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Groupe de travail sur l’avenir des institutions

Vendredi 19 décembre 2014

Séance de 9 heures 15

Compte rendu n° 2

Présidence de M. Claude Bartolone et de M. Michel Winock

– Réunion sur le thème : « Une crise de la République ? »

La séance, ouverte à la presse, débute à neuf heures quinze.

M. le président Claude Bartolone. Monsieur le président, cher Michel Winock, mesdames et messieurs les parlementaires, chers collègues, mesdames et messieurs les personnalités qualifiées, je suis très heureux de vous retrouver pour cette deuxième réunion du groupe de travail sur l’avenir des institutions.

Je souhaite que cette séance nous permette de poursuivre le tour de table entamé il y a déjà deux semaines et que nous puissions établir ensemble un premier constat sur l’état actuel de notre démocratie et de notre République.

Les auditions commenceront à l’occasion de la prochaine séance qui sera consacrée à l’Europe et à la mondialisation et, surtout, à la manière dont nos institutions prennent ou non en compte ces deux éléments majeurs du XXIe siècle.

La séance d’aujourd’hui est particulièrement importante. En effet, au fond, et je l’ai brièvement exprimé la dernière fois, depuis 1958, la Constitution a été pensée de manière très administrative. Des rapports ont été rédigés par diverses commissions, désignées par l’exécutif et liées par une lettre de mission.

Du coup, nous sommes peut-être passés à côté de l’essentiel. L’important, selon moi, n’est pas simplement d’identifier telle ou telle faiblesse de notre norme suprême, mais d’abord de comprendre les grands changements survenus au cours des dernières décennies, d’identifier les problèmes que connaît notre démocratie et de se demander si ceux-ci pourraient, ou non, être résolus – du moins en partie – par une transformation des institutions. En d’autres termes, avant de se demander : « Quelles institutions ? », encore faut-il se poser la question : pour quelle nation et pour quelles missions ? Voilà la question que s’est posée, en son temps, le général de Gaulle, lui qui rappelait dans le discours de Bayeux la célèbre réponse du sage Solon aux Grecs qui l’interrogeaient sur la meilleure constitution : « Dites-moi d’abord pour quel peuple et à quelle époque. » Voilà les premières questions que nous devons nous poser : pour quel peuple et pour quelle époque ?

Beaucoup de ceux qui me connaissent le savent, j’aime citer cette phrase d’Antonio Gramsci : « La crise consiste dans le fait que le vieux monde se meurt, que le nouveau monde tarde à apparaître et que, dans ce clair-obscur, surgissent les monstres. » Or si crise il y a, c’est en effet, selon moi, parce que nous sommes entrés dans un nouveau monde. Je crois d’ailleurs que nous partageons cette idée avec Michel Winock : nous ne vivons pas le retour de je ne sais quelle époque.

Notre République, notre nation, est bousculée, interpellée par la mondialisation, l’émergence de l’Europe, les mutations de l’individu, la révolution numérique, la montée en puissance des enjeux écologiques, la redéfinition de l’espace public, ou encore l’accélération du temps qui rythme nos vies mais aussi celle de nos institutions. Tous ces problèmes bouleversent un grand nombre de démocraties représentatives. Les monstres qui surgissent dans ce clair-obscur sont partout un peu les mêmes : xénophobie, populisme, antiparlementarisme, crispations identitaires, idéalisation du passé et peur de l’avenir. Ils ne sont pas le monopole des pays frappés par la crise ; ce qui nous prouve bien, d’ailleurs, que l’urgence n’est pas simplement économique et que tout ne se résoudra pas avec le retour de la croissance.

Au fond, les démocraties représentatives font face à deux défis majeurs : une crise de la représentation et une crise du pouvoir lui-même qui ne semble plus être en mesure d’influer sur le réel.

Bien évidemment, la Ve République ne peut être accusée d’être l’unique responsable de cette situation, que l’on retrouve, j’y insiste, dans bon nombre de pays. Toutefois, non seulement notre régime ne répond pas à cette crise démocratique, mais il l’aggrave : en asphyxiant le débat, en limitant la responsabilité politique des acteurs, en ne prenant pas suffisamment en compte l’Europe ou la mondialisation.

Vous avez reçu une note préparatoire qu’on peut considérer comme une note de « débroussaillage ». Vous êtes, bien sûr, totalement libres par rapport à elle. Elle n’a pour vocation que d’amorcer un débat essentiel, peut-être l’un des plus importants que mènera ce groupe de travail : quel peuple, quelle nation ?

M. le président Michel Winock. Je vous propose une introduction qui ne sera pas du tout d’ordre institutionnel, le thème de notre réunion étant la crise de la République. Je vais revenir en effet sur une demi-douzaine de principes afin que nous nous demandions s’ils ne sont pas ébranlés. La République n’est pas seulement un système institutionnel — celui qui a remplacé la monarchie et l’empire bonapartiste. C’est aussi une communauté de citoyens soudée par un attachement sentimental et culturel à un régime instauré de haute lutte.

Le premier de ces principes est la foi dans le progrès.

Cette idée, très puissante, très profonde, issue du siècle des Lumières, de la Révolution, de Condorcet qui l’a formulée au mieux, a été à la base de la philosophie républicaine. Ne parlons pas du progrès de la science et des techniques, restons-en au progrès social. La République contient, ou contenait, une promesse de progrès social – sur les modalités duquel les républicains pouvaient être partagés.

Les républicains libéraux – que Jules Ferry incarnait au mieux – pensaient que le meilleur instrument du progrès social était l’école, une école devenue gratuite, obligatoire et laïque dans les années 1880. L’émancipation par l’école, un système de bourses devait la permettre aux plus démunis. L’historien Jacques Ozouf employait à ce propos l’expression d « optimisme pédagogique ». Les fondateurs de la IIIe République avaient le sentiment qu’avec l’école on disposait de l’instrument, de l’arme de la promotion sociale, de l’émancipation des individus.

Une autre tendance, plus radicale – elle était en effet incarnée par les radicaux-socialistes, et en particulier par Clemenceau, avant de l’être par les socialistes –, estimait que l’école ne suffisait pas et qu’il fallait, contrairement à ce que pensait Jules Ferry, l’intervention de l’État pour corriger le libéralisme pur, réglementer le travail et, de manière générale, faire avancer une législation sociale. Or cette notion de progrès social, on en trouve encore la marque dans l’article 1er de la Constitution de la Ve République : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. »

Cette notion de progrès, depuis, disons, la fin des « Trente Glorieuses », a cessé d’être un article de foi pour la majorité des Français. Dans le domaine intellectuel, c’est une idéologie de la décadence, du déclin, qui a pris forme. Je regardais hier soir une émission de télévision, « La grande librairie », au cours de laquelle le dessinateur Enki Bilal a déclaré, sans faire hurler ses interlocuteurs, que nous étions entrés dans une ère de régression dans tous les domaines. Et ce n’était pas un avis purement personnel : on sent bien que cette idée du déclin est très forte. Or, si la République perd en route la notion de progrès, elle perd certainement l’un de ses fondements intellectuels. Ajoutons au déclin de l’idée de progrès les menaces d’ordre écologique qui peuvent elles aussi peser sur la représentation de l’avenir.

Deuxième principe, l’égalité, valeur fondamentale du modèle républicain, demeure un principe actif, comme le prouve l’évolution du droit contre les discriminations : droits de l’enfant, parité, mariage des homosexuels... Reste que, dans les représentations, la société apparaît de plus en plus inégalitaire. Les chiffres et l’évolution des écarts de revenus sont discutés, mais il ne fait aucun doute pour personne que la pauvreté s’est accrue. Il y a cinquante ans, les mots « pauvre » et « pauvreté » n’appartenaient pas au langage politique ; on évoquait les « prolétaires » ou les « travailleurs ». La distribution de repas par les Restaurants du cœur bat tous les records. Et quiconque marche dans la rue s’aperçoit du contraste entre les mendiants que l’on croise tous les cent mètres, tandis que circulent sur la chaussée d’énormes 4x4, contraste qui montre à quel point la société est divisée entre riches et pauvres. La violation du principe d’égalité est bien connue des juristes, mais elle est une réalité sociale vécue par plus de huit millions de personnes pauvres selon les critères officiels.

Le principe d’égalité est donc remis en cause non pas dans le discours, mais dans les faits.

Troisième principe : la solidarité, qu’on appelait, en 1848, fraternité. La législation et la générosité des personnes privées démontrent que la solidarité est encore vivante. Cependant, ce que Mark Lilla, professeur à l’université Columbia, a appelé la « double révolution libérale » des trente dernières années, en a changé la donne. La première révolution libérale est celle du marché ; la seconde est la révolution des mœurs. Entre les deux, entre ce que nous appelons ici néolibéralisme et la révolution des mœurs, il n’y avait pas, à l’origine, de point commun ; mais l’une et l’autre ont fini par converger dans le triomphe de l’individualisme. D’un côté, le culte de la performance, la valorisation des résultats individuels ; de l’autre, l’exaltation de l’épanouissement de chacun contre les tabous et les traditions.

Le collectif est perdu de vue au bénéfice de la singularité. Nous sommes dans une société, écrit Robert Castel, où « les individus ont plus le souci d’affirmer leurs différences et leur singularité que de cultiver ce qui en fait des semblables ». Et Pierre Rosanvallon emploie des expressions telles que « capitalisme de la singularité », opposé au capitalisme d’organisation, et « société des individus », dans laquelle les appartenances collectives se délitent, les « solidarités se défont ».

Quatrième fondement : le patriotisme.

L’idée républicaine, depuis la Révolution, était inséparable du patriotisme. Il faut en convenir, le patriotisme était étroitement lié à la menace ou au souvenir de la guerre. Il avait partie liée avec la défense nationale. Dans une Europe occidentale en paix depuis près de soixante-dix ans, le patriotisme d’Ernest Lavisse, de Charles Péguy ou de Louis Aragon n’a plus lieu d’être, n’est plus entendu faute d’ennemi potentiel ou héréditaire.

Le patriotisme républicain, c’était aussi la conviction de former une nation à l’égard de laquelle on avait des devoirs civiques. Bien des esprits jugent aujourd’hui que cette idée de nation est obsolète, que la construction européenne, la mondialisation et l’immigration provoquent une crise du sentiment national, à laquelle le national-populisme s’efforce de répondre par les diverses formes de ce qu’on pourrait appeler l’idéologie protectionniste.

Il existe bien un ébranlement de la conscience nationale, toute une littérature en témoigne ; en effet, nombre de livres s’intitulent : « Qu’est-ce que la France ? », « Qu’est-ce qu’être Français ? », nombre de colloques se tiennent sur le sujet. Et je ne reviendrai pas sur les efforts d’un Président de la République pour lancer le grand questionnement sur l’identité nationale.

La question de l’école est étroitement liée à ce problème. A-t-elle encore vocation non seulement à instruire, mais à éduquer les futurs citoyens ? Et, si c’est le cas, remplit-elle son rôle ? Je me pose en particulier la question de l’enseignement de l’histoire qui, pour le coup, est vraiment en régression. L’esprit républicain était fondé sur une conscience historique, une perception de la durée et de l’héritage. Pierre Nora a pu parler de la « déshistorisation » des nouvelles générations.

Cinquième principe : la laïcité.

Le mot est une invention de la République au XIXe siècle. Il n’existe dans aucune autre langue, sauf, notamment, en turc et en espagnol du Mexique. Les pays européens, pour la plupart, n’ont pas de terme équivalent. Il s’agit d’une invention française, née du combat des républicains, au XIXe siècle, contre la puissance de l’Église catholique – contre, précisément, le cléricalisme puisqu’elle entendait intervenir aussi bien au sein de la société civile que politique. L’Église du XIXe siècle, ne l’oublions pas, était profondément conservatrice, antilibérale, antidémocratique et, selon le terme du pape Pie IX, antimoderne. Aussi les républicains, pour établir un régime de liberté et d’égalité, ont-ils eu à se battre non pas contre la religion catholique, contre le christianisme, mais contre la puissance politique de l’Église.

Cette bataille a abouti à la loi de séparation des Églises et de l’État en 1905. La liberté religieuse était affirmée, mais l’État refusait désormais toute subvention à aucun culte. Ce conflit entre la République et l’Église catholique a été long, mais l’apaisement, moyennant quelques concessions de part et d’autre, a été réalisé.

Or voici qu’une forte minorité, composée de plusieurs millions de personnes, issues de l’immigration, a introduit une religion qui n’existait pas en France au moment de la discussion de la loi de 1905 – l’islam. Si nous en croyons les sondages, une grande partie des Français considèrent la présence d’une communauté musulmane comme une « menace » ; ses fidèles sont étrangers au principe de laïcité : le port du voile par les femmes, l’affaire de la crèche Baby Loup, la viande halal, toute une série d’épisodes, voire de faits divers, donnent ce sentiment qu’une minorité de Français ne respecte pas la laïcité.

Inversement, le discours de la « différence » amène certains responsables à ne plus respecter eux-mêmes la laïcité. En Vendée, on a vu une crèche catholique de Noël installée dans une mairie. Dans plusieurs municipalités, on organise des repas du ramadan. Bref, les tendances communautaristes s’accentuent et la laïcité est devenue un mot d’ordre de l’extrême droite, ce qu’on n’avait encore jamais vu. Toutefois, avec elle, la laïcité n’est plus un facteur d’intégration mais d’exclusion.

À tort ou à raison, nombre de citoyens se demandent si nous sommes encore dans une République laïque.

Sixième et dernier principe : l’intégrité, ou la vertu.

Les scandales financiers, la concussion, la corruption ont émaillé l’histoire des républiques. On les oublie ou on les ignore. Notre attention est polarisée par ce qui se passe aujourd’hui. Une série de scandales atteignent les partis, les élus et même les ministres, et jusqu’aux syndicats, qui ont progressivement laissé croire aux Français que leurs dirigeants étaient corrompus. En décembre 2011, un sondage révélait que 72 % des Français interrogés estimaient que la plupart des responsables politiques étaient « plutôt corrompus » – ce chiffre était le plus élevé de ceux enregistrés depuis 1977. Les médias ont leur part de responsabilité dans ce phénomène, mais ce sont d’abord les comportements des hommes qui sont en cause. Montesquieu, vous le savez, écrivait dans De l’esprit des lois qu’il ne saurait exister de démocratie sans la vertu. La monarchie ou l’État despotique n’ont pas besoin de probité, disait-il, car la force leur suffit. La République démocratique ne peut exister que par la confiance mutuelle des citoyens les uns envers les autres.

La responsabilité des élites est en cause – et pas seulement dans le domaine politique. Ce sont elles qui donnent l’exemple, et leurs malversations une fois connues provoquent le scepticisme et la désaffection croissante envers la politique : 62 % des Français sondés éprouvent en 2011 « méfiance et dégoût » pour la politique contre 33 % en 1988.

Cet ébranlement des principes républicains ne doit pas aboutir à l’idée qu’il y aurait un âge d’or de la République à jamais disparu. Nous devons surtout, comme nous y invitait le président Bartolone, prendre en compte les bouleversements de l’histoire depuis un demi-siècle. Le facteur économique est capital : le chômage de masse durable est une cause d’anomie, de désintégration sociale, comme le déclin profond des normes collectives telles qu’elles existaient dans la société industrielle. La question, à mon sens, est de savoir comment, face aux nouvelles conditions de travail et de vie, nous pouvons « refaire du collectif » – et de savoir si des réformes institutionnelles peuvent y contribuer.

M. le président Claude Bartolone. Le cadre est posé. Il n’est pas contraignant, mais indique la tonalité de la réunion d’aujourd’hui : il s’agit d’analyser la manière dont sont ressenties nos institutions, et d’identifier des pistes de réflexion.

J’ouvre maintenant notre nouveau tour de table.

Mme Marie-George Buffet. « Crise de la République » ? Oui, et pour plusieurs raisons. Je partage entièrement l’intervention de Michel Winock. J’ajouterai cependant trois idées.

Il faut tout d’abord mesurer le niveau de souffrance sociale, qu’elle soit, bien sûr, matérielle – crise économique et sociale, bas salaires, précarité –, liée à l’insécurité, ou encore liée au passage du droit vers l’assistance. Or l’assistance est source de division entre les gens car face à un droit nous sommes tous et toutes égaux alors que, face à des aides, à des allocations, nous ne le sommes plus : l’autre ne touche pas ce que je touche, ou bien perçoit plus que moi.

Vous avez abordé la question de l’école comme lieu de promotion, ce qui a été une réalité profonde du vécu populaire. Il ne faut pas oublier la promotion dans l’entreprise. À une certaine époque, les entreprises formaient des gens qui entraient avec un CAP et qui parvenaient ensuite à des positions de responsabilité. Les grandes entreprises permettaient cela – je pense en particulier à l’industrie automobile. La promotion interne est beaucoup moins une réalité aujourd’hui : les grandes écoles industrielles, les écoles patronales, comme on les appelait, ont quasiment disparu, même si on note que le secteur aéronautique semble y revenir.

Je ne définirais pas la pauvreté comme vous l’avez fait, monsieur Winock. La pauvreté, ce n’est pas seulement le SDF à côté duquel circulent des 4x4 – ce n’est pas la configuration des rues de ma ville en tout cas. La pauvreté, c’est le bas salaire. À cause du bas salaire, la pauvreté est quotidienne et s’installe dans le long terme. Le mur est là. La précarité vient de ce qu’on vit, de plus en plus souvent, avec moins que le SMIC – 1 444 euros – puisque l’on travaille de moins en moins 35 heures par semaine.

À cela s’ajoute la marginalisation territoriale. Je suis une ennemie des politiques de la ville. Ce n’est pas la qualité des ministres concernés qui est en cause. Mais les notions de quartier, d’association de proximité, de terrain de proximité, de centre social de quartier… ont conduit à enfermer des quartiers, à effacer l’idée de commune, de bassin de vie.

Deuxième point : certes, la mondialisation, la question écologique, les tensions internationales sont sources d’angoisse. Mais les politiques sont responsables de l’utilisation de ces angoisses pour justifier leur incapacité à modifier les choses. Combien d’hommes et de femmes politiques ont-ils utilisé l’Union européenne, la mondialisation, pour expliquer qu’ils ne pouvaient pas réformer car ils étaient « contraints » – un mot parmi les plus prononcés par eux ? Nous contribuons donc nous-mêmes à dire aux gens qu’il n’y a pas de possibilité de s’en sortir. C’est pourquoi j’en reviens à l’idée que vous avez développée au début de votre intervention, selon laquelle le progrès était l’un des principes fondateurs de la République : ceux que nous mettons aujourd’hui au pouvoir nous disent qu’il ne peut plus y avoir de progrès à cause de ces fameuses contraintes.

Si l’on veut reconstruire l’idée de nation, de République, il faut un projet, ce qui est impossible quand on se contente de gérer le quotidien.

Enfin, troisième point, les institutions ont-elles à voir avec tout cela ? À lire la note préparatoire qu’on nous a distribuée, je me suis demandée pourquoi nous nous réunissions, tant j’avais l’impression qu’elles étaient marginales dans l’affaire qui nous occupe. Or, qui sont les acteurs et les actrices de toute construction au sein de la République ? Très peu de gens, et qui sont même de moins en moins nombreux : des « experts ». Les hommes et les femmes politiques ne sont-ils pas en train de devenir des « experts » ? Pour créer une dynamique de débat autour d’un projet de société, d’un projet de « vivre ensemble », il va bien falloir que nous nous donnions les formes institutionnelles permettant aux hommes et aux femmes d’être acteurs et actrices de cette construction.

Mme Karine Berger. Merci beaucoup à Michel Winock pour son exposé limpide et terriblement simple dans la présentation des difficultés que ma génération aura à résoudre pour reconstruire l’idée même de République.

Vous terminez sur la question de savoir quel est le lien entre les principes républicains et les institutions. Ce lien me paraît le plus direct qui soit, et je suis convaincue que les institutions sont l’une des clefs pour faire revivre ces principes. Or on observe depuis quelques années un mécanisme de désinstitutionalisation : aux yeux de la collectivité, l’efficacité, l’utilité des institutions disparaît. Aussi les institutions, pour nos concitoyens, ne représentent-elles plus une référence.

Ce phénomène peut s’expliquer parce que les institutions n’influent plus sur le cours des choses. Pour ce qui concerne les principes rappelés par M. Winock – progrès, égalité, patriotisme, laïcité… –, les institutions, notamment celles de la Ve République, ne dirigent plus le courant mais l’accompagnent. Je prendrai l’exemple de la laïcité : ici, il n’est même plus question d’accompagner le courant, mais de le subir ; ainsi, même des élus qui se disent très attachés à la laïcité se rendent ès qualités à des cérémonies religieuses.

Avant d’être élue, j’ai recensé les lois adoptées entre 1789 et 1792. J’en suis restée stupéfaite : on a tout changé en trois ans, tout – les droits de la personne, le droit du commerce, le système de mesures… En trois ans, nos grands anciens ont réécrit l’intégralité des règles de vie en commun, règles qui, pour certaines, sont toujours en vigueur. Comment donc expliquer qu’en trois ans on se soit montré capable de refonder les règles de vie en commun et donc d’infléchir le courant, alors que la jeune députée que je suis a l’impression que, pendant les deux années et demie qui viennent de s’écouler, on a eu quelque difficulté à ne serait-ce qu’analyser la vitesse du courant qui nous emporte ?

Enfin, je suis passée par une école très républicaine, née au moment de la constitution de la République, et dont la devise est « Pour la patrie, les sciences et la gloire ». J’y réfléchis depuis vingt ans ; or vous n’avez pas évoqué l’image que la France a d’elle-même. L’idée de gloire nous invite à aller bien au-delà de la société telle qu’on la « gère » actuellement. Cette idée ne devrait-elle pas faire corps avec ces institutions vers lesquelles nous devrions tendre, et qui se situent largement au-dessus de nos têtes quand celles d’aujourd’hui se trouveraient plutôt sous nos pieds ?

M. Luc Carvounas. Je ne fais pas partie de ceux, nombreux parmi nous, qui emploient le mot « déclinisme ». Quand on se rend à l’étranger, l’image de la France est bien meilleure que celle qu’en ont les Français eux-mêmes. « Crise de la République » ? Très certainement à mes yeux car il y a une perte de repères. On a évoqué l’école : l’ascenseur républicain n’est plus un repère puisque, même quand on sort de l’école avec une formation diplômante, on n’a pas forcément un emploi. Montrer que ce qui fonde notre modèle social – l’égalité pour tous par le travail, l’école et l’apprentissage des savoirs – ne fonctionne pas, nous conduit à nous interroger sur le fait de savoir quel pays, quel développement nous voulons.

À propos de ces repères, quelle définition donner de la laïcité, par exemple ? Pardon, mais quand je participe, en tant que maire, aux fêtes de l’Aïd ou bien de Hanoukka, je ne considère pas être communautariste. Je suis un élu républicain qui, au nom des valeurs de la laïcité, fait en sorte de participer au « mieux vivre ensemble ». Et il y a une forme d’hypocrisie générale aujourd’hui : quand nous nous interrogeons sur la manière d’accompagner la pratique des cultes, la réponse est difficile à apporter – elle est même tellement difficile que, souvent, nous n’y arrivons pas, à moins de biaiser. Et nous devons penser à l’intrusion dans nos territoires de pays étrangers qui entendent apporter, justement, leur réponse à ces problèmes. Nous devons par conséquent faire en sorte que chacun puisse vivre sa religion dans les meilleures conditions possibles, c’est-à-dire pas dans une cave, pas dans la rue. Cette recherche du « mieux-vivre ensemble » doit donc être aussi une référence pour notre nation.

Un récent sondage, paru dans un quotidien, révèle que 66 % des Français consultés souhaitent une VIe République. Dans le même temps, nous serions surpris de leur réponse si on les interrogeait sur la Ve République. Les Français souhaitent très majoritairement une nouvelle République et, très majoritairement aussi, ils ne participent pas aux rendez-vous démocratiques importants que sont les élections. Ici, c’est certain, on note un déclin de la participation démocratique. Nous pouvons peut-être y apporter quelques réponses, réfléchir sur la manière de réenchanter la promesse républicaine.

À cette fin, la classe politique ne doit pas représenter une forme d’élite qui s’autoreproduit, mais doit ressembler à la société. Lorsque le politique prend un engagement, il doit le tenir. Comment voulez-vous que les nouvelles générations ne considèrent pas avec défiance ce que nous représentons, quand nous n’avons pas su leur donner, pas plus qu’à leurs parents, le droit de vote ne serait-ce qu’aux élections municipales ? Comment pouvons-nous reconquérir la confiance de nos concitoyens quand nous ne savons plus inventer des modes de collaboration, de participation citoyenne ? Olivier Faure évoquait la création d’« amendements citoyens » par le biais d’internet – pourquoi pas ? Devons-nous instaurer le vote obligatoire contre le déclin de la participation ? Les plus jeunes, ceux de seize ans notamment, ne pourraient-ils pas participer à la vie de la cité ? Voilà qui pourrait redonner confiance à nos concitoyens, permettre de renouer le dialogue avec eux.

Qu’est-ce qui crée la défiance ? C’est que le monde de 2014 n’est pas celui de 1958 ! Il faut désormais compter avec l’Europe, qui prend des décisions importantes pour notre vie quotidienne. Quand les agriculteurs défilent dans les rues, comme il y a quelques mois, parce qu’ils ne comprennent pas que leur production, à cause de contraintes européennes, ne finisse pas dans les cantines scolaires, ne devons-nous pas réinventer la pédagogie de notre action ? L’Assemblée nationale et le Parlement européen ne sont pas des entités distinctes ! De nos jours, je crois, six ou sept dixièmes des lois sont d’origine européenne. Le fil n’a pas été perdu : il n’a pas été créé – il faut donc bien l’inventer.

Nous devons repenser notre modèle républicain, notre modèle social fondé sur la redistribution. Il vaut mieux régler les problèmes en amont. Plutôt que de redistribuer, ne faudrait-il pas inventer un système de pré-distribution ? Cela nécessiterait des moyens et de nouvelles organisations. Les institutions peuvent servir de pare-feu à une crise latente. Mais les politiques doivent se réformer : il nous faut recréer du lien avec nos populations à l’aide de moyens précis et non plus de formules incantatoires ; il faut créer ce lien indispensable avec le Parlement européen.

Mme Cécile Untermaier. Il ne faut pas confondre crise politique et crise des institutions : si elles sont liées, elles n’en sont pas moins dissociables. Ces dernières années, le politique s’est très facilement dédouané de ses propres insuffisances en mettant en avant les insuffisances supposées des institutions. Nous devons, en la matière, parler « vrai » avec les citoyens. Nous ne pouvons pas nous affranchir de l’analyse des politiques que nous menons sur nos territoires.

Indépendamment d’une réforme institutionnelle, il existe une marge d’action importante. Les hommes sont au cœur des institutions et ce sont d’abord eux qui les font vivre et sont responsables de leurs dysfonctionnements. Déjà, nous avons progressé en cherchant à renforcer la transparence et l’exemplarité, éléments nécessaires à la vérité que nous devons à nos concitoyens.

Nous devons également lever les malentendus entre les attentes de ces derniers et les capacités réelles des politiques. Il nous faut donner les vraies raisons pour lesquelles nous ne faisons pas les choses, dévoiler les vraies contraintes à cause desquelles nous ne pouvons pas aller dans telle ou telle direction. En clair, il ne faut pas prendre les citoyens pour des imbéciles mais, au contraire, travailler intelligemment avec eux et dans le respect d’une relation construite.

Les institutions n’influent plus sur le cours des choses, c’est vrai, sinon d’une manière opaque ; aussi faudrait-il donner une vision claire des compétences de chacun.

Il faut par ailleurs travailler sur le paradoxe selon lequel le citoyen attend tout du politique et des institutions, tout en leur reprochant leur impuissance. Cette attitude est sans doute le fruit de notre propre comportement. Reste que ce malentendu alimente la défiance et nécessite, j’y insiste, une redéfinition du champ du politique.

Il nous est difficile de répondre aux attentes immédiates tout en menant une politique de long terme. Nous savons que celle-ci n’est pas payante à brève échéance. Aussi nous faut-il trouver les moyens, peut-être institutionnels, de permettre à une politique de long terme de ne pas « tuer » le politique ; il faut au contraire faire en sorte que son courage et son sens pédagogique soient reconnus. Il convient, en outre, de trouver les moyens institutionnels de déconnecter le politique – et la politique – de la surmédiatisation.

C’est en ce sens que notre réflexion est importante. Il faudra la diffuser dans nos territoires. Et je pense aussi à l’« académie du futur » de Pierre Rosanvallon, intéressante à ceci près que les politiques en sont exclus.

M. Bernard Thibault. J’ai travaillé à partir de la note qui nous a été distribuée, et dont j’ai bien compris qu’elle n’était pas exhaustive et n’avait vocation qu’à poser des jalons. Elle revient à plusieurs reprises sur les liens supposés entre la crise possible – probable – des institutions de la Ve République et certaines caractéristiques d’une crise plus globale.

Il semble évident que la crise économique et son fort impact social ne sont pas sans répercussions sur la perception de l’efficacité d’institutions qui apparaissent en décalage par rapport à ce que nombre de nos concitoyens considèrent comme prioritaire, d’institutions qui sont parfois dans l’ignorance, voire la négation de ces urgences. En retour, si les institutions ne peuvent être présentées comme étant à l’origine de la crise économique et sociale, elles peuvent néanmoins alimenter le sentiment de ne pas en prendre l’exacte dimension et, de ce fait, quitte à généraliser sans doute à l’excès, contribuer elles-mêmes au désamour dont elles sont victimes, voire à leur discrédit.

La crise, dans sa dimension économique et sociale, ne remonte pas à 2007, même si c’est depuis cette année-là qu’elle a pris une nouvelle dimension par son étendue internationale et par la brutalité de son impact sur des centaines de milliers de nos concitoyens et donc sur leurs familles. La progression du chômage est bien antérieure à 2007, mais elle atteint désormais des sommets qui provoquent un grand nombre de fléaux qui marquent durement le quotidien et qui interrogent sur la solidité du pacte républicain dont M. Winock nous rappelait les grands principes.

L’intégration, l’ascension sociale, le « vivre ensemble », l’égalité des droits et des devoirs, autant de principes qui, s’ils ne sont pas remis en cause dans leur fondement, sont ébranlés par l’expérience et le vécu ordinaire de nombreux Français. Si le chômage ne peut expliquer à lui seul une certaine crise de la République, il semble évident qu’il ne contribue pas à renforcer les repères républicains. Lorsqu’on n’a que son travail comme source de revenus pour soi et sa famille et que l’on en est privé, le monde s’effondre. De plus, il ne suffit plus de recenser uniquement les chômeurs pour avoir une idée de l’étendue du problème : il faut intégrer la précarité causée par nombre d’emplois à temps partiel, en contrats à durée déterminée – autant de sources d’instabilité sociale. La première des insécurités est l’insécurité sociale.

Il ne suffit pas, il ne suffit plus de travailler pour être à l’abri : c’est là une autre tendance lourde des dernières décennies, une évolution considérable dans la représentation qu’on peut se faire du travail. La note déjà évoquée pointe à juste titre l’explosion des problèmes de logement, y compris pour des travailleurs qui n’ont pas les moyens de faire valoir ce droit élémentaire – car on peut travailler et être SDF.

Le nombre de familles se privant de soins pour des raisons économiques augmente. Une nouvelle catégorie apparaît d’ailleurs dans les statistiques : les travailleurs pauvres. Ainsi la perception selon laquelle les générations à venir risquent de vivre plus difficilement que celles qui les ont précédées progresse avec l’angoisse que cette évolution produit dans la société. C’est là aussi un bouleversement d’ordre très pratique.

Au cours de cette crise, la valeur du travail a été largement dévalorisée, qu’il s’agisse de la représentation du travail ou – il faut bien en parler – de sa valeur monétaire. Les mécanismes de solidarité sont à leur tour déstabilisés et menacés – je pense à la solidarité intrafamiliale, qui continue à fonctionner mais qui ne peut plus fonctionner partout avec la même intensité : elle atteint aussi ses limites du fait de la pyramide des âges, avec une proportion croissante de personnes de plus de soixante ans. Des institutions comme les caisses de retraite, la sécurité sociale, n’incarnent plus comme auparavant le même degré de sécurité – voilà un autre élément de déstabilisation.

D’aucuns y verront un tableau sombre ; c’est pourtant une réalité criante – et le tableau n’est pas complet ! Cette réalité ne marque pas le quotidien de chacun avec la même intensité mais elle imprègne et influence la vie de toute la société et de tous les citoyens, directement ou indirectement, et qu’ils en aient conscience ou non. La question du « vivre ensemble » ne se pose évidemment pas dans les mêmes termes selon que l’on atteint ou pas le plein emploi.

Cette réalité est matière à débat politique, et si l’on n’en discute pas suffisamment à mes yeux, le mécanisme de représentation en est en partie responsable.

Je me suis penché sur la représentativité des élus à l’Assemblée nationale. Je ne verse pas là dans la démagogie : il ne s’agit pas de jeter l’opprobre sur les élus actuels. Reste que, quand on observe la représentation sociologique de l’Assemblée, des décalages manifestes sautent aux yeux, qu’il s’agisse de l’âge, de la parité ou des critères socioprofessionnels. Il suffit de comparer la proportion, au sein de la population, des ouvriers, des employés, des professions intermédiaires, des cadres, des professions intellectuelles supérieures, avec la proportion des mêmes catégories au sein de l’Assemblée. Je n’ai pas la solution et je n’imagine pas qu’il faille recourir au système des quotas, mais il y a là un problème d’ordre politique.

Je ne dirai qu’un mot de la représentation sociale. On va sans doute décider la disparition des élections prud’homales. Après la disparition, depuis 1983, des élections des représentants des salariés aux caisses de sécurité sociale, il n’y aura bientôt plus en France de consultation nationale de la représentation sociale. C’est un vide sidérant qu’il faudra, d’une manière ou d’une autre, combler : il ne sera pas possible de rester dans cette situation.

Je pense que la suppression des élections à la sécurité sociale a largement contribué à déresponsabiliser le citoyen vis-à-vis de ce qu’est la sécurité sociale en tant qu’instrument collectif de solidarité. Interrogez les gens dans la rue sur ce qu’est la sécurité sociale : ils vous répondront qu’il s’agit d’une administration de l’État, ou bien d’un service à une entreprise. L’élection participe donc de l’implication du citoyen vis-à-vis d’une institution – en l’occurrence, d’une caisse de sécurité sociale. Et quand j’apprends que l’un des motifs de la disparition des élections prud’homales est leur coût, je me dis qu’une démocratie commence à être malade lorsqu’elle considère le coût des élections comme un facteur négatif… Je n’imagine pas que l’on supprime les élections législatives partielles sous prétexte qu’il n’y a que 25 % de votants !

Il n’y a donc plus de consultation à caractère social permettant une représentation sociale plus démocratique et banalisée. Je suis plutôt convaincu que la négociation en cours sur le droit à la représentation sociale pour tous les salariés quelle que soit la taille de l’entreprise dans laquelle ils travaillent n’aboutira à aucune traduction législative. Se posera dès lors la question de l’intervention politique : est-ce que les élus de la nation s’accommodent de l’idée selon laquelle, contrairement au Préambule de la Constitution, tous les salariés n’auraient pas le droit d’intervenir, par le biais de leurs délégués, sur le fonctionnement et la gestion de leur entreprise ? C’est pourtant une réalité : des millions de salariés sont privés de ce droit élémentaire prévu par la Constitution.

Le droit social évolue, mais il évolue vers une plus grande individualisation des situations. Ce processus n’est pas spécifique à la France : les organisations patronales, les employeurs en général, à une échelle internationale, prônent de plus en plus un droit social qui se décline entreprise par entreprise, avec la difficulté de définir ce qu’est une entreprise. Les situations sont en effet très disparates. Et cela va encore plus loin en matière de décentralisation du droit social, puisque ce dernier est de plus en plus individualisé. Si bien que, alors que le travailleur a besoin d’un cadre collectif pour réguler le rapport de subordination qui sous-tend le contrat de travail, cette aspiration à un droit collectif est contredite par l’individualisation progressive des situations. La dimension collective qu’incarne la République s’en trouve malmenée.

Cette situation alimente des fléaux qui minent notre société et le rapport à la République, fléaux au nombre desquels je mentionnerai la progression du travail informel. On ne peut pas avoir plusieurs catégories de citoyens ou de travailleurs. Vous le savez, je suis désormais engagé auprès de l’Organisation internationale du travail (OIT). J’ai pu constater que la France demeurait un des pays réputés fidèles aux droits internationaux en matière sociale. Constater dans ce même pays une progression inexorable du nombre des activités et de salariés travaillant dans des zones « grises », voire dans des situations d’esclavage – j’utilise le mot à dessein parce qu’il recouvre une réalité –, est d’autant plus insupportable.

Je pense également à la fraude aux cotisations sociales et à la fraude fiscale. Si, dans une République, il y a des droits et des devoirs – devoirs que certains s’efforcent de contourner –, nos institutions ne semblent pas suffisamment présentes pour lutter contre ces fléaux, au point que certaines situations semblent tolérées.

Dernier point, les institutions de notre République ont un grand défi à relever, celui du rapport à l’entreprise. Mme Untermaier suggérait de redéfinir le champ du politique. Selon une perception assez largement répandue, le politique peut faire beaucoup de choses, sauf au sein de l’entreprise, soit qu’il ne le souhaite pas, soit qu’on l’en croit interdit. Mais, pour des dizaines de millions de nos concitoyens, l’entreprise, c’est la vie quotidienne et j’ai déjà dit combien en être privé pesait lourd pour le salarié, y compris en sa qualité de citoyen.

L’entreprise est-elle dans la République ? L’entreprise est-elle elle-même porteuse de solidarité ? L’entreprise alimente-t-elle mécaniquement le progrès social ? L’entreprise est-elle patriote ? L’entreprise est-elle vertueuse et intègre ? Je ne vous propose pas de réponses, de peur d’être trop long, mais le seul énoncé de ces questions vous les suggère. Voilà en tout cas des défis importants lancés à notre République. Veuillez m’excuser pour la longueur de mon propos.

M. le président Claude Bartolone. Chacun a sans nul doute été intéressé par cette intervention dont la tonalité manque parfois à nos débats. Il était donc important que vous exprimiez votre point de vue.

M. Alain-Gérard Slama. J’emprunterai la magnifique piste ouverte par Michel Winock et partirai du constat selon lequel les principes sur lesquels repose notre République conservent leur pertinence. Notre pays adore les ruptures, que les médias exploitent en les attisant. Nous assistons aujourd’hui à un double mouvement de remise en cause et d’exacerbation de ces principes – sur ce dernier danger, le remarquable livre de Mme Dominique Schnapper, intitulé L’esprit démocratique des lois, s’avère particulièrement éclairant. Ces deux tendances suivent une voie paroxystique qui deviendra bientôt ingérable.

La foi dans le progrès par l’école ou l’État s’est affadie, et M. Bernard Thibault vient d’évoquer la rupture entre le champ de l’activité de création de richesses, qui ne relève ni de la vertu ni des valeurs qu’on exige des hommes politiques, et l’action politique, qui se nourrit de la production économique. Notre civilisation matérielle se développe de manière extraordinaire, au point de menacer jusqu’à l’avenir de la planète. Ainsi, plus la civilisation matérielle s’étend et plus chaque groupe cherche un ressourcement réactif – pas forcément réactionnaire – dans des valeurs traditionnelles. Les deux camps s’opposent devant la loupe déformante des médias, les élus devant s’efforcer de tirer le meilleur parti du progrès de la civilisation matérielle et d’en maîtriser les effets pervers pour nourrir la solidarité et la redistribution.

L’égalité et la solidarité constituent deux notions inséparables ; la quête d’égalité que Tocqueville estimait inhérente à tout processus démocratique risque de déboucher dans les impasses de l’égalitarisme, qui considère toute inégalité comme insupportable. D’un autre côté, ne pas prendre en compte les nécessités de la solidarité revient à oublier de relier l’égalité à la notion fondamentale de justice. Il appartient aux gouvernants et aux législateurs de veiller constamment à la justice, alors qu’ils doivent faire face à ceux qui leur réclament davantage d’égalité ou de solidarité réduite à des communautés, des associations ou des tribus qui se pensent dans un champ extérieur à celui de la solidarité nationale. Lorsque les politiques sacrifient la justice, ce sont les magistrats qui définissent ce qui est juste. Comme à l’école, à qui l’on demande d’assurer la justice sociale et de former le citoyen, on demande au juge de résoudre les problèmes non traités par les politiques. La justice et le droit s’engouffrent dans la défaillance – voire la démission – des responsables politiques. On donnait souvent comme sujet de dissertation aux étudiants en philosophie cette phrase de Léon Brunschvicg : « Le monde serait depuis longtemps sauvé si la qualité des hommes pouvait dispenser de la qualité des idées. » Ne devrait-on pas inverser la formule aujourd’hui et se demander si la France ne serait pas sauvée si la qualité des idées pouvait dispenser de celle des hommes ? Nous avons besoin d’hommes respectueux des institutions qu’ils incarnent. Notre propension culturelle à vouloir résoudre des problèmes qui tiennent au respect de la règle du jeu par une réforme profonde des institutions alimente l’irrespect envers les institutions, ce dont nous déplorons les effets.

L’extension de la civilisation matérielle engendre des réactions identitaires – qu’il convient de ne pas juger moralement –, et nous nous trouvons aux prises avec une double dérive d’un mondialisme et d’un nationalisme effrénés. Les médias ne mettent plus en scène que ces deux discours, alors que la grande majorité des Français ne se reconnaissent dans aucun de ces deux courants de pensée. Ils savent que l’on doit négocier – dans des assemblées comme la vôtre, mesdames et messieurs les députés – la position du curseur.

L’État a construit la France en créant la nation, ce qui rend notre pays plus vulnérable à la mondialisation que ceux façonnés par un peuple ayant cherché son État. Les citoyens ont le sentiment que l’État a perdu de son pouvoir au profit de l’Union européenne et des enceintes où se rencontrent les pays les plus avancés économiquement comme le G7 et le G20. Pourtant, il subsiste un champ immense d’action pour les responsables politiques à l’intérieur de chaque nation.

La laïcité à la française diffère fortement de celle pratiquée dans d’autres pays, et nous assistons également dans ce domaine à des évolutions importantes. Si un maire a pris en compte les souhaits de ses administrés en installant une crèche avec le petit Jésus à l’hôtel de ville, la traduction juridique de cette situation peut s’avérer dangereuse. Si la justice administrative ne donne pas droit à la plainte déposée par une association laïciste contre la commune, celle-ci sera bientôt obligée de fêter Souccot – que les juifs de France ne célébraient pas jusque récemment. Ces événements religieux renaissent car les fidèles se sentent encouragés par le phénomène de « montée aux extrêmes » – selon la formule de Clausewitz – qui caractérise notre débat public. Il convient de raison garder, et je souhaite que les journalistes éclairent ces problèmes à l’attention des citoyens, ces derniers étant tous capables de comprendre le monde qui les entoure. On doit trouver la juste position du curseur entre nos institutions et le mouvement de l’époque.

M. Michaël Foessel. L’impression selon laquelle la démocratie s’arrête aux portes de l’entreprise s’avère très répandue. La dynamique égalitaire portée par la démocratie se heurte en effet, dans le monde social et économique, au capitalisme. Au-delà de la tension entre l’économie et la démocratie, n’en existe-t-il pas une autre, plus difficile à percevoir, opposant la démocratisation de nos aspirations aux limites de la représentation politique ? Cette question renvoie à ce que l’on peut encore attendre du politique et à ce qu’il représente.

La notion de démocratie représentative constitue un oxymore : les révolutionnaires anglais, les Pères fondateurs américains, les constituants français ont pensé le système représentatif non pas indépendamment de la démocratie, mais contre elle. À leurs yeux, la démocratie incarnait ce système hérité de l’Antiquité, propre à de petites cités, dans lequel les citoyens avaient le pouvoir de légiférer et d’appliquer la loi. Ces personnes ont donc conçu la représentation comme un rempart au pouvoir direct des masses et des individus, et comme une médiation permettant d’éviter la dimension la plus subversive de la démocratie, à savoir le fait qu’elle repose non pas sur le pouvoir de tous, mais sur celui de n’importe qui. Ces acteurs historiques associaient la démocratie au tirage au sort et au mandat impératif, non à l’élection et au mandat représentatif.

Il serait inopportun d’attendre des institutions et d’une constitution davantage que ce qu’elles peuvent apporter ; dans un État moderne, le citoyen comme volonté – c’est-à-dire l’action directe dans le champ politique et la représentation – diffère de la citoyenneté comme magistrature, qui repose sur l’exécutif. Dans notre système, la souveraineté du peuple signifie le consentement au pouvoir et le contrôle de celui-ci, mais non l’accession et l’exercice du pouvoir. Cela n’empêche pas l’existence d’éléments démocratiques dans le régime représentatif, l’instauration du suffrage universel en étant la composante principale.

Si la démocratie s’avère un processus infini – celui-ci ne résolvant jamais le conflit et ne statuant pas par avance sur la légitimité –, l’État est une institution et se trouve, à ce titre, limité. L’enjeu réside dans la capacité à ne pas penser cette finitude comme clôture de la dynamique démocratique. On évoque souvent la stabilité des institutions, vertu réelle qui ne doit néanmoins pas annihiler le caractère illimité de la démocratie ; veillons à ce que la stabilité des institutions ne les pétrifie pas dans une ritualisation déconnectée des aspirations sociales.

La dimension égalitaire de la démocratie ne peut pas se retrouver dans la représentation, car celle-ci crée un lien hiérarchique entre le représentant et le représenté. Le terme de représentation se révèle ambigu, puisqu’il contient à la fois une composante juridique – la volonté du représentant s’exprime pour celle du représenté pendant la durée de son mandat – et un élément théâtral, celui de la ressemblance. Certains défendent l’idée d’une nécessaire similitude entre le représentant et le représenté pour assurer l’égalité ; cette vue peut sembler vertueuse, mais elle nourrit un discours de communication renforcé par la figure individuelle du président de la République dans nos institutions. Cette conception exige en effet du président qu’il incarne la République et la société, ce qui conduit au triomphe d’un discours détaché du réel, une seule personne ne pouvant pas refléter une société aussi complexe que la nôtre. Il s’avère d’ailleurs antidémocratique et dangereux de penser qu’un individu réussisse cette prouesse. Comme le disait Claude Lefort, la démocratie est « le lieu vide du pouvoir », c’est-à-dire qu’il ne saurait exister de lieu, d’instance, d’autorité ou de personne unique dans lesquels le pouvoir pourrait s’incarner.

Il convient de valoriser l’action politique et démocratique conduite dans la société civile et en-dehors des institutions – dans les associations, les mouvements sociaux ou les micro-résistances. La démocratie se joue là aussi, car le politique ne réside plus exclusivement au Parlement ou à l’Élysée, mais se déploie dans la société civile. Néanmoins, nous n’avons pas intérêt à séparer l’ordre de la démocratie participative et celui des institutions qui régissent le partage du pouvoir.

Si l’on veut réconcilier la logique froide des institutions et la logique chaude de la démocratie vivante, il convient de réfléchir à la rédaction d’une nouvelle constitution – le chemin y conduisant étant plus important que le résultat final –, car cette démarche permet de se pencher sur la nature et l’étendue du pouvoir politique. Les citoyens estimant que les politiques ne possèdent plus de prise sur le réel, les laisser dessiner le champ politique constitue la solution la plus intéressante et la plus productive : puisqu’ils ne veulent plus jouer, donnons-leur les moyens de reformuler la règle du jeu. C’est à cette condition que la démocratie redeviendra – au-delà du seul cadre des procédures – un ensemble d’expériences qui fasse leur place aux discussions, aux conflits, à l’élaboration de nouvelles normes et qui élargisse ainsi l’horizon des possibles.

M. Denis Baranger. La République française est solide et existe depuis longtemps. La tradition républicaine nous apparaît si forte que nous pouvons être frappés de cécité sur ce qu’elle nous apporte. Un sentiment de malaise s’est développé du fait de l’écart entre la République du passé et la réalité présente de la vie sociale, qui s’avère de plus en plus décevante. On peine aujourd’hui à articuler la relation entre le passé et le présent sur laquelle repose la notion de tradition. Une République est composée d’institutions, porte des valeurs et crée une culture.

Nos institutions républicaines dépendent d’une certaine vision de la société. L’autorité de l’État gage l’unanimité de la société ; l’État français fonctionne bien – je recommande souvent à mes étudiants de le comparer au Kosovo ou à la Californie – et maintient l’édifice social. L’absolutisme de la monarchie, l’autoritarisme de la République et la culture gaulliste ont alimenté la tradition de l’unanimité placée sous l’égide de l’État. Ce dernier exprime la volonté de la nation au nom de tous, et contient le risque de guerre civile. Je doute néanmoins que cette construction subsiste en 2014 : en effet, les souffrances et le capitalisme culturel tendent à rendre la société plurielle. Il y a lieu d’adapter les institutions à ce mouvement ; celles de l’unanimisme républicain nous empêchaient de sombrer dans la guerre civile, mais nous pourrions la rouvrir si nous ne nous rendions pas compte que la société des années cinquante et soixante n’existe plus.

La justice est rendue au nom du peuple français dans un registre intellectuel et rhétorique d’unanimité. L’affaire Dieudonné a été résolue par des décisions du Conseil d’État reposant sur de grandes formules issues de la tradition républicaine, comme la « dignité de la personne humaine », la « cohésion nationale » ou la « lutte contre les discriminations ». La simple énonciation de ces phrases sacramentelles semble suffisante, aux yeux de ceux qui les emploient, pour résoudre les problèmes, alors que tel n’est plus le cas. Ainsi, les protestations devant les palais de justice ou les institutions juridiques sont appelées à se développer, à l’image de la violente manifestation de féministes devant le Conseil constitutionnel après la censure par ce dernier, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, de la loi sur le harcèlement sexuel. La culture de l’unanimité génère dorénavant l’expression de réactions vives et nombreuses à son encontre.

Lorsque nous réfléchissons aux institutions, nous ne devons pas oublier les syndicats, les universités et les Églises, auxquels il convient de faire une place dans l’élaboration de la volonté générale. Ce mouvement sera complexe, les syndicats et les universités ayant occupé cette fonction plus ou moins brièvement et l’intégration des Églises se heurtant au principe de laïcité. Néanmoins, n’oublions pas que si la République s’est constituée contre l’Église – comme nous l’a rappelé M. Winock –, elle ne doit pas aujourd’hui les exclure. Ne soyons pas pessimistes sur ce point, la France ayant déjà compté des institutions sociales solides, notamment au XIXe siècle : nous pourrions ainsi remodeler le Conseil économique, social et environnemental ou repenser la seconde chambre du Parlement pour les accueillir et pour rompre avec cette culture de l’unanimité qui appartient au passé.

La Constitution devrait affirmer nos valeurs : je ne suis pas certain que l’on soit encore capable de formuler efficacement les principes qui comptent pour notre société ; les espoirs placés en 2004 dans la rédaction d’une Charte de l’environnement intégrée au bloc de constitutionnalité ont été déçus. Attaquer la Constitution devant les cours de justice européennes ou par la question prioritaire de constitutionnalité est positif, mais insuffisant, la société devant également débattre de la norme constitutionnelle.

Qui fait de la politique doit produire du politique ; le légicentrisme – aujourd’hui relégué – constitue l’une des grandes composantes de notre tradition républicaine et il nous faut le réactiver, la loi devant exprimer la volonté générale. Brider la loi, lui assigner le rôle d’un simple rouage normatif et empêcher la représentation nationale d’exprimer des vœux et des aspirations s’avèrent dommageable. La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a opportunément ouvert la possibilité pour le pouvoir législatif de formuler des résolutions – comme celle qu’il vient d’adopter sur la reconnaissance d’un État palestinien. Le Parlement doit retrouver cette fonction d’expression de la volonté générale qui ne peut être dévolue aux juges.

La place du capitalisme culturel dans notre société est considérable : Tocqueville affirmait que la démocratie était « providentielle », mais aujourd’hui c’est la révolution du capitalisme culturel qui est paré de cet attribut, non pas au sens où elle serait bonne, mais où elle s’avère inévitable. Il est impossible d’empêcher les enfants de dix ans de s’inscrire sur Facebook, les adultes de regarder cette variante de la télé-réalité qu’est l’information en continu, et les politiques d’aller sur Twitter – sous ce dernier aspect, on peut douter qu’il soit possible d’énoncer la volonté générale en cent quarante signes... Néanmoins, il convient de se pencher sur ces questions, car la culture fait partie de nos institutions.

Au total, nous disposons d’un capital républicain doté d’institutions, de valeurs et d’une culture que nous devons réactualiser. Nous parviendrons toujours à élaborer des normes institutionnelles, mais la tâche principale de ce groupe de travail réside dans sa contribution à la réactivation de la culture républicaine.

M. Guillaume Tusseau. Je partage, comme les orateurs précédents, le constat de crise qui sert ce matin d’hypothèse de travail à notre groupe. Or la crise, c’est, selon l’étymologie grecque, le moment de la décision, et peut-être s’agit-il aujourd’hui de prendre une décision, sans que celle-ci vienne nécessairement d’en haut.

Michel Winock a dressé dans son intervention liminaire un tableau de la République, fort juste mais qui repose, selon moi sur une prémisse majeure, laquelle, sans avoir été explicitement formulée, implique une vision constructiviste et volontariste de la République. Or cette conception d’une république constitutive de la société qu’elle va régir n’est pas neutre, ni idéologiquement ni en termes de valeurs, ni même au regard de ce que cela signifie en matière d’institutions, de formalisation et d’incarnation de la volonté politique du peuple. Et, puisque la crise nous y invite, sans doute est-ce le moment d’interroger ce présupposé, à tout le moins de l’appréhender comme tel.

Il existe ainsi une idéologie alternative de la République qui découle d’une notion que, de manière assez significative, Michel Winock n’a pas mentionnée parmi les six fondements républicains qu’il a énumérés : je veux parler de la liberté, principe pourtant inscrit, le premier, au frontispice de tous nos édifices publics.

Dans cette perspective, le rôle de l’État, de la République, des institutions ne consisterait plus à prendre en charge la vie des citoyens, en construisant une citoyenneté adossée à un modèle richement et précisément défini, mais à créer les conditions de ce qu’un auteur américain, Robert Nozick, a appelé une « utopie d’utopies ». L’État, la République et la société deviendraient, en d’autres termes, un socle minimal permettant à chaque groupe social, à chaque communauté de développer ses propres utopies et de les faire cohabiter dans une forme de pluralisme, auquel Denis Baranger faisait allusion.

Cela passe nécessairement par un ensemble d’éléments, au premier rang desquels le développement de l’école et de la capacité de cette dernière à instruire, davantage qu’à éduquer. Cela suppose également un niveau de prestations sociales qui garantisse à chacun la capacité de développer ses utopies et à tous les conditions de la coexistence. Il y a là autant d’enjeux qui dépassent de loin la seule question des institutions, et sur lesquels on peut d’ailleurs penser que ces dernières n’ont qu’une faible prise. On peut le regretter, on peut aussi estimer, précisément au nom du principe de liberté, qu’il est préférable que les institutions n’aient pas de prise absolue sur la vie des individus et qu’elles se limitent à garantir les conditions d’exercice de la liberté individuelle et collective, chacun assumant les conséquences de ses choix et gouvernant sa vie comme il l’entend, au lieu d’être pris en charge.

De ce point de vue, et dès lors que l’on aborde les choses sous l’angle de la crise de la représentation, il incombe à chacun de prendre ses responsabilités. Que les hommes politiques saturent de leur présence les chaînes d’information en continu, qu’ils utilisent Twitter, avec toutes les conséquences, délétères ou non, que cela peut avoir sur leur image ou leur discours, c’est leur choix. Face à la frénésie, à l’urgence et à la déception qu’elles engendrent inévitablement, la seule injonction qui peut leur être adressée est : « Retenez-vous ! », mais je ne pense pas que les institutions aient ici un rôle à jouer. Il est inimaginable d’envisager un système de contrôle ou de censure de la presse et, je le répète, l’État et la République doivent se borner à garantir les conditions d’une presse pluraliste, ce qui inclut les nouveaux médias, et en particulier les moteurs de recherche qui filtrent les informations fournies aux internautes. Notre seule exigence doit être que l’ensemble des médias soient soumis à l’impératif constitutionnel de respect du pluralisme des courants d’opinions, sans qu’il faille intervenir plus avant.

Il faut par ailleurs se garder d’une certaine cécité dans l’appréhension de la crise que traversent notre démocratie et nos institutions et ne pas perdre de vue les nouvelles formes de revendications démocratiques qui se font jour partout dans le monde. Qu’il s’agisse des Indignados en Espagne, du mouvement Occupy ou des manifestations citoyennes qui se développent dans notre pays contre certains projets d’aménagement, ces phénomènes, qui se situent hors du champ de la démocratie représentative traditionnelle, n’en relèvent pas moins, incontestablement, d’une pratique renouvelée de la démocratie, assise sur de nouvelles formes de mobilisation, de revendication et de production de la parole collective. Ces phénomènes méritent d’autant plus notre attention qu’ils surgissent précisément dans les sphères les plus déclassées de la société et s’opposent à une forme de démocratie plus lointaine qui serait, pour formuler les choses de manière abrupte, l’apanage des classes supérieures ou d’une élite parisienne.

Dans ces conditions, il est nécessaire que nos institutions s’interrogent sur leur capacité non à phagocyter ces formes nouvelles de démocratie – ce qui serait précisément les trahir –, mais à les intégrer ou, à tout le moins, à tirer bénéfice de la manière dont la parole collective se forme et s’incarne à travers elles. Cela implique qu’elles soient, d’une part, plus inclusives et, d’autre part, pour user d’un anglicisme, plus « responsive », c’est-à-dire plus réactives aux mouvements de la population et des citoyens.

Des institutions plus inclusives supposent tout d’abord d’améliorer la capacité de représentation descriptive de la population : nos élites, nos élus ne sont en effet pas représentatifs de celle-ci au sens où, alors qu’ils sont censés parler en son nom, ils ne lui ressemblent guère. Je n’aurai guère ici les préventions des orateurs précédents à l’endroit de la question des quotas, qui mérite d’être posée, d’un point de vue social, ethnique, religieux mais également en termes de genre et, plus globalement, dans une perspective englobant la pluralité des vécus sociaux. Qu’on y soit favorable ou non, s’interroger sur les quotas procède d’un souci de garantir l’égalité – valeur fondamentale à laquelle il a d’emblée été fait référence dans nos discussions ; plus égoïstement, cela participe également de la volonté d’assurer la qualité épistémique de la décision. En effet, les études sociologiques qui nourrissent la théorie contemporaine de la décision ont montré que plus grande était la diversité de profils des personnes associées à la décision, plus celle-ci était éclairée et, in fine, mise en pratique de manière conforme à l’intention originelle, donc avec succès et efficacité.

Il importe également d’améliorer la représentation des différentes forces politiques et d’envisager, dans cette optique, l’introduction dans les scrutins d’une dose de proportionnelle. Sans doute y a-t-il là un risque d’instabilité pour nos institutions, mais je ne pense pas que ces dernières doivent être fossilisées. L’institutionnalisation de certaines procédures, par leur inscription, par exemple, dans la Constitution, ne doit en aucun cas être une manière de soustraire ces procédures à la discussion, en en faisant des présupposés que l’on s’interdirait de remettre en cause. Le choix d’un mode de décision, du bicaméralisme, de l’élection du Président de la République au suffrage universel, direct ou indirect, doivent au contraire trouver toute leur place dans le débat politique et, partant, dans le débat législatif.

Il faut enfin, pour accentuer le caractère inclusif des institutions et faire en sorte qu’elles reflètent davantage la pluralité des volontés populaires, renforcer la présence politique du peuple en leur sein. Au-delà du référendum, cela passe par le développement de la participation citoyenne, grâce notamment à tous les outils que met à notre disposition la technologie moderne : dépôt d’amendements par voie électronique, soumission de projets de loi à des jurys citoyens, consultations populaires et enquêtes préalables très en amont amélioreraient en aval la qualité de la décision et faciliteraient sa mise en œuvre. Dans cette optique et afin de rendre manifeste cette capacité inclusive des institutions contemporaines, pourquoi ne pas imaginer, à l’instar de ce que propose le constitutionnalisme chinois, d’inscrire dans la Constitution cette exigence d’un pouvoir citoyen, ce dernier étant entendu, par exemple, comme un droit d’initiative législative ou de révocation des élus, et assorti, naturellement, de toutes les conditions visant à empêcher les abus ? Cette forme d’intervention directe du peuple comporte certes des risques, mais s’inscrit dans une démarche centrée autour de l’exercice responsable de la liberté citoyenne.

J’en terminerai en évoquant l’idée d’un pouvoir déontologique, qui rejoint la sixième des vertus républicaines énoncées par Michel Winock. Au stade où en est notre démocratie et dans le contexte de crise actuel, peut-être serait-il bienvenu en effet d’inscrire dans la Constitution, comme une exigence fondamentale, le principe d’une déontologie de la chose publique, qui aille bien au-delà de la simple transparence.

M. Ferdinand Mélin-Soucramanien. Rompant avec la tonalité générale de nos débats, je voudrais ici, sans sous-estimer la crise économique et sociale que traverse notre pays, vous inviter à une forme de prudence dans la manière d’aborder nos institutions. Plus que la crise de confiance des citoyens envers leurs institutions, ce qui me frappe en effet, c’est le pessimisme dont font preuve aujourd’hui ceux qui, parmi nous, occupent des responsabilités politiques quant à l’efficacité de leur action. Or une République qui doute d’elle-même ne peut inspirer confiance aux citoyens, et c’est la raison pour laquelle j’aimerais vous retenir de brûler d’emblée notre Constitution. Gardons en effet à l’esprit que la Constitution de la Ve République est à ce jour, dans notre histoire, la seconde en termes de longévité. Plastique, hermaphrodite, elle nous a permis de changer, si j’ose dire, de sexe plusieurs fois. Autant je suis peu attaché à la lecture bonapartiste qui en fut faite après 1962 et à certaines périodes plus récentes, autant je souhaite mettre l’accent sur le fait qu’il s’agit d’un texte qui rappelle ce que sont les valeurs de la République, notamment en faisant référence aux textes antérieurs que sont la Déclaration des droits de l’homme de 1789, qui fonde une idéologie libérale et individualiste, et le Préambule de la Constitution de 1946, dans laquelle prédomine une vision sociale de la démocratie davantage empreinte d’idéologie démocrate-chrétienne.

Je veux également insister, d’une part, sur l’article 89, qui proclame en son dernier alinéa que « la forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l’objet d’une révision », et, d’autre part, sur l’article 1er, qui énumère les cinq caractères définissant au yeux du juriste positiviste que je suis la « carte d’identité » de notre République : indivisible – ce qui ne s’entend pas uniquement de notre territoire mais renvoie également à l’unité de la Nation ; laïque – et je rejoins ici Alain-Gérard Slama sur la conception française de la laïcité ; démocratique ; sociale – quand bien même il n’est tiré en droit positif aucune conséquence de cette affirmation, alors que la notion d’État social inscrite dans la Loi fondamentale allemande a des incidences concrètes sur la jurisprudence et les politiques publiques ; la République, enfin, assure l’égalité de tous devant la loi, sans discrimination.

Ce sont là, selon moi, cinq caractères qui correspondent à notre conception de la République et renvoient à des valeurs opérantes, dont je ne trouve pas qu’elles aient vieilli. Cela ne signifie pas qu’il ne faille pas, pour certaines d’entre elles, les fortifier, et je rejoins ici, avec quelques nuances, les positions de Guillaume Tusseau sur l’égalité et la discrimination positive. Je soutiens notamment toute action susceptible de renforcer l’égalité territoriale de la République, bien plus pertinente à mon sens que des formes de discrimination positive relevant d’une logique de quotas organisée selon des critères aussi suspects que l’ethnie – mais c’est là une position personnelle.

Quoi qu’il en soit, je ne partage pas le constat d’impuissance des responsables politiques sur lequel se sont ouverts nos échanges d’aujourd’hui. Certes, la mécanique peu apparaître grippée ici ou là, et l’on pourrait rêver de politiques publiques plus audacieuses mais, pour reprendre l’un des items que nous a proposés Michel Winock en introduction, la laïcité me paraît un bon exemple de domaine où le législateur conserve des marges de manœuvre. Quoi qu’on pense du contexte politique dans lequel elles s’inscrivaient et des motivations de leurs promoteurs, la loi de 2004 sur les signes religieux dans les écoles publiques et celle de 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public sont appliquées et produisent leurs effets, tandis que se poursuivent les réflexions sur les actions envisagées par l’actuel Premier ministre alors qu’il était ministre de l’intérieur et sur les préconisations du Haut Conseil à l’intégration. J’y vois le signe qu’il existe dans l’espace public de la place pour une action politique visant à promouvoir une conception française de la laïcité qui n’a guère d’équivalent dans le monde, à l’exception du modèle proposé en Turquie à une certaine époque.

Pas plus que l’action politique n’a été défaillante en matière de laïcité, elle ne l’a été en ce qui concerne l’intégrité et la vertu. La France s’est, en la matière, dotée d’une trame juridique si fine que cette finesse même est remise en question et que l’on songe aujourd’hui à retoucher nos lois sur la transparence. Je rappelle que la fonction de déontologue de l’Assemblée nationale, que j’ai l’honneur d’assumer aujourd’hui, a été créée en 2011 sous la présidence de Bernard Accoyer et qu’elle vient aujourd’hui d’être renforcée par son inscription dans le règlement de l’Assemblée. Par ailleurs, la création de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, instaurée par les lois du 11 octobre 2013, produit également ses effets en dépit de quelques affaires intempestives. C’est donc bien le signe que l’intégrité et la vertu se fortifient dans notre vie publique.

Je ne m’étendrai pas sur les autres valeurs qui caractérisent la République mais, même susceptibles d’être enrichies, elles sont aisément identifiables, en tout cas du point de vue du juriste.

Pour ce qui relève du « meccano institutionnel », des leviers existent, qui peuvent être actionnés et qui feront l’objet de nos discussions ultérieures. J’en reviens néanmoins à mon appel à la prudence, conscient que nous avons, par tradition, tendance à réagir avec trop de vigueur aux événements. Notre Constitution a bien des défauts, mais elle a aussi quelques vertus qu’il ne faut pas négliger. Elle nous a offert une stabilité gouvernementale fort précieuse et s’est révélée, quand cela fut nécessaire, un solide rempart contre d’éventuelles dérives.

J’ajoute enfin que les garanties solides dont la République peut se prévaloir ne sont pas forcément celles que l’on identifie toujours comme étant les plus importantes : ainsi, sous la Ve République, sont-ce les institutions à proprement parler ou le mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours – lequel relève de la loi – qui ont le mieux garanti notre stabilité gouvernementale ?

Vous l’aurez compris, mon propos se veut empreint d’optimisme et de modération, en écho au Préambule de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, rappelant qu’il s’agit à tout instant d’œuvrer au maintien de la Constitution et au bonheur de tous.

Mme Christine Lazerges. La question primordiale que m’inspirent les principes et valeurs que nous a énumérés Michel Winock dans son introduction est de savoir lesquels d’entre eux doivent être revisités dans la perspective de les pérenniser comme des piliers de notre République. Je pense, en particulier, à la laïcité, qui exige quelques ajustements en raison des bouleversements que connaît la société française.

Cependant, plus que les valeurs et principes, ce sont les « monstres » qui m’intéressent. On a évoqué la crise de la représentation et l’antiparlementarisme, mais assez peu la xénophobie ou le populisme, et encore moins le délitement du sentiment d’appartenance, qui est pourtant à mes yeux l’indicateur le plus grave de l’éclatement dont souffre notre société, d’abord au plan générationnel : un adolescent considère souvent aujourd’hui qu’il n’y a plus de dialogue possible avec les responsables politiques, lesquels s’intéressent fort peu à cette catégorie, si ce n’est pour la stigmatiser, dénonçant les incivilités dont elle serait coupable et sa propension, sinon à la délinquance, du moins à troubler l’ordre public.

Ce délitement du sentiment d’appartenance doit interpeller les partis politiques comme les associations. Si les partis politiques perdent pied, c’est sans doute que, à l’image de l’Assemblée nationale, ils ne sont nullement représentatifs de la société française. Les associations, en revanche, sont une chance extraordinaire qui nous est offerte de retisser du lien social. En tant que présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, je peux ainsi témoigner, notamment en matière de lutte contre le racisme et la traite, de l’aide précieuse que nous apporte le monde associatif, qui se développe pourtant dans des conditions matérielles calamiteuses.

Puisque nous sommes là pour réfléchir sur les institutions, j’aurai une seule question : que peut-on demander aux institutions pour retisser le lien d’appartenance ? La loi – constitutionnelle ou non – ne peut pas tout produire et elle ne produit pas toujours ce qu’on attend qu’elle produise. Il est donc urgent que nous en mesurions les limites, si nous voulons entamer une réflexion féconde sur la manière de lutter, par la loi, contre les « monstres ».

Mme Cécile Duflot. Le fait que plus d’un quart des électeurs de moins de vingt-cinq ans n’aient pas voté à la dernière élection présidentielle doit nous conduire à un constat lucide : il y a bien un défaut d’adhésion au système. Je reprendrai donc à mon compte la proposition de Michaël Foessel : si l’on ne veut plus jouer, changeons les règles du jeu, et tâchons pour cela de déterminer quelles sont les règles qui redonneront aux citoyens l’envie de jouer.

Un mot n’a pas encore été prononcé, alors qu’il est, dans notre tradition, intimement lié à celui de République, telle qu’elle s’est fortifiée, incarnée par un État fort, rayonnant – glorieusement – sur un territoire englobant les outre-mer : c’est celui de jacobinisme. Or il est nécessaire de réinventer aujourd’hui le rapport de la République à son territoire et aux citoyens, car la Constitution a beau consacrer le principe de décentralisation du pouvoir, la présence de l’État reste partout prégnante, doublée d’une imbrication par trop complexe des responsabilités entre les différents niveaux de collectivités locales. En vérité, notre organisation relève moins de la décentralisation que de la translation d’un modèle jacobin reproduit à tous les échelons territoriaux inférieurs : les régions ont ainsi toute l’apparence de micro-républiques, sur lesquelles règnent des présidents de conseil régional à qui notre organisation constitutionnelle confère d’importants pouvoirs exécutifs et législatifs, sans que par ailleurs ces régions dialoguent ou collaborent les unes avec les autres ; dès lors, nous ne sommes plus dans une République décentralisée mais dans une République morcelée, et je crains que la réforme territoriale en cours ne fasse qu’aggraver les choses.

Face à cette conception jacobine de l’exercice du pouvoir, les notions de république inclusive ou « responsive » proposées par Guillaume Tusseau me semblent tout à fait pertinentes, et je voudrais vous proposer ici deux exemples nous invitant à réfléchir sur les nouvelles formes de partage des décisions et des responsabilités.

Après l’élection de Nicolas Sarkozy, a été créé un ministère du Grand Paris, puis votée une loi posant les bases d’un grand réseau de transport public à l’échelle de la région Île-de-France. Le projet, pourtant, s’est heurté à la fronde des élus locaux – municipaux, départementaux ou régionaux –, sans doute mieux habillés et moins adeptes du camping que ceux que l’on appelle communément les « zadistes », mais tout aussi virulents dans leur opposition. Pour sauver les financements, il a donc fallu réunir tout le monde autour d’une table, dans le cadre très officiel de la Commission nationale du débat public, ce qui a permis de faire évoluer le projet vers une forme plus consensuelle – et qui avait gagné en légitimité en impliquant davantage l’ensemble des acteurs.

En 2012, lors du changement de majorité, le projet s’est de nouveau trouvé compromis, non seulement du fait de l’alternance politique mais aussi à cause de la volonté de Bercy de bloquer les choses pour des raisons budgétaires. Le principe de la ZAD s’est alors inversé, et ceux-là mêmes qui étaient les plus opposés au plan initial se sont révélés les premiers défenseurs du projet tel qu’il avait évolué.

Aujourd’hui, les choses sont rentrées dans l’ordre, mais ces deux épisodes montrent qu’une décision qui associe l’ensemble des responsables et s’appuie non seulement sur les procédures de vote démocratique, au sein des enceintes officielles, mais également sur un mode de concertation plus souple, en retire toujours davantage de force et de légitimité.

Cela m’amène aux nouveaux modes de communication et d’information. La question que nous pose Twitter est moins celle des cent quarante caractères que celle du raccourcissement extrême qui s’y joue entre le responsable politique et le citoyen. Autrefois, il était impensable de s’adresser directement au monarque ; quant au député, il fallait prendre rendez-vous, et encore ne fallait-il pas être identifié comme un fâcheux. Aujourd’hui, tous les filtres ont disparu, l’interpellation est publique et immédiate. Inversement, Twitter permet au responsable politique de contourner les médias traditionnels et de s’exprimer directement, en totale liberté, sans faire de déclaration officielle à l’AFP, ce qui n’est pas non plus sans conséquence sur la prise de décision.

Ce raccourcissement du temps démocratique heurte de plein fouet notre tradition républicaine, fondée sur un exercice des responsabilités hiérarchisé selon une mise en scène jusqu’à présent bien définie. D’où les récents débats sur la stature du Président de la République et la désacralisation de la fonction. Nous avons voulu fortifier la République en la parant des attributs du pouvoir monarchique et en assimilant le Président à un empereur à durée déterminée. Si l’on peut tolérer, d’un point de vue démocratique, cette forme d’exercice du pouvoir précisément parce qu’elle est temporaire, les enjeux, en termes d’autorité, n’en demeurent pas moins problématiques au regard des attentes de la société contemporaine. Il nous appartient donc de réinventer la République, une république, comme le suggérait Guillaume Tusseau, plus inclusive, dans laquelle le peuple ait davantage part à la décision : une décision prise par quarante personnes au sein du conseil général du Tarn est certes parfaitement légitime selon les critères de la démocratie représentative ; il n’empêche que les blocages auxquels elle aboutit la rendent inopérante, ce qui prouve que la méthode est mauvaise et qu’il faut changer les règles du jeu.

Denis Baranger a évoqué la culture de l’unanimité. J’ai pour ma part le sentiment que cette apparence d’unanimité tenait auparavant davantage au fait que la contestation disposait pour s’exprimer de beaucoup moins d’espace, de capacités d’analyse moindres et de contre-pouvoirs moins puissants. Aujourd’hui, pour toutes les raisons que nous avons déjà évoquées, prétendre à l’unanimité est devenu plus difficile. J’en veux pour preuve la multiplicité des « couacs » ministériels : autrefois, les dissensions au sein des gouvernements étaient sans doute aussi fortes et aussi nombreuses, mais elles étaient cachées.

Tout est donc affaire de perception. Cela doit nous inviter à repenser nos modes de décision comme nos modes de représentation. À ce titre, et bien que la parité reste encore à accomplir, il ne fait nul doute que l’entrée des femmes dans la vie politique a perturbé la République en en transformant les règles et les habitudes. C’est évidemment un élément à prendre en compte dans notre réflexion sur la consolidation de nos institutions.

Mme Mireille Imbert-Quaretta. Il y a, dans les hypothèses de travail qui nous ont été proposées, un paradoxe assez déprimant qui consiste à faire le constat d’une crise à dimension multiple – crise sociale, crise de l’école, crise territoriale – contre laquelle le seul remède que nous pourrions nous autoriser serait celui d’une réforme limitée à nos seules institutions, au sens strict du terme, alors même que ces institutions sont devenues parfaitement étrangères à nos concitoyens.

J’y opposerai, pour ma part, une forme d’optimisme, confortée par certaines interventions de ce matin – celle de Bernard Thibault notamment, qui nous a proposé une approche plus élargie des institutions – et qui s’appuie surtout sur la conviction que nous disposons d’un véritable atout, celui d’un État fort. Sans État, en effet, il n’y a pas de droit, et c’est l’existence même de l’État qui garantit les droits des citoyens.

Cela étant, sans doute avons-nous à redéfinir le champ du politique, puisque le constat a été posé que les responsables politiques avaient perdu prise sur le réel. Il me semble qu’il leur incombe avant tout, pour remédier à cette situation, de prendre en charge l’explication du réel, de rendre simple – et non simpliste – la complexité du monde. Si l’on veut que les citoyens se rapprochent des institutions et participent à l’édification de leur propre avenir, ils doivent être des citoyens éclairés.

C’est la responsabilité des politiques et cela nécessite de leur part de la vertu, au sens non seulement de probité, mais également de tempérance et de frugalité. En d’autres termes, les interventions des politiques doivent être rares et pertinentes. Alain-Gérard Slama a raison de souligner que la modification incessante des règles, au motif qu’elles ne produisent pas d’emblée les résultats escomptés, aboutit à brouiller la perception qu’ont les citoyens de réformes mises en œuvre sans évaluation préalable.

La tempérance et la frugalité des politiques doit également s’appliquer à leur parole. On n’est jamais obligé de twitter ni de se rendre sur les plateaux de BFM TV ou d’i-Télé. La tâche est certes rendue difficile par l’évolution des médias, mais, à trop multiplier leurs interventions publiques, les responsables politiques finissent par vendre du pâté de cheval et d’alouette : l’information n’est plus hiérarchisée, seul prime le « buzz » ; or le « buzz » n’est ni un projet ni une promesse de changement.

Mme Virginie Tournay. Merci, monsieur le président Winock, pour votre propos introductif éclairant.

Je commencerai à mon tour par quelques remarques générales élaborées à partir de la note de synthèse préparatoire.

J’aimerais tout d’abord revenir sur le titre de cette séance, et plus particulièrement sur l’usage du terme de « crise » qui, me semble-t-il, mérite une réflexion en tant que tel. Votre note m’a conduite à me replonger dans les travaux de Myriam Revault d’Allonnes, qui part du constat que nous employons ce mot de crise pour décrire des réalités sectorielles souvent très différentes : on parle de crise financière, de crise des valeurs, de crise de l’autorité, de crise de l’éducation, de crise territoriale, etc. Le problème est que cet usage généralisé du terme comme un « singulier collectif » peut avoir pour effet de déborder la signification qu’il possède dans tel ou tel domaine.

Étymologiquement, le mot « crise » correspond à un moment-clé, à un moment charnière paroxystique qui appelle un dénouement, une sortie de crise, une décision. Mais aujourd’hui, la crise ne désigne plus un moment : elle renvoie, de manière presque oxymorique, à un état permanent dont il n’est pas possible de sortir ; elle n’est pas perçue comme liée au tournant d’une décision, mais comme intervenant dans un univers où règne l’indécidable.

Si l’usage du terme en tant que tel n’est pas illégitime, il se caractérise par une inversion dans la façon d’expliquer les choses. Ainsi, on en vient parfois à dire que les conflits, le chômage, c’est la faute à la crise, alors qu’il faudrait plutôt expliquer les figures que recouvre cette dénomination générale de crise. En d’autres termes, on observe aujourd’hui une manière d’utiliser le mot « crise » qui fait de celle-ci ce qui explique et non ce qui est à expliquer.

Ma deuxième remarque est la suivante : l’idée d’instabilité, d’incertitude à laquelle l’homme moderne est confronté, est structurelle. Elle est à mon sens entièrement indissociable de la rupture avec la tradition, telle que la revendique la modernité, en lien avec la philosophie des Lumières et la Révolution française. En ce sens, dans la mesure où notre société est animée de la volonté de s’auto-instituer par le consentement des individus, qu’elle ne veut être tributaire ni d’une ultime vérité divine ni des promesses d’un régime autoritaire, nous devons accepter que la démocratie s’accompagne nécessairement d’incertitude. Mais il ne faut pas y voir quelque chose de négatif, plutôt reconnaître que nous sommes plongés dans une espèce de dynamique permanente qui ne peut jamais arriver à son terme et qui suppose un « vivre ensemble » voué à l’incertitude et au conflit. Autrement dit, le fait que nous soyons dans un temps sans promesses est consubstantiel à la réalité même du fonctionnement démocratique et de son inachèvement constitutif.

À la différence de la notion de crise, celle de démocratie peut s’entendre comme un singulier collectif. De ce point de vue, il faudrait revenir sur un usage des termes que nous avons tendance à banaliser alors qu’il a quelque chose de paradoxal. Je songe au fait d’appliquer le mot de démocratie à des secteurs d’activité. Plutôt que d’invoquer ainsi la « démocratie scientifique » ou la « démocratie environnementale », ce qui me semble relever d’un abus de langage, nous devrions parler d’une « politique scientifique » ou d’une « politique environnementale » qui, dans certains contextes, présuppose des formes de partenariat ou de collaboration avec différents acteurs de la société civile.

À l’instabilité constitutive que j’ai mentionnée s’ajoute la fragilisation de deux piliers de la modernité. D’abord, la mise à mal de l’idée d’État-nation, marquée par des contradictions continues entre les principes républicains nationaux et la volonté de construire une entité supranationale européenne. Ensuite, l’effondrement du discours progressiste et des valeurs politiques des Lumières. Comme le dit Étienne Klein, on ne parle plus aujourd’hui de progrès, mais d’innovation, en partant du principe que l’État doit nécessairement anticiper tous les développements et prévoir tous les risques associés à l’innovation.

Le fait de banaliser le terme de « crise » peut avoir un double effet. Premièrement, nous empêcher de penser la complexité des problèmes secteur par secteur. Deuxièmement, faire de la crise un concept surplombant peut nous amener à nous exonérer de nos responsabilités quant aux injustices et aux inégalités auxquelles nous sommes quotidiennement confrontés.

J’en viens à la République : il me semble que nous vivons une crise de la République au sens de la politie, c’est-à-dire entendue comme un système politique, comme une administration politique. Plus particulièrement, la conception caricaturale d’un État républicain omniscient et surplombant peut entraîner des effets pervers. On le constate dans trois domaines : culturel, éducatif et territorial. Il y a un équilibre à trouver entre l’État instituteur du social, garant de notre horizon d’attente, et la réflexivité, l’auto-institution de la société.

En matière d’éducation, tout d’abord, on assiste à une dévalorisation de l’autorité culturelle détenue par la science et les arts. À l’instar des Américains, les Français ne nourrissent pas de défiance vis-à-vis de la science : ils se défient de ceux qui mettent en œuvre les politiques scientifiques ou les résultats de la science. C’est donc avec la politique qu’ils ont un problème, non avec les scientifiques eux-mêmes – ce qui ne vaut toutefois pas adhésion à un système de valorisation de la connaissance. Ainsi, la figure d’autorité culturelle que représentait Einstein ne pourrait pas exister aujourd’hui. Bref, il y a un désajustement entre l’image que la société a de la science et son autorité culturelle. Or ce désajustement est en partie lié au fait que l’on demande à l’État, comme à différents collectifs, d’administrer l’incertitude et de conserver un horizon de promesses alors que celui-ci ne peut plus être garanti.

Comment fortifier l’éducation civique et morale à l’école ? Ce problème extrêmement complexe doit être abordé du point de vue non seulement des publics, mais aussi des enseignants. Ceux-ci ont eux-mêmes du mal à faire aimer la République. Ce ne sont plus les « hussards noirs » d’autrefois, mais des personnes qui doutent, voire qui sont elles-mêmes confrontées à la perte des valeurs républicaines. C’est donc le contenu même de leur formation qu’il faut interroger, et ce qu’ils ont envie de transmettre dans la réalité actuelle.

Ensuite, les citoyens aspirent à la démocratie, mais pas à la République. Une bonne éducation civique suppose donc que l’on explique ce qu’est la démocratie, non pas uniquement comme organisation juridico-politique, mais en tant que « vivre ensemble », un « vivre ensemble » qui suppose nécessairement du conflit, des rapports de forces, où les droits se conquièrent au fur et à mesure et doivent toujours être redéfinis au fil du temps. Comme le dit Myriam Revault d’Allonnes, la démocratie est une expérience nécessairement déceptive à certains égards. Dans ce cadre, la responsabilité citoyenne ne consiste pas à être satisfait ou comblé par ce que l’on nous propose : c’est une modalité d’existence au sein de laquelle nous détenons une capacité d’action et une responsabilité.

Qu’est-ce que c’est que la transmission des valeurs, et où s’opère-t-elle ? Je suis personnellement assez frappée par la dévalorisation de l’enseignement technique et pratique. Un exemple très simple est fourni par le secourisme. Si quelqu’un tombe dans la rue, en ce qui me concerne je ne sais pas comment le secourir. L’acquisition de la capacité à porter secours à autrui a été assez tardivement et très timidement introduite dans les établissements scolaires, ce qui est difficilement compréhensible. Il est indispensable d’apprendre à faire face à des situations concrètes pour développer le sens civique.

En outre, des pans entiers de la jeunesse se socialisent en dehors des valeurs portées par l’école et plus généralement par les institutions publiques. Je pense à l’importance des industries culturelles, des médias, qui peut compliquer les rapports qu’entretient la jeunesse avec les valeurs de l’espace public. Nous sommes dans un monde où l’on ne peut pas parier sur l’automaticité des règles d’apprentissage des valeurs civiques.

Au niveau du territoire et eu égard au sentiment d’inclusion, mieux vaut, me semble-t-il, adopter une approche pragmatiste, fondée sur la coopération entre les territoires, sans trop se préoccuper des structures institutionnelles, au lieu d’une conception essentialiste républicaine qui commence par tenter de définir ce qu’est un territoire pour le faire ensuite travailler. Je suis plutôt favorable à un système de coopérations, à une politique de conventions que l’empreinte institutionnelle viendrait parachever : je ne pense pas que ce soit le système institutionnel qui définit le sésame de la coopération et de la solidarité. Il s’agit d’un processus que l’on construit ensemble et qui suppose un certain nombre de règles.

Un mot sur la fracture territoriale et la manière dont les formes de spatialisation de la société française sont source de division. À cet égard, il faudrait s'intéresser sans tarder au périurbain et à la spatialisation des villes, afin d’éviter un échec comparable à celui des quartiers de résidence créés par la puissance publique dans les années cinquante et soixante et où se sont entassés des pauvres, des immigrés, des personnes issues de l’exode rural : il en est résulté des non-villes, des systèmes urbains incomplets. J’ai le sentiment que l’on fait aujourd’hui un peu la même chose avec la partie inférieure des classes moyennes et la partie supérieure des classes modestes. Ce qui me conduit à penser que la structuration sociale spatialisée est une erreur fondamentale. Si celle-ci n’émane évidemment pas de l’État, celui-ci a du moins laissé faire, et peut-être renoncé à animer le débat.

J’aimerais m’inspirer pour conclure des travaux de Benedict Anderson sur l’imaginaire national. Pour cet auteur, la construction de l’idée de nation et de l’imaginaire national repose sur trois éléments : la cartographie, le recensement et le musée. Peut-être est-ce en ces termes que l’on peut reformuler comme suit les enjeux du débat. S’agissant tout d’abord de la cartographie : qu’est-ce qui définit aujourd’hui l’unité territoriale, en lien avec l’unité nationale et avec la construction européenne ? En ce qui concerne, ensuite, le recensement : qui est l’autre, qu’attendons-nous de lui comme membre de notre République, de notre État-nation ? Pouvons-nous vivre dans un système à la Habermas, ou à la Charles Taylor, de loyauté constitutionnelle intégrée à une société interculturelle et permettant d’éviter à la fois les replis identitaires et les dérives du multiculturalisme ? Enfin, qu’est-ce qui fait symbole national dans nos musées ? Si l’on part du principe que l’État n’est plus le garant de l’orthodoxie culturelle, comment voulons-nous, à travers nos collections, nos musées, nos institutions de mémoire, définir notre passé, notre rapport à l’histoire, et nous définir nous-mêmes ?

M. Bernard Accoyer. La note qui nous a été remise fournit un bon point de départ à la réflexion. Je trouve nos échanges passionnants et j’ai été emballé par votre exposé, monsieur Winock.

La question qui nous est posée – la crise de la République dépend-elle de nos institutions ? – suppose d’abord de s’interroger sur les raisons de la crise. Celle-ci accompagne l’appauvrissement de notre pays et le creusement des inégalités, que nous sommes unanimes à vouloir combattre.

Pour répondre à cette question, il convient d’abord d’examiner les mutations auxquelles la France est confrontée depuis plusieurs décennies. Géopolitiques, économiques, technologiques, sociologiques et religieuses, elles trouvent probablement leur point de départ dans les chocs pétroliers, que vont prolonger les défis fondamentaux de la ressource en eau, du climat, de l’énergie et de l'approvisionnement en matières premières. Parmi ces mutations, la construction européenne, avec ses effets positifs mais aussi ses contraintes, parfois fort mal vécues par nos compatriotes ; la fin du modèle communiste d’État et, en contrepoint, une économie de marché devenue hégémonique ; la mondialisation et les bouleversements géopolitiques ; la place qu’occupent désormais les puissances émergentes, véritables puissances-continents ; les fabuleux progrès techniques et technologiques, face auxquels nous sommes restés plutôt passifs, qu’il s’agisse des transports et, surtout, des nouvelles technologies de l’information et de la communication ou de la génomique et des biomédicaments. S’y sont ajoutées d’importantes migrations, qui se distinguent notablement des vagues précédentes en ce qu’elles proviennent des pays du Sud, dont la culture et la religion diffèrent des nôtres.

Comment les gouvernements ont-ils tenu compte de ces défis ? Il me semble que nous devons nous poser ces questions avant de prétendre changer la règle du jeu. Commençons par ce qui nous rassemble : le pacte social républicain. Notre solidarité nationale repose sur des fondements démographiques, médico-sociaux, d’espérance de vie et de plein emploi qui datent de sept décennies. Tous ces paramètres ont entièrement changé, ce qui entraîne deux conséquences dont l’actualité témoigne de manière criante. D’abord, la perte de compétitivité de notre économie, c’est-à-dire la montée du chômage puisque c’est essentiellement la production, donc l’emploi, qui finance notre pacte social : nous avons été incapables d’imaginer et de mettre en œuvre autre chose. Ensuite, la menace terriblement préoccupante qui pèse sur l’avenir même de notre protection sociale du fait de l’allongement de la vie, d’un progrès médical de plus en plus coûteux et du chômage de masse.

Nous n’avons pas voulu regarder ces réalités en face ; nous n’avons pas eu le courage de réformer suffisamment ; nous avons, pour des raisons idéologiques, refusé d’instaurer une part significative de système par capitalisation, privant ainsi nos compatriotes d’un enrichissement collectif au service de nos régimes de retraite, ce qu’aucun autre pays n’a fait.

S’agissant de ce volet essentiel du pacte républicain, ce ne sont pas les institutions qui ont été défaillantes – elles ont d’ailleurs permis quelques réformes, dont celle de 1996 –, mais l’usage qu’en ont fait depuis quarante ans les gouvernants et leurs majorités, auxquels le système institutionnel de la Ve République donnait pourtant le pouvoir de réformer. La responsabilité est donc ici politique, et non institutionnelle.

De même, qu’avons-nous fait pour relever les défis nouveaux de manière à sauvegarder notre système économique et social ? Nous en sommes convenus, l’appauvrissement de la nation est le principal problème auquel nous sommes confrontés. Les institutions en sont-elles responsables, ainsi que de la crise sociale que nous traversons ? Je ne le crois pas. Michel Winock a magnifiquement développé les valeurs et les principes républicains dont la mise à mal est à l’origine de la crise. Le problème essentiel est à mon sens la perte de foi dans le progrès scientifique et social. Les deux sont totalement indissociables : le progrès scientifique, c’est le développement technique et industriel, l’enrichissement collectif par la production de biens et de services, la croissance, la création de richesses, donc la possibilité de partager celles-ci, au nom de la solidarité nationale.

La place de la formation scientifique dans l’enseignement a régressé, de l’école à l’entreprise ; la formation initiale, professionnelle et continue a été malmenée et la crise de l’éducation nationale ne fait qu'aggraver le problème. Mais c’est aussi le cas de la place du travail tout au long de la vie, de sa reconnaissance, de sa rétribution, comme de celles de la production – depuis les travailleurs jusqu'aux investisseurs, familiaux ou non, sans parler du capitalisme social que nous n’avons pas su inventer alors qu’il fleurit dans tous les régimes de retraite des pays développés. S’y ajoute la rétraction de la foi dans le progrès, qui conduit aux idéologies du déclin, de la peur et de la décroissance, porteuses à mon sens de régression sociale.

Là encore, celle-ci ne vient pas des institutions mais de causes dont nous, politiques, sommes responsables : c'est le cas de la diminution de la place accordée à l’enseignement des sciences et de la culture scientifique ; c'est le cas aussi du moindre respect dont jouit la vérité scientifique à l’école, à l’université ou auprès de certains experts autoproclamés auxquels les plateaux de télévision et les médias en général donnent régulièrement la vedette, mais aussi, hélas, dans la haute administration et parmi nous, politiques. À la République des ingénieurs, qui prévalait au début de la Ve République, s’est substituée celle des énarques et des juristes. Il n’y a d’ailleurs aucun scientifique autour de cette table.

Mme Christine Lazerges. Mais si !

M. Bernard Accoyer. Il n’est donc pas étonnant que les idéologies de peur, irrationnelles, pèsent sur les décisions politiques et, ce faisant, compromettent le progrès social.

Parmi les nombreux autres éléments relevés par Michel Winock, la régression de la notion de solidarité me paraît également essentielle. Elle est née du monopole que détient aujourd’hui l’économie de marché et de l’évolution libérale des mœurs. L’excellent ouvrage de Dominique Schnapper L’Esprit démocratique des lois montre comment cette dernière évolution débouche sur un communautarisme opposé à l’esprit de la République et sur la défense d’intérêts particuliers contre l’intérêt général. Michel Winock a raison : l’économie de marché doit être régulée, ce que nous n’avons probablement pas assez fait, alternant stigmatisation du marché et acceptation des pires dérives spéculatives et des monopoles, dont celui de la grande distribution hégémonique et inhumaine qui nourrit l’obsession d’une consommation débridée.

Vous l’aurez compris, ma conviction est que les institutions ne sont pas le problème. Elles sont au contraire, avec l’État, l’un des deux éléments qui tiennent encore en France. C’est aux élus, aux hommes et aux femmes qui choisissent de se faire désigner par nos compatriotes pour prendre des décisions, qu'il appartient de réinventer un idéal puisque c'est de leur responsabilité que relève la perte de confiance. Changer les règles du jeu n’est pas la solution.

Avons-nous d’ailleurs été bien inspirés de modifier la Constitution pour voter des lois de décentralisation qui ont fait exploser la dépense de fonctionnement des collectivités sans apporter de véritable amélioration au niveau local, notamment en matière d’emploi ? Avons-nous été bien inspirés de voter la session unique parlementaire, à cause de laquelle nous passons un temps excessif à légiférer, de sorte qu’il y a maintenant 500 000 normes dans notre pays et que le code du travail compte 10 600 articles, contre 600 en 1970 ? Avons-nous été plus inspirés lorsque nous avons voté le quinquennat ? Je ne le crois pas. Lors de ces réformes, les études d’impact et l’évaluation ont fait cruellement défaut et cela aussi relève de notre responsabilité.

Il faut former les élus qui, au Parlement comme ailleurs, sont responsables de tout, parlent de tout, décident de tout, font la loi sur tout, sans connaître grand-chose à l’économie ni à bien d’autres domaines. Nous devons utiliser les nouvelles technologies de l’information et de la communication pour que les citoyens fassent directement part de leur opinion au pouvoir exécutif et au législateur, lequel pourra alors en tenir compte, fort de la légitimité qu’il tire de sa désignation démocratique. En revanche, je ne crois pas au changement pour le changement, ni au changement d’inspiration sondagière qui risquerait d’aggraver encore le mal.

Mme Marie-Anne Cohendet. Pour ma part, je ne trouve pas la note déprimante, mais plutôt lucide, et même optimiste puisqu'elle oublie la crise écologique alors que le réchauffement climatique n'a rien d'une vue de l'esprit.

Pour résoudre les problèmes qu'elle décrit, nous devrions, ainsi que l'a dit Michel Winock, en revenir aux valeurs fondamentales de la République – liberté, égalité, fraternité, laquelle suppose la solidarité –, ainsi qu'à la conception première de la démocratie comme l'a avancé mon collègue philosophe, notamment aux principes essentiels de la démocratie grecque qu'étaient l'isonomie et l'iségorie : l'égalité devant la loi, dans sa fabrication comme lors de sa réception – de son application –, et l'égalité dans l'expression, le droit égal à s'exprimer pour contribuer à l'élaboration de la loi, que l'on retrouve d'ailleurs dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

À n'en pas douter, les problèmes économiques, joints à d'autres aspects qui viennent d'être évoqués, contribuent à ce que l'on peut appeler sinon une crise, du moins un sentiment de mal-être et à l'impression qu'il est urgent de faire bouger les choses.

Faut-il en rester à une représentation unique de la volonté générale ou faire droit à d'autres formes de représentation ? Il me semble que l'on pourrait concilier les deux en conservant une Assemblée nationale qui serait la chambre de la volonté générale et en transformant profondément le Sénat pour y accueillir d'autres expressions. On conçoit parfaitement qu'une jeune femme d'origine immigrée vivant en banlieue ne se sente guère représentée par les institutions. Peut-être pourrait-on donc tenir compte dans la seconde chambre soit de quotas, soit de techniques de tirage au sort – pour revenir à la démocratie grecque – visant à permettre la représentation de toute la société et même la présence physique, pour contribuer à l'élaboration de la loi, de toutes ses composantes dont les ouvriers, les employés, les pauvres et jusqu'aux clochards. Cette chambre combinerait ainsi la représentation des collectivités locales, le tirage au sort et la représentation des associations dans tous les domaines – syndicales, de protection de l'environnement, de consommateurs, etc.

En ce qui concerne l'éducation, la démocratie s'apprend à l'école, mais l'enseignement que nous recevons demeure essentiellement autoritaire. Dans les écoles nouvelles, on enseigne dès la maternelle la démocratie comme fabrication collective d'une décision. Cela me paraît essentiel pour créer la solidarité, par l'attention portée à autrui, au groupe, et la conscience du fait qu'une norme, en démocratie, résulte de la synthèse des volontés particulières pour former la volonté générale. Tout cela s'apprend à partir de l'âge de deux ans. Les jeunes enfants peuvent voter le règlement de l'école et apprennent aussi à cette occasion la réception de la norme : le fait qu'après l'avoir élaborée tous ensemble, on s'y soumet parce qu'elle émane de la volonté générale.

Tocqueville nous enseigne que la démocratie implique le respect non seulement de l'égalité, mais aussi de la liberté, ce qui suppose – je rejoins ici Guillaume Tusseau – de ne pas confier l'expression démocratique uniquement à une chambre purement jacobine, mais de l'étendre à d'autres formes de pouvoir, en particulier les associations et les collectivités locales.

Assurément, monsieur Accoyer, les institutions ne sont pas responsables de tout, mais elles détiennent une grande part de responsabilité. Leur image est catastrophique. Certes, les Français ne les connaissent pas en détail mais ils en ont une perception bonapartiste : de leurs cours au lycée, mes enfants retenaient qu'il est normal que le Président dirige tout ! C'est très problématique, mais cela reflète en un sens la réalité. On ne peut pas dire qu'il n'y a pas de crise des institutions quand on observe de tels taux d'abstention et une telle déception des citoyens.

Faut-il changer de Constitution ? Ce critère est purement formel : on peut très bien modifier entièrement la Constitution tout en conservant l'étiquette de la Ve République ou, à l'inverse, créer une VIe République sans changer grand-chose. La question reste donc à débattre. Il me semble toutefois que, dans un système politique qui fonctionne si mal, où règne un tel mécontentement, où l'extrémisme se développe avec une telle violence, il pourrait être prudent de modifier la règle du jeu pour que les Français puissent davantage s'exprimer dans leur particularité, renouer le lien social à tous les niveaux, notamment au sein des associations et des collectivités, et développer la démocratie participative.

M. le président Michel Winock. Monsieur Tusseau, dans mon propos introductif, je n'ai évidemment pas oublié la liberté, valeur fondamentale et fondatrice. Simplement, outre que je n'ai pas voulu être exhaustif, je parlais essentiellement des représentations, de l'imaginaire, où cette valeur ne me paraît pas être véritablement en péril. Au contraire, nos concitoyens ont conscience du fait que nous vivons dans un pays de grande liberté.

M. le président Claude Bartolone. J'aimerais réagir, pour conclure ce tour de table, aux différentes interventions.

Si, comme l'a dit Karine Berger, en 1789 les débats étaient plus simples et plus courts qu'aujourd'hui, ce dernier adjectif est à prendre au pied de la lettre : c'est par des moyens physiques que l'opposition était très vite réduite !

M. le président Michel Winock. Mme Berger a parlé de la période de 1789 à 1792 : la guillotine ne fonctionnait pas encore !

M. le président Claude Bartolone. Plus sérieusement, j'aimerais en venir à la laïcité, pour rappeler que celle-ci n'équivaut pas au rejet des religions, contrairement à une interprétation aujourd'hui répandue et qui ne laisse pas de me surprendre. Ainsi certains parlementaires prennent-ils pour une atteinte au principe de laïcité la présence d'une personne portant un simple foulard parmi le public venu assister aux débats en séance. J'ai coutume de rappeler à ce propos que Philippe Grenier, élu député de Pontarlier en 1896, s'était converti à l'islam et siégeait dans l'hémicycle en costume traditionnel, et que l'abbé Pierre venait à l'Assemblée nationale en soutane lorsqu'il était député, sans que cela choque personne. Aujourd'hui, cela semble inconcevable : on occuperait l'Assemblée en signe de protestation !

Voilà un exemple de l'ignorance surprenante par l'opinion publique des principes mêmes qu'elle invoque, ici comme dans les autres domaines qui nous occupent. La loi de 1905 est une loi de liberté. Elle n'interdit nullement à un élu de se rendre dans un lieu de culte : l'essentiel, disait le général de Gaulle, est de n'y adopter aucune attitude qui puisse être interprétée comme une pratique religieuse.

Je suis d'accord avec Bernard Thibault sur le fait que, souvent, les citoyens ont l'impression que les sujets dont nous discutons ne sont pas ceux qui les préoccupent. Cela me soucie d'autant plus, comme président de l'Assemblée nationale, que nous avons même tendance à évacuer ces sujets du champ parlementaire pour les renvoyer à des comités Théodule, à de hautes autorités. Quels que soient mon amitié et mon respect pour le président du Conseil supérieur de l'audiovisuel, je regrette que le Parlement n'ait plus à se prononcer sur la désignation des dirigeants de l'audiovisuel public alors que le lien entre les médias et notre pratique démocratique est au cœur de nos discussions. Il en va de même de l'immigration et de l'intégration, pourtant confiées elles aussi à une haute autorité. Comment pouvons-nous donc relégitimer la parole politique ?

Bernard Accoyer a évoqué les lois de décentralisation, mais la manière dont a été traitée la parole des Français, en France et en Europe, au moment du Traité sur la Constitution européenne me paraît beaucoup plus néfaste à notre système démocratique, quelque position que l'on défende quant au fond. Après avoir demandé aux Français de s'exprimer, on leur a dit qu'ils s'étaient trompés et que l'on allait tout recommencer ! Les Irlandais ont d'ailleurs subi le même sort. Quels sont donc les points qui relèvent du débat démocratique, et comment montrer à nos compatriotes que, dans ces domaines, leur parole est prise en considération ? Tel est l'enjeu. Par ailleurs, ce n'est pas la décentralisation qui a affaibli nos institutions, mais le fait que nous l'ayons voulue sans remettre en cause le fonctionnement de l'État. Cela a conduit à des situations ubuesques dont j'ai été témoin comme président de conseil général : l'État décidait d'un ensemble d'actes déconcentrés sans modifier sa manière de fonctionner.

Voilà pourquoi nous avons tout intérêt à repenser notre rapport à de nouveaux lieux de pouvoir. Les parlements nationaux sont aujourd'hui totalement désarmés, en particulier face à la construction européenne. Nous n'avons pas notre mot à dire à la veille d'un Conseil européen ou d'une réunion du G8, ce qui fait paraître les lieux de pouvoir encore moins accessibles aux citoyens.

J'approuve aussi une partie des propos qui ont été tenus sur la diversité sociale des députés. Les chiffres en valeur absolue sont parlants, au moins autant que les pourcentages. En 1945, 98 députés sur 522 étaient ouvriers ou employés ; en 2012, ils n'étaient plus que 11 sur 577. Le capital social requis pour devenir député, du fait de la pression sociale et scolaire, est bien plus élevé qu'autrefois. À l'heure où le politique apparaît totalement soumis à la finance et à l'économie, le non-économiste – le non-énarque, pour faire simple – voit sa parole disqualifiée. De même, si les femmes n'ont jamais été autant représentées à l'Assemblée que depuis 2012 – elles sont plus d'un quart des députés –, leur place au Parlement situe la France au soixante-quatrième rang mondial, derrière le Rwanda.

Cela plaide en faveur d'une réorganisation du mode d'expression politique. J'ai été surpris, cette fois comme responsable au sein d'une grande formation politique, de constater à quel point l'organisation du temps y était masculine. Au moment de désigner les candidats, c'est celui qui passe le plus de temps avec ses camarades, notamment lorsque les réunions ont lieu le soir ou le week-end, qui est favorisé, ce qui n'est évidemment pas sans effet sur la représentation des femmes au sein de la formation. Le respect de la parité conduirait à modifier radicalement cette organisation. Sans vouloir revenir sans cesse à l'exemple de ce pays, je me souviens que mes collègues suédois, lorsque j'étais ministre, avaient opposé une fin de non-recevoir à ma proposition d'une réunion le week-end, inconcevable en Suède car contraire à l'égalité entre hommes et femmes du point de vue de l'organisation temporelle.

Je remercie Michaël Foessel de son éclairage précieux sur la démocratie représentative, étudiée par Bernard Manin dans son grand livre Principes du gouvernement représentatif : il s'agit d'un régime mixte, qui comprend des éléments purement démocratiques et d'autres qui le sont moins. Michaël Foessel a ainsi souligné l'opposition entre la représentation-miroir – les représentants doivent être une photographie de la société – et la représentation-mandat selon laquelle ils sont désignés pour leurs qualités et leurs compétences, abstraction faite de leur milieu d'origine. Entre ces deux conceptions, notre pays n'a jamais tranché. Il me paraît possible de concilier les deux, mais surtout nécessaire de donner aux citoyens, quelle que soit l'option retenue, le sentiment que l'on prend leur point de vue en considération et que l'on comprend leur situation.

À propos de représentation, je précise à l'intention de Bernard Accoyer que Virginie Tournay est biologiste de formation. La science est donc éminemment représentée parmi nous.

Ferdinand Mélin-Soucramanien nous a rappelé l'article premier de la Constitution, qui établit la carte d'identité de la République : indivisible, laïque, démocratique et sociale. Le problème est que nous n'attribuons plus à ces mots la même signification qu'auparavant. Rappelons que la loi de 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public a pour fondement juridique non le principe de laïcité mais le principe de sécurité. Elle ne parle pas de signes religieux. De même Émile Poulat, immense historien de la laïcité qui vient de disparaître et auquel je veux ici rendre hommage, disait-il que la question du voile dans l'espace public n'avait rien à voir avec la laïcité. Lors de l'examen de la loi de 1905, on avait même rejeté un amendement visant à interdire le port de la soutane dans l'espace public au motif qu'il aurait été contraire au principe de laïcité, selon Briand et Jaurès ! On imagine ce qu'il adviendrait aujourd'hui de ce type de débat.

Institutions, difficultés sociales, projet de société : comme des souris dans un labyrinthe, nous avons cherché en vain, au cours de notre discussion, la sortie de crise. Mais c'est de tous ces éléments à la fois qu'il est question. Je disais hier à l'ambassadeur des États-Unis combien j'étais surpris, malgré les 40 % d'opinions favorables dont jouit le président Obama en dépit de ses difficultés, malgré la réduction du chômage et l'indépendance énergétique, par les taux d'abstention observés dans le pays et par le résultat des élections de mi-mandat. À l'heure où le grand projet fédérateur de la pax americana est en difficulté, pour ne pas dire en panne, quel projet alternatif présenter aux Américains ? C'est un problème dont nous ne devrions pas nous désintéresser.

En Europe, on lie souvent aux difficultés sociales l'émergence des « monstres » dont parlait Gramsci. Pourtant, en Autriche, où les populistes obtiennent 30 % des suffrages, le taux de chômage est résiduel. A contrario, en Espagne ou en Portugal, deux pays qui paient à la crise un tribut social terrible, l'ambiance est beaucoup plus optimiste que dans bien des grandes villes françaises.

Dans nos interrogations sont ainsi en jeu à la fois la question du projet, la crise sociale, le questionnement de certains de nos principes qui méritent d'être revivifiés, dont la laïcité, à mes yeux primordiale.

Au fond, on pourrait reprendre aujourd'hui, en l'inversant, le slogan fédérateur de Mai 68, « Métro, boulot, dodo », pour demander plus de métro – parce que nos territoires ne communiquent pas assez les uns avec les autres –, plus de boulot évidemment, plus de dodo à l'heure où la crise prive un nombre croissant de nos compatriotes d'un endroit où dormir. Inversé par rapport à l'époque où il mettait en question la société de consommation, ce triptyque interroge aujourd'hui comme hier le vivre ensemble, la nécessité de redéfinir notre ambition collective.

Nous sommes les héritiers d'une grande histoire. Napoléon Bonaparte, dont il est parfois de bon ton de se moquer, a ancré en nous l'idée de la France qui pouvait tout : il dessinait les frontières, il distribuait le Code civil. Dans le même ordre d'idées, j'ai été frappé, lors des cérémonies du 70e anniversaire du Débarquement, par la force du message du Conseil national de la Résistance. Alors que le monde se divisait, celui-ci a fixé ses règles, économiques, sociales, sociétales, démocratiques. Voilà précisément ce qui nous met aujourd'hui à la peine : comment définir un projet compatible avec le projet européen, avec une mondialisation dont on ne peut tenir compte de manière uniquement négative ? En somme, par quel projet fédérateur lier les différentes remarques qui ont été formulées ce matin ?

Quelques mots sur la suite de nos travaux. Vous pouvez, comme tout citoyen, trouver le compte rendu de nos débats sur la page du site Internet de l'Assemblée nationale qui est consacrée à notre groupe de travail. À partir de la prochaine séance, nos travaux seront organisés de manière plus interactive puisque nous procéderons à des auditions. Après le diagnostic, place au débat. La prochaine séance, le 16 janvier, sera consacrée aux « institutions françaises dans l'Europe et la mondialisation ».

Bonnes fêtes de fin d'année à tous !

La réunion s’achève à 12 h 50.