dont il semble qu’il ne soit pas toujours établi sur-le-champ. Avez-vous réfléchi à cet aspect ?

Mme Régine Diyani. Pour l’État, vous avez raison, c’est un point essentiel – je connais moins bien le monde des collectivités locales et des établissements publics. L’État dispose maintenant de l’outil unique que j’évoquais tout à l’heure, Chorus Factures, qui permet à tous ceux qui procèdent à une dépense d’émettre des bons de commande. Il est effectivement demandé que toute facture porte la référence du bon de commande, afin que le paiement puisse s’enclencher. Sinon, les délais peuvent s’allonger. Pour les collectivités locales et les établissements publics, le numéro du bon de commande ne sera pas exigé, mais plutôt le SIRET de la collectivité ou de l’établissement, par exemple.

M. le président François Brottes. L’exigence du bon de commande ne vient-elle pas des banques auxquelles les entreprises font appel au titre de la loi Dailly, lorsqu’elles rencontrent des problèmes de trésorerie ?

Mme Régine Diyani. Pas seulement : pour qu’un paiement soit effectué, il faut un contrat, donc un bon de commande ; la facture n’est payée que s’il y a eu un bon de commande et si le service est fait.

M. le président François Brottes. Revenons-en maintenant à la question de la fiscalité locale et des entreprises.

Mme Maryvonne Le Brignonen. Plusieurs questions ont porté sur la révision des valeurs locatives cadastrales. Elle sera très progressive. L’ensemble des évaluations des valeurs locatives actuelles est parvenu à la direction générale des finances publiques (DGFIP) ; une fois traitée, l’information a été renvoyée à chaque collectivité. Les réunions des commissions départementales vont maintenant se tenir. Au premier semestre 2015, nous devrions disposer d’une vision plus claire des positions adoptées par ces commissions.

L’année 2016 devrait donc être consacrée à la mise en œuvre de la réforme, qui pourrait entrer en vigueur en 2017. Mais les impacts seront lissés : nous n’aurons une vision complète sur la réforme qu’en 2022. Des mesures de neutralisation sont prévues pour éviter tout déport de la fiscalité des entreprises vers la fiscalité des ménages, ou l’inverse d’ailleurs. Nous savons qu’il y aura des reports de charges entre les entreprises, en fonction de leur localisation, mais notre rapport n’a pas pu chiffrer ces effets à venir.

Nous sommes au milieu du gué. Le CPO estime qu’il faut laisser la réforme entrer en vigueur : elle devrait apporter plus de justice, puisque les nouvelles valeurs refléteront mieux la réalité économique.

Comment réformer, et d’abord comment mieux connaître la fiscalité des entreprises ? Le CPO a proposé la réunification de la maîtrise d’œuvre au sein d’une seule direction : c’est une proposition qui peut paraître bien technocratique, mais c’est en réalité très important. Aujourd’hui, personne n’a une vue globale du coût pour les entreprises de la fiscalité locale, voire nationale. Il ne s’agit pas du tout de dessaisir les différents ministres – du logement ou de l’environnement – de leurs compétences. Au moins la réunification de la maîtrise d’œuvre permettrait-elle de mieux connaître les mesures envisagées, de centraliser l’information, de s’assurer que les fiches d’impact sont bien faites, d’assurer une meilleure coordination entre les mesures issues des différents ministères.

Mme Catherine Démier. Loin de nous l’idée d’adopter des positions hostiles au travail de l’administration ! Mais le CPO a notamment souligné qu’il existait 17 milliards de taxes dont on ne sait pas si elles sont payées par des entreprises ou des ménages ; c’est le cas, par exemple, des droits de mutation et d’enregistrement, de la taxe sur les certificats d’immatriculation. L’idée de se donner les moyens d’avoir une vue globale de la fiscalité de l’entreprise nous a donc paru très intéressante.

M. le président François Brottes. Comment a été reçue cette proposition de réunification ?

Mme Maryvonne Le Brignonen. Nous n’avons, en tout cas, pas rencontré d’opposition forte au sein du CPO. L’idée de centraliser l’information a, je crois, paru légitime, dès lors que chaque ministre conservait sa pleine compétence.

S’agissant de la cotisation minimale de CFE et des ajustements successifs qu’elle a connus, nous n’avons encore que très peu de recul, et le CPO n’a pu mesurer les effets de la cotisation minimale que pour la première année. Ils ont incontestablement été forts, les réactions locales ont été très importantes : des manifestations de commerçants ont même eu lieu. Il faut reconnaître que certains ont vu leurs cotisations augmenter fortement ; il faut aussi reconnaître que l’on partait parfois de très bas, puisque le calcul de la taxe professionnelle était beaucoup plus favorable à certains secteurs qu’à d’autres. Il y a donc effectivement eu un rééquilibrage.

Aujourd’hui, de trois tranches, on est passé à six : les effets de seuil sont donc aujourd’hui bien moindres qu’ils n’étaient au départ. Les collectivités locales réalisent également, grâce à une bonne collaboration avec la DGFIP, de meilleures simulations des conséquences de leur choix de taux. Nous n’avons pas pu mesurer les effets des mesures prises dans la loi de finances pour 2014 ; néanmoins, à en juger par les réactions locales beaucoup moins vives, la situation semble clarifiée.

S’agissant des petites taxes, elles peuvent effectivement représenter un montant significatif pour certaines collectivités locales. En dressant cette liste, le CPO n’entendait absolument pas stigmatiser certains territoires, mais bien montrer l’émiettement des taxes. Il propose une simplification du paysage pour les entreprises, mais, bien sûr, en prenant en considération les situations locales, qui sont bien identifiées, notamment les villes touristiques ou de montagne.

S’agissant du rôle de la fiscalité locale dans l’attractivité des territoires, nous pensions, nous aussi, au départ, qu’il était important. Or nous avons conclu des rencontres que nous avons pu faire que la fiscalité locale n’était qu’un point parmi beaucoup d’autres. L’attractivité, pour une entreprise, c’est d’abord un écosystème créé par une collectivité ou par un ensemble de collectivités – infrastructures, desserte, disponibilité du foncier. Les entreprises apprécient ce qui met de l’huile dans les rouages. Le rapport est donc assez clair sur ce point : les exonérations, notamment celles décidées au niveau local, ne constituent pas un enjeu majeur.

Dès lors, je comprends votre surprise concernant les ZRR. Je ne peux répondre sur ce dispositif précisément, car nous avons adopté une approche plutôt globale. Il y a peut-être un problème de communication vis-à-vis des entreprises ; au regard de nos travaux, il ne faut pas se contenter de parler des avantages fiscaux proposés, mais plutôt mettre en avant l’ensemble de l’écosystème créé par ces zones de revitalisation.

S’agissant du FNGIR et des compensations accordées à certaines collectivités locales par la réforme, nous n’avons pas fait de recherches sur ce point, car nous avons, dans ce rapport, adopté le point de vue des entreprises. La manière dont l’argent circule entre les collectivités – comme la question de la territorialisation des effectifs pour la CVAE – n’entrait donc pas dans notre sujet.

L’ambivalence entre équité fiscale et sécurisation économique est un très vaste sujet. Les collectivités locales doivent-elles être financées par des dotations ou par la fiscalité ? C’est une question qui dépassait largement le cadre de notre mission. Sur la question très spécifique de la sécurisation des financements, le rapport relève à différentes reprises que, par nature, la CVAE varie avec le cycle économique : faible en période de dépression, son produit augmentera beaucoup en période de croissance. Cette question, là encore, n’entrait pas dans le cadre de notre rapport, mais on pourrait imaginer un mécanisme qui permettrait d’économiser des ressources en haut de cycle, pour pouvoir en disposer lorsque la période est moins favorable : on éviterait ainsi les à-coups.

Mme Catherine Démier. Pour conclure, je voudrais souligner que ce sont surtout les petites entreprises qui ont bénéficié de la réforme de la taxe professionnelle : 35 % des gains de la réforme sont allés aux entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 1 million d’euros par an ; la moitié du gain fiscal initial, lequel était tout de même de 8 milliards d’euros, a été concentrée sur les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 3 millions d’euros.

Les secteurs qui ont le plus bénéficié de la réforme sont ceux de l’industrie et des services aux entreprises, suivis de ceux du commerce, de la construction, et de l’éducation, de la santé et de l’action sociale.

Mme Maryvonne Le Brignonen. Les grandes gagnantes sont les petites PME industrielles, qui sont très exposées à la concurrence internationale : la réforme a donc été favorable à la compétitivité des entreprises.

M. le président François Brottes. Pour les grandes entreprises, on sait que les effets de cette réforme ont été minimes, car elles bénéficiaient déjà de dispositifs favorables.

Puisque ce rapport adopte le point de vue du contribuable, je voudrais souligner ici qu’il ne serait pas inutile de s’interroger sur les acteurs économiques qui lèvent l’impôt sans avoir à rendre de comptes à leurs contribuables – agences de l’eau, syndicats d’électricité ou associations départementales d’aménagement.

Mme Catherine Démier. Monsieur le président, vous me faites regretter de ne pas avoir relu avant cette réunion le rapport que le CPO a consacré, en 2013, à la demande du Premier ministre, à la fiscalité affectée. C’est là un enjeu considérable : des sommes très élevées sont en cause, alors même que les taxes affectées constituent une atteinte forte au principe d’universalité. De plus, les établissements qui en sont bénéficiaires sont, avons-nous constaté, moins soumis que d’autres à la contrainte budgétaire. Ils rendent peu de comptes aux contribuables, et ont tendance à considérer les taxes qui leur reviennent comme des ressources propres.

Le rapport du CPO proposait notamment une rebudgétisation ambitieuse, avec un échéancier précis. Il ne faut pas s’y tromper : il ne s’agissait pas de proposer la suppression du financement de certaines politiques publiques – politique de l’eau, financement du cinéma ou des chambres de commerce et d’industrie, par exemple –, mais bien d’en remettre en cause les modalités, qui sont dérogatoires au principe d’universalité et constituent une atteinte aux pouvoirs du Parlement, seul à pouvoir consentir à l’impôt.

M. le président François Brottes. Les modalités de l’affectation ne posent-elles pas des problèmes de constitutionnalité ? Ces dispositifs ne sont-ils pas juridiquement fragiles ?

Mme Catherine Démier. Je ne saurais vous le dire aujourd’hui.

La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) a sans doute été insuffisamment réformatrice sur ce point. Notre rapport proposait de la réviser afin de mieux encadrer les affectations externes au budget général.

M. le président François Brottes. Ma critique ne porte pas sur l’existence de taxes affectées, mais sur le fait qu’il existe des organismes qui lèvent des impôts sans rendre de comptes aux contribuables.

Merci, mesdames.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 10 juin 2014 à 17 heures

Présents. - M. Damien Abad, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, M. François Brottes, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Christian Franqueville, M. Jean Grellier, M. Jean-Luc Laurent, Mme Annick Le Loch, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Frédérique Massat, M. Hervé Pellois, M. Dominique Potier

Excusés. - M. Joël Giraud, Mme Anne Grommerch, Mme Josette Pons, M. Bernard Reynès