Accueil > Groupe de travail sur l'avenir des institutions > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Groupe de travail sur l’avenir des institutions

Vendredi 2 octobre 2015

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 17

Présidence de M. Claude Bartolone et de M. Michel Winock

– Examen du rapport et vote, à huis clos

La séance débute à dix heures quinze.

M. le président Claude Bartolone. Seize réunions, soixante-quatre heures de débats, trente et une personnalités auditionnées : quelques chiffres qui ne peuvent bien évidemment résumer à eux seuls le travail ici accompli. Pourtant, nous voici arrivés, chers collègues, au bout du chemin – du moins de ce groupe de travail…

Vous trouverez devant vous un exemplaire du rapport final. Comme vous pourrez le voir, nous avons ajouté la quasi-totalité des remarques et des commentaires que vous nous avez adressés, ou que vous avez formulés lors de la dernière séance : je pense, par exemple, à la précision nécessaire sur le caractère non renouvelable et repensé du septennat présidentiel que nous proposons. De plus, le compte rendu des débats de la semaine dernière a été ajouté en annexe : toutes les réserves que vous avez pu formuler figureront donc dans le document final. Enfin, le document a été enrichi des éventuelles contributions personnelles que plusieurs membres ont souhaité rédiger.

S’agissant du point qui a fait le plus débat lors de la dernière séance, à savoir un éventuel rapprochement entre le Sénat et le Conseil économique social et environnemental – CESE – nous avons souhaité, avec Michel Winock, être, dans le présent rapport, extrêmement précis. Nous avons bien entendu pris en compte les remarques et les oppositions formulées par plusieurs d’entre vous. Nous avons également entendu celles et ceux qui sont venus nous voir après notre dernière réunion, pour nous indiquer qu’ils maintenaient également leurs positions.

Ainsi, dans un souci de clarification, nous avons souhaité porter à votre connaissance les éléments d’information suivants.

En premier lieu, il ressort de l’analyse des questionnaires que le groupe de travail a estimé, par dix-sept voix, que le rôle du Sénat devait être modifié. Cinq membres du groupe de travail seulement ont prôné le statu quo s’agissant de ses compétences et de ses missions. Par conséquent, le rapport souligne, tout d’abord, qu’il y a eu consensus sur le fait que le bicamérisme devait être rénové – c’est le nouveau titre de la proposition n° 10 – et que, dans ce cadre, les pouvoirs du Sénat devaient être revus.

Le rapport précise, en second lieu, que deux options ont été envisagées pour mettre en œuvre cette proposition. La première option consisterait à fusionner le CESE et le Sénat. Le rapport précise que cette proposition, majoritaire mais non consensuelle, a partagé la commission, en indiquant le nombre exact de votes qu’elle a obtenu : douze membres du groupe de travail se sont prononcés en sa faveur, neuf l’ont rejeté et deux ont préféré s’abstenir.

En outre, le rapport souligne que, dans le cadre de cette option, se pose la question de la composition de la nouvelle chambre. Certains membres, à l’instar de Bernard Thibault, se sont en effet inquiétés de voir une chambre composée pour partie de personnalités non élues par les citoyens disposer d’un pouvoir législatif.

Cet obstacle pourrait être néanmoins surmonté, comme l’indique le rapport, notamment via la proposition de Marie-Anne Cohendet. Je la cite : « La nouvelle chambre résultant de cette fusion pourrait contenir deux sections, le Sénat, composé d’élus locaux, et le CESE (modifié). Elles siégeraient le plus souvent ensemble, mais pourraient être séparées quand le Sénat se prononcerait en matière de collectivités locales, seul domaine dans lequel il participerait réellement au pouvoir législatif, avec les limites proposées dans le rapport. » Voilà pour la première option.

La seconde option, également évoquée par le rapport bien qu’elle soit minoritaire, consisterait à limiter les pouvoirs législatifs du Sénat aux sujets touchant aux collectivités territoriales. En parallèle, le CESE serait rénové pour devenir une chambre de la démocratie participative. Ce sujet a été évoqué notamment dans le cadre de notre échange avec le Président de la République.

Encore une fois, je le dis et je le répète : ce rapport est un rapport de convergence. Il met en avant, tout d’abord, les points de consensus forts : un septennat rénové ou bien encore l’introduction a minima d’une dose de proportionnelle.

Il précise ensuite quand une proposition est majoritaire bien que non consensuelle : c’est l’exemple sur la fusion Sénat-CESE que nous venons d’évoquer.

Je le souligne également : ce rapport n’a pas vocation à engager chacun et chacune d’entre nous sur l’ensemble des propositions qui y sont formulées. Nous pouvons donc, à titre personnel, exprimer nos réserves sur tel ou tel point. Pour certains, vous l’avez d’ailleurs fait, et ces réserves figurent dans le document.

J’ai fait part des miennes quant à la première proposition. Michel Winock a également fait part des siennes. Pour autant, nous assumons pleinement ce rapport et sommes très heureux du travail collectif accompli.

En notre qualité de présidents de ce groupe de travail, nous ne nous sommes accordés en définitive qu’un privilège et un seul : celui du choix du titre du rapport. Et encore, même sur ce point, nous devons vous avouer qu’il nous a été soufflé par Michaël Foessel.

Après cette année passée ensemble, je suis plus que jamais persuadé d’une chose : il y a au fond deux manières de parler de nos institutions et de la démocratie. Soit on considère qu’on a la solution parfaite et on campe sur ses positions, avec la garantie que rien ne change ; car il n’y a aucune raison que les autres n’en fassent pas de même. Soit on se dit que la démocratie mérite bien un débat et que ce n’est qu’à travers le débat que l’on peut définir ce que doit être notre démocratie, c’est-à-dire nos règles collectives.

Je crois que c’est tout le sens de ce rapport. Il ne répond à aucune commande. Il ne prétend pas apporter de solutions définitives ou suffisantes. Il ne prétend et ne souhaite qu’une chose et une seule : initier un débat.

L’alliance de personnalités qualifiées et de parlementaires qui y ont contribué est, je le crois, l’un des atouts principaux de ce rapport. De ce fait, nous ne nous sommes pas placés dans une logique de partis mais sur le terrain du débat d’idées. C’est tout l’esprit de ce groupe, qui comporte plus de personnalités qualifiées que d’élus, et c’est tout l’esprit dans lequel ce rapport a été rédigé, les questionnaires ayant démontré de manière frappante que les clivages transcendent largement les formations politiques.

Tout à l’heure, nous sortirons de cette pièce pour nous rendre à l’hôtel de Lassay et présenter ce rapport aux journalistes. Pour ma part, c’est cet esprit et cette méthode que je tenterai de mettre en avant, en essayant, avec Michel Winock, d’être un fidèle ambassadeur des débats de notre groupe de travail.

Chers collègues, et j’ai même envie de dire aujourd’hui, avec tout le sens politique que les Grecs donnaient à ce mot : chers amis, pour vos idées, votre ouverture d’esprit, votre engagement et, par-dessus tout, votre travail, je tiens à vous remercier sincèrement.

Avant de vous céder la parole pour ce qu’il est convenu d’appeler une explication de vote, je forme le vœu que chacun et chacune d’entre nous fasse connaître ce rapport, le porte, le fasse vivre, en invitant les citoyens et les citoyennes de ce pays à se saisir de la question démocratique.

C’est sans doute ce qu’est précisément en train de faire, au moment où je vous parle, Guillaume Tusseau, qui n’a pu être des nôtres lors de nos dernières séances : il a une bonne excuse, puisqu’il enseigne à cette heure nos institutions politiques aux étudiants en première année de Sciences Po. Il nous a chargés de vous dire et le regret de ne pas pouvoir être avec nous et son approbation du rapport qui vous est soumis pour adoption ce matin. Karine Berger, pour sa part, nous a également transmis une délégation de vote en ce sens.

Je remercie enfin Michel Winock, d’avoir accepté de coprésider avec moi ce groupe de travail. Je ne lui dirais jamais assez combien son sens du récit historique nous a aidé à mieux ancrer nos réflexions dans la continuité de l’Histoire.

M. le président Michel Winock. Je commencerai par dire le vrai bonheur que j’ai eu à participer à ces travaux, menés dans un souci de clarté, de respect mutuel, et qui ont abouti à un rapport que j’estime solide. Il peut certes être discuté et ne fait pas l’objet de notre unanimité, mais ce n’était pas le but visé.

En ce qui concerne sa diffusion, nous allons être très sollicités par les médias. Cela a déjà commencé, puisque est paru dans Le Monde d’hier un entretien que j’ai donné au journal, pensant qu’il ne serait publié qu’aujourd’hui, après la conclusion de nos travaux. Mais, la rivalité entre médias étant ce qu’elle est, le journal n’a pas attendu pour sa publication. Le journaliste ayant par ailleurs eu en main une version de notre travail, je ne pouvais me soustraire à ses sollicitations et j’espère que vous ne m’en voudrez pas.

Pour le reste, si je dois être de nouveau sollicité par les médias, je m’efforcerai de ne pas présenter ce rapport sous un angle partisan et de bien indiquer que le consensus, réel sur certains points, ne signifie pas que nous nous soyons tous accordés sur d’autres. J’ai par exemple pris connaissance de la proposition de Marie-George Buffet, qui plaide pour une VIe République, or je crois que nous n’avons guère abordé cette question.

Mme Mireille Imbert-Quaretta. C’est avec un plaisir non dissimulé que j’ai pris connaissance de ce rapport. Il me semble que c’est la première fois qu’un rapport sur un sujet aussi important se garde d’apporter des solutions « clef en main », sans offrir d’alternative.

Son grand intérêt à mes yeux est que les réponses qu’il propose à la crise des institutions ouvrent différentes perspectives. Il suggère bien sûr des réformes constitutionnelles et législatives mais également des évolutions dans notre pratique des institutions, ce qui passe par des changements simples à mettre en œuvre.

Il a aussi le mérite d’avoir associé des individualités très différentes, des parlementaires et des personnalités qualifiées, qui ne sont pas uniquement des constitutionnalistes. C’était une manière d’associer des citoyens lambda – au rang desquels je me compte – à la réflexion sur ce que doivent être les institutions qui permettront le vivre-ensemble.

Je ne suis pas d’accord avec toutes les propositions, mais celles qui permettent de modifier les équilibres entre le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et l’autorité judiciaire ont fait consensus. Il n’était pourtant pas d’emblée évident que nous revenions sur le quinquennat – même si chacun s’accordait à reconnaître qu’il posait problème – et que nous proposions de rétablir le septennat.

Sur l’élaboration de la loi, dont on a dit à maintes reprises qu’elle n’était pas satisfaisante, nous nous sommes entendus pour considérer que cela relevait moins d’une réforme constitutionnelle que d’une redéfinition des rapports qu’entretiennent dans la pratique l’exécutif et le législatif.

Quant à la transformation de l’autorité judiciaire en pouvoir judiciaire, elle fait, elle aussi, consensus.

Tout au long de l’année qu’ont duré nos travaux, j’ai pour ma part évolué, grâce en particulier à la qualité des intervenants, et accepté des perspectives qui me semblaient jusqu’alors fermées.

Ce document qui ouvre des pistes à travers différents champs me semble donc d’autant plus précieux qu’au-delà des réflexions qu’il peut susciter il comporte certaines propositions qui pourraient être mises en œuvre assez rapidement.

Mme Christine Lazerges. D’une assemblée aussi diverse que la nôtre, il n’était pas évident de dégager une pensée qui, sans être une pensée unique, est une pensée construite. Au-delà de ce que nous proposons, je voudrais donc m’arrêter un instant sur la façon dont nous avons fonctionné et qui m’a beaucoup appris sur l’élaboration d’un consensus, ce dont il faut remercier nos deux présidents, qui ont su mener les débats pour y parvenir. Je tiens également à remercier les services de l’Assemblée ainsi que le cabinet du président pour la mise en forme de ce rapport, qui nous ressemble, à nous tous qui, a priori, ne nous ressemblons pas.

Cela étant, je trouve dommage que, dans les premiers articles de presse que j’ai lus, dans Le Monde et Libération, il n’y ait pas un mot sur le pouvoir judiciaire. Si les journalistes s’intéressent accessoirement au pouvoir législatif mais surtout au pouvoir exécutif, ils ignorent complètement le pouvoir judiciaire, alors même que la justice de notre pays fait l’objet des critiques que l’on sait, critiques qui englobent jusqu’au Conseil constitutionnel. J’espère donc qu’au cours de la conférence de presse qui va suivre nous aurons l’occasion d’en dire un mot, d’autant plus qu’il s’agit du volet de notre rapport qui a recueilli le plus fort consensus.

Concernant enfin la diffusion de ce rapport, est-il envisagé qu’il soit publié par La Documentation française ou par une autre maison d’édition ? Il me semble qu’il le mérite et que cela lui donnerait une plus large audience que celle à laquelle peuvent prétendre les documents publiés par l’Assemblée nationale.

M. le président Claude Bartolone. Je tiens à préciser ici qu’en théorie la presse ne devait pas rendre compte de nos travaux avant aujourd’hui. L’emballement médiatique en a décidé autrement. D’où les manques que vous déplorez mais que nous rectifierons au cours de la conférence de presse.

M. Ferdinand Mélin-Soucramanien. Comme tout le monde ici, j’éprouve une grande satisfaction à l’issue de cette année passée ensemble. D’abord sur la méthode, qui m’a beaucoup appris et rappelle les conférences de consensus pratiquées dans certains pays. Je suis particulièrement conquis par le questionnaire préférentiel, que je saurai réutiliser le cas échéant.

Sur le fond ensuite, je me réjouis que nous ayons pu aller aussi loin sur certains sujets. Je suis notamment heureux de voir progresser la question du cumul dans le temps, sujet sur lequel, une commission à laquelle j’appartenais avait, il y a deux ans, essuyé un revers cinglant.

Le consensus auquel nous sommes parvenus me satisfait donc pleinement même s’il a émergé, monsieur le président, contre votre volonté…

M. le président Claude Bartolone. Merci d’appuyer là où ça fait mal !

M. Ferdinand Mélin-Soucramanien. Cela prouve au contraire le caractère ouvert de nos discussions.

Je me réjouis également que nous n’ayons pas hésité à mettre en avant le pouvoir judiciaire, formule qui, aux oreilles de certains, claque pourtant comme un gros mot.

Nous avons, avec ce rapport, allumé une mèche lente. Certains rapports produisent des conclusions qui s’apparentent à des fusils à tirer dans les coins. J’espère que le nôtre s’apparente davantage à un fusil à longue portée et que nous finirons par toucher la cible. Je suis sur ce point plus optimiste aujourd’hui que je ne l’étais à mon arrivée dans ce groupe de travail.

Je souhaiterais, cela étant, savoir si l’emballement médiatique dont vous avez parlé nous laisse néanmoins une marge de manœuvre où s’il a définitivement scellé les débats. Je songe notamment à la question du vote obligatoire et du vote blanc : l’expression de nos souhaits sur le vote obligatoire a en effet fait passer à la trappe la question du vote blanc, alors qu’il s’agissait d’une question consensuelle. Peut-on envisager d’y revenir ? De même pour la question de la fusion entre le Sénat et le CESE.

En ce qui concerne la diffusion de ce rapport, La Documentation française a en effet coutume de publier ce type de document, mais il me semble qu’il y aurait du sens, dans ce cas précis, à ce que les presses de l’Assemblée nationale se chargent de la publication, à moins d’envisager la solution choisie pour le rapport Balladur, qui fut publié par une maison d’édition privée, ce qui lui a assuré une large diffusion.

M. le président Claude Bartolone. Nous ne pouvons rouvrir le débat au stade où nous en sommes. Tout ajout que vous souhaiteriez faire ne pourrait faire l’objet que d’un document distinct exprimant une position personnelle.

Quant à la publication, nous ferons évidemment en sorte que ce rapport joue, comme il se doit, son rôle dans les discussions à venir.

M. Arnaud Richard. Je suis évidemment déçu que la presse se soit fait l’écho de notre rapport alors qu’il était convenu que personne n’en parle.

Sur le fond, je suis convaincu que ce sont avant tout les usages et les pratiques de la Ve République qui méritent d’être revus plutôt que la Constitution dans son ensemble. J’ai pour ma part beaucoup évolué sur la question du mode de scrutin et considère en définitive que la proportionnelle intégrale est certainement le meilleur système. Je suis également persuadé que nos trois assemblées ont chacune leur rôle : l’Assemblée nationale, qui doit mieux utiliser les pouvoirs qui sont les siens ; le Sénat, qui n’a pas vocation à se transformer ; le CESE enfin, qui doit retrouver sa place dans le débat public, ce qui passe par une révision du mode de nomination des personnalités qualifiées qui, en l’état, l’affaiblit.

Certaines propositions émanant des uns ou des autres ne figurent pas dans le rapport. Je pense qu’un spoil system à la française permettrait une mise en œuvre plus efficace de la politique gouvernementale.

Je reste également convaincu qu’un certain nombre de choses sont vouées à évoluer avec le non-cumul des mandats, mais que nous n’avons malheureusement pas encore trouvé les outils permettant à ce dernier de trouver toute son efficacité.

Je suis assez défavorable à certaines mesures figurant dans le rapport, qu’il s’agisse de l’augmentation du nombre de commissions, de l’abrogation de l’article 40 ou de l’interdiction qui serait faite au Gouvernement d’amender ses projets de loi, persuadé qu’il s’agit là d’une mesure inapplicable. Je regrette également que n’y figurent pas davantage de pistes de réflexion concernant l’Europe, le rôle de la Cour des comptes, la démocratie sociale, au sujet de laquelle nous n’avons pas formulé de propositions : cela aurait certes été ambitieux mais nous aurions pu nous interroger sur la pertinence de maintenir inscrites à l’article 34 les règles relatives au droit du travail ; un accord national interprofessionnel ne pourrait-il en effet être considéré comme une ordonnance et mis en œuvre sans une validation du Parlement ?

Nous n’avons pas non plus suffisamment travaillé sur les contraintes auxquelles il convient de soumettre l’exécutif, en l’obligeant notamment à présenter les projets de décret avec les projets de loi. Cela concourrait à légiférer plus vite, ainsi qu’en a émis le souhait le Président de la République, ce qui passe également par la limitation des navettes parlementaires.

Nous n’avons pas non plus abordé la question du PLFSS, parfaitement illisible, ce qui n’est heureusement plus le cas du PLF depuis la LOLF.

En ce qui concerne le statut d’élu, c’est plutôt la question de l’engagement qui mérite d’être approfondie.

Je m’étonne enfin que les partis politiques, pourtant inscrits dans la Constitution, soient si peu présents dans nos propositions.

Je suis donc partagé devant ce rapport dont je fais miennes nombre de propositions mais dont je regrette qu’il comporte quelques omissions.

M. Alain-Gérard Slama. Je remercie à mon tour nos présidents pour la manière dont ils ont conduit nos débats. Je tiens également à saluer le formidable travail accompli par les services de l’Assemblée, dont la qualité prouve que la formation dispensée à nos élites à Sciences Po, à l’ENA ou ailleurs n’est sans doute pas aussi défaillante qu’on le dit.

Chacun retiendra de ce rapport ce qui lui fait plaisir. Il importe de le considérer avant tout comme un instrument de travail. Il me semble en tout cas confirmer que la Constitution de la Ve République est un miracle de réussite et d’équilibre, qui tient depuis soixante ans. Je ne doute pas que son surmoi a conduit chacun d’entre nous à l’admettre implicitement, puisqu’en définitive peu sont ceux qui ont plaidé – ou bien in petto – pour une VIe République. Je m’en réjouis.

Le président de la République demeure dans ses attributions, comme nous l’a recommandé le Président de la République. Comme le disait Émile Combes à propos de la politique étrangère : « Laissons cela messieurs, c’est l’affaire du Président de la République et de M. le ministre des Affaires étrangères. » Cette constante dans notre culture constitutionnelle a, à mes yeux, toute sa vertu.

Pour le reste, j’aurais sans doute souhaité que tout ce qui, dans nos propositions, améliore les conditions dans lesquelles on travaille au sein de nos institutions et favorise les contrepouvoirs soit davantage développé. C’est particulièrement vrai pour la justice, dont je défends l’autonomie, en me félicitant que nous ayons enfin eu le courage de parler d’un pouvoir et non d’une simple autorité judiciaire. Ce sont des avancées considérables.

Pour ce qui regarde l’amélioration du travail législatif, je comprends que les élus souhaitent être débarrassés de l’article 40, mais le peu d’expérience que j’ai de la préparation de certaines lois m’a enseigné que l’article 40 avait sa vertu, puisqu’il limite la possibilité d’engager des dépenses dont on ne serait pas assurés du recouvrement

Je maintiens les réserves que j’ai formulées par écrit sur le système électoral. S’il n’est pas inscrit dans le marbre de notre Constitution, il y a pour cela une raison, c’est qu’il répond à une opportunité historique. Je ne crois pas qu’aujourd’hui l’instauration de la proportionnelle intégrale serait une bonne chose ; mais pourquoi pas 15 % ?

Je reste par ailleurs gêné par la notion de démocratie participative. Prenons garde en effet que la démocratie participative n’aboutisse pas à accroître démesurément la fabrique des lois alors que nous nous plaignons déjà qu’elles sont trop nombreuses.

D’aucuns se satisferont de ce rapport qui pousse la réforme dans le bon sens ; pour d’autres, il s’agira d’aller plus loin encore. C’est une question de curseur.

Quant à son édition, il me semblerait opportun que la présentation de ce document soit faite à deux voix, messieurs les présidents, chacun mettant en exergue les aspects dont il considère qu’ils vont dans le bon sens. Ce ne serait pas inutile à l’usage des journalistes, car il serait regrettable que les nuances et la subtilité dont vous avez fait montre échappent aux lecteurs.

Nous avons trop tendance en France à faire des réformes qui rendent possible les réformes, et il serait temps que nous nous arrêtions à des conclusions précises. C’est à mon avis ce à quoi tend ce rapport, qui s’offre comme un bel outil pour garantir la stabilité et la représentativité de nos institutions.

M. Bernard Thibault. Hésitant au départ, je me félicite d’avoir accepté de participer à ce groupe de travail. L’expérience a été enrichissante et, par les temps qui courent on ne peut pas faire la fine bouche devant une occasion d’enrichissement personnel et il faut savoir s’appuyer sur tous les motifs de satisfaction.

Une des vertus principales que je vois à ce rapport, un souhait en tout cas que je formule, c’est qu’il alimente le débat public, y compris dans ses aspects les plus contradictoires ; c’est le propre de la démocratie.

Comme la plupart d’entre nous, je me retrouve pleinement dans certaines propositions ; d’autres me laissent plus sceptiques. Je prends acte de la modification intervenue sur la proposition n°10 à l’issue de notre dernière réunion, même si la position finale n’est pas encore pleinement satisfaisante à mes yeux.

J’exprimerai un regret, dans lequel j’ai sans doute une part de responsabilité, c’est que nous n’ayons pas abouti à des propositions concernant plus spécifiquement la démocratie sociale. Cela s’explique par le fait que nous nous sommes largement focalisés sur la représentation politique, mais la dimension citoyenne de nos institutions inclut un aspect social qu’il aurait fallu creuser davantage. Là est sans doute ma réserve principale.

Pour ce qui est de la couverture médiatique de nos travaux qui a anticipé sur leur conclusion officielle, ne nous faisons guère d’illusions : dès lors qu’une commission se met en place avec trois membres, il existe potentiellement trois sources de fuite. Si cela peut contribuer à accroître l’appétit pour ce type de débat, accommodons-nous-en. Le plus important est qu’à notre manière nous alimentions ce débat, ce qui est indispensable. Je suis donc satisfait par cet exercice et remercie à mon tour nos deux présidents.

Mme Virginie Tournay. J’ai été heureuse de participer à cette réflexion collective. Ce fut d’abord pour moi un très bel exercice d’expérimentation démocratique en raison tant de la composition hétérogène de ce groupe de travail que du format des discussions et de la dimension prospective de nos travaux.

Ce fut aussi un bel exercice de lucidité. L’idée de départ n’était pas de proposer un nouveau Meccano institutionnel mais d’imaginer ce que pourraient être demain les institutions en partant d’une démarche socio-historique. Cet angle d’attaque est indispensable pour poser un diagnostic précis de nos institutions politiques mais ce faisant, vous n’avez pas adopté la voie la plus facile car, d’emblée, elle nous sort de la logique qui consiste à penser la crise des institutions uniquement à partir de l’ingénierie institutionnelle. Nous ne pouvions entrevoir à l’avance nos résultats, ce qui nous a placés dans une stimulante situation d’incertitude intellectuelle.

L’originalité de ce rapport réside dans le pari de rendre compte de nos institutions politiques en travaillant sur la relation qu’entretient leur mécanique interne avec les dynamiques sociales à l’œuvre dans les médias, la démocratie sociale, les questions européennes et la culture scientifique.

Je tiens à remercier les présidents d’avoir ouvert la discussion à partir de ce présupposé et d’avoir pris un risque en choisissant de composer le groupe de travail comme ils l’ont fait. Je remercie également le personnel de l’Assemblée nationale pour le travail qu’il a réalisé pour aboutir à ce rapport car saisir cette relation entre institutions politiques et dynamiques sociales est complexe.

Il me semble que c’est cette relation même qui est à l’origine des divergences que l’on a pu observer au sein du groupe : sur le diagnostic même de crise, sur la représentativité politique et les quotas. A priori, on pourrait penser que la défiance des citoyens vis-à-vis de leurs élus est susceptible de trouver un début de réponse dans une plus grande correspondance sociologique entre la société civile et ses représentants. La prise en compte des dynamiques sociales introduit cependant une nouvelle variable : la proximité, qui n’est pas synonyme de représentation. Et de cette variable dépend la confiance des citoyens à l’égard de leurs élus.

Je suis très sensible aux réflexions et propositions qui placent le citoyen en leur centre, en en faisant le bénéficiaire direct de nos réflexions. À cet égard, je suis séduite par la proposition de Cécile Untermaier de créer des ateliers législatifs citoyens car elle est susceptible d’influer sur la variable de proximité et ce faisant sur la confiance politique du citoyen en lui permettant de participer à la vie politique. À mon sens, cette initiative a une efficacité supérieure à celles qui se rapportent plus immédiatement à la machine représentative.

J’ai également été séduite par les réflexions concernant les terminaisons de l’action publique, même si elles n’ont pas forcément débouché sur des propositions concrètes. Moderniser le Parlement en diminuant l’inflation législative et en s’efforçant d’assurer un suivi de l’effectivité des politiques engagées me semble fondamental. Il importerait de favoriser les études d’impact et de développer des indicateurs de suivi. Cette question rejoint le débat que nous avons eu sur l’accountability, autrement dit la nécessité pour le citoyen que la mécanique institutionnelle assure non seulement une bonne fabrique de la loi mais aussi un contrôle de sa mise en application.

Sur le plan de la justice, la création d’un ordre de juridictions sociales pourrait être une très bonne chose comme, plus largement, toutes les mesures permettant aux citoyens défavorisés de se constituer en sujet de droit. Elles m’apparaissent doublement marquantes : d’une part, elles touchent à la fois le fonctionnement in situ de nos institutions et la façon dont elles sont vécues par les citoyens ; d’autre part, elles sont de nature à améliorer la confiance vis-à-vis des responsables politiques.

Je formulerai toutefois un regret : il n’y a pas de trace dans le rapport de nos débats sur les tenants et aboutissants de la démocratie dite participative, en particulier sur l’ingénierie participative en lien avec le principe de précaution. Il est peut-être prématuré de faire des propositions sur les formats de débats publics en matière de choix scientifiques et technologiques mais il aurait été bon, je crois, de mentionner dans le rapport les divergences qui sont apparues au sein de notre groupe de travail à propos de la constitutionnalité du principe de précaution. Cela aurait permis de montrer la complexité institutionnelle de la participation citoyenne et d’introduire les grands absents que sont les experts et les institutions scientifiques. Il est bien évident que ce problème du principe de précaution a des répercussions sur les relations entre institutions politiques et institutions scientifiques.

Enfin, s’agissant de la réception du rapport, il faut effectivement faire passer le message qu’il constitue un instrument de travail. Pour le reste, je ne doute pas que dans les trente prochaines années, les thésards qui s’attacheront aux représentations sociales de nos institutions s’approprieront ce matériau, le faisant vivre et proliférer.

M. Alain Tourret. En tant qu’avocat, je voudrais in limine litis m’adresser à nos deux présidents : tout d’abord pour remercier mon ami le président Bartolone de son excellente initiative car elle donne vie à la démocratie ; ensuite pour souligner le rôle essentiel du président Winock car, au sortir de cette année, j’ai le sentiment d’avoir contribué à l’enrichissement de la pensée politique pour participer au « siècle des intellectuels » avec un parfum de Mme de Staël mais aussi l’odeur normande qu’élu du Calvados je peux retrouver dans son Flaubert et bien sûr l’ombre portée de François Mitterrand qui a su légitimer la constitution de la VRépublique pourtant née d’un « coup d’État permanent ».

Que faut-il retenir de nos travaux ?

La rénovation des institutions est possible mais la révolution est impossible puisque nous ne sortons pas d’une guerre ; nous pouvons seulement intervenir à la marge. Ils comportent pourtant une idée forte : le septennat non renouvelable, proposition qui fut portée jadis par mon ami François Luchaire. Les Radicaux, ma famille de pensée tournée vers la figure de Gaston Monnerville, sont attachés au Sénat, qui a su en son temps s’opposer au pouvoir autoritaire et à toutes les forfaitures possibles. Face à l’exécutif, dont nous avons approuvé le renforcement, le pouvoir législatif doit trouver un nouvel équilibre, surtout si l’on retient le principe du vote à la proportionnelle qui affaiblira qu’on le veuille ou non le pouvoir législatif. Il importe donc – et, monsieur le président Bartolone vous aviez tenté de le faire à travers un groupe de travail interne à l’Assemblée – de modifier la procédure parlementaire. Celle-ci est trop complexe, trop longue, trop touffue et l’élaboration de la loi s’en ressent. Il ne faut retenir que la procédure accélérée : un vote à l’Assemblée, un vote au Sénat suivi d’une commission mixte paritaire, dont on retiendra tout ce qu’elle approuvera, ce qui n’est pas le cas actuellement, puis un retour à l’Assemblée. C’est par un vote rapide de la loi que nous irons vers une véritable démocratie parlementaire. Systématiser les navettes, cela ne rime à rien : cela enterre les projets et cela nuit à la démocratie. Pour avancer dans cette voie, il faut que le Parlement ait à sa disposition des outils, or il n’en a pas actuellement ou alors très peu. Nous ne soutenons pas que la Cour des comptes doive être à la disposition du Parlement mais nous considérons qu’elle constitue un outil essentiel qu’il s’agit de mobiliser comme cela se fait au Royaume-Uni avec le National Audit Office et aux États-Unis avec le Governement Accountability Office. Il nous faut des experts et quels meilleurs experts dans notre République que les membres de la Cour des comptes ?

Pour le reste, j’approuve les propositions qui permettent un débat d’idées renouvelé pour une France moderne dans une République moderne. Et j’espère, monsieur le président Bartolone, que le Président de la République en tirera toutes les conséquences utiles. Pourquoi ? Parce que j’estime qu’en 2016, il doit réunir le Congrès à Versailles autour de trois thèmes : le Conseil supérieur de la magistrature, la présence des anciens présidents de la République au sein du Conseil constitutionnel, les langues régionales. En effet, la rénovation de la Constitution, si elle doit rester marginale, doit être permanente. Or jusqu’à présent, il n’y a eu aucune convocation du Congrès alors que nous en avions eu plusieurs entre 1997 et 2002. C’est une mauvaise chose. Pour que la Constitution vive, il faut qu’elle soit renouvelée et par là même que le Congrès joue tout son rôle.

Mme Cécile Untermaier. Monsieur le président Bartolone, j’aimerais vous dire toute ma reconnaissance d’avoir placé le débat institutionnel au sein de l’Assemblée nationale. C’est une décision aussi courageuse qu’inédite. Je tiens également à vous remercier d’avoir ainsi composé notre groupe de travail : cette diversité a été un atout pour nous car le pluralisme des idées nous a permis d’avancer. Enfin, je vous remercie de la méthode que vous avez choisie, que je trouve extrêmement intéressante même si je ne me retrouve pas dans tous les résultats.

Le rapport final, par son caractère libre, reflète fidèlement les propos que nous avons tenus sans prétendre à l’exhaustivité. Comme les feux au sol qui guident l’atterrissage des avions, il pose des balises pour permettre à la démocratie de s’accomplir.

Le désaccord que j’ai avec certaines propositions ne me dérange pas. Ce rapport est un outil qui nous permettra de continuer à travailler. C’est finalement un gigantesque atelier, pour reprendre un terme que j’apprécie, que vous nous avez proposé, monsieur le président de l’Assemblée nationale. Encore une fois, je vous en remercie. En tant que députée, j’ai eu l’impression de faire œuvre utile tout au long des nombreuses séances qui nous ont réunis.

Toutes les propositions tendent à rechercher les moyens de restaurer la confiance du citoyen dans l’élu, interrogation constante qui nous a habités. Garder le temple, c’est bien ; savoir l’adapter à une société en pleine mutation, c’est encore mieux.

Maintenant, il nous reste à faire connaître cet outil de travail. Nous qui sommes élus devons aller dans nos circonscriptions pour débattre publiquement des institutions car elles ne sont pas notre apanage, elles sont d’abord aux citoyens, qui doivent s’y reconnaître.

Par ailleurs, outre la perspective d’un congrès en 2016 qui permettrait d’avancer sur certaines propositions, nous pouvons dès à présent réfléchir aux bonnes pratiques à mettre en œuvre au sein du Parlement. Je pense, comme Alain Tourret, qu’une seule navette serait de nature à améliorer le travail législatif ; pas une procédure accélérée  car un temps suffisant est nécessaire pour nous permettre de bien réfléchir aux textes qui nous sont soumis, ce qui passe sans doute par des discussions préalables avec le Gouvernement.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Monsieur le président, à mon tour, je salue votre initiative : ce travail était nécessaire. Et je me félicite en tant qu’ancien professeur d’histoire et de géographie de votre choix d’avoir confié la co-présidence à l’historien qu’est Michel Winock car ses éclairages ont permis de mettre les choses à leur juste place. La variété de notre groupe de travail souligne la nécessité pour le parlementaire de veiller plus encore à ce que lui apporte la société au-delà de son expérience d’élu de terrain ; je veux parler des sociologues, politologues, philosophes qui réfléchissent à nos actions.

Je remercie l’ensemble des services de l’Assemblée. Ce rapport permet de mesurer à quel point le professionnalisme des administrateurs – que j’ai déjà pu apprécier pendant près de dix ans à la délégation aux droits des femmes – est une réalité. Nous sommes bien accompagnés !

J’en viens au fond du rapport. Si j’ai souhaité ajouter une contribution personnelle, c’est qu’il y a une proposition qui me dérange beaucoup, celle qui concerne la modification du rôle du Sénat. Je ne dis pas qu’elle n’a pas lieu d’être : si en 1969, le général de Gaulle a proposé une réforme, c’est que des questions se posaient déjà. Je ne considère pas qu’il faille adopter la posture de gardien du temple au point de Bernard Accoyer. Simplement, cette modification nous ferait quitter l’esprit de la VRépublique, ce que j’ai eu l’occasion de souligner lors de notre rencontre avec le Président de la République. Dans la Constitution, le général de Gaulle a voulu mettre en avant une continuité dans la réflexion à mener. Les institutions de la Ve République reposent à la fois sur un pouvoir exécutif fort et un bicamérisme rationalisé et c’est cela qu’il nous faut préserver.

Modifier le rôle du Sénat est à mes yeux d’autant plus problématique que nous venons d’adopter une nouvelle organisation territoriale. Peut-être pourrons-nous nous servir de l’outil de travail que constitue le rapport pour voir avec les nouveaux organes territoriaux comment envisager une réforme du Sénat. Quant au Conseil économique, social et environnemental, certes il ne joue plus son rôle, mais selon les desseins du général de Gaulle, il peut être à la source de cette démocratie sociale voulue par Bernard Thibault.

Un dernier mot sur les articles parus dans la presse. J’ai reçu un appel d’une journaliste de Libération en pleine séance du Conseil de l’Europe, ce qui implique que, dès mercredi, quelqu’un avait donné des informations aux journalistes. Cela me choque, d’autant que vous nous aviez demandé la confidentialité, monsieur le président. Attention au retour de boomerang pour ceux qui veulent jouer aux vedettes !

M. Bernard Accoyer. Au moins aurai-je l’avantage, monsieur le président, d’exprimer des opinions différentes de celles des orateurs précédents, ce qui ne me paraît pas inutile dans une institution qui symbolise la démocratie.

Nous avons passé ensemble des moments sympathiques, messieurs les présidents. Il est toujours agréable de pratiquer la gymnastique intellectuelle. Toutefois, les problèmes d’une nation, d’un peuple dépassent largement ce genre de passe-temps.

La France n’a pas besoin de réviser une vingt-cinquième fois sa constitution, elle a surtout besoin de courage politique. Nos institutions fonctionnent, personne ne peut le contester. Et ce n’est pas la faute de la Constitution si les gouvernements n’ont pas eu ou n’ont pas le courage d’engager les réformes indispensables. Je dirai même que ces gouvernements n’ont que trop rarement recouru aux outils existants pour faire adopter ou faire passer dans notre pays les mesures qui apparaissent à tous plus nécessaires que jamais.

Nos institutions ont été bâties pour qu’une volonté politique forte puisse s’exprimer et être soutenue. Si cette volonté n’existe pas, rien ne peut être fait, quelle que soit la nature des institutions. Or y a-t-il conjoncture qui justifie plus que celle d’aujourd’hui la manifestation d’une volonté politique forte ? Les préoccupations des Français sont d’abord le chômage, l’avenir collectif économique et social de notre pays, notre incapacité à maîtriser les déficits publics et à leur inspirer confiance et sentiment de sécurité face aux mutations du monde, y compris face aux dramatiques migrations actuelles.

Ne jouons pas les apprentis sorciers avec nos institutions. Je n’adhère pas à la proposition d’un septennat non renouvelable si largement partagée dans le groupe de travail. Souvenons-nous qu’en 2000, lorsqu’il a été décidé de passer au quinquennat, l’enjeu était de mettre un terme aux cohabitations où le Président de la République devient le premier opposant de France. Seulement deux quinquennats entiers se sont déroulés – celui de Jacques Chirac et celui de Nicolas Sarkozy – et voilà que nous voudrions revenir sur cette disposition sans en avoir véritablement évalué les conséquences. Quant à prévoir le non-renouvellement de mandat, c’est se substituer à la souveraineté du peuple.

L’architecture institutionnelle proposée dans le rapport – d’une extraordinaire qualité de rédaction dont je félicite les fonctionnaires de l’Assemblée – signe, avec l’introduction d’une dose de proportionnelle, la fin du parlementarisme rationalisé. C’est le retour garanti à l’instabilité gouvernementale. L’implosion progressive de la majorité à partir de 2012 illustre bien la nécessité de disposer d’outils tels que le 49-3, dont la réforme de 2008 a encadré le recours. Le Gouvernement a dû ainsi y recourir à l’occasion de la loi. La proportionnelle amplifierait tous les problèmes liés aux majorités relatives et marquerait le retour de la primauté des partis charnières et des combinaisons de couloir au Palais Bourbon.

Conduire le Président de la République à venir s’expliquer lui-même devant le Parlement avant les sommets européens serait un retour aux pratiques de la IVRépublique dont on connaît les résultats exécrables.

Quant à la remise en cause du bicamérisme, je vous invite à en mesurer les conséquences en vous rappelant ce que les Français eux-mêmes en avaient pensé en 1969. D’une certaine façon, nous revenons à ce qui s’est passé avec le Traité de Lisbonne : refusé par le peuple en tant que traité constitutionnel, il a été adopté par les parlementaires, sous le nom de Traité de Lisbonne. En toutes circonstances, le peuple doit être l’arbitre. Et tel est le rôle qui lui est dévolu dans les institutions de la VRépublique même si nous pouvons regretter qu’il ne puisse le jouer que lors des consultations politiques essentielles que sont l’élection présidentielle et les élections législatives, comme l’architecture même de nos institutions le veut.

Des aménagements sont toutefois possibles, je dirai même nécessaires, pour notre pratique parlementaire. Il n’y a pas de nécessité de toucher à la Constitution. Le but est de légiférer moins, de légiférer mieux et de contrôler davantage l’action publique. Les études d’impact sur les amendements du Gouvernement paraissent évidemment indispensables, comme elles le sont pour les propositions de loi. Quand on voit que des pans entiers de notre droit concernant des domaines aussi importants que la politique de santé ou les contentieux devant les prud’hommes ont été réécrits nuitamment par des amendements gouvernementaux, on ne peut qu’être persuadé de leur nécessité.

L’évaluation scientifique de textes concernant des prolongements d’évolutions technologiques est indispensable. Nous devenons un Parlement obscurantiste qui ne tient pas compte de l’objectivité scientifique alors même qu’il compte en son sein un Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Nous ne le consultons même pas.

Mettre en œuvre les dispositions relatives au temps législatif programmé de notre règlement répondrait à l’agacement du Président de la République devant la durée des débats sur la loi Macron. Mais il suffit d’appliquer le règlement qui prévoit d’ores et déjà une maîtrise du temps.

Limiter le recours à la procédure accélérée est une exigence. Le Gouvernement en use et en abuse. C’est le plus sûr moyen de mal légiférer : de manière expéditive. En outre, en multipliant les normes, nous contribuons à nourrir l’inquiétude devant la défaillance de nos dispositions législatives qui fait renoncer à entreprendre et à développer notre économie, ce qui empêche de remédier aux pires maux de notre pays.

Écarter les dispositions de nature réglementaire dans les lois est une autre exigence. La loi est devenue verbeuse, nous nous sommes tous accordés sur ce point.

Mieux coordonner le travail en commission et en séance est une simple question de pratique.

Mieux utiliser tous les dispositifs de contrôle issus de la révision de 2008 et de la réforme du règlement de 2009 dépend simplement d’une décision, monsieur le président de l’Assemblée nationale.

Le comité d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée dispose de pouvoirs très importants. On n’y a pas suffisamment recours, et c’est bien dommage. Tout comme nous n’utilisons pas assez notre pouvoir de créer des commissions d’enquête. Là encore, c’est une question de volonté politique.

Renforcer le contrôle et l’évaluation de toutes les dispositions européennes est encore une exigence.

Enfin, ouvrir aux internautes la possibilité de rédiger des amendements serait une forme de participation de tous au travail législatif.

Vous l’aurez compris, messieurs les présidents, chers amis : je ne voterai pas le rapport.

Mme Marie-Louise Antoni. Monsieur Accoyer, je note plus de convergences que de divergences. J’ai assisté ici à une leçon de démocratie. Qu’avons-nous fait sinon essayer de converger dans nos diversités ? Et nous sommes parvenus, me semble-t-il, à un consensus du bon sens.

Je dois dire que je ne suis pas émue par les articles parus dans la presse. Heureusement que les médias parlent de notre groupe de travail. Les journalistes guettent la moindre occasion mais le rapport est d’une telle qualité qu’ils auront, je pense, beaucoup de mal à le caricaturer.

C’est le début d’un processus. À partir de nos points de convergence, allons plus loin.

Comme Bernard Thibault, j’arrivais dans cette enceinte avec de très fortes convictions sur la manière de refaire la démocratie sociale et économique. Mais en vous entendant les uns et les autres, je me suis dit qu’il fallait fixer d’abord un cadre et je suis prête à participer à une commission qui nous réunirait Bernard Thibault et moi-même et sans doute d’autres intervenants sur ces sujets. Autrement dit, je suis plus optimiste sur notre capacité à bâtir ensemble un nouveau dialogue économique et social, qui est essentiel. Toutefois, si le chômage continue à progresser au même rythme, nos propositions de réforme ne tiendront plus car notre société se délitera.

La justice est un autre enjeu fondamental. Cela mériterait que nous nous y attelions en suivant la même méthode.

Grand merci à ce duo de présidents qui nous a conduits tout au long de nos débats. L’histoire a une valeur exemplaire pour éclairer les problèmes contemporains. Voyons les points de convergence au lieu de nous complaire à souligner les particularismes de la France. Merci également aux équipes de l’Assemblée nationale qui ont permis de rendre ce texte intelligent et partageable.

M. Denis Baranger. C’est avec une certaine émotion que je prends la parole car je dois avouer que je regretterai nos rendez-vous du vendredi et le plaisir et le profit qu’à chaque fois j’en tirais. J’éprouvais de la reconnaissance à l’égard de M. le président Bartolone et des élus qui venaient régulièrement alors que d’autres tâches très importantes au service de la République les attendaient. Cette régularité m’a beaucoup touché et je ne pense pas être le seul.

Ce rapport restera pour moi un grand exercice de liberté. C’était une première, une première qui ne pouvait avoir lieu qu’ici, au Parlement, et dans un pays comme la France. Dans combien d’autres pays au monde peut-on avoir ce genre de discussions libres entre des élus de tous les camps, avec des universitaires, sur les institutions ? Leur nombre va décroissant avec les années. Cette possibilité d’une liberté intelligente et d’une discussion raisonnable sur la politique est un privilège extraordinaire de notre pays, je veux le souligner.

Exercice de liberté mais aussi exercice de vigilance. Pour reprendre le titre de l’autobiographie de Raymond Aron, je me disais que nous étions tous en quelque sorte des spectateurs engagés, certains d’entre nous étant plus engagés, d’autres étant davantage spectateurs, comme c’est mon cas, mais au total nous avons formé un groupe uni par ce que les Romains désignaient sous la formule d’ idem sentire de re publica, Être républicains, c’est sentir ensemble les institutions, ce qui n’exclut pas les divergences. Vous vous êtes adressé à nous, monsieur le président, en nous disant « chers amis », écho de la philia des Grecs. C’est cela : il y a un forum où peuvent se tenir des combats, mais forum il y a et donc possibilité d’entente ultime car on ne tombe pas dans la guerre civile.

Je ne vais pas commenter toutes les propositions, ce n’est plus le moment de le faire, d’autant que les médias commencent à nous faire parler de manière tout à fait étonnante en nous attribuant des propositions que nous n’avons jamais faites.

Ma formation est l’histoire constitutionnelle et mon habitude est de considérer dans le long terme les réformes constitutionnelles ou l’absence de réformes constitutionnelles. Que ce rapport soit suivi ou pas d’une réforme, qu’il y ait ou pas un référendum ou un congrès, à la limite, je m’en fiche. Ce qui compte, c’est que ce rapport marquera. Comme disent les professeurs de droit, il fera jurisprudence, je le crois très profondément. Il restera une étape significative – soyons un peu orgueilleux – de la réflexion sur les institutions.

Je vais prendre l’exemple du quinquennat. Me reviennent en mémoire les déclarations du président Chirac et du premier ministre Jospin expliquant que la réforme de 2000 serait formidable. Aujourd’hui, nous sommes beaucoup à penser qu’elle n’a pas été si formidable. Une part importante des membres de notre groupe de travail s’est ainsi prononcée en faveur d’un retour au septennat. Que cela soit suivi d’effets ou pas, peu importe. Nous avons pu établir un bilan. Certains ont souligné la surpuissance présidentielle, d’autres encore qu’il n’y avait pas assez de libertés. Vous savez que c’est ma position. Je suis un peu sceptique lorsque l’on nous parle de la beauté de l’État de droit et de la perfection de la protection des libertés dans notre pays. Ce jugement que nous avons collectivement porté restera et fera jurisprudence, chose qui n’était pas possible dans les commissions précédentes.

Mis à part le quinquennat, le noyau dur de nos institutions n’est pas remis en cause, et c’est ce que j’ai retenu de notre discussion à l’Élysée avec le Président Hollande. Il faut toutefois examiner de près les ajustements à opérer.

Nous n’allons pas remettre en cause l’équilibre entre régime parlementaire et exécutif fort. Au total, les Français y sont attachés et ne seraient pas favorables à un changement. Mais qu’il y ait plus de parité, qu’il y ait un accroissement du non-cumul, que l’on introduise une dose proportionnelle, que l’on modernise la procédure législative, cela me paraît nécessaire. Par parenthèses, je dois dire qu’avant de siéger dans ce groupe de travail, je ne mesurais pas les pathologies dont souffre la procédure actuelle, qu’il s’agisse du recours à la procédure accélérée ou des dépôts tardifs d’amendements du Gouvernement. Même M. Accoyer, qui ne va pas voter en faveur de notre rapport, fait le même constat que moi.

Pour terminer, j’insiste à la suite de Christine Lazerges sur l’impératif d’une justice plus indépendante. Elle ne l’est jamais assez. La fonction présidentielle n’a rien à gagner à jouer le rôle de garant de l’indépendance de la justice comme le veut l’article 64 de notre Constitution et la fonction judiciaire a tout à y perdre. D’une manière ou d’une autre, ce n’est plus possible.

Nous avons délaissé les questions institutionnelles, les Français ne s’y intéressent plus et c’est notre faute à tous. La manière dont les médias reprennent ce rapport est d’ailleurs très intéressante car ils en disent ce que justement nous ne voulons pas qu’ils disent, se limitant aux questions d’actualité politicienne. Si finalement, par la force de la parole et de la discussion, nous avons travaillé à une constitution plus libre, si par ce que François Mitterrand appelait à la fin de sa vie les forces de l’esprit, nous avons travaillé à une constitution plus vivante, j’en serai très heureux et très reconnaissant.

Mme Marie-George Buffet. Merci, messieurs les présidents, de cette initiative, de la façon dont vous avez composé notre groupe et organisé les auditions. J’ai beaucoup appris, et je crois que nous avons collectivement progressé. Qu’il y ait entre nous des différences d’approches, c’est la moindre des choses – c’est même la condition du débat !

Les Français pensent surtout au chômage, nous dit M. Accoyer. Bien sûr, il y a une crise économique, une crise sociale. Mais il y a aussi une crise démocratique ! Et si une réforme des institutions ne résoudra pas tout, elle peut être un des leviers de résolution de ces crises. Nous venons d’achever la première lecture de la loi sur la liberté de création : bien sûr, on pourrait là aussi estimer qu’il y a d’autres priorités, sociales, économiques, humanitaires… Mais la liberté est essentielle pour sortir des crises que nous connaissons. Ce ne sont pas des discussions que l’on peut remettre au lendemain !

Prises séparément, nos propositions sont modestes ; mais si elles étaient toutes mises en œuvre, notre pratique démocratique s’en trouverait profondément modifiée ! Il ne faut pas sous-estimer l’importance de ce texte.

C’est pourquoi il nous faut faire vivre le débat public. Il y aura encore quelques articles dans la presse, mais la poussière retombera très vite ! Si nous tenons quarante-huit heures, ce sera déjà formidable. La question de la publication a été posée. Mais il nous revient surtout de parler de ces propositions et d’en débattre avec nos concitoyens. Je crois, contrairement à M. Accoyer, que ce sujet peut intéresser un large public. On se trompe souvent lorsque l’on croit deviner ce qui intéresse ceux que certains appellent « les masses » : en 2005, je m’en souviens, un ministre avait brandi devant moi le projet de constitution européenne en s’écriant qu’il était évident qu’on ne pouvait pas demander aux Français de lire un texte pareil !

Nous devrions, je crois, nous engager collectivement à prolonger, au-delà de cette enceinte, les travaux que nous avons menés.

Enfin, monsieur le président Winock, défendre la VIe République n’est pour moi qu’une façon de me demander comment rendre nos concitoyens acteurs et actrices des réformes de nos institutions. C’est la démarche constituante qui m’importe, plus qu’un contenu déjà prêt.

Je remercie enfin les services de l’Assemblée nationale du travail effectué.

M. Luc Carvounas. À mon tour de vous remercier, messieurs les présidents, de la qualité du travail mené ici. Seize réunions, trente et une heures de débats, plusieurs dizaines d’auditions… Ces rendez-vous, à moi aussi, vont me manquer. Au lendemain de l’instauration au Sénat d’un nouveau règlement qui accorde – comme déjà des sites citoyens comme nosdeputes.fr ou nossenateurs.fr – une grande importance à la présence des parlementaires en séance ou en commission, je souligne que nous faisions là un travail véritablement politique qui demeurera largement inaperçu. Je le regrette : l’assiduité est un critère souvent discutable.

Pourquoi, messieurs les présidents, avoir choisi ce titre : « Refaire la démocratie » ? J’ai cru comprendre que c’était Michaël Foessel qui l’avait suggéré : comment faut-il le comprendre ?

Le quinquennat a été, à mon sens, une erreur politique. Le référendum qui l’a instauré était d’ailleurs discutable, puisque la participation a tout juste dépassé 30 %. N’attendons pas encore quinze ou vingt ans pour le reconnaître : il faut ouvrir le débat sur le septennat.

J’ai pour ma part commis une contribution sur le spoil system à la française. Lors de notre rencontre, le Président de la République a estimé qu’un tel système serait la marque d’une « république déprimante » ; j’ai trop de respect pour sa fonction pour avoir osé le contredire, mais j’aurais aimé l’inviter à rencontrer des hauts fonctionnaires très déprimés après une alternance… Pourquoi ce qui existe dans les collectivités territoriales ne pourrait-il pas exister pour l’État ?

Je n’ai pas participé à ces séances de travail pour m’opposer au document qui nous est présenté ; je le voterai donc, à l’exception de la proposition n° 10, c’est-à-dire la fusion du Sénat avec le CESE. Il faut redéfinir le Sénat, le CESE – et l’Assemblée. On ne peut pas, je crois, rénover le bicamérisme en ne présentant que cinq propositions qui concernent le Sénat – je vois là la trace qu’un prisme déformé a été utilisé. Je regrette par ailleurs que le président du Sénat Gérard Larcher et le président du groupe Les Républicains Bruno Retailleau aient refusé toute participation à ce groupe de travail. D’autres groupes de travail se réunissent au Sénat. Mais il faudrait aussi être capables de nous réunir, malgré nos spécificités, pour nous moderniser ensemble.

M. le président Claude Bartolone. Je voudrais préciser que nous n’allons pas voter pour ou contre le rapport ; cela irait à l’encontre de la logique même de notre travail. Chacun a pu expliquer sa démarche intellectuelle. Moi-même, j’ai été battu sur de nombreuses propositions : devrais-je alors voter contre le rapport issu de nos compromis ? Je vous proposerai donc de voter – conformément à l’usage parlementaire – pour approuver ou refuser la publication du rapport.

Je précise – cela me paraît nécessaire, à la lecture de la presse ces derniers jours – que je n’ai aucun problème avec le président du Sénat. Mais je ne m’interdis aucune réflexion sur l’évolution de nos institutions. J’ai repris certaines propositions du général de Gaulle lui-même ! J’ai entendu les remarques du président Larcher et ses explications sur le fait qu’il avait déconseillé aux membres de la majorité sénatoriale de participer à nos réunions. Si nos collègues sénateurs s’emparent de nos réflexions, tant mieux !

Madame Buffet, vous avez raison, il faut faire vivre ce débat : nos 133 questions figureront d’ailleurs sur le site internet de l’Assemblée, afin que nos concitoyens puissent réagir.

Mme Marie-Anne Cohendet. À mon tour de remercier nos présidents, tous les membres du groupe de travail et les services de l’Assemblée nationale. J’ai énormément appris ici, notamment sur la formation collégiale d’un consensus. Le caractère tout à fait inédit et la grande puissance de ce rapport naissent des consensus que nous avons su forger, malgré la très grande diversité de nos parcours et de nos sensibilités.

Chacun ressent, à la lecture de ce rapport, des satisfactions et des déceptions. Je me réjouis pour ma part de l’insistance de notre texte sur la trop grande importance prise par le Président de la République ; je regrette en revanche que nous ne proposions pas de mesures suffisamment énergiques pour réduire cette surpuissance présidentielle. J’ai développé ces points dans une opinion séparée.

Le consensus est fort pour remettre en cause le Sénat tel qu’il existe actuellement. En particulier, la sur-areprésentation des plus petites collectivités territoriales n’est plus vraiment acceptable dans une démocratie moderne. Il me semble que le rapport formule des pistes intéressantes, sur lesquelles les élus et le peuple pourront à leur tour se prononcer.

J’ai, comme d’autres, évolué sur de très nombreux points, notamment sur le principe de précaution que nous avons décidé de ne pas remettre en cause. À la plupart d’entre nous, la participation des anciens Présidents de la République au Conseil constitutionnel est apparue comme une incongruité.

Enfin, foin du ridicule, je continuerai de me déclarer partisane d’une VIe République ! Mais je suis disposée à forger des compromis : si la majorité de nos concitoyens souhaitent en rester à la Cinquième, avec une présidence forte mais un Gouvernement beaucoup plus responsable, j’en serai très heureuse.

Je suis en tout cas très fière d’avoir pu participer à cette assemblée et du travail accompli.

Mme Seybah Dagoma. Merci, messieurs les présidents, de cette initiative, de la méthode que vous avez adoptée et du résultat auquel elle a conduit ; je remercie aussi l’ensemble du personnel de l’Assemblée pour leur travail.

Nos travaux m’ont permis de progresser, et ont aussi renforcé mes convictions : la justice doit être plus indépendante ; la proportionnelle doit être instituée, maintenant, rapidement ; l’inversion du calendrier et l’instauration du quinquennat ont été des erreurs sur lesquelles il faut revenir, et vite. Sur d’autres points, j’ai changé.

À rebours des croyances de notre époque de tweets et d’information continue, je pense que nous avons eu raison de prendre le temps de travailler, d’approfondir ces sujets complexes. Et si les réformes que nous proposons ici sont mises en œuvre, nous aurons vraiment changé notre démocratie.

Je voudrais exprimer un regret, qui concerne l’Europe, pour laquelle nous n’avons pas beaucoup de propositions. Au moment où l’Union européenne perd la confiance de nos concitoyens, tentés de se replier sur eux-mêmes, où elle n’apparaît plus comme un pôle de stabilité ni comme un bouclier, mais souvent comme le cheval de Troie de la mondialisation, il me semble urgent de prévoir une meilleure articulation entre les institutions européennes et françaises. Pour ma part, j’aurais dû être plus réactive sur la proposition n° 8 : le débat à l’Assemblée nationale avec le Président de la République devrait, à la demande des parlementaires, avoir lieu non seulement en amont, mais aussi en aval des Conseils européens.

Le Président de la République nous l’a dit la semaine dernière : la balle est dans notre camp. À nous d’agir !

Mme Cécile Duflot. Puisque je me suis attribué ici le rôle de celle qui dévoile les arcanes de la politique politicienne, puisque certains ont été surpris et choqués des fuites dans la presse, je vais dire quelques mots des fuites dans la presse.

La véritable histoire, c’est d’abord que ce rapport est plutôt consensuel. Quant ses suites, j’y reviendrai, mais pour ma part, je me fiche pas mal que les thésards de 2030 ou 2040 le considèrent comme un moment marquant de la réflexion institutionnelle ! Je ne voudrais pas non plus que l’on regrette dans quinze ans qu’à la veille d’un accident démocratique majeur, on n’ait pas utilisé les propositions de notre commission.

Toujours est-il qu’il existe un rapport, consensuel, et passionnant sur le fond. Je glisse ici que je n’ai volontairement pas déposé de contribution personnelle, même si j’ai parfois été tentée de le faire, par exemple sur l’introduction dans la Constitution de la lutte contre le dérèglement climatique, qui n’est pas un élément symbolique du tout. Je fais souvent mienne cette phrase de Rosa Luxemburg que je vous livre : « Il n’y a vraiment pas lieu de s’exciter sur des points de détail et des aspects secondaires quand les choses vont globalement dans le bon sens ».

Certains se sont donc aperçus que ce rapport serait bon, et que l’on en attribuerait le mérite au président Bartolone – qui de son côté avait négocié, comme cela se fait normalement, l’exclusivité des propositions avec l’un des quotidiens. Cela, c’est notre vie de tous les jours… Il faut plutôt considérer comme miraculeux que les propositions n’aient pas fuité entre vendredi dernier et mardi de cette semaine.

Or, si la fonction la plus éminente de M. Bartolone est bien sûr de co-présider ce groupe de travail sur les institutions, il se trouve qu’il est aussi, très accessoirement, tout à fait incidemment, candidat aux élections régionales. On ne pouvait donc pas le laisser profiter du bilan très positif de ce rapport… M. Accoyer a donc repris l’intervention qu’il a faite toute à l’heure, et qu’il faisait dès notre première réunion, pour dire qu’il était en désaccord avec tout – même s’il avait dû reconnaître la semaine dernière que nous avions tout de même avancé.

Je suis pour ma part très heureuse d’avoir participé à ces échanges, d’avoir pu expliquer comment nous, politiques, vivons de l’intérieur les institutions, d’avoir entendu des réflexions historiques et juridiques profondes. J’ai, je l’espère, contribué à faire évoluer certains d’entre nous ; et j’ai moi-même évolué. Je partage l’essentiel de ce qu’a écrit Marie-George Buffet dans sa contribution. Mais s’il n’y besoin ni d’une guerre ni de la victoire de Marine Le Pen pour que nous en arrivions à la VIe République, croyez bien que je m’en réjouirai.

À mes yeux, prétendre que la réforme de nos institutions n’est pas une priorité pour notre pays est une erreur profonde – la même d’ailleurs que commettaient les trotskistes lorsqu’ils estimaient que la lutte pour les droits des femmes ne devait pas empiéter sur la préparation de la révolution… Nous ne résoudrons pas la crise sociale, la crise économique, la crise écologique que nous vivons sans moderniser nos institutions.

Je suis très heureuse que le septennat, l’inversion du calendrier et l’instauration de la proportionnelle aient fait l’objet d’un large consensus au sein de ce groupe de travail. Ce sont des réformes qui sont possibles, et il faut le dire. Beaucoup trop d’entre nous ont baissé les bras. L’élection de François Hollande, d’un « président normal », était en partie une réaction à la façon dont Nicolas Sarkozy avait poussé à bout la logique du quinquennat et de la présidentialisation. Cela n’a pas suffi.

Il me semble que la simple observation qu’un quart à peu près des électeurs ne sont pas représentés au Parlement, comme la constatation qu’il a fallu utiliser l’article 49, alinéa 3 pour faire adopter un texte alors que le groupe socialiste dispose de la majorité absolue, suffisent à définir une crise institutionnelle. Nous sommes comme la grenouille que l’on met dans l’eau froide : la température de l’eau monte, et elle est même maintenant très élevée. Il faut réagir fortement si nous ne voulons pas cuire pour de bon.

Vous parlez, monsieur Baranger, de « sentir ensemble la république » : c’est exactement cela le sujet.

Monsieur le président Bartolone, vous aviez dit vrai : vous n’aviez pas de plan caché. Mais quel est le plan maintenant ? Nous avons effectué ensemble un bon travail, nous sommes arrivés à des compromis consensuels. Bien. Mais maintenant, ou tout à l’heure quand nous aurons partagé un excellent et sympathique déjeuner, est-ce que tout s’arrête ? Cela ne me va pas du tout. Je demande, de façon tranquille mais franche et ferme, un droit de suite. Nous proposons que les ministres aient l’obligation de justifier devant le Parlement la non-publication des décrets d’application six mois après la promulgation d’une loi. Je demande donc que nous nous retrouvions dans six mois pour examiner les suites de ce rapport. Je suis vraiment très heureuse d’avoir participé à cette commission ; mais c’est la suite qui m’intéresse.

Encore une fois, j’espère vraiment ne pas être dans la position de dire, dans quinze ans, en allant chercher un vieux rapport au fond d’un placard poussiéreux : « je vous l’avais bien dit, ah, si l’on avait écouté nos propositions lucides… ! »

M. Michaël Foessel. Je n’essaierai pas ici de conclure : ce rapport doit à mon sens, comme le dit Cécile Duflot, plutôt constituer un point de départ.

Je m’associe au concert unanime qui salue nos deux présidents, qui ont su animer des débats en y faisant régner une grande liberté de ton, mais aussi tous les services de l’Assemblée nationale et le cabinet du Président, dont les ressources d’intelligence et d’innovation feraient tomber tous les préjugés que l’on pourrait nourrir sur la technostructure…

Libération a écrit que nous avions été reçus « en grande pompe » à l’Élysée. J’ai aussitôt dû répondre à de multiples questions sur la marque du champagne et la qualité des petits fours... J’ai eu bien du mal à faire entendre que nous avions été reçus dans une salle glaciale et que nous ne nous étions vu proposer qu’un verre d’eau. Au-delà de l’anecdote, ce que je veux souligner ici, c’est le caractère ascétique, au sens noble, de ce travail. On peut, je crois, intéresser chaque citoyen à des questions qui paraissent en général lointaines, et sur lesquelles chacun se fait quelques idées en général fausses.

Je suis arrivé ici avec la conviction qu’une VIe République, et même une assemblée constituante, étaient nécessaires. Je conserve cette conviction. Si on nous l’avait demandé, j’aurais néanmoins voté pour ce rapport, car nos débats ont été fructueux, et j’ai évolué sur de nombreux points – sur l’élection, par exemple, du Président de la République au suffrage universel, position qui me paraissait aberrante au départ et dont j’admets maintenant qu’elle est rationnelle, surtout dans le cadre d’un septennat non renouvelable.

Nos discussions n’ont jamais été techniques ; au contraire, j’ai été frappé par le fait qu’une discussion sur les institutions ne peut pas se dérouler sans la conscience des nuages menaçants qui s’accumulent au-dessus de la démocratie française et, plus largement, des démocraties européennes. Débattre des institutions, c’est finalement déployer l’ensemble des problèmes qui se posent à la démocratie et à la société française.

J’ai, en effet, suggéré le titre du rapport : « Refaire la démocratie ». Celle-ci, hélas, se défait sous nos yeux. Or c’est justement cette question de la démocratie qui peut nous permettre de retisser le lien social ; les questions économiques et sociales demeurent fondamentales, mais il n’y a pas en ce domaine de consensus possible actuellement.

Ce rapport est un document de travail ; c’est aussi, au sens noble de ce terme, un acte politique : on peut espérer que le débat politique s’engage sur la question de la démocratie, au lieu de s’enferrer dans des questions identitaires ou culturelles – sur lesquelles seuls ceux que nous connaissons déjà trop bien peuvent espérer tirer leur épingle du jeu.

Je forme le vœu que ce que nous avons réussi ici – faire évoluer nos opinions, approfondir nos convictions démocratiques – puisse se répandre dans notre pays, afin que le terme de démocratie cesse d’être un vocable creux, voire un signifiant flottant, pour devenir enfin une expérience partagée.

M. le président Michel Winock. Si les républiques sont numérotées, c’est en raison de drames qui s’appelaient « révolution » ou « guerre » – en dernier lieu, la guerre d’Algérie. Pour ma part, je ne sens pas en Ve République : je vis en république. C’est une république susceptible de toutes les modifications, de toutes les réformes ; mais c’est bien la république. Une sixième république, et pourquoi pas une septième, une huitième ? Restons en république et changeons cette république.

Je retiens la proposition de Cécile Duflot : pourquoi, monsieur le président Bartolone, ne pas nous retrouver encore une fois pour constater quels auront été les effets de ce rapport ?

M. le président Claude Bartolone. Je remercie à mon tour tous les membres de cette commission ; votre assiduité a été le gage de l’intérêt du travail que nous avons mené en commun – comme président de l’Assemblée nationale, je peux vous assurer que certaines commissions sont très rapidement désertées…

Je veux aussi remercier très chaleureusement tous mes collaborateurs et tous les fonctionnaires de l’Assemblée. Madame la secrétaire générale, vous savez bien tout ce que ce travail signifie pour la représentation nationale dans son ensemble et pour nous ici.

Lors de notre rencontre la semaine dernière, le Président de la République a évoqué un texte déjà voté dans des termes presque identiques par les deux chambres du Parlement, celui portant sur le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) : son adoption par le Congrès pourrait marquer la fin d’une confusion institutionnelle ; ce pourrait être un point de départ, un premier signal de réforme institutionnelle.

M. Accoyer a adopté une position résolue, qui a sa logique. Mais je veux souligner que, lorsqu’il s’agit de moderniser nos pratiques parlementaires, nous butons aussi très souvent sur la Constitution.

Quant aux articles de presse, je dois vous avouer que je ne m’attendais pas à une telle accélération du calendrier – dès lors que l’un des présidents de groupe a pris position contre ce travail lors de la conférence de presse qu’il donnait à l’occasion de la rentrée parlementaire, il était toutefois évident que la presse allait s’intéresser à notre texte. Cette accélération s’est trouvée encore aggravée par la concurrence entre les différents organes de la presse écrite.

J’entends bien toutes les remarques et tous les regrets : de nombreux débats, c’est vrai, sont encore devant nous, sur la démocratie sociale ou sur l’Europe par exemple. Nous pourrions prolonger longtemps nos travaux ! Mais le calendrier s’impose fortement à nous : au fur et à mesure que nous nous rapprochons de l’élection présidentielle, nous entendrons de plus en plus – je l’entends déjà – que nos efforts sont vains. À quoi bon imaginer des réformes quand l’élection majeure est imminente ?

J’espère que ce rapport ne servira pas seulement à garnir les étagères des bibliothèques. J’aimerais vraiment qu’il nourrisse le débat dans la période dans laquelle nous entrons. Lorsque l’on veut bloquer une réforme, on dit toujours qu’elle ne correspond pas aux vraies préoccupations des Français : on l’a dit à propos de la suppression de la peine de mort, de la dépénalisation de l’IVG, du mariage pour tous, de la décentralisation… C’est un argument conservateur. Je crois au contraire qu’il faut toujours avancer lorsque l’on voit que c’est possible.

Nos débats politiques fonctionnent aujourd’hui de façon tellement binaire qu’accepter un compromis n’est plus compris que comme une concession faite à l’adversaire… C’est un vrai problème pour notre société.

Je suis, comme vous, un enfant de la République. J’ai conscience que, dans l’état actuel du pays, il est probable que l’extrême-droite soit représentée au second tour de la prochaine élection présidentielle. Dès lors, il nous revient, à nous tous, quelles que soient nos opinions politiques, d’être attentifs aux mots qui sont prononcés. Le compromis, ce n’est jamais un gros mot ; c’est le fruit d’une écoute mutuelle. Si nous voyons la démocratie comme une forme de guerre civile, comment pourrons-nous demander à nos électeurs de voter pour le représentant du camp républicain au second tour de l’élection présidentielle ?

Le travail que nous venons de faire est au contraire la marque d’une bonne santé démocratique : sur le sujet fondamental qu’est la règle commune de la vie démocratique, nous pouvons nous rapprocher les uns des autres.

J’espère que nous aurons l’occasion de nous retrouver. Michel Winock et moi-même remettrons de manière officielle ce rapport définitif au Président de la République. Ensuite, chacun pourra s’exprimer sur les conséquences possibles de notre travail. La première suite de ce rapport, ce pourrait être à mon sens d’agir pour clarifier la place de la justice dans nos institutions et d’en finir avec le jeu de positions qui se déroule à propos du CSM.

Je vous remercie encore de votre participation à ce travail. Je constate que personne ne s’oppose à la publication du rapport. Qu’il vive désormais ! (Applaudissements.)

Le groupe de travail autorise la publication du rapport.

La réunion se termine à douze heures vingt.