La séance débute à neuf heures dix.
M. le président Claude Bartolone. Michel Winock et moi-même avons souhaité vous présenter ce matin ce projet de rapport sans que la presse soit présente, afin que nous puissions en débattre très librement. Vous trouverez devant vous un exemplaire numéroté de ce document ainsi qu’une synthèse des propositions, elle aussi numérotée. Nous vous demandons de ne pas les communiquer et de ne pas en dévoiler le contenu avant la réunion du 2 octobre au cours de laquelle le rapport doit être définitivement adopté et présenté au nom de l’ensemble du groupe de travail. J’insiste sur cette règle de confidentialité. Nous nous sommes toujours inscrits dans une démarche collective. Il serait pour le moins regrettable de ne pas terminer nos travaux de la sorte. Michel Winock et moi-même comptons sur chacun et chacune d’entre vous.
C’est d’ailleurs pour des raisons de confidentialité que nous avons décidé d’adopter le modus operandi des commissions d’enquête. Toutefois, rassurez-vous, nous ne le suivons pas totalement et vous pourrez emporter avec vous l’exemplaire numéroté du projet de rapport, ce qui vous permettra de l’examiner avec minutie d’ici à la semaine prochaine.
Le projet de rapport s’appuie principalement sur nos débats, qu’ils citent abondamment, ainsi que sur les notes qui vous ont été transmises en amont des séances thématiques. Quant aux propositions, elles sont la fidèle traduction de l’ensemble des réponses que nous avons apportées aux questionnaires. Ces réponses ont été agglomérées afin de dégager les points les plus consensuels. Une proposition a été considérée comme adoptée lorsqu’une majorité relative des membres du groupe s’est prononcée en sa faveur, qu’ils soient tout à fait ou plutôt d’accord avec cette orientation. Les notes moyennes attribuées à chacune des propositions permettent de mesurer le degré d’adhésion à celle-ci : plus cette moyenne est proche de 1, plus la proposition est consensuelle ; plus elle s’en éloigne, plus elle est controversée.
Vous trouverez annexé au rapport un tableau détaillant la moyenne obtenue pour chaque réponse. La liste des questions aurait certainement pu être plus longue, mais, avec quatre-vingt-trois questions principales et cinquante sous-questions – soit un total de cent trente-trois questions –, nous pouvons d’ores et déjà avoir une vue relativement claire des principales conclusions du rapport.
Au total, dix-sept propositions se sont clairement dégagées relevant de cinq axes qui ont structuré notre réflexion.
Le caractère consensuel des propositions ne vous interdit nullement d’être en désaccord avec telle ou telle mesure. À titre personnel, j’ai par exemple fait part de mes réserves appuyées quant à la limitation des mandats dans le temps, qui présente à mes yeux un risque de transfert du pouvoir politique vers l’administration. Toutefois, cette proposition ayant recueilli une majorité de soutiens, elle figure dans le rapport.
Je rappelle que l’intégralité des comptes rendus fera l’objet du tome II du rapport. Ainsi, les remarques ou les objections que vous avez formulées seront consignées dans le document final.
Enfin, certains d’entre vous ont d’ores et déjà présenté des contributions personnelles qui figureront, quant à elles, dans le tome I du rapport. À la suite de nos échanges, ceux qui souhaiteraient présenter de telles contributions ou apporter des compléments pourront le faire jusqu’à lundi prochain, dix-sept heures.
Notre réunion d’aujourd’hui est d’autant plus particulière que, comme vous le savez, le Président de la République a souhaité recevoir le groupe de travail pour un échange de vues. Je tiens à préciser qu’il ne dispose d’aucun des documents que vous avez sous les yeux. Nous découvrirons les thèmes sur lesquels il aimerait recueillir notre avis.
Il ne s’agit pas d’une remise de rapport, lequel, de toute façon, n’existe pas encore. Cette invitation est la marque de l’intérêt que le Président porte à la démarche originale qui a été la nôtre et aux réflexions et propositions qui ressortent de nos débats. Cet échange nous donnera l’occasion d’avoir son point de vue sur la pratique des institutions et d’entendre ses propositions. Il sera sans doute sensible à notre proposition tendant à la restauration du septennat. Pour le reste, nous verrons.
Quoi qu’il en soit, rien n’est arrêté. Nous pouvons encore évoluer. De même, nous pouvons décider d’apporter des précisions sur tel ou tel point. C’est le souhait de Michel Winock pour la partie relative au Sénat.
Vendredi prochain, nous procéderons à l’adoption du rapport au cours d’une réunion d’environ deux heures, qui précédera la présentation à la presse.
Je vous propose maintenant de résumer brièvement le rapport, en me concentrant sur quelques propositions phares. Vous pourrez aisément suivre mon propos en vous reportant à la synthèse qui vous a été distribuée.
Restaurer le lien entre les citoyens et leurs représentants est apparu à notre groupe de travail comme une absolue nécessité. Il estime ainsi nécessaire d’améliorer la représentativité sociale et générationnelle des représentants. Dans cette perspective, il suggère de limiter la possibilité d’exercer un même mandat à trois mandats successifs – proposition n° 1. Un statut de personnel protégé, à l’image de ce qui existe pour les employés exerçant des responsabilités syndicales au sein des entreprises, pourrait être créé afin de permettre aux salariés du privé de se porter candidats aux élections et d’exercer leur mandat dans de bonnes conditions : c’est le cœur de la proposition n° 2.
Estimant que la revivification de la démocratie représentative française exige une plus large réforme, le groupe de travail s’est, dans sa grande majorité, prononcé en faveur de l’introduction d’une représentation proportionnelle pour l’élection des députés à l’Assemblée nationale. Plusieurs modalités ont ainsi été envisagées – scrutin proportionnel à deux tours avec prime majoritaire, système proportionnel d’inspiration allemande avec prime personnalisée ou système mixte combinant scrutin proportionnel et scrutin majoritaire – sans que la question soit définitivement tranchée.
Le groupe de travail s’accorde en revanche sur l’idée d’élire au moins la moitié des députés au moyen d’un scrutin de liste à l’échelon national et estime que l’obtention d’un minimum de 5 % des suffrages exprimés doit conditionner l’accès d’une liste à la répartition des sièges.
Cette revitalisation de la démocratie représentative ne va pas sans un renforcement du rôle accordé en son sein aux citoyens. C’est pour cette raison que nous avons été conduits à soutenir l’instauration d’un véritable référendum d’initiative populaire : c’est la proposition n° 4, que j’estime pour ma part essentielle.
La place du Président de la République au sein des institutions de la Ve République fut également au cœur des réflexions du groupe de travail. Je dois le dire, j’ai beaucoup évolué sur la question, je m’en explique longuement dans mon avant-propos. Je n’ai d’ailleurs pas choisi en répondant au questionnaire de mettre un terme à la dyarchie de l’exécutif. Nos débats ont démontré, je crois, que le choix binaire entre régime parlementaire strict et régime présidentiel pouvait être aisément dépassé et que nous pouvions en vérité nous accorder sur une troisième proposition.
La solution pourrait résider, d’une part, dans une meilleure définition du rôle de chacun, notamment grâce à la restauration du septennat, et, d’autre part, dans le renforcement des mécanismes de contrôle, obligeant ainsi celles et ceux chargés de prendre des décisions d’en rendre compte régulièrement et d’en assumer clairement la responsabilité politique. Je vous renvoie aux propositions nos 6, 7 et 8.
S’agissant du Parlement, je n’entre pas dans les détails, mais je crois que l’ensemble de ces mesures seraient de nature à faire émerger un véritable Parlement du non-cumul et à le placer au cœur de la démocratie : ce sont les propositions n° 9 à n° 14.
Enfin, notre rapport s’attarde sur la question de la justice, qui est encore le parent pauvre de nos institutions, et formule plusieurs recommandations de nature à en faire un véritable pouvoir constitué : propositions nos 15, 16 et 17.
Pour conclure, et avant de recueillir vos premières impressions ainsi que vos remarques et vos suggestions, je souhaitais vous dire à quel point le travail que vous avez fourni est selon moi précieux. Nos échanges ont été riches, comme en témoigne ce document, marqués par une large ouverture d’esprit et un grand respect des opinions de chacun.
Je tenais à vous remercier pour votre implication dans cette belle aventure au service de notre République, de notre démocratie et de nos concitoyens. La participation régulière d’une très grande majorité d’entre vous est la preuve de l’attention que vous avez portée à ces différents thèmes, forts de vos parcours, de vos personnalités, de vos idées et de vos pensées.
Je veux vous remercier plus particulièrement, cher Michel Winock. Vous avez su, par chacune de vos interventions, placer nos travaux dans une perspective historique en nous rappelant d’où nous venons, préalable indispensable pour essayer de fixer la route que nous voulons suivre. Cela a été un grand plaisir pour moi de présider avec vous ce groupe de travail. Le fait d’échanger autour de nos certitudes et de nos doutes a été pour moi un grand moment que je ne suis pas près d’oublier.
M. le président Michel Winock. Monsieur le président, sachez que moi aussi j’ai été très heureux de participer aux travaux très féconds de notre groupe de travail. Tout au long de cette année, j’ai évolué sur certains points grâce à nos discussions dont j’ai beaucoup apprécié le déroulement marqué par le fair-play et le respect mutuel. Notre groupe de travail est composé de membres qui ne s’accordent pas forcément sur beaucoup de choses et je me félicite de la très bonne tenue de nos échanges.
Je veux vous remercier, monsieur Bartolone, de m’avoir associé à cette présidence. Il n’y a pas de précédent en la matière : je ne connais pas une instance chargée de réfléchir aux institutions qui ait procédé de la sorte. Vous avez eu l’amabilité de me dire que mon apport vous a été utile, ce n’est pas à moi d’en juger, mais je suis convaincu que toute réflexion politique, au-delà même de la question des institutions, doit comporter une dimension historique.
Il m’appartient maintenant de rendre hommage au travail qui a abouti à ce projet de rapport, qui dégage nettement, sans taire les contradictions, des points de convergence. Et ceux-ci sont nombreux. Je suis même surpris de voir comme certains ont recueilli l’unanimité. Vous avez raison de rappeler que notre objectif était de contribuer à rapprocher les citoyens des pouvoirs, car le grand problème d’aujourd’hui est bien cet immense fossé qui se creuse entre eux – nous le constatons tous les jours à travers les sondages, les enquêtes d’opinion et les conversations que nous pouvons avoir avec nos voisins ou nos amis. Rarement la République aura présenté un visage aussi désuni. Et, si nous pouvons œuvrer, même modestement, à ce rapprochement, j’en serais très heureux.
Pour finir, je vous remercie tous de votre attention et de votre assiduité et forme le vœu que notre travail ne soit pas vain, espérant que nos propositions seront reprises par les responsables politiques.
Mme Marie-Jo Zimmermann. La proposition n° 3 – « Introduire une représentation proportionnelle à l’Assemblée nationale » – vise-t-elle une proportionnelle intégrale ou partielle ?
M. le président Claude Bartolone. Différentes propositions ont été faites à ce sujet, madame Zimmermann, mais c’est la dose de proportionnelle qui a recueilli le plus large consensus.
Mme Virginie Tournay. J’aimerais faire une remarque sur la lisibilité du tableau relatif aux réponses aux questionnaires. Actuellement, elles sont présentées de telle manière que plus le score est élevé, plus le désaccord est fort. Ne serait-il pas préférable, pour une lecture plus intuitive, de procéder de manière inverse ? Autrement dit, plus le score est faible, plus le degré de consensus est faible.
M. Bernard Thibault. J’appuie cette suggestion, monsieur le président.
S’agissant du mode opératoire, je salue la qualité de cette synthèse qui, par un travail de compilation extraordinaire, est parvenue à restituer les points communs et les différences d’une année d’échanges.
M. le président Claude Bartolone. Nous allons maintenant suspendre nos travaux pendant un quart d’heure afin que chacun prenne connaissance du projet de rapport.
La réunion, suspendue à neuf heures trente, est reprise à neuf heures quarante-cinq.
Mme Marie-Louise Antoni. En amorce, je vais vous proposer une lecture critique du projet de rapport, en reprenant mon ancienne casquette de journaliste, métier que j’ai exercé pendant vingt ans. Que retient-on de ce document après une lecture rapide ? Il n’y aura pas de VIe République, le septennat sera rétabli, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) sera supprimé pour être fusionné avec le Sénat, les pouvoirs du Parlement seront renforcés. Toutes choses qui forment un assez bon résumé de nos échanges.
Je m’interroge toutefois sur ce que recouvre cette proposition de renforcement du Parlement : supprimer la limitation du nombre de commissions, libérer le droit d’amendement, interdire au Gouvernement d’amender ses projets de loi, est-il précisé. Qu’en est-il de la lutte contre l’inflation législative et la loi bavarde, thèmes qui vous sont particulièrement chers, monsieur le président ? Je souhaiterais que le Parlement s’auto-analyse, car ces phénomènes contribuent à occulter ses travaux législatifs et nourrissent des perceptions négatives dans l’opinion. Je sais bien que tout le monde ici ne partage pas cette préoccupation, mais j’appelle votre attention sur certaines préconisations de la commission Combrexelle, commission d’une grande sagesse pour la création de laquelle le Gouvernement a fait preuve de courage.
Cette remarque mise à part, je considère que ce projet de rapport est remarquable : de la richesse de nos débats sont nées des propositions équilibrées qui nous donnent de la force pour atteindre nos objectifs.
M. le président Claude Bartolone. Madame Antoni, cette thématique n’est peut-être pas apparente dans la synthèse de nos travaux, mais elle est développée dans le rapport.
M. Bernard Thibault. Je vais rapidement passer en revue les diverses propositions.
S’agissant de la proposition n° 2, je vous alerte sur une formulation qui me paraît incorrecte. Il est fait référence aux conditions dans lesquelles les salariés exercent des responsabilités syndicales et seraient susceptibles, à la fin de leur mandat, de bénéficier d’une reconversion professionnelle. Or cette possibilité n’existe que dans la fonction publique et dans certaines entreprises publiques. Dans le secteur privé, donc pour la grande majorité des militants syndicaux, cette reconversion n’existe pas en pratique. La reconnaissance des parcours syndicaux est d’ailleurs un sujet récurrent de polémique avec les organisations d’employeurs, reconnu comme devant figurer dans les négociations.
La proposition n° 6 vise à « maintenir les principaux pouvoirs du Président de la République ». Je crains fort que cette formulation n’entre en contradiction avec d’autres propositions, comme celle qui consiste à renforcer les pouvoirs du Parlement, ce que la presse ne manquera pas de souligner. N’y a-t-il pas une nuance à apporter ?
S’agissant de la proposition n° 10, je redis mon désaccord. Je m’étonne même qu’elle soit reprise, car elle n’obtient qu’un score de 2,9 dans le classement, soit légèrement supérieur à la moyenne de 2,5, ce qui implique qu’elle est minoritaire selon la méthode actuellement retenue pour mesurer l’adhésion – sur laquelle, je le répète, je partage la remarque de Virginie Tournay. La fusion du CESE et du Sénat m’apparaît tout à la fois dangereuse et impraticable : dangereuse, car elle implique une confusion des rôles et des missions ; impraticable, car je ne vois pas comment pourraient cohabiter au sein d’une assemblée conservant une compétence législative des élus politiques et des membres désignés par des organisations sociales, syndicales, professionnelles, économiques ou corporatistes. Une telle organisation n’existe nulle part ailleurs et ne correspond pas à une attente sociale, notamment de la part du mouvement syndical. Je ne connais aucun pays où des syndicalistes revendiqueraient d’acquérir un pouvoir législatif. Cette fusion atténuerait considérablement ce que l’on appelle communément les contre-pouvoirs, voire leur porterait préjudice. Loin donc d’améliorer la démocratie, elle l’affaiblirait. Je serai partisan, sous réserve d’une appréciation plus large de la commission, d’une révision des prérogatives et du rôle du CESE. Au-delà de l’amélioration du mécano institutionnel actuel – à laquelle je ne réduis pas notre groupe de travail –, nous pourrions réfléchir aux manières de gouverner autrement. Cela implique de prendre en compte la façon dont les élus sont confrontés, dans leurs délibérations, à des opinions émanant d’associations ou d’organisations syndicales et renvoie plus largement à la question de leurs relations avec les citoyens. Une rénovation du CESE pourrait trouver sa place dans ce processus.
Au sujet de la proposition n° 13, j’ai le souvenir d’un dessin animé qui s’intitulait Les Shadoks, mais je pense que nous devrions éviter d’employer des mots anglais, comme ce « shadow ».
Enfin, j’ai indiqué que je n’envisageais pas de présenter une contribution personnelle, et je serais en particulier navré d’avoir à préciser que je ne suis pas d’accord avec telle ou telle proposition du rapport. Au terme de ce travail passionnant et consensuel auquel je ne regrette nullement d’avoir participé, je voudrais éviter d’avoir à signifier un désaccord.
M. le président Claude Bartolone. La moyenne, dans la mesure où il n’y a pas de zéro, est de trois.
M. Bernard Thibault. Avec 2,9, cela fait une toute petite moyenne.
M. le président Claude Bartolone. C’est la façon dont fonctionne ce groupe de travail. Je me suis opposé, pour ma part, à la proposition n° 1, mais, dès lors qu’elle est majoritaire, je la fais mienne, dans un esprit de consensus. Sur la question du rapprochement entre le CESE et le Sénat, vous devriez prendre bouche avec nos amis italiens, qui sont en train de travailler à une solution de ce type. Michel Winock a d’ailleurs demandé, sur ce point, que les choses soient éclaircies.
M. le président Michel Winock. En effet. Je suis très sensible à l’objection de Bernard Thibault, et j’ai voté contre cette fusion, pour les mêmes raisons que celles qu’il a exposées. Cette note de 2,9 est d’ailleurs loin d’être formidable : il s’agit manifestement d’une question sur laquelle nous hésitons.
Je cite la proposition : « Ce Sénat sera composé de membres réellement représentatifs de la diversité des élus des collectivités territoriales. Il pourrait être ainsi proposé de régionaliser leur échelon d’élection. Dans la mesure où le Sénat conserverait une compétence législative, les membres représentant les forces actives du pays pourraient, non pas être désignés, comme ils le sont actuellement, au Conseil économique, social et environnemental, mais élus selon un scrutin de liste par les membres des corps et organismes qu’ils ont vocation à représenter. »
Ce n’est pas des plus clairs. Quelle est la proportion envisagée entre les sénateurs que j’appellerai traditionnels et ceux qui représenteraient le CESE ? Cela n’est pas dit. De même, les sénateurs traditionnels seraient élus au suffrage direct dans le cadre de la région ; je crois l’avoir compris, mais ce n’est pas formulé assez clairement. Ou bien nous renonçons à cette fusion, comme le souhaite Bernard Thibault, ou bien nous explicitons le recrutement des sénateurs.
M. le président Claude Bartolone. La raison pour laquelle j’ai proposé de publier la note de chaque proposition, c’est que cela permettrait à chacun de connaître le niveau d’adhésion qu’elle recueille. Dès lors qu’une proposition recueille une majorité de suffrages, aussi petite soit-elle, l’écarter aurait été du trucage de ma part.
Mme Marie-Jo Zimmermann. Ce prérapport offre un résumé très clair de quelques propositions.
Je suis très réservée quant à la limitation à trois du nombre de mandats identiques, car c’est limiter le choix des électeurs. J’étais également réservée sur la limitation du cumul des mandats, qui risque de produire des députés hors-sol. J’avais alors proposé en commission des lois un amendement sur la limitation du cumul des indemnités, car c’est ce qui pose problème à nos concitoyens, bien plus que le cumul des mandats.
Je suis très heureuse de voir figurer le statut de l’élu parmi les propositions, mais il s’agit d’un véritable serpent de mer. La commission des lois a travaillé sur le sujet, une mission a été conduite. Je souhaite ce statut depuis que je suis députée. Si nous sommes capables d’écrire un texte et de le faire appliquer, nous aurons fait œuvre utile.
L’introduction d’une dose de proportionnelle devrait venir après la diminution du nombre de députés, à laquelle je suis favorable. Aujourd’hui, nos concitoyens nous reprochent le fait que certains partis politiques ayant un réel poids électoral ne sont pas représentés à certains endroits du pouvoir. La proportionnelle peut être une réponse.
En revanche, je ne suis absolument pas d’accord avec l’idée d’« un débat à l’Assemblée nationale, avec le Président de la République, en amont des Conseils européens ». Ce n’est pas compatible avec la séparation des pouvoirs exécutif et législatif. Le Gouvernement a des pouvoirs en la matière, et il est logique qu’un débat s’instaure avec les ministres, mais non avec le Président de la République.
En 1969, le général de Gaulle avait déjà souhaité un rapprochement entre le Sénat et le Conseil économique et social. On ne peut se permettre de statuer sur cette question sans un travail préalable avec le CESE et le Sénat. Il me semblerait par ailleurs utile d’attendre la mise en œuvre de la réforme territoriale et l’installation des nouvelles régions pour travailler sur la représentation de ces institutions. Selon la Constitution, le CESE est une enceinte de réflexion sur des problèmes de société. Conformément à l’esprit de nos institutions, notre commission aurait dû recourir à ses travaux. Pendant dix ans, à la délégation aux droits des femmes, j’ai énormément utilisé ses rapports. En tout état de cause, on ne peut mener une réflexion sur le bicamérisme sans la participation du Sénat et du CESE.
Je suis, de même, farouchement opposée à la suppression de la semaine de contrôle et à son remplacement par une semaine réservée aux travaux des commissions. Le contrôle du Gouvernement fait partie du travail du Parlement, notamment pour le suivi du travail législatif et de la publication des décrets, et la semaine de contrôle est nécessaire.
Enfin, je me réjouis que l’on ne souhaite pas la disparition du Conseil constitutionnel. Avec les questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), celui-ci a toute sa raison d’être, et il contribue à corriger certaines erreurs quand nous légiférons mal.
Mme Karine Berger. Bravo pour ce travail de synthèse, sur lequel je ferai trois remarques.
Deux propositions ayant reçu des notes assez élevées n’ont cependant pas été retenues. Ainsi, alors que la demande d’une modification profonde des pouvoirs du Président de la République a reçu une note de 1,7, la synthèse indique que les pouvoirs du Président sont maintenus. De même, la prise en considération du vote blanc a reçu une très forte note, mais ne donne lieu à aucune proposition. C’est pourtant un sujet qui, notamment auprès de nombreuses associations démocratiques et citoyennes, est extrêmement mobilisateur.
Enfin, la question des conséquences d’un vote à la proportionnelle sur les élections aura, dans le contexte actuel, une actualité bien plus brûlante que ce que l’on pourrait imaginer à froid.
M. le président Claude Bartolone. Le vote blanc avait été associé au vote obligatoire. Dans la mesure où cette dernière mesure n’a pas été consensuelle, il n’a pas non plus été repris.
M. Ferdinand Mélin-Soucramanien. Je salue à mon tour la qualité du travail effectué. Ce qui importe, à présent, c’est que le rapport ait un réel impact. En principe, comme Bernard Thibault, je ne ferai pas de contribution personnelle, car j’approuve la méthode des résultats agrégés.
En revanche, je souhaiterais, sans qu’on revienne sur les propositions dans la mesure où elles sont le fruit d’un consensus, qu’elles soient précisées et approfondies. En particulier, s’agissant de la limitation du cumul des mandats dans le temps, il ne serait pas inutile de faire apparaître le degré de consensus qu’elle recueille, ainsi que la répartition des préférences sur le nombre de mandats. Idem pour l’introduction d’une dose de proportionnelle : le tableau n’indique pas le degré de consensus sur la proposition elle-même ni sur des sous-propositions concernant le niveau auquel cette dose devrait être établie – or le diable est dans les détails.
Enfin, il existe peut-être un risque de confusion au sujet du septennat. Nous avons majoritairement déploré l’instauration du quinquennat, mais sommes-nous majoritaires à penser qu’un rétablissement du septennat soit possible ?
M. le président Claude Bartolone. Vous êtes seize membres du groupe de travail à avoir porté cette proposition.
M. Ferdinand Mélin-Soucramanien. L’idée devrait être précisée, car le septennat peut être perçu comme un archaïsme.
M. le président Michel Winock. Dans la proposition, le septennat est « éventuellement non renouvelable ». S’il était renouvelable, je conviens que ce serait un danger. Pourquoi avoir écrit « éventuellement » ?
M. le président Claude Bartolone. Les sept ans non renouvelables avaient recueilli un nombre de voix suffisant, mais des remarques ont été formulées, dans le sens de Mme Zimmermann, sur la difficulté pour un candidat de se présenter devant les électeurs en disant qu’il ne pourrait se représenter par la suite. Je conçois cependant que ce codicille ôte de la force à la logique initiale.
Mme Cécile Duflot. Je commence par dire combien je suis satisfaite de ce rapport, alors que, vous vous en souvenez, je nourrissais quelques doutes sur la possibilité d’arriver à de vrais résultats lorsque nous avons commencé nos travaux. J’ai moi-même beaucoup évolué au cours de nos débats, notamment sur la question de l’opportunité d’une VIe République. Les propositions que vous nous présentez sont consensuelles – et donc pas extrêmement originales –, mais elles sont franches, et de nature, je crois, à répondre à la crise démocratique que nous constatons tous.
Madame Zimmermann, il est toujours difficile de prendre position sur quelque chose que l’on vit soi-même – je pense à la limitation du nombre de mandats dans le temps. Mais cet argument qu’il revient aux électeurs de choisir a été utilisé aussi contre la parité. J’ai souvent cité cette formule : « Je n’aime pas les quotas, mais j’aime ce qu’ils produisent. » Il est parfois nécessaire d’établir des règles, par exemple sur le non-cumul, pour avancer sur la question de la diversité de la représentation politique.
Monsieur Mélin-Soucramanien, vous craignez que la proposition de revenir au quinquennat ne soit moquée comme un archaïsme. Pour ma part, je suis assez vieille pour avoir voté pour le passage au quinquennat, mais j’ai ensuite changé d’avis, comme beaucoup. La fin de mandat de Barack Obama me semble montrer de façon lumineuse tout l’intérêt d’un président qui ne se représente pas et qui peut donc se projeter vers l’avenir. Pensons à ce qu’il fait en matière environnementale, mais aussi dans le domaine de la politique étrangère – avec l’Iran, avec Cuba – et qu’il ne pourrait certainement pas faire s’il devait se soumettre à nouveau au jugement des électeurs. Il faut remettre du temps long, faire diminuer la pression. Si l’on veut donner au Président de la République le rôle sinon d’un arbitre, du moins de celui qui sait se tenir au-dessus des contingences du quotidien, alors le retour au septennat non renouvelable est une bonne chose.
Il serait donc judicieux, comme vous le suggérez, de supprimer l’adverbe « éventuellement » – proposons que le Président de la République soit élu pour un seul septennat. Tout le monde est fatigué de l’accélération du temps politique, du lien trop fort entre l’Assemblée nationale et le Président de la République. C’est une proposition qui aurait vraiment du sens. Beaucoup d’interrogations sur la pertinence du passage au quinquennat s’expriment : lorsque l’on s’est trompé, il n’est jamais très grave de le reconnaître.
Madame Berger, je voudrais vous répondre sur la question du scrutin proportionnel. Je ne sais pas si la méthode par vote préférentiel adoptée par ce groupe de travail est classique ; elle me semble en l’occurrence tout à fait excellente. L’hypothèse, souvent évoquée comme très naturelle, de l’accession à la présidence d’une région d’une candidate d’extrême droite nous impose de ne pas continuer à utiliser l’argument trop confortable selon lequel l’absence de la proportionnelle empêcherait l’accession au pouvoir du Front national. Ce refus d’introduire la proportionnelle a au contraire, à mon sens, donné au Front national un statut à part, celui de parti non représenté, qui l’a finalement beaucoup favorisé. De plus, cela a été dit au cours de nos auditions, le basculement serait terrible : imaginons dans quel état serait notre pays après l’élection du FN à la Présidence de la République, puis d’une majorité FN à l’Assemblée… L’introduction de la proportionnelle constituerait une sorte de principe de précaution pour notre démocratie.
Je n’approuve pas l’intégralité des propositions faites par le rapport ; en particulier, je n’ai pas d’avis définitif sur la fusion entre CESE et Sénat. Il n’est pas grave, je crois, que certains expriment leur désaccord sur tel ou tel point. Pour ma part, je ne ferai pas de remarques personnelles : je joue le jeu des positions de compromis, même si celles-ci ne coïncident pas, chacun en sera conscient, avec l’ensemble des propositions de la famille politique à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir. Cet exercice commun mené avec des personnalités si différentes me paraît avoir été très fructueux – mais, et nous aurons tout à l’heure l’occasion de le dire au Président de la République, ces propositions n’auront été utiles que si elles sont mises en œuvre. Sinon, nous n’aurons plus que nos yeux pour pleurer, et il serait infiniment triste qu’elles ne nous aient permis que de nous écrier, dans quelques années : « Je vous l’avais bien dit ! »
M. Arnaud Richard. Je salue également la qualité de cette synthèse. Certaines propositions sont très intéressantes. Je n’approuve pas du tout pour ma part l’idée d’une fusion entre le CESE et le Sénat, qui de plus ne me paraît pas avoir sa place dans un chapitre sur le Parlement du non-cumul.
Limiter le cumul des mandats dans le temps sera possible si nous arrivons à mettre en place des passerelles, des procédures de validation des acquis de l’expérience… Cela existe pour les élus locaux. Mme Zimmermann le disait, la loi du 31 mars 2015 aborde la question du statut de l’élu, et notamment des élus locaux.
S’agissant de la proportionnelle, le diable est effectivement dans les détails.
Mon groupe a déposé une proposition de loi sur la reconnaissance du vote blanc : il faut en effet aller plus loin, car cela correspond à une attente forte de nos compatriotes.
Le septennat, ce n’est pas forcément has-been, et il faut arriver à le faire comprendre : au contraire, il s’agit de redonner du temps au temps, donc de lutter contre l’accélération du temps politique.
S’agissant des questions européennes, je ne pense pas que nous puissions échapper à l’instauration d’un vote, plutôt que d’un simple débat.
S’agissant du Parlement du non-cumul, il ne faut pas seulement diminuer le nombre de parlementaires ; il faut surtout leur donner plus de moyens pour travailler, en renforçant notamment l’évaluation et le contrôle. Je ne suis pas favorable à ce que cette tâche soit remplie par un Sénat et un CESE fusionnés. Sur ce dernier point, je partage entièrement les propos de Bernard Thibault.
Je ne vois pas bien l’intérêt de supprimer la limitation du nombre de commissions ; on risquerait de diluer le travail parlementaire. L’article 40 de la Constitution me semble également demeurer une borne importante. Enfin, il me paraît tout à fait illusoire d’imaginer que le Gouvernement va renoncer à déposer des amendements à la veille de la discussion d’un texte. Pour que la loi ne soit pas verbeuse, il faudrait que le Gouvernement s’oblige – ce qu’il a parfois su faire – à donner les projets de décrets en même temps que le projet de loi : c’est le meilleur moyen qui soit pour limiter les amendements verbeux.
J’aimerais beaucoup que nous disposions enfin d’une loi organique équivalente à celle relative aux lois de finances (LOLF) pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) : pour y travailler tous les ans depuis quelques années, je peux vous dire que ce texte est absolument incompréhensible… Les montants en cause sont pourtant supérieurs au budget de l’État. Nous faisons chaque année des erreurs dans le PLFSS en votant des articles sans en mesurer vraiment les conséquences.
S’il y a bien une proposition qui me paraît judicieuse, c’est celle de transformer le Conseil constitutionnel en véritable Cour constitutionnelle. Robert Badinter, au demeurant, le disait déjà en 1995. Ce sera difficile à mettre en œuvre, mais c’est bien à mes yeux la plus importante de nos propositions.
M. Luc Carvounas. Je vous remercie, monsieur le président Bartolone, d’avoir fait de moi le seul sénateur de ce groupe de travail : les propositions décapantes que je lis dans ce rapport ne faciliteront pas mon retour au Sénat la semaine prochaine !
Plus sérieusement, il faudra beaucoup de courage politique pour mettre en œuvre ces propositions. C’est en tout cas une belle contribution au débat.
Je ne suis pas sûr que nous allions assez loin sur la question du statut de l’élu. J’entends ce que vous dites sur un statut de personnel protégé, sur le modèle de celui qui existe dans les entreprises pour les élus syndicaux ; mais je veux rappeler ici qu’aujourd’hui, ceux-ci sont souvent empêchés par leurs employeurs d’exercer leur mandat… Il est inutile d’écrire de jolies phrases qui ne correspondent à aucune réalité ! Vous écrivez également qu’il revient aux partis politiques d’organiser la formation des élus. Là non plus, il ne faut pas botter en touche : l’État doit organiser une sorte de troisième voie de concours pour capter l’expertise d’un ancien maire, d’un ancien parlementaire. Les élus ont joué un rôle au service de nos concitoyens ; il faut pouvoir utiliser le savoir acquis.
S’agissant du nombre de parlementaires, il faut bien préciser nos propositions. Ainsi, 400 députés et 200 sénateurs me paraîtraient des nombres pertinents. Mais ma petite expérience de la façon dont des propositions peuvent être captées dans le débat public me permet surtout de vous assurer que nous ne pouvons pas nous contenter de dire qu’il faut diminuer le nombre de parlementaires pour dégager des moyens. De quoi parle-t-on précisément ? C’est ce qu’il faut détailler.
Je suis, je l’ai dit à plusieurs reprises, favorable à un septennat non renouvelable. De même, l’abrogation de l’article 40 de la Constitution me paraît un point crucial.
S’agissant de la fusion entre le Sénat et le CESE, je suis assez d’accord avec Bernard Thibault : il faut peut-être plutôt repenser le fonctionnement du CESE, qui apparaît à l’opinion publique soit comme une belle machine inutile, soit comme une usine à gaz où l’on place ses amis. Il a pourtant une véritable utilité, et il doit reprendre sa place dans le Meccano institutionnel. Quant au Sénat, s’il garde son pouvoir législatif, ce doit être avant tout sur les textes qui portent sur les collectivités territoriales : pour le pratiquer depuis quatre ans, je peux vous assurer qu’il ne sert absolument à rien que le Sénat se prenne pour une Assemblée nationale bis où les gouvernements de droite comme de gauche n’ont, lorsqu’ils n’y obtiennent pas ce qu’ils veulent, qu’à attendre une deuxième lecture à l’Assemblée. Ce ne sont pas de bonnes conditions de fonctionnement.
Je regrette que rien ne soit dit d’un spoil system à la française : peut-être ce point pourrait-il faire l’objet d’une dix-huitième proposition. Il en a plusieurs fois été question au cours de nos débats. Il faut assumer un tel fonctionnement : oui, il est légitime d’utiliser l’expertise de personnalités qui, par leur parcours, sont proches de l’exécutif. Celui-ci a été élu, et il n’est pas anormal qu’une administration centrale soit conforme aux volontés des citoyens. C’est, comme les amendements citoyens, une façon de redonner le pouvoir au peuple.
M. Bernard Accoyer. Mes interventions ici m’ont souvent fait apparaître comme le gardien du temple. Ce sera encore le cas aujourd’hui.
Prises dans leur ensemble, ces propositions me paraissent remettre en cause plusieurs grands principes de la Ve République, en particulier celui de la stabilité gouvernementale. Vous mettez en danger la capacité de nos institutions à surmonter les blocages en revenant sur le parlementarisme rationalisé, qui avait été la conséquence heureuse de l’échec, terrible pour notre pays, et peut-être pour le monde, des institutions de la IIIe puis de la IVe République.
En proposant la limitation des mandats dans le temps, nous nous illustrons une fois de plus en n’attendant même pas l’évaluation de la réforme précédente, celle de la fin du cumul des mandats. C’est là une maladie purement française.
Chacun souhaite naturellement qu’un ancien élu puisse se réinsérer dans la vie professionnelle. Mais il faut écouter ce que disent les Français. Il faut aussi se pencher sur certaines situations dérogatoires : ainsi, les fonctionnaires retrouvent automatiquement une place après la fin de leur mandat. La question se pose donc aussi d’obliger à la démission les fonctionnaires élus, quitte à faciliter pour tout le monde le retour à l’emploi après un mandat.
La grande affaire de ce rapport, c’est l’introduction de la proportionnelle. J’observerai que celle-ci n’est pas inscrite dans la Constitution. J’observerai surtout qu’à coup sûr nous en arriverions à une Assemblée comportant des partis charnières, c’est-à-dire à un déséquilibre entre la représentativité de telle ou telle famille politique ou de tel ou tel élu d’une part, et l’importance de ses votes de l’autre – c’était très souvent le cas sous la IIIe et la IVe République. En découleraient, de façon assurée, instabilité, blocage, paralysie.
L’autre proposition forte est celle de fusionner le Sénat et le CESE. Ce serait là une remise en cause du bicamérisme, qui est pourtant au cœur de nos institutions depuis le début de la République, et qui prévaut dans la plupart des démocraties. C’est aller trop vite et trop fort, alors que l’apport du Sénat dans les discussions parlementaires est essentiel. Nous légiférons de façon plus qu’imparfaite ici, à l’Assemblée nationale, et heureusement que le Sénat est là pour écouter les représentants des groupes d’intérêts – souvent honnis et pourtant indispensables : c’est ainsi que sont parfois sauvés des pans entiers de notre économie. Il vaudrait mieux insister sur le rôle du Sénat – mais aussi de l’Assemblée – dans le contrôle et l’évaluation.
Supprimer la limite du nombre de commissions, ce serait revenir à la situation de la IIIe et de la IVe République : on connaît les conséquences délétères d’une telle mesure. Quant à supprimer l’article 40 de la Constitution alors que nous avons plus de 2 000 milliards d’euros de dettes, je vous invite à réfléchir quelque peu !
Vous demandez enfin une modernisation de la procédure. Il faudrait commencer par mettre en œuvre ce qui existe déjà dans notre Constitution et dans notre règlement. Ne jetons pas au panier la semaine de contrôle alors que nous n’usons pas des pouvoirs qui ont été inscrits dans la réforme de 2008, ce que je regrette énormément ! Si nous voulons mieux légiférer, il faut moins légiférer. Si nous voulons mieux remplir notre mission, il faut passer plus de temps à évaluer, à contrôler : ce n’est pas en supprimant la semaine de contrôle que nous y parviendrons.
M. Michaël Foessel. Je suis sensible à ce travail, que je découvre, et à la méthode qui a été retenue pour l’élaborer. À la lecture de ces pages, j’ai le sentiment que, au-delà des différences entre les professions ou les convictions, un relatif consensus s’est dégagé parmi les membres de ce groupe de travail autour du fait que le temple dont nous parlons mérite un ravalement de façade.
Ma première remarque porte sur le statut du Président de la République. Karine Berger rappelait qu’il y avait un très fort consensus pour revoir les pouvoirs du Président – la formule implique que l’on peut aussi bien les accroître que les limiter. Le groupe de travail n’ayant pas souhaité envisager une VIe République, il nous faut à tout le moins réfléchir aux moyens de rétablir l’autorité du Président de la République. Dans le contexte de la Ve République, je ne vois pas d’autre solution que d’allonger son mandat, le septennat permettant au Président d’apparaître véritablement comme un arbitre, à condition que ce mandat soit impérativement non renouvelable : ainsi la fonction présidentielle retrouverait-elle l’autorité qu’elle tend à perdre à force de se calquer sur le temps médiatique.
Ma seconde remarque porte sur la présentation d’ensemble. Tout en ayant abandonné mon espoir romantique d’une assemblée constituante et d’une VIe République, je trouve que le rapport tarde à mentionner les citoyens : le terme n’apparaît qu’à la proposition n° 14. Or je ne surestime pas la capacité ou le goût des journalistes pour lire au-delà des trois ou quatre premières propositions et il me semble que les deux premières propositions, avec lesquelles je suis d’accord, devraient porter sur les citoyens, plutôt que sur les élus. Je suis notamment favorable aux ateliers législatifs citoyens : cette proposition intéressante permettrait d’associer les citoyens à un travail sur les institutions que, bien souvent, ils considèrent à tort comme secondaire.
Quelle que soit la solution adoptée, il faudrait faire remonter ce genre de proposition dans la présentation, ne serait-ce que pour convaincre les citoyens, et peut-être le premier d’entre eux que la repolitisation – au meilleur sens du terme – des enjeux actuels passe par un débat de vaste ampleur sur les institutions.
M. le président Claude Bartolone. Au moment où nous réfléchissons notamment au titre de notre rapport, il apparaît que ce mot de citoyens devra jouer un rôle significatif.
M. Denis Baranger. En lisant le rapport, je suis à la fois soulagé et reconnaissant : soulagé parce que, n’ayant rendu ma contribution qu’hier soir, je ne me sens pas trop, ce matin, désavoué par la synthèse et par le consensus ; reconnaissant, car ce travail s’est fait sous le signe de la liberté et du réalisme. Il faut se rendre compte que le rapport Vedel, en 1993, représentait cinq pages du Journal officiel. Les rapports qui ont suivi – ceux de la commission Balladur ou de la commission Jospin – étaient très intéressants, mais, présentés sous forme de synthèse, ils ne permettaient pas de savoir ce que les membres pensaient individuellement – c’est pourquoi Dominique Rousseau avait milité en faveur d’une opinion dissidente. Dans notre cas, la liberté est totale : toutes les interventions publiques figureront dans le tome II du rapport, tous les enregistrements sont retranscrits. Quel que soit le contenu de ce rapport, je peux d’ores et déjà dire qu’il me convient, puisque nous avons eu la possibilité de dire ce que nous pensions.
J’ai parlé de réalisme : nous ne demandons pas l’impossible, nos propositions sont assez vraisemblables, bonnes et plausibles, et ne remettent pas en cause le noyau dur de stabilité de la Ve République. Je suis moins inquiet que le président Accoyer : le noyau dur des institutions n’est pas remis en question, et les modifications proposées peuvent présenter un certain intérêt. Je dirai, après Giuseppe Tomasi di Lampedusa, qu’il faut que tout change – un peu – pour que rien ne change.
La représentation proportionnelle n’a pas les mêmes conséquences selon qu’elle porte sur 10 %, 20 % ou 50 % de l’Assemblée. Monsieur le président Bartolone, vous avez, dans votre livre, proposé entre 10 % et 20 % ; le rapport Jospin proposait 10 %. La représentation proportionnelle est nécessaire pour faire taire l’argument de la non-représentativité, mais il ne faut pas se priver de la possibilité de constituer des majorités. Si j’ignore où placer exactement le curseur, je sais que 50 %, c’est trop, et que 10 %, ce n’est pas assez. Selon la proportion retenue, les propositions sont très différentes.
J’avoue avoir un doute sur la question des référendums d’initiative populaire. Je ne suis pas contre l’initiative populaire, mais le référendum reste toujours une technique médiatisée.
J’appelle votre attention sur un point technique. Dans la proposition n° 4, il est écrit au second paragraphe : « perfectionner la procédure prévue au premier alinéa de l’article 11 de la Constitution en élargissant son champ pour en faire un véritable référendum législatif ». La formule me gêne un peu, car, d’un point de vue technique et juridique, le référendum prévu à l’article 11 est d’ores et déjà un véritable référendum législatif. Le Conseil constitutionnel a même jugé dès 1962 qu’il manifestait l’expression directe de la volonté nationale. Je comprends la vision politique qui pousse à écrire que cette mesure le transformerait en un véritable référendum législatif, mais c’est déjà le cas : une loi adoptée en application de l’article 11 est une loi ordinaire de la République, au même titre qu’une loi adoptée par le Parlement, à la différence qu’elle ne fait pas l’objet d’un contrôle du Conseil constitutionnel.
S’agissant de la proposition n° 7 sur l’inversion des calendriers, qui me séduit assez, une jurisprudence du Conseil constitutionnel précise qu’il est conforme à l’esprit des institutions que le Président de la République soit élu avant l’Assemblée nationale. Cette proposition, qui me plaît politiquement – au sens de politique constitutionnelle et non de politique partisane –, signifie le retour de la dissolution. Un président embarrassé par une majorité insuffisante voudra dissoudre. Veut-on le retour de la dissolution ? Pour le moment, elle est heureusement entrée en désuétude, car ce qui s’est passé en 1997 a montré que cela pouvait être dangereux.
M. le président Claude Bartolone. Certes, mais elle existe tout de même.
M. Denis Baranger. Je parle du retour de la pratique de la dissolution, de sa réactivation pratique.
Sur le CESE, je comprends fort bien l’intention politique qui était la vôtre, monsieur Bartolone : je pense qu’elle est très bonne, mais je crains que le Sénat ne s’y rallie pas – pardon d’enfoncer une porte ouverte, c’est le défaut des universitaires que d’être parfois naïfs !
Si l’on supprimait les comités Théodule pour faire du CESE le lieu d’accueil des comités d’experts, cela le réactiverait un petit peu. L’exécutif pourrait choisir, dans certains cas, un comité d’experts ad hoc, mais il devrait apporter la preuve qu’il est nécessaire de créer un comité Théodule. Le droit commun serait de donner ce travail au CESE.
D’autre part, ne pourrait-on demander au CESE d’être le lieu de contrôle ou de supervision des études d’impact de l’exécutif ? Cela renforcerait ses compétences.
Enfin, je partage les remarques figurant à la fin du rapport en ce qui concerne la justice, avec un petit regret : nous aurions dû aller jusqu’à proposer la suppression de l’article 64 de la Constitution. Que le Président de la République soit garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire est une contradiction dans les termes, un oxymore. Si vous êtes indépendant, un autre pouvoir de l’État ne peut se porter garant de votre indépendance. Ce qui pouvait se comprendre en 1958 ne représente plus rien aujourd’hui, c’est même potentiellement dangereux.
Une fois de plus, j’ai beaucoup appris lors de ces réunions, j’ai beaucoup changé, et je suis extrêmement reconnaissant à tous les membres du groupe de travail, aux administrateurs et aux fonctionnaires de l’Assemblée nationale pour ce travail magnifique.
Mme Marie-Anne Cohendet. Je tiens à remercier les présidents de notre groupe de travail ainsi que l’ensemble de ses membres pour la qualité et le sérieux qui ont caractérisé nos passionnants débats, lesquels se sont toujours déroulés dans le respect des opinions de chacun. Si je souscris à la plupart des propositions contenues dans le prérapport, j’ai néanmoins relevé quelques erreurs qui pourraient en affecter la crédibilité.
Je pense en particulier aux erreurs de droit majeures qui figurent dans un tableau conçu par des collègues politistes et reproduit dans le rapport. Il y est en effet indiqué que, dans d’autres pays de l’Union européenne, le Président dispose de pouvoirs très importants, en particulier en matière législative. Or ces pouvoirs sont en fait soumis à contreseing ; ils sont donc très limités. Outre qu’elle est erronée, une telle affirmation est problématique au regard de la théorie de la séparation des pouvoirs et des principes démocratiques. Il ne serait donc pas très heureux d’insérer ce tableau dans notre rapport.
Par ailleurs, il est indiqué que « les membres du groupe de travail ont estimé que réorienter la fonction du Président de la République vers les missions que lui confère l’article 5 de la Constitution n’impliquait pas de lui retirer les pouvoirs de gouvernement qu’il tire de la lettre de la Constitution ». Cette formulation maladroite, sans doute due à l’importance du travail de rédaction, risque de faire rire les constitutionnalistes. Si une majeure partie de la doctrine admet que, dans les faits, le Président exerce des pouvoirs plus importants que ceux que lui confère le texte de la Constitution, il n’y a pas grand monde pour affirmer qu’il tiendrait ses pouvoirs de l’article 5. J’ajoute que nous pourrions donner le sentiment de légitimer des abus de pouvoir présidentiels et des violations de la Constitution et que ne sont même pas évoquées les périodes de cohabitation, durant lesquelles cette pratique inconstitutionnelle est remise en cause. Il convient donc de revoir cette formulation qui pourrait avoir des conséquences pratiques fâcheuses.
De même, on mentionne, à propos du Président de la République, « son Premier ministre, responsable devant lui ». J’apprécierais que cette formule soit nuancée ou qu’à tout le moins, on fasse état de réserves sévères émises par les membres du groupe de travail sur ce point, comme du reste sur la question du domaine réservé.
De manière générale, je constate que nous sommes à peu près tous d’accord pour reconnaître l’existence d’un grave déséquilibre entre les pouvoirs du Président de la République et sa responsabilité, de sorte qu’une forte majorité d’entre nous est favorable à une modification des fonctions présidentielles. Or, au bout du compte, on ne propose guère de changements en la matière. J’ajoute, à ce sujet, que la proposition relative au septennat doit être, à mon sens, assortie de deux conditions : les pouvoirs du Président doivent être affaiblis et le mandat ne doit pas être renouvelable.
Par ailleurs, la proposition d’inversion du calendrier me paraît tout à fait positive. Je remarque que la question de l’article 16 n’est pas abordée – j’ignore quelle est la majorité sur ce point. Quant à la proportionnelle et aux expériences des IIIe et IVe Républiques, il n’y a pas lieu d’y revenir, dans la mesure où nous nous sommes longuement expliqués sur le sujet.
M. Alain-Gérard Slama. J’observe que le fait de prendre connaissance du document au dernier moment ne nous empêche pas d’en débattre, ce qui tendrait à prouver que les délais parfois réclamés par les élus pour préparer l’examen des textes qui leur sont soumis ne sont pas toujours nécessaires.
Ce travail me laisse admiratif, au point d’ailleurs que j’étais prêt à l’approuver dans son entier… J’insisterai cependant sur deux points qui me paraissent fondamentaux.
Le premier a trait au mode de scrutin. Il me semble que retenir, comme nous l’a proposé Bastien François, un système mixte dans lequel la moitié des députés seraient élus au scrutin majoritaire et l’autre moitié au scrutin proportionnel est une erreur. En effet, le principal problème auquel est confrontée notre société est celui de la fragmentation. Or, seul le scrutin majoritaire à deux tours oblige le pouvoir à se réguler en fonction d’une opposition forte et ferme. Un scrutin proportionnel produirait un pouvoir de compromis et de composition qui répondrait d’autant plus difficilement au problème de la fragmentation des opinions. Je sais que la notion de démocratie participative est en vogue, mais ces thèses reposent, selon moi, sur un contresens. La Ve République apporte la stabilité et l’unité, mais elle le fait, dit-on, au prix d’une société totalement normalisée et normative. Toutefois, il faut bien voir que la société elle-même exprime, hélas, une demande de règles très forte. Du reste, le législateur sait bien que le nombre excessif des lois est dû non pas tant à la volonté du législateur de manifester son pouvoir et son emprise sur la société qu’à une demande sociale illimitée qui croît à mesure que la société se complexifie et à laquelle les élus ne savent pas toujours résister. Il faut donc savoir où placer le curseur. À ce propos, j’ajoute que la non-limitation du nombre des commissions parlementaires serait également une erreur, car on créerait une commission par projet.
Le second point concerne la fusion du Sénat et du CESE. La fragmentation que j’ai évoquée est également corporatiste et identitaire. Or, faire prendre en charge cette fragmentation par une institution politique qui lui donnerait ainsi un écho considérable me semble être – aussi étrange que celui puisse paraître, dans la mesure où il s’agit de répondre à une demande – un contresens historique.
Quant au septennat, y croyons-nous vraiment ? En tout état de cause, il me semble qu’il devrait être non immédiatement renouvelable – on peut, certes, invoquer le cas Poutine, mais il s’agit d’un autre pays que la France. Nos dirigeants manquent en effet bien souvent de sens historique. La fin d’un mandat est forcément obérée par la préoccupation de son renouvellement, mais un septennat est à la fois plus long et trop court, dans la mesure où celui qui l’achève peut souhaiter briguer ultérieurement un second mandat afin de défendre des thèmes qu’il juge essentiels à l’intérêt du pays.
Ces deux points vont, selon moi, dans le sens de nos prémices.
Mme Seybah Dagoma. Je veux féliciter à mon tour les rédacteurs de ce prérapport qui me paraît tout à fait fidèle à nos débats. Je partage la plupart des propositions qu’il contient, même si certaines d’entre elles, notamment la non-limitation du nombre des commissions parlementaires ou la fusion du Sénat et du CESE, suscitent ma réticence. J’exprimerai néanmoins deux regrets. Le premier a été évoqué par Denis Baranger. Le second concerne l’articulation des institutions européennes et françaises. Bien entendu, il faut repenser le rôle et la responsabilité du Président de la République, mais n’oublions pas que les députés européens apparaissent bien souvent comme hors-sol. C’est pourquoi je déplore que nous n’ayons pas fait de propositions pour rapprocher ces derniers des citoyens ou pour renforcer le lien entre députés européens et députés nationaux.
M. le président Michel Winock. Je suis frappé par le fait que l’ensemble des intervenants se sont déclarés contre la fusion du Sénat et du CESE. Est-il trop tard pour revenir sur cette proposition ?
M. le président Claude Bartolone. Nous verrons, avant la réunion conclusive qui doit nous permettre de préciser l’organisation et l’architecture de notre rapport, ce que nous ferons de cette proposition, qui peut éventuellement être remise en cause.
Mme Marie-Jo Zimmermann. J’ajoute que nous n’avons jamais évoqué non plus une dose de proportionnelle de 50 %. Je souhaiterais donc que nous revoyions également ce point.
M. le président Claude Bartolone. C’est noté !
La réunion se termine à onze heures cinq.