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Commission des affaires économiques

Mardi 17 juin 2014

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 91

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Joe Kaeser, président-directeur général de Siemens AG et M. Shunichi Miyanaga, président-directeur général de Mitsubishi Heavy Industries

La commission a auditionné M. Joe Kaeser, président-directeur général de Siemens AG et M. Shunichi Miyanaga, président-directeur général de Mitsubishi Heavy Industries.

M. le président François Brottes. Nous sommes aujourd’hui au cœur de l’actualité industrielle de notre pays, puisque nous abordons à nouveau le dossier Alstom, dans lequel une décision doit être prise à la fin du mois de juin. Après avoir entendu Patrick Kron, président-directeur général d’Alstom, Christophe de Maistre, président de Siemens France, et Jeffrey R. Immelt, le patron de General Electric, nous accueillons aujourd’hui MM. Joe Kaeser, président-directeur général de Siemens AG, et Shunichi Miyanaga, président-directeur général de Mitsubishi Heavy Industries. Je signale d’ailleurs à tous nos collègues que nous recevrons M. Martin Bouygues le 1er juillet prochain.

Merci, messieurs, d’avoir accepté notre invitation. Vous avez présenté votre offre ce matin même au Président de la République ; vous la présentez maintenant à la représentation nationale. Quels sont vos projets, notamment en matière d’emploi en France et de gouvernance partagée ? Vous comprenez nos craintes : si la gouvernance quitte la France, l’écoute risque d’être différente. D’autre part, s’agit-il d’une offre conjointe, c’est-à-dire faite en même temps par deux opérateurs différents, ou bien d’une offre commune ? Tolérerez-vous, au sein des pactes d’actionnaires futurs, la présence de la France ?

M. Shunichi Miyanaga, président-directeur général de Mitsubishi Heavy Industries. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je suis très honoré de m’exprimer devant vous. Nous allons vous présenter notre offre, comme nous l’avons fait hier devant le conseil d’administration d’Alstom. Nous souhaitons la survie d’Alstom, et même son développement : notre proposition va dans l’intérêt de la France comme dans celui de notre entreprise.

M. Joe Kaeser, président-directeur général de Siemens AG. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je suis Joe Kaeser, l’un des 362 240 salariés de Siemens ; je suis fier de travailler pour ce groupe, comme, j’en suis sûr, nos collègues d’Alstom sont très fiers de leur entreprise.

Siemens est présent en France depuis plus de cent soixante ans ; nous y possédons sept sites industriels et dix centres de recherche et développement, pour un chiffre d’affaires de 3 milliards d’euros environ. Nous employons en France 7 000 salariés.

Notre offre, que nous avons présentée hier à Alstom, est meilleure que ses concurrentes. Nous sommes restés longtemps silencieux, car nous avons commencé par travailler dur afin de concevoir une proposition qui soit digne du fleuron industriel qu’est Alstom, et qui soit bonne pour les salariés d’Alstom et pour la France. Nous sommes heureux de vous présenter aujourd’hui l’aboutissement de nos efforts, menés avec Mitsubishi Heavy Industries.

Sur le plan financier et social, comme sur le plan de la stratégie industrielle, notre projet pour Alstom est meilleur que les autres projets présentés. En effet, il permet de conserver l’intégrité de l’entreprise – énergie, notamment énergies renouvelables, et transports. Certains ont prétendu que Siemens et Mitsubishi voulaient démanteler Alstom, et que nous ne raisonnions qu’à court terme. La réalité, c’est au contraire que nous présentons un projet industriel global, intéressant et fondé sur le long terme.

Nous proposons un partenariat entre Alstom, Siemens et Mitsubishi. Ainsi les activités « turbines à vapeur et nucléaire » seront confortées : nous sommes prêts à verser 2,3 milliards d’euros à Alstom pour 40 % de ses activités, ce qui lui permettra de renforcer sa branche « vapeur ». Le reste demeurera chez Alstom.

Quant aux activités dans le domaine de l’énergie hydraulique, nous prévoyons une alliance stratégique entre Mitsubishi et Alstom. Quant au domaine du transport, cette branche restera chez Alstom, mais renforcée : Siemens a déjà manifesté son intérêt, et, nous l’avons dit, la coopération dans ce domaine pourrait faire très vite l’objet de nouvelles négociations une fois cette opération close. Ainsi, à partir des activités de Siemens et d’Alstom, nous pourrions construire un champion européen, capable de conquérir de nouveaux marchés et de mener de grands projets. Siemens s’est également dit prêt à acheter les activités de construction de turbines à gaz d’Alstom, pour un prix de 3,9 milliards d’euros. Mitsubishi, après l’aboutissement de l’opération, apportera à Alstom ses technologies dans ce domaine.

Si vous envisagez ce projet dans son ensemble, vous verrez qu’Alstom en sort renforcé, grâce à un apport en numéraire de 7 milliards d’euros. En éliminant sa dette, en investissant, Alstom pourra assurer son avenir. Siemens et Alstom pourront privilégier les mobilités – et pas seulement les trains – pour créer un champion européen : ce ne sont pas les restructurations que nous recherchons, mais la croissance et l’innovation.

Voilà notre concept stratégique. Il tient la route, et il est orienté vers l’avenir. Il s’appuie sur un partenariat entre nos différentes entreprises. Nous ne voulons pas faire d’Alstom une petite entreprise à quelques milliards de chiffre d’affaires : si vous voulez son démantèlement, alors il faut vous tourner vers les autres offres, qui proposent 12 milliards pour les activités d’Alstom dans le domaine de l’énergie ! Si vous souhaitez qu’Alstom vive, si vous voulez sauvegarder et même développer l’emploi, alors il faut choisir un partenariat à long terme comme celui que Mitsubishi et Siemens vous proposent. Voilà nos engagements. Nos deux entreprises sont plus que séculaires. Elles ont noué de nombreux partenariats réussis. Nous avons un projet stratégique et industriel de long terme, et je peux vous promettre que ce projet a été bien pensé et que nous le mettrons en œuvre.

Notre proposition est notamment meilleure sur le plan financier : nous estimons que la branche « énergie » vaut environ 14,2 milliards d’euros. Une autre offre l’évalue à 12,3 milliards. Mais nous ne voulons pas tout acheter : la moitié de ces 14,2 milliards sera injectée dans la société Alstom, pour investir, innover et assurer la pérennité à long terme de cette magnifique entreprise.

Nous pensons que ce projet peut réussir : Mitsubishi et Siemens ont réfléchi et sont prêts à agir avec constance et sur le long terme.

M. Shunichi Miyanaga. Voici comment nous envisageons cette alliance avec Alstom.

Je veux d’abord souligner que Mitsubishi coopère déjà avec AREVA, dans le domaine du nucléaire. AREVA et nous-mêmes sommes parfois concurrents, c’est vrai ; néanmoins nous développons actuellement, au sein d’ATMEA, un nouveau projet de réacteur nucléaire plus sûr, plus fiable, en mettant en commun nos points forts. Ce projet est maintenant bien avancé : un premier réacteur doit être construit en Turquie.

Nous comprenons toute l’importance de respecter la culture de chaque entreprise, et nous avons beaucoup d’expérience en ce domaine. Notre collaboration avec AREVA est particulièrement approfondie.

Dans la technologie des turbines comme des chaudières, les technologies d’Alstom sont de niveau mondial. Nous disposons de nos propres technologies, mais je considère que nos deux entreprises peuvent s’apporter beaucoup l’une à l’autre.

Alstom dispose d’un réseau très développé en Europe et en Afrique alors que Mitsubishi, basé au Japon, a des marchés importants en Asie et en Amérique. Nous sommes donc complémentaires. En nous alliant, en développant de nouvelles technologies, nous progresserons encore et nous renforcerons notre compétitivité. Nous envisageons des collaborations dans le domaine de la recherche et développement, de l’ingénierie, de l’achat de pièces, etc. Du reste, il nous est déjà arrivé de collaborer ; nous avons également visité le site de Belfort, dont nous avons pu voir les points forts. En travaillant ensemble, nous pouvons nous renforcer mutuellement, tant dans le domaine de la production que dans celui de l’ingénierie, et développer de nouveaux projets.

Nous pensons pouvoir développer notre recherche et développement en Europe : si notre offre est acceptée, nous pensons notamment créer ici un centre commun avec Alstom. Nous pensons pouvoir globalement créer un millier d’emplois en France.

Nous avons proposé de prendre 10 % des actions du groupe Alstom, afin de montrer notre volonté d’agir à long terme. Nous souhaitons, je le souligne, que l’État participe au moins à cette hauteur, afin de montrer qu’Alstom reste français : nous voulons pour notre part demeurer minoritaires.

Merci beaucoup de nous avoir écoutés.

Mme Clotilde Valter. Messieurs, je ne vous cache pas notre surprise : nous nous attendions à une offre qui aboutisse à la construction de deux champions, l’un français et l’autre allemand ; nous pouvions espérer alternativement qu’une ambition européenne permette la construction d’une entreprise sur le modèle d’Airbus, qui demeure pour nous un modèle.

Nous souhaitons donc la bienvenue à M. Miyanaga et à Mitsubishi dans cette aventure. Monsieur Kaeser, pourquoi ce partenariat et qu’apporte-t-il ? Quelle est la genèse de ce projet ?

Vous avez tous deux compris que nous ne souhaitons pas être achetés ; nous préférons la mise en place d’un partenariat. Pouvez-vous apporter des précisions sur le type de gouvernance que vous envisagez ?

Vous vous dites favorables à une prise de participation de la France : quel doit selon vous être le rôle de l’État dans ce dispositif ?

M. Daniel Fasquelle. Notre sentiment est que les jeux sont faits : Alstom a déjà choisi General Electric ; c’est en effet l’intérêt des actionnaires d’Alstom, notamment Bouygues, puisque l’offre de GE prévoit le versement d’un « super-dividende ».

Le seul moyen de faire accepter votre offre serait donc que l’État reprenne la participation de Bouygues dans le capital d’Alstom ; selon un grand journal du soir, Bercy étudie d’ailleurs cette hypothèse. On sait également que M. Montebourg préfère l’offre de Siemens. Avez-vous reçu des garanties sur l’implication du Gouvernement français, et notamment sur une éventuelle prise de participation ?

Mme Jeanine Dubié. J’aurai trois questions.

Premièrement, au sujet des partenariats industriels que vous proposez de développer, comment souhaitez-vous répartir les activités entre les différents groupes ?

Deuxièmement, en ce qui concerne les co-entreprises dans les domaines des turbines à vapeur et des réseaux, il semble que l’accord ne porte que sur les volets marketing et commercial. Doit-on en conclure qu’Alstom pourrait conserver son autonomie en matière de production et de recherche ?

Troisièmement, nous avons lu dans la presse que le syndicat unique allemand, IG Metall, s’était mobilisé contre cette offre. Au moment où Siemens est en train de se réorganiser au niveau interne, cette alliance est-elle de nature à déstabiliser le projet, et comment réagissez-vous à la réticence syndicale ?

M. le président François Brottes. Pour ma part, j’ajouterai cette question : n’êtes-vous pas entrés dans la course uniquement pour empêcher General Electric de devenir encore plus gros qu’il ne l’est actuellement ?

M. Joe Kaeser. Je vais commencer par répondre à vos questions, monsieur le président. Vous vous êtes demandé si notre offre était de nature conjointe ou commune. En fait, il s’agit d’une offre de partenariat, que l’on peut sceller d’une poignée de mains et dont chacun connaît les détails à l’avance. Pour ce qui est de la présence de représentants de l’État français dans le cadre des futurs pactes d’actionnaires, mon collègue japonais a déjà dit que Mitsubishi se félicitait du soutien apporté par l’État français à la solution industrielle proposée dans un domaine technologique essentiel pour la France ; nous sommes nous aussi très heureux de l’intervention de l’État, et plus encore de la participation des syndicats représentant les salariés. En Allemagne, nous sommes habitués au Mitbestimmung, à la cogestion : moi qui suis chez Siemens depuis trente ans, j’ai vu passer quantité de présidents et entendu nombre de promesses, parfois non tenues. Mais jamais je n’ai vu des représentants des salariés et des actionnaires échouer à trouver une solution au problème posé, ce qui aurait obligé le président du conseil d’administration à faire usage de la double voix dont il dispose. C’est ainsi que nous concevons la coopération : il s’agit avant tout d’agir ensemble.

Notre offre n’est pas faite pour nuire à une autre entreprise, mais vise à être utile à tous : à Alstom, à Mitsubishi, à Siemens et, in fine aux salariés d’Alstom, qui sont aussi fiers de leur entreprise que M. Miyanaga et moi-même le sommes des nôtres. Il ne s’agit pas de démanteler, mais bien au contraire de renforcer le groupe – et si nous avions simplement voulu bloquer l’offre de General Electric, nous aurions pu le faire.

Nous avons réfléchi à une solution à long terme pour assurer l’avenir d’Alstom, mais nous aurions aussi bien pu attendre que les autorités de la concurrence, mises en présence de l’offre d’un concurrent dominant – qui, possédant déjà plus de 50 % des parts de marché pour les turbines à gaz dans le monde, cherche à s’assurer le contrôle de 10 % supplémentaires – s’opposent cette offre.

Il me paraît important de rappeler l’historique des événements. En avril 2014, je suis allé me présenter au PDG d’Alstom, M. Kron, comme étant le premier serviteur de Siemens, et nous avons décidé de faire table rase des différends et des malentendus qui avaient pu opposer nos sociétés respectives par le passé, pour nous concentrer sur la meilleure façon de renforcer celles-ci. Il n’a toutefois pas donné suite à cette première prise de contact et, quelques jours plus tard, il a été annoncé qu’Alstom allait céder entièrement sa branche énergie à General Electric contre de l’argent. Nous avons alors fait savoir à Alstom que nous estimions avoir des solutions plus intéressantes à lui proposer, et son conseil d’administration a accepté de reporter sa décision – mais nous ne disposions que de quarante-huit heures pour faire une offre quand notre concurrent avait eu deux mois. C’est à ce moment-là que le Gouvernement nous a soutenus en demandant que tous les acteurs en présence puissent disposer des mêmes chances : quatre semaines nous ont alors été accordées pour mettre au point notre offre, dans un dossier loin d’être simple.

L’idée de départ était de permettre la naissance d’un champion grâce à un partenariat, sur le modèle de la société Airbus, mais aussi en se référant à d’autres réussites comparables, en Europe et ailleurs. La clé de la réussite consiste à savoir écouter les gens, qu’il s’agisse des représentants des salariés, de l’opinion publique française, du conseil d’administration, mais aussi des salariés d’Alstom. L’opération envisagée suscitant de nombreuses interrogations, notamment au sujet de notre activité de transport, questions et réponses ont été échangées de part et d’autre, ce qui a permis de rassurer les uns et les autres.

Nous sommes partis d’un projet qui nous semble tenir la route et, l’ayant examiné en termes de concurrence, avons formulé une offre qui nous paraît aujourd’hui être la meilleure pour Alstom, en ce qu’elle permet de maintenir les technologies énergétiques au sein de cette société, qui est fière d’en disposer. C’est sur ce point que nous avons fait porter notre réflexion : sur la recherche de la meilleure solution possible dans le secteur de l’énergie. Pour cela, nous avons pris contact avec Mitsubishi, une entreprise qui partage nos valeurs et qui a l’habitude de la négociation. Nous avons travaillé très dur pour arriver finalement à un projet qui permettait de préserver la société Alstom, mais aussi de la renforcer en augmentant sa trésorerie et en la dotant d’un partenariat technologique. Certes, madame Valter, notre offre a évolué par rapport à ce qu’elle était initialement, mais il faut savoir raisonner en termes d’opportunité à saisir.

Avec l’offre faite par General Electric, on a parlé d’allouer 9 milliards d’euros aux actionnaires ; pour en ce qui nous concerne, nous estimons que les salariés doivent, eux aussi, se voir offrir des perspectives. Ainsi, Alstom réalise actuellement 20 milliards d’euros de chiffre d’affaires, qui se réduiraient à 6 milliards d’euros si l’offre concurrente était acceptée, tandis que le nombre de ses salariés passerait de 43 000 à 30 000, et que ses activités se verraient réduites au seul transport. Si notre offre a évolué dans le temps, c’est pour parvenir à ce qui permettra une croissance durable du groupe, et je pense que le conseil d’administration d’Alstom a bien compris que l’argent mis sur la table n’est pas le seul facteur à prendre en considération : il faut aussi et surtout apprécier ce qui est offert en termes de partenariat à long terme, de motivation et d’innovation. Je ne pense pas que l’on puisse dire que la décision est déjà prise, même si l’un des actionnaires possède à lui seul 29 % des parts du groupe.

Je me félicite que l’État français ait aidé Alstom en permettant l’émergence d’une autre offre, que nous avons pu mettre au point et formuler grâce aux quelques semaines qui nous a été accordé. Pour cela, je remercie Arnaud Montebourg, qui a défendu à la fois les intérêts de la France et ceux d’Alstom. Sans lui, Alstom aurait conclu depuis longtemps l’offre à 9 milliards d’euros – ou 12 milliards d’euros, si l’on prend en compte l’augmentation de cette offre à la suite de notre intervention – qui lui avait été faite initialement par notre concurrent.

Pour ce qui est de la façon dont le partenariat va fonctionner en termes de réseaux et de gouvernance, Mitsubishi va jouer un rôle éminent dans la co-entreprise. Sur cette question, je vais donc passer la parole à mon collègue japonais.

M. Shunichi Miyanaga. Je veux d’abord dire que notre idée n’est pas d’acheter Alstom, qui est une importante entreprise française. Nous réfléchissons toujours en termes de coopération et nous souhaitons que l’opération envisagée soit fructueuse sur ce plan. Si je suis tout à fait conscient que les entreprises japonaises et les entreprises françaises ont chacune leur façon de travailler, il n’en reste pas moins que le marché est global, et la concurrence mondiale : nous avons donc tout intérêt à associer les points forts de nos sociétés respectives. En plus de notre apport financier, nous allons également faire bénéficier Alstom de notre savoir-faire technologique – ce qui nous conduit à proposer de racheter 40 % de l'activité turbines à vapeur, tandis que nous limitons notre participation à 20 % dans le domaine de la transmission hydraulique, qui n’est pas notre fort.

En plus de participer aux différentes activités d’Alstom, nous souhaitons également prendre une participation financière de 10 % au niveau du groupe afin de montrer notre volonté de nous engager à long terme, et avons fait connaître à la société Bouygues notre souhait de racheter une partie des actions qu’elle détient, à hauteur de ces 10 % – étant précisé que nous souhaitons fortement que l’État français achète, lui aussi, au moins 10 % des parts d’Alstom à Bouygues, afin qu’il soit bien clair qu’Alstom reste française : nous ne voulons pas devenir le premier actionnaire du groupe.

Par ailleurs, il est prévu que le secteur de la recherche et du développement reste à Alstom. Dans ce domaine, nous menons notre propre activité au Japon, et souhaitons qu’une partie de nos savoirs respectifs soit mise en commun afin de parvenir à un renforcement mutuel. La France possède des capacités en matière de savoir-faire, de création et d’innovation tandis que, de notre côté, nous avons développé une aptitude particulière à mettre en pratique les nouvelles idées dans le domaine technologique – nous sommes donc complémentaires. En ce qui concerne le marketing et le service, la clientèle est mondiale. Si nous pouvons développer ensemble cette activité, nos clients y gagneront aussi.

M. le président François Brottes. Nous allons maintenant poser le reste des questions, auxquelles M. Kaeser et M. Miyanaga répondront de façon globale.

M. Éric Straumann. Je ne sais si en Allemagne, on apprécierait forcément qu’un entrepreneur français vienne s’expliquer devant le Bundestag de sa volonté d’acquérir une entreprise allemande… Cela dit, j’aurai quatre questions.

Premièrement, dans la mesure où Siemens a décidé en 2011 de renoncer à toutes les activités de la filière nucléaire, le rachat d’Alstom ne risque-t-il pas de poser un problème, le Gouvernement français ayant décidé que 50 % de la production d’électricité resterait pour le moment d’origine nucléaire ? Deuxièmement, allez-vous maintenir le nom d’Alstom, auquel les Français sont très attachés ? Troisièmement, à l’instar de General Electric, vous promettez la création de 1 000 emplois en France : quels seront les sites français concernés ? Quatrièmement, les Français et les Allemands ont mis au point, chacun de leur côté du Rhin, deux belles réussites industrielles que sont le TGV et l’ICE, au sujet desquels le document mis à notre disposition fait état du projet d’une « combinaison d’actifs » – or je ne vois pas comment nous pourrions combiner quoi que ce soit au sujet de ces deux trains, conçus en faisant appel à des technologies radicalement différentes.

M. Patrice Prat. Je souhaite la bienvenue aux PDG de Siemens et de Mitsubishi, et je veux souligner à mon tour les vertus de l’action du Gouvernement, grâce à laquelle Alstom peut aujourd’hui se voir proposer une offre structurée comportant deux volets : d’une part, un projet industriel intéressant sur le long terme, d’autre part, un volet humain.

Cela m’inspire deux séries de questions. Premièrement, puisque vous avez tous deux évoqué votre volonté de construire, à terme, un leader dans le domaine du transport ferroviaire, en quoi votre offre renforce-t-elle la branche transport d’Alstom ? Deuxièmement, pouvez-vous nous préciser vos engagements respectifs en termes d’emploi ? M. Miyanaga a évoqué la création de 1 000 emplois en France, mais à quel horizon ? Quant à M. Kaeser, quelles assurances peut-il nous apporter en la matière ?

Enfin, je me réjouis de voir qu’un partenariat tel que celui qui est aujourd’hui proposé – une alliance entre deux industriels de poids égal – peut conduire au désendettement et au renforcement d’Alstom, lui permettant ainsi de conserver, dans un souci de souveraineté industrielle, le contrôle de ses activités transport et énergie.

M. Yannick Moreau. Alors que votre offre conjointe a pu être interprétée comme un démantèlement d’Alstom et que le PDG de Mitsubishi a laissé entendre tout à l’heure que l’État français serait lui aussi appelé à prendre une participation au capital d’Alstom, comment avez-vous pu obtenir le soutien de l’État français, en la personne de M. Montebourg ?

M. Jean Grellier. Je veux moi aussi souligner l’intérêt que nous portons aux notions d’alliance et de partenariat, voire de coopération, dans le respect de l’équilibre des centres de décision et éviter le démantèlement d’Alstom. M. Miyanaga a évoqué l’exemple d’un partenariat avec Areva ; de votre côté, monsieur Kaeser, pouvez-vous également nous donner des exemples de partenariats de ce type ? En matière de transports, la concurrence entre Alstom et Siemens sur certains secteurs de marché est connue : dans ces conditions, comment le partenariat envisagé peut-il renforcer les deux entreprises ? Enfin, au stade d’avancement actuel des discussions avec les dirigeants d’Alstom, avez-vous eu des contacts avec certains actionnaires, notamment avec le groupe Bouygues, et le cas échéant, vous ont-ils fait part de leur stratégie dans le cadre de l’alliance proposée ?

M. Philippe Baumel. Mes premières questions s’adressent à M. Kaeser. Nous avons bien compris que nous n’aboutirions pas à ce qui nous avait été promis à un moment donné, à savoir la naissance d’un grand champion européen. De ce point de vue, j’aimerais savoir ce qui s’est révélé être l’obstacle le plus insurmontable. Par ailleurs, en ce qui concerne la branche transport, y aura-t-il l’équivalent d’un Airbus dans le secteur ferroviaire ?

En m’adressant désormais aux deux présidents, j’aimerais savoir ce qu’il en est des modalités concrètes de séparation de l’activité « turbines à gaz » qui, ces derniers jours, ont suscité de très vives réserves au sein du management d’Alstom. Celui-ci souhaiterait que lui soit rapidement précisée la gouvernance du comité envisagé – un élément clé de votre proposition aux yeux des Français.

Se pose enfin la question de l’opinion publique, essentielle dans ce dossier en France. La proposition concurrente de General Electric a donné lieu au déploiement d’un énorme effort de communication publique : on a vu apparaître des espaces publicitaires dans toute la presse écrite, tandis que plusieurs reportages télévisés s’attachaient à valoriser ce projet industriel. Votre proposition disposera-t-elle du même accès aux grands médias français ? À défaut, comment justifier le fort déséquilibre entre l’exposition médiatique de votre projet et celle de votre concurrent, alors que les décideurs tiendront compte de l’opinion publique ?

Mme Pascale Got. Confirmez-vous, monsieur Miyanaga, un partenariat à venir entre Hitachi et Mitsubishi dans le dossier Alstom ? Par ailleurs, y a-t-il un lien entre votre arrivée dans le dossier Alstom et le fait que le président de la chambre basse japonaise ait annoncé la relance des centrales nucléaires au Japon ? Enfin, dans un contexte tendu entre le Japon et la Chine, qui donne lieu de part et d’autre à une recherche acharnée de partenaires économiques de poids, l’intérêt de Mitsubishi pour Alstom est-il uniquement d’ordre civil, ou faut-il y voir l’effet d’autres considérations ?

Mme Suzanne Tallard. En ce qui concerne la branche transport, après avoir rencontré les salariés d’Alstom de ma circonscription, je peux vous dire que le partenariat envisagé avec Siemens les inquiète, puisque les deux groupes sont concurrents sur différents matériels. Quelles garanties pouvez-vous nous apporter en termes d’investissements, d’emploi et de pérennité des sites ? En d’autres termes, quelle est votre stratégie industrielle pour la branche transport ?

M. Daniel Fasquelle. Alors que General Electric promet la création de 1 000 emplois sur trois ans, vous avancez le même chiffre, mais sans préciser de calendrier. Ces 1 000 emplois constituent, en tout état de cause, une perspective extrêmement modeste quand on considère qu’Alstom crée déjà 1 000 emplois par an par le simple développement de son activité éolienne. Comment expliquez-vous que votre proposition soit si peu ambitieuse en termes de création d’emplois ?

M. Joe Kaeser. Jusqu’au retrait de Siemens de la filière des réacteurs nucléaires, l’année dernière, notre partenariat avec AREVA avait été particulièrement fructueux et efficace. Nous restons aujourd’hui présents à ses côtés par exemple pour la fabrication des turbines à vapeur qui entrent dans la fabrication des centrales finlandaises.

Au-delà des mille emplois promis par Mitsubishi, nous avons annoncé ce matin notre souhait de créer mille places d’apprentis destinés aux jeunes français d’Alsace. Cette initiative est essentielle car l’apprentissage d’aujourd’hui est l’emploi de demain.

Monsieur Éric Straumann, les branches transports de Siemens et d’Alstom ne doivent pas être opposées. Parce que la mobilité constitue un enjeu capital partout dans le monde, il nous faut réfléchir à un avenir commun nous permettant de développer nos parts de marché à l’international en profitant de l’urbanisation galopante. La mobilité n’est pas synonyme de suppression d’emplois ni de lignes à grande vitesse. Elle correspond à une grande tendance universelle, l’urbanisation, qui doit nous pousser à innover et à développer nos activités. Songez que, même en France, entre l’aéroport et Paris, le trajet peut aujourd’hui durer trois heures alors qu’il ne devrait pas dépasser trente minutes ! Pour atteindre de tels objectifs, il faut pouvoir compter sur des champions.

Nous voulons tenir compte des préoccupations de nos collègues des branches transport de Siemens et d’Alstom. Nous avons aussi écouté le conseil d’administration d’Alstom qui souhaitait avoir des certitudes. Il nous semble cependant indispensable d’expliquer avant tout comment nous comptons mener à bien le projet sur le plan stratégique et industriel.

Monsieur Yannick Moreau, M. Arnaud Montebourg n’a pas soutenu Siemens ; il a souhaité qu’une alternative soit proposée à la cession et au démantèlement d’Alstom, et il a ensuite agi conformément à cette position. Je n’ai pas le sentiment qu’il ait favorisé qui que ce soit. Vous savez fort bien d’ailleurs que le ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique défend ardemment les intérêts de la France et ceux d’Alstom.

Je ne suis pas certain qu’une campagne dans les médias soit utile pour vanter les qualités de Siemens et Mitsubishi, entreprises bien connues depuis respectivement cent soixante ans et cent trente ans. À une campagne de presse, nous préférons des rencontres avec les acteurs et les citoyens. Nous avons préféré venir vous présenter notre projet.

Notre offre est sérieuse ; elle nous engage. Nous disposons d’assez d’argent pour acheter Alstom ; mais l’argent n’est pas tout car certaines valeurs ne peuvent pas s’acheter. Le long terme, le partenariat et la pérennité ne se monnaient pas. Or ce sont précisément ces éléments qui sont au cœur de ce que nous souhaitons construire avec Alstom. Nos trois entreprises en tireront des bénéfices. Nous ne cherchons pas uniquement à distribuer des dividendes ; nous voulons préserver un fleuron industriel dont la France peut être fière.

Parmi les coopérations que j’évoquais, il faut évidemment citer le cas d’Airbus. ATOS constitue également une incontestable réussite en la matière. Depuis que Siemens a cédé sa branche informatique à ATOS origin, en 2011, nous sommes devenus son premier actionnaire. Nous n’avons laissé personne au bord du chemin, et nous procéderons de la même façon pour les services dans le secteur des turbines à gaz et à vapeur. Nous connaissons les métiers de chacun ; nous les respectons. Dans ces secteurs, grâce à l’intégration, nous créerons des synergies et de la valeur. Alstom ne perdra pas ses technologies parce que Mitsubishi lui apportera les siennes. Alstom sera au contraire en mesure de proposer une gamme complète de turbines. Siemens, apportera une plus-value à Alstom qui en tirera notamment un profit financier.

M. Shunichi Miyanaga. Une nouvelle forme de développement s’offre aujourd’hui à nous grâce à une coopération internationale entre entreprises. Nous sommes prêts à contribuer pleinement à cette évolution et nous souhaitons qu’elle soit reconnue et accompagnée par l’État. La participation de l’État garantirait en effet la pérennité de l’entreprise aux yeux de nombreux acteurs du marché.

Nous avons transmis un courrier à M. Martin Bouygues, qui doit permettre d’ouvrir la discussion avec lui.

Nous coopérons avec Hitachi dans le secteur des turbines à vapeur grâce à une société commune dont nous détenons 65 % du capital et Hitachi 35 %. Nous gérons la société et Hitachi contribue à notre effort de développement. Le projet que nous vous présentons a été expliqué à Hitachi qui a donné son accord et garanti sa contribution.

Pour ce qui concerne l’activité nucléaire au Japon, sachez que nous ne négligeons pas les évolutions actuelles.

Nos projets relatifs au marché chinois ne concernent en aucun cas des technologies d’usage militaires.

M. le président François Brottes. Monsieur Miyanaga, avez-vous reçu une réponse au courrier adressé à M. Bouygues ?

Monsieur Kaeser, la presse s’est fait écho de 10 000 ou 11 000 suppressions d’emplois dans le monde par le groupe Siemens. Pouvez-vous nous dire ce qu’il en est ? Autour de Grenoble, dans la région dont je suis l’élu, la fermeture par le passé de sites appartenant à Siemens a laissé quelques traces. Aujourd’hui, un grand nombre des salariés concernés travaillent pour Alstom dans le secteur de l’hydraulique ; vous pouvez comprendre les craintes qu’ils ressentent.

M. Shunichi Miyanaga. Nous avons fait part hier de notre intention d’achat à M. Martin Bouygues. Nous n’avons pas encore reçu de réponse.

M. Joe Kaeser. Les journaux ont fait leurs gros titres sur des suppressions d’emplois chez Siemens sans disposer d’aucun élément sérieux. Lors de discussion aux États-Unis, j’ai évoqué la possibilité de rendre nos entreprises plus novatrices et efficaces, et moins bureaucratiques. J’ai parlé de certaines fonctions de l’entreprise qui n’étaient peut-être plus adaptées aux défis actuels, mais les salariés concernés ont raison d’être fiers de travailler pour nous, et il conviendra le cas échéant de leur confier de nouvelles missions. Tout cela a été mal interprété, mais j’ai immédiatement rectifié le tir, en particulier auprès de nos salariés. J’ai opposé le démenti le plus formel aux assertions de la presse concernant des suppressions d’emplois.

M. le président François Brottes. Un salarié travaillant aux États-Unis peut-il être réaffecté en Asie ?

M. Joe Kaeser. En aucun cas.

Nous voulons innover et rester au plus près du marché. Il faut cesser de considérer que l’Europe n’a pas d’avenir : c’est la deuxième économie du monde. Nous devons exploiter cet avantage.

Siemens a ouvert en France sept sites industriels, et dix centres de recherche et de développement qui emploient au total 7 000 personnes. Chaque année, nous recrutons 4 à 500 personnes en France ; en 2004, notre branche « turbines » française a recruté 2 000 salariés. Ces chiffres montrent le sérieux de notre stratégie à long terme. Nous ne souhaitons que continuer à œuvrer ensemble. En 2011 et 2012, les créations nettes d’emplois dans le monde par Siemens ont atteint 36 000 postes.

Pour obtenir de tels résultats, parce que les technologies évoluent, parce que les acheteurs changent, il est essentiel de favoriser l’innovation grâce à l’apprentissage et à la formation. Siemens emploie aujourd’hui 10 000 apprentis. La formation, c’est l’avenir !

M. le président François Brottes. Messieurs, nous vous remercions.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 17 juin 2014 à 17 heures

Présents. - Mme Brigitte Allain, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, M. François Brottes, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Christian Franqueville, Mme Pascale Got, M. Jean Grellier, M. Henri Jibrayel, Mme Annick Le Loch, Mme Frédérique Massat, M. Yannick Moreau, M. Hervé Pellois, M. Patrice Prat, M. Éric Straumann, M. Lionel Tardy, Mme Catherine Troallic, Mme Clotilde Valter, M. Fabrice Verdier

Excusés. - M. Damien Abad, M. Joël Giraud, M. Thierry Lazaro, Mme Audrey Linkenheld, Mme Josette Pons, M. Dominique Potier, M. Bernard Reynès, M. Franck Reynier, M. Jean-Charles Taugourdeau

Assistaient également à la réunion. - M. Philippe Baumel, M. Denis Baupin, M. Christophe Cavard, Mme Suzanne Tallard