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Commission des affaires économiques

Mercredi 2 juillet 2014

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 104

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Benoît Hamon, ministre de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, Mme Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la communication, Mme Fleur Pellerin, secrétaire d’État chargée du Commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger, auprès du ministre des Affaires étrangères et du développement international, Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du Numérique, auprès du ministre de l’Économie, du redressement productif et du numérique, et M. Thierry Mandon, secrétaire d’État à la Réforme de l’État et à la simplification, auprès du Premier ministre, sur la conversion numérique de la société française

La commission auditionné M. Benoît Hamon, ministre de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, Mme Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la communication, Mme Fleur Pellerin, secrétaire d’État chargée du Commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger, auprès du ministre des Affaires étrangères et du développement international, Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du Numérique, auprès du ministre de l’Économie, du redressement productif et du numérique, et M. Thierry Mandon, secrétaire d’État à la Réforme de l’État et à la simplification, auprès du Premier ministre, sur la conversion numérique de la société française

M. le président François Brottes. Je tiens à remercier Mmes et MM. les ministres qui ont accepté ce défi de venir collectivement à la rencontre du Parlement.

Mmes Corinne Erhel et Laure de La Raudière ont dirigé une mission d’information sur le développement de l’économie numérique française, mise en place en mars 2013. La Commission a engagé de vrais moyens dans cette mission et a considéré qu’il fallait que ce travail serve. Nous vous avons donc invité, mesdames et messieurs les ministres, pour entendre les conclusions de cette mission transversale et pour nous faire partager les actions que vous comptez déployer.

Mme Laure de La Raudière. Aujourd’hui, on ne se connecte plus, on est connecté. Cette phrase illustre la troisième révolution industrielle que nous sommes en train de vivre et qui induit des changements aussi profonds que ceux engendrés par la deuxième. Tous les secteurs de l’économie et de la société – les industries culturelles, l’audiovisuel, le tourisme, la distribution, les transports, les modes de paiement, l’action publique, l’éducation, la santé ou l’énergie – sont concernés par ce bouleversement qui s’avère aussi important que celui généré par l’invention de l’électricité.

Le numérique est un formidable levier de croissance et pourrait créer 400 000 emplois directs nets dans les quatre prochaines années. Il représente donc une chance pour la France qu’il convient de ne pas laisser passer. Pour ce faire, il est nécessaire d’anticiper et de comprendre le fonctionnement de l’économie numérique ; il faut porter une volonté de changer le monde en s’attaquant à une ligne de fracture, en recherchant continuellement la disruption, en renforçant la puissance de l’industrie du capital-risque et en favorisant l’émergence d’un écosystème performant.

La France dispose de nombreux atouts – notamment la qualité de ses entrepreneurs qui ont créé des entreprises comme Meetic, Dailymotion, Deezer, Exalead, Parrot, PriceMinister, Vente-privee.com et bien d’autres –, mais souffre également de faiblesses. Celles-ci résident dans le fait de considérer le numérique comme une filière autonome, dans les difficultés à se projeter à l’international, dans la méconnaissance globale des enjeux numériques et des nouvelles stratégies de création de valeur par les responsables économiques et politiques, et dans la persévérance à défendre d’anciens systèmes comme la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur l’Internet (HADOPI) ou les taxis contre les voitures de tourisme avec chauffeur (VTC).

Il nous faut agir pour une France numérique dans tous les domaines et tous les secteurs, ce qui requiert, c’est le titre de notre rapport, « de l’audace, encore de l’audace et toujours de l’audace » comme le professait Danton à un autre moment révolutionnaire.

Mme Corinne Erhel. Il s’avère primordial d’accélérer la conversion numérique de la société en suivant des objectifs, une méthode, des calendriers et en s’appuyant sur des moyens humains et financiers dédiés à cette politique. Il est nécessaire que le fonctionnement en silos et vertical s’efface devant un mode d’action plus horizontal. La coopération interministérielle est-elle efficace ? Comment pourrait-on l’améliorer et l’approfondir ?

Une grande partie de nos travaux ont trait à l’éducation et à l’adaptation des compétences : des ambitions ont été affichées dans cet important domaine que nous relayons en proposant l’apprentissage du code – c’est-à-dire de la programmation informatique – à l’école. L’éducation nationale devrait-elle s’inspirer des initiatives menées actuellement comme l’Ecole 42 et d’autres où de nouvelles méthodes d’apprentissage et d’évaluation sont déployées. S’agissant de l’enseignement supérieur, nous proposons de réserver 10 % des bourses doctorales à des recherches portant sur le numérique. Soutenez-vous cette idée ?

De grands acteurs de dimension internationale bouleversent le secteur de la culture, et une entreprise comme Netflix pose un problème nouveau. Comment travaillez-vous en interministériel sur de tels cas qui modifient tous les modèles et toutes les organisations ? La presse repense également son économie générale : quelles actions entreprenez-vous en la matière ? Nous avons rencontré des membres d’une start-up qui propose que chaque auditeur puisse composer son propre journal télévisé à partir de ses centres d’intérêt collectés dans ses données.

Le soutien à l’innovation nécessite de capitaliser les start-up françaises, notamment celles créant des applications mobiles. Il convient de préparer les nouveaux usages et d’accompagner l’émergence de champions en faisant émerger un environnement propice à leur développement. Notre rapport insiste ainsi sur la question du financement de l’innovation. Quel regard portez-vous sur nos propositions visant à combler les phases post-amorçage, importantes pour faire grandir nos entreprises et leur permettre d’attaquer le marché mondial, ou à créer un Nasdaq européen en complément du marché Euronext ?

Nous suggérons également d’évaluer les incubateurs et les accélérateurs qui bénéficient d’une aide : quelle est votre position sur ce sujet ? M. Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance, estime qu’il existe trop de fonds de capital-risque en France – on en recense une centaine ; en se prononçant pour une plus grande sélection, il demandait à ce que les rendements soient supérieurs ? Êtes-vous d’accord avec cette analyse ? Comment pourrait-elle se traduire dans les faits ?

L’État doit être exemplaire dans la mise en place de cet environnement et de cette nouvelle culture. Beaucoup d’initiatives ont déjà été lancées, mais nous nous demandons comment l’État fait face à cette transformation et à la gestion d’une temporalité différence ? Comment briser les silos politiques et administratifs ?

La bataille doit se conduire a minima au niveau européen, l’Union européenne (UE) représentant le bon échelon pour penser une stratégie ambitieuse et internationale faisant du numérique le moteur de notre attractivité. Comment valoriser l’expertise de promotion de l’économie française du réseau des expatriés ? Cette demande nous a été adressée lors des auditions.

L’innovation constitue le cœur de la réussite de la transformation numérique, et il convient de dépasser nos blocages culturels. Quels engagements pouvez-vous prendre en matière d’innovation ? Ce rapport propose la mise en place d’un principe d’innovation pour le numérique, indispensable pour conduire la révolution culturelle qui nous permettra de gagner cette bataille et de faire de la France et de l’UE des acteurs majeurs dans ce domaine.

M. Benoît Hamon, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Je souhaiterais tout d’abord saluer le travail des deux rapporteures, Mmes Corinne Erhel et Laure de La Raudière.

Le numérique à l’école constitue un outil important pour lutter plus efficacement contre les inégalités sociales et scolaires et bâtir une école plus inclusive. Là où des expérimentations sont conduites, il bouleverse d’ores et déjà l’espace pédagogique de la classe car il motive les élèves, il suscite la participation de ceux qui n’intervenaient pas et il permet à des enfants frappés de troubles cognitifs ou atteints de handicaps comme la dyslexie et la dyspraxie de suivre la même leçon que les autres. Le bilan des pratiques pédagogiques testées en France et à l’étranger montre leur efficacité dans la lutte contre le décrochage et pour le rattrapage de certains élèves en difficulté.

La France se trouve moins bien équipée que les autres pays européens au collège et à l’école, mais mieux équipée au lycée, et ce dans les trois filières, générale, technique et professionnelle. Ainsi, 97 % des enseignants interrogés jugent que les ressources pédagogiques numériques constituent un atout, mais seuls 5 % d’entre eux les exploitent dans les classes, ce qui atteste de l’ampleur du chantier que nous avons à conduire.

Celui-ci a trois dimensions : le raccordement de l’ensemble des établissements, même les plus isolés, afin qu’une fracture numérique ne vienne pas s’ajouter aux fractures sociales et géographiques ; l’équipement des classes de tableaux interactifs, de terminaux mobiles et d’ordinateurs ; enfin, les ressources pédagogiques numériques nécessitent une préparation des enseignants, lors de leur formation initiale comme continue.

Le numérique en classe change le statut de l’erreur, car celle-ci s’efface sur une tablette ou sur un terminal mobile. Cela permet de recommencer, de retravailler, et de ne pas s’y arrêter. L’erreur se trouve ainsi au service des apprentissages et des progrès des élèves, ce qui modifie la relation entre l’enseignant et l’enfant. Au moment où le conseil supérieur des programmes (CSP) se penche sur le socle des connaissances et des compétences devant être acquises au terme de la scolarité obligatoire et où l’on réfléchit à l’évaluation de leur maîtrise, le chantier du numérique à l’école offre une opportunité de modifier les ressources pédagogiques pour les placer davantage au service des programmes et de la lutte contre les inégalités sociales et scolaires à l’école.

Le Gouvernement lancera un plan d’équipement des écoles et des collèges et incitera les collectivités territoriales à investir une fois que l’effet de levier sera suffisant ; en outre, il soutiendra la filière industrielle du numérique éducatif, dont le marché mondial est évalué à 92 milliards d’euros. Un certain nombre d’éditeurs sont prêts à prendre le tournant du numérique, mais il ne s’agit pas simplement de transformer un manuel scolaire en fichier pdf. Il y a lieu d’élaborer des programmes interactifs, nouveaux, innovants et qui s’appuient sur les expérimentations déjà existantes, afin que les enseignants exploitent toutes les opportunités offertes par les instruments numériques.

Le rapport met en lumière des carences dans l’enseignement de l’informatique à l’université ; cette situation a conduit Xavier Niel à créer l’Ecole 42, et je souhaite que l’on formule rapidement des propositions sur la manière d’améliorer l’enseignement de l’informatique. Nous portons un vif intérêt aux cours en ligne ouverts et massifs (CLOM) – ou MOOC pour l’acronyme anglais – qui constituent un instrument d’appui à la formation continue des professeurs et qui doivent être développés en France et dans l’espace francophone pour ne pas laisser la formation des élites francophones aux Anglo-Saxons. Il s’agit d’un enjeu de souveraineté important.

Je suis favorable à ce que la réforme des rythmes scolaires permette d’inciter des collectivités locales et des écoles à initier les élèves du primaire au code et au langage informatique. L’initiation au fonctionnement et aux règles du langage informatique figure dans la proposition de socle des connaissances et des compétences avancée par le Conseil supérieur des programmes (CSP) ; l’élève français devra ainsi savoir que les équipements informatiques utilisent une information codée, devra connaître les principes des langages de programmation et devra être capable de réaliser de petites applications utilisant des algorithmes. Les professeurs de technologie demandent à dispenser cet enseignement. Il me paraît prématuré d’en faire une matière obligatoire faisant partie des apprentissages fondamentaux au primaire, mais cela peut s’insérer dans le socle du collège.

M. le président François Brottes. Nous avons récemment organisé une table ronde sur l’e-commerce au cours de laquelle l’un des deux patrons de Vente-privee.com a affirmé ne pas réussir à recruter des compétences suffisantes pour leur développement ; cette situation a conduit l’entreprise à créer sa propre école dans laquelle étaient recrutés des jeunes en échec scolaire qui font preuve d’une très grande motivation et qui trouvent tous un travail à l’issue de cette formation. Ce genre d’initiative pose question.

Mme Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la communication. Le numérique a introduit plusieurs changements dans le modèle économique de la culture. Il offre des opportunités nouvelles d’accès à la culture et de développement des pratiques créatives, mais il suscite également certaines inquiétudes. Des risques de concentration majeurs apparaissent, notamment du fait de l’importance des multinationales – les GAFA pour Google, Apple, Facebook et Amazon – qui opèrent un transfert de la valeur créée par les artistes vers les entreprises qui font circuler les contenus. Cela menace l’exception culturelle que la France défend fortement au sein de l’UE en promouvant son adaptation à l’ère du numérique. Au fil des évolutions technologiques, nous avons toujours réussi à adapter nos mécanismes de financement de la création par ceux qui la diffusent ; aujourd’hui, il est naturel que les grands acteurs du numérique contribuent au financement de la culture. Pour ce faire, il faut que le principe de destination prévale sur celui du pays d’origine, notamment en matière de fiscalité. La France défend cette position qui s’avère si pertinente pour traiter des cas comme celui de Netflix. La concentration peut faire peser une menace sur la diversité culturelle du fait des risques d’abus de position dominante. Cela a donné lieu à de nombreux conflits, comme ceux opposant Amazon à Hachette aux États-Unis, Amazon à des éditeurs et libraires allemands, ou YouTube à des producteurs indépendants de musique qui refusaient ses conditions commerciales. Nous demandons à la Commission européenne de se montrer vigilante pour empêcher ces pratiques inacceptables où un opérateur impose des conditions commerciales à des éditeurs et des libraires.

Cette position n’est pas que défensive et nous devons construire une stratégie industrielle des contenus numériques. Des acteurs français produisent des contenus de grande qualité dans tous les domaines culturels, et il convient de défendre ces créateurs qui incarnent l’excellence française ainsi qu’un pan important de notre économie et de notre capacité d’influence dans le monde. Ainsi, nous travaillons avec les entreprises françaises offrant des services de vidéo à la demande avec abonnement – VàDA ou SVoD en anglais – pour les accompagner en adaptant notre système de régulation, notamment la directive sur les services de médias audiovisuels à la demande (SMAD), et en leur évitant de se trouver confrontés à une concurrence déloyale des grands opérateurs américains.

J’ai engagé le chantier de modernisation de l’action publique de la culture, le numérique s’avérant un levier d’action puissant en la matière. Comme vous le soulignez dans votre rapport, mesdames les députées, il convient de sortir de la logique de silo ou de filière pour agir dans le cadre d’une économie numérique globale qui ne se développe pas que par le progrès technique, celui-ci représentant une illusion dont il faut se garder, tout fétichisme technologique étant à proscrire, car la puissance de la France réside dans la création des contenus culturels. On doit pouvoir donner à cette capacité d’invention un débouché dans le numérique.

Le numérique facilite l’accès aux innovations ; dans ce contexte, j’ai lancé depuis un an une politique culturelle – baptisée « automne numérique » – en faveur des usages numériques et de l’innovation : elle irrigue l’ensemble des secteurs du patrimoine, de la création artistique, des médias et des industries culturelles.

Cette politique repose sur trois axes. Le premier vise à renforcer l’accès aux ressources culturelles numériques d’éducation artistique et culturelle dans l’ensemble du territoire. Le ministère de la culture et de la communication a développé des programmes de numérisation ambitieux par le biais de plusieurs appels à projets, dont le dernier, relatif aux services numériques culturels innovants a été publié en juin dernier. Doté de 1,5 million d’euros, son objectif est de favoriser la diversité culturelle et de soutenir des expérimentations destinées au grand public. Les projets retenus couvrent l’ensemble des champs culturels – le patrimoine, la mise en valeur des territoires, le spectacle vivant, le livre, l’art contemporain, l’audiovisuel et la musique – et offrent des services numériques variés : visite des musées et du patrimoine, visualisation et diffusion des contenus, jeux, éducation artistique et culturelle, personnalisation pour certaines catégories de la population, et spectacle vivant. Dans le cadre de la modernisation de l’action publique (MAP), on dresse un bilan des politiques de numérisation déployées dans le secteur culturel ; en effet, beaucoup d’argent a été consacré dans la numérisation, et il convient de se montrer vigilant sur l’utilisation de ces ressources. Ainsi, la numérisation des collections nationales des musées – qui appartiennent à tous les Français – doit conduire à ce que les données restent publiques. Le ministère s’attache aussi à valoriser l’offre existante par le biais de partenariats avec des communautés numériques ou dans des espaces numériques dédiés à l’éducation artistique et culturelle, afin de rendre une sélection de ressources culturelles numériques accessible aux plus jeunes dans un cadre juridique sécurisé – on respecte le droit d’auteur – et public.

Le deuxième axe consiste à bâtir une politique des usages numériques dans le secteur culturel. Il s’agit d’accompagner le passage d’une politique d’accès aux ressources numériques à une véritable politique des usages numériques. Pour ce faire, on favorise l’utilisation des contenus créatifs, afin d’en faire des objets ouverts, immersifs, exportables et permettant à chacun de se les approprier dans une démarche ludique ou professionnelle. J’ai souhaité que le ministère s’engage dans une stratégie d’ouverture des contenus créatifs dédiés à l’éducation artistique et culturelle. À cette fin, j’ai annoncé la réalisation d’un site ouvert, proposant à l’usager des modules innovants et exportables autour du portail « Histoire des arts », utilisé par les collégiens. La mise à disposition de ressources sous licences ouvertes s’inscrit dans cette démarche ; elle repose sur la volonté d’accorder aux licences libres, et notamment aux creative commons, une plus grande audience, car il s’agit d’un enjeu important pour le ministère de la culture et de la communication. Je souhaite que nous accompagnions les établissements publics dans une action coordonnée d’ouverture des ressources culturelles numériques, en mettant l’accent sur l’éducation artistique et culturelle. Lors de l’« automne numérique », j’ai souhaité que l’on conditionne les projets numériques portés par les établissements publics – ou les structures subventionnées par le ministère à plus de 50 % – à la mise à disposition significative de ressources numériques culturelles sous licence ouverte. Afin de sensibiliser les acteurs culturels, nous avons conclu dans le même temps un partenariat pilote avec Creative Commons France. L’État s’est également engagé dans une politique d’ouverture de ses ressources ; dans ce cadre, le ministère de la culture et de la communication a modifié en mai dernier les conditions générales de réutilisation de ses sites internet en plaçant les données sous licences ouvertes afin de permettre au plus grand nombre de se les approprier légalement. Nous avons veillé à mieux identifier les œuvres du domaine public, sources de création, pour préserver des espaces culturels gratuits et communs. En développant des outils de sensibilisation aux droits d’auteur – notamment dans le cadre scolaire, car il est important que les jeunes connaissent le droit d’auteur et l’économie de la création – et de valorisation des œuvres entrées dans le domaine public, le ministère souhaite accompagner les jeunes dans leur apprentissage de ce qui relève du domaine public et de ce qui est soumis au régime du droit d’auteur. Nous avons mis en place un prototype de calculateur du domaine public français pour en faciliter l’identification ; cet outil a rencontré un certain succès et nous travaillons actuellement à son exportation.

Le troisième et dernier axe a pour objet d’accompagner le développement d’un écosystème de création et d’innovation dans le secteur culturel. Celui-ci s’est imposé comme un secteur de pointe dans les technologies numériques, et notamment dans le web sémantique. Le ministère de la culture et de la communication a développé des programmes de recherche pour investir dans les technologies émergentes et anticiper les usages innovants de demain ; certains établissements se montrent très innovants en la matière, à l’image du Centre Pompidou qui a créé un musée virtuel sur le principe du web sémantique. Nous avons mis en place à l’automne dernier un partenariat avec l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) pour accompagner la réflexion sur les enjeux du web 3.0 ; nous avons aussi rédigé une feuille de route stratégique sur l’enjeu des métadonnées culturelles et du web 3.0. Nous avons également lancé une démarche d’ouverture des données publiques culturelles avec un dynamisme exemplaire, puisque nous avons publié fin mars un guide « data culture » qui précise la doctrine du ministère en matière de réutilisation des données publiques. Nous avons aussi élaboré une feuille de route stratégique « open data » du ministère, et un rapport d’audit sur l’ouverture et le partage des données publiques culturelles pour une révolution dans le secteur culturel a été récemment rédigé. Afin d’accompagner le développement des nouvelles pratiques artistiques numériques et de favoriser la médiation numérique, le ministère de la culture et de la communication a créé au mois de mai dernier un espace de travail partagé, dédié à l’innovation culturelle et baptisé « Silicon Valois ». Cela illustre ma volonté de moderniser l’administration du ministère. De nombreuses rencontres entre les acteurs de la culture et ceux du numérique ont eu lieu durant quinze jours au sein même du ministère, afin de décloisonner les compétences et de favoriser le partage des bonnes pratiques. Parallèlement, on a mis en place dans cet espace de travail des ateliers de sensibilisation aux outils de financement à destination des entrepreneurs et des ateliers d’initiation au codage pour les collégiens. De nombreux projets de médiation culturelle très inventifs ont émergé et ont donné des idées aux acteurs de la culture et à ceux du numérique ; nous souhaitons donc poursuivre cet élan.

Le numérique nous oblige à travailler différemment, en réseau et en faisant appel à l’intelligence collective. Le projet « Silicon Valois » s’inscrit dans notre volonté de conserver la dimension créative et citoyenne de la culture et du numérique, car il a mis en place un espace ouvert visant à impliquer davantage les citoyens dans l’élaboration des politiques publiques et à expérimenter de nouvelles formes de gouvernance. Cela s’insère parfaitement dans le cadre de l’adhésion de la France au partenariat pour un gouvernement ouvert. C’est en préservant les outils de financement de la création, en adaptant l’exception culturelle à l’ère du numérique et en développant de nouvelles pratiques innovantes que le ministère de la culture et de la communication pourra entrer de plain-pied dans ce nouvel âge.

Mme Fleur Pellerin, secrétaire d’État au commerce extérieur, à la promotion du tourisme et aux Français de l’étranger. La France dispose de talents et d’entreprises prometteuses et performantes à l’international dans le secteur numérique ; cela doit nous conduire à adopter un discours offensif mettant en valeur nos réussites et à aider les entreprises à acquérir une taille critique leur permettant de concurrencer des acteurs évoluant dans un terrain de jeux plus vaste. Nos entreprises restent un peu trop hexagonales, car ces marchés fonctionnent sur le modèle du winner-takes-all : il s’avère donc difficile de reprendre des parts de marché à ceux qui en ont acquis rapidement d’importantes au moment de l’émergence du marché. Le problème possède en partie une dimension culturelle, et certains entrepreneurs hésitent à se lancer à l’international ; il faut reconnaître que la tâche est compliquée, car, contrairement au marché américain unifié linguistiquement et sur le plan des tarifs, une entreprise française souhaitant vendre des produits ou des services en Lituanie ou en République tchèque devra faire face à des coûts non négligeables. L’éducation, notamment l’apprentissage des langues, joue un rôle majeur pour résoudre ces difficultés ; ainsi, un pays comme Israël, dont le marché intérieur est petit, possède une forte capacité de se projeter à l’international car tout le monde est bilingue.

La France et l’Europe pâtissent d’un problème de chaîne de financement, car la taille du marché du capital-risque de l’UE s’avère huit fois inférieure en volume investi et levé qu’aux États-Unis ; il est donc difficile de réaliser un tour de table supérieur à 5 millions d’euros en France. Le Gouvernement a déjà mis en place des mesures visant à compenser cette lacune ; Bpifrance constitue ainsi l’un des principaux pourvoyeurs des fonds du capital-risque, et l’investissement public se situe presque à une limite maximale. Nicolas Dufourcq a raison d’affirmer que ce secteur souffre d’émiettement et doit subir un mouvement de concentration pour que les fonds atteignent une taille suffisante. Il convient de renforcer le capital-risque de deuxième et de troisième tour de table pour les levées supérieures à 5 millions d’euros, afin d’accompagner les entreprises dans leur internationalisation. Bpifrance a mis en place un fonds de large venture qui a pris une participation de 11 millions d’euros dans Withings. Nous devons continuer ce mouvement et adopter une approche européenne du capital-risque pour que la Banque européenne d’investissement (BEI) revoie sa doctrine d’intervention directe ou indirecte pour accompagner la croissance des entreprises. J’avais rencontré le vice-président de la BEI, M. Philippe de Fontaine Vive, qui considérait que plusieurs milliards d’euros étaient disponibles, si bien qu’il faut maintenir la pression pour que de telles opérations soient conduites.

Afin de faciliter la compréhension des enjeux des affaires et des attentes des consommateurs d’un marché étranger, nous avons lancé un programme d’incubateurs accélérateurs – dont le premier fut inauguré par le Président de la République à San Francisco en février dernier – ayant vocation à fournir des services aux entreprises françaises qui souhaitent s’internationaliser dans des régions à forte croissance comme la Silicon Valley, Boston, où une structure spécialisée dans le biotech et le medtech sera créée, et l’Asie. Nous espérons développer ces maisons de l’international, ces French Tech hubs, dans d’autres pays présentant des débouchés pour nos entreprises.

Il convient de mettre en valeur les entreprises qui réussissent à se coter au Nasdaq avec succès et à conquérir des marchés étrangers. Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du numérique, et moi-même étions aux États-Unis pour promouvoir une centaine d’entreprises pépites. La communication et la promotion ne sont pas reconnues comme des actions publiques prioritaires, mais l’image de la France ne doit pas être réduite, sur le plan commercial, au luxe et à la gastronomie, et nous devons nous faire l’écho des réussites des entreprises à fort contenu technologique.

Nous rencontrons dans le tourisme les mêmes défis que dans tous les secteurs touchés par la disruption numérique. Là aussi, des acteurs économiques ont acquis des positions dominantes et se sont placés, à l’image des centrales de réservation, dans un rôle d’intermédiaire entre un producteur et un client. Des entreprises comme Accor n’ont pris que tardivement conscience de la concurrence incarnée par ces plateformes. Je suis donc persuadée que dans le tourisme comme dans les autres secteurs, il y a lieu de se focaliser sur les prochaines vagues d’innovation plutôt que de lutter contre des positions dominantes déjà acquises. HP a mis plus de 100 ans pour acquérir une valorisation boursière de 150 milliards de dollars, alors qu’Apple a mis un peu plus de vingt ans, Google un peu moins de dix ans et Facebook un an et demi. Les cycles économiques diffèrent fortement de ce qu’ils étaient il y a dix ou quinze ans – même si un phénomène de bulle explique sans doute une partie de cette évolution. Cette transformation présente des défis, mais elle souligne également la possibilité de gagner rapidement des parts de marché et des positions dominantes, à condition d’anticiper les prochaines vagues d’innovation et de ne pas se tromper de combat en tentant de contester des situations déjà acquises. En matière de tourisme, j’ai considéré qu’il fallait concentrer nos efforts dans le m-Tourisme, qui repose sur l’utilisation mobile du smartphone, pour développer des applications dans ce domaine, grâce à de l’innovation ouverte avec des grands groupes et des start-up – le Welcome City Lab, situé à Paris, accueille ainsi des start-up évoluant dans le tourisme – et à nos points forts que sont le big data, la géolocalisation et la réalité augmentée. Deux entreprises françaises du secteur du tourisme – lafourchette.com et un courtier de location de voitures – ont été acquises par des opérateurs étrangers : nous devons faire en sorte que nos opérateurs puissent acheter des entreprises étrangères afin d’obtenir leur innovation et de développer la localisation de l’expertise en France.

Le rapport de Mmes Corinne Erhel et Laure de La Raudière insiste sur la pédagogie de la révolution numérique. Il s’avère important de stimuler la recherche académique centrée sur la compréhension des mécanismes de l’économie numérique. J’avais lancé avec Jean Pisani-Ferry plusieurs appels à candidature dans ce domaine, car nous manquons de connaissances académiques sur la création de la valeur à l’ère du numérique. Nous rencontrons des difficultés à imposer des sociétés opérant en France mais n’y ayant pas leur siège social, car nous n’arrivons pas à estimer précisément le montant de leur profit réalisé dans notre territoire. Pour ce faire, il faudrait pouvoir calculer la valeur d’une donnée en elle-même et par rapport à celle de l’algorithme développé à l’étranger. Faute de maîtriser ces modèles inédits qui reposent uniquement sur de l’immatériel, il s’avérera ardu de réguler et de fiscaliser les revenus créés.

M. le président François Brottes. Monsieur Thierry Mandon, vous mettez en œuvre le basculement final vers le tout-numérique, ce qui pose des problèmes pour certains modèles économiques comme celui du courrier à La Poste. On peut imaginer également ce qu’une presse spécialisée vivra lorsque l’ensemble des annonces légales se trouveront sur l’internet. Comment peut-on gérer cette transition vers le tout numérique ?

M. Thierry Mandon, secrétaire d’État chargé de la réforme de l’État et de la simplification. Pour prolonger votre question, on peut se demander également comment le numérique peut participer pleinement à l’indispensable mouvement de transformation de l’État et de la puissance publique ; je suis d’ailleurs en accord avec l’orientation du rapport de Mmes Corinne Erhel et Laure de La Raudière sur ce point. La diffusion de la nouvelle culture numérique dans la société française explique la distance séparant l’État et la société. En effet, cette culture repose sur des réponses individualisées, rapides et horizontales, soit l’inverse de celles fournies par l’État. Tous ceux qui se trouvent attachés à l’État regrettent ce fossé.

Le numérique recèle un potentiel transformateur puissant, non seulement pour adapter des réponses, mais également pour transformer les processus d’organisation de l’État. Développer la culture et les usages numériques oblige à s’interroger sur les chaînes hiérarchiques, sur l’autorité et sur des innovations de rupture.

L’État a opéré une prise de conscience récente mais forte du potentiel du numérique. À l’exception de quelques réussites obtenues par des pionniers comme la direction générale des finances publiques (DGFiP) ayant mis en œuvre la déclaration d’impôt sur l’internet, les succès restent fragiles ; chaque ministère développe des innovations numériques, mais les structures qui les conduisent se trouvent souvent en marge de l’organisation administrative qui reste inchangée. Il y a un an, Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d’État chargée de l’enseignement supérieur et de la recherche, a déployé le programme des CLOM car la France souffrait d’un retard considérable. La ministre a directement mandaté un agent de l’administration et l’a placé en dehors de tous les circuits avec une petite équipe. Celle-ci a réussi à rattraper le retard et son chef a reçu un prix de l’innovation des managers publics.

On peut aussi évoquer la création, au sein du secrétariat général pour la modernisation de l’action publique, d’Etalab, outil très précieux qui sert d’interface entre les besoins publics et les entreprises de l’écosystème.

La conversion numérique de l’État est donc lancée et va même être démultipliée. Ce matin même, le conseil des ministres a pris des décisions en ce sens. Premièrement, ces sujets de la transition numérique et de la modernisation de l’action publique feront l’objet d’un programme d’investissements d’avenir. Ce programme vise à développer la mutualisation, les interfaces tendant à étendre les données ouvertes, l’archivage numérique, les identités numériques des particuliers et le projet intitulé « Dites-le nous une seule fois » dont l’objectif est d’éviter aux usagers de l’administration de donner des dizaines de fois les mêmes réponses. Il a été également décidé de consolider le chantier sur les données ouvertes, ouvert il y a quelques mois et relancé par Axelle Lemaire et moi-même, via la nomination d’un administrateur général des données ouvertes, chargé de veiller à la production et à l’acquisition de données par les différents ministères, de lancer des expérimentations, de diffuser les outils et la culture des données. Troisièmement, afin de consolider la crédibilité internationale de la France en matière d’e-gouvernement, il a été décidé que notre pays rejoindrait l’Open Government Partnership, programme visant à la transparence et à l’accessibilité des données et qui permet des échanges de bonnes pratiques au niveau international.

C’est une nouvelle frontière qui est devant nous. Nous allons travailler à ce chantier dans les six prochains mois et je vous ferai une proposition très concrète en janvier 2015. Il s’agit de mutualiser et d’organiser l’effort informatique de l’État – aujourd’hui le service censé coordonner les 20 000 informaticiens de l’administration centrale compte quinze agents seulement. Nous allons faire évoluer les organisations afin que les innovateurs numériques, qui sont souvent des agents de terrain, remontent dans la chaîne hiérarchique et se rapprochent des lieux de décision. Nous allons renforcer Etalab.

Ce travail s’inscrira dans le cadre d’une réflexion qui doit aboutir en janvier à la tenue d’une grande conférence, suivie d’un séminaire gouvernemental, intitulé « l’État de demain ». Trois ateliers seront consacrés au numérique. L’un sera consacré à l’amélioration des réponses de l’administration et de ses relations avec les usagers ; le deuxième concernera l’usage du numérique comme levier de décloisonnement des administrations et le troisième le rôle des nouvelles technologies comme facteurs d’inclusion de tous les citoyens et de tous les territoires.

La séance, suspendue à dix-sept heures trente, est reprise à dix-sept heures quarante.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du numérique. Je suis ravie de voir que la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale s’est saisie avec enthousiasme de la question du numérique, à l’initiative de Corinne Erhel et de Laure de La Raudière. Le caractère transversal de leur rapport, qui couvre toutes les thématiques liées au numérique, qu’elles soient économiques, éducatives, sociales, culturelles ou sociétales, prouve que les parlementaires ont pris conscience que les enjeux du numérique dépassent largement ces deux sujets traditionnels que sont les infrastructures et la culture.

Le numérique est encore trop souvent présenté comme une menace qui inquiète nos concitoyens. Sur le plan économique, le phénomène de désintermédiation frappe de plein fouet la totalité des secteurs industriels et des services traditionnels de l’économie française. Quand ces évolutions n’ont pas été anticipées, elles sont susceptibles de créer des ruptures et à court terme des destructions d’emploi.

Le développement du numérique constituerait également une menace pour le respect de la vie privée et un risque d’exploitation des données personnelles à des fins commerciales sans le consentement de l’usager des réseaux sociaux. Une troisième inquiétude porte sur le risque d’exclusion numérique et de rupture d’égalité entre les territoires et les citoyens. Il est vrai que l’extrême « numérisation » de certains habitants de zones urbaines très denses contraste très fortement avec l’éloignement de certaines populations de la réalité numérique. Il y a donc là un enjeu d’égalité territoriale et sociale absolument fondamental pour l’État.

Le Gouvernement répond à ces inquiétudes par un programme d’action déclinant autour de trois thématiques – la croissance, la confiance et l’inclusion –, des réponses économiques, juridiques et sociales.

L’enjeu, dans une perspective de croissance, est la numérisation de nos entreprises, en particulier de nos PME. Si la moitié d’entre elles disposent d’un site internet, elles utilisent encore trop peu les outils numériques, notamment de gestion, et ceux mis en place par le Gouvernement, par exemple pour répondre à des appels d’offres de marchés publics.

S’agissant des grands groupes, l’inquiétude porte sur les risques pour l’emploi de la désintermédiation. En réalité, la numérisation des grandes entreprises est créatrice d’emplois, du moins sur le moyen et le long terme. C’est pourquoi je crains l’effet contre-productif de barrières réglementaires trop hautes, qui risqueraient de ralentir l’innovation de nos propres acteurs.

Il ne s’agit pas pour autant de rester inactif face à certaines attitudes des géants de l’internet, qui croient pouvoir s’affranchir des législations nationales et de la réglementation communautaire sous prétexte qu’ils évoluent dans le cyberespace. Le but n’est pas de se cantonner à une démarche seulement défensive, mais de s’assurer que des entreprises comme Google, Apple ou Amazon respectent les règles concurrentielles, et de ne pas laisser s’installer des situations oligopolistiques, voire monopolistiques, au détriment de la liberté du commerce et de la capacité d’innovation de nos acteurs économiques. Il faut aussi faire émerger des entreprises françaises. En effet, l’arrivée de nouveaux acteurs, outre qu’elle fait baisser les prix et qu’elle fluidifie le marché, est susceptible de préluder à la création de futurs géants de l’internet. Ainsi, la société BlaBlaCar, née d’une pratique de désintermédiation du transport, est aujourd’hui une réussite française et continue de se développer – ce matin même, elle a réussi à lever cent millions de dollars de capitaux pour s’attaquer aux marchés internationaux.

Il faut également continuer à promouvoir les écosystèmes de start-up, entreprises à fort potentiel technologique et d’innovation appelées à connaître une croissance rapide. La difficulté pour nos start-up est d’attirer des investisseurs qui leur permettent de se développer, notamment à l’international. Trop souvent, elles sont rachetées avant de changer d’échelle – c’est l’étape du scale up – ou bien elles se domicilient à l’étranger où elles trouvent plus facilement des investisseurs. C’est la raison pour laquelle nous avons décliné une série d’outils, tels que le statut de jeune entreprise innovante, la pérennisation du crédit d’impôt recherche, le crédit d’impôt innovation, qui constituent un cadre réglementaire et fiscal destiné à accompagner la croissance de nos start-up. Le label French tech est également très utile pour attirer des investisseurs étrangers. Il faudra aussi créer des outils de financement paneuropéens qui permettent de lever des fonds de capital-risque à l’échelle européenne.

Pour favoriser la confiance, l’État doit développer sa stratégie de la donnée, qu’il s’agisse de l’open data, des données publiques ou des données personnelles. Je suis persuadée que la longue tradition française de protection de la vie privée peut devenir une force d’attractivité, à la condition qu’elle sache s’adapter aux enjeux de l’innovation. À l’heure où les entreprises américaines doivent prouver leur capacité à respecter la confidentialité des relations commerciales et des données privées, l’Europe a une carte à jouer comme terre de protection des données, non seulement pour attirer les entreprises et les consommateurs mais aussi pour développer de nouvelles filières industrielles, notamment dans le domaine de la cybersécurité.

Il y a aussi l’enjeu de l’inclusion. L’inclusion des territoires est l’objet du plan France très haut débit, dont l’ambition est d’équiper d’ici à 2022 la totalité des territoires du très haut débit via le déploiement de la fibre optique, dans le but notamment de permettre à nos entreprises d’être compétitives. L’inclusion des territoires passera aussi par le déploiement d’espaces publics numériques. De ce point de vue, il est essentiel d’engager une réflexion sur ce que doit être un service public universel du numérique, à l’heure où la décentralisation impose de repenser le rôle des collectivités locales, en particulier des Régions, dans la création d’espaces de rencontres permettant au citoyen d’être formé et informé et d’accéder à des usages innovants.

L’inclusion suppose aussi la formation. L’apprentissage du code par nos enfants est un impératif si on veut qu’ils deviennent des adultes autonomes dans l’environnement numérique de demain. La formation continue est tout aussi essentielle, dans un temps ou l’innovation technologique s’accélère, exigeant des salariés une capacité d’adaptation de plus en plus réactive. Des programmes plus ciblés permettront à certains jeunes en mal de repères et que les parcours d’intégration sociale ont laissés de côté de trouver une seconde chance. De même, ceux parmi les plus âgés qui se sentent exclus faute d’avoir accès aux outils numériques, peuvent être réintégrés par l’usage des réseaux sociaux, l’achat en ligne ou le lien avec les associations via le numérique.

Je pourrais également évoquer les enjeux d’urbanisation et d’égalité entre les quartiers numériques, dont certains de mes collègues ont la charge.

Enfin on ne peut pas parler du numérique sans parler de l’Europe. Obnubilés pendant dix ans par les impératifs, certes essentiels, de libre concurrence et de déploiement d’un marché unique du numérique, nous n’avons pas pensé à créer une industrie européenne du numérique. Il est temps de redresser la barre. C’est l’objet des douze plans industriels, sur les trente-quatre pilotés par Arnaud Montebourg et moi-même, consacrés à la filière numérique. L’objectif est de faire émerger des acteurs dans des secteurs comme celui des objets connectés, du big data, de la cybersécurité, de l’e-santé ou l’e-éducation : autant de secteurs à fort potentiel pour les acteurs économiques français et européens.

L’Europe ne pourra pas non plus faire l’économie d’une uniformisation du régime juridique des données personnelles, qui fait l’objet d’un projet de règlement en cours de négociation. Elle devra en outre prendre conscience de l’importance de la normalisation et de la nécessité d’une présence européenne au sein des instances chargées de négocier les normes en matière de numérique. Qu’il s’agisse notamment de la 5G ou des objets connectés, d’autres pays sont beaucoup plus doués que nous pour intégrer les instances qui négocient les standards de l’industrie de demain.

J’ai déjà évoqué ce problème à propos de la gouvernance de l’internet. Nous avons eu trop tendance à estimer que les décisions d’instances telles que l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers, l’ICANN, chargé depuis 1998 d’attribuer des noms de domaine à des sociétés privées, des États et des collectivités locales, étaient de nature purement technique. En réalité, les intérêts publics défendus par les États démocratiquement élus doivent aussi être pris en considération par cet organisme. C’est la raison pour laquelle la France appelle à une réforme profonde de la gouvernance de cette organisation.

Les sujets que je viens d’évoquer posent tous la question du rôle de l’État. Quel doit être le rôle de l’État à l’heure où le numérique suppose des modes décisionnels différents de ceux dont nous avons l’habitude ? Dans le numérique en effet, la décision est souvent prise par des acteurs multiples – non seulement l’État, mais aussi les communautés d’affaires, la société civile, les experts. Quel doit être le rôle de l’État face aux géants de l’internet, souvent en situation de monopole et dont le poids économique est parfois supérieur à celui des États ? Quel doit être le rôle de l’État face aux revendications citoyennes d’une plus grande démocratie, d’une plus grande transparence et de plus d’interactions dans les processus décisionnels ? Cela oblige les responsables politiques à repenser le rapport à la citoyenneté et à utiliser l’outil numérique dans la prise de décision.

Comment imposer des politiques publiques du numérique dans la nouvelle configuration qui naîtra de la future décentralisation et de la montée en puissance des Régions ? Les collectivités territoriales trouveront dans la future Agence du numérique, qui aura notamment à traiter avec elles des questions d’infrastructures, d’écosystèmes et d’usages numériques, le guichet vers lequel faire remonter les pratiques initiées au niveau local afin que l’État les diffuse à l’échelon national.

Quel peut être le rôle de l’État, quand la décision politique est lente et complexe, dépendante d’arbitrages politiques, alors que le numérique n’attend pas ? Si les entreprises du CAC 40 ont une durée de vie moyenne de cent deux ans, celles des entreprises du numérique à très forte valorisation est de quelques années aux États-Unis. Une telle réalité impose de repenser le temps du politique par rapport à celui du numérique.

Vous aurez compris que ces bouleversements sont fondamentaux : ce n’est pas pour rien qu’on parle de révolution numérique. C’est la raison pour laquelle je me réjouis que les parlementaires s’associent sur ces sujets au travail du Gouvernement.

Mme Béatrice Santais. La position du Gouvernement français, que vous avez exprimée avec force à Londres et à laquelle se sont ralliés certains pays européens, n’a pas pour autant empêché l’attribution par l’ICANN, dirigée de fait par les États-Unis, de noms de domaine en « .vin », au mépris de la protection des indications géographiques. Que peuvent faire la France et l’Europe pour protéger les viticulteurs et les agriculteurs qui défendent les indications géographiques protégées contre les conséquences potentiellement dramatiques de cette décision ?

M. Daniel Fasquelle. Il y a un décalage considérable entre le discours des politiques et la réalité de la couverture numérique du territoire. En dépit de toutes nos promesses, beaucoup de nos concitoyens des territoires ruraux n’ont toujours pas accès à l’internet, ni même parfois au téléphone mobile. À mon sens c’est la première urgence.

On voit bien par ailleurs que le cadre national ne suffit plus : on ne peut pas imposer des règles nationales, notamment fiscales, à des opérateurs qui interviennent depuis l’étranger. En outre, nos entreprises ne font que perdre du terrain face à la constitution de géants mondiaux. La solution n’est-elle pas à rechercher dans la francophonie, notamment en développant les contenus en français sur internet ?

La dimension européenne me semble aussi essentielle. N’aurait-on pas intérêt à faire émerger des champions européens pour faire face à la mondialisation ? Il est temps d’avoir une vraie politique industrielle française et européenne.

Des instances internationales telles que l’OMC ou l’ONU ne pourraient-elles pas édicter un ordre international minimal dans ces domaines ?

Mme Jeanine Dubié. Mettre l’action publique à l’heure du « 2.0 » permettrait, non seulement de faciliter les procédures pour les usagers, mais aussi d’améliorer le service rendu par l’administration et de satisfaire la nécessité de simplifier les procédures administratives. Est-il prévu d’accélérer la conversion au numérique des services publics et y a-t-il des secteurs prioritaires ? Quelles sont les mesures prévues et quel sera le calendrier de leur mise en œuvre ?

Le socle de compétences et de savoirs fondamentaux défini par la loi pour la refondation de l’école la République comporte une section consacrée à la maîtrise des techniques et des règles propres aux outils informatiques et numériques. Or, si 97 % des enseignants reconnaissent l’intérêt du numérique, seuls 5 % l’utilisent dans les classes. Existe-t-il un programme spécifique de formation des enseignants à l’usage du numérique dans la transmission des savoirs ?

S’agissant de l’accès au très haut débit dans les territoires ruraux, j’approuve totalement les propos de Daniel Fasquelle. Le plan France très haut débit n’a pas beaucoup amélioré la couverture des territoires ruraux et de montagne. Devront-ils attendre 2022 ? L’État ne devrait-il pas faire preuve d’un plus grand volontarisme envers ces territoires jugés insuffisamment rentables par les opérateurs ?

M. Paul Molac. Je rejoins les propos de mes collègues Fasquelle et Dubié : les entreprises des territoires ruraux ont besoin de la fibre pour se développer et l’État doit jouer son rôle dans ce domaine.

Comment développer les médias globaux, qui diffusent leurs contenus à la fois sur internet, la télévision et la radio ?

Comment développer la culture des enseignants en matière de codage ?

Mme Audrey Linkenheld. Je voudrais dire au préalable ma surprise qu’on ait si peu parlé de la recherche dans le domaine du numérique, alors que la France est bien placée dans ce domaine.

Comment les collectivités locales seront associées à la mission de la future Agence du numérique ? Quel est leur rôle dans la conversion de l’action publique au numérique ? Comment faire pour qu’elles se convertissent elles aussi au numérique ? Quelles mesures entendez-vous prendre pour favoriser la convergence entre le modèle du numérique et celui de l’économie sociale et solidaire ?

Mme Marie-Hélène Fabre. Vous avez, madame la secrétaire d’État, déploré le refus de l’ICANN de protéger les indications géographiques dans l’attribution des noms de domaine et annoncé, avec Stéphane Le Foll, que ce sujet ferait l’objet d’une action des autorités françaises. L’ICANN est-elle l’enceinte adéquate pour discuter de la gouvernance mondiale ? Quelles sont à vos yeux les pistes susceptibles de protéger les producteurs des abus d’internet ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. On constate que de nombreuses start-up nées sur notre territoire ont dû rejoindre d’autres pays plus accueillants pour les entreprises de nouvelles technologies. Quelles sont les politiques très concrètes que vous souhaitez mettre en place pour créer une véritable croissance numérique dans notre pays ?

Le rapport de nos collègues Corinne Erhel et Laure de La Raudière propose de contraindre les groupes du CAC 40 à intégrer dans leur conseil d’administrateur un fondateur de start-up : qu’en est-il de cette proposition ?

Mme Frédérique Massat. Sur la fracture numérique, il va falloir avancer car les habitants des zones moins denses sont en quelque sorte soumis à la double peine : ils ne sont pas connectés et leurs impôts servent à payer les équipements…

Quel sort allez-vous réserver aux cinquante-cinq propositions formulées par le rapport consacré à la lutte contre la cybercriminalité ?

Mme Laure de La Raudière, rapporteure. Monsieur Mandon, êtes-vous favorable au passage d’une politique d’open data par exception à une politique d’open data par défaut pour les données publiques ?

Mme Corinne Erhel, rapporteure. S’agissant de ce chantier de la conversion numérique, les déclarations d’intention ne suffisent pas : ce qu’attendent l’ensemble des acteurs, c’est que vous leur indiquiez une feuille de route détaillant clairement l’objectif poursuivi, la méthode adoptée, le calendrier retenu et les moyens dédiés.

M. le ministre. Nous avons lancé un appel à projets pour permettre aux établissements scolaires qui ne sont pas encore connectés de bénéficier d’une connexion haut débit sans attendre la fibre optique. Cet appel à projets a remporté un grand succès, ce qui permettra à neuf mille établissements de bénéficier dès la rentrée prochaine d’une connexion soit hertzienne soit satellitaire. L’État assurera l’installation de ces équipements.

Deuxièmement, la circulaire de rentrée prévoira la mise en place d’une formation des enseignants au numérique par l’encadrement pédagogique de proximité, c’est-à-dire les inspecteurs de l’éducation nationale et les inspecteurs pédagogiques régionaux. Ces séquences de formation continue se feront en lien avec les écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE), avec la mise en œuvre de cours en ligne ouverts et massifs, les CLOM, traduction française des fameux MOOC, et avec la plateforme France Université numérique (FUN), qui développe des instruments pédagogiques en ligne extrêmement précieux pour la formation des enseignants.

En outre, toutes les ESPE intégreront dans leur maquette de formation des enseignants l’initiation au numérique et la formation aux usages numériques.

Mme la secrétaire d’État chargée du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger. M. Fasquelle m’a interrogée sur les aspects européens et internationaux, s’agissant de la fiscalité et du droit de la concurrence. Tel qu’il a été défendu au cours des dix ou quinze dernières années par l’Union, le droit de la concurrence a eu pour effet d’empêcher l’émergence de champions européens, mais pas de champions ou de monopoles extra-européens. Le droit de la concurrence s’avère ainsi inopérant vis-à-vis de ces monopoles – on le voit dans les litiges avec Microsoft ou Google –, si bien que l’abus de position dominante ne peut être sanctionné. C’est pourquoi, lors du dernier Conseil européen, le Gouvernement a plaidé pour des outils adaptés à l’ère du numérique, notamment une régulation ex ante qui se traduirait, par exemple, par l’obligation d’interopérabilité – y compris pour les entreprises ayant leur siège social hors d’Europe –, à l’instar de la portabilité qui, dans la téléphonie, permet aux clients de ne plus être captifs de leur opérateur.

M. le président François Brottes. Une régulation similaire a été appliquée au secteur bancaire.

Mme la secrétaire d’État chargée du commerce extérieur, e la promotion du tourisme et des Français de l’étranger. Nous souhaitons que cette logique s’impose aux géants de l’internet, qu’il s’agisse de plateformes comme Google ou Youtube ou de systèmes fermés tels qu’Apple ou Samsung.

Sur la fiscalité, nous sommes dans l’incapacité technique et juridique d’offrir des solutions nationales ; c’est pourquoi nous avons porté le problème devant l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) : l’enjeu est le renouvellement de conventions fiscales bilatérales grâce auxquelles des multinationales peuvent échapper à l’impôt en délocalisant leurs profits, par exemple aux îles Caïmans ou aux Bermudes. Un groupe de travail a été constitué auprès de l’OCDE, et nous avons sollicité, auprès de M. Šemeta, commissaire européen en charge de la fiscalité, la création d’un tel groupe au niveau européen, afin de réfléchir à une assiette européenne d’imposition sur les bénéfices. Ce n’est pas chose facile car les entreprises concernées, je le répète, ont leur siège dans des États fiscalement accommodants. Si l’on a pu imposer aux opérateurs de jeux en ligne d’avoir un siège juridique en Europe, c’est parce que leur activité peut porter atteinte à la sécurité publique, avec des risques de blanchiment ; mais la Cour de Justice des communautés européennes a jugé, par exemple, que la même logique ne peut s’appliquer à des sociétés d’assurance en ligne. Il ne faut cependant pas relâcher la pression, car cette bataille est la mère de toutes les autres ; aussi le Président de la République a-t-il remis le sujet à l’agenda européen lors du dernier Conseil européen.

Enfin, la protection des indications géographiques fait l’objet d’une négociation au sein de l’ICANN, notamment avec les États-Unis, qui se fondent sur le droit des marques tel qu’il s’applique en propriété intellectuelle et industrielle. Imposer notre vision des choses, selon laquelle on ne saurait appeler « Champagne » un vin produit en Californie, pose donc de vrais problèmes conceptuels : la France en a fait un point dur de la négociation, et partage cette priorité avec l’Italie, l’Espagne et plusieurs autres pays.

M. le président François Brottes. Il faut aussi rappeler que 25 % des cigarettes consommées en France sont achetées en dehors des bureaux de tabac, en principe seuls habilités à les vendre : l’internet n’est évidemment pas étranger au phénomène.

M. le secrétaire d’État chargé de la réforme de l’État et de la simplification. S’agissant du développement de l’e-administration, madame Dubié, aucun secteur en particulier n’est prioritaire : tous le sont. Ce développement va par ailleurs s’accélérer ; je vous en préciserai la méthode et les moyens, suivant la doctrine de Mme Erhel. La méthode consiste d’abord à développer des programmes transversaux, afin de décloisonner l’information en silos de l’informatique d’État ; je pense en particulier au programme « Dites-le nous une seule fois », qui permettra aux usagers, à partir du 1er janvier 2017, de s’en tenir à une transmission unique de leurs données pour l’ensemble des administrations. D’autre part, certaines fonctions seront mutualisées, à commencer par la gestion des données. Une équipe interministérielle assurera la gestion de l’ensemble afin de créer une culture commune aux administrations. Troisièmement, un coup d’accélérateur sera mis sur l’innovation, à travers le développement des interfaces entre les administrations et les entreprises du numérique – vivier de réponses intelligentes pour les politiques publiques sur l’ensemble du territoire – et la promotion des innovateurs numériques au sein de l’État, aujourd’hui cantonnés trop bas dans l’échelle hiérarchique.

Nous avons par ailleurs créé, au sein du SGMAP, une équipe dédiée qui assistera l’ensemble des ministères dans la maîtrise d’ouvrage, qu’il s’agisse de la réflexion stratégique sur le développement de l’e-administration en leur sein ou du pilotage de la mise en œuvre.

Les collectivités territoriales, madame Linkenheld, seront associées au groupe de travail dont j’ai parlé : celui-ci définira les moyens, la méthode et le calendrier de la transition numérique de l’État d’ici à janvier 2015. D’autre part, nous avons intégré au sein du SGMAP les innovateurs du programme de la 27e région, devenu « Futurs publics », prototypage d’innovations numériques mises en œuvre par les collectivités et que l’État pourrait utilement faire siennes. Enfin, des chantiers expérimentaux seront ouverts avec les collectivités, en particulier sur la rationalisation des demandes de subvention.

L’open data par défaut est d’ores et déjà un principe politique, madame de La Raudière, à travers notre participation à l’Open government partnership ; il est également une réalité fonctionnelle, puisqu’un responsable aura pour mission de veiller à l’application de la charte – dont sont bien entendu exclues les données relatives à la vie privée. Il sera enfin un principe juridique avec le projet de loi transcrivant la directive européenne, qu’Axelle Lemaire devrait présenter en 2015.

Mme la secrétaire d’État chargée du numérique. Béatrice Santais et d’autres m’ont interrogée sur l’ICANN, société de droit privé californien créée par le Département d’État américain du commerce en 1998 et chargée de déléguer les noms de domaine : aux deux premières vagues de délégations – les « .com », puis les noms de pays tels le « .fr » – succède une troisième, avec des extensions génériques – « .hotel », « .éducation » ou « .accountant », par exemple. Notre contentieux porte sur les extensions « .vin » et « .wine ». La société Donuts, qui a répondu à l’appel d’offre de l’ICANN et gère déjà 350 noms de domaine, refuse de reconnaître la spécificité des indications géographiques (IG) et des appellations d’origine contrôlée (AOC). Le risque, dès lors, est que des vins produits au Kazakhstan soient vendus en Amérique du Sud sur un site appelé, par hypothèse, « haut-médoc.vin », ce qui serait évidemment de nature à induire le consommateur en erreur et contreviendrait aux législations française et européenne sur les AOC.

Je me suis rendue à Londres la semaine dernière pour une rencontre avec mes homologues des pays membres du Governmental advisory committee (GAC), sous-groupe représentant les 140 États au sein de l’ICANN. Toutes les décisions s’y prennent à l’unanimité. La France, avec ses partenaires européens, la Commission européenne, d’autres États – parmi lesquels le Brésil – ainsi que de nombreux États africains, a demandé la reconnaissance de la spécificité des AOC et des IG. Cette demande a été rejetée. À Londres, j’ai fait valoir que le contentieux faisait l’objet de discussions très intenses au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) depuis des années, et désormais dans le cadre de la négociation du Traité transatlantique. Pourquoi, dans ces conditions, ne pas considérer que l’ICANN n’est pas compétente en la matière ? Cette proposition, qui se voulait de compromis, s’est heurtée au refus américain. Rien n’empêche donc, aujourd’hui, la délégation des noms de domaine « .vin » et « .wine », sauf, peut-être, la pression de l’opinion publique ; c’est pourquoi nous devons bâtir une coalition réunissant les pays, très majoritaires, qui soutiennent l’idée de faire valoir l’intérêt public devant l’ICANN : la diversité culturelle doit être présente dans le monde virtuel comme dans le monde réel. Nous continuons de travailler avec les acteurs du secteur viticole à plusieurs solutions : appel au boycott, blocage des ventes de certains produits en Europe ou procédures judiciaires destinées à faire respecter la loi européenne, en tout cas sur le territoire de l’Union.

La France est, avec le Brésil, à l’avant-garde des pays qui en appellent à une véritable réforme de l’ICANN, pour que cette société devienne internationale et rompe ses liens avec le Gouvernement américain, pour que ses procédures de décision soient plus transparentes et qu’elle en rende compte devant nos concitoyens.

Sur le plan « France très haut débit », je comprends l’impatience de nos concitoyens, qui demandent seulement un accès à l’internet, notamment dans les zones peu denses telles que la haute montagne. Ce problème a été intégré dès le lancement du plan : le déploiement de la fibre optique suppose des investissements très lourds, l’émergence d’une filière, la formation des agents. Tout cela prend du temps, mais l’urgence, réelle, est prise en compte à travers des financements publics réservés en priorité aux zones rurales, à hauteur de 3,3 milliards d’euros pour l’État et de 3,5 milliards pour les collectivités locales. Ces investissements servent au déploiement de la fibre optique, c’est vrai, mais aussi des technologies permettant d’assurer l’accès à l’internet dans les plus brefs délais. Il n’y a donc pas de double peine pour ces territoires. J’ai cependant donné des instructions pour accélérer la couverture du réseau de téléphonie mobile dans les zones « blanches ». Ne sous-estimons pas, en tout cas, l’engagement politique sur ce plan qui, avec 20 milliards d’euros, est le grand chantier du quinquennat, l’objectif étant une couverture totale du territoire à l’horizon 2022.

Si j’utilise de nombreux termes anglophones, c’est tout simplement faute de termes francophones : on peut d’ailleurs se demander ce que fait l’Académie française en matière de vocabulaire numérique. La prégnance de la langue anglaise, dans ce domaine, est révélatrice de l’omniprésence des acteurs anglo-saxons ; d’où l’intérêt de réagir, même si je suis convaincue que le modèle de la langue unique n’est plus viable. C’est en utilisant les codes linguistiques de nos interlocuteurs que nous ferons vivre la francophonie.

J’espère que l’Agence du numérique verra le jour en septembre ; interlocuteur direct des collectivités, elle disposera de trois outils : la mission « French tech », la mission « Très haut débit » et la mission des usages. Depuis hier, la mission « Très haut débit » est d’ailleurs le guichet unique des collectivités pour leurs demandes de financement auprès du Fonds national pour la société numérique ; à ce jour, 54 dossiers ont été déposés, ce qui représente 7 milliards d’euros d’investissements. Le plan a donc atteint une vitesse de croisière satisfaisante.

Les liens entre l’économie sociale et solidaire et le numérique sont nombreux, que ce soit à travers l’approche collaborative, la création de tiers lieux, les fab labs, les ateliers de fabrication ou de forge numérique, au sein desquels sont réalisés des prototypages avec des imprimantes 3D : autant de lieux d’accueil, non seulement pour les entrepreneurs, mais aussi pour le public. Le financement participatif est tout particulièrement adapté aux deux secteurs, entre lesquels je souhaite voir se multiplier les passerelles.

Quant à l’intégration des start-up dans les conseils d’administration des sociétés du CAC40, madame Battistel, c’est une excellente idée : reste à trouver le bon véhicule législatif pour la rendre effective.

Sur la cybercriminalité, le rapport de M. Robert, avec ses cinquante-cinq propositions, me semble équilibré, entre le renforcement de la protection et le respect des libertés publiques ; il met l’accent sur l’organisation du système judiciaire et policier et sur les moyens mis à la disposition des agents publics. Il préconise aussi la création d’un « cyber-préfet » tout en réaffirmant le principe d’irresponsabilité des hébergeurs, et suggère d’appliquer aux grandes plateformes numériques, comme aux autres fournisseurs d’accès, une obligation de déférencement. Le rapport considère également, à juste titre selon moi, que le filtrage des sites ne doit pas être étendu à d’autres incriminations que la pédopornographie. Ce document ne saurait, en tout état de cause, être considéré comme un outil législatif, même s’il inspirera la réflexion du Gouvernement.

Il y a en effet urgence à agir, madame Erhel. Pour le numérique, j’annoncerai la feuille de route la semaine prochaine, à l’occasion de la conférence de presse d’Arnaud Montebourg à Bercy ; vous y êtes tous naturellement conviés. D’autres outils nous permettront d’avancer, comme les plans industriels ou la mission Lemoine, dont la réflexion se concentre sur dix secteurs, parmi lesquels les transports, parfois perturbés par les nouveaux comportements numériques. Cette mission rendra son rapport en septembre prochain ; suivront le projet de loi relatif au numérique et l’acte II des Assises de l’entreprenariat. Nous avons beaucoup agi, en matière règlementaire et fiscale, pour favoriser le développement des start-up sur le territoire français ; mais, au cours des Assises, il faudra également insister sur l’attractivité humaine de la France, à travers deux leviers : l’octroi d’actions gratuites aux salariés, car ces petites structures ont souvent peu de moyens pour les rémunérer, et le visa développeur, ou « passeport talents ». Pour remédier à la pénurie de développeurs dans certains secteurs, notre pays doit en effet se doter d’outils de formation continue des informaticiens.

Enfin, je ne puis évoquer la feuille de route sans parler de la stratégie européenne. J’ai écrit hier à mon homologue italien, dont le pays assurera la présidence de l’Union au cours des six prochains mois. Cette présidence est capitale puisqu’elle coïncide avec le renouvellement du Parlement de Strasbourg et l’installation de la nouvelle Commission. Il s’agit donc d’influer sur elle en vue de dégager des positions communes sur le numérique, non seulement avec l’Italie mais aussi avec l’Allemagne. J’ai déjà formulé des propositions en ce sens à mes homologues de ces deux pays, car nous avons à bâtir une Europe du numérique, de l’industrie, de l’investissement et de la création d’emplois.

M. le président François Brottes. Je remercie les ministres et secrétaires d’État d’avoir permis ce point d’étape sur le foisonnement de chantiers et d’initiatives qui assureront l’indispensable conversion numérique de la France. Je suggère à Mme Erhel, rapporteure pour avis sur les crédits des communications électroniques et de l’économie numérique, de reprendre les éléments qui viennent d’être évoqués dans l’introduction de son rapport, lequel pourra ainsi servir de base à un prochain travail. Sur ces sujets, le Parlement doit en effet être proactif, comme le Gouvernement entend l’être ; faute de quoi il sera « largué », si vous me passez cette expression un peu triviale.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 2 juillet 2014 à 16 h 30

Présents. - Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Jean Grellier, M. Philippe Kemel, Mme Laure de La Raudière, Mme Annick Le Loch, Mme Audrey Linkenheld, Mme Frédérique Massat, M. Yannick Moreau, M. Hervé Pellois, M. Patrice Prat, Mme Béatrice Santais, M. Lionel Tardy, M. Jean-Marie Tetart

Excusés. - M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, M. Jean-Claude Bouchet, M. Joël Giraud, M. Dominique Potier, M. Bernard Reynès, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Fabrice Verdier

Assistaient également à la réunion. – Mme Virginie Duby-Muller, M. Olivier Faure, M. Paul Molac