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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Mercredi 20 janvier 2016

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 04

Présidence de Mme Gisèle Biémouret et de M. Pierre Morange, coprésidents

– Présentation de la communication de la Cour des comptes à la MECSS sur « l’hospitalisation à domicile » : M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, M. Noël Diricq, conseiller maître, président de section, et Mme Esmeralda Luciolli, rapporteur extérieur

– Information relative à la Mission

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Mercredi 20 janvier 2016

La séance est ouverte à seize heures trente.

(Présidence de Mme Gisèle Biémouret et de M. Pierre Morange, coprésidents de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, de M. Noël Diricq, conseiller maître, président de section, et de Mme Esmeralda Luciolli, rapporteur extérieur, sur la présentation de la communication de la Cour des comptes à la MECSS sur l’hospitalisation à domicile :

M. le coprésident Pierre Morange. Au nom de tous, je souhaite la bienvenue aux représentants de la Cour des comptes qui viennent nous présenter leur rapport complémentaire sur l’hospitalisation à domicile (HAD), répondant ainsi à notre demande.

M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes. Monsieur le président, madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, je suis entouré de M. Noël Diriq, conseiller maître et président de la section qui traite des problématiques de santé et d’établissements de santé, et de Mme Esmeralda Luciolli, qui est à la fois médecin de santé publique, administratrice civile, rapporteure de cette enquête.

Vous nous avez invités à revenir sur cette transgression réussie qu’est l’HAD. Celle-ci a été créée au milieu des années 1950, sans aucun support juridique ni cadre prédéfini, à partir d’une intuition de certains médecins de l’Assistance publique, qu’ils avaient confortée par des visites aux États-Unis où s’imaginaient de nouveaux modes de prise en charge, à l’interface de l’hospitalisation conventionnelle et des soins de ville. Cette intuition, née dans les années 1954-1956, a grandi et a été progressivement reconnue dans les textes : d’abord dans la loi hospitalière du 31 décembre 1970, et plus récemment dans la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST), promulguée le 21 juillet 2009.

En septembre 2013, dans l’un des chapitres du rapport annuel sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, nous avions dressé un premier bilan de l’HAD dans le système de soins actuel. Nous étions très intéressés par ce mode de prise en charge original, mal connu, et qui nous semblait receler de fortes potentialités d’amélioration du parcours de soins des patients, en particulier des plus âgés d’entre eux. Dans ce rapport, nous indiquions que l’HAD était mieux reconnue et davantage fondée sur le plan juridique qu’auparavant mais qu’elle restait marginale et se heurtait à des obstacles récurrents que nous avions cherché à identifier. Compte tenu de l’intérêt de ce mode de prise en charge, nous avions appelé les pouvoirs publics à encourager son développement et à lever les freins qui s’opposaient à son essor.

Moins de deux ans plus tard, vous nous avez demandé de revenir sur ce sujet tout à fait passionnant, et nous avons constaté que le paysage avait certes changé mais pas suffisamment.

Premier point : les pouvoirs publics ont voulu développer une stratégie d’ensemble cohérente et fortement pilotée de développement de l’HAD dans les deux mois qui ont suivi la parution de notre rapport. Je ne dis pas que c’est la conséquence de notre publication : les germinations sont souterraines et l’attention que nous avons portée à l’HAD a rencontré l’effort de réflexion des pouvoirs publics, en particulier de la direction générale de l’offre de soins (DGOS).

Nous constatons cependant qu’il existe désormais un cadre d’ensemble pour le développement de l’HAD, défini par une circulaire du 4 décembre 2013, qui présente l’originalité de fixer des objectifs de développement quantitatifs ambitieux : il y était ainsi prévu de doubler la part de l’HAD dans les hospitalisations conventionnelles entre 2013 et 2018, c’est-à-dire de la faire passer de 0,6 % à 1,2 % du nombre de séjours réalisés en hospitalisation. Ces objectifs visaient à mettre sous tension l’ensemble du dispositif de pilotage de l’offre de soins et les établissements eux-mêmes.

Les pouvoirs publics ont réaffirmé dans cette circulaire la spécificité de ce mode de prise en charge. Rejoignant notre analyse au Parlement, ils soulignaient le fait que l’HAD n’est pas destinée à n’importe quelle pathologie, mais qu’elle est adaptée à des prises en charge particulièrement complexes : des soins lourds, substituables à ceux qui sont prodigués en établissement et distincts de ceux qui peuvent être dispensés en ville par des professionnels libéraux de santé.

La circulaire du 4 décembre 2013 visait aussi à rendre l’HAD plus accessible sur l’ensemble du territoire, afin de remédier aux disparités géographiques que nous avions constatées. Enfin, il y était question des outils mis au service de cette ambitieuse stratégie. La mobilisation des Agences régionales de santé (ARS) devait notamment permettre de faciliter la prescription des entrées en HAD par les médecins.

Nous dressons donc le bilan de cette circulaire relativement peu de temps après sa mise en œuvre, ce qui explique sans doute notre constat en demi-teinte. Les pouvoirs publics ont lancé une politique en 2013 ; nous l’avons examinée à la fin du printemps et à l’été 2015, c’est-à-dire à peine dix-huit mois plus tard. Il est normal que nous constations que les fruits n’ont pas encore passé la promesse des fleurs, contrairement aux vers de Malherbe.

Premier grand constat : à ce stade, le développement de l’HAD est limité, voire décevant. Après un rebond en 2012, qui contrastait avec l’essoufflement des années antérieures, sa progression s’est étiolée : une hausse de 4,7 % en 2013, pour seulement 1,9 % en 2014 et de l’ordre de 2,5 % au cours des neuf premiers mois de 2015. En 2014, seulement 18,5 patients par jour et pour 100 000 habitants étaient pris en charge en HAD, ce qui représente quelque 50 % du but visé pour 2018. Ce décalage très net par rapport aux prévisions laisse augurer que les objectifs affichés pour 2018 seront difficilement atteints.

Cette progression limitée résulte d’évolutions contrastées selon les pathologies prises en charge. L’activité diminue en post-partum, en soins palliatifs, en rééducation tant neurologique qu’orthopédique, et en transfusion sanguine. En matière de retour précoce à domicile après accouchement, le mouvement de repli est plus volontaire que subi, un référentiel ayant conclu que l’HAD n’apportait pas vraiment de valeur ajoutée par rapport à d’autres modes de prise en charge. En revanche, la baisse constatée en soins palliatifs nous paraît paradoxale puisque ce domaine, où les besoins sont considérables, est en développement. La raison qui nous a été donnée – la révision des pratiques de codage à la suite de contrôle de l’assurance maladie – nous semble insuffisante à expliquer cette évolution quelque peu étonnante. La baisse observée en transfusion sanguine s’explique pour sa part par un problème de tarification : la prise en charge ne couvre pas en effet les coûts engagés. En ce qui concerne les rééducations, les explications ne sont pas très claires, d’autant que les besoins sont considérables notamment en sortie d’hospitalisation.

En revanche, d’autres prises en charge se sont fortement développées, en particulier les soins de nursing lourds, les traitements intraveineux et la chimiothérapie pour les patients atteints de certaines formes de cancer.

Nous constatons aussi que les disparités territoriales ne se sont pas vraiment comblées entre 2011 et 2014, ce qui n’est pas formidablement étonnant. Il y a malgré tout des évolutions différenciées : l’activité en HAD progresse fortement dans certaines zones géographiques – Languedoc-Roussillon, Champagne-Ardenne, Bretagne, Bourgogne –, ralentit dans d’autres – Basse-Normandie et Île-de-France – et baisse même dans certains cas – Alsace et Haute-Normandie. Les disparités géographiques, qu’elles soient régionales, départementales ou infra-départementales, restent du même ordre que celles que nous avions précédemment constatées. La DGOS a analysé d’une manière inédite le recours à l’HAD par bassin de vie dans les départements, ce qui a fait apparaître l’existence de zones blanches dans certains départements. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de services d’HAD dans ces zones puisque l’ensemble du territoire est désormais à peu près totalement couvert, mais cela signifie qu’il n’y a pas de prescription pour ce mode de prise en charge. Ce constat renvoie à des habitudes de prescription.

Deuxième grand constat : d’une manière générale, la place de l’HAD reste encore secondaire, voire très secondaire, dans le parcours de soins, pour des raisons que nous avions déjà identifiées. D’abord, la prescription est très majoritairement le fait de médecins hospitaliers – 70 % des entrées – et nous observons deux situations nettement clivées : soit les médecins hospitaliers connaissent l’HAD et ils y recourent fortement, soit ils n’ont pas eu l’occasion de s’y former et ils n’y recourent pas du tout. Pour reprendre un terme que l’on entend souvent dans le domaine médical, les entrées en HAD sont très fortement « personnalo-dépendantes », c’est-à-dire qu’elles dépendent du médecin hospitalier, de son réseau confraternel et de sa connaissance du système de soins. Elles sont davantage dictées par des liens de personne à personne que par la vision d’un mode de prise en charge mis à la disposition de tous les prescripteurs.

À cet égard, la mobilisation des ARS, souhaitée par les pouvoirs publics, n’a pas encore produit véritablement ses effets. Il y a de bons élèves tels que feu l’ARS de Languedoc-Roussillon qui vient de « convoler en justes noces » avec celle de Midi-Pyrénées. En Languedoc-Roussillon, l’effort se traduit dans les chiffres de mobilisation des établissements et des prescripteurs hospitaliers, ce qui n’est pas le cas général.

La faible mobilisation des médecins généralistes est encore plus nette, même si l’on note un léger frémissement : leurs prescriptions d’HAD représentaient 30,2 % du total en 2014, contre 29,6 % en 2012. La Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) a prévu de mobiliser ses délégués – les médecins qui vont à la rencontre de leurs confrères libéraux – en 2016, afin d’inciter à la prescription d’entrée en HAD pour des patients dont l’état de santé le justifierait. Nous verrons si cette initiative permet de relancer plus fortement cette prescription par les médecins libéraux, en particulier les médecins généralistes.

En la matière, les médecins généralistes font état de plusieurs difficultés. Tout d’abord, comme les médecins hospitaliers, ils n’ont pas été formés à l’HAD pendant leurs études, et ils ne sont pas informés de la disponibilité des structures. Leurs prescriptions dépendent donc de leur réseau confraternel. Ensuite, ils soulignent l’insuffisante réactivité des structures d’HAD. Un médecin généraliste, point d’entrée de l’HAD, cherche naturellement à faire prendre en charge son patient le plus vite possible, idéalement dans les vingt-quatre heures. Or les structures d’HAD, notamment quand elles sont de petite taille, ne peuvent pas prendre un patient dans des délais aussi rapides, sans compter les problèmes liés à l’environnement familial du malade et à la nécessité d’équiper le domicile de ce dernier. Les généralistes signalent aussi des difficultés techniques liées à certaines prises en charge très spécialisées, notamment en cancérologie. Le médecin traitant reste le responsable du traitement pendant la durée de l’HAD : en principe, il est le seul à pouvoir modifier le traitement, ce qui peut poser des problèmes de disponibilité ou d’expertise dans le cas de certaines prises en charge spécialisées.

Ce dernier point pose la question de l’articulation entre le médecin traitant et le médecin coordinateur de la structure de l’HAD, dont le rôle pourrait être élargi afin de favoriser le développement de ce mode de prise en charge. Réticent à l’idée d’un tel élargissement, le Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) souhaite préserver le rôle du médecin traitant. Il nous semble néanmoins qu’il convient de réfléchir à un assouplissement du cadre juridique, afin de tenir compte des besoins, de l’évolution des traitements des patients, notamment dans le cadre de prises en charge lourdes et complexes. Cet assouplissement se traduirait par une délégation accrue du médecin traitant au médecin coordinateur. Il nous semble qu’il faudrait regarder ce point de plus près avec le CNOM et avec les structures d’HAD.

La prescription est donc toujours peu développée, et c’est particulièrement le cas en ce qui concerne la prise en charge des personnes âgées. Il est symptomatique que les projets d’expérimentation sur les parcours des personnes âgées en risque de perte d’autonomie (PAERPA), prévus dans la loi de financement de la sécurité sociale de 2013, ne mentionnent pas du tout les structures d’HAD comme l’un des acteurs éventuels. Cette absence peut s’expliquer par des raisons institutionnelles – le projet PAERPA a été porté par la direction de la sécurité sociale alors que l’HAD est soutenue par la DGOS – ce qui ne veut pas dire qu’elle soit justifiée.

Une deuxième difficulté est liée la faiblesse des articulations entre les structures des HAD et les services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) car la situation de certaines personnes âgées justifie leur prise en charge par les deux types d’intervenants. Les dispositifs actuels ne permettent pas cette conjugaison, les financeurs – en particulier l’assurance maladie – redoutant un double financement pour des soins du même ordre. Certaines régions cherchent à surmonter la difficulté en favorisant la signature de conventions entre les fédérations d’HAD et de SSIAD, sous la houlette des ARS. Ces conventions permettent de faire des progrès au coup par coup, mais il serait nécessaire de mener une réflexion d’ensemble et de créer un cadre relationnel défini au niveau national entre les structures d’HAD et les SSIAD, de façon à mettre en place des coopérations renforcées, gages d’une meilleure qualité de prise en charge.

Enfin, il reste un problème d’information des familles qui, bien souvent, ne connaissent pas l’existence des structures d’HAD et ne peuvent donc pas suggérer ce type de prise en charge. Un amendement à la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie a prévu la mise en œuvre d’un droit, pour toute personne, à être informée par les professionnels de santé de la possibilité d’être prise en charge à domicile, dès lors que son état le permet. Il nous semble que c’est un levier tout à fait important pour diffuser l’information sur ce type de prise en charge qui reste difficilement accessible et de manière variable d’un département à l’autre.

De la même manière, les prises en charge en HAD dans les établissements médico-sociaux, notamment les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), restent limitées. Leur progression statistique est impressionnante mais elle part d’un niveau infinitésimal. En réalité, les prises en charges sont peu nombreuses. L’EHPAD est un substitut du domicile où, depuis 2007, les structures d’HAD peuvent intervenir. Cela répond aux souhaits de patients qui ne veulent pas faire des allers-retours, souvent très difficiles à vivre, entre leur EHPAD et l’hôpital.

Ce point fait l’objet d’une attention très vigilante des pouvoirs publics. Le comité de pilotage chargé du développement de l’HAD a mis en place un dispositif de suivi particulier qui vise notamment à mieux déterminer les indications qui peuvent donner lieu à ce type de prise en charge pour des personnes en EHPAD. Ce comité s’interroge aussi sur le maintien de la minoration des tarifs de l’HAD en EHPAD. Dans notre rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale de septembre 2013, nous avions noté que c’était assez dissuasif pour les structures d’HAD.

En résumé, nous avons constaté que les « lignes commençaient à bouger » mais que la progression de l’HAD restait faible. Cela s’explique par des raisons objectives – peu de temps s’est écoulé entre nos deux observations – mais cela tient aussi à l’existence d’obstacles et de préalables qui n’ont toujours pas été levés.

Premier des quatre obstacles que nous avons identifiés : l’efficience de l’HAD reste à étayer. Soyons clairs, une pléthore d’études permet de comparer, en France ou à l’étranger, une prise en charge en hospitalisation conventionnelle ou en HAD. La littérature scientifique internationale et les études effectuées en France par les pouvoirs publics montrent que l’HAD est, à qualité de prise en charge égale, moins onéreuse qu’une hospitalisation classique. La Haute autorité de santé (HAS) a fait une étude comparée des prises en charge en chimiothérapie. Elle montre que, dans la majorité des cas, l’HAD est moins chère que l’hospitalisation classique. Ce point est raisonnablement documenté, même s’il y aurait sans doute intérêt à développer encore ce type d’études.

En revanche, nous manquons de comparaisons entre l’HAD et la prise en charge par des professionnels libéraux de santé. Sur des soins très techniques et très lourds, la question ne se pose pas : les réseaux de professionnels libéraux ne disposent pas, même en conjuguant leurs compétences, du niveau de technicité nécessaire. Mais la question peut se poser pour certains types de prise en charge, comme nous l’avions souligné en 2013. Dans leur réponse au rapport de la Cour de 2013 sur la sécurité sociale, les pouvoirs publics ont bien souligné que l’HAD n’est véritablement une alternative que si son efficacité et son efficience sont démontrées par rapport à celles des professionnels libéraux de santé. Les études comparatives, qui devaient documenter ce point, n’ont été lancées ni par les pouvoirs publics ni par la CNAMTS. Cela reste une très grosse lacune. Dans les relations que nous avons eues avec les parties prenantes, en particulier la CNAMTS, on sent une forme de réticence vis-à-vis de l’HAD dès lors que ce point n’est pas éclairci. La CNAMTS est dans une situation paradoxale, à la fois « réluctante » et réticente, mais elle n’engage pas les études qu’elle pourrait effectuer.

Deuxième obstacle : l’insuffisance des référentiels d’activité. L’HAD doit être ciblée sur certains types de prise en charge, ce qui implique la détermination de critères précis. Les référentiels existants – le travail sur la chimiothérapie que j’ai évoqué tout à l’heure, ou la recommandation de bonnes pratiques publiée en 2011 par la HAS sur la périnatalité – ont été très efficaces. Certains travaux en cours à la HAS vont peut-être déboucher en 2016. De nouveaux référentiels devraient voir le jour dans le domaine de la cancérologie où l’HAD peut avoir un rôle important à jouer.

Ces référentiels sont importants pour mieux cibler l’HAD sur son cœur de métier, mais aussi pour développer de nouveaux types de prise en charge notamment en chirurgie orthopédique ou viscérale, ou bien à partir des services d’urgences hospitalières pour éviter certaines hospitalisations conventionnelles. Des expériences tout à fait intéressantes sont menées à l’hôpital de Lisieux où le patient peut passer directement du service des urgences à l’HAD, un « circuit court » qui suppose une très bonne entente entre médecins urgentistes et médecins traitants.

Troisième obstacle : la dispersion des structures et leur faible taille. Il existe environ 300 structures d’HAD – un nombre qui n’évolue guère – qui sont essentiellement portées par des établissements de santé privés d’intérêt collectif (ESPIC), que l’on appelait autrefois « Participant au service public hospitalier » (PSPH). Ces structures portées par des ESPIC représentent 62 % de l’activité d’HAD. Les établissements publics n’en représentent que 26 %, et les établissements de santé privés à but lucratif, c’est-à-dire les cliniques privées, 12 %.

L’HAD est donc une forme de spécialisation des établissements de santé privés à but non lucratif. Les établissements de santé publics l’ont très inégalement développée, mis à part l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) qui a été à l’origine de la création de ces dispositifs. Les établissements de santé privés sont peu présents sur ce secteur. On retrouve là des éléments de fragilité des structures de prise en charge en HAD : elles ne sont pas toujours adossées à un établissement hospitalier ; elles sont souvent de petite taille, indépendantes et peu actives.

Il faudrait sans doute réfléchir sur le juste dimensionnement des structures d’HAD. Cette question ancienne a été posée par les pouvoirs publics dès 2006. Elle se repose de manière beaucoup plus pressante depuis l’adoption de la loi HPST en juillet 2009, qui a conféré le caractère d’établissements de santé aux services d’HAD. Cette reconnaissance majeure impose aussi aux services des contraintes majeures : ils doivent respecter toutes les dispositions du code de la santé publique, qu’il s’agisse de la continuité des soins, du circuit des médicaments, du dossier médical informatisé. Les grandes structures y parviennent à peu près, qu’elles soient publiques ou privées ; les petites structures n’y arrivent pas. Cette situation a conduit l’assurance maladie à suspendre tout contrôle de la tarification à l’activité dans les petites structures, considérant sagement que ces dernières, en raison de leur taille, ne pourraient pas corriger les anomalies qui ne manqueraient pas d’être mises en lumière en cas de contrôle. L’assurance maladie a donc choisi de se centrer sur les grandes structures.

Nous avons aussi été frappés par le problème de la continuité des soins, qui n’est pas seulement d’ordre réglementaire mais qui interroge aussi la sécurité des prises en charge. Dans certaines structures, la continuité des soins est tout à fait satisfaisante dans la journée mais elle n’est pas assurée pendant la nuit. Dès lors que l’HAD doit prendre en charge des soins très techniques, très complexes, il est véritablement problématique d’avoir à se reposer sur le Centre 15 et sur les dispositifs de permanence des soins. En réalité, des difficultés pourraient apparaître du fait de l’absence du personnel nécessaire à ces prises en charge.

Quatrième obstacle : la tarification est hors d’âge ; elle n’est pas médicalisée et elle repose sur des études de coût qui remontent aux années 1990. Cette tarification conduit sans doute à entretenir des rentes de situation dans certains cas, mais elle contribue beaucoup plus souvent à fragiliser les structures d’HAD. Les pouvoirs publics ont lancé une dynamique de réforme de la tarification mais ils se heurtent à des difficultés, notamment en matière de recueil des données concernant les coûts dans les structures d’HAD. Celles-ci ont du mal à fournir des éléments suffisamment détaillés, homogènes et fiables. Résultat : cette réforme de la tarification est l’Arlésienne ; plus on avance, plus elle se décale. Elle est maintenant prévue pour 2019 ou 2020, ce qui nous semble un horizon très lointain. Il faut peut-être changer de méthode, et passer d’une étude nationale des coûts à partir des informations transmises par les structures d’HAD à une tarification, au moins temporairement, à dire d’expert pour certains types de prises en charge. En effet, les ajustements intervenus au cours des dernières années ne lèvent pas les difficultés qui peuvent remettre en cause la pérennité de certaines structures.

Telles sont nos conclusions. Vous nous avez fait réintervenir sur un sujet qui, vous le voyez, nous a tout à fait passionnés. Finalement, vous nous avez conduits à considérer que les pouvoirs publics avaient pris conscience à la fois de l’intérêt de ce mode de prise en charge et des freins à lever pour qu’il se développe. À notre avis, le potentiel de développement de l’HAD reste considérable : dans certains pays, elle atteint jusqu’à 3 %, voire 5 % de l’activité hospitalière et, même si les structures de soins ne sont pas les mêmes en France, il est sans doute possible d’y dépasser sensiblement l’objectif de 1,2 % des séjours hospitaliers fixé par des pouvoirs publics pour 2018.

M. le coprésident Pierre Morange. Cet exposé très synthétique m’inspire quelques réflexions. Si les objectifs sont atteints, l’HAD passerait ainsi de 0,6 % à 1,2 % de l’activité hospitalière entre 2011 et 2018. Entre 2011 et 2014, le nombre de patients concernés est passé de 98 000 à 106 000, et l’enveloppe budgétaire de 771 millions d’euros à 943 millions d’euros. La progression du budget est donc plus rapide que celle du nombre de personnes prises en charge. Est-ce que cela correspond à la modification des types des prises en charge que vous avez signalée, avec notamment la baisse de la périnatalité et l’augmentation de l’oncologie et des pansements complexes ? Est-ce dû à l’évolution d’autres paramètres tels que les coûts de gestion au sein de l’HAD ? De mémoire, vous évoquez un prix médian de 200 euros dans votre rapport. La structuration du coût de la prise en charge de l’HAD a-t-elle été analysée de manière plus fine ?

Les comparaisons entre les structures d’HAD et les SSIAD sont difficiles à faire, compte tenu des différences de technicité des prises en charge. Les comparaisons internationales sont aussi à prendre avec quelques précautions compte tenu des différences de systèmes de santé, mais on remarque que le pourcentage de l’HAD dans l’activité hospitalière représente jusqu’à 4 % ou 5 % en Australie ou en Espagne, c’est-à-dire des taux bien supérieurs à l’objectif français. Est-ce qu’il existe des données sur les économies potentielles réalisées par nos amis étrangers grâce à la montée en puissance de ce type de prise en charge ? Nous restons un peu sur notre faim en raison de l’insuffisance, que vous soulignez, des études microéconomiques.

Le dernier point, lié à la question de l’open data en matière de santé, fera l’objet d’une prochaine mission de la MECSS. Est-il possible d’exploiter de manière rationnelle la masse d’informations détenues par l’assurance maladie, afin de faciliter le développement de l’HAD ? Ce n’est pas forcément le sentiment que l’on peut avoir. L’accès à ces données est prévu par un article de la loi de modernisation de notre système de santé, que nous venons d’adopter. Nous avons donc quelques espoirs.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret. Existe-t-il une analyse sociologique des personnes qui bénéficient d’une HAD ? Ce type de prise en charge est lourd car il nécessite de la présence, de la surveillance et des soins. Quelles familles peuvent l’assumer ?

Pourquoi les établissements publics sont-ils si frileux ? Pourquoi ne mettent-ils pas en place l’HAD, particulièrement en milieu rural, alors qu’il existe des hôpitaux de proximité ? Étant une élue de l’ancienne région Midi-Pyrénées, j’espère que le rapprochement avec le Languedoc-Roussillon nous incitera à être moins frileux. Les problèmes de permanence des soins, que nous rencontrons en milieu rural, peuvent aussi expliquer les difficultés de mise en œuvre de l’HAD.

Mme Joëlle Huillier, rapporteure. Même si vous avez déjà devancé beaucoup de mes questions, il m’en reste quelques-unes.

Pour moi, l’HAD doit répondre à deux objectifs : soigner une personne à son domicile dans de bonnes conditions, c’est-à-dire selon ses souhaits quand elle considère que ce mode de prise en charge est plus confortable pour elle ; permettre de réaliser des économies, si l’HAD coûte moins cher que l’hospitalisation traditionnelle. Sur ce dernier point, j’ai de vrais doutes. Si le prix médian est de 200 euros, ce n’est pas forcément plus cher à l’hôpital, d’autant que, dans le cadre des budgets des établissements, des lits vides coûtent quasiment aussi cher que des lits pleins. Tant que l’HAD ne se sera pas développée de façon très forte, c’est-à-dire bien au-delà du taux de 1,2 % programmé, elle ne permettra pas de faire baisser les dépenses d’assurance maladie en matière hospitalière. C’est un avis personnel, mais j’ai suffisamment vu de budgets d’hôpitaux pour voir la réalité : le personnel, les murs et les équipements techniques sont là et il faut les payer, quel que soit le nombre de patients hospitalisés.

Venons-en à la problématique de l’orientation des patients vers l’HAD ou vers les services prestataires de soins à domicile. Une vraie concurrence s’exerce entre les deux systèmes. En travaillant sur le sujet, j’ai été parfois étonnée de voir que certains patients étaient pris en charge en HAD alors que leur pathologie ne nécessitait pas d’actes réellement techniques. Quant aux services prestataires de soins à domicile, ils pensent souvent qu’ils pourraient faire beaucoup plus que ce qu’on leur demande de faire. Cette espèce de concurrence me paraît extrêmement préjudiciable au développement de l’HAD.

Comme vous l’avez dit, nous avons aussi un véritable problème d’information et de formation des médecins. Nous aurions peut-être intérêt à revoir leur formation. Quoi qu’il en soit, nous aurons toujours des difficultés en zone rurale où l’HAD coûte excessivement cher en déplacements et en temps de travail. Cela me paraît un peu délicat.

Enfin, les ARS ont-elles été vraiment motivées pour essayer de développer ce mode de prise en charge ? Quel intérêt y ont-elles ?

M. Antoine Durrleman. S’agissant des patients concernés par l’HAD, on peut dire qu’ils nécessitent en moyenne des prises en charge de plus en plus lourdes : l’indice de fragilité a très fortement progressé en 2013 et 2014. D’une part, ce sont des patients de plus en plus âgés ; d’autre part, les pathologies sont lourdes. Nous pouvons véritablement documenter ce phénomène et nous avons donné quelques chiffres dans le rapport.

La sociologie familiale est une dimension très intéressante, car l’entourage est très sollicité. Esmeralda Luciolli pourra peut-être nous indiquer si des études sont disponibles sur ce point.

Mme Esmeralda Luciolli, rapporteure extérieure de la Cour des comptes. Il n’y a pas d’études sociologiques fines sur le sujet. En revanche, l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH) a regardé les pourcentages de bénéficiaires de la couverture maladie universelle (CMU) et de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C), sachant que ces caractéristiques ne sont pas toujours très bien renseignées, y compris en milieu hospitalier, et que l’information est donc assez fruste. En fait, les pourcentages de bénéficiaires sont à peu près les mêmes en HAD et en hospitalisation conventionnelle. Il serait intéressant d’aller un peu plus loin, même si le critère se discute : certaines personnes très isolées n’ont pas de problèmes économiques alors que l’entourage peut être solide dans des familles relativement précaires.

M. Antoine Durrleman. Quant à l’alourdissement relatif des coûts, on peut penser intuitivement qu’il correspond à la complexité accrue des prises en charge. Cela étant, nous n’avons pas les moyens de documenter finement cet aspect, pas plus que les coûts de gestion. La Cour des comptes n’a pas de compétence sur les établissements hospitaliers et elle doit passer par les chambres régionales des comptes. Dans le cadre d’un travail sur le maintien à domicile des personnes âgées, les juridictions financières ont été amenées à regarder quelques structures d’HAD et ces contrôles n’ont pas fait apparaître des coûts de gestion de nature à faire froncer le sourcil des magistrats. S’agissant des structures privées, la loi de modernisation de notre système de santé donnera aux chambres régionales des comptes la possibilité d’aller regarder de plus près la gestion de ces institutions, mais uniquement à partir des comptes de 2016.

Intuitivement, nous pouvons penser que la dispersion des structures est un facteur de coût – et pas seulement une source de fragilité – même si on ne peut pas l’évaluer : il y a des redondances. La question qui se pose est celle de la fusion des structures et non pas celle de leur disparition. Un mouvement se dessine puisque quelques fusions ont eu lieu entre 2012 et 2014.

Pourquoi les établissements publics de santé sont-ils très en arrière de la main par rapport aux ESPIC ? Je pense que le phénomène est lié à des partis pris différents. Les établissements publics de santé sont restés très attachés à l’hospitalisation classique, qui est le cœur de leur métier et de leur savoir-faire. Quelques grandes maisons, dont on a pu dire à un moment donné qu’elles étaient un État dans l’État, ont pu avoir les coudées franches pour créer leur système. Les grands centres hospitaliers universitaires (CHU), l’AP-HP en particulier, ont pu le faire assez précocement. Ensuite, c’est devenu beaucoup plus compliqué parce que, pendant longtemps, il y a eu une sorte de taux de change : pour créer une place d’HAD, il fallait rendre deux places d’hospitalisation classique. Cette règle dissuasive a constitué un frein assez considérable au développement de l’HAD par les établissements publics de santé. Plus ductiles, les ESPIC ont souvent développé des activités de niche – dans les domaines de l’insuffisance rénale ou de l’HAD, par exemple – même si certains d’entre eux œuvrent aussi dans des secteurs de pointes comme la chirurgie cardiaque.

L’HAD ne peut pas être une réponse à tout, c’est la raison pour laquelle nous réinsistons sur les référentiels d’activité qui doivent permettre de déterminer ce qui relève ou non de ce mode de prise en charge. C’est ainsi que la recommandation de bonnes pratiques a permis de sortir de l’HAD les prises en charge en post-partum qui n’avaient pas lieu d’y être et dont les coûts étaient manifestement très excessifs. Ces référentiels conforteront l’HAD par rapport à des revendications ou des concurrences possibles, venant notamment des SSIAD ou des prestataires de services.

Du point de vue de l’efficience du système de soins, il vaut sans doute mieux privilégier le SSIAD pour certaines prises en charge, à qualité de soins égale. Et comme nous l’avions documenté dans le rapport de 2013 sur les lois de financement de la sécurité sociale, les prestataires de services revendiquaient le rôle de coordonnateurs des prises en charge, encouragés par l’absence d’études de coût et de référentiels d’activité. Ces sujets centraux
– études comparatives, référentiels d’activité et modernisation de la tarification – doivent être traités pour que se crée un enchaînement vertueux. Si l’on veut que le système d’HAD se développe selon une dynamique auto-entretenue, il faut accentuer l’effort sur ces points.

Quant aux ARS, elles ont réagi de manière inégale : certaines ont complètement joué le jeu alors que d’autres sont restées totalement passives. À leur décharge, il faut souligner qu’on leur a demandé de définir des plans régionaux de santé en 2011-2012, et que les délais d’exécution de ces plans ont été fixés dans une circulaire de décembre 2013. Les deux mouvements n’ont pas été synchrones, puis la montée au premier plan de l’HAD a provoqué un effet de choc latéral. Certaines ARS ont eu de la peine à conjuguer les calendriers même si d’autres ont été très réactives.

M. le coprésident Pierre Morange. Vous avez évoqué la signature de conventions sous l’égide de l’ARS. Pourriez-vous nous apporter quelques précisions sur le contenu de ces conventions ?

M. Antoine Durrleman. Certaines ARS ont utilisé les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) qui les lient aux établissements hospitaliers pour rappeler l’existence de l’HAD et inciter à la prescription en incluant systématiquement des objectifs en la matière. D’autres n’ont absolument rien fait. Dans un souci d’harmonisation et d’articulation des interventions, certaines ARS ont favorisé la signature de conventions entre les fédérations régionales de l’HAD et des SSIAD. Nous avons constaté que, dans la moitié des cas, ces conventions étaient restées des tigres de papier : elles n’avaient pas du tout été appliquées. Si elle est une bonne chose, la convention a aussi ses limites.

Mme Bernadette Laclais. Je vous remercie d’avoir fait état des amendements parlementaires concernant l’HAD : vous avez ici des personnes qui les ont portés parce que les textes n’y faisaient pas référence. L’HAD ne figurait pas dans la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. C’est par voie d’amendements parlementaires qu’elle est désormais citée deux fois dans la loi : d’une part, il est prévu que le malade soit informé de l’existence de l’HAD ; d’autre part, et cela me semble très important de le redire, à la demande du patient, la sédation profonde et continue peut être mise en œuvre à son domicile. C’est un droit. En ce qui concerne la loi de modernisation de notre système de santé, la mention de l’HAD a été complétée dans différents articles.

En fait, je ne suis pas sûre que tout le monde croie à l’HAD. C’est le fond du problème. Personnellement, j’y crois beaucoup et je trouve qu’il serait intéressant de disposer de données sur l’impact psychologique de ce mode de prise en charge sur l’état des patients. Quel rôle l’HAD peut-elle jouer dans la rémission ou la guérison de pathologies ? Ce genre d’étude ne relève pas de vos compétences, je le sais, et je me demande d’ailleurs qui pourrait s’en charger.

Fermons la parenthèse et venons-en aux comparaisons de coûts entre l’hospitalisation classique et l’HAD. Pour beaucoup de patients, notamment de personnes âgées, au prix de l’hospitalisation en structure il faut ajouter des frais de déplacement, en ambulance ou transports sanitaires, qui sont extrêmement élevés. Pour que la comparaison soit juste, il faut prendre en compte la totalité du séjour, de domicile à domicile, si j’ose dire. En outre, dans l’esprit de certains responsables de structures, n’y a-t-il pas concurrence entre une tarification à l’activité en structure et une HAD ? Comme le disait très bien la rapporteure, il vaut mieux avoir des lits remplis que des lits vides.

Quitte à passer pour une monomaniaque, je vais aussi vous faire quelques observations sur les zones de montagne, ne m’en veuillez pas. L’HAD est quasiment impossible à certaines périodes de l’année dans certains territoires, lorsque les temps de transports deviennent complètement rédhibitoires. Dans l’annexe 3 de votre rapport, on voit le nombre de patient pris en charge par jour et pour 100 000 habitants, dans la France entière et par région, évoluer de 2011 à 2014. Il serait intéressant d’avoir ces données de manière infra-départementale et même infra-territoriale car je pense que de fortes disparités apparaîtraient. Je n’ai pas de solution à proposer, mais je pense que cela peut expliquer certaines différences de recours à l’HAD. Dans l’ancienne région Rhône-Alpes, structurée en huit pôles urbains – dont l’agglomération lyonnaise – et des territoires de montagne, les disparités sont certainement très importantes.

S’agissant des ARS, il serait intéressant de voir si le fonds d’intervention régional (FIR) a permis des expérimentations intéressantes qui auraient permis des avancées significatives en matière d’HAD. Est-ce à de telles expérimentations que vous faites référence dans vos recommandations ou est-ce aux conventions encouragées par les ARS ? Quoi qu’il en soit, nous pourrions suggérer des expérimentations dans le domaine. En discutant avec les malades, on se rend compte que ceux qui bénéficient d’une HAD sont souvent des personnes issues du milieu médical, qui connaissent bien ce mode de prise en charge et qui ont insisté auprès de leur médecin pour l’obtenir. Il ne s’agit pas seulement de gens dont l’environnement familial se prête à l’HAD. En tant que parlementaires, nous devons veiller à l’égalité d’accès aux soins.

Vous l’avez compris, je fais partie de ceux qui pensent que l’HAD va se développer dans les années à venir, d’autant que le virage ambulatoire est très clairement réaffirmé dans la loi de modernisation de notre système de santé. Nous devons veiller à ce qu’il n’y ait pas un développement à deux vitesses, que ce soit dans les territoires ou dans les structures.

Mme la rapporteure. Vous avez fait quelques comparaisons internationales. À votre avis, quel pays, doté d’un système de santé comparable au nôtre, a bien développé l’HAD ?

Faut-il envisager de déléguer davantage de tâches aux infirmiers dans ces services d’HAD ?

Les structures ne devraient-elles pas être généralement rattachées à un établissement public de santé ou un ESPIC ? Ne serait-ce pas une garantie de fiabilité et de pérennité de ces établissements ?

M. le coprésident Pierre Morange. L’HAD joue en quelque sorte un rôle de moyeu entre les établissements de soins et le secteur ambulatoire dont la loi de santé vient de renforcer l’importance, comme le rappelait notre collègue Bernadette Laclais. Pour faire un bilan financier correct et des comparaisons pertinentes, il faut avoir cette vue globale du parcours de soins.

Ma deuxième remarque m’est inspirée par deux propos qu’il est intéressant de rapprocher. Vous nous avez rappelé, monsieur Durrleman, l’existence de cette règle longtemps imposée aux établissements publics de santé : rendre deux places d’hospitalisation classique pour chaque place d’HAD créée. Quant à notre rapporteure, elle a insisté sur le fait que, de toute façon, le personnel, les bâtiments et les équipements techniques des hôpitaux étaient là et qu’il fallait les payer. Nous devons donc nous inscrire dans une logique de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), afin de réorganiser l’offre de soins.

En troisième lieu, je voudrais revenir sur les particularités territoriales, notamment celles des zones de montagne évoquées par Bernadette Laclais. Son intervention montre bien que ce sujet ne peut être envisagé de façon systémique mais qu’il doit être décliné en fonction d’un certain nombre de critères. La définition de ces critères nous renvoie aux débats que nous avions eus sur les transports sanitaires. La MECSS avait adopté à l’unanimité les préconisations formulées en la matière. Hélas, nos idées n’avaient pas eu le bonheur de prospérer au sein de la commission des affaires sociales et dans l’hémicycle. La pédagogie étant l’art de la répétition, nous y reviendrons et la MECSS finira par triompher grâce au bon sens de ses préconisations.

Dans ce duel – qui se déroule dans le cadre du débat démocratique – nous insistons de façon peut-être un peu obsessionnelle sur l’insuffisance des études, que vous déplorez vous-mêmes. Mais des comparaisons entre les différentes prises en charge, pour des pathologies à peu près standardisées, doivent bien exister quelque part, si ce n’est en France au moins à l’étranger. Il devrait être possible de dégager des données sur l’HAD : amélioration de la qualité de service au travers d’une prise en charge plus agréable au sein de la famille ; répercussions sur l’état psychologique du patient, économies potentiellement réalisées. Pour que la part de l’HAD dans l’activité hospitalière représente jusqu’à 4 %, 5 % voire 6 % dans certains pays, il doit bien y avoir eu une évaluation de ces économies réalisées qui peuvent être réutilisées dans d’autres secteurs, au bénéfice de la population.

M. Antoine Durrleman. Le développement de l’HAD suscite effectivement des réticences que, comme vous l’avez senti, la Cour des comptes ne partage pas. Nous avons parlé d’une transgression réussie parce que nos systèmes se sont construits de manière clivée. L’HAD n’est pas indiquée pour toutes les pathologies et en tous lieux car elle a ses propres contraintes. Néanmoins, nous avons la conviction que c’est un chaînon nécessaire, un mode de prise en charge très original pour certains patients souffrant de certaines pathologies, à condition que leur environnement matériel et familial s’y prête. Nous avons pris le soin de décrire le mode d’intervention des structures en HAD afin de bien montrer qu’il y a, pour reprendre le langage des militaires, des précurseurs. Avant d’accepter une prescription en HAD, des émissaires sont envoyés au domicile du patient pour s’assurer que les prérequis sont remplis. Si c’est le cas, l’HAD s’organise.

Les réticences sont liées à des rémanences culturelles mais aussi au manque de documentation. L’HAD a besoin de convaincre les prescripteurs et les financeurs. Les pouvoirs publics ont supprimé le « taux de change » en 2003, puis ils ont mis en place le dispositif de pilotage qui faisait défaut. Mais les réticences demeureront tant que les freins – manque de référentiels sur les indications autorisées et d’études démontrant l’efficience de ce mode de prise en charge – ne seront pas débloqués. Le dispositif se développera sous pression externe, celle des pouvoirs publics, mais il faudra qu’il soit aussi porté par les acteurs du système de santé. Ce pivotement n’est pas évident parce que, madame la rapporteure a raison, nous sommes dans une logique de substitution. Comme les pouvoirs publics l’ont rappelé en décembre 2013, l’HAD doit se substituer à l’hospitalisation conventionnelle ; il s’agit donc d’en tirer les conséquences sur l’hôpital classique. C’est la même chose en ce qui concerne, par exemple, la chirurgie ambulatoire. L’hôpital doit évoluer, ce qui lui permettra d’avoir des moyens pour d’autres types de prises en charge, notamment en cancérologie.

La question de l’adossement systématique est compliquée. Nous constatons que toutes les structures publiques sont adossées à un établissement public de santé, et que les deux tiers des services d’HAD à but lucratif sont rattachés à des cliniques privées. Les services d’HAD indépendants sont gérés par des mutuelles, des fondations ou des associations. Ce paysage des ESPIC est surtout constitué de structures de petite taille, qui peuvent être fragiles, même si on y trouve aussi de très grands ensembles tels que la fondation Santé Service. Dans le rapport de 2014 sur les lois de financement de la sécurité sociale, nous avons eu l’occasion d’étudier un peu ces ESPIC qui ne viennent pas de nulle part : ils ont une histoire et un ancrage local, souvent philosophique. Cet héritage fait que, même quand elles paraissent aller de soi, les fusions nécessaires sont compliquées à conduire. La loi HPST de 2009 pose la question de l’adossement de manière plus pressante qu’auparavant parce que les contraintes sont devenues beaucoup plus rudes.

S’agissant des comparaisons internationales – je parle sous le contrôle d’Esmeralda Luciolli – nous sommes allés au bout de notre savoir parce que nous n’avons pas fait de mission à l’étranger. Vous savez qu’il nous arrive de franchir les frontières pour la MECSS.

M. le coprésident Pierre Morange. C’est très rare !

M. Antoine Durrleman. Le modèle australien nous aurait beaucoup intéressés. Mais étant donné la situation actuelle des finances publiques, nous ne sommes pas allés dans l’État de Victoria ni dans aucun autre.

Mme Esmeralda Luciolli. Des modes de prise en charge équivalents à l’HAD existent dans plusieurs pays mais les comparaisons sont difficiles car les organisations diffèrent. Dans certains cas, le modèle repose sur des personnels hospitaliers qui interviennent en dehors de l’établissement. C’est ainsi qu’à Barcelone, notamment en gériatrie, des infirmiers attachés au service des urgences se rendent au domicile du patient pour installer la prise en charge et le matériel. Aux États-Unis, le régime des vétérans fonctionne aussi avec du personnel qui se rend au domicile du patient pour démarrer l’HAD, et il existe une certaine souplesse qui permet de réquisitionner assez rapidement des effectifs supplémentaires. En France, quelques expériences ont été menées, hors cadre de l’HAD, avec des équipes mobiles issues de services hospitaliers de gériatrie de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Mais le modèle n’est pas transposable dans le domaine de l’HAD, compte tenu d’un contexte réglementaire assez rigide.

Dans notre enquête de 2013, nous avons réalisé une revue assez poussée de la littérature publiée sur le sujet. Nous y distinguons deux types de prise en charge : l’une pour les pathologies aiguës, l’autre pour les maladies chroniques. Dans le premier cas, le retour à domicile suit un protocole standardisé, et la prise en charge, très technique mais de relativement courte durée, émane souvent de structures hospitalières. Le second cas se rapproche de nos prises en charge de soins palliatifs à domicile. Pour ce type de prise en charge, les modèles anglo-saxons reposent davantage sur le tissu de santé « primaire » ou « communautaire ». Les intervenants ont l’habitude d’intervenir au domicile des patients. Leur technicité est moindre que dans le premier cas de figure, mais il faut noter que les infirmiers ont des missions plus étendues et une autonomie plus grande que leurs homologues français ; ils ont, par exemple, la possibilité d’ajuster certaines prescriptions.

M. le coprésident Pierre Morange. Sans vouloir insister lourdement sur ces modèles étrangers, il serait intéressant d’avoir un bilan financier comparatif entre les modes d’intervention que vous venez de décrire et l’hospitalisation classique. N’y a-t-il aucune publication sur le sujet ? Comparaison n’est pas raison et nous n’avons pas de modèle similaire en France, mais il ne nous est pas interdit de nous inspirer un jour de ces expériences étrangères.

Mme Esmeralda Luciolli. Il y a quelques publications. Aux États-Unis, il en existe sur le système des vétérans, qui est très particulier et fonctionne en vase clos. À l’époque de la première enquête, nous avions utilisé une étude de Baltimore qui portait sur les différences de coûts de prise en charge, de complications, de mortalité, de réhospitalisation, pour des patients comparables. Nous pouvons retrouver ces données.

M. le coprésident Pierre Morange. Elles pourraient intéresser notre rapporteure. Il me reste à vous remercier de nous avoir, comme toujours, apporté une masse d’informations. Votre contribution éclairera notre réflexion et nous aidera à élaborer les recommandations que nous ferons selon notre grille de lecture habituelle : le rapport coût/efficacité. Et ces recommandations se traduiront peut-être en amendements.

La séance est levée à dix-huit heures cinq.

Information relative à la Mission

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a désigné Mme Joëlle Huillier, rapporteure sur « l’hospitalisation à domicile ».