Accueil > Travaux en commission > Commission des affaires économiques > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des affaires économiques

Mardi 1er juillet 2014

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 102

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Martin Bouygues, président-directeur général de Bouygues

La commission a auditionné M. Martin Bouygues, président-directeur général de Bouygues.

M. le président François Brottes. Monsieur le président Bouygues, vous faites partie des grands entrepreneurs de ce pays. Le groupe que vous dirigez a su se diversifier : présent dans la construction, la télévision, les télécommunications et l’énergie, il occupe une place de choix dans l’actualité.

Dans le BTP, vos filiales nous font part de la frilosité des banques dans le financement de l’accession à la propriété et de la construction. Qu’en est-il ? Le Gouvernement et le Parlement sont pourtant très mobilisés en faveur du logement et du bâtiment. Ne dit-on pas que « quand le bâtiment va, tout va » ?

Autre sujet, la chaîne d’information en continu LCI se bat pour être, comme ses consœurs BFM et i>TELE, diffusée gratuitement via la TNT.

Dans les télécommunications, Bouygues Telecom a annoncé un plan social alors qu’il est convoité par Free et Orange. Depuis toujours, vous accusez le nouvel entrant de casser le modèle économique du secteur, mais vous semblez dernièrement emprunter la même voie en matière de téléphonie fixe.

Enfin, s’agissant de l’avenir d’Alstom, le précédent week-end a été marqué par les négociations avec le Gouvernement sur le rachat partiel de votre participation.

Vous détenez des clés pour l’avenir de trois secteurs qui sont à la fois pourvoyeurs d’emplois et moteurs de la performance économique. Nous sommes impatients d’entendre l’entrepreneur respecté, accompli et constant que vous êtes, avec la liberté de ton et la franchise qui vous caractérisent.

M. Martin Bouygues, président-directeur général du groupe Bouygues. Je souhaite d’abord vous remercier de votre invitation. Je suis très honoré de pouvoir m’exprimer devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, et évoquer la situation de plusieurs secteurs de notre économie dans lesquels le groupe Bouygues est actif.

Dans les métiers traditionnels de Bouygues – la construction et la route – nous disposons d’une bonne visibilité sur l’activité pour l’année en cours grâce à nos carnets de commandes, ce qui est rassurant, quoique ce soit surtout à l’international. Nous constatons, en effet, une baisse significative des prises de commandes sur le marché français. Au premier trimestre, elles ont chuté de 11 % dans nos activités de BTP en France, et nous ne voyons pas de signes d’amélioration au second trimestre. Nous attendons beaucoup des dispositions du Gouvernement en la matière. Dans le secteur de la route, il est de tradition que les collectivités locales passent peu de commandes pendant la période électorale. Cependant, là non plus, notre filiale Colas n’entrevoit pas la reprise des appels d’offres attendue avec l’arrivée des nouvelles équipes municipales. Nous prévoyons, en conséquence, une baisse significative des prises de commandes en France dans le domaine de la construction et de la route.

Le groupe parvient à compenser ces difficultés par de remarquables performances à l’international. Nous sommes présents dans le monde entier où nous réalisons des ouvrages de grande ampleur grâce aux compétences exceptionnelles développées par les équipes de Bouygues. C’est heureux en termes économiques, même si cela reste quasiment sans effet sur l’emploi en France.

Dans le secteur du logement, dans lequel Bouygues immobilier est le premier opérateur en France, le constat est également celui d’une situation dégradée.

En matière de télévision, même si TF1 réussit de très belles performances en termes d’audience, et je salue d’ailleurs les très belles performances de l’équipe de France de football, le marché publicitaire est déprimé, reflétant l’inquiétude des annonceurs face à une demande atone.

C’est, bien entendu, le sujet des télécoms qui concentre toute mon attention et sur lequel il me paraît nécessaire de vous dire franchement les choses. Le sujet est lourd et grave alors que nous avons été contraints, il y a quelques jours, d’annoncer une réduction des effectifs.

Je considère que nous sommes tombés dans un traquenard.

Je ne conteste pas l’attribution d’une quatrième licence, même si ce n’est sans doute pas la meilleure idée qu’ait eue le gouvernement de l’époque. C’est un choix du gouvernement qui a été débattu au Parlement : je le respecte. En revanche, les conditions accordées au nouvel opérateur pour entrer sur le marché et se développer ont eu des effets catastrophiques que nous constatons aujourd’hui.

La faute en revient à une erreur d’analyse de la part du régulateur : celui-ci a considéré le marché du fixe et celui du mobile comme deux marchés distincts, sans rapport l’un avec l’autre. Il a complètement sous-estimé le fait que le nouvel entrant sur le mobile utiliserait la puissance de ses positions sur le fixe pour détruire le marché mobile.

Le nouvel entrant s’est vu accorder des avantages invraisemblables : la réduction incroyable du prix de la licence ; l’itinérance abusivement élargie de la 2G à la 3G et laissée en dehors de toute régulation ; les règles de calcul de la couverture détournées de leur esprit, et j’en passe. Le régulateur a multiplié, sans limite et sans en rendre compte au Parlement, les avantages concurrentiels.

Les trois opérateurs historiques ont rencontré d’importantes difficultés, en particulier Bouygues Telecom, le plus petit d’entre eux. Nous avons tenté, dans un premier temps, de convaincre l’ARCEP qu’il n’était pas possible de continuer ainsi et que le régulateur devait aussi veiller à l’équilibre du marché afin d’éviter qu’il ne s’autodétruise. Nous avons trouvé un interlocuteur préoccupé surtout par la justification de ses choix.

Aujourd’hui, le bilan est lourd. Faute de chiffre officiel, j’estime qu’environ 50 000 emplois ont été détruits dans la filière télécom – cela correspond d’ailleurs au chiffre retenu par les syndicats. Il s’agit d’un cas unique depuis la seconde guerre mondiale pour un secteur qui n’est pas soumis à la concurrence internationale.

Les opérateurs ont perdu 3 milliards d’euros d’excédent brut d’exploitation entre 2010 et 2013, ce qui représente 1 milliard de perte d’impôt sur les sociétés. Trois groupes du CAC40 se trouvent en difficulté évidente et ne peuvent plus investir pour se développer tant en France qu’à l’international.

Tout cela est profondément choquant. Le système de régulation tel qu’il fonctionne aujourd’hui n’est plus acceptable. Comment sortir de cette situation ?

Il faut d’abord mettre fin à l’itinérance 3G dont bénéficie le nouvel entrant sur le réseau d’Orange. Le Gouvernement a interrogé l’Autorité de la concurrence il y a bientôt deux ans. Dans un avis d’une extrême clarté, celle-ci fait valoir que l’itinérance, nécessaire à l’ouverture du marché, devient un danger si elle se prolonge sans limite. C’est bien le cas aujourd’hui. Elle permet, en effet, au quatrième opérateur de sous-investir volontairement dans son réseau et de proposer ainsi des prix de détail non réplicables. Tout le monde se satisfait de la baisse des prix, certes, mais les opérateurs sont entraînés dans une guerre des prix qu’ils ne peuvent pas assumer.

L’Autorité de la concurrence préconise en conclusion que l’itinérance 3G soit progressivement éteinte par zones du territoire selon une logique simple : dès que Free prétend couvrir une zone, il n’a alors plus besoin du réseau d’Orange, et l’itinérance doit s’arrêter. Elle a même pris soin, dans son avis, de définir une méthodologie dont elle recommande à l’ARCEP l’utilisation. Que s’est-il passé depuis ? Rien. Cet avis est resté lettre morte.

Nous avons écrit à plusieurs reprises au régulateur pour l’interroger sur ses intentions – en juin 2013 et en février 2014. Savez-vous ce que fait l’ARCEP lorsqu’une entreprise lui écrit pour connaître sa position sur un sujet aussi central que l’organisation du marché qu’elle est censée réguler ? Non seulement elle ne fait rien, mais elle ne répond même pas au courrier. Pas le moindre mot. Le silence total. Ce n’est pas acceptable !

Il a fallu que nous portions l’affaire devant le Conseil d’État pour recevoir enfin une réponse – et quelle réponse ! L’ARCEP se déclare incompétente sur l’itinérance et nous renvoie à l’Autorité de concurrence. On se moque du monde !

Un dernier mot encore au sujet du régulateur. S’exprimant devant vous, il y a quelques jours, le président de l’ARCEP a déclaré qu’il y avait sans doute lieu désormais de consolider le marché et de supprimer « l’opérateur le moins important du secteur, Bouygues Telecom ». Je suis révolté et choqué par ces propos. Selon quel critère juge-t-il que Bouygues Telecom est l’opérateur le moins important ?

Quel cynisme de la part de celui qui a milité pour le marché à quatre opérateurs, dont l’action a tout entière été guidée par une seule idée : la défense du quatrième, quoi qu’il en coûte ! Celui qui a nié et nie encore les insuffisances du quatrième nous dit aujourd’hui benoîtement qu’il faut revenir à trois opérateurs. De qui se moque-t-on ? Nous verrons bien ce que réserve l’avenir, mais, en tout état de cause, la décision ne revient pas au président de l’ARCEP.

Je profite de ma présence devant des représentants de la Nation pour vous faire quelques suggestions.

Dans ma vie professionnelle, j’ai eu l’occasion de fréquenter d’autres régulateurs, dans d’autres activités et dans d’autres pays. La régulation fonctionne lorsque le politique impose aux régulateurs de justifier les choix qu’ils font et les contrôle. Avant de prendre des décisions structurantes, les organismes de régulation doivent solliciter des cabinets privés internationaux spécialisés, renouvelés régulièrement, pour mener des études sérieuses.

Quand j’interroge l’ARCEP sur l’existence d’études préalables avant l’introduction du quatrième opérateur, on me répond qu’il n’y en a eu aucune. C’est simplement terrifiant ! Si rien ne change, c’est très inquiétant pour l’avenir.

De manière plus générale, qui décide de quoi et selon quels critères économiques ? Le Gouvernement, sous le contrôle des représentants de la nation, ou des organismes de régulation indépendants, jamais responsables, jamais coupables ? En un mot : qui régule le régulateur ?

Je termine par le dossier Alstom. Nous sommes parvenus à un accord avec l’État. Nous n’étions pas vendeurs de nos parts dans Alstom mais j’ai veillé à ce que nous trouvions un accord qui permette à l’alliance avec General Electric de se réaliser, tout en préservant les intérêts de Bouygues, car nous pensons qu’Alstom sortira renforcé de ces opérations.

M. Daniel Fasquelle. Je suis surpris par vos propos. Affirmer qu’Alstom sortira renforcé de l’accord avec General Electric est une vaste plaisanterie. Avec la vente des turbines à gaz, des turbines vapeur et de la maintenance, General Electric a mis la main sur les activités qui l’intéressaient, laissant à Alstom 100 % de l’activité transport, 50 % de l’activité Grid, 50 % de l’activité Power et 50 % de l’activité turbines à vapeur nucléaires. Nous assistons au démantèlement d’Alstom.

Ce résultat n’est pas très glorieux. Je suis très inquiet pour l’avenir d’Alstom. Quelles sont vos intentions s’agissant de la branche transport ? La prochaine étape n’est-elle pas de laisser votre partenaire russe en prendre le contrôle ? Selon moi, dans trois à cinq ans, il ne restera rien de ce fleuron de l’industrie française.

Vous en portez une part de responsabilité. Vous prétendez que Bouygues n’était pas vendeur. Dans ce cas, pourquoi n’avoir pas investi, pourquoi n’avoir pas cherché d’autres solutions pour assurer la pérennité d’Alstom ? Je pense que vous étiez, au contraire, vendeur des branches transport et énergie afin de récupérer l’argent que vous avez investi.

Le dividende exceptionnel sera-t-il versé à Bouygues ou à l’État ?

L’État a promis de vous acheter vos actions. Quel sera leur prix de vente ? Vous en demandez 35 euros, semble-t-il, alors que le ministre souhaite les acquérir au prix du marché, soit 28 euros.

Enfin, avez-vous découvert, comme nous, la vente d’Alstom à General Electric dans la presse ? Patrick Kron a-t-il pris la décision seul ? Si c’est le cas, c’est extrêmement grave, car cela signifie que les actionnaires majoritaires ont été mis devant le fait accompli.

Mme Corinne Erhel. Je souhaite vous interroger sur les difficultés de Bouygues Telecom et sur l’évolution du marché des télécommunications qui peine à retrouver des relais de croissance depuis deux ans et demi.

Le rapport de la commission des affaires économiques sur l’impact de la régulation des télécoms sur la filière télécom, qui regrettait également le manque d’étude d’impact sur l’octroi de la quatrième licence, suggérait deux améliorations : la clarification des compétences entre l’État et le régulateur ainsi que la hiérarchisation des objectifs de la régulation. Quel est votre avis ?

Comment réagissez-vous aux dernières annonces de la Commission européenne sur les plafonds tarifaires, notamment la poursuite de la baisse des prix du roaming ? Quel regard portez-vous sur le marché européen des télécommunications et l’orientation de la politique en la matière ?

Face à une concurrence exacerbée sur le fixe et le mobile, pouvez-vous préciser la stratégie de Bouygues Telecom, qui semble reposer sur une baisse des prix pour ces deux marchés. Quel en sera l’impact sur la filière, en termes d’emplois pour les opérateurs et pour les sous-traitants ?

Comment expliquez-vous que la conversion de la bande 1 800 MHz en 4G, dit « refarming 1 800 », n’ait pas réussi à produire ses effets de relance pour le mobile ? Comment se préparer aux investissements dans la 5G ? Avec l’explosion du trafic internet et mobile, des fréquences supplémentaires seront nécessaires et, par voie de conséquence, de nouveaux investissements.

Vous avez annoncé une baisse des prix importante sur le fixe. Quelles en seront les conséquences sur le développement du très haut débit, sachant que cette décision attaque la marge sur laquelle repose le modèle économique des autres opérateurs ?

M. le président François Brottes. Je prolonge la question : êtes-vous prêt à vendre Bouygues Telecom à un autre opérateur ?

Mme Jeanine Dubié. Le groupe Bouygues n’est-il pas le vrai gagnant de l’accord entre Alstom et General Electric ? Finalement, vous avez réussi à revendre une participation achetée précédemment à l’État à un prix très intéressant. Quel est aujourd’hui le prix de revente à l’État, et quelle sera la plus-value pour Bouygues ? La négociation avec l’État a-t-elle donné lieu à des contreparties dans d’autres domaines ?

Le plan de restructuration de Bouygues Telecom prévoit la suppression de 1 516 postes – près de 17 % des effectifs – après un plan de départs volontaires en 2012 qui a concerné 550 personnes. Ce plan traduit-il la volonté de Bouygues de faire rapidement évoluer son modèle économique afin de rester un opérateur dans le fixe et le mobile ?

Comment comptez-vous assurer votre indépendance face à la concurrence ? Quelles sont vos ambitions en matière de très haut débit ?

M. Martin Bouygues. S’agissant d’Alstom, au terme d’une analyse calme et pertinente, Patrick Kron a considéré qu’un rapprochement était inéluctable, car Alstom seul n’était pas viable. Alors qu’il avait le choix entre agir ou attendre d’être dans le mur, il a décidé de prendre les devants et de rencontrer différents acteurs.

Les discussions n’avaient pas commencé depuis très longtemps lorsque les fuites dans la presse américaine les ont révélées. Il n’a pas fallu des mois, ce fut l’affaire de quelques jours. Le PDG souhaitait proposer au conseil d’administration la solution qui préserve au mieux les intérêts d’Alstom en France. C’est le cas.

Le conseil d’administration a estimé que l’entreprise devait évoluer, faute de quoi elle connaîtrait de très graves difficultés. Le Gouvernement a amendé l’accord pour le renforcer et préserver certains intérêts français. Il m’a fait savoir qu’en l’absence de cession de nos titres, il refuserait l’accord. Je ne tenais pas à endosser cette responsabilité, et nous avons donc accepté de céder les titres. Je précise cependant que le Gouvernement aurait pu choisir de les acheter au fil de l’eau puisque 70 % du capital d’Alstom est flottant.

Pourquoi Bouygues n’a pas investi ? En tant qu’actionnaire, il ne nous appartenait pas de prendre cette décision. En outre, le groupe peut difficilement gérer de front plusieurs crises. Or la situation de Bouygues dans le secteur des télécommunications est particulièrement complexe. Pour Alstom, le problème tient moins au financement qu’à la stratégie industrielle – l’entreprise ne dispose pas de la gamme de produits et des réseaux commerciaux permettant de vendre dans le monde entier. Une augmentation de capital n’aurait pas réglé pas le problème industriel.

S’il y a lieu, le dividende exceptionnel sera imputé sur le prix de vente à l’État des titres – les accords signés le prévoient.

Patrick Kron a-t-il décidé seul ? Bien sûr que non ! Comme il était tenu de le faire, il a informé le conseil d’administration.

M. Jean-François Guillemin, secrétaire général du groupe Bouygues. Le président d’une société ne peut pas vendre un actif sans consulter les instances représentatives du personnel ni solliciter les autorisations administratives nécessaires. J’ajoute que le conseil d’administration a choisi de soumettre l’accord à l’assemblée générale d’Alstom qui décidera donc en dernier ressort.

M. Martin Bouygues. Dans le domaine des télécommunications, la réalisation d’une étude d’impact aurait peut-être permis une régulation différente. Si une telle étude existe, nous n’y avons pas eu accès. Des progrès dans la régulation restent à faire, dans les télécommunications comme dans la télévision.

Les annonces de la Commission européenne sont le fruit d’un arrangement européen. Pourquoi pas ? Mais cela ne sera pas sans conséquence sur la marge des opérateurs, ce qui, dans une période de crise, ne leur facilite pas la tâche. C’est clairement une difficulté supplémentaire.

Dans la téléphonie mobile, un de nos concurrents bénéficie d’une itinérance qui lui permet d’alléger ses investissements, créant ainsi une distorsion de concurrence qui nous est très préjudiciable. Le régulateur a offert ces conditions au nouvel entrant dans le mobile sans considérer la position qu’il occupait dans le fixe. Sachez que les marges dans la téléphonie fixe de certains opérateurs sont supérieures à celles des groupes de luxe français. Il y a de la place pour un peu d’agressivité ; c’est l’attitude que nous avons décidé d’adopter. Nous avons besoin de nous développer dans la téléphonie fixe, où notre offre remporte d’ailleurs un grand succès.

Les entreprises doivent retrouver par elles-mêmes un équilibre naturel. Dès lors que la régulation garantit une compétition équitable, il n’y a pas de raison que l’équilibre ne soit pas rétabli.

M. Didier Casas, secrétaire général de Bouygues Telecom. Le « refarming 1800 » a été décidé par les pouvoirs publics dans les conditions que vous connaissez. Il avait toute raison de produire les effets positifs qu’on en attendait. S’il n’a pas été tout à fait à la hauteur des espérances, c’est qu’un opérateur sur le marché a une offre très généreuse dont il ne peut assurer le service, ayant un nombre d’antennes 4G très inférieur à celui des autres opérateurs. Or personne, des pouvoirs publics ou du régulateur, ne s’en est ému et n’a expliqué qu’il ne pouvait pas vendre de la 4G aux consommateurs dans ces conditions.

M. Martin Bouygues. Pour en revenir à Alstom, nous avons acheté les titres en 2008-2009, avant la crise. Nous avons dû déprécier très significativement dans nos comptes notre participation au capital, ce qui a engendré 1,5 milliard d’euros de pertes pour notre groupe en 2013. Il s’agit donc évidemment d’une participation difficile à gérer.

J’ai lu, moi aussi, des allusions à des accords négociés entre Bouygues et l’État et qui porteraient sur des compensations. Je vous rassure : nul accord de cette nature n’a été conclu dans aucun des secteurs dans lesquels nous intervenons.

Industriel par tempérament, entrepreneur par goût, j’ai pour métier de développer et faire croître les entreprises. L’avenir d’Alstom est, pour moi, une vraie préoccupation. Mon obsession, dans cette affaire, a donc été de ne pas bloquer l’opération, ce qui aurait mis Alstom dans une situation très problématique, mais au contraire de la faciliter autant que possible – ce que j’ai fait.

En ce qui concerne le plan de restructuration qui touche Bouygues Telecom, j’estime que lorsque le régulateur prend des décisions aussi importantes, qui obligent les entreprises qu’il régule à modifier brutalement leur modèle économique, l’État devrait en assumer la responsabilité. Ce plan, qui concerne 1 500 personnes, fait suite à celui de 2012 que vous avez rappelé et qui en a touché 550. Sachez que, parmi ces dernières, seules quatre n’ont pas encore retrouvé un emploi stable. La tradition sociale de Bouygues n’a rien d’agressif ni de dur, au contraire : nous avons toujours consenti d’énormes efforts pour préserver la situation de l’emploi et un bon climat social au sein de notre groupe. Ce plan est la chose la plus terrible qu’il m’ait été donné de faire au cours de ma carrière. J’ai soixante-deux ans, je travaille depuis quarante ans, je préside Bouygues depuis vingt-cinq ans et je ne m’attendais pas à devoir subir une telle situation.

Pour l’avenir, nous devons préparer Bouygues Telecom à être compétitif dans un environnement composé de quatre opérateurs. La dégradation de cet environnement va-t-elle obérer leurs capacités d’investissement ? Dans un premier temps, en tout cas, on peut le penser. J’ai évoqué les pertes considérables qu’ils ont subies et qui entraînent, pour l’État français, une perte de recettes fiscales elle-même considérable. Comment ces pertes resteraient-elles sans effet ?

Avez-vous été vous-mêmes consultés sur ce choix ? Comment tout cela fonctionne-t-il ? Je ne sais pas comment l’État fonctionne. Je suis tout de même un peu surpris : pareille violence, c’est incroyable !

Mme Frédérique Massat. Dans le secteur des télécommunications, menez-vous actuellement – si, du moins, vous pouvez nous le dire – une stratégie de rapprochement avec un autre opérateur ?

En ce qui concerne le déploiement de la fibre dans les zones moins denses du territoire, vous vous êtes dit prêt, me semble-t-il, à y contribuer en intervenant sur les réseaux publics, développés par les collectivités. Quel est votre plan ?

S’agissant du prix de rachat d’Alstom, des chiffres ont été cités dans la presse : à 28 euros, soit le cours actuel de l’action, vous ne seriez pas vendeur ; votre prix serait de 35 euros. Je vous pose donc une question naïve : quel est le juste prix ?

M. Martin Bouygues. En ce qui concerne un éventuel rapprochement avec un autre opérateur, il n’y a, pour le moment, rien de concret. Si tel ou tel opérateur veut étudier des solutions, pourquoi pas ? M. Montebourg a d’ailleurs fait une déclaration en ce sens. Mais au nom de quel principe Bouygues Telecom serait-il nécessairement le dindon de la farce ? Parce que l’instance de régulation en a décidé ainsi ?

M. Didier Casas. S’agissant du déploiement de la fibre, Bouygues Telecom dispose aujourd’hui d’un peu plus d’un million de prises FTTH (fiber to the home, ou fibre jusqu’au domicile) commercialisées. Notre objectif est d’en commercialiser 1,4 million à la fin 2014. Il est exact que ce parc se trouve pour l’essentiel dans les zones les plus denses du territoire, comme d’ailleurs celui de nos concurrents, et que le déploiement de la fibre optique dans les zones les moins denses est surtout le fait des collectivités territoriales, à travers les réseaux d’initiative publique (RIP). Nous avons indiqué, il y a plusieurs mois déjà, que Bouygues Telecom était tout à fait disposé à intervenir sur ces réseaux, dès lors que ceux-ci intégraient à leur catalogue une offre dite de bitstream, c’est-à-dire une offre de service activé, qui permet à l’opérateur de se connecter au réseau.

M. Martin Bouygues. J’ajoute que Bouygues Telecom a la chance de disposer d’un réseau de qualité – qui lui a tout récemment valu d’être classé deuxième opérateur mobile par l’ARCEP – et d’un portefeuille de fréquences fourni. En plusieurs endroits, nous devrions donc pouvoir mixer fibre optique et 4G pour proposer des offres à haut débit à des coûts plus accessibles dans les régions les moins denses.

M. Jean-François Guillemin. S’agissant du prix de rachat d’Alstom, Bouygues a poursuivi deux objectifs dans la négociation. Premièrement, faire le nécessaire pour satisfaire la condition posée par le Gouvernement. Le ministre Arnaud Montebourg comme le Président de la République avaient été très clairs : l’entrée de l’État au capital d’Alstom était la condition sine qua non pour que le Gouvernement donne son accord au partenariat entre GE et Alstom. Notre second objectif était évidemment de préserver les intérêts de la société Bouygues et de ses actionnaires, donc de céder nos parts à un prix n’entraînant pas de pertes pour le groupe.

L’État envisageait d’acquérir immédiatement 20 % du capital au cours de Bourse – 27 euros par action selon mes souvenirs, 28 selon vos informations, madame. Mais Bouygues ne pouvait absolument pas accepter une telle transaction, qui aurait conduit le groupe à enregistrer des pertes après la dépréciation déjà effectuée dans les comptes 2013. Cette situation a débouché sur l’octroi de promesses de vente au bénéfice de l’État, dont celui-ci peut se prévaloir à différentes périodes. Rappelons que l’État n’est pas forcé d’acheter : il peut toujours, s’il le souhaite, acquérir les actions sur le marché, au fil de l’eau, à un prix inférieur aux fameux 35 euros. Mais il peut aussi acheter l’action à 35 euros, au cours de deux périodes, dans des conditions que je pourrai expliciter si vous le désirez.

Il est très important de souligner, comme l’a déjà fait M. Bouygues, que ce prix de 35 euros sera ajusté en fonction de la distribution exceptionnelle qui pourrait avoir lieu si Alstom en décide ainsi – pour une distribution de 10 euros, le prix serait alors de 25 euros. Si les titres Alstom valent environ 35 euros dans les comptes de Bouygues, c’est sur le fondement d’études financières, confirmées par celles qui ont été menées par Alstom et, j’imagine, par les conseils de l’État pour évaluer les conséquences de l’opération GE. Il appartient à l’État de prendre sa décision, mais cette valeur est aujourd’hui tout à fait plausible.

M. Jean-Luc Laurent. Monsieur Bouygues, au moment où nous parlons débute un match de football qui n’est pas retransmis par TF1, filiale de votre groupe. Lionel Messi joue avec l’Argentine, mais on ne peut le voir sur TF1. J’ai interpellé le Gouvernement à propos des conditions de diffusion de la Coupe du monde ; je profite de votre présence pour vous interroger également, afin de tenter de comprendre le point de vue de l’entreprise.

Les Français ont découvert avec effarement que vous avez acheté les droits de diffusion de la compétition pour 130 millions d’euros avant de les revendre à BeIN Sports. Après les pouvoirs publics, qui ont échoué dans leur mission de régulation, c’est donc vous qui êtes responsable de l’invisibilité de toute une partie des matches. C’est une première très regrettable. Selon la presse, malgré cette revente, votre chaîne va perdre de l’argent dans cette compétition. Tout cela est parfaitement légal, mais totalement absurde du point de vue économique. Au bout du compte, les téléspectateurs français sont victimes de ce jeu de prestige, de surenchère et de communication.

Quel est le sens de cette demi-diffusion ? N’avez-vous pas le sentiment de tuer la compétition que vous diffusez ? Comment expliquer cette acquisition-cession, qui débouche sur une diffusion partielle, voire désinvolte ? Le diffuseur d’un tel événement doit être à la hauteur de celui-ci ; je n’ai pas l’impression que ce soit le cas de votre chaîne, ni de celle de vos associés qataris, qui ont inventé à cette occasion le low cost à péage.

Alors même que vous contribuez à l’invisibilité d’une partie de la Coupe du monde, vous travaillez d’arrache-pied pour rendre LCI visible. Je suis vraiment très curieux de vous entendre sur ces points.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Il a déjà été répondu aux questions que je comptais poser sur le déploiement de la fibre en zone peu dense et sur l’éventualité d’un rapprochement avec un autre opérateur.

Mme Audrey Linkenheld. Monsieur Bouygues, vous dites attendre beaucoup du Gouvernement dans le secteur de l’immobilier. Or, depuis deux ans, le Gouvernement, soutenu par le Parlement, a introduit un nouvel outil d’investissement locatif, dont il vient d’ailleurs d’annoncer l’extension dans certaines métropoles ; il a fait voter une première loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social, puis une seconde loi, dite ALUR, qui introduit régulation et innovation dans le secteur de l’urbanisme, et devrait permettre de gagner du temps et de produire plus et plus vite ; sans parler des ordonnances visant à favoriser la construction, des mesures de simplification en cours d’application et des récentes annonces financières dans un contexte budgétaire que chacun sait tendu.

Qu’attendez-vous donc ? De nouvelles lois ou de nouveaux décrets – et si oui, lesquels ? –, ou bien une mise en musique plus efficace des mesures déjà adoptées ? Dans la seconde hypothèse, cela supposerait la stabilité juridique et, surtout, la mobilisation sur l’ensemble du territoire des acteurs publics, mais aussi privés.

M. Jean-Pierre Le Roch. On prête certaines vertus au capitalisme familial dont vous êtes un fleuron national. Les entreprises familiales privilégient la durée, sont plus réticentes que les autres à supprimer des emplois et très attachées à leur territoire, c’est-à-dire à leur pays et à son devenir.

Les difficultés de PSA, contraint de faire appel à un investisseur chinois, et celles d’Alstom, dont vous êtes le premier actionnaire et qui a dû se tourner vers un investisseur américain, conduisent toutefois à se demander si ces entreprises familiales sont taillées pour la mondialisation. Il existe, bien, sûr des contre-exemples, comme Michelin, qui parvient à concilier actionnariat familial et leadership mondial. Que pensez-vous de la place du capitalisme familial dans la mondialisation ?

M. Michel Sordi. Ceux qui parmi nous sont maires déplorent, comme vous, la baisse de 11 % des prises de commande dans le BTP au premier trimestre. Les communes aussi traversent une période difficile, subissent des baisses de dotation, supportent la crise. Conscients du problème, nous faisons tout pour maintenir notre niveau antérieur d’investissement, afin de continuer de satisfaire les besoins de nos concitoyens et de préserver les emplois, notamment les emplois de proximité.

Qu’attend-on donc ? demandait ma collègue. C’est de simplification que nous avons besoin, et surtout de confiance. Si l’investissement fait défaut, c’est à cause d’une crise de confiance. Un couple dont chacun des membres n’est pas certain de conserver son emploi tarde à acheter et, à force d’attendre, personne n’investit. D’autant que l’instabilité, notamment fiscale, ne favorise pas la sérénité.

Que pensez-vous, enfin, du rapprochement qui s’opère entre les deux gros fournisseurs de matériaux de construction dans notre pays, Lafarge et Holcim ?

Mme Laurence Dumont. J’aimerais vous interroger, monsieur le président-directeur général, sur un sujet sensiblement différent de tous ceux qui viennent d’être abordés. Nous avons commémoré, il y a quelques semaines, le soixante-dixième anniversaire du Débarquement sous le signe du devoir de mémoire et de la transmission aux jeunes générations. À Revin, dans les Ardennes, le pont Saint-Nicolas a été fabriqué avec des passerelles du port artificiel d’Arromanches, transportées après-guerre sur place pour contribuer à la reconstruction. Votre entreprise a été choisie par le conseil général des Ardennes pour remplacer ce pont. L’une des passerelles a été déposée lundi dernier, les trois autres doivent l’être en septembre. Députée du Calvados, j’ai du mal à imaginer qu’elles partent à la ferraille comme c’est aujourd’hui prévu. Au prix de la tonne, cela ne rapporte pas grand-chose – l’un de vos collaborateurs m’a éclairée sur ce point.

Je ne vous demande évidemment pas une réponse immédiate ; je vais vous écrire à ce sujet. Puis-je toutefois espérer votre appui pour défendre l’ambitieux projet de rapatriement en Normandie de ces passerelles, qui étaient plusieurs centaines à Arromanches et dont il ne reste que quelques unités en France ? Il serait conforme au devoir de mémoire, et les collectivités comme les autres acteurs y joueraient évidemment leur rôle.

M. le président François Brottes. Je relayerai, pour ma part, une question écrite de notre collègue André Chassaigne au ministre des affaires étrangères, qui ne lui a pas encore répondu. Alstom gérant une bonne part de l’éclairage électrique à Cuba, qui est sous embargo américain, son accord avec GE ne risque-t-il pas de produire un « syndrome BNP » ?

M. Martin Bouygues. En ce qui concerne la Coupe du monde, il est d’usage, dans les gros contrats dont nous parlons, que plusieurs opérateurs se partagent l’achat des droits de diffusion. TF1 a été en première ligne lorsqu’il s’est agi d’en négocier le prix ; ensuite, contrairement à ce qui s’était passé lors des précédentes éditions de l’événement, le service public n’a pas souhaité participer, pour des raisons que j’ignore. Nonce Paolini pourrait vous éclairer bien mieux que moi sur ces points. Quoi qu’il en soit, le partage est normal, car l’on ne saurait saturer les programmes de TF1 par la diffusion permanente de matches de football.

Quant aux prix, ils sont ce qu’ils sont – très élevés, puisqu’il s’agit d’une compétition mondiale. Ils ont été négociés il y a longtemps, à l’époque où Patrick Le Lay présidait encore TF1. Cette Coupe du monde est d’ailleurs la dernière à laquelle s’applique cette négociation, et il nous a été difficile de retrouver un partenaire prêt à partager cette charge financière avec nous. Vous l’avez noté, les accords engendrent des pertes pour TF1. Depuis leur négociation, avant la crise, le monde a été profondément bouleversé et les équilibres économiques ne sont plus les mêmes. J’observe toutefois de meilleures audiences que lors de la précédente Coupe du monde, alors que la concurrence est plus vive. C’est un signe encourageant qui témoigne de l’intérêt des Français pour la compétition.

Vous déplorez que la diffusion soit partagée avec une chaîne payante, ce qui en prive un certain nombre de téléspectateurs. Je le constate comme vous, mais je n’ai pas réponse à tout. Actionnaire de référence de TF1, notre groupe doit être particulièrement attentif à l’avenir de la chaîne, dans un environnement fortement perturbé où les recettes de publicité sont très mauvaises, le marché défavorable et où les annonceurs doutent de leur capacité à vendre des produits.

Quant à LCI, on est à la croisée des chemins. J’en ai été l’un des pères fondateurs, il y a vingt ans, avec Patrick Le Lay et Étienne Mougeotte. Je ne le regrette pas. Nous nous étions fixé des objectifs, mais, pour différentes raisons sur lesquelles je ne reviendrai pas, nous n’avons jamais pu être diffusés correctement, de sorte que LCI n’a jamais bénéficié de l’exposition qui aurait fait son succès. Aujourd’hui, nous devons absolument lui offrir une exposition normale, afin qu’elle trouve la place qui lui revient dans le paysage audiovisuel français.

En ce qui concerne l’immobilier et le BTP, nous attendons tout simplement que le marché reparte ! Un certain nombre de dispositions ont été prises ; reste à savoir si elles seront ou non suivies d’effet. Dans ma jeunesse, j’ai exercé un premier métier que j’adorais et qui consistait à construire des maisons et à les vendre. Je connais donc bien le marché et les clients. Pour que l’immobilier se porte bien, il faut que plusieurs conditions soient réunies : que le foncier soit abordable et suffisamment abondant pour que les coûts n’augmentent pas ; que les acquéreurs puissent emprunter à des conditions favorables ; qu’ils aient confiance dans leur propre avenir – on ne s’endette pas pour vingt ans si l’on nourrit des craintes quant à son emploi. De ce point de vue, la période actuelle n’est guère encourageante.

Pour remédier à cette situation, il faut utiliser tous les leviers à notre disposition : employer les instruments de l’accession à la propriété et de l’investissement locatif ; peser sur le coût de la construction en toilettant certaines réglementations ; corriger la lenteur de certaines procédures administratives – est-il bien raisonnable qu’une demande de permis de construire soit devenue une véritable aventure ? Bref, ce sont beaucoup de petites choses qui, ajoutées les unes aux autres, relanceront la machine. Pendant sa campagne, le Président de la République a affiché des objectifs ambitieux en matière de construction de logements, et je pense qu’il avait raison ; or nous sommes loin de les avoir atteints. J’attends donc des nouvelles mesures qu’elles remettent le marché sur les rails. Je suis personnellement optimiste. Le logement repose sur un contrat de confiance entre les différents acteurs ; c’est donc un climat de confiance qu’il faut faire renaître.

Le capitalisme familial se caractérise notamment par la considération que le plus important dans une entreprise, ce sont les équipes d’hommes et de femmes qui la constituent. Quelles valeurs voulons-nous partager ? Comment entendons-nous fonctionner ensemble ? Quelles règles voulons-nous préserver ? Voilà ce qui fait la force d’une entreprise. Le capitalisme familial se caractérise aussi par la rémanence de ses efforts et de sa stratégie. Est-il plus ou moins solide que d’autres formes de capitalisme ? Il est solide dans la mesure où on ne lui fait pas traverser des tempêtes qu’il n’est pas capable d’affronter. Bouygues n’est certes pas dans cette situation. Reste que, dans les télécommunications, il était difficile de prévoir que nous vivrions une telle aventure. Après avoir longtemps investi, longtemps été en perte, après avoir été agressés, nous avions fini par parvenir à un certain équilibre économique, sans toutefois jamais atteindre, hélas ! les marges de 50 % dont il a pu être question ici ou là et qui sont totalement farfelues.

Le capitalisme familial représente, en France, une solution capitalistique utile et même nécessaire, comme en témoignent les exemples de JCDecaux, partenaire de Bouygues Telecom, ou de Michelin, merveilleuse entreprise française. Il n’est pas la panacée, mais une solution parmi d’autres, durable, intéressante et intelligente. Encore faut-il que les capitalistes familiaux puissent conserver la possession totale ou partielle de leurs entreprises et les diriger normalement. Il s’agit évidemment d’un aspect auquel je suis très attaché : Bouygues a l’originalité de n’avoir connu que deux présidents en soixante-deux ans.

Quant à l’importance du BTP dans la vie des communes, ce n’est pas moi qui la nierai ! Plus généralement, n’oublions jamais qu’une économie ne peut se développer sans investir dans ses infrastructures. De nombreux pays l’ont compris, mais pas tous – je songe notamment à l’Inde. Un pays moderne comme la France doit donc développer ses infrastructures de toute nature, et nous sommes évidemment à la disposition des collectivités territoriales comme de l’État pour y contribuer.

S’agissant des fournisseurs de matériaux, je me réjouis qu’une grande entreprise comme Lafarge devienne un leader mondial de la production de ciment. Il appartient au régulateur, c’est-à-dire aux autorités française et européenne de la concurrence, de s’assurer que le niveau de compétition demeure suffisant pour garantir la compétitivité des prix sur le marché du ciment. Je ne doute pas que ce sera le cas. Il est heureux que notre pays crée un grand opérateur mondial dans la production d’une matière première aussi importante, d’autant que nous sommes quelque peu sortis du jeu en ce qui concerne l’acier et l’aluminium.

À propos de la passerelle normande, je n’ai pas la moindre idée du poids qu’elle peut représenter : une tonne, mille tonnes ?

Mme Laurence Dumont. Quarante tonnes par passerelle.

M. Martin Bouygues. Il faut vérifier l’état des passerelles et voir s’il est possible de les démonter et de les transporter. Je vous propose de revenir vers vous lorsque j’aurai pu étudier la question avec mes collaborateurs.

S’agissant enfin de Cuba, nous interrogerons Alstom.

M. Jean-François Guillemin. Précisons que Bouygues, présent dans quatre-vingts pays, a l’habitude des législations sur les embargos, toujours très complexes. Je ne saurais vous répondre à propos d’Alstom, mais Bouygues travaille à Cuba depuis de nombreuses années, ainsi qu’aux États-Unis, et ce dans le cadre d’une exception régie par un décret du Président américain lui-même, qui autorise les entreprises européennes à intervenir, dans le secteur du bâtiment, à Cuba comme aux États-Unis. Pour Alstom, la réponse nécessite quelques explorations législatives et réglementaires.

M. Martin Bouygues. Le gouvernement français aura certainement son mot à dire s’agissant des relations avec General Electric.

M. le président François Brottes. La question a été soulevée dans le cadre du groupe d’amitié France-Cuba, que préside André Chassaigne et dont je suis moi-même membre. Nous interrogerons aussi General Electric directement.

Monsieur le président-directeur général, merci à vous et à vos collaborateurs pour la clarté de vos réponses. M. Silicani, qui aura peut-être suivi nos débats, sait d’expérience que l’on ne dit pas toujours ici du bien du régulateur !

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 1er juillet 2014 à 17 h 30

Présents. - M. Damien Abad, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. François Brottes, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Christian Franqueville, M. Henri Jibrayel, M. Jean-Luc Laurent, M. Philippe Le Ray, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Audrey Linkenheld, Mme Frédérique Massat, M. Yannick Moreau, M. Hervé Pellois, M. François Pupponi, M. Frédéric Roig, M. Michel Sordi, M. Lionel Tardy

Excusés. - M. Jean-Claude Bouchet, M. Joël Giraud, Mme Annick Le Loch, M. Bernard Reynès, M. Jean-Charles Taugourdeau

Assistait également à la réunion. - M. Jean-Louis Dumont