La réunion débute à neuf heures cinq.
Audition, ouverte à la presse, de M. Bernard Manin, sur le thème de la représentation.
M. le président Michel Winock. Pour cette treizième réunion de notre groupe de travail, qui doit clore nos débats sur le Parlement du non-cumul, nous avons convié M. Bernard Manin, politologue, directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences sociales, professeur à la New York University.
Vos travaux, monsieur Manin, portent principalement sur le libéralisme et la démocratie représentative. Vous avez publié, en 1995, un ouvrage qui a fait date, Principes du gouvernement représentatif, dans lequel vous soutenez de façon rigoureuse et argumentée que le gouvernement représentatif est un gouvernement mixte, qui combine des éléments démocratiques et des éléments qui ne le sont pas.
Ainsi, ayant rappelé que la démocratie antique reposait sur le principe du tirage au sort quand nos gouvernements reposent sur celui de l’élection, vous exposez que, si la représentation présente des caractères démocratiques dès lors que les électeurs peuvent demander des comptes à leurs représentants en fin de mandat, elle présente également des éléments non démocratiques en ce sens que l’élection est aussi une manière de désigner des élites, qui ne sont pas entièrement tenues de réaliser les souhaits de leurs mandants et conservent un certain degré d’indépendance. Selon vous, la démocratie représentative n’est pas pour autant une démocratie directe en moins bien, mais un système différent.
Plus récemment, dans le cadre d’un entretien avec Nadia Urbinati, vous avez estimé qu’il n’y avait pas aujourd’hui de crise du système représentatif mais plutôt une transformation des modalités de l’engagement politique.
Il nous intéresse vivement de vous entendre plus en détail sur cette question, ainsi que sur celle de la participation des citoyens, à laquelle vous avez également beaucoup réfléchi.
M. Bernard Manin. Ma réflexion s’organisera autour de trois points, le premier en forme de question : « Où est le problème ? » Au rang des signes de la crise que traverse aujourd’hui la représentation est souvent mentionnée la baisse de la participation électorale. En vérité, les études démontrent que, si l’abstention s’est accrue, il s’agit d’une abstention intermittente, la participation étant fonction du caractère de chaque élection : les électeurs votent lorsqu’ils perçoivent qu’une élection a des enjeux importants et lorsque ses résultats s’annoncent serrés. Il n’est donc pas justifié de parler d’une désaffection à l’égard des élections en général, et certaines d’entre elles continuent de mobiliser les citoyens.
Dans ces conditions, où est le problème ? Il est lié au discrédit dans lequel se trouve le personnel politique, en France comme dans l’ensemble des démocraties établies. Les citoyens ne se reconnaissent plus dans leurs représentants, et le personnel politique est perçu comme une classe fermée sur elle-même, préoccupée avant tout de ses intérêts, de ses intérêts de carrière en particulier, et éloignée des préoccupations des citoyens. L’appartenance à cette classe commune apparaît comme plus importante que les différences politiques et programmatiques entre candidats, d’où cette antienne lancinante, commune à beaucoup de démocraties : « Tous les mêmes ! »
Les citoyens se reconnaissant de moins en moins dans leurs représentants, le problème est donc celui de la représentativité de ces derniers, qui fait l’objet de mon second point. La note préparatoire qui nous a été distribuée mettait l’accent sur la dissimilitude entre la composition des assemblées et celle de la population, pointant les distorsions en termes de sexe, de niveau d’éducation, de profession – notamment en ce qui concerne la surreprésentation du secteur public par rapport au secteur privé – ou d’origines migratoires, les populations issues de l’immigration étant beaucoup moins représentées qu’elles ne comptent dans la population. À mon sens cependant, il n’y a pas de preuve que la reconnaissance dont peuvent jouir les représentants soit fonction de leurs caractères ou de leurs attributs sociaux, et les distorsions sociales entre représentants et citoyens existaient tout autant à l’époque des grands partis de masse, dont nous avons parfois tendance à avoir la nostalgie. Notons par ailleurs que le discrédit dont souffrent ces représentants ne semble pas atteindre les nouveaux partis extrêmes – à droite ou à gauche.
Le sentiment de distance par rapport à la classe politique et la remise en cause de sa représentativité dépendent davantage de la trop grande similarité perçue entre ses membres. À cela s’ajoute la baisse de la déférence à l’égard des chefs et des porte-parole auxquels on s’en remet, phénomène inéluctable dans des mondes dont le niveau d’éducation a beaucoup progressé. Il faut enfin tenir compte de l’interdépendance croissante qui lie nos gouvernants et les contraint à suivre des politiques qui ne diffèrent pas beaucoup les unes des autres. C’est particulièrement vrai en Europe, où nombre de facteurs externes limitent leurs marges de manœuvre.
Cela étant posé, je considère que la similarité sociale ne peut, ni d’un point de vue normatif ni d’un point de vue pratique, constituer le principe de base de la représentation. En premier lieu, parce qu’il existe une sorte d’arbitraire des catégories à représenter : selon quelle dimension reproduire au sein d’une assemblée la composition de la population ? La dimension professionnelle ? La dimension religieuse ? Sans parler de la difficulté à tomber d’accord sur la définition des catégories sociales à représenter : faut-il, par exemple, y inclure les personnes sans emploi et les chômeurs, groupe qui mériterait autant qu’un autre d’être représenté ?
En second lieu, chaque électeur appartient à plusieurs catégories à la fois et se définit par un ensemble d’attributs – sexe, profession, origines –, et faire reposer la représentation sur la similarité des caractères sociaux conduirait à réifier ces appartenances, à les politiser et à en faire des enjeux de compétition. Comment, de surcroît, effectuer un décompte raisonnable de cette pluralité d’attributs et comment comptabiliser, par exemple, une femme issue de l’immigration ?
Il existe cependant des cas qui justifient des exceptions et dans lesquels les distorsions entre la composition des assemblées et celle du corps électoral méritent d’être questionnées. Il s’agit des cas où l’on a affaire à des distorsions résistantes, durables, qui se manifestent dans d’autres domaines – par exemple le marché de l’emploi – et résultent de discriminations avérées. À titre d’illustration, la disparité de traitement entre les fonctionnaires et les salariés du secteur privé concernant les congés pour mandat a pu contribuer à expliquer la surreprésentation des fonctionnaires au sein des assemblées. Je ne sais si cette asymétrie a été corrigée, mais il s’agit en tout cas d’une discrimination à laquelle il est possible de remédier car on en connaît la cause. Dans le cas où celle-ci n’est pas connue, on peut imaginer des dispositifs incitatifs voire des quotas – ma préférence allant à la première solution –, mais ces différentes mesures doivent demeurer des exceptions. En tout état de cause, la charge de la preuve incombe à ceux qui réclament la correction de ces distorsions, et l’on est en droit d’exiger d’eux qu’ils démontrent qu’un dispositif incitatif – ou quantitatif – produira bien les effets désirés et qu’il n’existe pas d’autre solution.
Mon troisième axe de réflexion concerne le tirage au sort. Depuis une vingtaine d’années, le tirage au sort a fait l’objet d’une multitude d’expériences et de pratiques à travers le monde, qu’il s’agisse de jurys citoyens, de conférences de consensus ou d’assemblées de citoyens. Je pense en particulier à deux exemples : d’une part, l’assemblée des citoyens sur la réforme électorale qui s’est tenue en 2004 en Colombie-Britannique, l’un des États fédérés du Canada ; d’autre part, la Convention constitutionnelle irlandaise qui s’est réunie de 2012 à 2014 et a proposé un référendum sur le mariage entre personnes de même sexe.
Ces dispositifs s’organisent de la manière suivante : le tirage au sort est utilisé pour sélectionner des citoyens ordinaires, qui ne sont ni des experts ni des professionnels de la politique. Leur nombre peut varier, mais ces citoyens sélectionnés par le sort sont ensuite soumis à une formation assez pointue – de l’avis des spécialistes, les membres de l’assemblée de Colombie-Britannique étaient ainsi devenus de véritables experts en loi électorale… Les membres de ces assemblées discutent et délibèrent ensuite pour rendre un avis, qui n’est en général pas obligatoire mais consultatif. Dans le cas de la Convention constitutionnelle irlandaise, il était ainsi prévu que des propositions seraient soumises au Gouvernement, lequel n’aurait pour seule obligation que d’y répondre, sans nécessairement être obligé de les mettre en œuvre.
En pratique, la technique du tirage au sort se heurte au fait que nombre d’individus désignés refusent de participer, ce qui induit des distorsions dans la représentation. Aussi procède-t-on à ce qu’il est convenu d’appeler un échantillonnage aléatoire stratifié, qui consiste à déterminer à l’avance les catégories que l’on souhaite voir représentées, puis à procéder au sein de chacune d’entre elles à un tirage au sort. Il est en tout cas vain d’espérer du tirage au sort qu’il reflète exactement la diversité de la population. Son mérite reste néanmoins qu’en faisant appel à des citoyens ordinaires il contribue à briser le sentiment que les décisions publiques ne prennent pas en compte les voix de la population.
Mme Marie-Jo Zimmermann. Je suis d’accord avec vous pour considérer que le tirage au sort ne permet pas une juste représentation de la population dans la mesure où certains individus refusent de se prêter au jeu.
J’aimerais, cela étant, votre point de vue sur la discrimination entre femmes et hommes, qui reste, au sein des lieux de pouvoirs, la première des discriminations. Que pensez-vous des lois sur la parité ?
M. Bernard Manin. La discrimination entre femmes et hommes est une discrimination structurelle et résistante, qui dépasse en outre le champ du pouvoir. Il y a par ailleurs tout lieu de penser qu’elle correspond à des intérêts distincts. Elle entre donc dans le cadre des exceptions auxquelles il convient de remédier, ce qui ne doit pas remettre en cause le principe général selon lequel la composition sociologique d’une assemblée n’a pas à refléter exactement celle de la population.
M. Guillaume Tusseau. Vous affirmez qu’il n’est pas possible de structurer la composition d’une assemblée politique en la calquant sur la composition de la population qu’elle est censée représenter. Je répondrai, de façon quelque peu provocante peut-être : pourquoi pas ?
Je ne disconviens pas de l’ensemble des problèmes, voire des risques que comporterait le choix des critères : faut-il prendre en compte le sexe, la profession, l’origine migratoire, le fait d’être chômeur ou diplômé, celui d’avoir ou non une bonne vue ? J’admets également la difficulté de pondérer ces critères pour aboutir à une sorte de profilage de la population représentée et de ses représentants, et ce d’autant plus que nous avons affaire à des êtres multiples. Enfin, je m’oppose comme vous à la réification des identités, estimant qu’un homme noir et catholique peut fort bien penser comme une femme juive et homosexuelle.
Je me demande cependant si, en s’arrêtant à ces obstacles, on ne court pas le risque de s’en tenir à un arbitraire qui a pour seul avantage d’être bien établi. Je souhaiterais ici que vous soyez plus précis sur la charge de la preuve, dont vous dites qu’elle incombe à ceux qui veulent corriger les distorsions selon des moyens dont ils doivent démontrer qu’ils sont efficaces et qu’il n’en existe pas d’autres. J’entends que les solutions mises en œuvre doivent être efficaces – comment, cependant, prouver ex ante cette efficacité ? –, mais pourquoi devraient-elles être les seules possibles, hors de toute alternative, dans leur principe ou leur mise en œuvre ? Il me semble qu’imposer la charge de la preuve à ceux qui veulent corriger les distorsions de représentation fait peser le risque social, c’est-à-dire le poids du conservatisme, sur les catégories défavorisées, déjà réduites au silence – les femmes, certaines religions, certaines minorités visibles, certaines professions –, ce qui revient à leur infliger une double peine, tant du point de vue épistémique que pratique, pour ce qui relève de leur participation à la vie politique.
M. Bernard Manin. Si l’on ne peut fonder la représentation sur les catégories sociales, c’est précisément pour les raisons que vous avez dites. En premier lieu, nous ne parviendrons pas à nous mettre d’accord sur les catégories à représenter, d’autant que celles-ci évoluent au cours du temps. Par ailleurs et plus fondamentalement, fonder la représentation sur des caractéristiques sociales, c’est supposer que les intérêts servis ou les actions accomplies ne puissent renvoyer à autre chose qu’aux caractéristiques que l’on possède soi-même. Ce n’est pas une position normativement tenable et elle ne permet pas d’organiser nos démocraties. On ne peut nullement exclure en effet que des élus défendent des idées ou des intérêts qui n’ont rien à voir avec les caractéristiques socio-économiques qu’ils possèdent. Prétendre le contraire reviendrait à réduire les agents à des porteurs de traits sociaux, au détriment de leur liberté. Le fait qu’il existe une distorsion dans la représentation ne prouve pas que les catégories sous-représentées voient leurs intérêts négligés. D’où l’idée qu’il faut passer de la présomption à la preuve et s’assurer de l’efficacité des mécanismes de correction. C’est en tout cas ainsi que l’on procède lorsqu’il faut concilier deux impératifs contradictoires. En tout état de cause, il faut éviter les politiques gesticulatoires.
M. le président Michel Winock. Existe-t-il des études comparatives mettant en lumière une spécificité française en matière de représentativité du Parlement ?
M. Bernard Manin. Cela tend à s’améliorer, mais la France était plutôt en retard en matière de parité, en particulier par rapport aux pays scandinaves. Cela n’est pas uniquement lié au mode de scrutin, mais aussi aux facilités proposées par le welfare scandinave aux femmes afin de leur permettre de combiner leur carrière et leur vie familiale.
Mme Marie-George Buffet. Selon vous, la similitude des politiques mises en œuvre par les uns et les autres ainsi que l’atténuation des débats d’idées contribuerait à créer le sentiment d’une classe politique homogène, coupée des réalités du reste de la population. On peut aussi penser qu’autrefois il était plus facile de se reconnaître dans des partis qui assumaient ouvertement d’être le parti de la classe ouvrière ou le parti des classes moyennes, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.
Dans mon département se sont créés des collectifs citoyens, qui se sont regroupés en un collectif citoyen départemental, composé pour l’essentiel de jeunes issus de l’immigration. Or j’ai constaté que, selon les villes, ces jeunes pouvaient s’engager en politique sur telle ou telle liste, de tel ou tel bord politique. La raison en est que ce qui importe avant tout à leurs yeux est d’être représentés, sous quelque couleur politique que ce soit. D’où la réserve dont ils font preuve lorsque l’on évoque avec eux les idées sur lesquelles ils s’engagent, qui importent moins que le fait de prendre place dans les lieux de pouvoir et de responsabilité, ce qui ne leur est pas donné naturellement. Certains pourront les juger sévèrement au nom du sacro-saint engagement, mais cela doit surtout conduire les partis politiques à s’interroger sur leur capacité de représentation. Les partis de masse se composaient d’une large diversité d’adhérentes et d’adhérents ; leur rétrécissement a fait qu’il n’y a plus de place en leur sein pour cette diversité. C’est donc moins de quotas dont nous avons besoin – je suis d’accord avec vous sur ce point – que d’une réflexion sur le rôle et les objectifs des forces politiques.
M. Bernard Manin. Si je n’insiste pas davantage sur le fait que les politiques menées par les uns et les autres se différencient de moins en moins, c’est que le rétrécissement des alternatives objectives dépasse manifestement le cadre des dispositions institutionnelles que nous pouvons changer. Reste que le resserrement de la contrainte extérieure, qui a coïncidé en France avec la première alternance politique depuis longtemps, a pu peser d’un poids particulier dans la désaffection vis-à-vis du politique.
Je ne vois rien de critiquable dans les collectifs citoyens dont vous parlez. Ils participent au contraire d’un fonctionnement sain et normativement acceptable de la démocratie. Ces jeunes gens en effet ne réclament pas un quota de places réservées, mais s’organisent pour accéder au pouvoir. C’est leur choix et la liberté que notre régime leur garantit. Est critiquable en revanche, à mes yeux, le fait que le législateur ou le constituant s’arroge le droit de décider à la place des électeurs de la manière dont ils doivent être représentés.
M. Alain Tourret. Aux assises, que j’ai beaucoup pratiquées de par ma profession, le tirage au sort est assorti d’un droit de récusation. Est-ce ainsi que vous le concevez ? Par ailleurs, les citoyens tirés au sort se révèlent toujours extrêmement sévères, plus enclins à défendre l’ordre qu’à faire preuve d’humanité.
En ce qui concerne les quotas, que pensez-vous de l’exemple du Maroc, où ont été institués des quotas de femmes et de jeunes aux élections législatives ? C’est une manière de les attirer vers la vie politique, et la mesure semble avoir une certaine efficacité puisque l’actuel président de la commission des affaires étrangères du Parlement est âgé de vingt-neuf ans.
Je m’interroge également sur le fait que les secrétaires généraux ou les dirigeants de parti soient toujours exclus du gouvernement – que l’on pense, pour le parti communiste, à Georges Marchais en 1981 ou à Robert Hue en 1997. Est-ce normal ? Pourquoi le premier secrétaire du parti socialiste n’est-il pas de plein droit, lorsque celui-ci gagne les élections, Premier ministre d’un gouvernement socialiste ?
À l’inverse, il y a ceux qui sont systématiquement choisis. Pour être Président de la République, il faut être soit avocat soit énarque ; si vous n’êtes ni l’un ni l’autre, vous n’avez aucune chance. Pour être ministre, mieux vaut être énarque, de même que pour être directeur de cabinet : en 1997, sur quarante directeurs de cabinet, trente-neuf étaient énarques, seul Claude Allègre ayant choisi une femme non énarque.
M. Bernard Manin. Il n’est pas question de faire en politique le même usage du tirage au sort qu’en matière judiciaire et il ne serait nullement justifié d’envisager un système de récusation.
Quant à la sévérité des jurés populaires, l’expérience a montré qu’en matière de représentation citoyenne, les participants tirés au sort, qui bénéficient d’une formation assurée par des experts aux approches parfois contradictoires, avaient tendance, après avoir confronté entre eux leurs points de vue, à modérer leurs opinions originelles.
Pour ce qui concerne l’efficacité des quotas, je ferai remarquer qu’il y a des médicaments qui tuent, et l’efficacité à court terme ne doit pas hypothéquer l’avenir. Les quotas ont certes des résultats immédiats mais avec quels coûts à long terme ? D’où mon sentiment qu’ils doivent être employés avec précaution, pour de bonnes raisons et parce qu’il n’y a pas d’autre solution.
M. Denis Baranger. Nos débats sur le Parlement du non-cumul ne dévient pas du postulat implicite selon lequel notre régime démocratique s’inscrit dans le cadre représentatif, dont vous êtes le grand théoricien et que personne ne songe réellement à remettre en question.
À cet égard, le mandat impératif n’est qu’un dragon de papier que personne ne songe à rétablir, pas même les mouvements les plus populistes, qui ont assez peu à faire de la démocratie directe, et le refus des citoyens de participer à la vie politique ne peut surprendre qui se souvient de Benjamin Constant et de sa « jouissance paisible de l’indépendance privée ». En d’autres termes, le citoyen moderne entend poursuivre tranquillement ses activités privées et délègue pour cela la politique.
J’irai jusqu’à dire que, dans toute son horreur et son atrocité, le terrorisme qui nous frappe aujourd’hui n’est qu’une validation de la logique représentative, puisqu’il agit en représailles contre les citoyens, avec cette idée sous-jacente que ce sont eux qui ont donné mandat à leurs gouvernants pour mener les politiques que ces derniers mettent en œuvre.
J’interprète donc les recommandations que vous nous livrez aujourd’hui comme des tentatives d’ajustement du système représentatif. C’est une nécessité vitale pour un système ancien – il remonte peu ou prou au xviiie siècle – voué à évoluer sous la contrainte démocratique.
Or cette contrainte démocratique qu’on ne peut esquiver n’est pour autant pas facile à institutionnaliser, et nombre de ceux qui ont réfléchi au sujet ont calé sur cette question : comment institutionnaliser la démocratie ? Les institutions doivent-elles prendre en compte la pression démocratique, dont Mme Buffet donnait tout à l’heure un exemple avec ces jeunes enrôlés dans des comités citoyens, et qu’en d’autres temps on aurait qualifié de « spontanéité démocratique » ? Doit-on multiplier les référendums, comme au Royaume-Uni, régime représentatif par excellence, qui, ces derniers temps, multiplie les référendums à vraie portée politique ? Plutôt que d’accroître la représentativité-miroir, hypothèse à laquelle vous n’êtes pas favorable, que pensez-vous des mécanismes de responsabilité, recall ou reddition de comptes des élus devant les électeurs ?
Ma dernière question concerne le tirage au sort et sa plus-value. Celle-ci se mesure-t-elle en termes de démocratisation ou de rationalisation de la représentation ? Et ne doit-on pas s’inquiéter que les individus tirés au sort, en passant de l’autre côté du miroir, subissent le même discrédit que les professionnels de la politique ?
Ce qui m’inquiète, c’est que la préconisation du tirage au sort s’appuie souvent sur cette doctrine hyper-rationaliste dont le grand représentant est Jon Elster et qui, de manière assez curieuse, considère qu’une décision dépendant d’un coup de dés sera aussi bonne qu’une décision d’expert, ce qui selon moi peut aboutir à produire de l’irrationalité politique et à nous ramener à notre point de départ.
M. Bernard Manin. Ma défense du tirage au sort ne se fonde sur aucun présupposé rationaliste. J’y vois une technique qui vise à introduire les citoyens ordinaires dans la vie politique. En Colombie-Britannique, on a parlé, à propos des membres de l’assemblée tirée au sort, de « représentants citoyens », ce qui prouve qu’ils ont été perçus comme tels, la confiance et la légitimité dont ils jouissaient tenant précisément non à leur élection, mais au fait qu’il n’y avait guère d’enjeu personnel dans les décisions qu’ils avaient à prendre et dont ils n’avaient aucun bénéfice direct à retirer. Il s’agissait en l’espèce de statuer sur la loi électorale, et tout porte à croire au contraire que, si la décision avait été confiée au personnel politique, il y aurait eu conflit d’intérêts.
Vous parlez par ailleurs d’irrationalité, mais il ne s’agit nullement de prendre des décisions en jouant à pile ou face puisque, dans ces dispositifs délibératifs, les participants subissent des formations très poussées pour les aider à la décision.
Quant au système représentatif, vous avez raison de dire qu’il n’est pas remis en cause. En revanche, il peut être adapté, car il est flexible dans la mesure où il n’englobe pas la totalité des dispositions qui organisent la décision publique. Il existe des marges où rajouter des modules de démocratie directe ou des dispositifs délibératifs, sans bouleverser l’équilibre général.
Mme Cécile Untermaier. C’est d’abord aux partis politiques qu’il appartient de garantir la diversité de la représentation. Dans la mesure où ils ne le font pas, ne faudrait-il pas prévoir des sanctions ou des mesures incitatives ?
Les parlementaires ne doivent pas non plus fuir leurs responsabilités et doivent, dans leurs circonscriptions, aller, en tant qu’élus de la nation, à la rencontre des citoyens et les associer à leur travail sur la loi. C’est le sens des ateliers législatifs citoyens ou de la consultation citoyenne organisée sur internet par le président Bartolone. Ce sont des dispositifs essentiels, qui permettent à tout citoyen qui le souhaite de s’impliquer dans le processus législatif. Ils exigent, pour prendre tout leur sens, que le rapporteur du projet ou de la proposition de loi rende compte en commission et dans l’hémicycle des observations qui lui ont ainsi été transmises.
Il faut résister, selon vous, à la tentation de résoudre le déficit de représentativité des assemblées par l’instauration de quotas, solution qui ne vous paraît pas normativement tenable. Vous faites néanmoins une exception en matière de parité, et nous avons pris là dessus nos responsabilités. Mais ne pensez-vous pas que les jeunes constituent également une catégorie stable, qui pourrait justifier des quotas ? Quel sort enfin réserver aux chômeurs, qui sont des travailleurs en puissance, exclus de la société ?
Manié avec précaution, le tirage au sort me semble une piste intéressante. Mais le référendum ou les procédures de recall ne sont-elles pas également un moyen de de mieux impliquer le citoyen et d’améliorer la représentativité des élus ?
M. Bernard Manin. Si les référendums organisés par les autorités en place sont très souvent des instruments de manipulation, les référendums d’initiative citoyenne, dont l’expérience se concentre à 90 % en Suisse et en Californie, offrent l’inconvénient considérable de renforcer le pouvoir de veto des intérêts organisés, tous les citoyens n’étant pas également capables de collecter des signatures. Néanmoins, l’Oregon en a raffiné le mécanisme en combinant ces référendums avec un tirage au sort délibératif : lorsqu’une initiative populaire est mise au vote dans cet État, une commission de citoyens tirés au sort émet sur le texte un avis qui est ensuite envoyé en même temps que le matériel électoral à tous les électeurs. Ce dispositif intéressant introduit la délibération dans un mécanisme qui ne la favorise guère.
Quant à la prise en compte de l’avis des citoyens ordinaires, elle présente le danger d’inciter à la politique gesticulatoire. Je ne sais comment faire, même si c’est mon objet d’étude, pour éviter qu’elle soit perçue comme une manière purement symbolique d’écouter les citoyens.
Il ne me semble pas que les jeunes ni les chômeurs s’élèvent aux réquisits que j’ai énoncés tout à l’heure en vue de l’utilisation tempérée, et en dernier recours, de quotas contraignants ou incitatifs. La condition de ces deux catégories de personnes étant transitoire, il y a des raisons de penser que leurs intérêts peuvent être pris en compte par des gens qui ne partagent pas les mêmes caractéristiques. La jeunesse passe, mais tout le monde a été jeune un jour. Il ne faut pas supposer les êtres humains incapables de défendre les intérêts de ceux qu’ils ont été eux-mêmes. C’est un peu moins vrai dans le second cas, tout le monde n’ayant pas été chômeur, mais il n’empêche.
M. Bernard Thibault. Selon vous, le profil du législateur ne peut être sélectionné sur la base de quotas sociaux, ethniques ou religieux. Cela étant, le décalage entre les citoyens et leurs élus pose un problème de représentativité. Sans doute une partie de la responsabilité incombe-t-elle, au-delà des institutions, à la pratique et, par conséquent, aux partis politiques. Des mesures d’ordre institutionnel ne pourraient-elles néanmoins être prises ? Je comprends vos réserves vis-à-vis de l’usage de quotas, mais j’aurais pour ma part tendance à inverser la charge de la preuve. Nos élus sont désignés à l’issue d’un processus excluant tout recours à des quotas parce que l’on présuppose que leur qualité d’élu en fera des représentants défendant systématiquement l’intérêt général et capables d’être à l’écoute des différentes catégories de citoyens. Or, ce n’est pas du tout ainsi que la chose est perçue aujourd’hui : on constate qu’un trop grand nombre d’élus, insuffisamment au diapason de la population, en viennent à prendre des décisions incomprises de celle-ci. On aurait donc tort de présupposer que les mécanismes électifs actuels feraient des élus les garants de l’intérêt de l’ensemble des citoyens.
D’autre part, vous avez souligné la similitude des politiques mises en œuvre dans un espace européen de plus en plus intégré. Mais n’est-ce pas justement l’un des points qui fragilisent notre démocratie aujourd’hui ? Je considère l’Europe comme étant dans une phase non pas de progrès de l’intégration, mais au contraire de désintégration, ce qui soulève la question de l’articulation de nos institutions nationales avec les institutions internationales, notamment européennes. Un référendum a eu lieu sur le sujet il y a dix ans en France, et la Grande Bretagne envisage aujourd’hui d’en organiser un sur son hypothétique sortie de l’Union européenne – ce pays se trouvant d’ailleurs déjà en dehors de cette dernière dans de nombreux domaines. C’est justement parce que l’on s’accommode de l’idée que tous les États seraient condamnés à mener des politiques fort similaires que notre démocratie s’affaiblit. Il convient donc de veiller à ce que les approches alternatives puissent exister dans le débat démocratique.
Enfin, concevez-vous que la technique du tirage au sort puisse être utilisée pour faire examiner un projet de loi à un collectif de citoyens, sur des sujets qui le justifient ? Cela pourrait-il renforcer la pertinence et la qualité du débat législatif, sachant que les élus semblent parfois légiférer sans avoir réalisé toutes les études nécessaires au préalable ?
M. Bernard Manin. Je le conçois parfaitement. C’est d’ailleurs ce qu’a fait le Parlement irlandais en nommant cette Convention constitutionnelle. Seule précaution à prendre, et sur laquelle il ne faut pas transiger : l’avis émis par ce comité formé de citoyens ordinaires doit rester consultatif. La décision doit rester entre les mains du Parlement, pour la raison essentielle que ces personnes sélectionnées par tirage au sort n’ont pas à répondre de leurs actes. Le principe selon lequel celui qui est habilité à décider doit aussi porter la responsabilité de ses décisions ne peut être garanti que par l’élection. En revanche, on peut utiliser le tirage au sort comme mécanisme complémentaire, nourrissant le débat parlementaire, quitte à contraindre le Parlement à répondre à l’avis émis par ce comité, en particulier s’il ne le suit pas. Un tel système présente l’avantage de permettre la réintroduction des citoyens ordinaires dans le débat, de façon manifeste, palpable, voire symbolique, sachant que la politique est aussi faite de symboles.
D’autre part, il est possible que les électeurs veuillent de la similarité, mais cela ne signifie pas qu’il faille céder à cette demande, car, à s’engager dans cette voie, on risque d’adopter des solutions de court terme présentant des coûts considérables à moyen-long terme. Nous cherchons des mécanismes alternatifs qui inspirent confiance et estime envers le personnel politique sans nécessiter le recours, sauf cas exceptionnel, à des quotas, ces derniers revenant finalement à décomposer la représentation. On peut d’ailleurs constater dans les pays où ils sont utilisés l’inflammation des conflits distributifs entre les différentes catégories de population ainsi consacrées.
M. Alain-Gérard Slama. Je vous remercie, Bernard Manin, d’être venu à mon secours : j’ai souvenir d’avoir été mis en difficulté la semaine dernière sur ce sujet...
Ne croyez pas le moins du monde que je cherche à vous critiquer si j’affirme que votre approche est extraordinairement française. J’y ai reconnu Descartes – « ne jamais recevoir aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle ». J’y ai reconnu Montaigne – non pas le Montaigne « Guelfe aux Gibelins et Gibelin aux Guelfes », mais le Montaigne divers et ondoyant, le Montaigne des appartenances multiples, qui fut à cet égard l’un des fondateurs de notre laïcité. J’y ai reconnu Rousseau – non celui qui affirme que la souveraineté est inaliénable, mais celui qui, comme Voltaire en l’occurrence, considérait que, dans une société divisée en groupes d’appartenance, c’est malheureusement le groupe le mieux organisé – et souvent le plus convaincu, donc parfois le plus extrême – qui l’emporte sur les autres. J’ai eu la joie d’y reconnaître le raisonnement fondamentalement laïque de la séparation des ordres, de la distinction entre espace public et espace privé et de la spécificité du politique.
J’ai ainsi eu plaisir à vous entendre dire qu’une représentation miroir peut, le cas échéant, en cas d’idées claires et distinctes, être admise à titre exceptionnel mais que l’on ne peut en faire un principe sans risquer d’entendre les revendications catégorielles que vous avez eu à subir lors de ce tour de table. D’où la gymnastique très habile à laquelle vous vous êtes livré en expliquant qu’il fallait éviter de recourir à des quotas et en présentant l’idée de « conditions normatives durables ». Lors du débat sur la parité, j’avais été très sensible au fait que, pour de nombreux mouvements féministes, il n’était pas question d’imposer des quotas ni de pratiquer la discrimination positive car il y a deux sexes. Mais si nous débattons de la question des quotas, n’est-ce pas parce qu’il existe en Europe des modèles différents – anglo-saxon et scandinave, notamment ? Comment vos étudiants américains reçoivent-ils votre discours ? Le trouvent-ils « terriblement français », ou bien celui-ci peut-il avoir un caractère de généralité suffisant pour constituer la base scientifique d’une réflexion ?
M. Bernard Manin. Il est notable que, si les États-Unis ont inventé la discrimination positive ou affirmative action, ils ne l’ont pas étendue à la sphère politique. Il me semble même qu’il n’en a jamais été question, car le problème de la représentativité y est traité par le biais du redécoupage des circonscriptions : ce sont les juges de la Cour suprême qui déterminent si les circonscriptions proposées par les parlementaires contreviennent ou pas au principe d’égalité. Alors que la France a une propension à s’emparer d’idées et à les rigidifier, les États-Unis sont plus souples en la matière et n’admettent en aucun cas le principe selon lequel la représentation serait un reflet des catégories sociales.
Sans doute mon discours est-il proprement français mais il m’a semblé que c’était vous qui aviez choisi ce thème de discussion. Que cet objet vous préoccupe doit bien avoir une signification…
M. Ferdinand Mélin-Soucramanien. Partageant les vues de mon collègue quant à l’universalité du suffrage, je serai très bref. Je poserai une question simple, sur laquelle nous sommes revenus à plusieurs reprises au sein de cette commission, et sur laquelle nous avons avancé, même si nous ne sommes pas tous d’accord : quelle est votre position précise sur la limitation du cumul des mandats dans le temps ? Les avancées en ce domaine, notables en Europe, restent timides en France où cette limitation ne vaut que pour le Président de la République. L’article 6 de la Constitution dispose en effet que « nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». Une réforme constitutionnelle très simple consisterait à déplacer ce membre de phrase à son article 3 afin de l’étendre à tous les mandats. Ne serait-ce pas un procédé naturel qui permettrait un renouvellement et une diversification de la classe politique française, nationale et locale, tout en préservant l’universalité du suffrage ?
M. Bernard Manin. La limitation du nombre de mandats dans le temps prive le système électif d’une de ses propriétés les plus attractives et les plus incitatives : la capacité, pour les élus, de se figurer ce qu’il leur arrivera lorsqu’ils se présenteront à nouveau devant les électeurs. Ce principe ne doit donc pas être retenu, à quelques exceptions près. La présidence de la République est une position exceptionnelle qui concentre tellement de pouvoirs que la renouveler plus de deux fois revient à établir un système qu’il est ensuite très difficile d’éliminer. En revanche, pour des responsabilités parlementaires nationales, il convient de ne pas supprimer la perspective, très importante dans le fonctionnement du système représentatif, de devoir rendre des comptes devant les électeurs et d’être sanctionné le cas échéant. On peut très bien, il est vrai, adopter une mesure de compromis en limitant à cinq ou à six, par exemple, le nombre de mandats successifs, ce qui permet de conserver cette perspective. Mais une démocratie a besoin d’entités durables dans le temps qui puissent être sanctionnées. Que nous assistions à une érosion des identités partisanes ne signifie pas qu’il faille renforcer ce mouvement spontané. Enfin, si une instance ayant gouverné se dissout au terme de son mandat, non seulement elle ne sera pas incitée à se conduire de manière responsable mais elle ne pourra pas non plus faire l’apprentissage de la modération.
Mme Mireille Imbert-Quaretta. Vous avez affirmé qu’il était difficile de retenir des critères de choix catégoriels, dans la mesure où les électeurs appartenaient à plusieurs catégories à la fois. Mais les femmes ne constituent pas selon moi une catégorie – point sur lequel je ne suis pas en opposition avec M. Slama. Et il me semble qu’en utilisant le tirage au sort, système de l’aléa, on devrait en principe parvenir à une parité absolue. En faisant en sorte que le personnel politique représente à peu près à parité le genre humain, ne parviendra-t-on pas à faire apparaître les catégories socioprofessionnelles qui ne sont pas représentées aujourd’hui, sachant que les femmes sont davantage victimes d’inégalités que les hommes ?
D’autre part, lorsque vous soulignez la nécessité de s’interroger quant à l’efficacité à long terme de la représentativité, entendez-vous par efficacité la similitude entre les citoyens et leurs représentants et l’adhésion des premiers aux seconds ? Ne conviendrait-il pas plutôt de faire en sorte que les représentants soient efficaces pour transformer la société ?
Vous avez indiqué que d’autres facteurs, tels que la répartition des tâches ménagères, limitaient la représentation des femmes et rappelé les mesures adoptées dans les pays du Nord pour parvenir à une représentation équilibrée. Mais est-ce parce que ces dispositifs existent que les femmes sont plus représentées ou, à l’inverse, parce que de nombreuses femmes sont représentées que ces dispositifs existent ? Le président Bartolone nous a en effet expliqué l’autre jour que si, en Suède, ni les hommes ni les femmes politiques ne travaillaient en fin de journée ou de semaine, c’était parce que les premiers comme les secondes devaient contribuer à l’éducation des enfants et aux tâches ménagères. Il me semble donc que le plus opératoire serait d’assurer une représentation égalitaire des hommes et des femmes.
M. Bernard Manin. C’est de l’efficacité des dispositifs correcteurs dont je voulais parler : il revient, selon moi à ceux qui proposent ces dispositifs d’apporter des preuves solides que ces derniers auront l’effet attendu et non pas une portée purement symbolique et spectaculaire. Quant aux inégalités, elles subsistent non seulement en politique mais également dans les domaines du salaire et du partage des tâches domestiques et d’éducation – la situation s’étant même dégradée depuis vingt ans sur le dernier point. Je ne sais comment y remédier mais le phénomène reste très vif.
M. le président Claude Bartolone. En préambule, je prie M. Manin et l’ensemble des membres de ce groupe de travail d’accepter mes excuses pour mon retard.
Notre objectif étant de renforcer notre système représentatif et notre démocratie, j’entends bien les différences que vous établissez entre les divers types de représentants élus et je souscris à la réponse que vous avez adressée à Ferdinand Mélin-Soucramanien s’agissant du cumul des mandats dans le temps : non seulement les élus doivent pouvoir être sanctionnés, mais il en va aussi du bon équilibre entre ces élus et la haute fonction publique, car, à un moment donné, le curseur du pouvoir bascule de ceux qui sont jugés comme étant « de passage » vers ceux qui assureraient la continuité du fonctionnement de l’État.
Quant à votre théorie du tirage au sort, elle me paraît soit trop forte, soit insuffisante. Insuffisante dès lors que l’on veut réellement associer les citoyens à la prise de décision : les techniques de communication modernes permettent aujourd’hui d’augmenter sensiblement le nombre de personnes consultées au point que nos amis espagnols de Podemos ont pu organiser un débat en ligne avec 15 000 personnes afin de définir leur programme. Trop forte, en revanche, compte tenu des rapports de force antagonistes qui existent dans une société : si l’on devait recourir à un moment donné au tirage au sort, qu’adviendrait-il des organisations syndicales et des associations, et donc de la nécessité, dans une démocratie, de se rassembler pour soutenir une préoccupation ? L’absolue nécessité d’assurer l’égalité entre les hommes et les femmes, notamment à l’Assemblée nationale, serait remise en cause même si, statistiquement, le tirage au sort devrait pouvoir nous conduire à une représentation paritaire. Juger par le sort et, non par la volonté d’hommes et de femmes de faire triompher une préoccupation commune, ne conduirait-il pas à déresponsabiliser l’ensemble des décideurs politiques, associatifs et syndicaux ?
M. Bernard Manin. Je ne prétends pas que l’idée d’utiliser le tirage au sort dans le cadre de consultations soit exclusive d’autres mécanismes. L’utilisation d’Internet et des médias sociaux offre également des possibilités. Cela dit, le tirage au sort présente tout de même un avantage dans les débats qui sont organisés sur ces mini-forums en ligne, car les communications sur Internet, cela a été démontré, se font essentiellement par affinités. Dans la mesure où l’on choisit son espace de discussion, on y rencontre d’abord des personnes dont on partage le point de vue, ce qui est plus agréable… En revanche, les dispositifs de concertation et de délibération dont je parlais tout à l’heure sont soigneusement organisés de manière telle que les personnes désignées, qui ne se connaissent pas et qui ne sont donc pas sélectionnées en fonction de la similarité de leurs opinions, se voient remettre, avant de commencer à discuter entre elles, un matériel présentant des points de vue opposés – dont ils ne prendraient pas connaissance s’ils restaient dans le cercle de discussion qu’ils ont choisi.
Il est vrai que le tirage au sort ne reflète pas les rapports de force présents dans la société mais il est utilisé pour sélectionner les membres des forums de discussion afin qu’une fois formés, ces membres débattent entre eux et produisent un avis. Ce sont le raisonnement et l’argumentation, et non la présence de personnes en situation inégalitaire, qui sont ici privilégiés en ce qu’ils permettent la prise en compte des inégalités de pouvoir. On peut être sensible à des hiérarchies et à des phénomènes de domination sans que soient présents dans le lieu même de la délibération des dominants et des dominés.
Mme Christine Lazerges. Pour en revenir au cumul des mandats dans le temps, doit-on considérer les fonctions électives comme un métier ou plutôt comme une mission ? Ne serait-il pas judicieux de faire en sorte que tout élu exerce un métier parallèlement à l’exercice de son mandat ? Il est vrai que deux mandats, c’est peu. Mais sept ou huit mandats comme Jacques Chaban-Delmas à Bordeaux, c’est peut-être trop. En combinant le cumul des mandats dans l’espace avec la décentralisation, on recrée de nouvelles féodalités locales. Pour juguler ce phénomène, il semble nécessaire de conjuguer la limitation du cumul des mandats dans l’espace avec une limitation dans le temps de l’exercice d’un même mandat. Cela n’empêchera nullement un député ayant atteint la limite de cumul de son mandat de devenir maire par la suite. Et cela conduira naturellement à plus de représentativité ou de diversité dans les assemblées élues.
M. Bernard Manin. Ce n’est pas certain. Il est sans doute ennuyeux que des élus restent en place pendant des décennies, voire pendant une durée équivalant à la moitié de notre espérance de vie, et l’on peut effectivement définir des règles de cumul dans le temps différentes selon les élections. Mais l’objectif de simple renouvellement du corps des élus n’est pas prioritaire : il doit pour le moins être combiné avec l’impératif, opposé, de la responsabilité. Songeons à une situation simple, que l’Italie connaît peut-être : si un groupe de personnes gouverne pendant un temps donné tout en sachant que plus aucune d’entre elles ne sera présente lors du mandat suivant ou qu’une autre coalition la remplacera, la démocratie sera atteinte en son cœur. Les élus doivent savoir qu’ils auront à répondre dans le futur de ce qu’ils font présentement. Le renouvellement des élus est certes désirable mais seulement dans une certaine mesure. Il est d’ailleurs illusoire de penser que les gens sont particulièrement avides d’occuper des fonctions électives alors que tant de gens tirés au sort refusent de participer aux dispositifs de concertation dont j’ai parlé. En Toscane, grand laboratoire européen de ces politiques, qui utilise ces dispositifs depuis une quinzaine d’années, 90 % des personnes tirées au sort refusent de participer aux débats qui sont organisés. Aujourd’hui, les formes de mobilisation sont ponctuelles, temporaires et intermittentes.
Mme Seybah Dagoma. L’exemple des États-Unis me paraît fort intéressant. Ce pays a été capable d’élire à sa tête un homme noir, ou plutôt métis, et je me souviens de l’engouement et de l’espérance que suscita son élection, incarnation même du rêve américain. Et voilà qu’aujourd’hui, le parti démocrate présente comme candidat tout à fait sérieux une femme, Hillary Clinton, qui pourrait très bien devenir présidente des États-Unis. Vous dites que, bien que ce pays ait inventé l’affirmative action, il n’a jamais été question de l’y appliquer en matière politique, les Américains veillant plutôt à vérifier si le découpage des circonscriptions contrevient ou non au principe d’égalité. Au regard de quels critères parvient-on à le mesurer ? Comment ce pays a-t-il pu aboutir au résultat que je viens de mentionner, au moment même où les citoyens français considèrent leurs représentants comme déconnectés d’eux ?
M. Bernard Manin. La Cour suprême a mis au point dans une jurisprudence détaillée une série de critères de régulation du découpage électoral afin d’éviter le gerrymandering, c’est-à-dire la manipulation des circonscriptions, tout en veillant à ce qu’il y ait des majorités possibles dans des zones de population à prédominance noire. Malheureusement, c’est assez sophistiqué et je ne saurais vous dire précisément comment elle procède.
Mme Marie-Anne Cohendet. Il est vrai que l’abstention varie en fonction de l’intérêt de la question posée, mais l’on n’en assiste pas moins, dans la plupart des pays, à un phénomène d’érosion des votes – ce fut particulièrement le cas en France ces dernières années, à la plupart des élections. Si nous nous posons ce type de questions, c’est que nous sommes tous très inquiets devant le discrédit profond de la classe politique et son rejet par les citoyens.
Quant au choix des catégories à représenter, des techniques ont été mises au point dans l’exercice de la démocratie participative pour faire émerger des catégories importantes de la population. Nous devrions donc pouvoir y arriver en dehors de ce cadre. Je vous accorde que l’on ne pourra obtenir un Parlement miroir mais entre le miroir et le gouffre, peut-être pourrions-nous trouver un intermédiaire raisonnable. Nous nous accordons aussi sur les dangers d’une extrême division de la représentation, d’autant que nous avons, à ce sujet, évoqué l’Inde l’autre jour.
Vous affirmez que les catégories diverses ne représenteraient qu’elles-mêmes : pourquoi serait-ce davantage le cas de catégories populaires que des vieux mâles blancs bourgeois qui siègent majoritairement dans nos assemblées ? Les parlementaires actuels sont censés représenter tout le peuple, mais l’expérience prouve qu’ils ne le représentent guère car, malgré toute la bonne volonté du monde, il est des problèmes dont ils n’ont pas conscience. On a d’ailleurs constaté que la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de protection des chômeurs s’était infléchie : longtemps, les membres de la Cour, plutôt préservés du risque de perdre leur emploi, n’ont guère été bienveillants vis-à-vis des chômeurs – jusqu’au jour où leurs propres enfants ont été au chômage… Des études sociologiques menées dans tous les domaines ont montré que le fait d’être confronté à certaines difficultés sociales conduisait à aborder les problèmes différemment. Que des catégories telles que les ouvriers ou les personnes issues de l’immigration soient en plus grand nombre dans nos assemblées n’aura pas pour effet qu’elles ne représenteront qu’elles-mêmes : elles auront toutes une vision de l’intérêt général. Lorsque l’on participe à des débats de démocratie participative, on s’aperçoit en pratique que les personnes consultées, quel que soit leur âge et leur catégorie sociale, loin de ne s’intéresser qu’à elles-mêmes, ont une telle vision. Mais je suis convaincue que celle-ci est tout autre chez les personnes qui ont un parcours sociologique radicalement différent, même lorsqu’elles ont reçu la formation dont vous avez parlé.
La diversité sociologique des représentants me semble donc très importante, tant du point de vue du contenu des décisions prises – les lois en faveur des femmes s’étant développées avec la parité – que de celui de l’image. Car je suis tout à fait d’accord avec vous quant à l’importance de la dimension symbolique. Pour apprécier l’indépendance de la justice, la Cour européenne des droits de l’homme ne se soucie pas seulement de savoir si un juge est réellement indépendant : elle vérifie aussi s’il donne une image d’indépendance. De même, ce qui nous importe, ce n’est pas seulement que les membres des assemblées se soucient réellement de représenter tout le monde ; il faut aussi que notre classe politique donne une image d’ouverture à la société et de réelle représentation de tous ses membres.
S’agissant du cumul des mandats, je vous accorde que la responsabilité des élus est cruciale en démocratie. Mais elle peut très bien être mise en cause si les élus ont la possibilité d’exercer d’autres mandats électifs par la suite, les partis politiques jouant alors un rôle majeur. On peut donc très bien préserver une forme de responsabilité tout en limitant le cumul d’un même mandat dans le temps.
Et, puisque vous avez parlé de la formation à la démocratie participative, ne pourrait-on également réfléchir à la formation des élus ?
Parmi les solutions juridiques envisageables, outre la limitation du cumul des mandats dans le temps, on pourrait également opter pour un scrutin de liste, ce qui favoriserait la diversité. En ce qui concerne la composition des assemblées, étant donné vos réticences importantes à l’instauration de quotas, ne pourrait-on envisager le tirage au sort d’un tiers des sénateurs ? Cela permettrait d’avoir une démocratie participative pendant un mandat. Une autre solution consisterait à recourir plus régulièrement à des mécanismes de démocratie participative au niveau national pour consulter, sur certains projets de loi, un groupe de citoyens. Ne pourrait-on enfin favoriser d’autres lieux de démocratie – sachant que certains outils, comme les blogs, existent déjà ? Bref, quelle liste de remèdes nous conseillez-vous concrètement pour faire en sorte que notre démocratie représentative soit entre le miroir et le gouffre ?
M. Bernard Manin. Je n’ai pas établi de liste de préconisations. Je me suis attardé sur les mécanismes délibératifs que je connais, sans avoir la prétention d’être exclusif d’autres visions ni de vous proposer la panacée. Quant aux quotas et aux dispositifs contraignants, ils ne doivent être utilisés qu’en dernier recours et non comme seuls instruments d’une juste représentation.
Introduire le tirage au sort pour désigner des membres d’assemblées décisionnelles me paraîtrait contrevenir au principe de responsabilité que j’ai énoncé tout à l’heure. Il est vrai que le Sénat n’est que la seconde chambre et que ses décisions ont une portée limitée puisque l’Assemblée nationale a le dernier mot. Mais c’est, malgré tout, une assemblée qui tranche. Il ne me paraît donc pas acceptable de désigner des sénateurs par tirage au sort.
Les dispositifs délibératifs et consultatifs présentent l’intérêt d’être perçus comme des « représentants citoyens », des porte-parole des citoyens ordinaires. Ils ne relèvent pas de la logique participative en vertu de laquelle ceux qui veulent participer viennent, logique qui a l’inconvénient de favoriser la sélection de personnes spécialement motivées présentant certaines caractéristiques. Les dispositifs délibératifs n’ont pas pour objet de favoriser la participation mais de renforcer la légitimité des décideurs.
Mme Cécile Duflot. Quand bien même l’on irait au bout d’une représentativité réelle et perçue comme telle, notre débat restera vain si nous ne le relions pas à celui que nous avons eu la semaine dernière ainsi qu’à la question du rôle de l’Assemblée nationale par rapport au Gouvernement, à moins que l’on ne s’interroge sur la représentativité de ce dernier.
Je reconnais avoir évolué sur la question de la limitation du cumul des mandats dans le temps, notamment après avoir entendu le président Bartolone évoquer la semaine dernière le primat des techniciens. Il n’est pas vrai que l’on cherche des gens pour occuper des fonctions représentatives : la minorité de gens qui a du goût pour ces fonctions en a également pour les garder longtemps ! En conséquence, ce qui était une fonction devient, dans les faits, un statut, et pour nombre de responsables politiques la reconversion est très difficile et taboue, d’autant que, la plupart du temps, elle ne s’effectue pas au terme naturel d’un mandat mais à l’issue d’une défaite, avec ce que cela représente sur le plan personnel, dans un contexte d’impensé collectif total.
Je suis également en désaccord avec Mme Lazerges sur cette question du cumul dans le temps et quant à la définition du « métier », terme polysémique qui désigne notamment le savoir-faire et l’habileté à exercer une fonction. La responsabilité politique nécessite un savoir-faire très particulier pour lequel il n’existe aucune formation – ce qui est d’ailleurs assez heureux. Pourtant, je ne crois pas qu’un mandat d’élu puisse aujourd’hui donner lieu à validation des acquis de l’expérience. Quelqu’un qui a été maire-adjoint chargé des questions associatives pendant deux ou trois mandats dans une commune de 50 000 habitants y a notamment appris à gérer les questions relationnelles, à exercer, donc, des tâches techniquement et humainement complexes, mais qui ne sont valorisées nulle part. La reconversion des élus me paraît donc un enjeu majeur, de même que la nécessité de lever le tabou entourant ce moment douloureux qu’est une défaite électorale.
Quant à la durée de deux mandats, elle peut s’avérer très courte. Je le dis à dessein pour avoir été secrétaire nationale d’un parti très attaché au non-cumul des mandats dans le temps et qui a envisagé d’empêcher le cumul de plus de deux mandats de deux ans à sa direction. Il se trouve que je suis devenue secrétaire nationale après avoir effectué un premier mandat comme membre ordinaire, puis un second comme porte-parole du parti, mais j’ai été une bien meilleure secrétaire nationale au bout de ces deux fois deux ans qu’au tout début. Les acquis de l’expérience existent, y compris dans la pratique de la fonction représentative.
Le danger me semble dépasser la question de la responsabilité car, même lorsque des élus restent très longtemps en place, la responsabilité de nombre de leurs projets pèse en réalité sur les épaules de leurs lointains successeurs : aucun des parlementaires actuels n’aura à assumer ni à subir les conséquences des décisions prises aujourd’hui en matière de transition énergétique et écologique. Pourtant, ce sont les décisions les plus essentielles que nous ayons à prendre en ce début de XXIe siècle.
La bonne raison de s’opposer à la limitation du cumul des mandats dans le temps ne me semble donc pas tenir à l’importance de la responsabilité, mais plutôt à la capacité à ne pas se laisser dominer par les techniciens ni par un « pragmatisme bien compris », qui ferait que le choix politique ne serait plus possible du tout. En limitant le cumul des mandats dans le temps, on viderait de sa substance la fonction de responsable politique en la réduisant à un rôle de communication de décisions prises par des techniciens convaincus que, si la décision que le politique veut prendre est mauvaise, il leur suffit de faire traîner les choses jusqu’à ce qu’il s’en aille. Il est vrai que les élus peuvent connaître un moment d’épuisement au bout d’un certain temps mais ne nous leurrons pas : le maintien en fonction est aussi pour de nombreux élus la certitude d’avoir quelque chose à faire de leur vie et d’avoir une activité rémunératrice. On présente les choses de façon très négative en déplorant qu’ils s’accrochent à leurs avantages. Mais, avec la limitation du cumul et le plafonnement des indemnités, l’avantage financier que procure l’exercice de responsabilités politiques n’est plus du tout le même aujourd’hui que dans les années 1970 et 1980.
Il ne serait pas non plus inutile de faire bénéficier les parlementaires ayant accompli deux mandats de passerelles vers les corps d’inspection de l’administration, afin d’éviter que tous les inspecteurs aient le même profil que les hauts fonctionnaires qu’ils inspectent. Ce sont en effet les élus issus du secteur privé, et non les énarques, qui ont le plus besoin d’une reconversion. Il serait intéressant de mettre du politique dans le contrôle de la haute administration et de garantir la possibilité pour les élus de faire autre chose, au terme de l’exercice de leurs responsabilités. Ce serait aussi une forme de limitation du cumul aujourd’hui contraint pour ceux qui n’ont aucune idée de ce qu’ils pourraient faire à l’issue de de leur mandat. C’est à dessein que je pose cette question taboue, étant issue d’une famille politique très attentive au non cumul et ayant moi-même pratiqué le mandat unique.
Comme je l’ai déjà souligné, j’ai été très choquée qu’au moment de l’affaire Cahuzac, il ait été décidé de limiter à trois mois les indemnités auxquelles avait droit un ministre à l’issue de l’exercice de ses fonctions, comme l’a d’ailleurs subi Pascal Canfin lorsqu’il a quitté le Gouvernement. Encore heureux que la réforme constitutionnelle de 2008 ait permis aux parlementaires de retrouver leur siège après avoir occupé un poste ministériel : la décision de le leur interdire avait été prise par le général de Gaulle pour que ses ministres lui soient des obligés absolus. Bien que cette durée de trois mois soit nettement inférieure à celle des indemnités versées à l’issue d’une activité salariée, cette décision n’a choqué personne car, pour l’immense majorité des personnes concernées, les représentants de notre pays ne seront jamais confrontés ni au chômage – puisque, pour l’essentiel, ils exercent des professions libérales ou sont fonctionnaires – ni à l’aléatoire. On m’objectera à raison que la reconversion d’un ministre est plus facile que celle de la plupart des gens. Mais cela atteste de cet impensé que j’évoquais à l’égard de l’après-mandat et des conséquences d’une défaite électorale pour les individus concernés.
Mme Virginie Tournay. Merci, monsieur Manin, pour cette intervention tout à fait passionnante : vous montrez à quel point notre perception du rapport entre représentant et représenté mérite analyse. Le lien que nous établissons entre représentation et démocratie n’a rien d’évident ni de naturel. Je rejoins Denis Baranger qui oppose bien le statisme de la représentation à la dimension processuelle de la démocratie : ce lien est le produit de notre histoire. On ne peut donc pas fonder la représentation politique dans un rapport d’homologie avec la représentation sociale : il faut utiliser les quotas avec parcimonie ; ils doivent demeurer un régime d’exception.
Notre groupe de travail a reçu la mission de proposer des diagnostics sur la crise de nos institutions, mais aussi de faire des propositions.
Aujourd’hui, que serait pour vous une représentation politique de qualité ? Comment, par quels indicateurs les décideurs politiques pourraient-ils juger de la qualité de la représentation ? Je vous pose là une question qui appelle une réponse aussi analytique que normative, j’en ai bien conscience. Mais vous montrez que notre système de représentation, combinant éléments démocratiques et non démocratiques, est paradoxal, et que les valeurs démocratiques que nous attribuons spontanément au système de représentation varient au cours de l’histoire : comment penser la qualité de notre représentation si les valeurs que nous lui attribuons fluctuent au cours du temps ? En tout cas, il paraît impossible de se fonder sur l’arbitraire des catégories sociales. Je me reconnais pleinement dans cette analyse à première vue déconcertante, mais comment alors penser l’objectivité de notre travail et la scientificité de notre réflexion ?
Je voudrais également vous demander, de façon quelque peu provocatrice, s’il faut réellement partir d’une discussion des techniques de représentation pour répondre aux problèmes de la crise de la représentation politique. Je rejoins là les propos déjà tenus sur l’œuf et la poule : pour améliorer la confiance que portent les citoyens à leurs institutions, ne faut-il pas plutôt essayer d’agir sur des mentalités et les pratiques sociales – à commencer par le partage des tâches domestiques ? La réponse à ce problème de philosophie normative ne sera pas donnée par les seuls outils du droit positif, par la seule ingénierie institutionnelle de la représentation.
Est-il possible d’envisager que la désaffection des citoyens vis-à-vis de leurs représentants soit liée au fait qu’ils n’adhèrent plus à l’idée de peuple souverain ? C’est une simple hypothèse, mais si elle devait se vérifier, alors nous aurions beau essayer de faire coïncider la sociologie de nos représentants avec la composition de la société, nous n’arriverions à rien. Si nous ne partageons plus le même imaginaire national, si aucune idée partagée ne fonde plus la communauté nationale, comment les gouvernés consentiraient-ils à accorder de la légitimité au pouvoir des gouvernants ? Un sondage du Centre de recherches politiques de Sciences Po réalisé juste après les attentats du mois de janvier montre bien que nous assistons à un fort repli identitaire, sans toutefois que les sondés ne considèrent comme mauvais notre régime démocratique. Les Français estiment, à l’instar de Churchill, que la démocratie est le pire des régimes à l’exception de tous les autres ; 91 % des Français plébiscitent ce régime, mais quatre sur dix seulement déclarent qu’il fonctionne bien. Mais cette critique ne vient pas du fait que la représentation des assemblées ne serait pas semblable à celle de la société ; elle naît du fait que les Français ne se reconnaissent pas dans l’action menée par leurs mandants, avec qui ils ne ressentent pas de proximité, ce qui est assez différent.
C’est d’abord aux petites et moyennes entreprises que les Français accordent leur confiance ; viennent ensuite les hôpitaux et la police. En revanche, les responsables politiques, sociaux et médiatiques sont plutôt désavoués, ce qui revient à dire que la défiance est plutôt le résultat d’un manque de proximité entre élus et représentés. Cela nous renvoie au problème de l’accountability : les citoyens souhaiteraient que les élus leur rendent des comptes, et s’assurent de la mise en œuvre et de l’effectivité des politiques publiques – quelque chose de très différent d’une recherche d’homologie entre représentation politique et représentation sociale.
Comment l’action publique, qu’elle soit purement symbolique ou incarnée dans des pratiques concrètes, pourrait-elle travailler les représentations qu’ont les citoyens de leurs élus ? Je pense notamment au rôle des institutions de mémoire, aux musées, aux politiques culturelles : n’ont-ils pas un rôle à jouer pour faire reculer la défiance vis-à-vis des gouvernants ? Ainsi, faire entrer Olympe de Gouges au Panthéon permettrait de faire mieux reconnaître le combat des femmes. Si l’on trouvait du travail à nos cinq millions de chômeurs, peut-être éprouveraient-ils aussi une plus grande confiance envers notre système de représentation politique. Il ne me paraît pas possible de réfléchir à la question de la représentativité politique en mobilisant seulement l’ingénierie institutionnelle : pour résorber la distance entre gouvernants et gouvernés, il faut également prendre en compte l’action sociale et les politiques publiques.
J’ai cru comprendre qu’à votre sens, nous ne traversions pas une crise de la représentation. Si l’on distinguait néanmoins des éléments de crise, où se situerait le nœud du problème – dans nos institutions, dans l’exercice du métier politique, dans une perception différente par les citoyens des compétences de l’État ? D’après vous, la crise et la défiance accompagnent nécessairement le système représentatif, système paradoxal qui contient des éléments non démocratiques : est-ce que certains de ces éléments, qui ne seraient pas consubstantiels à ce système mais le résultat de notre histoire et du fonctionnement de nos institutions, pourraient néanmoins être éliminés ?
M. Bernard Manin. Non, en effet, je ne crois pas que nous vivions aujourd’hui une crise de la représentation. Je l’ai écrit, et je n’ai pas changé d’avis sur ce point : ce système est en crise depuis qu’il existe, et sa capacité à s’adapter aux circonstances ne me paraît pas particulièrement remise en cause aujourd’hui. « Aujourd’hui, l’opposé de la représentation, ce n’est pas la participation directe, c’est l’exclusion » : cette formule, que j’emprunte au politiste David Plotke, témoigne de l’ascension de la représentation dans notre système de valeurs ; elle décrit un état important de l’idéal de représentation.
En revanche, on peut à juste titre s’inquiéter de la très mauvaise opinion qu’ont les citoyens du personnel politique.
S’agissant enfin de la notion de responsabilité, le fait d’utiliser le terme anglais d’accountability ne change pas grand-chose : être responsable, c’est s’expliquer, se justifier. Cette activité, j’en suis bien d’accord, est essentielle à la démocratie, comme à la perception de la légitimité. Il faudrait arriver à la combiner avec un certain renouvellement.
Madame Duflot, la similarité sociologique, c’est finalement ce sur quoi nous nous rabattons en espérant produire une amélioration. Je suggère, compte tenu des risques et des défauts de cette opération, que nous fassions preuve de plus d’imagination : il faut trouver d’autres moyens de produire de la légitimité, du crédit, de la confiance.
Sur la continuité du métier, de la carrière, je vous rejoins : c’est un point crucial. Il est tout à fait désirable que les élus connaissent leur métier, et j’ajoute que la qualité du renouvellement dépend de la continuité : ce sont les anciens qui apprennent aux nouveaux comment fonctionne une assemblée, qui les socialisent et leur permettent de gravir des échelons. C’est comme cela que l’on apprend le métier, une fois élu ! La continuité est donc essentielle pour de multiples raisons.
Les décisions les plus importantes n’auront d’effet que dans des décennies, dites-vous. Bien sûr. Et l’un des problèmes de la démocratie, c’est la myopie structurelle des élus, qui ont une propension naturelle à se focaliser sur le court terme. C’est pourquoi nous avons besoin d’instances durables : il y a d’autres agents que les personnes particulières – qui ont, par nature, la tentation de se désintéresser des conséquences lointaines de leurs décisions. « Advienne que pourra », voilà une attitude tout à fait indésirable. Il faut donc faire tout ce qui est possible pour favoriser la constitution de partis politiques sur la très longue durée, sur des décennies : c’est le seul outil dont nous disposions qui favorise la responsabilité pour l’avenir.
M. le président Michel Winock. Merci infiniment pour cette intervention.
Le groupe de travail entend ensuite M. Pascal Jan, sur le thème du bicamérisme.
M. le président Claude Bartolone. Monsieur Pascal Jan, vous avez publié en 2006 dans la Revue parlementaire un article intitulé « Le Sénat à la croisée des chemins ». Nous continuerons avec vous à traiter du bicamérisme, thème que nous avons déjà abordé avec M. Jean-Noël Jeanneney.
M. Pascal Jan. Messieurs les présidents, mesdames, messieurs, la question du bicamérisme est lancinante depuis 1789 : elle revient à chaque changement de régime, à chaque révision constitutionnelle. Des colloques sont organisés, des réflexions menées.
M. Jean-Noël Jeanneney a retracé devant vous l’histoire du bicamérisme, et je n’y reviendrai que brièvement avant de formuler ma propre position.
Le bicamérisme est une tradition française, puisque seules trois de nos constitutions l’ont écarté. Mais les contours de la seconde chambre ont beaucoup varié : sous le Directoire, les deux chambres étaient presque des clones ; il y a eu plus tard des chambres aristocratiques. Depuis 1875, le Sénat représente les collectivités territoriales, même si les sénateurs n’ont pris conscience de ce fait qu’à partir du milieu des années 1950. Ils ont alors construit, sur cette base, une légitimité particulière. N’oublions pas que la première Constitution rédigée en 1946 ne prévoyait pas de Sénat ; dans l’histoire constitutionnelle, deux référendums ont porté sur le bicamérisme – il est vrai qu’ils ont échoué tous les deux. Les sénateurs ont donc le souci de se légitimer.
En Europe, une majorité d’États ne connaissent pas le bicamérisme : l’Union européenne ne compte que treize systèmes bicaméraux pour vingt-huit États. Il faut noter que la question du bicamérisme ne peut pas être pensée sans s’interroger plus globalement sur le modèle d’État que l’on met en place : un État fédéral suppose un bicamérisme, de même qu’un État unitaire régionalisé – je laisse ici à part la question du Sénat italien, qui est très particulière. Dans les États unitaires décentralisés, tel que le nôtre aujourd’hui, la seconde chambre trouve également sa justification.
La carte des systèmes bicaméraux fait apparaître que toutes les secondes chambres représentent les territoires : la représentation de catégories de personnes est exceptionnelle. Je n’évoque pas la Chambre des Lords britannique, mais je pourrais donner l’exemple de l’Irlande, dont la Chambre haute comporte des représentants des syndicats d’employeurs et de salariés, ainsi que des universités, ou de la Slovénie. Ces États demeurent néanmoins des exceptions.
Je note enfin que, depuis 1789, toutes les prises de position contre le bicamérisme mettent en avant le peuple souverain, un et indivisible.
Faut-il à l’avenir conserver le bicamérisme en France ? Oui, évidemment. Faut-il le repenser ? Oui, assurément. Chacun a un avis sur le Sénat, et son avenir est – comme vous avez vous-même pu le mesurer, monsieur le président Bartolone – une question fort délicate. La palette des possibilités de réforme est extrêmement large : changement du mode de scrutin, chambre des territoires, fusion avec le Conseil économique, social et environnemental (CESE)… Mais méfions-nous : il est toujours plus facile de compliquer que de simplifier ; or c’est bien vers plus de simplicité qu’il conviendrait d’aller.
Il faut, à mon sens, conserver un bicamérisme. On constate aujourd’hui que le Sénat participe activement, et plutôt positivement, à l’élaboration de la loi. On attribue traditionnellement à la seconde chambre certaines qualités – modération, expérience… Elle saurait prendre le temps de mener une réflexion approfondie et, le fait majoritaire ayant aussi moins de force au Palais du Luxembourg, les sénateurs pourraient se permettre d’agir en sages. Toutes ces qualités sont reconnues dans les débats politiques, notamment constituants, et certainement incontestables. Le Sénat est une chambre de compromis, où les clivages sont moins marqués qu’à l’Assemblée nationale ; il donne de la loi une lecture moins passionnée, mais pas moins intéressante.
On dit souvent que le bicamérisme de la Cinquième République est inégalitaire. Je ne comprends pas bien cette appréciation, en tout cas pour ce qui concerne la législation ordinaire : depuis 1959, 11,4 % des textes seulement ont été adoptés en dernière lecture par l’Assemblée nationale, ce qui signifie que dans presque 90 % des cas, les deux chambres sont arrivées à un accord. L’apport sénatorial est réellement important : lorsque les deux chambres ont la même couleur politique, le taux de reprise par les députés des amendements votés au Sénat dépasse 90 %, pour atteindre 95 %, voire 96 %, certaines années. Bien sûr, en période de divergence politique entre les deux chambres, les commissions mixtes paritaires concluent moins d’accords, les dernières lectures sont plus nombreuses ; mais le taux de reprise des amendements atteint tout de même 50 % – et il ne s’agit pas uniquement d’arguties rédactionnelles. On peut donc parler de bicamérisme quasiment égalitaire : les deux chambres sont à peu près égales, et le Sénat participe activement à l’écriture de la loi.
On peut aussi considérer, inversement, que, ce faisant, il renforce encore l’inflation législative – qui ne concerne pas tant, en réalité, le nombre de textes votés, qui n’a pas énormément changé, hors conventions internationales, que leur longueur. L’existence d’une seconde chambre, de ce point de vue, constitue un problème ; mais, sans seconde chambre, il faudrait de toute façon modifier le déroulement de la procédure législative, et l’on peut craindre que le résultat final ne soit pas très différent.
Je note aussi que le Sénat fait son travail de législateur dans la mesure où le Gouvernement lui en donne les moyens, mais cette observation vaut tout autant pour l’Assemblée : le Parlement est souvent dépossédé de ses prérogatives, tant par l’usage des ordonnances prévues à l’article 38 de la Constitution, que par celui de la procédure accélérée, de plus en plus souvent utilisée.
Quant au contrôle, la Chambre haute a souvent été plutôt en avance sur cet aspect important du travail parlementaire, et en particulier sur le suivi de l’application des lois.
À mes yeux, le bicamérisme sert donc à recueillir différents points de vue, et par là même, il est positif. Faut-il néanmoins le repenser ? Oui, assurément.
Je commence par souligner que la composition du Sénat est nécessairement liée aux fonctions qui lui sont attribuées.
L’une des orientations possibles est de fusionner – totalement ou partiellement – le Sénat avec le CESE. C’est une idée qui remonte au XIXe siècle. Du point de vue de la souveraineté populaire – notion préférée, longtemps, à la souveraineté nationale, notamment par Sieyès – et de la représentation, elle pose problème ou en tout cas imposerait une large transformation des fonctions de la Chambre haute. Comment, en effet, des sénateurs non élus pourraient-ils participer à l’élaboration de la loi ? Le Sénat deviendrait forcément une assemblée consultative ; ce serait donc une atteinte au bicamérisme conçu comme une modération, comme un équilibre entre deux légitimités. Montesquieu avait pensé l’équilibre de trois « puissances », mais dans une société d’ordres ; dans une société unitaire comme la nôtre, il en va tout autrement – c’est de là que part la pensée de Sieyès.
Le bicamérisme n’a de sens que si la seconde chambre représente des intérêts totalement différents de la première, et non des intérêts concurrents. Le problème que rencontre notre Sénat actuel, c’est qu’aux termes de l’article 24 de la Constitution, il « assure la représentation des collectivités territoriales de la République » mais que, qu’on le veuille ou non, il représente avant tout le peuple, puisqu’il est élu au suffrage universel, certes indirect. On l’oublie trop souvent, parce que les sénateurs eux-mêmes se légitiment en faisant référence aux collectivités territoriales. Mais il élabore la loi au même titre, je m’en suis expliqué, que l’Assemblée nationale. Il participe en particulier, à égalité avec les députés, à la modification du texte constitutionnel.
On peut d’ailleurs s’interroger sur ce point : pourquoi des sénateurs qui représentent les collectivités territoriales auraient-ils quelque chose à dire sur l’exception d’inconstitutionnalité, par exemple ? À quel titre pouvaient-ils, en 1990, s’opposer à cette réforme ? À force de répéter que le Sénat représente les collectivités territoriales, on en oublierait presque qu’il représente aussi le peuple !
Le Sénat pourrait, inversement, être élu au suffrage universel direct. C’est le cas aujourd’hui dans très peu d’États : en Italie, en République tchèque, en Pologne – mais cela pose, dans ces trois pays, des problèmes de légitimité. Un clone constitutionnel ne sert à rien ! Il faut donc que les deux chambres représentent des intérêts très différents.
L’idée d’élire tous les sénateurs au scrutin proportionnel est séduisante, puisque cela permettrait de représenter toutes les forces politiques, mais elle est périlleuse : la seconde chambre finirait par mieux représenter le peuple que la première… C’est un non-sens, sauf à modifier entièrement le scrutin pour la première chambre.
Pour penser le bicamérisme, il faut surtout, je crois, envisager conjointement les deux chambres. Il est inutile de créer des conflits là où il ne devrait pas y en avoir.
Comment réformer le bicamérisme ? Les constitutions sont toujours élaborées par leurs rédacteurs avec un but précis en tête, mais celui-ci n’est jamais atteint, ou alors très rarement… La Constitution, c’est une règle du jeu, mais les acteurs politiques en usent ensuite à leur guise. À mon sens, il est donc nécessaire d’aller vers plus de simplicité, plutôt que de produire une rédaction très complexe, dont les résultats seront presque à coup sûr décevants.
Puisque le Sénat se dit représentant des collectivités territoriales, il pourrait devenir – comme c’est le cas dans beaucoup d’États unitaires décentralisés, ce qu’est le nôtre aujourd’hui – une chambre des territoires, mais seulement des territoires. Il compterait un certain nombre de membres de droit : présidents de conseils régionaux, de conseils départementaux, maires de grandes villes, ainsi que des représentants élus parmi les maires des plus petites communes. Cela implique, j’en suis conscient, de remettre en cause les règles de non-cumul pour les sénateurs. Peu importent, dans le fond, les modalités, mais l’idée est que le Sénat ne compte que des représentants, ès qualités, des collectivités territoriales.
Bien sûr, une telle réforme aurait des conséquences importantes sur les fonctions du Sénat ; y perdant beaucoup, il faudrait qu’il y gagne quelque chose… Je serais par exemple favorable au maintien d’une compétence législative ; on pourrait imaginer que le Sénat puisse continuer de voter des amendements, mais à la majorité qualifiée : il lui reviendrait de faire la preuve que sa proposition est suffisamment forte pour rassembler différentes composantes. S’agissant des réformes constitutionnelles, il perdrait bien sûr le droit d’intervenir sur les réformes générales, mais on pourrait imaginer de lui donner un droit de veto sur tout projet relatif à l’organisation des collectivités territoriales. En tout cas, il faut imaginer un donnant-donnant : sinon, tout cela n’a aucune chance de marcher.
Il y aurait en tout cas une logique à permettre à un Sénat qui représenterait les collectivités territoriales de s’opposer à une réforme qui les viserait. J’irai même plus loin, en proposant un droit de veto sur la législation ordinaire relative aux collectivités territoriales. La question des finances locales est plus complexe, et peut se discuter.
Ce pourrait être, je crois, l’occasion de faire du Sénat une véritable chambre des territoires, en renforçant au passage la présence des régions : aujourd’hui, au Parlement, c’est la logique communale, et surtout la logique départementaliste, qui s’imposent. Chaque changement proposé est peu à peu grignoté et les départements regagnent les prérogatives que le Gouvernement voulait leur ôter. Il suffit pour s’en rendre compte de regarder les péripéties de la compétence sur le transport scolaire, et le système très complexe qui a fini par être voté. Il serait donc bon de renforcer l’influence des régions, tout en maintenant une influence des communes, qui constituent la base de notre organisation territoriale – même si je suis, à titre personnel, favorable à une simplification de la carte communale. La Suède a mené une réforme de ce type et s’en trouve fort bien.
Enfin, s’il est utile et intéressant de disposer d’un éclairage venu du droit comparé, il ne faut pas oublier que notre histoire est très particulière ; l’organisation d’un État est toujours le fruit d’un passé, d’une culture. Prenons garde au mimétisme et à l’importation de modèles étrangers, car elle est en matière constitutionnelle toujours périlleuse : les mouvements, les réalités, les dynamiques sociales et politiques varient infiniment suivant les pays. La discordance entre une Constitution et le jeu des acteurs politiques peut être très important.
Ma proposition est donc de faire du Sénat la chambre des territoires, mais seulement la chambre des territoires.
Mme Cécile Untermaier. C’est l’Assemblée nationale qui a le dernier mot : c’est bien elle qui représente vraiment le peuple. Je suis pour ma part favorable à un bicamérisme modernisé, réformé, avec une seconde chambre apportant un éclairage plus pratique, plus technique : il faudrait établir une complémentarité, plutôt qu’une concurrence, des deux chambres.
La mise en avant de la logique régionale et communale me paraît également un point crucial. Vous parlez de sénateurs représentant les territoires, mais vous n’évoquez que des élus : pourquoi ne pas penser aussi à des acteurs du monde économique, social, environnemental, dont le point de vue pourrait enrichir le travail législatif ? C’est la logique d’un rapprochement avec le CESE, idée qui me paraît très intéressante.
Vous évoquez les navettes entre les deux chambres. La procédure pourrait, je crois, être simplifiée, et une seule navette pourrait suffire – mais avec un temps de travail sur les textes suffisamment long, pour examiner le texte de façon plus sérieuse, plus approfondie, en écoutant mieux les citoyens.
Nous avons déjà évoqué bien des façons d’améliorer la fabrication de la loi : création d’une chambre « du temps long », études d’impact de meilleure qualité, renforcement voire systématisation de la participation citoyenne, renforcement de la capacité d’évaluation et de contrôle, amélioration de la représentativité… Tous ces éléments doivent être pris en considération pour construire un nouveau bicamérisme. Bien sûr, c’est difficile, mais il faut le faire, et je crois qu’un rapprochement entre le CESE et le Sénat pourrait satisfaire au moins une partie de ces exigences.
Enfin, le Sénat bloque aujourd’hui toute possibilité de révision constitutionnelle : il me semble qu’en cette matière également l’Assemblée nationale devrait avoir le dernier mot.
M. Pascal Jan. Je comprends bien votre volonté d’élargir la représentation du peuple afin de mieux l’inclure dans le processus législatif. C’est également un problème ancien. En 1925, la création du Conseil national économique – ancêtre du CESE – répondait précisément à cette volonté de mieux associer les « forces vives de la nation ». Mais les réticences devant la participation de personnes non élues à la prise de décision finale ont toujours été fortes.
On pourrait rapprocher le CESE du Parlement : il pourrait, sans être fusionné avec le Sénat, devenir un allié du Parlement – en ce sens, le glissement de la Cour des comptes vers le Parlement pourrait servir de modèle.
Vous évoquez la participation citoyenne. Les citoyens participent déjà à l’élaboration de la loi directement, grâce à leurs élus, mais il ne faut pas laisser de côté la question du lobbying, qui constitue une sorte de participation indirecte. Comme parlementaires, vous êtes saisis d’amendements venus d’entreprises, d’associations, de cabinets de lobbying… Aux États-Unis comme au Canada, c’est reconnu, et ces interventions sont considérées comme l’un des moyens pour les citoyens, les associations, les organisations de participer à l’élaboration de la loi. On peut critiquer cet état de fait, en pointer les dérives, mais la transparence change tout – et, pour ceux qui s’écartent de la charte déontologique, les sanctions pénales peuvent être lourdes. Le Parlement européen fonctionne de façon semblable.
C’est une question principalement sensible dans le domaine économique, je vous l’accorde. Mais cette sensibilité citoyenne existe bien. Je serais en tout cas favorable à ce que les parlementaires eux-mêmes se saisissent vraiment de cette question – même si, c’est vrai, des progrès ont déjà été réalisés. Il faudrait l’assumer : oui, les lobbyistes sont aujourd’hui systématiquement à la porte des parlementaires ! Ceux-ci votent la loi, mais ils sont saisis de multiples demandes, par des canaux divers – par les citoyens, mais surtout par les entreprises, les organisations et les associations : les citoyens n’imaginent pas l’ampleur de ces interventions. Le Parlement aurait beaucoup à gagner à rendre ces pratiques transparentes, et à prévoir – par une loi – des sanctions en cas de manquement. Les lobbies existent, agissent ; autant le reconnaître, même s’il revient évidemment aux parlementaires de prendre la décision finale.
Je suis opposé à la fusion du CESE et du Sénat : avec une seconde chambre uniquement consultative, nous n’aurions plus une constitution bicamérale. Oui, vous avez raison, l’Assemblée nationale a le dernier mot ; mais cela ne concerne qu’une toute petite partie des textes. Dans neuf cas sur dix, il y a un compromis, et le Sénat arrive très bien à faire valoir son point de vue – sans même évoquer les situations, certes rares, où la minorité de l’Assemblée nationale et la majorité du Sénat se rejoignent pour faire réussir une commission mixte paritaire.
M. Alain Tourret. En tant que radical, vous me permettrez de garder une certaine tendresse pour le Sénat, et de rappeler ici l’opposition de Gaston Monnerville au pouvoir autoritaire du général de Gaulle.
J’exerce aujourd’hui mon deuxième mandat de député, et je peux vous affirmer que je n’ai jamais reçu aucun représentant de lobby dans mon bureau ! Les commissions organisent, bien sûr, des auditions de lobbies divers ; mais il me paraît inadmissible de recevoir des représentants d’intérêts. Je n’ai d’ailleurs jamais été approché.
La loi devrait, c’est vrai, être élaborée plus vite. Si l’on va au bout de toutes les lectures, on peut mettre deux ans et demi pour voter un texte – car il faut compter avec l’encombrement de l’ordre du jour… La loi ne doit pas chercher à apporter de réponse immédiate à chaque problème qui surgit, bien sûr, mais à mon sens la procédure accélérée devrait être la règle. Je m’oppose en cela à mon ami Roger-Gérard Schwartzenberg.
Il faudrait également repenser le déroulement et les pouvoirs des commissions mixtes paritaires, qui ne peuvent aujourd’hui qu’adopter un texte ou échouer. On pourrait imaginer, par exemple, qu’elles puissent ne se mettre d’accord que sur certains articles.
Quant au pouvoir du Sénat, il est énorme ! Le projet de loi Macron voté par l’Assemblée nationale en première lecture comportait une centaine d’articles : nous revenant du Sénat, il en compte quatre fois plus… Sans la procédure accélérée, combien de temps faudrait-il pour la voter définitivement ? Cela devient insupportable. Il faudrait donc établir des limites, car c’est le Sénat qui bénéficie de ces dérives.
Ainsi, la proposition de loi relative aux procédures de révision et de réexamen des condamnations pénales définitives, issue du rapport d’information que j’ai rédigé avec mon collègue Georges Fenech, a été adoptée définitivement en trois mois et demi. C’est un exploit ! Mais, pour en arriver à ce résultat, nous n’avons eu d’autre choix que de passer sous les fourches caudines du Sénat en votant un texte conforme, acceptant ainsi les importantes modifications qu’il avait introduites – alors que notre proposition de loi avait été votée à l’unanimité en première lecture à l’Assemblée. Cela montre le pouvoir en réalité extraordinaire de la Haute Assemblée ! Nous n’avons pu que souligner, en séance publique, les raisons de ce vote et donner notre propre interprétation du texte. Voter un texte conforme, c’est les prendre à leur propre jeu, mais ce faisant, on ne respecte pas la volonté de l’Assemblée nationale.
M. Pascal Jan. Le lobbying existe, monsieur le député… Je l’ai moi-même vu fonctionner lors des discussions de lois de finances, par exemple.
Sur les rapports de l’Assemblée nationale et du Sénat, je vous suis : la longueur des délais pose en effet problème. Ceux qui sont favorables au bicamérisme mettent généralement en avant que prendre le temps permet d’accomplir un travail en profondeur. Mais les opinions exprimées varient aussi selon que l’on est dans la majorité – où rien ne va jamais assez vite – ou dans l’opposition – on apprécie plus, alors, le temps long. On a pu le constater à propos de la réforme de 2008, et c’est bien pour cela que les alternances sont nécessaires.
M. Denis Baranger. Merci, monsieur et cher collègue, de cette contribution à la fois très réfléchie et très pragmatique.
Puisque notre groupe de travail est appelé à formuler des propositions, en voici une, ou du moins son ébauche. Le président Bartolone a préconisé la fusion du Sénat et du CESE. Au vu des réactions de la seconde chambre, il n’est pas certain que celle-ci l’accepte facilement. Dès lors, au lieu de faire entrer le CESE au Sénat, ne pourrait-on politiser la composition du CESE ? Aujourd’hui chargé par la loi organique de représenter les principales activités du pays, celui-ci travaille, produit des rapports, procède à des évaluations, mais n’est guère entendu – je le dis avec beaucoup de respect –, pour des raisons qui tiennent au fonctionnement et à la médiatisation de la politique en France. Or, peut-être cette politisation lui permettrait-elle de jouer en tant que tel, même si cela peut sembler paradoxal, un rôle plus important et plus audible dans la discussion des affaires publiques.
Elle pourrait passer par l’élection à la proportionnelle d’une partie de ses membres, ou par l’implication des partis, que l’on chargerait par exemple de proposer des candidats susceptibles de siéger en tant que membres de la société civile. Ce serait un moyen alternatif d’atteindre l’objectif assigné à la fusion : une meilleure représentation des principales forces actives du pays, sachant qu’une partie de la population – nous en avons beaucoup parlé au cours des deux dernières séances – n’est pas représentée à l’Assemblée nationale ni au Sénat. Le CESE servirait alors de point d’entrée aux minorités ou à certains groupes de la société civile, de lieu d’expérimentation d’une représentation plus diversifiée.
En outre, ses attributions pourraient être repensées. Puisque la Constitution lui donne en somme un rôle consultatif, pourquoi ne pas en faire l’organe consultatif de droit commun ? L’exécutif a tendance à créer de manière répétée des hauts conseils, des comités de sages ; pourquoi ne pas faire de chacun de ces organes une composante du CESE et en choisir les membres en son sein ? Et pourquoi ne pas confier au CESE les études d’impact, au lieu que l’exécutif s’auto-évalue ?
M. Pascal Jan. Le rapprochement entre le CESE et le Parlement, que j’ai évoqué, va dans le sens que vous évoquez. Aujourd’hui, l’exécutif a toutes les cartes en main – l’INSEE, les directions de Bercy, le CESE – alors que le Parlement n’a rien, ou pas grand-chose. À cet égard, les relations entre la Cour des comptes et les commissions parlementaires des finances, auxquelles la Cour fournit des rapports à leur demande, pourraient nous servir de modèle. Ce rapprochement, dont les modalités restent à définir, ferait du CESE un allié du Parlement face au Gouvernement. Loin de moi l’idée de remettre en cause la prééminence de l’exécutif. Mais, aujourd’hui, les parlementaires sont dépourvus des moyens qui leur permettraient de discuter d’égal à égal avec lui.
Outre la représentation de ce qu’il est convenu d’appeler forces vives, c’est-à-dire des intérêts économiques, sociaux, culturels et intellectuels, le CESE serait ainsi chargé de fournir au Parlement une expertise permanente fondée sur la confiance réciproque. Cela supposerait que les parlementaires désignent un grand nombre des membres du CESE. Surtout, si celui-ci doit devenir l’instance consultative sur laquelle s’appuie le Parlement, sa compétence doit s’étendre au-delà des seuls projets de loi de programmation à caractère économique, social ou environnemental. On peut, si l’on veut, parler à ce sujet de politisation. Le CESE serait en tout cas plus utile dans ce rôle qu’en allié d’un Gouvernement qui n’a que faire de ses avis. Les parlementaires, eux, exploiteraient davantage ses contributions et pourraient ainsi nouer un dialogue fructueux avec l’exécutif au stade de l’examen en commission.
M. Ferdinand Mélin-Soucramanien. Pour ma part, je suis favorable à l’existence d’une seconde chambre, mais résolument hostile à la création d’une troisième chambre politique.
En ce qui concerne la seconde chambre, puisqu’il s’agit ici de repenser le bicamérisme, nous devrions nous intéresser comme l’a fait Pascal Jan aux fonctions qui lui sont dévolues. Pourquoi l’a-t-on créée ? Pour faire pièce à la chambre qui représente directement les intérêts de la nation ; pour s’inscrire dans le temps long, ce qui implique de sa part une forme de conservatisme ; et à une certaine période, qui n’est pas si éloignée, pour contrôler la loi – une tradition historique dont l’opposition du Sénat à l’exception d’inconstitutionnalité, en 1990, était une survivance. Ces fonctions initiales ont varié avec le temps, tandis que la structure de l’État comme de la société française se modifiait profondément, mais la seconde chambre elle-même, à force de négocier au centime près toute réforme la concernant, a très peu changé.
Aujourd’hui, bien que le Sénat soit déjà chargé par la Constitution de représenter les intérêts de la nation – ce qui le met en concurrence directe avec l’Assemblée – et, à l’article 24, les collectivités territoriales, on se propose d’ajouter les intérêts catégoriels et la diversité. C’est beaucoup ! Qui trop embrasse mal étreint. Sans doute faut-il choisir : veut-on, pour améliorer la discussion de la loi, attribuer à la seconde chambre les mêmes fonctions que l’Assemblée nationale, qui conserverait naturellement le dernier mot, ou rompre entièrement avec cette logique, ce à quoi je suis plutôt favorable ?
Veut-on alors confier au Sénat la représentation des intérêts catégoriels, ce qui supposerait à mon sens de supprimer le CESE ? Dans cette hypothèse, il resterait alors certaines variables à préciser – mode de scrutin, représentation des associations, etc. Une autre solution proposée par Pascal Jan – et qui avait été évoquée au sein de la commission dite Jospin, pour être ensuite repoussée car elle correspondait à une opinion minoritaire – consiste en une représentation réelle des intérêts territoriaux. Il me semble que cette fonction pourrait en effet être dévolue à la seconde chambre dans le contexte de l’évolution actuelle de l’État. Car la France est en effet un État unitaire décentralisé, je dirais même fédéral dans ses rapports avec la Nouvelle-Calédonie. Parmi les évolutions possibles de ce territoire figure d’ailleurs l’accentuation de ce caractère fédéral. Dans ce contexte, tôt ou tard se posera la question de la représentation de la Nouvelle-Calédonie, et, plus généralement, des outremer français.
Quant aux modalités, on pourrait imaginer, comme cela a été suggéré, que les conseils départementaux soient représentés directement, sans conséquences du point de vue du cumul des mandats puisqu’il s’agirait d’une représentation ès qualités. Cette proposition est elle aussi d’actualité, dans la perspective de l’entrée en vigueur du non-cumul, qui risque de priver d’écho les revendications des territoires de la République française.
Bref, il importe d’identifier les fonctions auxquelles la seconde chambre est destinée, sachant qu’elle ne pourra, sous peine d’échec, représenter tous les intérêts – territoriaux, nationaux, catégoriels. Or la piste d’une représentation réelle et efficace des intérêts territoriaux est sans doute la plus intéressante dans la perspective des réformes en cours, qu’il s’agisse de la réforme territoriale ou du non-cumul.
M. Pascal Jan. On accuse souvent le Sénat d’exercer un droit de veto ; la réalité est plus subtile. Si le veto est flagrant dans l’exemple de 1990, la plupart du temps, le Sénat ne s’oppose pas aux révisions constitutionnelles : il en profite pour asseoir sa position au sein des institutions. C’est ainsi que, depuis 1958, il est parvenu à « grignoter » progressivement des compétences ou à valoriser certaines collectivités territoriales. Bref, le Sénat ne s’oppose pas, il marchande, et il en demande toujours plus. Je songe en particulier à la manière dont il a obtenu, s’agissant de l’article 88-3 de la Constitution sur le vote des ressortissants communautaires aux élections municipales, que la loi organique doive être votée dans des termes identiques par les deux assemblées ; certes les élections municipales étaient en jeu, mais la mesure figurait tout de même dans le traité sur l’Union européenne ! On pourrait citer d’autres exemples, concernant notamment l’article 74.
Sans sous-estimer l’importance du CESE, mieux vaut le rapprocher du Parlement plutôt que créer une troisième chambre : il faut bien s’arrêter à un moment ou à un autre et deux chambres, c’est déjà beaucoup, du point de vue non pas financier, mais politique. En revanche, si nécessaire que soit la représentation des différents intérêts, comment écarter les territoires du dispositif législatif quand, sur les 400 et quelque milliards d’euros du budget de l’État, 100 milliards sont transférés aux collectivités territoriales au titre des dotations et de la fiscalité transférée et que les collectivités représentent environ 70 % de l’investissement public ? Il faut bien faire un choix, et ce poids financier – sans parler de l’aspect historique et culturel – plaide pour une chambre des territoires. Ce qui ne signifie pas que d’autres éléments ne puissent être associés au système, à défaut d’y être intégrés. Il convient donc que le Sénat soit véritablement identifié à la chambre des collectivités territoriales et qu’il en tire toutes les conséquences eu égard à ses fonctions.
Mme Marie-Anne Cohendet. Merci beaucoup pour toutes ces réflexions. En effet, il faut penser l’organe selon la fonction qu’on lui assigne. Or si le Sénat fusionnait avec le CESE, c’est une chambre consultative qui en résulterait.
Le Sénat représente le peuple, avez-vous dit. Si tel est le cas, nous ne sommes pas véritablement en démocratie, car la voix d’un électeur de Saint-Barthélemy pèse au moins vingt fois plus que celle d’un électeur des Bouches-du-Rhône ! En ce sens, nous convenons tous qu’il faut absolument démocratiser le Sénat, quels que soient la fonction et le mode de représentation que l’on choisit. Il est d’autant plus nécessaire de le rappeler en l’absence d’alternance.
Quel droit de veto laisseriez-vous au Sénat « nouvelle manière » ? Devrait-il porter sur les seules collectivités territoriales, ou sur toutes les matières comme c’est actuellement le cas ?
Si le lobbying au Parlement doit effectivement être repensé, et ce sur la place publique, ne nous dissimulons pas ses liens avec la ploutocratie : aux États-Unis et au Canada, les lobbies pèsent d’autant plus sur la vie publique qu’ils sont plus riches. Si j’ai proposé d’ouvrir la seconde chambre aux associations et à d’autres forces, c’est précisément pour permettre à tous les acteurs de peser d’un poids égal dans l’élaboration de la loi, quels que soient leurs moyens financiers, étant entendu que les associations de protection de l’environnement ou de défense des travailleurs, par exemple, n’ont pas les mêmes ressources que d’autres.
Le dernier mot n’est-il effectif que dans 10 % des cas ? Oui et non. Le chiffre est intéressant, mais il faut tenir compte du rôle dissuasif que joue cette possibilité dans la négociation.
Si l’on renonce à la fusion entre le Sénat et le CESE, ce qui reste à décider, j’approuve entièrement l’idée de développer considérablement les conseils mis à la disposition du Parlement. Si le Congrès des Etats-Unis est aussi puissant, c’est parce qu’il peut s’appuyer sur de grands conseillers.
Un autre de vos arguments m’a moins convaincue : le poids énorme que pèsent déjà les collectivités territoriales doit-il vraiment nous inciter à leur donner en outre un tel pouvoir sur l’élaboration de la loi ?
M. Pascal Jan. Le droit de veto du Sénat en matière constitutionnelle ne devrait s’exercer que s’agissant des collectivités territoriales, ainsi que du Sénat lui-même. Il n’y a aucune raison pour qu’une réforme portant sur un autre sujet intéresse le Sénat dès lors qu’il est exclu du processus législatif tel qu’il se déroule aujourd’hui. La chambre des territoires pourrait toutefois être associée à la fabrique de la loi en général, mais à la condition, je le répète, que ses amendements soient assez largement adoptés pour mériter d’être discutés par les députés.
Quant au poids qu’il est proposé de donner aux collectivités, je maintiens que leur représentation est rendue inévitable par leur participation à la vie du pays à travers la démocratie locale. En outre, je sais pour avoir été moi-même un élu local que les dynamiques et les problèmes que l’on rencontre à cet échelon transcendent dans une certaine mesure les positionnements politiques. Les élus locaux ont un point de vue spécifique sur les questions économiques, sociales, d’investissement, de grands travaux.
Est-ce trop accorder aux territoires que de leur permettre de l’exprimer ainsi ? Le problème n’est pas là : surtout, est-ce efficace ? Nous souffrons en France d’une maladie constitutionnelle : la recherche permanente, depuis 1789, des équilibres. Le comité Balladur avait ainsi pour objet le rééquilibrage des institutions, mais en quel sens ? Le déséquilibre est partout ; c’est sur son efficacité qu’il convient de s’interroger : permet-il de faire place à des éléments importants ? Je me méfie donc de l’idée qu’une catégorie serait trop ou pas assez représentée par rapport à une autre : je comprends intellectuellement le désir d’une large ouverture mais, du point de vue institutionnel, c’est l’efficacité de la décision politique qui doit primer. Voilà pourquoi je suis favorable au rapprochement entre le CESE et le Parlement – une autre manière d’inclure les intérêts économiques, sociaux et culturels – plutôt qu’à la fusion entre le Sénat et le CESE.
Mme Seybah Dagoma. Le mode d’élaboration de la loi est très critiqué. Vous l’avez dit, la loi peut apparaître bavarde ; après son passage au Sénat, elle pèse quelquefois très lourd. Elle peut aussi sembler instable – il y a de plus en plus de lois –, sans parler de la durée, parfois extrêmement longue, qui sépare la prise de décision et l’examen législatif de l’application de la loi à nos concitoyens.
Je suis d’accord avec Ferdinand Mélin-Soucramanien sur la possibilité d’attribuer au Sénat de nouvelles fonctions. Compte tenu des défis auxquels nous sommes confrontés, notamment en matière environnementale, ne pourrait-on procéder à une clarification des fonctions en chargeant le Sénat de préserver les intérêts des générations futures par la limitation, dans toutes les lois, des dettes budgétaires, écologiques, sociales que nous leur laissons ?
M. Pascal Jan. Je vous remercie de soulever au fond le problème du contrôle, que je n’ai guère eu le temps d’évoquer, ainsi que la question du temps long. Si l’on veut que la seconde chambre soit celle du temps long, de la réflexion, alors il faut fusionner le Sénat et le CESE. Mais la logique du bicamérisme est celle de l’action. Il me semble illusoire d’espérer conserver une seconde chambre politiquement influente – du moins dans les domaines que l’on reconnaît comme les siens – si l’on veut qu’elle se consacre au temps long, quelque intérêt que cela puisse avoir. En revanche, le CESE pourrait très bien endosser la fonction que vous proposez d’attribuer au Sénat.
De deux choses l’une. Si l’on est favorable au bicamérisme, il faut une assemblée politique, qui agisse politiquement et qui représente quelque chose du point de vue politique, non qui se consacre à la réflexion. Aujourd’hui, le Sénat contrôle, sur place et sur pièces, il produit des rapports – sur le temps long, d’ailleurs, et les rapports sénatoriaux sont très intéressants ; mais ce n’est pas sa vocation première. Si en revanche on ne veut plus du bicamérisme, gage de pondération et de représentation d’intérêts très divers mais qui comptent dans la société, on peut s’orienter vers la fusion ou vers une modification des fonctions, sachant que cela débouchera sur une chambre consultative, car il est inconcevable de donner un pouvoir de décision en matière législative à une assemblée dont une partie des membres ne seraient pas élus.
Voilà pourquoi je privilégierais un moyen dérivatif de parvenir au même résultat. Encore sa mise en œuvre suppose-t-elle que le Parlement se dote une fois pour toutes d’organismes à sa disposition. Aujourd’hui, isolé, il ne peut pas combattre ; il ne peut que proposer, et c’est ce que font les parlementaires, relayant les partis politiques. Mais il est privé de l’expertise indépendante qui fait la force du Parlement anglais ou du Congrès américain, lesquels peuvent s’appuyer sur des organes consultatifs et d’évaluation – sans compétence décisionnelle – pour discuter avec l’exécutif. Ainsi, les chiffres que présentent le Gouvernement lors de l’examen de la loi de finances sont tributaires de la méthode de calcul adoptée ; pourtant, les parlementaires n’ont pas les moyens de les contrôler.
Ce qui nous renvoie, au-delà du bicamérisme, à l’objectif de renforcement du Parlement. Renforcer le Parlement, en effet, c’est moins lui donner des pouvoirs supplémentaires – les parlementaires ont déjà beaucoup à faire, compte tenu de l’étendue du domaine de la loi et de l’existence des procédures de contrôle – que lui fournir une expertise qui lui permette de combattre l’exécutif à armes égales.
C’est donc, à mon avis, plutôt à ce niveau d’intervention extérieure au Parlement, mais liée à lui, que pourrait faire sens la contribution que vous évoquez.
M. Bernard Thibault. La fusion du Sénat et du CESE est une hypothèse de travail qui ne me séduit guère : je préférerais une rénovation de la place du CESE, qui supposerait que l’on réfléchisse à ses missions et à sa représentativité.
Dans cette hypothèse, toutefois, on a imaginé un Sénat à composition mixte, réunissant élus territoriaux et représentants des forces socio-économiques. Cette coexistence au sein d’une même chambre de légitimités distinctes et d’assises démocratiques différentes me semble impraticable, sans parler des risques que présente la sélection des groupes en question, auxquels on confierait un pouvoir législatif.
Existe-t-il un pays où, dans une seconde chambre, un tel pouvoir serait dévolu à des groupes socio-économiques, et plus précisément aux représentants des entreprises, mais aussi des organisations syndicales ? Vous avez cité l’Irlande. Vous l’avez dit, il n’est pas question de transposer une expérience étrangère, chaque institution nationale étant le produit de l’histoire politique et sociale du pays. En l’occurrence, l’idée est contraire à notre histoire et à notre conception du rôle des syndicats au sein de nos institutions. En revanche, on peut influencer davantage la décision sans exercer soi-même le pouvoir. Tel pourrait être le sens d’une réévaluation du rôle du CESE aux côtés du législateur.
Je ne suis pas certain que nos concitoyens attendent avec impatience plus de lois, adoptées plus rapidement. Ils ont plutôt l’impression que l’on multiplie le nombre de lois, précipitamment et sans en avoir apprécié toutes les conséquences. Voilà ce à quoi pourrait remédier le CESE – dans une fonction consultative, car parler d’une troisième chambre, d’un troisième niveau de délibération où s’exerceraient les mêmes pouvoirs qu’aux deux autres, est le plus sûr moyen d’enterrer le problème. En revanche, le CESE dispose aujourd’hui de prérogatives reconnues par notre Constitution ; mais elles ne sont pas mises en œuvre. Ainsi, le Gouvernement a la possibilité de saisir le CESE, mais ne l’utilise pas, non plus que l’Assemblée qui en dispose également ; et le CESE peut s’autosaisir, ce qu’il fait, mais en pure perte. On a vite fait d’en conclure à la nécessité de le supprimer.
Pourtant, le CESE, et en son sein la représentation des groupes socio-économiques ou des associations – ainsi que d’autres groupes, selon des critères et des mécanismes qui peuvent être discutés –, pourrait contribuer à améliorer la délibération législative du Parlement, étant entendu qu’il appartient aux élus de prendre leurs responsabilités politiques.
M. Pascal Jan. L’Irlande est un cas un peu particulier : je l’ai dit, les organisations syndicales et l’université sont représentées au Sénat irlandais, mais celui-ci voit son utilité contestée, au point que l’éventualité de sa suppression, soumise au référendum, n’a été repoussée que d’une courte majorité.
Le seul autre cas que je connaisse en Europe est la Slovénie, où la représentation – pas tout à fait paritaire – des organisations syndicales ouvrières et des employeurs participe à l’élaboration de la loi. Pour quels résultats ? Je ne saurais le dire, n’étant pas spécialiste de ce pays. Surtout, le cas est trop isolé pour servir de modèle.
Je suis d’accord avec vous : il faut absolument étendre les compétences du CESE, mais de sorte que celui-ci soit un allié du Parlement et se considère comme tel. Il faut donc modifier sa composition, le mode de désignation de ses membres, ses compétences. C’est à cette condition qu’il servira à quelque chose. Aujourd’hui, il n’est même pas utile à l’exécutif : ce sont les directions ministérielles qui font le travail ! En somme, on fait davantage confiance à de hauts fonctionnaires qu’à des représentants. Je n’y reviens pas. Il n’est pas question de supprimer le CESE, puisque celui-ci pourrait être utile – à condition toutefois d’être correctement « instrumentalisé », c’est-à-dire de l’être positivement par les parlementaires, et non plus négativement par l’exécutif. Il contribuerait ainsi à revaloriser le travail parlementaire en général.
Mme Cécile Duflot. Si le lobbying pose un problème, c’est vis-à-vis des membres du Gouvernement et de l’administration, monsieur Tourret, bien plus que vis-à-vis des parlementaires.
Quant à la durée d’élaboration de la loi, j’aimerais que l’on expertise le nombre de lois qu’il est nécessaire de revoir avant un an, par des amendements ou des dispositions qui s’apparentent plus ou moins à des cavaliers, parce qu’elles se révèlent inapplicables. Au moins en ce qui concerne la présente législature, j’ai quelques exemples en tête.
Monsieur Jan, votre idée d’un Sénat qui serait la vraie chambre des territoires paraît séduisante, mais je pense à la lumière de mon expérience qu’elle conduirait à une catastrophe, pour deux raisons. D’abord, nous n’aurions pas une chambre des territoires, mais la chambre de certains élus et de leurs territoires. Ensuite, si la présence des sénateurs était directement liée à leur mandat local, leur réélection à ce mandat deviendrait l’enjeu principal de leur action comme sénateurs. Elle peut déjà l’être aujourd’hui, alors même qu’ils sont désignés par de grands électeurs. Voyez certains amendements sénatoriaux qui, bien loin de la sagesse que l’on attend du Sénat, sont directement corrélés, y compris à propos de dispositifs administratifs, au cas du département d’élection de leur auteur, voire de la commune où il exerce des responsabilités, ou à des conflits de majorité au sein de l’intercommunalité.
Je suis donc très réservée à cet égard, à moins que vous ne me démontriez que l’on peut tirer au sort parmi les représentants des collectivités. Dans le cas contraire, nous n’aurons pas un Sénat mais la coagulation d’intérêts particuliers.
M. Alain-Gérard Slama. J’approuve : la France ne serait pas moins un agrégat de peuples désunis même si cet agrégat était constitué.
M. Pascal Jan. L’objection est pertinente, mais il est possible d’y répondre.
Je suis personnellement favorable à une représentation égale des régions, des départements et des communes, du moins des grandes villes. C’est ce qui me paraît le plus important.
Ensuite, on pourrait imaginer une élection dans le cadre de ces catégories : la représentation ès qualités n’est qu’une option. En Allemagne, les représentants des Länder au sein du Bundesrat, dont le nombre varie selon la population du Land, ne votent pas individuellement, mais par Land ; en d’autres termes, ils doivent parvenir à un compromis pour exprimer la voix du Land. Sur ce modèle, on pourrait concevoir, au niveau départemental, régional, voire communal, une représentation élue au scrutin proportionnel. Si je suis assez favorable au scrutin majoritaire pour les élections législatives, il est nécessaire, en effet, de représenter la diversité politique au niveau local, où elle est plus marquée qu’au niveau national. À ces conditions, les collectivités territoriales seraient correctement représentées et les représentants n’auraient pas besoin de faire du lobbying pour être réélus. En revanche – vous le savez bien, madame Duflot, vous qui êtes une femme politique –, on ne pourra jamais, par la loi, empêcher un élu de penser à sa réélection.
Mme Cécile Duflot. Lors du débat sur le non-cumul, beaucoup ont dit craindre l’émergence d’élus apparatchiks qui ne connaîtraient rien au fonctionnement des territoires, à la gestion d’une collectivité, des poubelles, etc. J’ai donc proposé de subordonner l’éligibilité à un critère non d’âge, mais d’exercice préalable d’un mandat local. Cela permettrait de s’assurer de l’expérience territoriale de l’élu tout en écartant l’enjeu de la réélection.
M. le président Claude Bartolone. N’est-ce pas parce qu’il existe deux chambres que le Gouvernement peut présenter des textes aussi mal ficelés ? On est tenté de se le demander lorsque l’on voit exploser le nombre d’amendements gouvernementaux dont on explique aux parlementaires que l’on y reviendra dans le cadre des navettes.
Nous avons évoqué avec Bernard Manin le problème du lien avec le peuple. Mais le rôle de stabilisation du Sénat est tel qu’après une élection présidentielle et l’émergence d’une majorité, nous appelons en somme les électeurs à revenir s’exprimer au bout de deux ans. Cela crée une grosse difficulté.
Quant aux chiffres que vous avez cités, il me semble que ni l’Allemagne ni l’Angleterre ne peuvent être classés parmi les pays à régime bicaméral compte tenu du pouvoir résiduel du Bundesrat et de la Chambre des Lords. Ce qui fait varier les termes de la comparaison : en réalité, on considère là les grands pays qui pratiquent de fait le monocamérisme.
En ce qui concerne enfin les référendums de 1946 et de 1969, je doute que la réforme du Sénat ait joué un rôle majeur. Si la seconde chambre a sauvé sa position, c’est plutôt parce qu’elle a indirectement bénéficié du rejet de la proposition du général de Gaulle. Celui-ci envisageait d’ailleurs déjà de fusionner le Sénat et le Conseil économique et social, dès le discours de Bayeux, puis dans sa proposition détaillée de 1969 qui prévoyait 177 représentants des collectivités et 146 représentants des activités économiques.
Sur cette idée de fusion, j’ai bien entendu les différentes observations qui ont été formulées. Ce sur quoi nous devons aujourd’hui nous interroger, vous l’avez dit, ce sont les moyens agrégés autour de l’Assemblée et qui renforceraient son poids face au Gouvernement – c’est dans cette perspective que je situe le rapprochement avec la Cour des comptes et la dissolution de plusieurs comités Théodule qui diluent la capacité de réflexion de l’Assemblée –, ainsi que la manière d’éviter dans le cadre du bicamérisme ce temps désordonné, plutôt que long, qui affecte le vote de la loi, en clarifiant le rôle de chaque chambre si chacune doit être maintenue.
M. Pascal Jan. L’abondance d’amendements déposés par le Gouvernement, le cas échéant par l’intermédiaire du rapporteur de la commission, est liée à la précipitation gouvernementale. C’est un problème des ministères et des hauts fonctionnaires : les textes – cela vaut aussi des décrets, dont la rédaction laisse également à désirer – résultent d’une commande politique impérieuse en réponse à laquelle les services et directions doivent se mettre aussitôt au travail pour produire un projet de loi, puisque c’est par cette voie que l’action politique se rend visible.
Quant aux États que j’ai cités en exemple, j’ai bien précisé les différences qui les séparent du nôtre – le fédéralisme ou la place de l’aristocratie dans les deux cas que vous mentionnez. En tout état de cause, il n’est pas question de créer une troisième chambre mais de savoir si l’on s’oriente vers le monocamérisme ou si l’on conserve le bicamérisme.
M. le président Claude Bartolone. Et quelle forme de bicamérisme !
M. Pascal Jan. En effet, et dans cette hypothèse, il convient que les rôles des chambres soient clairs et clairement distingués.
M. le président Claude Bartolone. Je vous remercie.
La séance est levée à treize heures dix.