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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Mercredi 10 février 2016

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 06

Présidence de Mme Gisèle Biémouret et de M. Pierre Morange, coprésidents

Auditions, ouvertes à la presse, sur l’hospitalisation à domicile (Mme Joëlle Huillier, rapporteure) :

– Mme Élisabeth Hubert, présidente de la Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile (FNEHAD), accompagné de M. Éric Ginesy, délégué national

– M. Jean-Paul Segade, inspecteur général des affaires sociales, conseiller général des établissements de santé, ancien directeur de l’Assistance Publique–hôpitaux de Marseille (AP-HM), et M. Didier Zanini, praticien hospitalier à l’AP-HM

– Mme Claudine Bergoignan-Esper, présidente de la Fondation Santé Service, et M. Michel Calmon, directeur général

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Mercredi 10 février 2016

La séance est ouverte à seize heures vingt.

(Présidence de Mme Gisèle Biémouret et de M. Pierre Morange, coprésidents de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède d’abord à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Élisabeth Hubert, présidente de la Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile (FNEHAD), accompagné de M. Éric Ginesy, délégué national.

M. le président Pierre Morange. Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui le docteur Élisabeth Hubert, présidente de la Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile (FNEHAD), et M. Éric Ginesy, délégué national.

Mme Joëlle Huillier, rapporteure. L’hospitalisation à domicile (HAD) est un mode de prise en charge d’avenir, qu’il convient de développer.

Cependant, il existe des freins en la matière. Les derniers chiffres que nous avons sur l’HAD indiquent qu’elle représente moins de 1 % des journées d’hospitalisation.

Pourtant, et bien que l’hospitalisation à domicile coûte moins cher qu’une hospitalisation classique, les dépenses sont supérieures en proportion à l’activité qu’elle représente : 1,7 % en médecine, chirurgie, obstétrique (MCO), 1,3 % de l’ensemble des dépenses sanitaires. Le développement de cette formule ne permettrait-il pas de réduire ce déséquilibre ?

Aujourd’hui, malgré les incitations mises en place, l’hospitalisation à domicile ne se développe pas aussi vite que nous le souhaiterions. J’aimerais avoir votre sentiment sur les obstacles qu’elle rencontre, tels que le système de tarification ou la mauvaise information des médecins traitants ou des établissements.

Mme Élisabeth Hubert, présidente de la Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile (FNEHAD). J’irai dans le sens du rapport de la Cour des comptes, sur la nécessité de développer l’hospitalisation à domicile comme sur l’identification des facteurs qui freinent ce développement et sur les défauts que peuvent avoir les établissements d’HAD et les manières d’y remédier.

D’abord, on constate une évolution sociétale : de plus en plus de patients souhaitent être soignés le plus près possible de leur domicile, voire à leur domicile lorsque c’est techniquement possible. Les avancées inscrites dans les différents textes législatifs adoptés en 2015 vont dans ce sens. C’est un premier élément, qu’il convient de souligner.

Ensuite, notre souci est d’améliorer l’égalité territoriale devant les soins. On sait les incidences que peuvent avoir les problèmes de démographie médicale. Nous inscrivons le développement de l’hospitalisation à domicile dans un contexte territorial afin qu’elle soit présente en tous lieux, fussent-ils les plus isolés et les plus compliqués à desservir.

J’en viens au contexte professionnel. L’hospitalisation à domicile est un élément qui, du fait de son mode de fonctionnement, connaît peu, dans les faits, la transversalité qui devrait pourtant lui être consubstantielle. Nous avons en effet été amenés à « tunnéliser » les interventions des acteurs de santé, alors même que le succès de l’hospitalisation à domicile repose sur la bonne coordination des différents professionnels.

Enfin, il y a quelques incidences financières, mais nous y reviendrons.

Trois types d’obstacles existent.

Le premier est culturel. La France, depuis des années, a placé l’hôpital au cœur de son dispositif de santé. Si la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016 va dans un sens quelque peu différent, puisqu’elle vise notamment à développer les soins ambulatoires, l’hospitalo-centrisme est encore très profondément ancré dans notre système de délivrance de soins et, pis encore, dans les esprits et dans la formation. Pour avoir commis il y a quelques années un rapport sur la médecine de proximité, j’ai écouté avec intérêt, il y a quelques jours, les déclarations du secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche sur l’internat de médecine générale, prônant l’accroissement des investissements dans l’ambulatoire et la mise sur pied de formations plus transversales. Il faut en effet rappeler que la seule référence des étudiants en médecine, aujourd’hui, c’est un système hospitalier avec hébergement, ce qui n’est pas sans incidence sur le regard qu’ils portent sur l’ambulatoire.

Le deuxième obstacle est d’ordre réglementaire, et je prendrai quelques exemples permettant d’envisager des pistes, qui figurent d’ailleurs dans le rapport de la Cour des comptes.

On se plaint que l’HAD ne soit pas suffisamment développée dans les établissements médico-sociaux. On peut comprendre, étant donné la complexité des documents à remplir et des règles à respecter de part et d’autre, que les acteurs soient peu enthousiasmés par cette perspective. Il convient donc d’alléger le contexte réglementaire et administratif.

Si la restriction des indications d’admission des patients résidant dans des établissements médico-sociaux avait une raison d’être en 2007, lorsque les premiers textes sur l’HAD et les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ont été adoptés, elle n’a plus lieu d’être aujourd’hui.

De même, les textes qui ont fixé, il y a vingt ans, le cadre de compétence du médecin coordonnateur ne sont plus adaptés à la situation actuelle.

Nous avons beaucoup de mal à faire évoluer ce cadre réglementaire, qui constitue un frein à l’hospitalisation à domicile.

Le troisième obstacle est d’ordre tarifaire.

On s’étonne parfois que nous ne puissions pas accueillir des patients qui souffrent de graves problèmes neurologiques. Je pense aux cas de sclérose latérale amyotrophique (SLA) ou de sclérose en plaques, à la maladie de Parkinson, à des patients sous nutrition artificielle ou sous oxygénothérapie, voire sous ventilation artificielle, que les règles de tarification nous empêchent de prendre en charge dans la durée. Ces patients, en effet, consomment des médicaments coûteux – un patient sous antibiothérapie pendant deux mois revient à 250 euros par jour –, qui ne figurent plus dans la « liste en sus » et qui, par conséquent, ne nous sont pas payés en plus.

Tels sont les freins au développement de l’hospitalisation à domicile. Ils ne tiennent ni au statut, ni à la taille, ni à l’ancienneté des établissements d’HAD, ni au fait qu’ils soient implantés en ville ou en zone rurale, mais à un mode d’organisation conçu à une époque où l’exigence de professionnalisme n’était pas la même qu’aujourd’hui. Je pense notamment à la continuité médicale, c’est-à-dire à la capacité de garantir une réponse médicale vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui de tous les établissements, et ce indépendamment de leur statut, de leur taille ou de leur lieu d’implantation.

Je voudrais, au passage, corriger une donnée financière qui figure dans le rapport de la Cour des comptes et qui donne le sentiment que l’augmentation de notre activité et de notre part dans les dépenses d’hospitalisation ne sont pas en corrélation avec nos coûts.

Les exemples cités prennent pour référence les années 2011 et 2014. Pendant cette période, notre activité a augmenté de 21 %, passant de 3,7 à 4,5 millions de journées d’hospitalisation. Le rapport de la Cour des comptes chiffre le coût à 771 millions d’euros en 2011, à 943 millions d’euros en 2014. Mais le périmètre n’est pas le même dans les deux cas, car les 943 millions incluent les médicaments payés dans le cadre de la liste en sus. Hors liste en sus, le coût pour l’assurance maladie n’a augmenté que de 16,5 %, soit moins que le volume d’activité. Si l’on rapporte la masse financière que je viens d’évoquer au nombre de journées, le coût moyen a même légèrement diminué, passant de 197,60 euros en 2011 à 196,80 euros en 2014, et ce malgré la sortie récente de notre périmètre d’activité du post-partum physiologique, qui était un mode de prise en charge relativement peu rémunéré.

Comment agir par rapport à ces problématiques ?

Notre dix-neuvième Journée nationale de l’hospitalisation à domicile, qui s’est tenue début décembre 2015, portait sur l’accompagnement des aidants. Nous nous sommes beaucoup occupés des malades dans le cadre de l’hospitalisation à domicile, mais peut-être pas assez des aidants. Nous devrions y veiller, car c’est sans doute là que résident en grande partie les causes de refus d’hospitalisation à domicile.

Dans les établissements d’HAD, et dans le monde de la santé en général, on se heurte à une grande difficulté : il faut expliquer, encore expliquer, toujours expliquer. Les internes, par exemple, changent deux fois par an. Si vous leur avez expliqué les choses en mai, vous devez le refaire en novembre. Nous n’insisterons donc jamais assez sur la nécessité de la communication.

En ce qui concerne l’accès à l’HAD, nous pouvons nous féliciter de ce qu’elle est possible, au moins du point de vue institutionnel, sur l’ensemble du territoire. Elle est toutefois plus compliquée à organiser à certains endroits, par exemple à la montagne ou dans certains quartiers urbains difficiles. La tarification à l’activité est moindre pour ces territoires, alors qu’elle est un peu plus rémunératrice à Paris, en Corse ou dans les départements d’outre-mer (DOM). Il est plus difficile de faire de l’HAD quand on se heurte à des congères que lorsqu’on se déplace dans un département comme le mien, la Loire-Atlantique, où la neige ne fait pas partie du quotidien. Cela a une incidence sur le taux de recours dans des territoires isolés, qu’il faut donc aider.

Si la Cour des comptes a raison de pointer la lenteur avec laquelle, malgré la circulaire de décembre 2013, ces obstacles sont levés, mais il est injuste d’en faire le reproche aux acteurs de terrain.

Les agences régionales de santé (ARS) ont été, c’est vrai, un peu lentes à réagir, même si les choses progressent. Certaines ont décidé de suivre les indicateurs de recours à l’hospitalisation à domicile, tandis que d’autres se sont montrées plus laxistes. Il faut qu’il y ait un engagement général, qui se fera sans doute au niveau de la conférence des directeurs d’ARS.

Nous travaillons aujourd’hui avec la conférence des directeurs généraux de centre hospitalier universitaire (CHU), notamment avec sa commission stratégie, pour assurer une meilleure compréhension de notre offre, laquelle est, reconnaissons-le, quelque peu complexe et absconse pour une personne extérieure qui est simplement en quête d’une solution permettant au malade hospitalisé de sortir le plus vite possible.

Nous devons avoir des grilles d’évaluation plus simples et plus explicites. Les travaux sur les filières, que nous conduisons avec l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP), vont dans ce sens, mais il est vrai que cela prend du temps.

Nous sommes les premiers à dire que l’hospitalisation à domicile est un univers mouvant. Aujourd’hui, nous faisons des choses que nous n’aurons plus vocation à faire demain parce que les technologies, la coordination et l’ambulatoire se seront améliorés, mais il y a d’autres secteurs dont nous devons nous saisir, comme la chimiothérapie à domicile.

Nous en avons un exemple dans une région on ne peut plus rurale : le Limousin. Le CHU de Limoges a développé avec les établissements d’HAD un protocole en hémato-oncologie, sur quatre médicaments administrés dans le cadre d’une chimiothérapie parentérale par voie veineuse. Cela a pris trois ans, mais, aujourd’hui, en Limousin, 100 % des chimiothérapies en hémato-oncologie sur quatre produits se font en HAD. La première cure se fait au CHU de Limoges, les suivantes à domicile.

Nous devons investir ce champ, qui est complexe et qui requiert pleinement l’exigence de qualité et de sécurité que j’évoquais tout à l’heure. C’est une voie d’avenir, qui conduira à faire bouger le périmètre de l’HAD. Le poste chirurgical constitue un autre exemple.

Neuf ans après, l’assurance maladie a enfin répondu à notre demande, s’agissant des études médico-économiques auxquelles nous aspirions…

Il en va de même pour la Haute Autorité de santé. Nous entendons les professionnels, infirmiers, médecins, dire qu’ils pourraient faire ce que nous faisons. Mais, lorsque nous engageons le dialogue, ils se rendent compte que, au regard de la complexité et de la technicité requises, nous répondons pleinement à nos obligations, et qu’ils ont besoin de notre appui. Ils sont alors prêts à coopérer avec nous, mais il nous faut des référentiels pour que chaque partie – praticiens hospitaliers, médecins généralistes, autres professionnels libéraux – sache où est sa place et celle des autres.

Les travaux devraient être conclus en 2016. J’espère qu’ils le seront, après le petit coup de poing donné sur la table par Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Il est vrai que, même à nos yeux, cela ne va pas assez vite. L’efficience doit être notre objectif. Elle consiste à réaliser le bon mode de prise en charge, au bon moment, pour le bon patient et au moindre coût.

Nous devons aussi avoir un objectif de qualité. Ce n’est pas faire injure au monde ambulatoire que de dire qu’il ne souscrit pas aux règles de qualité et de sécurité qui sont celles des HAD. On peut dire beaucoup de choses sur les établissements hospitaliers, mais on ne peut pas nier les progrès considérables qui ont été faits grâce aux certifications des hôpitaux et des cliniques, et donc des HAD. Le retard pris par le secteur ambulatoire est un élément qui ralentit les passages d’un secteur à un autre.

Enfin, les règles déontologiques doivent être rappelées systématiquement, concernant le respect du choix des patients, l’articulation entre les offreurs et le bon usage des deniers publics.

Mme la rapporteure. J’ai quelques inquiétudes en ce qui concerne la place du médecin. Dans les établissements sociaux, y compris dans les EHPAD, il n’y a pas toujours de médecin coordonnateur. Or les médecins traitants ne sont pas forcément les meilleurs coordonnateurs, faute de temps et, dans certains cas, faute de médecins.

Quel rôle pourraient jouer les infirmières ? Je sais que, dans certains services, ce sont elles qui assurent la coordination. J’aimerais avoir votre avis sur le transfert de tâches. N’y aurait-il pas là une piste pour un meilleur développement de l’hospitalisation à domicile, avec plus de sécurité ?

Mme Élisabeth Hubert. Chaque personne doit être affectée là où elle apporte une valeur ajoutée. Or, nous sommes aujourd’hui, vous avez raison, dans un système – qui dépasse largement celui de l’hospitalisation à domicile – où, malheureusement, le médecin n’est pas obligatoirement circonscrit à sa valeur ajoutée.

En réalisant des actes qui, parfois, peuvent l’être par d’autres professionnels, il perd du temps et dégrade sa situation, sans que cela rende le système plus efficient pour autant puisqu’on a besoin de plus de médecins. Au risque de donner dans la provocation, je dirais qu’avec 35 000 médecins généralistes entièrement consacrés à la médecine générale et à leur vrai cœur de métier, on pourrait très certainement faire ce qui est fait aujourd’hui avec 55 000 médecins… Mais cela supposerait une organisation très différente, et une rémunération également très différente pour ces derniers.

Pour en revenir à votre question, l’hospitalisation à domicile revêt une triple dimension en termes de coordination.

Le médecin coordonnateur apporte le projet thérapeutique du patient et le décline, avec le médecin hospitalier comme maître d’œuvre quatre fois sur cinq. Je rappelle qu’il s’agit de malades lourds ; il n’est donc pas choquant qu’ils viennent de l’hôpital. De plus en plus de patients viendront de la ville, mais ce sera sans doute dans un second temps, même si, aujourd’hui, les médecins traitants nous adressent déjà des patients pour les soins palliatifs.

En attendant, il est logique que ce soient les médecins hospitaliers qui s’en chargent. Étant donné le peu de dialogue qu’il y a entre un médecin hospitalier et un médecin traitant, c’est le médecin coordonnateur qui assure l’interface en termes d’expertise. Si j’étais encore médecin généraliste, je serais bien incapable, au regard de la complexité des thérapeutiques et des techniques, de prendre en charge certains patients en HAD. Le médecin coordonnateur, qui ne fait quasiment que cela, est en quelque sorte un pilier sur lequel on peut s’appuyer.

Cela étant, il ne faut pas non plus galvauder le rôle du médecin coordonnateur. Il n’a pas à jouer le rôle, essentiel en HAD, de l’infirmière de coordination, qui consiste à évaluer les situations. Aujourd’hui, les infirmières savent quel patient est éligible ou non à l’HAD. Elles ont de plus en plus souvent, dans nos établissements, un diplôme universitaire de prise en charge de la douleur, de soins palliatifs ou de plaies, brûlures et cicatrisation. Elles apportent une expertise utile aux professionnels libéraux avec lesquels elles travaillent, puisqu’on associe de plus en plus personnels salariés et professionnels libéraux.

Les infirmières, en menant ce travail de coordination, d’organisation, de logistique et d’interface avec les libéraux, jouent un rôle transversal. Les HAD qui fonctionnent bien sont celles qui ont un nombre suffisant d’infirmières coordinatrices.

Il doit sortir prochainement un décret sur les compétences requises pour le fonctionnement en HAD. J’ai parfois fait sourire nos interlocuteurs de la direction générale de l’offre de soins (DGOS) parce que j’étais plus exigeante qu’eux sur certains points, notamment sur le dimensionnement de la coordination. Il faut qu’il y ait une astreinte de coordination infirmière vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

M. le président Pierre Morange. Vous avez évoqué, au début de votre propos, l’horizontalité spécifique de l’hospitalisation à domicile et sa logique d’interface et de technicité, qui s’inscrivent dans une vision globale en termes de prise en charge du patient.

Afin d’assurer cette horizontalité, il doit y avoir partage ou communication de l’information entre les différents acteurs. Que pensez-vous de la décision de Mme la ministre de confier à l’assurance maladie la gestion du dossier médical personnel (DMP) ? Quels travaux avez-vous pu mener avec le directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) ?

Ce projet est ambitieux, s’agissant de cette « Arlésienne » qu’a été le DMP, dont le coût financier non négligeable est assorti de résultats insatisfaisants. Il est donc temps d’en tenir les objectifs.

Vous avez évoqué la nécessité d’un nombre suffisant d’infirmières et, donc, d’une permanence des services. Certaines structures d’hospitalisation à domicile, parfois sous la forme associative, sont d’une taille insuffisante pour assurer une permanence des services vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. Au-delà de l’agrément initial qui leur est octroyé, il faudrait peut-être exiger qu’elles atteignent la taille requise pour assurer la qualité et la permanence des soins, en fixant des dates-butoirs de mise en œuvre.

Vous nous avez donné une évaluation du coût journalier de l’hospitalisation à domicile en regard de celui d’une prise en charge hospitalière, et donc, de l’économie potentielle qui en découlerait. L’exemple du Limousin, que vous avez cité, permettrait peut-être de faire une première estimation de l’économie que l’hospitalisation à domicile a pu dégager, ce qui pourrait promouvoir la montée en puissance de l’HAD et, éventuellement, influencer de façon vertueuse une réforme de la politique tarifaire en matière d’HAD.

Enfin, j’évoquerai un projet alternatif, issu d’expériences canadiennes, qui permettent des prises en charge dans des structures de type hôtelier dont les coûts d’entretien sont moindres, mais qui restent adossés à la technicité d’établissements de soins. Quel est votre sentiment sur ce sujet ? Cela pourrait-il être un élément pour compléter le dispositif ?

Mme Élisabeth Hubert. Votre réflexion sur le système d’information et le DMP me permet d’aborder le volet de la coordination psychosociale, c’est-à-dire la place de l’assistante sociale dans les établissements.

Si la transversalité de la coordination fonctionne avec le médecin, l’infirmière, le psychologue, et l’assistante sociale, c’est que nous avons des systèmes d’information partagés. Mais s’ils sont partagés au sein de l’établissement d’hospitalisation à domicile, ils le sont encore insuffisamment avec les professionnels qui coopèrent avec lui. Le seul moyen d’avoir une parfaite communication entre les différents types d’offreurs de soins, c’est une interopérabilité des systèmes d’information, ce qui n’est pas le cas.

En ce qui concerne le DMP, j’ai demandé il y a quelques jours à la personne chargée du dossier à l’assurance maladie de ne pas nous oublier. L’accès au DMP peut être en effet très intéressant pour connaître, et faire connaître à nos interlocuteurs, la typologie des malades que nous prenons en charge. Dans le cas d’un patient hospitalisé à domicile, le médecin traitant n’a pas toujours le temps de se déplacer, et le médecin hospitalier, qui peut être loin du malade, ne sait pas toujours ce qui se passe. Nous pouvons, en l’occurrence, contribuer à la structuration de l’organisation que j’évoquais tout à l’heure.

Outre les systèmes d’information, il y a les objets connectés. Je suis sûre que nous pourrons, demain, activer à distance une pompe à morphine, grâce à la présence d’une infirmière coordinatrice d’astreinte et à l’objet connecté qui permettra d’évaluer la douleur à distance, le médecin étant la référence médicale qui lui indiquera s’il faut agir ou non.

M. le président Pierre Morange. Vous prêchez des convaincus ! Le directeur général de la CNAMTS a évoqué à propos du DMP un process technologique, dont il a défini grosso modo le cadre en évoquant des plateformes et des messageries sécurisées. Votre fédération a-t-elle déjà pensé à une interface qui puisse se connecter de façon suffisamment souple et s’intégrer dans le dispositif général ?

J’en viens à ce que vous avez dit sur les objets connectés. Les données, en termes de métadonnées, vont être multipliées par cinquante grâce aux objets connectés. Ce sera l’un des thèmes d’étude de la MECSS à partir d’avril ou de mai 2016. Je traiterai, en tant que rapporteur, de l’open data et de la gestion des macrodonnées en matière de santé, s’agissant notamment de la sécurisation. Un rapport de la Cour des comptes sera préalablement rendu.

J’ai présidé, avec mon collègue Gérard Bapt, un colloque sur la cybercriminalité, qui a montré, au travers d’expériences incontestables, que le sujet de la sécurisation des systèmes d’information serait au cœur des débats. Démonstration a été faite que l’on pouvait, en piratant des logiciels hospitaliers, dérégler des pompes à morphine, et donc assassiner à distance !

Mme Élisabeth Hubert. En ce qui concerne votre question sur la taille qu’une structure doit atteindre pour répondre à l’exigence de coordination et d’astreinte, toutes ne sont pas dans la même situation. Ce n’est pas une question de statut, ni de taille, ni de caractère urbain ou rural.

Je pense à une région, que je ne citerai pas, où un établissement d’HAD du secteur public, que je ne citerai pas non plus, va se voir retirer son autorisation par un directeur général d’ARS, pour la simple raison qu’elle ne répondait ni à l’exigence de continuité des soins ni à celle d’un avis médical disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Malheureusement cette situation existe partout. Notre exigence, qu’il s’agisse du secteur public, privé ou associatif, est que les règles de base soient respectées.

Comme je le dis à mes adhérents : « si vous n’y arrivez pas, il faut vous y mettre à plusieurs pour rendre un avis médical à distance. » La régulation permet de le faire à distance, surtout quand on partage le même système d’information. Il s’agit là d’éléments structurants, et l’on ne doit faire preuve d’aucune faiblesse concernant les règles de fonctionnement. Pour ma part, je n’en ai pas à l’égard de mes adhérents.

J’en viens à votre question sur l’évaluation du coût et l’expérience menée dans le Limousin.

Les premiers éléments qui nous ont été fournis concluent à une économie de 17 % pour l’assurance maladie si l’on se base sur l’expérience du Limousin, en se limitant à l’hémato-oncologie, tous les produits utilisés étant dans la liste en sus. C’est d’ailleurs parce que nous n’avons pas eu à supporter le prix du médicament que l’HAD a pu assurer ces prises en charge.

En ce qui concerne les scénarios alternatifs, je crois, pour ma part, qu’il y a de la place pour tout le monde. S’agissant des hôtels hospitaliers, vous avez raison de vous référer à l’expérience canadienne, même si la dimension du territoire, l’éloignement, ne sont pas tout à fait les mêmes que chez nous. Je recevrai d’ailleurs, début mars, des Canadiens qui viennent voir ce qu’est l’hospitalisation à domicile en France…

En effet, nous ne parlons pas tout fait de la même chose. Par exemple, nous n’avons pas développé les soins coordonnés, comme l’ont fait de nombreux autres pays. Par contre, nous avons, ce qui est une curiosité architecturale, construit le deuxième étage avant le premier… Nous avons fait l’HAD, cette pointe de la pyramide qui se situe dans un périmètre relativement restreint, mais nous n’avons pas construit, comme l’ont fait de nombreux autres pays, l’étage intermédiaire avec l’ambulatoire et les soins coordonnés. C’est d’ailleurs la raison qui les amène à se positionner davantage sur le chronique et moins sur l’aigu. Les hôtels hospitaliers, eux, sont positionnés sur le « post-aigu », mais ils accueillent des patients qui ont encore besoin de soins intensifs. En France, nous arrivons à faire ces soins à domicile.

Ces positionnements, qui ne sont pas tout à fait les mêmes, sont très certainement liés à une histoire, ainsi qu’à des coûts. Le fait que nous soyons un pays où l’hôpital permet d’être totalement pris en charge ne facilite pas les choses. Dans un pays comme les États-Unis, les patients ont généralement envie de sortir vite de l’hôpital, compte tenu du prix qu’on leur demande.

Nous sommes dans des systèmes un peu différents, et nous ne parlons pas tout à fait de la même chose, ce qui fait que les Japonais, les Néo-Zélandais ou les Canadiens viennent régulièrement en France pour nous demander comment fonctionne, chez nous, l’hospitalisation à domicile. Notre prochaine journée nationale, au mois de décembre 2016, portera sur les expériences étrangères.

Mme la présidente Gisèle Biémouret. Vous parlez d’une expérimentation en milieu rural, dans le Limousin. L’éloignement par rapport aux grandes villes n’est-il pas un handicap ? L’HAD peut-elle, en milieu rural, prendre en charge de multiples pathologies ? Vous avez parlé de chimiothérapie, mais il existe de nombreuses autres pathologies. Est-il possible de prendre en charge différentes pathologies, nécessitant des suivis différents ? Ou bien faut-il, en milieu rural, se cantonner à des pathologies bien précises ?

Mme Élisabeth Hubert. Pour bien connaître un établissement d’HAD en Lozère, je peux vous dire qu’il est possible de prendre en charge un patient en soins palliatifs sur le plateau de l’Aubrac. Mais cela demande des schémas d’organisation un peu différents car il est nécessaire, du fait des distances, d’avoir un plus grand nombre d’infirmières coordinatrices, afin qu’elles puissent aller voir plus souvent les malades. Cela veut dire qu’il faut obligatoirement travailler avec des professionnels libéraux, coordonnés et rémunérés par l’HAD, et avec lesquels on interagit parfois plusieurs fois par jour.

On est, dans certains cas, obligé de travailler avec des services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) de proximité, car si le domicile du malade est éloigné, on ne peut pas demander à une aide-soignante de faire un trajet de deux heures matin et soir. En l’occurrence, l’articulation HAD-SSIAD peut avoir son intérêt. Si le patient a été précédemment pris en charge par les SSIAD, ne vaut-il pas mieux le laisser entre les mains de l’aide-soignante qui le connaît ? Je précise que, dans ce cas, le financement doit être tout à fait clair, afin d’éviter une double rémunération.

Aujourd’hui, l’exclusion de certains types de malades tient plus à l’organisation qu’à l’éloignement. Certaines HAD ont fait le choix de continuer à travailler sur le modèle ancien, c’est-à-dire de ne travailler qu’avec des infirmières effectrices de soins, d’autres ont choisi de continuer à travailler avec des infirmières salariées. Inévitablement, le principe de réalité les amène à limiter leur territoire. La possibilité de travailler avec des infirmières libérales ou de « mixer » permet d’étendre la capacité d’action et, à une époque où l’on parle beaucoup de parcours, d’améliorer la cohérence de celle-ci.

Il existe aussi des obstacles financiers. Le ministère nous a accordé une enveloppe spécifique pour payer certains médicaments très onéreux qui étaient inclus dans la tarification à l’activité (T2A). Les établissements ont dû, pour obtenir des financements, établir une liste de trente médicaments, et se déclarer. Or, certains établissements ont peu déclaré l’usage de ces médicaments, parce qu’ils s’étaient « censurés » à la prise en charge du patient. Ce n’est pas forcément une question de taille. Je prendrai l’exemple d’un antibiotique, le Cubicin, qui peut vite s’avérer être une catastrophe financière. C’est un médicament très cher, qui coûte 250 euros par jour. Si certaines HAD affirment ne pas connaître le Cubicin, c’est qu’elles refusent de prendre en charge ce type de patient lorsqu’on le leur propose.

Ce sont des attitudes que je combats. Aujourd’hui, l’enveloppe supplémentaire nous permet de lever des obstacles et de dire qu’il faut prendre en charge ces patients. S’ils habitent loin, l’articulation avec les professionnels libéraux permet la prise en charge.

En ce qui concerne le dernier obstacle, il y a une possibilité de coopération entre l’HAD et les SSIAD, permettant la prise en charge au niveau territorial. Reste cependant le problème des grands malades neurologiques, qui peuvent être extrêmement difficiles à suivre en HAD, mais qui relèvent pleinement de notre mission.

Mme la rapporteure. La tarification ne semble plus tout à fait adaptée au fonctionnement des HAD. Quel type de tarification préconiseriez-vous ?

Selon moi, l’HAD idéale doit avoir du personnel médical, du personnel soignant, mais aussi du personnel médico-social. Je pense, par exemple, à des diététiciennes, pour accompagner les patients dont la chimiothérapie a modifié le sens du goût, ou à des esthéticiennes pour accompagner les patients qui ont perdu leurs cheveux.

Enfin, je conçois mal l’HAD sans la présence d’un aidant à domicile. Que faire pour les aidants ? Quel accompagnement mettre en place pour éviter l’usure de l’aidant, et donc, maintenir le malade en HAD ?

M. le président Pierre Morange. Mme la ministre s’est donné pour objectif d’atteindre un taux de 1,2 % des journées d’hospitalisation en HAD, auquel nous ne sommes pas parvenus, pour des raisons tout à fait compréhensibles. Cela étant, certains pays étrangers atteignent 3 %, 5 %, voire 6 %. Cet horizon vous semble-il atteignable ? Et vous paraît-il judicieux, compte tenu des spécificités de notre système de prise en charge sur le plan sanitaire ? Existe-t-il, dans le sous-ensemble des établissements médico-sociaux, un ratio similaire ou même supérieur, compte tenu du caractère chronique de ces pathologies ?

Mme Élisabeth Hubert. Le mode de tarification doit effectivement évoluer. Il a été une bouffée d’oxygène en 2006, car il a permis de consolider un certain nombre d’établissements en difficulté, et il a eu l’immense avantage de professionnaliser les établissements d’HAD.

Le schéma de médicalisation et de recrutement d’infirmières de coordination est apparu au milieu des années 2000. C’est à cette même époque que sont intervenus, dans les établissements d’HAD, des professionnels de la qualité, car nous nous apprêtions à nous engager dans des processus de certification.

S’agissant des investissements dans les systèmes d’information, certains établissements sont aujourd’hui éligibles au programme « Hôpital numérique », comme ils l’ont été à l’époque aux plans « Hôpital » successifs.

Aujourd’hui, nos tarifs n’ont pas bougé. Il est désormais assez peu probable que l’état de nos finances publiques permette d’envisager une progression.

Nous préconisons de mieux scinder le recours à l’hospitalisation à domicile. Dans le cas de la chimiothérapie, nous faisons en HAD le même geste technique, nous avons la même approche que celle d’un établissement avec hébergement. Nous devons donc trouver un mode de financement cohérent avec celui utilisé en MCO, car, dès lors que la bascule se fait vers l’hospitalisation à domicile, les ressources du MCO sont diminuées d’autant. Il nous faut trouver un mode de financement cohérent avec ce qui nous est demandé, mais qui ne représente pas une perte sèche pour l’interlocuteur MCO qui va travailler avec l’hospitalisation à domicile.

En ce qui concerne les soins palliatifs, la prise en charge de patients polypathologiques, voire les antibiothérapies, le mode de tarification actuel n’est sans doute pas parfait, mais il y a au moins une vertu, c’est que la clé d’entrée et les tarifs sont fonction de la charge en soins. On peut, par exemple, être en soins palliatifs parce qu’on a un cancer, ou parce qu’on a une maladie neurodégénérative et qu’on vit ses derniers jours. Dans les deux cas, on est en soins palliatifs, on a besoin de coordination, de soins, d’alimentation et d’accompagnement psychologique.

La clé d’entrée, qu’il s’agisse d’un cancer ou d’une maladie neurodégénérative, n’a pas une grande importance. Ce qui est pris en compte, c’est la charge en soins. C’est l’une des originalités de notre système de tarification, et il faut en conserver le principe pour ce mode de prise en charge.

J’en viens à la rééducation et à la réadaptation, secteurs très peu explorés à l’heure actuelle car il nous est difficile d’offrir les mêmes services que les services de soins de suite et de réadaptation (SSR), les kinésithérapeutes ne montrant pas une grande envie de venir travailler à domicile, dans la mesure où nous les payons au tarif de base de la nomenclature… Il nous faut, s’agissant de ce secteur, réfléchir au mode de tarification.

Quant au schéma idéal, je suis d’accord avec vous, madame la rapporteure, s’agissant des corps de métiers que vous avez évoqués. C’est pour cette raison que j’ai insisté tout à l’heure sur la nécessité d’une coordination médicale, infirmière et psychosociale.

En ce qui concerne la dimension psychosociale, je pense à l’HAD de Nantes où une aide-soignante, qui avait précédemment fait des études d’esthéticienne, avait proposé à la directrice de l’établissement de se partager entre un temps d’esthétique et un temps d’aide-soignante – ce qui a été accepté. Les diététiciennes ont aussi un rôle à jouer en HAD auprès des malades, mais également auprès de la famille et des aidants.

Pour ce qui est d’accompagner les aidants, je dois dire que nous ne sommes pas très bons, s’agissant notamment de patients lourds dont l’hospitalisation risque d’être longue. Il convient, dès le début, de parler d’épisodes de répit à la famille et d’expliquer au patient la nécessité de faire des bilans réguliers, de façon que la réhospitalisation ne soit pas un traumatisme. La réhospitalisation se passe très bien quand elle est programmée. Elle est comprise, admise, même si elle n’est pas attendue avec un grand bonheur, mais les patients savent que ce n’est qu’un épisode. Et cette période est un soulagement pour l’entourage.

Nous essayons aussi, malgré la réticence des familles, de mettre en place, la nuit, des gardes-malades. C’est ce que fait l’HAD de Nantes. Ce type de dispositif en soins palliatifs est parfois payé par les fonds d’assurance maladie. Avoir une garde-malade deux nuits de suite permet au conjoint d’être apaisé et de dormir. Il est nécessaire d’augmenter la fréquence de ces moments de répit en structurant davantage le dispositif.

Vous avez raison, monsieur le président, notre objectif d’atteindre un taux de 1,2 % des hospitalisations est de loin inférieur aux taux observés dans certains pays étrangers. Cela étant, vous permettrez à l’amatrice de rugby que je suis de vous « renvoyer le ballon » : quel usage entendons-nous faire, en France, de l’hospitalisation avec hébergement ? Il y a belle lurette que les pays dont vous parlez se sont attaqués financièrement à l’hébergement hospitalier. Le métier de l’hôpital n’est pas l’hôtellerie. Le métier de l’hôpital, c’est d’offrir des soins, un plateau technique, un savoir-faire, une expertise, une prise en charge à des moments difficiles et délicats.

Pour savoir s’il faut donner un lit à un patient, il faut se poser deux questions. Son état nécessite-t-il une surveillance continue ? A-t-il besoin du plateau technique dans les heures qui suivent ? Si la réponse à ces deux questions est négative, on doit envisager de ne pas lui donner un lit. Je ne dis pas pour autant que nous pourrons faire sortir tous les patients de l’hôpital…

Le problème ne se pose pas de la même façon dans d’autres pays, avec une compréhension des patients et de leurs familles, dans la mesure où les patients doivent payer. Je vais vous raconter une anecdote à propos de la solvabilisation.

Il y a quelques jours, j’ai constaté, dans un établissement d’HAD, que l’aide-soignante passait matin et soir. Or, le soir, le patient n’avait pas besoin d’une aide-soignante, mais seulement d’une auxiliaire de vie. L’établissement d’HAD a dit à la famille qu’il fallait plutôt, le soir, une auxiliaire de vie, mais qu’il fallait la payer, un dispositif social pouvant en partie prendre en charge ce coût moyennant un petit reste à charge. Personne n’a protesté. Cela montre que les conditions d’accès à l’offre de soins ont complètement dénaturé notre regard…

C’est justement un regard différent qu’il faut porter sur l’usage de l’hébergement hospitalier, car la part du « hors-hôpital » est importante. L’hospitalisation de jour et la chirurgie ambulatoire relèveront toujours de l’effecteur hospitalier. Le reste de l’ambulatoire concerne la HAD, qui est le sommet de la pyramide. On peut très certainement élargir encore le recours à l’HAD, s’agissant notamment de la sécurisation du domicile.

Je prends l’exemple d’un patient qui va sortir de l’hôpital après y avoir passé plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Dans certains cas, la durée du séjour à l’hôpital est telle qu’une hospitalisation à domicile n’est pas nécessaire. Mais il faut reconnaître qu’il n’est pas cohérent de faire sortir un patient après trois mois d’hospitalisation sans rien prévoir. On peut comprendre son sentiment de panique.

C’est là que nous pouvons agir. Nous n’avons pas vocation à durer, mais nous pouvons produire un effet de sas et contribuer à réduire très fortement le recours à l’hébergement hospitalier. Les dépenses d’assurance maladie consacrées à l’hospitalisation s’élèvent à 37 % en France, alors que la moyenne est de 29 % dans les pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Cela étant, c’est une réforme douloureuse pour les établissements hospitaliers, et qui serait sans doute trop rapide si elle devait se faire du jour au lendemain – d’où mes propos, tout à l’heure, sur la nécessité d’accompagner la réforme de la tarification.

Quant aux établissements médico-sociaux, notamment les EHPAD, ils vont, eux aussi, être soumis à des contrats d’objectifs et de moyens (COM), et j’en suis ravie. Je recommande aux ARS de suivre deux indicateurs extrêmement simples : observer, dans les EHPAD, d’une part le pourcentage de décès effectifs à l’intérieur de l’établissement, et d’autre part le pourcentage d’hospitalisation avec hébergement des résidents, notamment à des moments critiques. Un certain nombre d’établissements seront « dans les clous ». Ce seront souvent des établissements ayant un personnel infirmier renforcé.

M. le président Pierre Morange. Je vous remercie, madame Hubert, pour la précision de vos réponses, qui contribueront à enrichir le travail de notre mission.

Puis la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Paul Segade, inspecteur général des affaires sociales, conseiller général des établissements de santé, ancien directeur de l’Assistance Publique–hôpitaux de Marseille (AP-HM), et de M. Didier Zanini, praticien hospitalier à l’AP-HM.

Mme Joëlle Huillier, rapporteure. L’hospitalisation à domicile peine à se développer malgré les incitations ministérielles. Nous sommes intéressés par votre expérience à Marseille. Comment y avez-vous mis en place et développé l’hospitalisation à domicile ? Quels sont les freins à son développement aujourd’hui ? La tarification est-elle cohérente avec l’activité ? Le périmètre d’activité – les pathologies prises en charge – est-il pertinent ? Quels sont les liens avec les services infirmiers à domicile et les praticiens libéraux ?

M. Jean-Paul Segade, inspecteur général des affaires sociales, conseiller général des établissements de santé, ancien directeur de l’Assistance Publique-hôpitaux de Marseille (AP-HM). Pour répondre à vos questions, je commencerai par en poser une autre : comment un directeur général en pleine période de restructuration budgétaire – le déficit devait être réduit de 10 millions d’euros par an – réussit-il, avec M. Zanini, à créer une nouvelle structure ? Il y a selon moi trois raisons essentielles :

La première, l’hospitalisation à domicile (HAD) correspond à une évolution inéluctable du monde hospitalier. L’hôpital a pendant très longtemps été enfermé dans les murs. Au fur et à mesure, il s’est développé, d’abord dans les grands plateaux techniques dans les centres hospitaliers universitaires (CHU) à l’extérieur de la ville, et aujourd’hui dans la ville. L’hôpital suivait la même règle que le théâtre classique – un seul lieu, un seul malade, une seule pathologie – mais cette unité a volé en éclats. L’HAD est une marche irrésistible car elle correspond aussi aux besoins des malades. J’ai toujours été étonné des questions qui sont posées aux malades à l’hôpital : « As-tu bien mangé ? Tu sors quand ? » Il s’agit rarement de savoir s’ils ont été bien pris en charge…

L’HAD répond aussi à une préoccupation médicale évidente : la baisse des durées moyennes de séjour (DMS) est inévitable, avec pour conséquence la baisse du nombre de lits, qu’il faudra un jour accepter en France, mais c’est un autre débat.

L’hôpital est aujourd’hui un noyau dur autour duquel gravitent des électrons, parmi lesquels l’HAD.

Deuxième raison, il me semblait logique au sein d’un CHU de développer une activité pouvant donner lieu à de l’enseignement, des soins et de la recherche.

Troisième raison, le projet devait respecter une consigne simple : coûter moins cher. J’ai dit en substance à ses artisans : vous vous débrouillez comme vous voulez mais les recettes doivent être supérieures aux dépenses.

M. Didier Zanini, praticien hospitalier à l’AP-HM. C’est un honneur de pouvoir vous présenter notre expérience marseillaise. Comme quoi, à Marseille, on fait aussi des choses.

En 2011, quand M. Segade a eu l’idée de monter un projet, j’ai tout de suite répondu présent parce que, venant des urgences, je savais que la demande des patients était très forte. J’étais aussi en lien permanent avec la ville, travaillant aux urgences et au service d’aide médicale urgente (SAMU) depuis toujours. Ce projet tourné vers la ville me paraissait indispensable dans un CHU. La gestion de projet a pris six mois. Comment s’est-on organisé sur le plan administratif et sur le plan médical ?

M. Jean-Paul Segade. Sur le plan administratif, nous avons signé un contrat d’objectifs classique, avec des objectifs d’activité, de recettes et une forme de déconcentration avec les médecins.

Les évaluations économiques, y compris celle de la Cour des comptes, comportent souvent l’erreur de ne pas étudier suffisamment l’incidence interne pour l’hôpital. Ce projet visait aussi à fluidifier le parcours des patients au sein de l’hôpital. Mon idée, qui s’est heureusement avérée bonne, était d’éviter le passage aux urgences de malades inadéquats afin de libérer de la place pour accueillir d’autres malades, eux adéquats, susceptibles de rapporter plus que ce qu’ils coûtent – ce qui coûte cher, c’est l’inadéquation entre offre et besoins. Le plus souvent, les évaluations économiques reposent sur l’analyse suivante : l’HAD coûte tant par rapport au service de soins infirmiers à domicile (SSIAD) ou à une hospitalisation, faisant fi des incidences microéconomiques pour l’enceinte hospitalière.

La première difficulté que j’ai rencontrée a été médicale. Nos médecins sont formatés dans une logique horizontale, par spécialité, mais jamais transversale. Ils ne comprennent pas le choix d’affecter des moyens à l’HAD. La transversalité n’est pas un élément porteur aux yeux de la communauté médicale. Celle-ci a consenti au projet lorsqu’elle a compris ma détermination. Mais il a fallu immédiatement éviter deux écueils : rattacher l’HAD à la gériatrie – M. Zanini vous en parlera, nous avons davantage développé la pédiatrie – ou la rattacher aux urgences, comme un deuxième wagon. Si je devais formuler des recommandations, je proposerai de rattacher l’HAD au président de la commission médicale d’établissement (CME) et de l’inscrire obligatoirement dans un projet médical transversal. Le rattachement à la CME est nécessaire à l’installation de l’HAD dans le paysage hospitalier ; peut-être, dans dix ans, pourra-t-on la rattacher à une autre structure. Pour l’instant, elle doit être couvée par le président et le directeur général. Il faut également nouer des liens avec l’université afin d’ouvrir la possibilité à l’HAD de recevoir des internes.

Le premier obstacle n’a été ni administratif, ni financier. Quand on crée des postes médicaux, on a toujours tendance à les flécher vers des activités horizontales. La seule activité transversale pour laquelle on crée des postes, c’est le département d’information médicale (DIM) parce qu’avec la tarification à l’activité (T2A), il rapporte financièrement. C’est dommage.

L’HAD heurte un peu la logique de l’information médicale, c’est la raison pour laquelle elle est difficile à faire accepter.

M. Didier Zanini. M. Segade a raison d’insister sur la transversalité. À cet égard, mon expérience aux urgences constituait un avantage puisque la polyvalence des prises en charge en est le quotidien. Pour la logistique et le parcours des patients, le profil de l’interne des urgences me paraissait intéressant tandis que pour développer plusieurs filières au sein d’une HAD polyvalente, on pouvait s’entourer de médecins dits spécialistes.

Il existait depuis 1993 une petite HAD à l’Assistance publique-hôpitaux de Marseille (AP-HM) qui possédait une autorisation pour prendre en charge les patients atteints du virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Pour des raisons médico-économiques, le virage n’a pas été pris lors de l’arrivée de la trithérapie ; l’activité a été suspendue au début des années 2000.

En 2011, la volonté de reconstruire un projet s’est fait jour. Comme je découvrais l’HAD, je suis parti à la recherche d’informations dans les différentes HAD pour me rendre compte que le mode de fonctionnement et le statut juridique étaient très différents de l’une à l’autre. J’ai fait le tour de France, visitant une dizaine d’HAD. À Marseille, cinq HAD existaient déjà ; pour le département des Bouches-du-Rhône, onze HAD sont autorisées. On peut s’interroger sur l’intérêt d’un si grand nombre d’HAD sur un même territoire. Selon les données de l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH), dix-huit HAD interviennent sur le département. Ces données ne sont pas forcément vérifiables, mais le nombre d’HAD qui interviennent est indubitablement supérieur au nombre d’autorisations dans le département. Les autorisations sont très hétéroclites : le périmètre correspond pour certaines à des communes, pour d’autres à des kilomètres à compter du centre de telle ville, et pour d’autres encore aux alentours d’un CHU.

Nous avons utilisé l’autorisation existante, en étendant son périmètre puisque celui du CHU était plus large que celui de la ville de Marseille, pour laquelle l’autorisation avait été délivrée initialement. Depuis 2012 et l’ouverture de l’HAD, ce périmètre couvre 370 kilomètres carrés sur lesquels toutes les autres HAD interviennent également.

Après avoir exploré les HAD, nous avons rencontré les services hospitaliers de l’AP-HM qui pouvaient être pourvoyeurs de patients, en ciblant ceux dont les durées moyennes de séjour (DMS) étaient très longues et les taux de rotation parfois très hauts. À partir de cette étude médico-économique, nous avons déterminé des parcours de patient bien identifiés, en essayant de respecter la polyvalence de notre prise en charge et d’améliorer l’image de l’HAD ; l’audit interne nous avait appris que l’image de l’ancienne HAD n’était pas bonne. En interrogeant les professionnels de santé sur l’HAD, nous avons pris conscience de leur méconnaissance de l’HAD et de la typologie de patients pouvant être pris en charge. Ils croyaient que l’HAD ne s’adressait qu’à des personnes âgées, ou à des patients en fin de vie ou en soins palliatifs.

Pour ce type de patients, il apparaissait que d’autres HAD sur notre territoire prenaient en charge et le faisaient bien. C’est pourquoi nous nous sommes orientés vers d’autres segments d’activité. Aujourd’hui, nous ne prenons toujours pas en charge les patients en soins palliatifs, ce qui fait de nous une HAD un peu atypique. Pour marquer les esprits, nous avons choisi de nous intéresser à la néonatologie et aux prématurés. Nous voulions montrer qu’il était possible de proposer l’HAD pour des bébés, de faible poids de naissance ou atteints d’infections materno-fœtales. Je vous donne un exemple : 500 enfants naissaient au CHU avec des infections materno-fœtales qui étaient traitées de manière un peu empirique par des injections d’antibiotiques en perfusion ; les enfants restaient huit jours à l’hôpital, avec leur mère qui aurait pu sortir au troisième jour. J’ai donc proposé aux obstétriciens d’autoriser la sortie des enfants et de leur maman au troisième jour, de continuer l’HAD pendant cinq jours et de poursuivre sous la surveillance de la protection maternelle et infantile et des pédiatres. 250 enfants par an aujourd’hui sont pris en charge par l’HAD de l’hôpital.

À rebours de la méthodologie traditionnelle des chemins cliniques – à partir d’une cohorte de patients existante, on essaie de trouver un système d’organisation collégiale qui permet de les prendre en charge de manière plus efficiente –, nous avons conçu un chemin à partir d’un potentiel de patients que nous n’avions pas. Nous avons ainsi défini une dizaine de chemins cliniques chez l’adulte, l’enfant et la femme enceinte, à partir de référentiels de l’HAD existants.

Pour l’enfant, nous nous heurtons au problème de la tarification qui aujourd’hui n’est pas du tout adaptée aux cas que nous prenons en charge. Dans notre esprit, l’HAD n’a pas vocation à allonger la durée d’hospitalisation mais bien à la réduire.

Nous avons aussi souhaité travailler sur l’amont, c’est-à-dire essayer de développer à partir des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ou des établissements médico-sociaux des chemins cliniques qui prennent en charge des patients pour leur éviter un passage aux urgences. J’ai trop été confronté pendant ma carrière aux urgences à ces patients dont la venue aux urgences accentue la fragilité, parce qu’ils restent sur des brancards pendant des heures pour aboutir dans un service qui n’est pas du tout adapté à leur pathologie, avec une durée d’hospitalisation qui est d’autant plus longue que celle-ci est inappropriée. On connaît tous l’issue parfois fatale pour ces patients déjà fragilisés. Notre idée était donc de développer des partenariats avec des EHPAD ou des établissements médico-sociaux pour éviter ces hospitalisations inappropriées et déclencher immédiatement une HAD pour des urgences qui ne sont pas vitales, quitte à ce que soit organisé dans ce cadre un parcours via les urgences, dans un délai bien précis, ou dans un service de soins traditionnel adapté pour une durée nécessairement réduite car organisée.

Sur le choix de ces deux axes de travail, le temps nous a donné raison puisque les filières qui marchent bien sont celles qui ont été pensées dès le début.

Aujourd’hui, nous comptons trois départements : un département obstétrique qui prend en charge une dizaine de patientes en ante partum, essentiellement pour des menaces d’accouchement prématuré déterminées, selon des critères très précis ; ce département fait appel à des sages-femmes salariées de l’AP-HM, parfois à des sages-femmes libérales par le biais de conventions ; un département pédiatrie qui prend en charge vingt enfants, avec des puéricultrices de l’AP-HM, sous l’autorité d’un petit temps médical de pédiatre – correspondant à 40 % d’un temps plein ; un département adulte qui s’occupe de 45 à 50 patients par jour sous l’autorité d’un praticien hospitalier qui est à mi-temps. Au total, nous prenons en charge environ 70 patients par jour. Le déficit de temps médical saute aux yeux ; je ne suis pas là pour le défendre mais le débat sur la médicalisation ou non d’une HAD est légitime. Pour 70 patients, nous n’avons même pas un médecin à temps plein !

Évidemment, ceux qui interviennent bénéficient de la coordination des soins et sont en lien permanent avec un médecin traitant. Je ne vous cache pas qu’à Marseille – mais je suppose que cela vaut pour de nombreuses régions – il est très difficile de trouver des patients qui aient véritablement un médecin traitant. L’absence de médecin traitant limite parfois la prise en charge et crée une petite insécurité. Si je peux me permettre de donner mon avis tout à fait personnel, aujourd’hui, il ne faut pas contourner le médecin traitant, bien au contraire. Il faut l’intégrer à la prise en charge de l’HAD puisque celle-ci n’a pas vocation à durer afin de pouvoir assurer la continuité des soins par la suite à domicile. Le médecin traitant a toute sa place dans l’HAD. Le médecin coordonnateur, qui est un praticien hospitalier, souhaite aussi pouvoir assurer la médicalisation et la prise en charge globale du patient, même si le chemin clinique ne correspond pas à sa spécialité – il est formé à cette polyvalence.

Cela nous ramène au débat sur la spécialisation de l’HAD. Il ne faut pas en avoir peur. Je crois qu’il faut conserver la polyvalence mais je ne crois aussi qu’on ne peut pas être bon partout et qu’on ne peut pas tout faire. C’est pourquoi nous avons essayé de déterminer des chemins cliniques qui prennent en charge des patients de tous âges en fonction des besoins de l’établissement auquel ils sont rattachés. Si on ne peut pas répondre à la totalité des besoins, on peut se tourner vers les autres HAD sur le territoire, qui possèdent les compétences qui nous manquent, afin de collaborer avec elles pour certaines typologies de patients.

La médicalisation de l’HAD est à mon avis nécessaire pour être crédible vis-à-vis de nos confrères et pour défendre cette forme de prise en charge. En outre, elle permettrait de remédier aux problèmes de transmission de l’information, en particulier avec le médecin traitant. Nous pourrions suivre les patients de bout en bout. Nous pourrions même assurer un « service après-vente » – l’expression n’est pas très heureuse – notamment pour éviter des hospitalisations itératives pour non-observance du traitement ou pour mauvaise gestion de la sortie du patient.

M. Jean-Paul Segade. Il serait possible aujourd’hui de doubler le nombre de patients en HAD. Aujourd’hui, l’HAD de l’AP-HM apporte 3 millions d’euros de recettes pour 2,7 millions de dépenses. Les dépenses de personnel non médical représentent 40 % des dépenses, les dépenses médicales et pharmaceutiques, qui sont plus importantes qu’à l’hôpital, où elles s’élèvent à 30 %. Un poste de praticien hospitalier permettrait de dégager au moins 2 millions d’euros de recettes supplémentaires.

Pourquoi ne le fait-on pas ? Parce qu’il est difficile de faire passer auprès de la communauté médicale la création de postes en HAD qui ignore souvent la transversalité. Celle-ci est plus encline à demander des postes en cardiologie ou en radiologie parce que cela lui parle.

Face à cette méconnaissance, l’agence régionale de santé doit faire pression pour faire accepter l’HAD. Si votre mission pouvait insister sur l’opportunité qu’elle représente dans le processus dynamique d’externalisation que connaît l’hôpital, ce serait une bonne chose. Avec le développement des technologies de l’information et de la communication, l’hôpital n’est plus dans un seul lieu. Il faut imaginer de nouvelles formes pour ce dernier. Les médecins ne sont pas attirés par la responsabilité d’un service d’HAD, ils préfèrent les services fondamentaux. Or, ceux-ci sont en train de changer. Les présidents de CME ont un rôle à jouer pour vaincre les réticences.

M. Didier Zanini. Il y a une méconnaissance de l’HAD de la part de nos collègues. Il faut développer des campagnes d’information et de communication, auprès des patients et des professionnels de santé. Ce nouvel exercice professionnel doit aussi être intégré dans la formation des infirmiers et des médecins, on peut imaginer un module sur la coordination des soins en HAD parce que c’est un vrai métier qui demande de vraies compétences et un profil très particulier.

M. le président Pierre Morange. Vous avez souligné l’absence d’analyse économique des incidences de l’HAD sur le fonctionnement interne de l’hôpital. Dans l’appréciation des coûts, vous insistez sur l’externalisation de la compétence hospitalière et la rationalisation des capacités d’accueil au profit d’autres pathologies ainsi que la réduction de la durée moyenne des séjours. Avez-vous déjà pu estimer les marges financières dégagées ou l’optimisation des plateaux techniques permise par l’HAD ?

L’HAD est une interface entre l’établissement de soins et le secteur ambulatoire. Elle a naturellement un rôle à jouer dans la transmission d’information dès lors qu’elle est adossée à un système d’information. Quel regard portez-vous sur les évolutions dans le domaine du numérique ?

Avez-vous étudié les incidences de l’HAD sur le taux d’infections nosocomiales ? Plus globalement, avez-vous évalué les bénéfices sanitaires de cette modalité de prise en charge ?

M. Jean-Paul Segade. Je regrette le manque d’études microéconomiques sur le système de santé par rapport aux études macroéconomiques. On devrait par exemple être en mesure de connaître les effets sur le fonctionnement interne d’un hôpital de la création de dix lits supplémentaires.

Cette analyse est d’autant plus indispensable que la médecine ne s’apparente pas à un processus industriel qui s’appuie sur une chaîne de production. J’ai compris la différence fondamentale entre les ingénieurs et les médecins : pour ces derniers, il n’y a pas de substitution des facteurs de production. Si vous remplacez un médecin par un autre, la production de soins n’est pas la même. Si vous remplacez un ingénieur chez Michelin, la fabrication de pneus sera identique.

La faiblesse des études microéconomique tient en partie à ce qu’on a longtemps raisonné sur un budget global, ce qui était bien plus rassurant. Mais aujourd’hui, la T2A oblige à plus de précision.

Le service d’HAD de l’AP-HM est aujourd’hui excédentaire. Nous avons démontré qu’il n’a pas été créé au détriment des ressources des autres services. J’évalue à 40 % l’effet indirect de l’HAD : non seulement celle-ci est rentable, mais elle permet de dégager des moyens pour développer l’activité et pour participer à la réduction du déficit. J’aurais aimé que cette évaluation soit réalisée par des experts, par l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP) par exemple.

Le recours aux technologies de l’information et de la communication va exploser, permettant d’assurer la transmission d’informations qu’évoquait M. Zanini. Les infections nosocomiales vont coûter de plus en plus cher : l’HAD est un moyen de remédier à ce problème.

Nous ne sommes malheureusement pas capables d’évaluer les incidences concrètes sur les acteurs – les médecins sont des cliniciens, pas des fondamentalistes – des choix qui sont faits.

M. le président Pierre Morange. Il est difficile de traiter les données au plan territorial pour évaluer les incidences économiques de l’HAD. Mais l’agrégation des données inexploitées sur les expérimentations des différentes HAD permettrait sans doute d’en évaluer les diverses conséquences, tant sur le plan budgétaire que sanitaire.

M. Jean-Paul Segade. Je partage votre analyse.

Le problème de l’insuffisance des études microéconomiques n’est pas propre à l’HAD. D’une manière générale, les études portent sur des agrégats, pas sur le comportement des acteurs. Je le comprends pour l’analyse d’un système industriel. Mais, cette démarche ne peut pas être opérante pour un système de santé dans lequel la relation entre les personnes reste essentielle. La transitivité n’existe pas : A travaille avec B, B travaille avec C, donc A travaille avec C : cet axiome ne se vérifie pas en médecine, car les questions personnelles interfèrent.

Il faut travailler sur les comportements. Ce sont eux qu’il faut changer, pas seulement les structures. M. Zanini a brillamment mené ce projet car il a travaillé sur les trajectoires et démontré aux médecins l’intérêt de l’HAD. Il n’a pas travaillé sur les structures mais sur les projets et leurs incidences concrètes. On peut regretter que les services de l’État n’exercent pas un regard comparatif sur ces expériences pour en tirer des leçons.

M. le président Pierre Morange. Messieurs, nous vous remercions.

Enfin la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale procède à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Claudine Bergoignan-Esper, présidente de la Fondation Santé Services, et de M. Michel Calmon, directeur général.

M. le président Pierre Morange. Nous avons le plaisir d’accueillir Mme Claudine Bergoignan-Esper, présidente de la Fondation Santé Service, et M. Michel Calmon, directeur général.

Mme Joëlle Huillier, rapporteure. Madame, monsieur, merci pour votre présence. Vous êtes les représentants de la plus grosse structure d’hospitalisation à domicile (HAD). Dans ces conditions, comment ne pas vous inviter à venir nous parler de l’HAD ?

Comment avez-vous monté votre structure ? Comment fonctionne-t-elle ? Comment s’est-elle développée ? Quels obstacles rencontrez-vous ? Comment fonctionne la tarification ? Quels sont les avantages et les inconvénients de l’hospitalisation à domicile ? Quels sont les différents systèmes de coordination que vous avez été amenés à mettre en œuvre avec les libéraux, les hôpitaux, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ou des services médico-sociaux ?

Mme Claudine Bergoignan-Esper, présidente de la Fondation Santé Service. Merci de nous permettre de nous exprimer au nom de notre structure, Santé Service.

En préliminaire, je vous parlerai ce que nous sommes et de ce que nous représentons. Santé Service est une fondation. À l’origine, nous étions une association, mais nous nous sommes transformés en fondation il y a deux ans, afin d’assurer à notre structure des fondements juridiques plus solides, ainsi qu’un poids plus important en termes de collecte de fonds et de legs au bénéfice de nos patients.

Santé Service a été créée en 1958, à l’initiative de la Ligue nationale contre le cancer et de l’Institut Gustave-Roussy (IGR). C’est sans conteste la plus ancienne structure d’HAD, et la plus importante du pays. À l’heure actuelle, nous procédons à 1 350 admissions par jour. Nous représentons 11 % de l’activité de l’HAD en France, et 53 % en Île-de-France. Notre budget est d’un peu plus de 100 millions d’euros, et nous employons 850 salariés.

Nous travaillons en Île-de-France, en nous partageant avec l’HAD de l’Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) d’une part, et celle de la Croix-Saint-Simon, d’autre part, qui sont les deux autres opérateurs les plus anciens.

Notre activité s’exerce dans le cadre de conventions de partenariats passées tout à la fois avec des établissements de santé et des établissements médico-sociaux, et bien entendu avec de très nombreux libéraux – au-delà de nos 850 salariés.

Nous sommes organisés en trois pôles d’activité.

Un pôle d’HAD proprement dite, avec 1 350 patients admis par jour : c’est ainsi qu’en 2015 nous avons réalisé 490 000 journées d’hospitalisation.

Un pôle médico-social, car nous gérons à la fois l’HAD et trois services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) dans les départements de la Petite Couronne : nous y avons 202 places de SSIAD, avec trois équipes spécialisées Alzheimer et une maison pour l’autonomie et l’intégration des malades d’Alzheimer (MAIA).

Un pôle de formation, enfin, spécialisé dans les formations en matière de soins à domicile : c’est un pôle de dimension nationale, qui s’étend au-delà de la région Île-de-France.

S’agissant de l’HAD, nous sommes répartis sur trois pôles géographiques – Ouest, Est et Sud de la région Île-de-France – qui concentrent des équipes soignantes, et bien sûr, toutes les catégories professionnelles utiles. Ces trois pôles ont des antennes sur le terrain
– 25 au total, la plupart dans des établissements de santé, ce qui permet de faire les admissions immédiatement et sur place.

Enfin, nous avons, ce qui nous est indispensable, un pôle pharmaceutique et logistique, mis en place il y a un an et situé à Villeneuve-la-Garenne, où nous avons déménagé notre pharmacie. Il est particulièrement bien équipé, avec une pharmacie à usage interne (PUI), comportant notamment une unité de reconstitution des chimiothérapies, et un centre logistique ultramoderne. C’est vraiment une performance.

Telle est la structure de Santé Service.

Vous m’avez par ailleurs demandé les difficultés que nous rencontrons. Je raisonnerai par rapport à l’HAD à Santé Service, mais aussi, de manière globale, par rapport à l’HAD en France.

Le rapport de la Cour des Comptes exprime une sorte de déception par rapport à l’objectif fixé à l’HAD en termes de développement. Nous avons essayé d’en analyser les causes.

Il faut toujours partir de l’idée que l’HAD est une prescription. Le patient ne va pas en HAD comme aux urgences ou chez son médecin en ville. Il lui faut une prescription médicale et, manifestement, cette prescription médicale se heurte à la méconnaissance de nos concitoyens comme à celle des prescripteurs potentiels.

On le constate à l’occasion de nos conversations, la population ne connaît pas l’HAD. Les familles qui en ont bénéficié sont en général très contentes, mais, la plupart du temps, elles ne savent pas que cela existe et ne demandent donc pas de prescription en ce sens au médecin. La récente loi de modernisation de notre système de santé dispose que les médecins doivent informer les patients sur l’ambulatoire et les soins à domicile. C’est symbolique, et c’est très bien, mais je crois qu’il faut passer à la mise en œuvre concrète, car il y a encore beaucoup à faire.

Par ailleurs, il y a manifestement une méconnaissance des prescripteurs potentiels eux-mêmes, qu’ils exercent en établissement de santé ou en ville – sans compter, de la part des médecins généralistes de ville, une certaine inquiétude à l’idée de constituer le dossier d’admission…

Je souligne d’emblée cette méconnaissance, qui me paraît constituer un frein très important. Il y a probablement là un travail très important à mener, une vraie campagne d’information à lancer. Il faut essayer de trouver des moyens de s’y prendre – par le biais des agences régionales de santé, en éditant de la documentation et en la diffusant aux cabinets des généralistes de ville, etc. – pour que la prescription d’HAD soit connue des patients comme des prescripteurs potentiels. Cela me paraît un point majeur.

Je laisse M. Calmon vous exposer les autres causes de difficultés que nous avons identifiées.

M. Michel Calmon, directeur général de Fondation Santé Service. Nous avons par ailleurs observé que le développement de l’HAD était souvent conditionné par l’intérêt à agir – qui est variable – des prescripteurs, et notamment des prescripteurs hospitaliers.

Les établissements qui ont des taux d’occupation très importants, avec des services qui sont saturés en termes d’activité, recourent volontiers à l’HAD. C’est particulièrement le cas pendant la période estivale, où il y a des fermetures de lits : en juillet et août, notre activité augmente de 20 %. Cela signifie que, lorsque les capacités en lits d’hospitalisation classique diminuent, l’HAD augmente. L’HAD est là pour permettre aux établissements de réduire la durée moyenne de séjour.

Depuis quelques années, la volonté des pouvoirs publics est de diminuer les capacités d’hospitalisation à temps complet. Il faut dire que la France, au regard de sa population, compte beaucoup plus de lits que dans d’autres pays européens : un tiers de plus que l’Allemagne, par exemple. Si cette politique de réduction du nombre de lits est engagée, l’intérêt à agir des établissements et des médecins prescripteurs stimulera le développement de l’HAD. Ce développement peut être encouragé par les ARS et favorisé par l’inscription, dans les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) des établissements de santé, d’objectifs de développement de l’HAD. Mais l’intérêt à agir en sera le principal moteur.

Je vous donnerai un deuxième exemple. Nous avons été créés à l’initiative de la Ligue contre le cancer, et nous sommes la principale structure qui fasse des chimiothérapies à domicile – 50 % des chimiothérapies en HAD. Nous développons les chimiothérapies là où les structures d’hôpital de jour sont saturées, et l’IGR est notre principal client. Nous avons en permanence quatre infirmières coordinatrices au sein de l’IGR, qui travaillent pour faire sortir les patients.

Les centres de lutte contre le cancer, les hôpitaux qui ont des hôpitaux de jour de chimiothérapie non saturés ne font pas appel à l’HAD, alors même que la Haute Autorité de santé recommande de développer les chimiothérapies à domicile lorsque les conditions de qualité et de sécurité sont équivalentes à celles de l’hôpital – ce qui est le cas pour les chimiothérapies sous-cutanées ou par voie orale.

Pour moi, ce sont les deux éléments essentiels, et l’on assistera à un très fort développement de l’hospitalisation à domicile si les pouvoirs publics diminuent le nombre de lits d’hospitalisation à temps complet.

Un autre obstacle s’oppose parfois au développement de l’HAD : le manque de visites à domicile du médecin traitant. Le médecin traitant est au cœur de l’HAD, et nous pensons qu’il est important qu’il le reste. La médecine libérale doit être très impliquée dans le fonctionnement et le suivi des patients hospitalisés en HAD. Mais, malheureusement, on le sait, les médecins libéraux ont tendance à se déplacer de moins en moins au domicile du patient. C’est un facteur qui peut empêcher une prise en charge en HAD.

Mme la rapporteure. Est-ce parce que les médecins n’ont pas le temps en raison du manque de médecins ? Est-ce parce qu’ils ne sont pas assez payés pour ces visites-là ?

M. Michel Calmon. Les deux.

Les médecins, notamment dans certaines zones rurales où ils ont une patientèle très importante, voient leurs patients en consultation et n’ont pas le temps de passer au domicile. Cela étant, il serait sans doute judicieux – et cela viendrait compléter les excellentes recommandations de la Cour des comptes – de favoriser, sur le plan tarifaire, la participation des médecins traitants à l’HAD, en particulier lorsqu’ils l’ont eux-mêmes prescrite. En effet, le contexte est différent lorsque c’est le médecin hospitalier qui fait la prescription et qui la réévalue régulièrement, et lorsque c’est le médecin libéral qui fait cette même prescription pour éviter une hospitalisation, car l’HAD lui demande un investissement important, pour lequel il n’est pas payé.

Il y a donc une marge de progression importante des prescriptions par la médecine libérale, mais il faudrait l’accompagner sur le plan tarifaire. Je pense que cela ne coûterait pas très cher à la sécurité sociale, dans la mesure où l’activité est encore assez marginale dans les prescriptions des médecins libéraux.

Un dernier obstacle a été pointé par la Cour des comptes : un mode de tarification désuet, qu’il faut faire évoluer, et un modèle économique qui est actuellement fragile.

De nombreuses structures d’HAD, notamment les plus petites, sont aujourd’hui en déficit – peut-être reviendra-t-on sur cette notion de taille critique des structures d’HAD. Une structure comme la nôtre n’est pas en déficit : nous sommes à l’équilibre, et nous faisons un excédent de l’ordre de 0,7 % de notre chiffre d’affaires, ce qui est très raisonnable, parce que nous arrivons à mutualiser. Mais il faut bien reconnaître que les petites structures peuvent avoir tendance à sélectionner les patients pour éviter de prendre ceux qui sont un peu moins rentables, un peu plus lourds, avec des médicaments non pris en charge dans le cadre du tarif HAD. Je pense donc qu’il faut en effet faire évoluer la tarification de l’HAD. La Cour des comptes a totalement raison sur ce point.

S’agissant du modèle économique, les indus qui sont réclamés par l’assurance maladie aux structures d’HAD posent problème. Ils correspondent à des cas où des médicaments, qui ne font l’objet d’aucun contrôle par la structure d’HAD, sont délivrés par les pharmacies d’officine à un patient, sur la base de l’ordonnance de son médecin traitant. L’assurance maladie considère alors que l’ensemble de ces médicaments, qu’ils correspondent ou non à une prise en charge au titre de l’HAD, sont à la charge de l’HAD. Un établissement comme Santé Service, au titre de 2013, s’est vu notifier une demande de remboursement d’indus d’un million d’euros ! Vous imaginez ce que cela peut représenter, et l’incertitude financière que cela occasionne pour les structures d’HAD.

Mme la rapporteure. L’assurance maladie considère que l’hospitalisation à domicile est destinée à remplacer l’hospitalisation traditionnelle. Quand quelqu’un est hospitalisé dans un établissement de soins, quelle que soit la pathologie, l’hôpital le prend en charge quand il a besoin d’un médicament au titre d’une autre pathologie. Si un patient hospitalisé en cardiologie, par exemple, se casse la jambe, l’hôpital le prendra en charge. L’assurance maladie considère sans doute que cela doit valoir aussi pour l’HAD.

J’arrive à l’admettre pour une structure d’HAD polyvalente, mais il y a aussi des structures d’HAD plus spécialisées. On pourrait penser que les médicaments autres que ceux relevant de la pathologie qui a permis la prise en charge par l’HAD devraient être payés en sus. Mais l’agrément des structures d’HAD fait-elle mention des pathologies ?

M. Michel Calmon. Non, la plupart sont polyvalentes, même si quelques-unes sont spécialisées – certaines en rééducation fonctionnelle, d’autres en obstétrique.

Nous ne contestons pas que certains médicaments, pendant la durée de prise en charge du patient en HAD, soient à la charge de celle-ci. Mais, dans ces notifications d’indus, l’assurance maladie considère que nous devons payer y compris pour la période où le patient n’est plus en HAD. Je m’explique : un patient est en trithérapie, qui lui a été prescrite, disons, pour deux mois ; il reste en HAD pendant une semaine, mais l’assurance maladie considère que nous devons payer aussi la trithérapie pendant les semaines où il n’est pas en HAD. Et cela, c’est tout à fait anormal.

Nous avons préparé une petite note que nous vous adresserons, car le dossier est assez technique. Nous pensons qu’il faut sans doute mieux prendre en compte les médicaments coûteux. Le ministère a prévu cette année de débloquer une enveloppe, qui devrait être de l’ordre de 4 millions d’euros pour l’ensemble des HAD, pour des médicaments coûteux qui sont hors liste en sus. C’est un premier pas, qui est très positif. On sent la volonté des pouvoirs publics, que ce soit au niveau national ou au niveau des ARS, d’accompagner le développement de l’HAD. Mais la tarification est à revoir.

Mme la rapporteure. Sur le sujet de la délivrance des médicaments, je voudrais vous poser une question, que vous allez peut-être trouver incongrue, et qui m’a été suggérée par un pharmacien. Il s’agit d’une structure d’HAD qui ne prend que des soins palliatifs, avec des décès qui interviennent généralement dans les huit jours. La prescription de pharmacie et de produits à usage unique est faite sur un mois, et la pharmacie délivre sur un mois, alors que tout le monde sait que le patient n’en a que pour huit jours. On est en droit de se demander ce que l’on fait de tous ces médicaments qui ont été payés par l’assurance maladie. Comment fonctionne, chez vous, la distribution de médicaments ?

M. Michel Calmon. Nous avons une pharmacie à usage interne (PUI), ce qui est une manière d’exception, car les petites structures d’HAD ne peuvent pas se le permettre. Ce sont donc nos pharmaciens qui gèrent le circuit du médicament. Nous essayons de délivrer les médicaments en fonction de la durée prévisionnelle de l’hospitalisation, pour éviter le gaspillage, et les livraisons de médicaments sont régulièrement renouvelées. Tous les jours, environ 800 colis de dispositifs médicaux partent au domicile des patients dans les huit départements d’Île-de-France.

M. le président Pierre Morange. Santé Service est la structure d’HAD la plus ancienne, puisqu’elle a été créée en 1958. Elle occupe une place prédominante. Au fil du temps, avez-vous pu mettre en évidence les économies que vous avez su dégager au travers de ce mode de prise en charge alternatif ? Le rapport de la Cour des comptes a déploré l’absence de véritables études médico-économiques et micro-économiques. Mais votre expérience vous a sans doute permis de dégager quelques tendances et quelques règles, qui pourraient servir d’argument à la nécessité de développer l’HAD. Avez-vous des informations sur ce sujet ?

Par ailleurs, où en êtes-vous en matière de système d’information ? En effet, la démarche de l’hospitalisation à domicile étant marquée par l’horizontalité, par une logique d’interfaces entre les établissements de santé et le secteur ambulatoire, la transmission d’informations est absolument stratégique.

Le dossier médical personnel (DMP) a subi les vicissitudes de l’histoire, et il ressemble davantage à l’Arlésienne qu’à un dispositif finalisé. Il est repris désormais, depuis la décision – d’ailleurs fort pertinente – de Mme la ministre, par l’assurance maladie. Il semble d’ailleurs plus logique que ce soit l’assureur obligatoire qui centralise ces données, sachant qu’il est déjà adossé sur un stock de données de santé, au travers du programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) et du système d’information inter-régimes de l’assurance maladie (SNIIRAM).

Où en êtes-vous ? Avez-vous, compte tenu de tout cela, déjà pris des contacts ? La Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) a-t-elle pris des contacts avec vous pour donner toute la cohérence à votre dispositif ?

M. Michel Calmon. Premièrement, je pense que l’avantage économique du recours à l’HAD est assez évident : notre coût moyen est de 200 euros par jour. En tant qu’ancien directeur d’hôpital public, je connais bien les coûts des journées d’hospitalisation, y compris en hôpital de jour, et je peux vous dire qu’il n’y a pas de contestation possible… Certes, la Cour des comptes a raison : il y aurait dû y avoir davantage d’études médico-économiques. Mais toutes celles qui ont été menées ont conclu au fait que l’hospitalisation à domicile faisait économiser beaucoup d’argent à l’assurance maladie.

M. le président Pierre Morange. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur le sujet ? Avez-vous des chiffres qui, sans entrer trop dans les détails, joueraient en faveur de l’accélération de la politique de développement de l’HAD ?

M. Michel Calmon. Plusieurs études ont été menées. S’agissant des chimiothérapies à domicile, les chiffres sont probants, avec des écarts de 30 % entre une HAD et une hospitalisation classique – sans compter le fait que l’on économise des frais de transport et que l’on réduit la fatigue des patients, qui n’ont plus à se rendre à l’hôpital depuis leur domicile.

M. le président Pierre Morange. Les transports sanitaires ont aussi fait l’objet d’une étude de la MECSS, qui n’a toutefois pas eu la résonance que l’on aurait pu espérer…

M. Michel Calmon. Je pense en effet qu’il faut développer ces études, au niveau de l’hôpital comme au niveau des prestataires. Vous avez auditionné Élisabeth Hubert, la présidente de la Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile (FNEHAD), dont je suis moi-même vice-président. Notre fédération souhaite que l’on puisse procéder à des comparaisons.

Dans les coûts de l’HAD, il y a des coûts de prise en charge, mais c’est une prise en charge globale, avec un aspect psychologique et un aspect social qui sont très importants, et avec, surtout une coordination, qui n’est pas assurée par les prestataires intervenant à domicile. Or, quand on fait une comparaison, il faut tout intégrer. En tout cas, nous sommes prêts à participer à toute évaluation économique permettant de confirmer l’écart de coût entre l’HAD et les autres modes de prise en charge.

J’en viens à votre deuxième question sur les systèmes d’information : je pense que l’on a en effet un peu de retard dans le secteur de l’HAD. Fin 2016, nous avons prévu de mettre en place un dossier patient informatisé. Nous avons déjà un logiciel « métiers » qui permet des échanges d’informations. Mais, avec la médecine libérale et les professionnels libéraux en général – puisque nous faisons aussi intervenir des infirmières libérales –, la transmission se fait encore par le biais de dossiers papier au domicile du patient. Il faudra en arriver à un dossier informatisé, partagé, qui puisse être enrichi au fur et à mesure par les professionnels libéraux.

M. Gérard Bapt. Je voudrais vous poser une question qui concerne les échanges d’informations. Disposez-vous de tablettes pour accompagner chaque patient à domicile ?

M. Michel Calmon. Nous avons fait un choix technologique différent. Nous avons équipé tous nos soignants d’un smartphone, qui est l’instrument de liaison entre l’ensemble des structures de Santé Service. Par exemple, l’infirmière à domicile photographie avec son téléphone l’ordonnance, qui est ainsi intégrée au système d’information de la PUI. Tous les protocoles sont également intégrés de cette façon, et nous avons même mis en place une gestion automatisée des tournées des infirmières, de façon à les optimiser selon les domiciles des patients.

Nous en sommes donc à un niveau d’informatisation avancé, mais l’étape décisive sera, en fin d’année, ce dossier patient informatisé et partagé.

M. le président Pierre Morange. Sous le contrôle de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) ?

M. Michel Calmon. Oui, bien sûr.

Mme Claudine Bergoignan-Esper. Nous sommes très vigilants sur ce point.

M. Gérard Bapt. L’intérêt de la tablette est qu’on peut la laisser au chevet du malade et que l’aide-soignante ou l’aide à domicile peut y déposer des messages. Est-ce possible avec un smartphone ?

M. Michel Calmon. L’idée est que les professionnels de santé libéraux puissent avoir accès au dossier des patients par l’intermédiaire du smartphone et y ajouter des informations. Mais il est vrai qu’il y a deux écoles : certaines structures préfèrent la tablette, nous avons fait le choix du smartphone.

Mme la rapporteure. Vous nous avez parlé des liens que vous aviez avec les établissements hospitaliers, notamment avec l’IGR. Mais avez-vous des liens avec les EHPAD ? Comment les avez-vous instaurés ? Quel est le type de prise en charge ? Comment fonctionne le dispositif ?

M. Michel Calmon. Depuis que les HAD ont la possibilité d’intervenir en EHPAD, établissement considéré comme le domicile du patient, nous avons développé 350 conventions avec les EHPAD d’Île-de-France. Mais il n’y en a qu’une cinquantaine dans lequel nous recourons vraiment à ce mode de prise en charge.

Pourquoi ? Je pourrais évoquer, d’une manière un peu facile, l’abattement de 13 % sur le tarif appliqué aux HAD lorsqu’elles interviennent en EHPAD. Mais, pour moi, ce n’est pas le problème majeur. Le problème majeur est, une fois encore, la méconnaissance, de la part des praticiens comme de la part des EHPAD, de ce qu’est l’HAD. Pour vous donner un exemple, nous sommes très souvent sollicités par des EHPAD pour intervenir la nuit parce qu’il leur manque une infirmière, alors que ce n’est pas notre rôle.

Lorsque nous intervenons en EHPAD, il y a une période d’accoutumance pour les deux équipes qui doivent travailler en bonne intelligence. Cela prend un peu de temps, mais, une fois passée cette période d’accoutumance, le système fonctionne très bien.

Il faut que les ARS se montrent très résolues à introduire, dans les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) qui vont remplacer les conventions tripartites, des objectifs volontaristes de recours à l’HAD, qu’il s’agisse des EHPAD ou des établissements de santé. Les établissements doivent se mobiliser pour plus recourir à ce type de prise en charge. Dans les EHPAD en particulier, la marge de progression reste importante…

C’est un peu plus compliqué dans les établissements pour handicapés, car les prises en charge y sont extrêmement complexes. Il y a une forte disproportion entre les moyens à mettre en œuvre et les tarifs appliqués, qu’il faudrait sans doute revoir.

M. le président Pierre Morange. Est-ce qu’un patient hébergé en EHPAD continue à payer son forfait hôtelier lorsqu’il est hospitalisé ?

Mme la rapporteure. Bien sûr. Il faut bien que sa chambre soit payée par quelqu’un.

M. le président Pierre Morange. Justement, et la question est de savoir si c’est vraiment le cas. Si ce n’était pas le cas, ce serait un manque à gagner pour l’EHPAD, et cela pourrait expliquer le fait que, sur les 350 conventions signées avec les structures d’HAD, 50 seulement soient effectives. Je pense que cela vaut la peine de creuser le sujet.

M. Claudine Bergoignan-Esper. C’est peut-être une explication.

M. Michel Calmon. En tant que structure leader, nous réfléchissons à des modes de prise en charge innovants – prise en charge des malades chroniques, ou des insuffisants cardiaques et respiratoires. Nous expérimentons des modes de prise en charge post-urgence, pour faire sortir plus rapidement les patients se trouvant aux urgences dans des unités de courte durée ; nous y travaillons actuellement avec le centre hospitalier de Poissy. Il semblerait que le plus efficace soit d’éviter que la personne âgée aille aux urgences, et donc de la prendre en charge en hospitalisation à domicile au sein de l’EHPAD.

Mme la rapporteure. Nous savons que l’HAD représente 1 % des dépenses d’hospitalisation, et 1,3 % du total des dépenses hospitalières, et certains en concluent qu’elle coûte plus cher que l’hôpital. Mais le problème n’est pas là : le problème est que l’on ne sait pas traiter les dépenses qui ont été évitées. Et tant que l’on n’arrivera pas à développer l’HAD de façon à réduire le nombre de lits d’hospitalisation, l’économie qu’elle permet ne sera pas visible.

M. Michel Calmon. Je pense qu’il faut faire l’inverse : commencer par réduire le nombre de lits dans les établissements, car c’est cela qui permettra de développer l’HAD.

Je voudrais appeler l’attention de votre mission sur un autre élément : actuellement, on interdit une prise en charge en HAD post-chirurgie ambulatoire ; on l’interdit également pour un patient soigné en hôpital de jour pour des soins de suite et de réadaptation (SSR). La sécurité sociale ne veut pas payer deux fois.

Actuellement, nous en sommes à un taux de 50 % de chirurgie effectuée en ambulatoire, ce qui n’est pas mal. Mais d’autres pays sont à 70 % ou 80 %. On pourrait sans doute développer le taux de chirurgie ambulatoire, pour permettre à des patients actuellement pris en charge en hospitalisation à temps complet de basculer en chirurgie ambulatoire. Mais ce n’est possible que s’il y a, derrière, une prise en charge en HAD. Pour cela, il faut lever ce verrou de l’incompatibilité entre la chirurgie ambulatoire et l’HAD.

De la même manière, nous travaillons avec un centre de soins de suite et de réadaptation, les Châtaigneraies, dans le 15e arrondissement de Paris. Ils ne font que des hospitalisations de jour, des soins de suite et de réadaptation. La seule façon de contourner l’incompatibilité entre une prise en charge en HAD et un accueil de jour en SSR serait d’enregistrer l’entrée et la sortie du patient à chaque fois qu’il vient faire sa séance, c’est-à-dire, en règle générale, trois fois par semaine ! Supprimer cette incompatibilité permettrait de développer le recours à l’HAD en France.

Mme la rapporteure. Aujourd’hui, la réglementation de la sécurité sociale ne permet pas d’avoir une double prise en charge dans une même journée. Donc, quand vous êtes en hospitalisation de jour, que ce soit en soins de suite ou en chirurgie ambulatoire, vous ne pouvez pas, en même temps, être en hospitalisation à domicile. C’est encore pire avec la chirurgie ambulatoire, conçue à l’origine pour des personnes qui, théoriquement, ne doivent pas être en hospitalisation. Comme l’HAD, c’est de l’hospitalisation, on ne peut pas faire de l’HAD sur de l’ambulatoire ! Je précise que j’ai été directrice d’un centre de sécurité sociale…

Mme Claudine Bergoignan-Esper. Je voudrais évoquer la question de la taille des structures d’HAD. À notre sens, il faut vraiment plaider pour les regroupements des petites structures. C’est souhaitable à plusieurs points de vue : sur le plan économique, sur le plan de la qualité des soins, et bien entendu sur le plan de la sécurité sanitaire. Cela nous paraît très important. Il faut donc faire en sorte que le développement de l’HAD ne se traduise pas par l’essaimage de petites structures, comme on le constate systématiquement.

Je signalerai maintenant le cas particulier de l’Île-de-France. À la suite de la circulaire de 2013, les ARS ont donné une nette impulsion au développement de l’HAD. Dans notre région, et dans notre région seulement, un appel d’offres a été lancé pour les zones qui étaient déficitaires en HAD. Nous avons bien sûr répondu à l’appel d’offres, mais nous sommes un peu inquiets. En effet, la situation en Île-de-France est relativement équilibrée, et nous voudrions éviter que de l’arrivée de nouveaux opérateurs ne vienne y mette fin.

Mme la rapporteure. L’appel d’offres est lié à un manque de couverture territoriale.

M. Michel Calmon. C’est un peu ambigu. Certaines zones sont déficitaires, avec de faibles taux de recours à l’HAD. Certaines ARS en concluent que les opérateurs ne sont pas suffisamment présents, mais ce n’est pas la réalité. La réalité est qu’il n’y a pas assez de prescriptions.

Santé Service ne sélectionne pas ses patients, et n’en a jamais refusé aucun, même avec des modes de prise en charge déficitaires. Le problème vient du manque de prescriptions dans certaines zones, dû aux raisons qui ont été évoquées.

Un point me semble important. Pour mieux sensibiliser les médecins, qu’ils soient libéraux ou hospitaliers, il faudrait intégrer un module HAD dans le cursus des formations médicales, et prévoir, pendant les stages d’internat, un passage obligatoire dans des structures d’HAD. Cela permettrait aux médecins de connaître l’HAD, de se familiariser avec ce type de prise en charge, et donc de le prescrire plus volontiers.

Mme Claudine Bergoignan-Esper. De la même façon, pour les infirmiers et les infirmières, il serait bon de prévoir, pendant leur formation initiale ou en formation continue, un enseignement spécifique et un passage en HAD.

Enfin, comme l’a dit M. Calmon, il faudrait fixer des objectifs quantifiés dans les CPOM des établissements. Les ARS, dont celle d’Île-de-France, le font. Mais on pourrait certainement aller plus loin.

Mme la rapporteure. C’est valable aussi pour les EHPAD, qui vont maintenant signer des CPOM.

Quoi qu’il en soit, il me semble en effet indispensable d’intégrer l’HAD dans les objectifs des CPOM. On y gagnerait sur le plan économique. On le sait bien, de nombreuses personnes âgées viennent aux urgences des hôpitaux, alors qu’elles pourraient relever de l’HAD.

M. le président Pierre Morange. Nous avons bien noté que les ARS avaient changé leur façon de raisonner : désormais, c’est l’offre qui va induire la demande, comme dans toute procédure concurrentielle, alors que les règles de la comptabilité publique conduisent au contraire à se focaliser sur la demande afin de recaler l’offre…

Madame, monsieur, il ne me reste plus qu’à vous remercier pour la qualité de vos interventions.

La séance est levée à dix-neuf heures cinq.