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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Mardi 17 février 2015

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 09

Présidence de Mme Gisèle Biémouret coprésidente

Auditions, ouvertes à la presse, sur « la dette des établissements publics de santé » (Mme Gisèle Biémouret, rapporteure) :

– Mme Danielle Toupillier, directrice générale du Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière (CNG)

– M. Christian Anastasy, directeur général de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP), et M. Christian Béréhouc, directeur associé, directeur de pôle

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Mardi 17 février 2015

La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

(Présidence de Mme Gisèle Biémouret, coprésidente de la mission, rapporteure)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède d’abord à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Danielle Toupillier, directrice générale du Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière (CNG).

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Je vous souhaite la bienvenue, madame la directrice générale. Je vous remercie d’avoir accepté de répondre à nos questions et vous prie d’excuser le coprésident Pierre Morange, qui n’a pas pu se libérer pour cette audition.

Nous souhaitons faire le point sur l’endettement des centres hospitaliers publics et sur les difficultés actuelles à financer les investissements, en complément du travail d’analyse mené par la Cour des comptes à notre demande. Comment peut-on améliorer les compétences financières des dirigeants hospitaliers et faire connaître les bonnes pratiques de certains établissements qui ont mieux réussi que d’autres à financer leurs investissements ? Pour commencer, pouvez-vous nous présenter le Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière (CNG) et son fonctionnement ?

Mme Danielle Toupillier, directrice générale du Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière. Je vous remercie de m’accueillir ce matin. Le CNG est au cœur du fonctionnement des 2 800 établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux du secteur public : hôpitaux, maisons de retraite, centres pour personnes handicapées et établissements relevant du champ de l’enfance et de la famille gérés en lien avec les collectivités territoriales. Le CNG est un établissement public national de l’État placé sous la tutelle exclusive du ministère de la santé. Il a été créé à la fin de l’année 2007 et a commencé à exercer pleinement ses missions à partir de 2008.

À l’origine, le CNG était chargé de gérer les praticiens hospitaliers à temps plein – médecins, pharmaciens et chirurgiens-dentistes – et les cadres supérieurs du système sanitaire, social et médico-social, c’est-à-dire tous les directeurs relevant de la fonction publique hospitalière. Il lui était demandé de moderniser cette gestion. Mais, progressivement, des missions complémentaires lui ont été attribuées.

L’extension de notre périmètre a ainsi connu trois grands tournants. En 2009, la gestion des praticiens hospitaliers à temps partiel, titulaires ou stagiaires – c’est-à-dire lauréats du concours national en période probatoire –, qui était assurée jusque-là par les directions régionales des affaires sanitaires et sociales, a été transférée au niveau national et confiée au CNG. En outre, deux événements intervenus également en 2009 ont eu des répercussions importantes pour le CNG dans les années qui ont suivi : l’adoption de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé, et aux territoires (loi HPST) et la transformation de la direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins en direction générale de l’offre de soins (DGOS) dans le cadre du recentrage du pilotage stratégique de la politique hospitalière. La DGOS a alors transféré au CNG la gestion de la procédure d’autorisation d’exercice.

Ainsi, depuis sa création, le CNG a connu un doublement de ses activités, lequel ne s’est pas accompagné, toutefois, d’un doublement des moyens correspondants : ses effectifs s’élèvent actuellement à 117 équivalents temps plein, contre 91 à l’origine. Nous avons donc beaucoup travaillé pour améliorer la performance de notre organisation, de manière à assumer ces importants transferts d’activité et à s’acquitter de nos missions dans les délais, lesquels sont souvent impartis par la loi.

Pour résumer, le CNG gère actuellement, d’une part, 54 000 praticiens hospitaliers et personnels enseignants et hospitaliers – professeurs des universités-praticiens hospitaliers et maîtres de conférence des universités-praticiens hospitaliers – et, d’autre part, près de 6 000 directeurs qui relèvent de trois corps distincts : environ 3 100 directeurs d’hôpital, quelque 1 900 directeurs d’établissement sanitaire, social et médico-social (D3S) et un peu plus de 800 directeurs des soins. La gestion de ces derniers, qui était assurée auparavant au niveau local, a été transférée au CNG par la loi HPST au nom de l’unité de l’équipe de management général des hôpitaux. Les directeurs des soins assurent en effet le management des activités médicales aux côtés des directeurs généraux et des chefs d’établissement, en lien avec le président de la commission médicale d’établissement (CME) et avec les autres directions de l’hôpital.

Précisons que 446 directeurs d’hôpital et 1 085 D3S sont chefs d’établissement. Le maillage du territoire par les établissements sociaux et médico-sociaux est donc relativement serré. Il s’agit généralement de structures plus petites que les hôpitaux. Les conseils régionaux ou généraux sont souvent très impliqués dans leur gestion, en lien avec les Agences régionales de santé (ARS).

Le CNG est chargé, en outre, d’organiser vingt concours nationaux : douze concours médicaux – notamment les huit concours d’internat, dont le plus important est l’internat de médecine, qui attire chaque année 8 000 candidats – et huit concours administratifs – notamment les concours qui mènent aux trois corps de directeurs que nous gérons, les concours d’accès aux cycles préparatoires et aux cycles de formation correspondants, ainsi que le concours d’attaché d’administration hospitalière.

Environ 22 000 candidats se présentent à l’ensemble de ces concours chaque année. Nous faisons appel à 1 400 membres de jury. L’organisation des concours mobilise le CNG onze mois sur douze. Nous nous efforçons de la moderniser, notamment de la sécuriser et de l’informatiser.

Le CNG gère également la procédure d’autorisation d’exercice (PAE) pour les médecins, les pharmaciens, les chirurgiens-dentistes et les sages-femmes – bien que nous ne gérions pas ce dernier corps. Les professionnels de ces quatre catégories qui ont obtenu leur diplôme hors de l’Union européenne et qui souhaitent être habilités à pratiquer leur activité en France avec la plénitude d’exercice doivent d’abord réussir l’examen ou le concours de la PAE, puis obtenir une autorisation d’exercice. Le CNG et les conseils nationaux des ordres professionnels interviennent dans la procédure.

Le CNG a aussi développé, depuis 2008, un dispositif d’accompagnement professionnel personnalisé pour les directeurs et les praticiens hospitaliers. Il peut s’agir de faciliter une reconversion, de soutenir une mobilité ou d’accompagner le changement, parfois sur des fonctions cibles spécialisées. L’accompagnement est réalisé par des conseillers en développement – coaches –, dont une partie est issue du secteur privé et l’autre a été formée dans le secteur public. Ce dispositif, très original au sein de la fonction publique, est monté progressivement en puissance : près de 900 professionnels en ont déjà bénéficié.

Enfin, le CNG est chargé de nombreuses autres missions, plus accessoires. L’une d’entre elles est néanmoins très importante : au nom de l’État, le CNG conclut, avec les étudiants et les internes en médecine ou en odontologie, les contrats d’engagement de service public par lesquels ceux-ci s’engagent à exercer, après leur diplôme de spécialité, dans des régions ou des spécialités dans lesquelles l’offre de soins est déficitaire.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Nous avons rencontré un certain nombre de directeurs d’hôpital. Plusieurs établissements connaissent une situation financière très compliquée. Nous essayons de déterminer la chaîne des responsabilités. Quelle est, en particulier, la responsabilité des directeurs d’établissement dans cette situation ? Au moment où les prêts structurés ont été proposés aux hôpitaux, avaient-ils les connaissances et les qualifications suffisantes en matière financière pour prendre les décisions qui s’imposaient – qui n’ont malheureusement pas toujours été prises ? Les auraient-ils aujourd’hui ? Selon vous, quels aspects conviendrait-il d’améliorer dans la formation des cadres dirigeant des hôpitaux en matière financière ?

Mme Danielle Toupillier. Le CNG travaille de manière permanente avec l’École des hautes études en santé publique (EHESP) et a développé une relation partenariale très poussée avec elle. Nous allons d’ailleurs conclure prochainement une convention ensemble.

Les lauréats des concours organisés par le CNG suivent le cycle de formation dispensé par l’EHESP. Nous assurons un suivi conjoint des élèves directeurs pendant toute la durée de leur formation, notamment de ceux qui rencontrent, le cas échéant, des difficultés. Je suis membre, aux côtés de représentants de la DGOS, du jury de validation de la formation. Dans le cadre de ce jury, nous nous posons la question de l’adaptabilité des élèves sortants, de leur capacité à exercer un métier devenu de plus en plus complexe, en particulier dans le domaine financier, compte tenu de la mondialisation des marchés de capitaux. Les futurs directeurs doivent être aptes à assurer un rôle de pilotage et de management, ce qui suppose non seulement un certain nombre de connaissances mais aussi un comportement adéquat. En effet, le cœur de métier des directeurs d’établissement est non pas l’administration, mais la stratégie institutionnelle, dans tous les grands domaines fonctionnels : finances, ressources humaines, qualité et sécurité des soins, etc.

À la suite de la révélation de l’endettement massif des hôpitaux publics, l’EHESP a réagi très rapidement, à la demande de la DGOS. Elle a ainsi renforcé ses formations en matière financière, à trois niveaux.

Premièrement, dans le cadre de la formation initiale. L’EHESP forme chaque année une cinquantaine de directeurs d’hôpital, contre une centaine historiquement. Nous avons en effet diminué le nombre de places au concours, mais allons l’augmenter à nouveau compte tenu de l’évolution démographique du corps. Les lauréats du concours sont issus, à plus de 70 %, des instituts d’études politiques ou de cycles complémentaires en droit. Peu d’entre eux sont donc économistes ou formés aux stratégies financières. Avec le ministère de la santé et l’EHESP, nous cherchons actuellement à diversifier les parcours. C’est pourquoi nous allons ouvrir, à partir de 2015, un troisième concours, en plus des concours interne et externe.

Les élèves directeurs d’hôpital suivent une formation à caractère polyvalent complétée par des modules de spécialisation. L’un de ces modules porte sur l’analyse et le pilotage financiers, sur la gestion des risques dans les projets d’investissement, sur la négociation et la gestion de la dette, ainsi que sur certains éléments de mathématiques financières. Il est suivi notamment par les élèves qui ont vocation à occuper, à la sortie de l’école, des postes de direction dans les services chargés de la stratégie économique et financière, des investissements et du contrôle de gestion. L’EHESP a plus particulièrement mis l’accent sur ce module à partir de 2010 et 2011.

Depuis quelques années – tel n’était pas le cas auparavant –, l’EHESP forme également les attachés d’administration hospitalière. Ceux-ci sont les premiers collaborateurs des directeurs, auxquels ils apportent leur expertise technique dans différents domaines, notamment financier. Ils ont une formation de très bon niveau et suivent, eux aussi, un module de spécialisation en matière de gestion financière des établissements.

Deuxièmement, l’institut du management de l’EHESP a développé deux programmes de formation continue à la demande du ministère de la santé, en lien avec le CNG. Il propose, d’une part, un cycle qui aboutit à la délivrance du diplôme de « gestion financière d’un établissement de santé ». Celui-ci s’adresse à des profils pluridisciplinaires, non seulement aux directeurs d’hôpital, mais aussi aux médecins – notamment aux médecins directeurs de l’information médicale, qui sont de véritables « capteurs » d’informations utiles à l’analyse financière et à la stratégie –, aux attachés d’administration hospitalière, aux contrôleurs de gestion des établissements hospitaliers et aux cadres des services centraux et déconcentrés de l’État. Les programmes de formation continue de l’EHESP présentent l’intérêt d’être suivis à la fois par des cadres supérieurs et intermédiaires de la fonction publique hospitalière et par des agents appelés à rejoindre les agences régionales de santé (ARS) ou leurs délégations territoriales. Ces deux catégories de professionnels y apprennent les mêmes références, partagent les mêmes expériences et travaillent sur les mêmes cas concrets.

L’institut du management de l’EHESP propose, d’autre part, un module spécialisé portant sur le diagnostic financier appliqué, sur le financement des investissements, ainsi que sur la gestion de la trésorerie et de la dette. Les programmes de formation continue n’ont, bien sûr, pas de caractère obligatoire : ils sont suivis par des agents déjà en fonction, sur la base du volontariat, dans le cadre du plan de formation de chaque établissement.

Troisièmement, depuis 2012, l’EHESP organise chaque année un colloque national avec Arkéa Banque Entreprises et Institutionnels du groupe Crédit mutuel. La troisième édition de ce colloque, qui s’est déroulée le 27 juin 2014, a porté sur les stratégies de financement des investissements dans les établissements publics de santé et sur les incidences de la certification des comptes hospitaliers.

Que pourrait faire le CNG en vue d’améliorer encore les compétences des responsables des hôpitaux en matière financière ? Le décret du 4 mai 2007 modifié relatif à l’organisation et au fonctionnement du CNG prévoit, dans son article 2, que le CNG peut définir des actions de formation au profit des praticiens hospitaliers, des directeurs d’hôpital, des D3S et des directeurs des soins. À ce jour, cette compétence n’a jamais été utilisée. À la lumière des conseils que pourrait formuler la MECSS à l’issue de ses auditions, le CNG pourrait, le cas échéant, définir des actions de formation dans le cadre de son partenariat avec l’EHESP – la convention en cours pourrait être complétée à cette fin – et en lien avec la DGOS et la direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Ainsi, ces programmes pourraient s’adresser d’abord aux hôpitaux, puis être étendus, dans un deuxième temps, aux quelque 1 800 établissements sociaux et médico-sociaux qui relèvent de la DGCS. Si ces derniers ont une surface financière moindre que les hôpitaux, ils sont très proches des collectivités territoriales, lesquelles ont été elles-mêmes très affectées par les emprunts toxiques.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Comment les directeurs d’hôpital sont-ils nommés ? Le CNG intervient-il dans la procédure ?

Mme Danielle Toupillier. Il existe trois modes de recrutement différents pour les directeurs d’hôpital, d’où une diversité intéressante dans les profils.

Le premier mode de recrutement est le concours. Il reste majoritaire – 53 % des recrutements –, même s’il est progressivement rattrapé par les deux autres. Le nombre de places au concours est fixé chaque année par la DGOS, sur proposition du CNG. Nous réalisons des projections démographiques – nous achevons actuellement notre travail de projection pour la période courant de 2015 à 2030 – afin d’avoir une vision et une stratégie pluriannuelles.

Le CNG organise trois types de concours de directeur d’hôpital. Le concours externe est, historiquement, le principal des trois, puisqu’environ 67 % des places étaient offertes à ce concours. Les candidats qui s’y présentent ont généralement suivi une formation universitaire poussée : alors qu’il leur suffit d’un diplôme de niveau II, beaucoup d’entre eux ont un diplôme de niveau I. Le concours interne s’adresse, de manière classique, aux cadres de catégorie A des trois fonctions publiques. Le troisième concours, que nous organisons pour la première fois en 2015, est ouvert principalement à des personnes qui ont exercé, pendant au moins huit ans, un mandat ou une activité professionnelle dans le milieu associatif.

Le deuxième mode de recrutement est le tour extérieur. Il est ouvert aux agents de catégorie A des trois fonctions publiques. Les candidats passent devant un jury professionnel présidé par un membre de l’Inspection générale des affaires sociales. Le nombre de places attribué au tour extérieur est, là aussi, fixé à l’avance. Afin de prendre leurs fonctions dans des conditions optimales, les lauréats suivent un cycle d’adaptation à l’emploi dispensé par l’EHESP. Il existe un cycle long et un cycle court, que nous sommes en train de rapprocher.

Le troisième mode de recrutement est le détachement. Il s’agit d’une voie d’accès originale, qui s’est beaucoup développée ces dernières années, notamment depuis la loi du 3 août 2009 relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique. Le détachement se fait entre corps de niveau comparable, la comparabilité s’appréciant au regard des conditions d’accès au corps, notamment de la formation, ou de la nature des missions. Cela a conduit à restreindre le vivier des candidats possibles pour un détachement dans le corps des directeurs d’hôpital. Ainsi, les anciens élèves de l’École nationale d’administration, les administrateurs territoriaux, les ingénieurs de très haut niveau, les directeurs d’hôpital et des D3S peuvent être détachés, indifféremment, dans le corps des administrateurs civils, des administrateurs territoriaux, des directeurs d’hôpital ou des D3S. L’intégration dans le corps d’accueil peut intervenir à plus ou moins long terme. En accord avec le ministère de la santé et les organisations professionnelles, nous avons considéré qu’une durée de deux ans était suffisante pour apprécier l’aptitude à exercer les fonctions de directeur d’hôpital et décider, le cas échéant, de l’intégration.

La commission administrative paritaire nationale se prononce sur le détachement après avoir examiné le parcours du candidat et l’adéquation de son profil avec le poste. Les publications de postes sont toutes assorties d’une fiche de poste détaillée. Nous travaillons beaucoup sur l’adéquation entre le profil et le poste, le ministère de la santé nous ayant demandé de développer les parcours professionnel. À cet égard, nous « faisons dans la dentelle » : nous essayons de repérer les hauts potentiels, notamment les agents qui ont développé des aptitudes particulières, par exemple en matière de pilotage et de stratégie financière, ou ceux que nous serions susceptibles de solliciter pour renforcer une équipe ou pour accompagner un établissement en difficulté. Pour faire ce travail de repérage, nous nous servons notamment des évaluations annuelles. Celles des directeurs chefs d’établissement sont réalisées par les directeurs généraux des ARS, et celles des directeurs adjoints par les chefs d’établissement.

Certains postes de chefs d’établissement hospitalier sont d’un niveau très élevé. Depuis la loi HPST, les postes de directeurs généraux des établissements les plus importants – centres hospitaliers universitaires (CHU) et centres hospitaliers régionaux (CHR) – ne sont plus des emplois fonctionnels de la fonction publique hospitalière : les nominations à ces postes se font par décret du Président de la République, sur proposition du ministre chargé de la santé et du ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche. Le Gouvernement est libre de désigner qui il souhaite, ce qui lui permet le cas échéant de faire appel à des personnes ayant exercé des activités dans les domaines les plus divers, y compris dans le secteur privé. À ce jour, ce sont surtout de hauts fonctionnaires de l’État ou des directeurs d’hôpital de très haut niveau qui ont accédé à ces fonctions.

S’agissant des autres hôpitaux, les postes de directeurs chefs d’établissement et de directeurs adjoints ne sont des emplois fonctionnels que si le budget est supérieur à 60 millions d’euros. Sur les 958 établissements hospitaliers français, nous comptons 355 emplois fonctionnels répartis en trois groupes : le groupe III correspond aux établissements dont le budget est compris entre 60 et 125 millions d’euros ; le groupe II à ceux dont le budget est compris entre 125 et 250 millions ; et le groupe I à ceux dont le budget dépasse 250 millions, c’est-à-dire à des centres hospitaliers non universitaires dont les activités sont à peu près équivalentes à celles d’un CHU.

Pour ces emplois fonctionnels, nous effectuons une sélection particulière. Conformément à ce qui nous a été demandé, nous sommes d’une très grande exigence. Les candidats doivent répondre à un certain nombre de critères fixés par voie réglementaire, notamment en matière de parcours professionnel. Cependant, dans la mesure où la règle ne peut pas tout prévoir, nous complétons ces critères au fur et à mesure, en accord avec les organisations professionnelles. Ils sont publiés, en toute transparence, sur notre site internet. Nous avons ainsi augmenté encore le niveau d’exigence, tant en matière de déontologie que de parcours professionnel.

Un comité de sélection intervient dans la procédure de nomination aux emplois fonctionnels, à double titre. Sa première fonction est de délivrer des agréments. Ainsi, lorsqu’un directeur d’hôpital présente sa candidature à un emploi fonctionnel, quel qu’en soit le niveau, le comité de sélection décide, au regard de son parcours professionnel, de ses évaluations et des éventuelles formations qu’il a suivies, de l’agréer ou non pour les emplois fonctionnels des groupes I, II ou III. Sur les 3 100 directeurs d’hôpital, environ 20 % sont agréés pour les emplois fonctionnels du groupe III, un nombre un peu moins important pour ceux du groupe II, et un nombre restreint pour ceux du groupe I.

Pour obtenir un agrément pour le groupe I, les directeurs doivent avoir acquis une grande légitimité à la faveur d’un parcours professionnel riche et diversifié. Ils doivent avoir occupé plusieurs postes de chef d’établissement et pouvoir justifier d’une expérience dans les différents domaines fonctionnels : finances et stratégie financière – un des domaines les plus importants –, ressources humaines, qualité et sécurité des soins, etc. En effet, lorsqu’ils prennent une décision en matière de financement, d’investissement ou de ressources humaines, les chefs d’établissement doivent avoir une vision suffisamment large pour en apprécier toutes les conséquences en termes financiers et humains, mais aussi en termes de stratégie, de développement et de coopération.

La deuxième fonction du comité de sélection est d’établir les listes restreintes de candidats – shorts lists – pour les emplois fonctionnels. S’agissant des postes de directeurs chefs d’établissement, conformément aux textes réglementaires, le comité peut retenir au maximum six candidats sur l’ensemble de ceux qui se sont présentés – vingt à trente généralement. Les critères de sélection sont principalement le parcours professionnel, l’adaptabilité et l’adéquation entre le profil du candidat et le poste. Des candidats très brillants peuvent ne pas être retenus pour un poste donné parce que leur parcours les qualifie moins que d’autres pour ce poste.

Ensuite, le CNG adresse la liste restreinte au directeur général de l’ARS compétent s’il s’agit d’un poste de chef d’établissement ou au directeur départemental de la cohésion sociale s’il s’agit d’un poste de D3S. Ledit directeur général ou directeur départemental classe au moins trois candidats parmi les six par ordre de préférence et adresse ses propositions au CNG, qui a alors compétence liée. Pour les postes de chefs d’établissement, le directeur général de l’ARS recueille au préalable l’avis du président du conseil de surveillance de l’établissement. En liaison avec le directeur général de l’offre de soins et avec le cabinet du ministre chargé de la santé, je propose l’un des trois noms, qui est soumis pour avis à la commission administrative paritaire nationale. À l’issue du processus, je procède à la nomination du directeur chef d’établissement par arrêté, au nom du ministre chargé de la santé.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Le département rural où je suis élue présente la particularité de compter huit hôpitaux locaux. Or les postes de directeurs de ces établissements sont régulièrement vacants. Je suis présidente du conseil de surveillance du centre hospitalier de Condom. Celui-ci comprend plusieurs services – urgences, médecine, soins de suite –, mais ne dispose pas de plateau technique. Est-il aisé de trouver des directeurs pour de petits centres hospitaliers de ce type ? Dans un tel établissement, le directeur doit s’occuper lui-même de tout : des ressources humaines, du budget, des finances, des travaux, etc.

Mme Danielle Toupillier. C’est une excellente question. Il s’agit de l’une de nos préoccupations. Pour diriger les petits établissements non seulement hospitaliers, mais aussi sociaux et médico-sociaux, il faut des profils à la fois spécialisés et polyvalents. La polyvalence est un critère majeur, car les chefs de ces établissements ne sont souvent assistés que par un nombre très restreint de cadres administratifs.

Il y a en effet aujourd’hui un certain nombre de postes vacants dans les établissements de ce type. Lorsque l’on superpose les cartes des postes vacants relevant des différents corps de l’encadrement supérieur médical et administratif – praticiens hospitaliers, directeurs d’hôpital, D3S, directeurs des soins –, on se rend bien compte que certaines régions sont particulièrement touchées et que d’autres, moins affectées, rencontrent des problèmes au niveau infra-régional, notamment pour de petits établissements tels que celui de Condom. Les professionnels sont moins enclins à accepter des postes dans ces établissements parce qu’ils savent que la charge de travail y est très lourde. De plus, au cours des dernières années, le nombre de départs à la retraite a beaucoup augmenté. Après avoir réduit le nombre de places aux concours d’accès à l’EHESP, nous nous efforçons désormais d’assurer une meilleure adéquation entre les recrutements et les besoins institutionnels.

Au cours des cinq dernières années, nous avons beaucoup développé les directions communes, qui permettent de regrouper soit plusieurs établissements hospitaliers, soit des établissements hospitaliers avec des établissements sociaux et médico-sociaux – on parle alors de directions communes mixtes. Ce dispositif préserve l’autonomie des établissements, ce qui est un point très sensible pour les acteurs politiques locaux. Le directeur qui est distingué pour prendre la tête de la direction commune doit participer à un grand nombre d’instances, puisque chaque établissement conserve les siennes.

Les directions communes permettent de combiner unité de direction – avec une équipe un peu plus étoffée – et responsabilisation des acteurs. Les établissements portent un projet médical commun et peuvent développer des coopérations pertinentes en matière d’administration, de logistique, d’ingénierie, de gestion des ressources humaines, de développement de certaines activités. Cette forme de travail en équipe est de plus en plus prisée, notamment par les D3S qui, sinon, exercent souvent leurs fonctions dans un certain isolement. Ils apprécient la dimension de partage et le sens du compagnonnage. D’autant que nous essayons de nommer, à la tête des directions communes, des directeurs seniors très expérimentés à même d’aider les agents les plus jeunes à prendre leurs marques et d’accompagner ceux qui sont plus avancés dans la carrière à passer d’un domaine de compétence à un autre, par exemple des finances aux ressources humaines.

Aujourd’hui, environ 400 directions communes se sont constituées. Seul un petit nombre d’entre elles a été dénoncé, souvent pour des raisons de stratégie ou de politique locale. Le dispositif est plutôt prometteur : beaucoup de directions communes sont dans une dynamique ascendante et ont fait la preuve de leur efficacité. Elles permettent à différentes personnes de partager leurs compétences, de croiser leurs regards et, le cas échéant, de prêter main-forte à des établissements en difficulté qui, s’ils étaient restés isolés, n’auraient sans doute pas attiré un candidat au potentiel suffisant pour ce faire.

Par ailleurs, le CNG a mis en place des ateliers de co-développement, pratique qui s’est beaucoup développée au Canada il y a une quinzaine d’années. Il s’agit d’échanges d’expérience entre pairs, en petit groupe, à propos de situations imaginées ou vécues. Certains ont été confrontés, par exemple, à des situations financières très tendues ou à des plans de retour à l’équilibre qui les ont particulièrement perturbés. Ce dispositif d’accompagnement professionnel permet aux participants de réaliser des progrès très sensibles. Nous avons actuellement plusieurs ateliers très actifs, qui impliquent notamment des D3S, lesquels sont souvent les plus isolés dans l’exercice de leurs fonctions. Nous avons l’intention de poursuivre et d’intensifier ce programme, le cas échéant en partenariat avec l’EHESP et en lien avec la DGOS et la DGCS.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Vous avez évoqué des programmes qui s’adressent à la fois aux directeurs d’hôpital, aux cadres hospitaliers et aux agents qui travaillent dans les ARS. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces formations communes ? Quelles sont vos relations avec les ARS ?

Mme Danielle Toupillier. Le CNG entretient des relations étroites et permanentes avec les ARS pour mener à bien l’ensemble de ses missions.

Chaque année, les directeurs généraux des ARS évaluent les directeurs chefs d’établissement et fixent le montant de leur prime de résultat au regard des objectifs qu’ils leur avaient assignés. Le CNG fait un bilan de cette campagne d’évaluation et de modulation des primes, afin notamment d’identifier, si possible en amont, les éventuels problèmes qui se posent. En outre, les directeurs généraux des ARS nous informent régulièrement des difficultés que peut rencontrer tel ou tel directeur : situation d’épuisement professionnel – burn-out –, nécessité de développer telle ou telle compétence. Nous essayons alors d’être aussi réactifs que possible et de proposer, le plus souvent hors recherche d’affectation, un programme d’accompagnement personnalisé adapté, en lien avec l’EHESP ou, le cas échéant, avec un autre organisme – rappelons que 900 professionnels ont déjà bénéficié d’un tel accompagnement.

Les directeurs peuvent aussi être placés en position de recherche d’affectation, notamment en cas de restructuration hospitalière. Il s’agit d’un dispositif original qui n’existe pas dans les autres fonctions publiques : l’agent est dégagé de ses obligations professionnelles et rattaché au CNG. Nous lui proposons alors un programme de reconversion ou de réactualisation des connaissances visant à le repositionner professionnellement. Nous nous efforçons, avec les ARS, d’anticiper au maximum ces mouvements afin d’accompagner les directeurs concernés dans les meilleures conditions possibles. Nous faisons un gros travail en la matière.

Nous travaillons aussi en étroite relation avec les ARS dans le cadre du dispositif des contrats d’engagement de service public. Ce sont les ARS qui déterminent les zones à faible densité médicale.

Enfin, le CNG développe des projets pilotes stratégiques avec les ARS. D’une part, nous avons conclu un partenariat avec l’ARS de Rhône-Alpes, la branche régionale de la Fédération hospitalière de France et six établissements expérimentateurs de la région afin de mettre en place un système d’échange d’informations sur les temps médicaux. Il s’agit d’une première en France. L’objectif est d’avoir une image complète des temps médicaux à l’hôpital public, en faisant remonter au niveau national les données concernant les praticiens contractuels gérés au niveau de chaque établissement. Ceux-ci représentent environ 30 % des praticiens hospitaliers. Nous pourrons ainsi faire véritablement le point sur les postes vacants. Nous ferons ensuite le même travail pour les directeurs.

D’autre part, le CNG va développer, à partir de cette année, des programmes d’accompagnement collectif dans un ou deux CHU volontaires. Il s’agira d’accompagner une équipe entière de direction ou de praticiens hospitaliers, en matière de management et de conduite du changement, ou pour développer certaines compétences spécifiques. Nous avons déjà une expérience d’accompagnement collectif en cours, mais qui relève davantage du soutien à un établissement en difficulté. En lien avec l’ARS compétente, nous intervenons dans un centre hospitalier à la suite du suicide d’une praticienne hospitalière, anesthésiste-réanimatrice – un des pires moments que puisse connaître un hôpital. Le programme que nous développons dans cet établissement concerne une centaine de professionnels – médicaux, paramédicaux et administratifs – impliqués dans l’activité du bloc opératoire.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Chaque année, le président du conseil de surveillance doit donner son avis sur le directeur de l’établissement. Cette procédure n’est-elle pas quelque peu obsolète ? A-t-elle toujours sa raison d’être ?

Mme Danielle Toupillier. Le conseil de surveillance est une institution majeure de l’hôpital. Son président est bien placé pour faire le lien entre la vie interne de l’établissement et l’environnement proche. Son appréciation est donc très importante pour nous : il s’agit d’un deuxième regard, complémentaire de celui du directeur général de l’ARS, lequel est force de proposition. Cela nous aide dans nos évaluations et nous permet, le cas échéant, de repérer certains problèmes. Tel est notamment le cas lorsque nous constatons un écart entre les deux appréciations, ce qui peut nous amener à rencontrer le directeur concerné afin de recueillir son opinion sur son positionnement et sur ses difficultés éventuelles. Nous pouvons ainsi prévenir certains risques, notamment psychosociaux, et mieux accompagner les professionnels. Nous travaillons beaucoup sur ces risques actuellement et allons développer un programme avec l’EHESP en la matière.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Je vous remercie, madame la directrice générale.

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède ensuite à l’audition, ouverte à la presse, de M. Christian Anastasy, directeur général de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP), et de M. Christian Béréhouc, directeur associé, directeur de pôle.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret. Je vous prie d’excuser mon collègue Pierre Morange, coprésident de la MECSS, qui n’a pas pu se libérer aujourd’hui.

Nous avons le plaisir d’accueillir M. Christian Anastasy, directeur général de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP) et M. Christian Béréhouc, directeur associé.

La MECSS souhaite faire le point sur l’endettement des centres hospitaliers publics et sur les difficultés actuelles à financer les investissements, en complément du travail d’analyse mené, à notre demande, par la Cour des comptes.

Je vais vous laisser la parole pour présenter les missions de votre organisme et nous dire en quoi elles peuvent être utiles aux établissements de santé pour améliorer la gestion financière et patrimoniale, ainsi que les investissements.

En tant que présidente du conseil de surveillance de l’hôpital de Condom, je sais que le directeur de l’hôpital est venu présenter le plan de financement devant l’ANAP, qui a donné son aval, et je me félicite que les travaux aient débuté.

M. Christian Anastasy, directeur général de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux. Je suis, au départ, directeur d’hôpital. J’ai travaillé dans le secteur public, dans le secteur privé et dans le secteur des établissements de santé privés d’intérêt collectif (ESPIC). Je vais laisser à Christian Béréhouc le soin de se présenter.

M. Christian Béréhouc, directeur associé de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux. Je suis, pour ma part, ingénieur de formation. Je travaille depuis trente ans dans le secteur de la santé, avec une expérience au ministère de la santé, puis à la Caisse des dépôts et consignations, à la Mission nationale d’appui à l’investissement hospitalier, et enfin, à l’ANAP. Ces trente dernières années m’ont permis d’acquérir une bonne connaissance des investissements hospitaliers.

M. Christian Anastasy. L’ANAP est un groupement d’intérêt public (GIP) qui associe l’État, représenté par des directions de l’administration centrale du ministère des affaires sociales et du ministère du budget. L’Agence a un budget de 25 millions d’euros et un plafond d’emplois de 98 équivalents temps plein (ETP). Son objectif principal est de diffuser une culture de la performance de l’organisation auprès des établissements sanitaires et médico-sociaux, la performance étant entendue au sens de tout ce qui contribue à améliorer la prise en charge des personnes malades ou hébergées en établissement de moyen et long séjour, de tout ce qui contribue à la satisfaction des salariés et à l’amélioration de leurs conditions de travail, au sens, enfin, de tout ce qui peut générer une meilleure utilisation des ressources.

J’en viens aux thèmes que vous nous avez indiqué souhaiter aborder aujourd’hui.

Vous souhaitez savoir dans quels cas l’Agence signe des contrats de performance avec les établissements, si c’est plutôt pour des interventions longues et pour mieux suivre la mise en œuvre de ses préconisations.

Les contrats de performance, tels qu’ils ont été conçus dans les années 2009, ont été circonscrits dans le temps puisque définis pour la période 2009-2012. Ils avaient un caractère expérimental et visaient à créer de nouvelles modalités et méthodes de transformation des organisations de santé en promouvant une vision globale et priorisée de l’ensemble des problématiques. Jusqu’alors, on avait tendance à ne considérer qu’un aspect des problèmes, comme l’organisation des blocs, l’organisation des systèmes d’information ou encore l’organisation des investissements. Puisque tout interagit, cette approche se voulait globale et hiérarchisée. Des murs trop importants ou mal adaptés, par exemple, induisent une mauvaise organisation en matière de ressources humaines ou en termes de systèmes d’information.

Cette approche était intéressante dans la mesure où elle concernait vingt-huit grands établissements français, soit environ 10 % des lits en médecine, chirurgie, obstétrique (MCO). Elle a permis de promouvoir une vision multidimensionnelle des problématiques des organisations de santé et de faire ressortir que les raisonnements en silos verticaux n’étaient pas les plus probants, qu’il fallait, au contraire, avoir une approche globale.

Nous sommes partis d’un diagnostic partagé avec les acteurs.

Pour prendre l’exemple de l’hôpital de Condom, il est inutile que l’ANAP dise comment faire en l’absence d’accord du directeur, du président du conseil de surveillance et du corps médical. Il faut partir d’un diagnostic partagé. Une fois que nous sommes tous d’accord, nous pouvons définir une feuille de route et, dès lors que nous sommes d’accord sur le diagnostic et la feuille de route, nous savons quel plan d’action élaborer, ce qui doit être fait en lien avec les équipes. Cette méthode a permis des transformations importantes et de générer de réelles économies pour le système hospitalier dans son ensemble puisque le projet était étudié et valorisé par la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) et les services de l’État et présenté dans le cadre du Comité interministériel de la performance et de la modernisation de l’offre de soins (COPERMO). Nous avons investi dans ce projet 60 millions d’euros, tout compris, pendant une période de trois ans, et nous avons généré 300 millions d’économies pérennes. Le rapport est donc plutôt positif.

Nous avons pris en compte les attentes des soignants, et notamment des cadres soignants responsables d’unités ou de services. Ce sont eux qui ont induit le mouvement à grande échelle. Il faut toujours les facteurs déclenchants des directions et des présidents de commissions médicales d’établissement (CME), mais il faut également que les personnels suivent.

La capitalisation des connaissances issues de la réalisation de ces projets a permis de contribuer à définir de nouvelles méthodes. Aujourd’hui, par exemple, le projet « gestion des lits », lancé récemment par la ministre chargée de la santé, est issu de la capitalisation des projets de performance. On s’est aperçu, au travers des projets de performance, que la bonne gestion des lits, c’est-à-dire le rapprochement entre les gens qui attendent dans les services d’urgence et les lits vides, était indispensable dans les organisations. Le sujet a été mal exploré antérieurement. Aujourd’hui, à la demande de la ministre, 164 établissements sont accompagnés. Cette vision globale, qui s’appuie aussi sur une vision holistique pour lancer le mouvement dans un grand nombre d’établissements simultanément, a permis de transformer les mentalités des acteurs.

En ce qui concerne le choix de nos intervenants, vous souhaiteriez savoir si ce sont essentiellement des praticiens des domaines de la santé et du médico-social ou si nous recourons également à d’autres profils.

Nous avons 98 collaborateurs, mais sur ce plafond d’emplois, nous avons affecté l’équivalent de deux ETP à des missions d’expertise. Quand nous avons travaillé sur le sujet de la chirurgie ambulatoire, nous avons recruté vingt experts nationaux des secteurs public et privé, ainsi que des ESPIC, principalement des chirurgiens et des anesthésistes, mais aussi des soignants, qui nous ont aidés à préciser nos propositions afin qu’elles soient fondées, en termes d’organisation, sur des pratiques véritables.

Nos collaborateurs sont tous issus d’établissements de santé et ont des profils très diversifiés. Ils ont deux caractéristiques ou missions.

D’abord, ils sont représentatifs des établissements qu’ils ont vocation à conseiller. Si je me rends au Centre hospitalier (CH) de Condom, je peux ainsi dire à votre directeur que j’ai été moi-même directeur de l’hôpital de Royan, ce qui, d’entrée, crée des connivences.

La deuxième mission des collaborateurs est de contribuer au décloisonnement des secteurs, en proposant une vision large de l’aspect MCO (médecine, chirurgie, obstétrique) par rapport au secteur médico-social, mais également par rapport au secteur privé. Elle a aussi pour objectif de contribuer au décloisonnement des métiers. Il ne doit pas y avoir, d’un côté, la direction, de l’autre, les responsables des systèmes d’information. Les systèmes d’information sont un des éléments incontournables de la stratégie des établissements. Les deux parties doivent pouvoir communiquer et travailler de concert.

Si un directeur d’établissement ou un chef de bloc est confronté à une réorganisation majeure de son unité, cela ne lui arrivera qu’une fois dans sa vie, peut-être deux. Reconstruire un hôpital est, pour un directeur, une expérience unique, qui durera de cinq à dix ans. S’appuyer, au sein de l’ANAP, sur des personnes qui ont des profils différents et qui ont accumulé des expériences diversifiées permet de mettre cet ensemble d’expériences diversifiées au service de professionnels qui, eux, n’ont jamais – ou rarement –vu ce type de transformation.

L’Agence recourt également à des consultants, mais ils ne sont pas là pour agir à la place de l’ANAP. Lorsque nous recourons à des consultants, un professionnel de l’ANAP encadre systématiquement leur mission. Les consultants ne peuvent jamais décider eux-mêmes de la façon de conduire un projet. En revanche, ils démultiplient notre capacité d’agir sur un territoire puisqu’ils nous permettent de toucher un plus grand nombre d’établissements. Il est évident que 98 ETP ne suffiraient pas par exemple à accompagner 450 établissements dans le programme Hôpital numérique. Il faut avoir la possibilité de s’appuyer sur des consultants.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret. Existe-t-il des collaborations entre l’École des hautes études en santé publique (EHESP) de Rennes et votre établissement ?

M. Christian Anastasy. Nous avons développé avec cette école des relations positives. Cela étant, l’ANAP est une agence encore jeune. Nous arrivons à une forme de maturité, au sens où nous avons produit environ soixante-dix outils dont il est nécessaire d’assurer maintenant la diffusion. Leur appropriation par les organismes de formation initiale et de formation continue est l’un de nos objectifs. C’est avec l’EHESP que nous avons initié récemment des accords pour diffuser nos outils à plus grande échelle, en formation initiale et en formation continue. Nous avons créé, par exemple, un outil d’analyse, dénommé « Hospi Diag », qui permet d’analyser l’activité et la productivité des établissements publics et privés sur un territoire, ce qui est très utile pour les recompositions à venir. Cet outil mérite d’être développé. Le comité de direction de l’ANAP s’est déplacé à Rennes et nous avons tenu, sous la présidence de Laurent Chambaud et de moi-même, un comité de direction conjoint avec les cadres de l’EHESP. La réciproque est en cours puisque des représentants de l’EHESP vont venir au siège de l’ANAP. Ces relations méritent d’être approfondies, mais il est logique qu’elles n’aient pas été formalisées plus avant parce que nous n’avions pas atteint un niveau de maturité suffisant.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret. Vous avez, ces dernières années, accompagné des établissements en grave crise financière, qui avaient souscrit des emprunts structurés. Avez-vous remarqué des problématiques communes ?

M. Christian Anastasy. Lorsque nous avons accompagné ce type d’établissements, notre mission portait principalement sur l’organisation d’un certain nombre de points qui apparaissaient dans le bilan des projets de performance comme devant être traités en priorité, en particulier ce qui concerne la gestion des lits et l’organisation des pharmacies, des blocs opératoires et de la facturation.

En ce qui concerne l’appui à la facturation, je précise que nous ne nous intéressons pas au codage des actes. En revanche, nous avons aidé des établissements à facturer mieux, c’est-à-dire de façon plus juste. Parfois, les établissements facturent trop tard ou ne facturent pas la totalité des examens. Il leur arrive également de facturer trop au détriment de l’assurance maladie.

S’agissant de la gestion de la dette et de la gestion économique et financière, celles-ci relèvent de l’agence régionale de santé (ARS) qui intervient seule, en lien avec l’État, et notamment la DGOS, qui suit ces questions. Notre rôle est circonscrit à l’organisation. J’appelle toutefois votre attention sur le fait que l’organisation est un élément déterminant pour un établissement de santé.

À titre d’illustration, un article, publié en mai 2011 dans une revue scientifique de haut niveau, The New England journal of medicine, et écrit par deux médecins, le professeur Victor Fuchs et le professeur Arnold Milstein, montrait ainsi que si la plupart des hôpitaux ou des services s’alignaient sur les établissements les mieux organisés en termes de production de soins, la part des dépenses de santé dans le PIB des États-Unis, qui est très élevée, diminuerait de quatre points.

Les problèmes d’organisation se voient immédiatement. Quand vous entrez dans l’hôpital de Condom, Madame la présidente, vous pouvez voir tout de suite si les gens attendent ou non, et donc s’il y a un problème d’organisation. Ce n’est pas une question de moyens, c’est une question de vision des choses et de modalités d’organisation des flux dans une organisation de santé complexe. Dans certains hôpitaux, il n’y a pas d’attente aux urgences. À l’inverse, il y a des hôpitaux où l’on peut attendre quatre heures. Si les établissements les moins bien organisés s’alignaient sur les établissements les mieux organisés, on dégagerait des marges de manœuvre considérables. Et quand on travaille avec les médecins et les soignants, on crée du consensus.

Il est très rare, pour donner un exemple, que les temps médicaux soient parfaitement concordants avec les temps des professionnels soignants. Les soignants sont à sept heures et demie dans la salle d’opération tandis que le chirurgien arrive parfois avec un petit temps de retard. S’il n’a pas fini d’opérer alors que la soignante a fini sa journée, elle doit être payée en heures supplémentaires. La non-concordance des temps entre les soignants et les docteurs induit des surcoûts pour l’organisation hospitalière. Si tout le monde arrivait en même temps, ce serait préférable pour les finances de l’établissement et cela contribuerait à diminuer le stress des professionnels.

Les établissements sont en grave crise financière parce que, parfois, ils ne facturent pas du tout. Sans modifier la nature du codage – j’insiste sur ce point, car ce n’est pas notre rôle –, mais en facilitant la facturation au fil de l’eau et en la rendant plus rapide, on améliore la trésorerie des établissements, et donc, leur équilibre financier. Il est anormal d’envoyer des factures quatre ou cinq mois après, et cela a pour conséquence d’énormes impayés pour les hôpitaux.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret. Vous intervenez donc très peu en matière de financement et de gestion financière ?

M. Christian Anastasy. En effet. Nous ne sommes pas un organisme d’ingénierie financière.

Jusqu’à la création de la T2A (tarification à l’activité) en 2004, les équipes hospitalières n’avaient pas une vision très prégnante de l’impact de l’investissement immobilier sur l’exploitation. Lorsque les agences régionales de l’hospitalisation (ARH), à l’époque, ou les organismes de tutelle arrêtaient les budgets, les dépenses de maintenance servaient souvent de variables d’ajustement. Ce qui fait que, de fil en aiguille, la situation s’est dégradée.

À partir des grands plans Hôpital 2007 et Hôpital 2012 et en lien avec la réforme de la tarification, des comportements et des besoins nouveaux sont apparus puisqu’on a fait le lien entre l’impact de la tarification et le financement des investissements.

M. Christian Béréhouc. Au début des années 2000, cela faisait déjà une vingtaine d’années que l’investissement était très faible puisqu’il s’élevait à moins de 3 milliards d’euros par an dans les établissements publics de santé, dont une grosse moitié consacrée aux investissements immobiliers, le reste étant affecté aux investissements biomédicaux et aux systèmes d’information.

Peu de grands établissements ont été ouverts entre la fin des années 80 et le début des années 2000. Le plan Hôpital 2007 a conduit à des projets de reconstruction à neuf. Alors que les besoins étaient relativement limités, certains établissements se sont retrouvés face à des projets de reconstruction complète dont le coût représentait une fois et demie, voire deux fois le montant du budget annuel de l’établissement, d’où les niveaux d’emprunt.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret. À votre connaissance, existe-t-il une structure extérieure pour aider les hôpitaux en matière financière ?

M. Christian Anastasy. Non.

À la question « Organisez-vous des accompagnements individuels pour préparer à certaines prises de fonction ? », la réponse est non. C’est le Centre national de gestion (CNG) qui est responsable en la matière.

J’en arrive à une de vos questions, qui entre dans notre cœur de métier : « Votre agence peut-elle aider des professionnels à mettre en place des groupes ressources pour permettre des échanges d’expérience entre "pairs"? Ce genre d’initiative vous paraît-il souhaitable et possible pour inciter les directeurs financiers à partager leur expérience dans la gestion des emprunts à risques ? »

Je ne répondrai pas spécifiquement à la question s’agissant des directeurs financiers, mais d’une façon générale, nous aidons les professionnels à mettre en place des groupes ressources, que l’on appelle des cercles de professionnels. C’est un cercle de professionnels qui a mis au point le projet de gestion des lits, qui est aujourd’hui, à la demande de la ministre, déployé à grande échelle. Une soixantaine de directeurs d’établissements, de médecins et de soignants ont travaillé ensemble, d’abord au sein de l’ANAP, puis ont pris progressivement leur autonomie et ont constitué un cercle indépendant qui rend compte à l’ANAP et travaille en lien avec celle-ci.

L’apprentissage par les pairs est déterminant pour conduire des politiques de transformation. On peut faire le parallèle avec le compagnonnage chez les artisans, car il s’agit de valeurs qui transcendent tous les métiers. Nous disposons ainsi, au sein de l’Agence, du concours d’une dizaine de collaborateurs médecins.

De même, en matière d’organisation des pharmacies, nous avons créé un outil intitulé « Inter diag Médicaments ». Cet outil a été approprié par un certain nombre de pharmaciens, de médecins, de directeurs, qui n’avaient pas l’habitude de parler ensemble. Ces cercles de pairs, au sein d’une organisation un peu informelle, ont fait avancer les réflexions en matière d’achat et de ressources humaines.

Je citais tout à l’heure les efforts à faire en matière de concordance des temps de travail des uns et des autres. Nous procédons toujours de la même façon : nous allons voir les acteurs sur place, nous travaillons avec eux dans les établissements et quand quelque chose fonctionne dans un établissement, on en parle dans deux ou trois autres établissements de façon à élargir la réflexion et à nourrir une expérience plus solide. Lorsque le modèle a été généralisé dans trois ou quatre établissements, il peut être progressivement étendu.

Si nous allons vous voir, Madame la présidente, ce ne sera pas pour vous expliquer ex cathedra comment gérer votre hôpital. C’est à vous de nous expliquer les problèmes auxquels vous êtes confrontée. De notre côté, nous essaierons de trouver des solutions avec d’autres présidents de conseils de surveillance.

Nous avons notamment travaillé, avec l’ARS de Bourgogne, à des coopérations territoriales entre différents établissements. Les présidents des conseils de surveillance ont participé à nos réflexions et, l’intérêt des populations et des personnes étant primordial, un consensus s’est progressivement installé.

Nous avons de même bâti, avec l’ARS de Bretagne, un projet permettant d’établir un diagnostic confirmé du cancer du sein en moins de 24 heures. Aujourd’hui, les examens de radiologie, et notamment l’imagerie lourde, ne sont pas rapidement accessibles. Certaines femmes peuvent attendre jusqu’à cinquante ou soixante jours pour avoir confirmation du diagnostic, ce qui n’est pas acceptable. Lorsque nous avons suscité ce projet collectif, les clivages politiques, politiciens, statutaires ou syndicaux sont tombés, car tout le monde a été mû par l’idée de progresser utilement. Le travail collaboratif entre pairs est déterminant. Nous sommes en quelque sorte les maïeuticiens du changement, nous essayons « d’accoucher les bonnes idées » et de promouvoir des modes de comportement collectif qui permettent d’autant mieux de diffuser les bonnes pratiques qu’elles sont appropriées par les acteurs de terrain.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret. Est-ce l’ARS qui vous saisit pour un projet du type de celui que vous avez mené en Bourgogne ou en Bretagne ? Comment la décision se prend-elle ?

M. Christian Anastasy. L’ANAP est un groupement d’intérêt public, dirigé par un conseil d’administration qui inclut l’État, l’assurance maladie, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) et les fédérations hospitalières. Chacune des parties prenantes émet des souhaits concernant les travaux à confier à l’Agence. Nous synthétisons ces demandes et nous les hiérarchisons à l’aune de plusieurs critères. Nous nous demandons d’abord si nous sommes capables, ou non, de répondre à ces demandes. Par exemple, si on me pose des questions relatives à la qualité des soins, je renvoie à la Haute autorité de santé. Ensuite, nous nous demandons si ce que nous allons faire ensemble est susceptible d’intéresser un grand nombre d’établissements ou si cela répond à une problématique si ténue qu’en fin de compte, elle n’intéressera presque personne. Si nous pouvons répondre affirmativement à ces deux questions, nous revenons devant notre conseil d’administration. La gestion des lits nous semblait ainsi constituer un sujet majeur. À la demande de la ministre, nous accompagnons 160 établissements parce que ce mode de transformation va générer un bénéfice pour les patients, mais aussi pour les professionnels, ainsi qu’un surcroît d’efficience.

Nous ne faisons que ce pour quoi nous sommes compétents et qui peut avoir un impact en termes d’amélioration pour les patients. Parvenir à un délai d’attente réduit à zéro dans les couloirs des urgences pour les personnes âgées est un objectif pertinent. Une infirmière confrontée à une salle où attendent, depuis trois heures, quatre-vingts personnes, sera inévitablement stressée. Il y a beaucoup de stress dans ce milieu et la durée de vie professionnelle n’y est pas très longue. Quand on améliore la fluidité des arrivées aux urgences, on facilite aussi la vie des professionnels.

Une meilleure utilisation des moyens induit une plus grande efficience du système et l’on évite ainsi de gâcher des ressources au détriment des cotisations des salariés. N’oublions pas ce sont nos cotisations sociales qui financent cette réussite qu’est, depuis soixante-dix ans, la sécurité sociale. Je ne suis pas là pour dégager du profit ou faire du New public management à la façon de Milton Friedman. Je suis là pour éviter des dépenses publiques inutiles. Lorsqu’on est mieux organisé, on dépense mieux.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret. Votre intervention nous permet de mieux comprendre le rôle de votre agence. J’observe toutefois que la dette des établissements publics est considérable et je m’inquiète de savoir comment nous pourrions sortir de cette situation, comment l’hôpital public pourrait en sortir renforcé et comment il pourrait continuer à investir. Le rôle de l’Agence est primordial en la matière. Nombre d’établissements, par exemple, ne sont pas aux normes en matière de sécurité. Comment vont-ils faire pour investir ? Par ailleurs, la T2A est sans doute adaptée à l’activité et aux soins, mais elle n’est pas conçue pour dégager des bénéfices pour les investissements.

M. Christian Anastasy. Nous avons vécu, dans tous les domaines, d’extraordinaires progrès médicaux. En 1970, la durée moyenne de séjour à l’hôpital était de vingt et un jours. En 1990, elle était aux alentours de dix jours. Elle est aujourd’hui d’environ quatre jours pour ce qui est de l’hospitalisation complète, mais de moins de douze heures pour 50 % des actes de chirurgie. Cela est dû aux formidables progrès qu’il y a eus sur le plan de la chirurgie, de l’imagerie, de l’anesthésie et de la prise en charge de la douleur, progrès qui ont permis aux patients de faire des séjours de plus en plus courts. Tous ces progrès ont été très rapides. Ce temps très rapide du progrès médical a été confronté au temps très long des investissements hospitaliers, car entre le moment où l’on prend une décision et le moment où les murs sortent de terre, dix ans se sont écoulés, et ensuite, les murs sont amortis sur trente à cinquante ans.

Les plans ont rattrapé un peu le retard de maintenance, mais ils n’ont concerné qu’un nombre faible d’établissements puisque 15 % seulement ont été rénovés. Vous avez raison de dire, madame la présidente, que cette problématique se pose dans beaucoup d’établissements.

Je vais laisser la parole à Christian Béréhouc, qui est un grand témoin de cette évolution.

M. Christian Béréhouc. Ayant connu le plan Hôpital 2007 et le plan Hôpital 2012, je vous propose d’en retracer les grandes étapes et les enseignements que nous avons pu en tirer.

Pendant deux décennies, il y a eu peu d’investissements. Dans les années 2000 l’endettement des établissements s’élevait à 7 milliards d’euros, contre 30 milliards aujourd’hui. L’objectif du plan Hôpital 2007 était de moderniser et de sécuriser – je pense à la sécurité incendie – et surtout d’aller très vite. Tels étaient les termes employés à l’époque.

Au départ, le plan prévoyait le financement de 10 milliards d’euros de projets d’investissements, dont 60 % d’aides. Puis, il est passé progressivement à 13 milliards d’euros, pour atteindre quasiment 17 milliards, le niveau des aides n’ayant pas bougé. Des facteurs exogènes, comme les indices de révision qui avaient dépassé 6 % par an, le secteur du bâtiment ayant enregistré à cette époque une forte activité, ont eu un effet sensible.

Le fait que le montant des aides n’avait pas évolué et qu’une partie de l’aide en capital a été transformée en aide à l’emprunt, a constitué l’un des premiers moteurs de dérapage de la dette, qui a résulté d’un cumul de plusieurs facteurs.

Le plan Hôpital 2012 en conséquence a davantage mis l’accent sur la notion de retour sur investissement. La primauté n’était plus à la vitesse de réalisation de l’investissement, mais à la démonstration qu’il était justement calibré. Sur ce plan, les hypothèses initiales se sont retrouvées le plus souvent corroborées par les faits. Il n’y a pas eu le décalage entre la volonté initiale et le résultat obtenu, que l’on avait pu constater pour le plan Hôpital 2007. Néanmoins, l’opération s’est arrêtée à la première tranche, dont le montant s’élevait tout de même à 5 milliards d’euros. Elle comportait un volet sur les systèmes d’information, ce qui était nouveau par rapport aux plans précédents qui concernaient uniquement l’immobilier. C’était un volet quasi obligatoire, sachant que la transformation d’un établissement passe aussi par la transformation des organisations, qui ne peut se faire sans l’adaptation des systèmes d’information.

Suite au retour d’expérience du plan Hôpital 2012, un mécanisme nouveau, le COPERMO, a été mis en place, afin de structurer démarche et dialogue entre les établissements et leur ARS.

Le premier élément de cette démarche commune consiste à bien appréhender qu’un investissement se conçoit sur le long terme. Or aujourd’hui, les plans régionaux de santé (PRS) sont à court terme. Il est nécessaire de dépasser le court terme pour que l’investissement ait le plus de chances possibles de satisfaire aux besoins de la population. Il faut prendre en compte un ensemble d’éléments tels que le territoire de santé, l’établissement porteur du projet, l’évolution du projet à cinq ou dix ans, ainsi que celle de l’offre de soins globale du territoire et l’évolution des parts de marché, sachant que certaines idées reçues selon lesquelles, avec un hôpital neuf, on récupère tous les patients qui ont déserté l’hôpital lorsqu’il était vétuste, sont souvent erronées. Il est très difficile, en effet, même si l’on a construit un bel hôpital tout neuf, de faire revenir des gens qui ont pris des habitudes ailleurs.

Il faut essayer de rationaliser l’approche en termes d’activité, et surtout tenir compte de la réalité de l’offre de soins publique et privée sur un territoire pris globalement, et pas uniquement centrée sur un établissement donné. De même, ce n’est pas parce que l’on a fait 3 % de plus d’activité pendant une année que l’on aura nécessairement 3 % de plus par an sur les dix ans à venir. Nous avons beaucoup insisté sur la nécessité d’une appréhension raisonnable des données de volumes d’activité. À cet égard, nous avons mis à la disposition des établissements et des ARS l’un de nos outils phares, intitulé « Hospi Diag », qui permet d’analyser les parts de marché et, parfois, de tempérer certains enthousiasmes, s’agissant de zones où l’activité stagne manifestement, voire régresse.

C’est là l’un des points majeurs de la démarche initiée par le COPERMO.

Hôpital 2007 mettait l’accent sur la rapidité, ce qui a souvent signifié « constructions neuves », car la restructuration prend du temps. Mais les temps ont changé. Aujourd’hui, quand on projette un investissement, il y a toujours plusieurs scénarios, et nous insistons sur la nécessité de démontrer en quoi la solution proposée est optimale pour l’établissement et la collectivité.

Il est important de préciser que nous apportons appui, outils et méthodologie et que nous n’intervenons en rien dans les choix eux-mêmes. Ceux-ci relèvent des ARS, et la décision d’aider, ou non, l’investissement, et à quelle hauteur, appartient au COPERMO.

Toujours dans une logique d’optimisation, nous avons travaillé sur la première génération des schémas régionaux d’investissement en santé (SRIS). On peut imaginer qu’il y en aura plusieurs versions, comme pour les autres schémas régionaux. Il s’agit à ce stade d’une sorte de prototype, avec des objectifs assez simples, auxquels les gens peuvent adhérer.

D’abord, il faut fournir des éléments de projection aux établissements et aux ARS. On s’est aperçu que les établissements avaient tendance, peut-être parfois sous la pression des personnels, à toujours envisager des projets visant à simplement améliorer l’existant, en reprenant pour une bonne part les modes de prise en charge du jour, voire de la veille, ce qui, de temps en temps, peut poser problème. Aussi, nous avons, dans le cadre des SRIS, proposé des éléments de projection concernant les prises en charge, les évolutions techniques, voire technologiques, pour aider les établissements et les ARS à les anticiper pour le projet dès son ouverture plutôt que de constater a posteriori que celui-ci est conforme à ce que l’on faisait en 2005 ou en 2010.

Ensuite, il s’agit d’une approche territoriale, et non d’une approche centrée sur les établissements pris individuellement. La prise en charge sera de plus en plus un sujet territorial, qui ne se cantonnera pas à l’établissement en tant que tel, mais concernera un établissement – qu’il soit public ou privé – sur son territoire, ainsi que le domaine médico-social. S’agissant des éléments qui vont servir à bâtir les schémas, la connaissance du secteur médico-social reste un enjeu assez fort, notamment sur le plan immobilier.

Nous sommes en train de tester le dispositif du SRIS avec deux régions pilotes, sachant que le dispositif doit s’étendre à l’ensemble des régions dès la fin de cette année.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret. Quelles sont ces régions pilotes ?

M. Christian Béréhouc. Il s’agit de l’Auvergne et du Languedoc-Roussillon.

J’en viens à votre question sur la T2A et les investissements. En général, dans une organisation, c’est l’exploitation qui finance l’investissement. De nombreux travaux, d’ailleurs, montrent l’impact direct de l’une sur l’autre. Le logiciel ELLIPSE, qui est un outil de simulation permettant de simuler les conséquences de différentes hypothèses en termes d’activité, d’équipes soignantes, de dimensionnement et de coûts, nous a permis de démontrer le lien fort qui existe entre l’exploitation et le financement de l’investissement. Une rupture complète entre les deux poserait problème.

À l’inverse, on comprend bien que reconstruire complètement un hôpital avec, pour seule source de financement, l’exploitation financée par la T2A n’est pas adaptée non plus. Cela étant, « couper complètement le cordon » représenterait un certain risque et, à ce titre, on peut penser que la méthode COPERMO, avec un petit volant d’aides réservées à des opérations d’exception et de grandes ampleurs, peut être un bon compromis pour financer tout ce qui relève de la « vie courante » d’un établissement. Je pense qu’il faut associer étroitement la notion de responsabilisation à l’exploitation et à l’investissement, sans pousser la logique jusqu’au systématisme, autrement dit, sans devoir tout financer avec les tarifs.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret. Le président de la Fédération hospitalière privée, que nous avons auditionné récemment, nous a expliqué qu’on était en train de séparer l’exploitation immobilière du soin, les établissements étant gérés par des sociétés immobilières. Pensez-vous que ce soit possible au niveau de l’hôpital public ? Serait-ce une bonne chose ?

M. Christian Anastasy. J’ai dirigé des établissements privés au sein desquels on distinguait l’immobilier de l’exploitation. Sur le principe, cette dichotomie est vertueuse. D’un côté, une personne morale s’occupe des murs. En contrepartie, elle perçoit un loyer et si elle veut continuer à le percevoir, il faut qu’elle présente à l’exploitant des murs en bon état. Cette pratique peut donc induire un aspect vertueux, l’exploitant se concentrant en effet sur son métier, qui consiste à accueillir les gens pour les soigner.

Je l’ai dit tout à l’heure, dans un système où l’on mélange exploitation et investissement, on peut être tenté d’équilibrer l’exploitation au détriment de l’investissement, en utilisant, notamment, la variable d’ajustement que constituent les crédits de maintenance. On n’entretient pas les murs pendant des années et on aboutit aux plans Hôpital 2007 et Hôpital 2012. Il y a une réflexion à mener, sachant que mon propos est nuancé et ne vise pas à « faire la révolution », mais à faire comprendre qu’il y a, d’une part, un cycle d’exploitation, d’autre part, un cycle de maintien de l’investissement, et que les deux domaines doivent être relativement étanches et mis en perspective.

En ce qui concerne le secteur public, apparaît régulièrement l’idée d’une grande « foncière » qui gérerait l’ensemble du patrimoine des établissements. Nous y réfléchissons, mais nous n’y sommes pas favorables. Qu’une telle société foncière soit seule responsable des murs des établissements hospitaliers pourrait induire, me semble-t-il, le risque que les exploitants des établissements se désintéressent totalement de la partie immobilière. Il faut trouver le juste compromis entre le maintien de relations étroites et équilibrées entre l’exploitant de production de services de santé et le gestionnaire des murs. En même temps, il faut veiller à conserver une forme d’étanchéité, afin que le gestionnaire d’exploitation ne soit pas tenté de se « servir » sur les murs, ou inversement. On pourrait aussi imaginer que le gestionnaire des murs soit tenté de facturer des loyers trop importants par rapport à l’exploitant.

M. Christian Béréhouc. En complément, à propos du COPERMO, nous avons fait des propositions visant à sanctuariser, tout ce qui est du domaine des investissements courants, de la maintenance, du gros entretien, en fixant un minimum de 3 % du budget, au-dessous duquel on considère que l’établissement prend un risque de dégradation à terme de son patrimoine. Nous restons dans la logique d’un seuil évitant à l’établissement d’arriver, après dix ans d’incurie, à une dégradation telle qu’il faille nécessairement tout reconstruire.

Je précise que les établissements de santé, qu’ils soient publics ou privés, ont un immobilier très évolutif. On n’y fait pas la même chose pendant quinze ans. Il doit donc y avoir une réelle proximité entre l’exploitation et l’investisseur. Il faut en avoir conscience, c’est une des particularités du secteur de la santé, qui est beaucoup plus mobile que d’autres secteurs où les constructions sont plus monolithiques tout au long de leur vie.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret. La particularité des hôpitaux publics est que les bâtiments peuvent être très anciens, certains datant du XIIe ou du XIIIsiècle. Cela étant, nombre de constructions des années soixante-dix semblent être en mauvais état.

La semaine dernière, nous sommes allés à Marseille. Si l’hôpital de la Timone dispose de services extraordinaires, qu’il s’agisse des urgences ou de l’imagerie médicale, il n’en demeure pas moins que cet immense bâtiment de onze étages, où la sécurité incendie n’est pas assurée, aurait besoin d’être rénové, voire reconstruit.

Tout à l’heure, vous parliez de l’offre de soins sur le territoire. Voilà précisément un territoire où la pression du privé est importante. Or l’offre privée est beaucoup plus importante que l’offre publique. Quel est le risque pour ce type d’hôpital ? On nous a expliqué qu’une maternité avoisinante avait fermé du jour au lendemain et que l’hôpital public avait récupéré les patientes. Comment doit-on aider un hôpital de 1 000 lits qui a besoin d’investir au niveau des bâtiments pour continuer à proposer une offre de soins soutenant la comparaison avec le privé ? Quelle fiabilité peut-on accorder à l’hospitalisation privée qui, du jour au lendemain, peut décider de fermer un service ? Comment arriver à gérer cette situation et permettre à l’Assistance publique de Marseille d’investir ?

M. Christian Anastasy. Nous l’avons dit, deux temps se confrontent : le temps du progrès médical, qui est très rapide, ce qui fait que les gens restent quelques heures à l’hôpital pour une intervention dans 50 % des cas, et le temps de la construction, avec des cycles d’amortissement très longs. Certains établissements sont, encore aujourd’hui, amortis sur une durée de cinquante ans.

Comment adapter ces deux temps l’un à l’autre ? On dépense plus pour les pathologies chroniques qui ne sont pas prises en charge à l’hôpital. Il y a aujourd’hui, dans notre pays, 15 millions de personnes porteuses de pathologies chroniques qui sont prises en charge, pour l’essentiel, en dehors de l’hôpital. Nous dépensons 80 milliards d’euros pour cette prise en charge et 76 milliards pour les établissements de santé en général. Où sont les enjeux ? Faut-il construire davantage d’hôpitaux ? Dans les années quatre-vingt-dix, il y avait 40 millions de mètres carrés construits et les durées de séjour étaient de dix jours, contre, aujourd’hui, 60 millions de mètres carrés construits et des durées de quatre jours. Faut-il en tirer la conclusion que nous avons trop construit ? La réponse vous appartient.

Le comportement d’un gestionnaire public et celui d’un gestionnaire privé ne sont pas tout à fait les mêmes, le premier n’ayant pas les mêmes contraintes d’exploitation immédiate. Si l’établissement privé entretient des murs inutiles qui lui coûtent très cher, il ferme. D’ailleurs, nombre d’entre eux ont fermé. Aujourd’hui, les gestionnaires privés sont très attentifs à la façon dont ils gèrent leurs mètres carrés inutiles. Je ne veux pas dire que le secteur public ne l’est pas, mais les temps ne sont pas les mêmes, les cycles d’autorisation et les contraintes non plus, et la réactivité induite est sans doute différente.

Ainsi qu’il a été dit, il y a beaucoup de mètres carrés construits, qui coûtent très cher à entretenir ; le temps de construction et celui du cycle d’exploitation des murs sont très longs et ne tiennent pas forcément compte de celui des progrès médicaux. Or, les progrès ont été tels que les gens peuvent se faire soigner aujourd’hui en moins de douze heures. La ministre promeut, à juste titre, le virage de l’ambulatoire, parce que c’est un facteur de progrès pour les établissements. Si de moins en moins de personnes entrent à l’hôpital, il y a nécessairement de moins en moins besoin de murs. Par conséquent, avant de se demander s’il faut rénover la totalité du parc immobilier, soit les 60 millions de mètres carrés construits, il faut se demander s’il ne vaudrait pas mieux réformer une partie de ce patrimoine afin de répondre avant tout aux besoins sanitaires de la population.

Les personnes restent moins de douze heures dans un établissement et repartent sur leurs jambes, ce qui est mieux pour elles parce qu’elles ne contractent pas d’infections nosocomiales et qu’elles récupèrent plus vite après un acte chirurgical. Les hôpitaux publics ont gagné des parts de marché, car ils ont fait des efforts considérables en matière de chirurgie ambulatoire. Il est probable que, demain, 65 % des actes seront faits en ambulatoire, tant dans le public que dans le privé. Les gens entreront de moins en moins longtemps à l’hôpital. En revanche, ils seront pris en charge de plus en plus longtemps à leur domicile. Les 15 millions de personnes porteuses de maladies chroniques auront nécessairement besoin d’un accompagnement personnalisé.

Alors, faut-il maintenir en permanence un patrimoine immobilier qui sera de moins en moins fréquenté ou faut-il aider les gens à rester chez eux, avec des conditions de vie qui les satisferont davantage ? La problématique est tellement complexe que je n’aurai pas l’outrecuidance d’y apporter une réponse définitive. Cela étant, lorsqu’on met en perspective ces éléments de raisonnement, on se dit que notre pays doit peut-être cesser d’investir toujours plus dans des surfaces nouvelles, pour investir davantage dans la prise en charge des pathologies chroniques. C’est un discours de raison, mais peut-être politiquement incorrect, car on sait que nous sommes tous, dans notre culture, attachés aux murs. Nous n’avons pas envie de voir disparaître les hôtels-Dieu, qui sont dans notre paysage depuis le Moyen Âge. Mais il faut comprendre que les contraintes du cycle de l’investissement et de la nécessité d’entretenir les équipements sont parfois difficilement compatibles avec la tendance consistant à assurer des prises en charge dans des délais très resserrés.

L’ANAP n’a pas à elle seule la prétention de répondre à ces questions. Nous mettons simplement en perspective deux phénomènes : un cycle de l’investissement immobilier très long et un cycle du progrès médical très rapide. Les gens iront de moins en moins à l’hôpital pour des séjours longs. Tout se passera comme si nous revenions au début du siècle précédent, époque à laquelle la fréquentation de l’hôpital était très rare, puisqu’on opérait les gens chez eux. Bien entendu, ce n’est pas ce que je souhaite ! La fréquentation de l’hôpital a peut-être été à son apogée dans les années 1990-2000. Demain, il y aura sans doute de plus en plus de prises en charge télé-réparties, parce que les moyens technologiques permettront l’éducation thérapeutique chez soi. L’enjeu n’est donc pas forcément de construire des murs. Aujourd’hui, 40 % des prescriptions médicamenteuses ne sont pas suivies par les patients, ce qui nécessite de l’éducation thérapeutique à distance. À ce jour, le développement de la télémédecine en est encore à ses débuts. Peut-être faut-il cesser d’investir dans les murs pour investir dans les technologies de l’information parce que c’est ce qui permettra de maintenir les gens chez eux, où ils se sentiront mieux qu’à l’hôpital ou dans une maison de retraite. Il faut donc plutôt miser sur cet investissement immatériel.

C’est en tant que citoyen que je vous livre, en toute franchise, cette réflexion. Je pense que l’évolution doit aller dans ce sens plutôt que de vouloir maintenir à tout prix des murs parfois sous-exploités.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret. Le coprésident de la mission, M. Pierre Morange, pose régulièrement cette question : le patrimoine hospitalier est-il répertorié ? Existe-t-il des documents répertoriant ces 60 millions de mètres carrés ? Et, pour faire suite à ce que vous venez dire, que pourrait-on en faire ?

M. Christian Béréhouc. Nous avons conçu, il y a deux ou trois ans, un outil dédié à la gestion du patrimoine, qui a été repris par la DGOS. Cet outil, dénommé OPHELIE, a pour but de faciliter la gestion du patrimoine hospitalier, avec un certain nombre de données consolidées au niveau national.

Aujourd’hui, certains établissements ont une connaissance exacte de leur patrimoine, mais beaucoup n’en ont qu’une connaissance empirique. Pour bâtir une politique immobilière, il nous a semblé important d’avoir un outil consacré à sa gestion. C’est un projet à long terme dont nous avons lancé les prémices et que la DGOS est en train de déployer. Nous pourrons ainsi vérifier s’il y a bien 60 millions de mètres carrés, car ce chiffre n’est qu’une hypothèse, même si l’ordre de grandeur est sans doute correct. Nous pourrons surtout envisager, dans le cadre des SRIS, d’avoir une politique globale par établissement visant à l’optimisation du patrimoine.

En ce qui concerne le traitement du passé, le budget global n’incitait pas à désaffecter les surfaces abandonnées par les établissements qui ont été historiquement constructeurs. Il y a donc aujourd’hui des écarts énormes entre des établissements qui ont quarante ou cinquante ans d’histoire, dont les bâtiments sont tous occupés, et d’autres qui sont beaucoup plus compacts. Avec la T2A, l’optimisation va devenir une obligation pour tous les établissements. Dans le cadre de la démarche interne d’un établissement, il sera utile, une fois que son patrimoine sera connu, de mettre en œuvre des réflexions de type « schéma directeur d’établissement » dans le cadre des SRIS, pour optimiser ce patrimoine.

M. Christian Anastasy. Répondre à votre question, madame la coprésidente, est très compliqué, car tout dépend de l’endroit où se situent les murs. Dans le cas d’un hôpital construit sous Louis XIV, à Valognes, dans la Manche, peu d’entreprises pourront y installer leur siège social et le conseil général n’en fera pas un hôtel du département.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret. Cependant, dans le Lot-et-Garonne, l’hôtel du département s’est installé dans les murs de l’ancien hôpital Saint-Jacques.

M. Christian Anastasy. Il y a, certes, des exemples, mais il n’en demeure pas moins qu’il est plus facile de reconvertir du patrimoine immobilier à Paris, et j’ai peu d’inquiétudes sur l’avenir du site de Saint-Vincent-de-Paul. Quant aux Hospices civils de Lyon, ils ont transformé une partie de leur patrimoine historique en grand hôtel. Il y a, à l’évidence, des inégalités géographiques. Pour cette raison, la question que vous posez ne permet pas de donner une réponse immédiate.

En revanche, il est probable qu’il faut se poser la question de savoir si l’on maintient indéfiniment du patrimoine inutilisable ou inutilisé à des fins sanitaires. Travailler dans des hospices qui datent du Moyen Âge n’est pas toujours facile. L’ANAP a accompagné un certain nombre d’opérations de valorisation patrimoniale pour engager une dynamique de changement. Nous conduisons aujourd’hui une vingtaine d’opérations en France pour assouplir l’appréhension de l’utilisation du patrimoine. Il faut se résoudre à vendre les murs inutiles, puisque les besoins de la population ne seront plus forcément à satisfaire dans le cadre de murs immuables, mais progressivement de plus en plus à domicile.

Enfin, aura lieu à Paris, cette année, la Conférence sur le climat. L’ANAP a créé un événement centré sur le développement durable, pour une raison simple : le patrimoine immobilier hospitalier consomme énormément d’énergie fossile et il sera soumis, demain, au paiement d’une taxe carbone très élevée. Certains pays s’interrogent et protègent leurs établissements dans cette perspective. En France, nous n’avons pas encore une conscience très aiguë de ces problématiques, mais la dimension écologique et citoyenne doit être intégrée.

Je ne parle pas du secteur médico-social dont le patrimoine est, dans l’ensemble, encore plus ancien. Le développement de la prise en charge à domicile, la télémaintenance, le télé-service, la télé-radiologie, la télé-imagerie, la télé-éducation sont vraisemblablement des voies d’avenir. Dans le cadre d’une culture immobilière qui n’est pas seulement hospitalière, car nous vivons dans un pays où l’on aime le patrimoine et où l’on restaure les vieilles maisons avec amour, il est difficile d’avoir une vision « libérée » du poids des murs. Il faudrait arriver à se dire que l’on va moins investir dans les murs pour se désendetter et investir davantage dans les nouvelles technologies.

Cela pourrait être motivant pour les acteurs. Il est difficile de parler de dette, car on a toujours l’air de culpabiliser des gens qui ont été pris dans un mouvement très rapide puisque le plan Hôpital 2007 préconisait de construire très vite, ce qui a, très vite aussi, généré une dette. Aujourd’hui, le discours est stigmatisant : « Vous avez trop de dettes et ce n’est pas bien ! » Si l’on pouvait sortir de ce discours négatif pour envoyer un message positif, comme « Investissons davantage sur les nouvelles technologies parce que c’est l’avenir », nous pourrions faire évoluer positivement l’état d’esprit en la matière dans notre pays.

La séance est levée à douze heures.