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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Mardi 1er mars 2016
La séance est ouverte à seize heures quinze.
(Présidence de M. Pierre Morange, coprésident de la mission)
La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède d’abord à l’audition, ouverte à la presse, du Dr Valérie Blandin-Matas, consultante au sein du cabinet Quo Valis Santé sur l’hospitalisation à domicile.
M. le président Pierre Morange. La mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a le plaisir d’auditionner aujourd’hui, dans le cadre de ses travaux sur les évolutions de l’hospitalisation à domicile, sujet sur lequel la Cour des comptes vient de rendre public son rapport, le Dr Valérie Blandin-Matas, consultante au sein du cabinet Quo Valis Santé.
Mme Joëlle Huillier, rapporteure. Nous sommes d’autant plus heureux de vous accueillir que cette audition est un souhait partagé, puisque vous nous avez fait part de votre désir de vous exprimer devant la MECSS sur les liens entre l’hospitalisation à domicile (HAD) et les prestataires de santé. Nous commencerons donc par écouter ce que vous avez à nous dire avant de vous interroger sur les sujets qui nous préoccupent et de procéder à un échange de vues.
Dr Valérie Blandin-Matas, consultante au sein du cabinet Quo valis Santé. Je peux vous offrir sur la question de l’hospitalisation à domicile une vision transversale, fruit de ma triple formation, puisque, médecin, je suis également diplômée d’une école de management des entreprises de santé et j’ai dirigé pendant plus d’une dizaine d’années des structures de soins à domicile. Cela m’a permis d’acquérir une solide culture réglementaire dans le domaine de la santé, indispensable lorsqu’il s’agit de développer de nouveaux modèles et de nouveaux outils.
Consultante depuis plus de cinq ans, j’accompagne aujourd’hui les industriels pour mettre en œuvre de nouvelles technologies et je suis amenée à être en contact avec l’ensemble des acteurs de la prise en charge médicalisée à domicile, que ce soit les structures d’HAD, les prestataires de santé à domicile ou les intervenants libéraux, infirmières, médecins traitants et spécialistes. J’ajoute, par parenthèse, que je vis également l’hôpital à travers mon mari, chef de service des urgences de son établissement et président de la commission médicale d’établissement (CME).
Cette pluralité d’approches me conduit à m’intéresser tout particulièrement à la manière dont l’HAD se positionne dans son environnement. Lorsque l’on regarde la manière dont évolue l’hôpital, on ne peut en effet concevoir que l’HAD – qui est une forme d’hospitalisation – n’évolue pas avec lui. Or on constate qu’elle ne se développe pas autant qu’elle le devrait.
J’aborderai la question sous un autre angle car, si l’HAD semble stagner quelque peu, les expériences de prise en charge à domicile, elles, se multiplient et, à l’exemple du programme d’accompagnement du retour à domicile (PRADO), elles ont montré leur capacité à se développer. Je pense notamment aux prestataires de santé à domicile, qu’il ne faut pas opposer à l’HAD mais considérer comme complémentaires.
J’ai eu la chance dans les années quatre-vingt-dix d’être à l’origine du développement de ce secteur, qui n’était rien d’autre qu’une somme de « quincailleries médicales » avant de se transformer, en une vingtaine d’années, en véritable acteur de santé, capable de prendre en charge les patients en s’appuyant sur des technologies de plus en plus complexes et avec un niveau de sécurité croissant. J’en veux pour preuve la sortie de la future liste des produits et prestations (LPP) sur la prise en charge des perfusions à domicile, qui confère aux prestataires un degré de compétence supplémentaire et va les obliger au même titre que les pharmaciens d’officine à assumer de nouveaux actes.
Il serait donc trop restrictif de ne considérer que l’évolution de l’HAD, d’autant que les acteurs impliqués dans les soins à domicile – infirmières libérales et médecins traitants – sont les mêmes en HAD ou dans le cas de recours à des prestataires.
M. le président Pierre Morange. Au-delà des raisons qui peuvent justifier que la progression de l’HAD reste en deçà des objectifs ministériels, la MECSS s’intéresse, dans le cadre de l’évaluation qu’elle conduit, aux éléments de comparaison entre professionnels de santé qui effectuent des actes similaires. Or, d’après la Cour des comptes et certains des intervenants que nous avons auditionnés, il apparaît qu’il n’est pas toujours aisé, notamment au plan technique, de comparer des procédures de soins qui varient selon les dispositifs de prise en charge à domicile, qu’il s’agisse d’HAD ou de services de soins infirmiers à domicile (SSIAD). De même, les données économiques dont disposent la Cour des comptes et les administrations centrales restent parcellaires. Votre expérience de consultante pourrait-elle nous éclairer, en particulier sur les différentiels de coûts de gestion entre l’hospitalisation, l’HAD et le SSIAD pour les pathologies classiques prises en charge à domicile ?
Dr Valérie Blandin-Matas. Votre question est essentielle, mais que doit-on comparer ? Aujourd’hui, après une opération chirurgicale, on peut, au lieu de rester hospitalisé, repartir chez soi le soir même ; encore faut-il être accompagné et suffisamment vaillant, ce qui n’est pas toujours le cas. Le choix entre les différents schémas est donc une question d’efficience. Dans le cas de certains soins lourds, complexes et réalisés dans le cadre d’un parcours coordonné, la prise en charge est telle que, sans l’HAD, les patients devraient être hospitalisés à nouveau.
Je plaide donc pour repenser les soins à domicile hors des schémas traditionnels obsolètes, puisque ce sont souvent, je le répète, les mêmes acteurs qui interviennent quel que soit le cadre. Tantôt ce sera au prestataire d’intervenir, tantôt le patient relèvera de l’HAD. Je pense en particulier aux pathologies chroniques comme l’insuffisance respiratoire. Il arrive aux malades appareillés sous oxygène par les prestataires de décompenser et de devoir se rendre aux urgences. Pour l’éviter, les urgentistes rêveraient que soit mise en place une structure de télésanté permettant de surveiller la saturation à distance. Au lieu de quoi, les malades dont l’état s’aggrave sont parfois placés en HAD, et désappareillés par le prestataire si celui-ci ne travaille pas avec la structure d’HAD qui assume la nouvelle prise en charge. En définitive, cela nuit au patient et n’est pas efficient. D’où mon obsession de ne pas opposer les structures. Le rapport de la Cour des comptes parle de concurrence entre les structures mais, aujourd’hui, tout le monde ne peut pas se payer le nec plus ultra, et l’important est de déterminer pour chaque patient et chaque pathologie le cadre de soins acceptable et approprié.
Mme la rapporteure. On est là au cœur de la problématique : existe-t-il des critères précis permettant de déterminer si tel ou tel patient relève de l’hospitalisation classique, de l’HAD ou du SSIAD, avec intervention ou non des prestataires de santé, dont je rappelle qu’à l’origine ils n’étaient que des fournisseurs d’appareillage ?
Dr Valérie Blandin-Matas. Les critères qui permettaient auparavant d’établir que l’HAD était une alternative à l’hospitalisation n’ont plus de sens aujourd’hui compte tenu de l’évolution des technologies. Nous assistons à une véritable révolution, celle de la télésanté, qui permet de suivre le patient dans un environnement sécurisé, grâce à l’installation à son domicile de micro-systèmes « prêt à fonctionner » qui vont permettre la transmission des différentes données concernant son état de santé. Dans ces conditions, c’est désormais aux experts de décréter ce qui relève ou non de l’HAD. Dès l’instant où un patient est pris en charge à domicile pour une polypathologie, c’est au praticien hospitalier, médecin spécialiste, de se charger des prescriptions.
Mme la rapporteure. À votre avis, est-ce que le médecin généraliste peut être prescripteur de l’HAD ?
Dr Valérie Blandin-Matas. Non.
Mme la rapporteure. Est-ce parce qu’il n’a pas été formé et n’a pas les compétences pour cela ? La décision ne pourrait-elle pas lui incomber ?
Dr Valérie Blandin-Matas. Dans l’idéal vous avez raison mais, en pratique, malgré la volonté politique d’installer le médecin généraliste au cœur des dispositifs de prise en charge, celui-ci est débordé et, compte tenu du peu de temps dont il dispose pour chaque consultation, il ne peut être au mieux qu’un orienteur. Or il lui est plus simple d’orienter son patient vers les urgences, où celui-ci sera reçu rapidement, que vers une HAD, qui est une procédure longue et complexe à mettre en place.
Mme la rapporteure. Pensez-vous que rémunérer le médecin généraliste pour la gestion de ces prescriptions serait de nature à améliorer le fonctionnement du système, ou y a-t-il également un problème de compétences ?
Dr Valérie Blandin-Matas. Il est certain que la modicité du prix des consultations est un obstacle, mais augmenter la rémunération ne peut suffire ; c’est aussi une question de temps et de disponibilité, et il faudrait que le médecin traitant soit accompagné.
Mme la rapporteure. Par qui ?
Dr Valérie Blandin-Matas. Je vous répondrai en vous renvoyant au développement et à l’évolution du métier des prestataires qui n’a été possible que parce qu’ils ont usé de temps et de pédagogie pour convaincre les médecins prescripteurs que leurs patients pouvaient être soignés à domicile en toute sécurité. Cela n’a pas été sans mal et, croyez-moi, dans les années quatre-vingt-dix, il a fallu s’y reprendre à plusieurs fois pour convaincre les praticiens hospitaliers que des patients greffés qui souffraient d’infections à cytomégalovirus traitées par Cymevan en perfusion pouvaient être soignés à domicile. Cela a été long mais, dès lors qu’ils ont compris que cela permettait notamment d’éviter les infections nosocomiales, le transfert de ces patients à pathologies lourdes a connu un essor majeur.
Mme la rapporteure. Vous pensez donc que les médecins généralistes, mais également les médecins hospitaliers, devraient être accompagnés pour permettre une meilleure gestion des soins à domicile ?
Dr Valérie Blandin-Matas. Les prises en charge lourdes sont souvent prescrites par les médecins hospitaliers qui sont des spécialistes. Ne soyons pas hypocrites : le médecin généraliste n’a ni les compétences ni le temps d’assumer toutes les prises en charge. Dans les faits, lorsqu’en soirée le laboratoire renvoie les résultats de l’INR (International Normalized Ratio) d’un patient décoagulé et qu’ils sont mauvais, le médecin traitant n’est plus là et c’est le médecin de garde de l’HAD qui fait les prescriptions. S’il ne faut pas exclure le médecin traitant de la boucle, il faut aussi savoir s’en remettre aux médecins coordonnateurs de l’HAD, qui sont souvent formés à la gériatrie, à la douleur et aux soins palliatifs et ont, de ce fait, un véritable rôle à jouer dans la prise en charge médicale, en lien avec les médecins hospitaliers.
Mme la rapporteure. Selon que l’HAD succède à une hospitalisation ou qu’elle soit une solution pour l’éviter, le prescripteur n’est pas le même ; dans un cas, c’est le praticien hospitalier, dans l’autre c’est le médecin traitant. Mais, une fois l’HAD mise en place, son suivi ne doit-il pas relever du médecin coordonnateur, qui n’est ni le médecin hospitalier ni le médecin traitant, ce qui permettrait de soulager ce dernier d’une charge lourde ?
Dr Valérie Blandin-Matas. J’en suis persuadée, notamment lorsque les soins dépassent le champ de compétences du médecin traitant, l’essentiel étant d’éviter autant que faire se peut les hospitalisations qui peuvent l’être. La décision relève d’ailleurs souvent du médecin urgentiste à qui a été adressé le patient par son médecin traitant et à qui il revient en dernier recours de prendre la décision d’hospitaliser, ce qu’il ferait moins souvent s’il était assuré que l’HAD puisse être rapidement mise en œuvre. Tout est là : tandis que les prestataires de santé font preuve d’une très forte réactivité, lorsqu’il est question de l’HAD, le terme qui revient le plus souvent est celui de lourdeur. Dès lors, lorsqu’un patient a besoin d’une solution dans la journée, il est orienté vers l’hôpital.
Mme la rapporteure. En matière d’hospitalisation à domicile, les structures sont très variées. Certaines ne fonctionnent ni le week-end ni la nuit, et il serait souhaitable de s’interroger sur les agréments qui leur sont délivrés.
Dr Valérie Blandin-Matas. En effet, l’HAD n’est pas monolithique. Elle est opérée par des structures aussi différentes que les gros établissements que sont Santé Service à Paris ou Soins et Santé à Lyon et les HAD hospitalières qui ne disposent que d’une quinzaine de places. Il est évident que les gros établissements parviennent à équilibrer leur bilan grâce aux économies d’échelle qu’ils réalisent et qui leur permettent de se développer en améliorant leur qualité de service.
Si aujourd’hui la prise en charge médicale à domicile par les prestataires de soins est dix fois plus importante que l’HAD, c’est que les prestataires ont grandi pour atteindre la taille critique leur permettant d’optimiser leurs coûts de structure. On peut donc affirmer que le regroupement des structures d’HAD, même si elle se traduit par un maillage plus lâche du territoire, ne pourra être que bénéfique dès lors que ces structures auront atteint une taille qui leur permettra d’intervenir sur de larges périmètres, quitte à mutualiser services et astreintes pour compenser le coût des déplacements.
M. le président Pierre Morange. En filigrane de vos propos apparaît la question des ressources humaines permettant d’assurer la permanence et la qualité du service. Vous avez souligné par ailleurs la lourdeur administrative des procédures d’HAD. Les prestataires de soins sont sans doute plus réactifs mais – et c’est le revers de la médaille – ils n’assurent pas la permanence des soins.
Dr Valérie Blandin-Matas. C’est pourtant inscrit dans leurs statuts.
M. le président Pierre Morange. Sans doute, mais ce n’est pas toujours le cas. Quoi qu’il en soit, des études ont-elles été menées pour évaluer les besoins des HAD en médecins coordonnateurs, pour un maillage optimum du territoire ?
J’aimerais enfin votre avis sur la question du partage de l’information dans un système dont on sait à quel point il est parfois éclaté et cloisonné et où le support papier reste dominant. En attendant que soit enfin mis en place le dossier médical partagé – désormais dossier médical personnel – dont la gestion a été confiée à l’assurance maladie, qu’en est-il de la coordination sur un territoire donné entre le secteur hospitalier, le secteur ambulatoire, le coordonnateur de l’HAD et les prestataires ? Pensez-vous que ce sont les grosses structures qui sont le mieux armées pour organiser une forme de planification efficace ?
Dr Valérie Blandin-Matas. En la matière, Soins et Santé, dont le directeur a beaucoup œuvré pour développer les systèmes d’information, jusqu’à éliminer le papier y compris pour les ordonnances, est un modèle d’organisation.
La télémédecine, qui permet le relevé de paramètres à distance, doit permettre de limiter le nombre des intervenants à domicile, ce qui est essentiel car le défilé quotidien de cinq à six personnes chez un patient peut avoir des effets délétères aussi bien sur lui que sur sa famille. Plus globalement, les progrès en matière de téléradiologie, de télécardiologie et de traitement à distance des insuffisances respiratoires vont être décisifs dans les dix prochaines années et doivent participer de la réorganisation du système.
Quant au recrutement de médecins coordonnateurs, la médecine actuelle, qu’on le veuille ou non, évolue vers le salariat, et l’HAD offre dans cette optique des perspectives très intéressantes pour peu que le rôle du médecin coordonnateur soit clairement redéfini, notamment pour qu’il puisse être prescripteur au même titre que le praticien hospitalier ou le médecin traitant.
Mme la rapporteure. Qu’en est-il des aidants familiaux ?
Dr Valérie Blandin-Matas. Les aidants familiaux jouent un rôle-clef dans les soins à domicile, en ambulatoire comme en HAD. Dans ce dernier cas, où le patient peut être très âgé, avec des séquelles d’AVC, la tâche est particulièrement lourde pour le conjoint, lui aussi âgé et dont la santé est parfois fragile. Reste que, si l’HAD correspond au souhait du patient et de sa famille, il faut respecter ce choix, sachant qu’il se traduit par un véritable envahissement du domicile par le matériel de soins et le lit médicalisé. Ce n’est donc pas toujours facile, et l’on pourrait imaginer de proposer à ces aidants familiaux le soutien d’une aide-ménagère ou de personnes leur permettant de prendre un peu de répit.
Mme la rapporteure. L’HAD, telle qu’elle est organisée actuellement ne prend pas suffisamment en compte cette nécessité d’accompagner les aidants familiaux. Il me semble que cette aide devrait être incluse dans la tarification de l’hospitalisation à domicile.
Dr Valérie Blandin-Matas. En HAD, les durées de séjour restent limitées, ce qui n’exclut pas une aide à domicile. En revanche, lorsque le patient est suivi dans le cadre d’une prestation de soins à domicile avec infirmière libérale, cela peut être beaucoup plus long.
Mme la rapporteure. La durée d’une HAD peut varier. Lorsqu’il s’agit d’un patient en fin de vie, elle est assez rapide mais, lorsqu’elle concerne un malade chronique, elle peut se prolonger pendant plusieurs mois. Dans l’un et l’autre cas, l’accompagnement que l’on peut proposer aux aidants est différent, et nous devons y réfléchir.
En matière de coordination, il y a des cas où ce sont des infirmières qui organisent la gestion des soins. Ne serait-il donc pas pertinent d’envisager la délégation de certaines tâches des médecins aux infirmières ?
Dr Valérie Blandin-Matas. La loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST) a en effet permis cette forme de transfert de compétences, qui fonctionne dans certains endroits de manière extraordinaire. Malheureusement, il s’agit d’une procédure d’une incroyable lourdeur administrative : il faut souvent attendre deux ans pour que la Haute Autorité de santé (HAS) rende un avis positif, puis obtenir de l’agence régionale de santé (ARS) qu’elle prenne un arrêté. Lorsque l’arrêté est pris – désignant nominativement le délégant comme le délégué – il faut encore que soit respecté un protocole drastique imposant un certain nombre d’heures de formation et une évaluation dans la durée de la délégation : en définitive, la démarche aura pris trois ans. C’est pour cela que, dans les faits, il existe de très nombreuses délégations dépourvues de fondement régulier, et l’on croise les doigts pour qu’aucun problème de responsabilité médicale ne se pose dans ces situations, sachant que les médecins qui pratiquent ces délégations le font parce qu’elles concernent des protocoles et des gestes n’emportant pas de risques majeurs.
Mme la rapporteure. Qu’avez-vous à nous dire de l’HAD dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et dans les établissements pour handicapés ?
Dr Valérie Blandin-Matas. Cette question n’est malheureusement pas au cœur de mon registre de compétences, même si mon expérience de terrain me laisse penser que, dans certains EHPAD, les infirmières ou les aides-soignantes sont parfois très seules, le corps médical ne s’impliquant pas beaucoup.
En EHPAD, le personnel qui assure la prise en charge est souvent un personnel peu qualifié. L’HAD étant complexe à mettre en place, elle exige d’être parfaitement organisée et structurée et nécessite que les différents médecins se coordonnent, ce qui n’est pas toujours évident.
Mme la rapporteure. Il existe différents types de structure. Faut-il plutôt privilégier des structures publiques ou privées, autonomes ou rattachées à un établissement ?
Dr Valérie Blandin-Matas. Tout dépend du contexte. Le secteur privé commercial s’est développé mais dans des proportions limitées, car il a laissé passer l’époque, il y a une dizaine d’années, où les tarifs de l’HAD étaient incitatifs et assuraient une rentabilité pérenne. Celle-ci n’est plus garantie aujourd’hui que les tarifs sont bloqués et que les coûts ont augmenté. Le secteur privé commercial a pourtant des atouts, notamment en matière de communication et de promotion des techniques auprès des praticiens. Or le développement de l’HAD passera obligatoirement par des actions d’information structurées à l’attention des professionnels de santé.
Mme la rapporteure. À l’exception de l’oxygénothérapie et des apnées du sommeil, les prestataires de santé opèrent toujours en coordination avec une structure d’HAD ou des SSIAD.
Dr Valérie Blandin-Matas. Ce sont surtout des infirmières libérales qui sont concernées. Il y a vingt ans en effet la réglementation ne permettait pas l’usage en HAD de pompes de perfusion, de pompes d’analgésie contrôlée par le patient (PCA) ou de diffuseurs. Les prestataires qui disposaient de ce matériel ont donc formé des infirmières libérales à ces techniques.
La future liste des produits et prestations (LPP) fera désormais obligation au prestataire de fournir une infirmière, comme c’est déjà le cas en insulinothérapie. C’est ce qui explique que les prestataires emploient aujourd’hui des personnels de santé très qualifiés, souvent issus du milieu hospitalier. L’essentiel est donc, je le répète, d’articuler au mieux les différentes structures pour parvenir à une efficience optimale des soins.
M. le président Pierre Morange. Dans quelle mesure l’HAD demeure-t-elle rentable aujourd’hui ?
Dr Valérie Blandin-Matas. Tout dépend des structures. La réponse à votre question nécessiterait de disposer d’une étude récente sur la gestion des coûts dans les grosses et les petites structures.
M. le président Pierre Morange. Vous avez évoqué le dynamisme du secteur commercial et la manière dont les prestataires de santé ont réussi à se développer, en assurant notamment – en lieu et place de l’État – la formation des personnels chargés des soins. Cela a certes permis d’optimiser notre réseau de soins, ce dont on ne peut que se féliciter mais, toute médaille ayant son revers, cela n’emporte-t-il pas un risque de voir se développer des logiques mercantiles, qui fassent primer les intérêts commerciaux sur l’amélioration du service rendu ?
Dr Valérie Blandin-Matas. En tant que spécialiste des relations entre les médecins et l’industrie, je considère la transparence dans ces matières comme un enjeu-clef. À l’image de l’industrie pharmaceutique qui, depuis la loi du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d’ordre social dite « loi anti-cadeaux » de 1993, a révisé ses pratiques, jusqu’à en devenir parfois psychorigide, les prestataires de soins commencent à adopter un code de bonne conduite. Il est néanmoins urgent que les pouvoirs publics mènent des actions auprès des prestataires pour leur rappeler qu’ils sont soumis à la même réglementation que toute entreprise commercialisant des produits remboursés par l’assurance maladie. Les grands syndicats de la profession sont d’ailleurs favorables à ce que l’on élimine les acteurs qui, par leurs mauvaises pratiques, ne peuvent que faire du tort aux prestataires de santé.
M. le président Pierre Morange. Je vous informe que la MECSS a prévu de conduire en 2017 une mission sur la politique d’achat des produits de santé dans le secteur hospitalier et en articulation avec l’HAD. Un rapport a été commandé à la sixième chambre de la Cour des comptes sur le sujet, et nous solliciterons également l’assistance du ministère de la santé pour pouvoir nous appuyer le cas échéant sur une enquête de l’IGAS, afin de nous pencher aussi sur les délégataires de service public – je pense entre autres à la fourniture d’énergie – dans le domaine de la santé. Il s’agit, je le rappelle, d’un marché de 25 milliards d’euros, ce qui n’est pas négligeable.
Mon ultime question portera sur les ARS. Avez-vous le sentiment qu’elles assument correctement leur rôle dans la coordination et l’organisation des soins entre l’hôpital, l’HAD et les prestataires de santé ?
Dr Valérie Blandin-Matas. Il y a autant de réponses à votre question que d’ARS…
M. le président Pierre Morange. Je pense, madame, que vous pouvez envisager une carrière dans la diplomatie… (Sourires.) Nous vous remercions en tout cas pour les éclairages que vous nous avez fournis.
Puis la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale procède à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Laurence Nivet, directrice de l’hospitalisation à domicile de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (HAD de l’AP-HP), et de M. Matthieu de Stampa, président du comité consultatif médical de l’HAD de l’AP-HP.
M. le président Pierre Morange. Poursuivant ses travaux sur l’hospitalisation à domicile, notre Mission a le plaisir d’accueillir Mme Laurence Nivet et M. Mattieu de Stampa, pour nous présenter l’expérience de l’HAD à l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris.
Mme Joëlle Huillier, rapporteure. Nous nous réjouissons en effet d’entendre les représentants d’un établissement d’hospitalisation à domicile bien connu, celui de l’AP-HP. La mission qui nous est confiée consiste à contrôler l’état de l’hospitalisation à domicile et à formuler des propositions sur son avenir, sachant que les injonctions ministérielles en faveur de sa forte augmentation n’ont guère encore produit de résultats probants. Or, l’HAD est selon nous une discipline d’avenir – de ce point de vue, nous devons nous interroger sur le retard pris par la France par rapport à certains de ses voisins européens. Nombreux sont en effet les malades qui se plaignent de rester hospitalisés alors qu’ils pourraient être soignés chez eux ; d’autres au contraire, hospitalisés chez eux, estiment que l’accompagnement sanitaire qui leur est fourni ne leur offre pas de garanties suffisantes.
Mes premières questions seront donc les suivantes : quelle est l’importance de l’hospitalisation à domicile au sein de l’AP-HP ? Quels avantages et inconvénients le rattachement à une structure publique présente-t-il ? Quels sont, le cas échéant, les freins au développement de l’HAD de l’AP-HP ?
Mme Laurence Nivet, directrice de l’hospitalisation à domicile de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (HAD de l’AP-HP). L’HAD que je dirige est un hôpital relevant de l’établissement public de santé qu’est l’AP-HP. Elle est donc considérée comme un établissement et, à ce titre, est dotée de ses propres instances de gouvernance ainsi que d’un état des prévisions de recettes et de dépenses (EPRD), qu’elle négocie chaque année dans le cadre de son cycle de gestion. Elle établit également un plan stratégique qui s’inscrit dans celui de l’AP-HP, au même titre que tous les groupes hospitaliers qui en relèvent. Ces compétences d’établissement, à quoi s’ajoute une masse critique de l’ordre de 820 places, permettent à l’HAD de l’AP-HP d’élaborer une stratégie et d’agir non seulement à l’échelle de la région francilienne, mais aussi au sein du centre hospitalier universitaire, le CHU. Cela étant, l’HAD ne représente que 0,9 % des recettes de l’AP-HP, et réalise environ 1 % de l’ensemble des hospitalisations du groupe.
Cette HAD est ancienne, puisqu’elle a été créée dès 1957 par des pionniers venus de l’hôpital public. Elle s’appuie de manière très structurée sur des équipes pluridisciplinaires : son effectif d’environ 700 personnes se compose tout à la fois d’infirmiers, d’aides-soignants, de diététiciennes, de psychologues et des autres professions de santé, ainsi que de 22 médecins et pharmaciens.
Comme d’autres HAD, celle de l’AP-HP est organisée en pôles : un pôle consacré aux adultes, un pôle concernant la périnatalité, c’est-à-dire l’obstétrique et la pédiatrie, une plateforme filières-admissions qui est chargée des admissions, mais aussi de la prospection et des liens avec les prescripteurs – et qui gère notamment un numéro d’appel unique créé récemment à l’intention de l’ensemble des prescripteurs – et, enfin, un pôle pharmacie et logistique, puisque l’HAD de l’AP-HP – c’est l’une de ses particularités – dispose d’une pharmacie à usage intérieur (PUI).
En 2015, l’HAD de l’AP-HP a réalisé 13 782 séjours pour un total de 245 000 journées. Le pôle adultes et le pôle pédiatrique ont connu une augmentation d’activité de 9 % et 12 % respectivement ; en revanche, nous sommes tout juste parvenus à freiner la chute d’activité que connaissait le pôle obstétrique depuis deux ans : cette activité s’est enfin stabilisée et rebondit même depuis l’automne. Je précise que ce pôle englobe l’obstétrique antepartum et postpartum, puisqu’il a absorbé en 2013 et 2014 les effets du programme d’accompagnement du retour à domicile des patients hospitalisés (PRADO) et de la disparition de la prise en charge en HAD des suites physiologiques postpartum, les patientes concernées étant désormais prises en charge soit dans le cadre du PRADO, soit par des sages-femmes libérales. Il nous a fallu repositionner en conséquence les indications de prise en charge en HAD obstétrique antepartum et postpartum avec l’ensemble des prescripteurs.
Mme Joëlle Huillier, rapporteure. Vous avez également créé un pôle chargé des liens avec les prescripteurs : ceux-ci ne se limitent sans doute pas aux seuls prescripteurs travaillant avec l’AP-HP et comprennent aussi des prescripteurs libéraux. Les médecins de l’Assistance Publique s’adressent-ils systématiquement à vous en cas d’indication d’HAD ou recourent-ils éventuellement à d’autres services d’HAD exerçant en région parisienne ? Si c’est le cas, est-ce parce qu’ils ne vous connaissent pas ou leur choix dépend-il de la nature des pathologies ?
Mme Laurence Nivet. Nos prescripteurs proviennent à 90 % des hôpitaux de l’AP-HP, mais notre champ d’intervention est loin de s’y limiter : nous travaillons aussi avec des hôpitaux publics et privés extérieurs à l’AP-HP. Nous développons notamment des liens de coopération avec les hôpitaux d’Aulnay, de Saint-Denis et de Montreuil, ainsi qu’avec des cliniques, l’Institut Curie ou encore le service de santé des armées.
La part des prescriptions qui nous sont adressées par la médecine de ville, quant à elle, est faible – de l’ordre de 3 %. Ce taux peu élevé est caractéristique de la région Île-de-France, puisque la prescription directe de ville atteint plutôt 10 % en province. L’objectif stratégique qui nous est fixé par nos autorités de tutelle consiste à augmenter ce taux de recours de la médecine de ville à 7 % – c’est un objectif très ambitieux. Pour y parvenir, nous utiliserons notamment le levier de la prescription en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).
M. le président Pierre Morange. Compte tenu des perspectives de l’offre d’HAD que vous venez de tracer, de l’objectif ministériel qui consistait à faire passer cette part de 0,6 % à 1,2 % – même s’il s’est heurté aux freins que l’on sait – et de la marge de progression que l’on observe ailleurs en Europe, l’HAD de l’AP-HP, forte de sa connaissance du bassin de vie et de population francilien, a-t-elle procédé à une évaluation des besoins – une étude de marché, en quelque sorte – et du nombre de places polyvalentes qu’il serait nécessaire de créer en sus des 820 places existantes pour s’adapter à sa nouvelle dynamique ? Nous constatons en effet que la Cour des comptes se désole de l’absence d’études médico-économiques. Nous nous adressons donc aux acteurs de terrain, y compris au navire amiral de l’hospitalisation française qu’est l’AP-HP : êtes-vous en mesure d’évaluer ces besoins en HAD, même à grands traits ?
Mme Laurence Nivet. La politique actuelle présente un avantage majeur : elle fait bouger les lignes – mais cela prend du temps. La première étape, en cours, est cruciale, et le processus se déploiera en forme de marches d’escalier. L’objectif stratégique que la direction générale de tutelle a fixé à l’HAD de l’AP-HP vise à augmenter son activité de 20 % dans les trois à quatre prochaines années, soit une hausse d’environ 5 % par an. Pour ce faire, nous avons – comme toutes les structures d’HAD – consacré une première année à reprendre contact avec l’ensemble des prescripteurs afin de leur rappeler les services qu’offre l’HAD. En 2015, nous avons ainsi rencontré tous les prescripteurs relevant de l’AP-HP et plus de la moitié des prescripteurs extérieurs.
La deuxième étape, déjà enclenchée, consiste à élaborer les méthodes permettant aux prescripteurs et aux directions d’établissement de déterminer le type et le volume des patients pouvant être prise en charge en HAD. Nous nous appuyons à ces fins sur le modèle mis au point à l’hôpital Necker-Enfants malades en pédiatrie : les prises en charge y sont de faible volume et régies par des protocoles stricts, et les équipes très motivées. C’est sur cette base que nous avons notamment commencé de travailler sur le programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) avec les prescripteurs pour tracer peu à peu un chemin au terme duquel – au bout d’un, deux ou trois ans – chaque établissement pourra déterminer la part de patients qu’il est en mesure de faire prendre en charge en HAD. C’est un chemin difficile qu’il faudra du temps pour ouvrir dans les secteurs de prise en charge des adultes et hors AP-HP. Compte tenu du plan triennal des établissements, cette démarche pourrait toutefois produire des résultats dans les deux ou trois prochaines années.
La Cour des comptes envisage un taux de 5 % de prise en charge en HAD.
M. le président Pierre Morange. C’est en effet un taux qu’elle cite en référence à des expériences étrangères, en Espagne notamment. Vous semblent-elles susceptibles d’être reproduites en France, même si les systèmes de soins sont très différents ? L’HAD représente aujourd’hui 1 % des hospitalisations avec 820 places : vous semble-t-il crédible de multiplier cette part par quatre ou cinq ?
Mme Laurence Nivet. Il faudrait pour cela doubler notre capacité de prise en charge.
M. le président Pierre Morange. Précisément, disposez-vous des moyens humains vous permettant de doubler, voire de quadrupler le nombre de places que vous proposez ?
Mme Laurence Nivet. L’orientation qui nous est donnée consiste à augmenter notre capacité de prise en charge de 20 %, soit environ 5 % par an. S’il était demandé à l’HAD de l’AP-HP de doubler ses capacités, elle ne pourrait y parvenir qu’à certaines conditions qui, à ce stade, ne sont pas réunies – ni du côté des prescripteurs, ni de celui du système de soins. Ce n’est qu’en fonction des objectifs qui nous sont fixés que nous pourrons nous accorder sur le chemin à suivre.
Mme Joëlle Huillier, rapporteure. Quel est le mode de recrutement des médecins et des personnels qui exercent à l’HAD de l’AP-HP ? Il me semble en effet que l’HAD ne peut se faire connaître que si les médecins qui y exercent viennent des services d’hospitalisation classiques – et cela vaut aussi pour le reste du personnel.
M. Matthieu de Stampa, président du comité consultatif médical de l’HAD de l’AP-HP. Les médecins de l’HAD exercent pour moitié environ à temps partiel – à 60 % – et pour moitié à temps plein. L’idéal est naturellement de s’appuyer sur des médecins qui exercent à la fois en hôpital avec hébergement et dans le secteur de l’hospitalisation à domicile, mais qui connaissent aussi les réseaux multithématiques. La mutualisation entre l’HAD et les réseaux est cruciale, en effet, car c’est là que se produit la confusion, bien davantage qu’avec les autres partenaires hospitaliers.
Précisons que l’HAD ne recrute pas des médecins hospitaliers lambda, mais uniquement des médecins qui connaissent parfaitement l’offre de services de soins de première ligne et de soins à domicile. En effet, les médecins n’ayant exercé qu’en hôpital ne sont pas forcément les plus aptes à travailler en HAD. D’autre part, nous tâchons de recruter des médecins possédant des champs d’expertise variés – dermatologie, soins palliatifs, cancérologie, hématologie, gériatrie, pédiatrie – afin de partager les spécialisations disciplinaires pour mieux répondre à la diversité des patients pris en charge en HAD. Ainsi, un médecin dermatologue maîtrisant parfaitement la technique des pansements complexes saura également gérer les actes de nutritions parentérales et les soins palliatifs.
Permettez-moi de revenir sur la question des besoins. Demandons-nous avant tout si nous sommes en mesure d’évaluer les besoins des populations qui relèvent de notre champ d’intervention ; précisons d’autre part que ces besoins varient profondément d’une partie du territoire à l’autre – entre la Seine-Saint-Denis et le 15e arrondissement de Paris, par exemple. Or, la répartition actuelle des services ne correspond pas aux besoins de la population. Ainsi, les unités de soins d’HAD qui interviennent dans le 15e arrondissement n’ont aucune peine à obtenir des places en service de soins infirmiers à domicile (SSIAD) tant l’offre est importante. À Saint-Denis ou à Colombes, en revanche, les relais sont très difficiles car l’offre ne correspond pas aux besoins. Hélas, les services de soins de première ligne ne sont pas aujourd’hui en mesure de déterminer précisément les besoins auxquels ils doivent répondre, car chacun d’entre nous dispose d’outils d’évaluation différents qui, outre qu’ils ne sont pas validés, ne permettent pas de faire remonter les informations. Il est donc indispensable de créer un outil d’évaluation des besoins qui soit commun à l’ensemble des services de soins de première ligne, comme c’est le cas dans d’autres pays, en s’appuyant sur des observatoires territoriaux et une échelle géographique pertinente – sans doute infradépartementale plutôt que départementale. Nous serions dès lors mieux équipés pour déterminer quels sont les besoins en HAD et, ainsi, accroître notre activité.
M. le président Pierre Morange. En matière d’évaluation et de partage de l’information, monsieur le directeur, vous prêchez des convaincus. Une réflexion collégiale
– même approximative – sur les besoins est-elle conduite de manière coordonnée entre les différents opérateurs de soins, compte tenu de l’écart de niveau de l’offre entre tel ou tel territoire ?
M. Matthieu de Stampa. Tous les territoires d’HAD participent au dispositif intégré dit MAIA – méthode d’action pour l’intégration des services d’aide et de soins dans le champ de l’autonomie – qui permet à l’ensemble des services de ville et hospitaliers de travailler collectivement sur chacun des territoires, notamment sur la question du guichet intégré
– autrement dit, la capacité à orienter tel patient vers le service qui lui convient. Cette démarche fait apparaître les redondances d’une offre pléthorique sur chacun des territoires concernés ; il y a là des marges d’amélioration considérables. Dès lors que l’on peut établir en toute clarté qui fait quoi, les taux de recours de la médecine de ville à l’HAD augmentent.
Mme Laurence Nivet. La question de la coordination des soins en proximité est d’autant plus importante que le rapport de la Cour des comptes n’en fait pas état de manière approfondie. Or, bien souvent, nos prescripteurs, soit parce qu’ils sont hospitaliers soit parce que nous sommes un établissement de santé, négligent le caractère de proximité de l’implantation des services de HAD. C’est une dimension pourtant essentielle dont les tutelles ne tirent pas encore tout le parti possible.
Au fond, peu nombreux sont les lieux permettant d’évaluer et de coordonner à la fois les soins de proximité – le dispositif MAIA, de ce point de vue, apporte un début de réponse – et les différents outils qui existent. C’est pourquoi il serait tout à fait opportun de mettre au point et de valider scientifiquement un outil commun et connu de tous les opérateurs, ce qu’ont déjà fait nos voisins britanniques, par exemple.
Mme Joëlle Huillier, rapporteure. N’appartient-il pas selon vous aux agences régionales de santé (ARS) de coordonner la connaissance du territoire et l’évaluation des besoins ?
Mme Laurence Nivet. En effet, c’est leur rôle, et c’est dans ce cadre que se déroule l’expérimentation à laquelle nous procédons actuellement.
M. le président Pierre Morange. Les ARS effectuent-elles ce travail de manière assez systématique pour relever ce défi ?
Mme Laurence Nivet. Voici un an que l’ARS de l’Île-de-France a adopté une démarche structurée en créant un comité de pilotage chargé d’explorer les voies permettant de développer le recours à l’HAD, grâce auquel les différentes structures d’HAD échangent entre elles. D’autre part, l’ARS commence à mieux mailler le lien entre HAD, hôpital et médecine ambulatoire.
Mme Joëlle Huillier, rapporteure. La tarification de l’HAD vous convient-elle ?
Mme Laurence Nivet. Après une période difficile, l’HAD de l’AP-HP a retrouvé l’équilibre budgétaire en 2015, pour l’essentiel grâce à l’augmentation de son activité et de ses recettes et dans une moindre mesure par la maîtrise de la dépense. Cela étant, il va de soi que la tarification à l’activité ne permettra pas de relever les défis auxquels nous faisons face, et ce pour deux raisons principales. Tout d’abord, une partie des actes de prise en charge que nous effectuons ne sont pas suffisamment couverts par les tarifs, en particulier les plus lourds d’entre eux – en pédiatrie, notamment, mais aussi chez les adultes, même si l’on observe une certaine amélioration concernant les chimiothérapies. En tout état de cause, l’adéquation du tarif et du coût induit par une prise en charge demeure problématique. Ainsi, le médecin chargé de notre pôle pédiatrique nous propose de collaborer avec l’hôpital Necker pour traiter certains patients – adultes et enfants – atteints de dermatoses bulleuses, mais nous aurons du mal à financer une telle prise en charge ; il nous faudra donc rechercher un financement complémentaire.
Si certaines prises en charge sont insuffisamment couvertes, certaines fonctions ne le sont pas du tout. L’HAD de l’AP-HP, par exemple, exerce une fonction de coordination des soins au-delà de l’admission des patients. Notre participation au dispositif MAIA – y compris la présence de l’un de nos cadres aux réunions – n’est pas financée. En outre, les structures d’HAD, parce qu’elles interviennent au domicile des patients, se heurtent souvent à des situations de grande précarité, en particulier dans certains territoires, voire lorsque les patients sont hébergés à l’hôtel ou dans des squats. Là non plus, nous ne disposons d’aucun financement. Il faut pourtant envisager cette question non seulement sous l’angle du financement, mais aussi en tenant compte du fait que l’HAD peut constituer un vecteur de déploiement de nombreuses politiques de santé publique, qu’il s’agisse de réponse aux besoins de soins, d’éducation thérapeutique, d’information concernant l’état de santé des patients ou encore d’intervention sociale.
M. le président Pierre Morange. Appartient-il au secteur sanitaire et, en l’occurrence, à l’HAD de couvrir ce volet social, ou une meilleure coordination de la prise en charge de ces situations de précarité n’éviterait-elle pas au secteur sanitaire de se disperser dans des tâches techniques qui relèvent tout autant du secteur éducatif et social ou de la politique du logement ? Il me semble en effet qu’une telle polyvalence est non seulement chronophage, mais sans doute aussi budgétivore.
Mme Laurence Nivet. Tout à fait : nous devons nous cantonner au champ sanitaire qui relève des opérateurs de soins. Il n’en reste pas moins que nos intervenants doivent faire face quotidiennement – et sans financement – à des situations lourdes et complexes.
M. Matthieu de Stampa. La moitié de nos patients adultes sont des personnes âgées de plus de soixante-quinze ans, dont un quart font l’objet d’une hospitalisation de longue durée qui nécessite plusieurs passages par jour, voire une présence permanente, car ces patients se caractérisent par d’importants taux de morbidité et de lourdes incapacités fonctionnelles. Or, dans ces cas, aucun relais n’est possible : les SSIAD sont des structures trop légères ; en revanche, si ces interventions sont indispensables, elles demeurent « de confort » et ne s’apparentent pas à des soins palliatifs. La prise en charge de ces pathologies chroniques – y compris des phases les plus aiguës – nécessite un lourd investissement de notre part sans que nous puissions en modifier la tarification, ce qui explique qu’elles soient mal rémunérées. Or, très souvent, ces patients souhaitent rester chez eux et ne le pourraient pas sans l’HAD. Ajoutons que la part de cette population augmente significativement d’une année sur l’autre. L’HAD permet désormais de bien les traiter, raison pour laquelle nos collègues hospitaliers qui exercent en gériatrie nous proposent de les prendre en charge afin de libérer des lits. Pour autant, notre réponse ne se fait pas sans hésitations.
D’autre part, l’HAD se trouve dans une position d’ouverture stratégique entre l’hôpital et la médecine de ville par la fonction d’évaluation et d’orientation qu’elle exerce. L’hôpital fait appel à nous pour que nous déterminions si les patients qu’il nous réfère relèvent ou non de l’HAD. Pour 25 % d’entre eux, ce n’est pas le cas ; nous procédons toutefois à leur évaluation, et cette tâche n’est pas rémunérée. Autrement dit, nous faisons office de guichet intégré parce que notre connaissance de l’offre de services nous permet d’orienter les patients vers un SSIAD, une infirmière libérale ou encore un kinésithérapeute selon les cas. Nous ne nous contentons pas de prendre en charge ceux des patients âgés et affectés par des pathologies multiples à qui l’HAD convient ; nous évaluons aussi – sans rémunération, je le répète – les autres afin de les aiguiller vers le service le plus adapté.
Mme Joëlle Huillier, rapporteure. Que font les assistantes sociales ? Il me semble en effet que le système tel qu’il existe est parfois dévoyé et que certains professionnels n’exercent pas là où ils le devraient, même si cela peut s’expliquer. Dans un système idéal, le médecin prescripteur devrait selon moi être le médecin hospitalier, c’est-à-dire celui qui suit le patient. Il devrait en effet lui appartenir de déterminer si tel ou tel patient relève de l’HAD, laquelle n’aurait plus qu’à confirmer cette prescription. Si l’HAD n’était pas possible, soit en raison de la nature de la pathologie soit parce qu’aucune place n’est plus disponible, ce serait alors à l’assistante sociale de prendre la main, car elle est censée connaître son territoire et les services à domicile qui peuvent y intervenir. C’est elle, en effet, qui se rend au domicile des patients pour déterminer s’ils sont accompagnés par des aidants, si leur logement est aménageable ou encore si un lit médicalisé est envisageable. Autrement, à quoi servent donc les assistantes sociales ? Je reçois constamment des plaintes à leur sujet : elles semblent ne pas accomplir les tâches que l’on attend d’elles.
M. Matthieu de Stampa. En l’état, les choses se passent ainsi : nous sommes saisis d’un dossier que notre infirmière d’évaluation examine, puis une réunion est organisée pour déterminer si le patient concerné relève de l’HAD ou d’un autre service. Or, comme je l’indiquais, un quart de ces dossiers ne donnent pas lieu à une HAD – soit parce que les conditions ne sont pas réunies, soit parce que le patient change d’avis, ou encore parce qu’il décède ou parce que sa pathologie s’aggrave, par exemple. Quoi qu’il en soit, cette activité d’évaluation est substantielle et chronophage et, pourtant, elle n’est pas rémunérée.
Si je suis assez optimiste concernant le recours à l’HAD dans les années à venir, c’est parce que nous avons entrepris depuis deux ans de formaliser les partenariats entre intervenants. Nous nous sommes aperçus voici quelques années que la décision de prise en charge en HAD dépendait essentiellement d’une personne, qu’il s’agisse d’une assistante sociale, d’un cadre ou d’un médecin. Nous élaborons désormais des protocoles de prise en charge permettant, à l’issue d’une rencontre avec l’ensemble de l’équipe pluridisciplinaire de l’hôpital prescripteur, de déterminer au plus vite le parcours à suivre : dès son entrée à l’hôpital, en effet, le patient doit pouvoir envisager l’HAD. Nous savons ensuite, le cas échéant, transférer les protocoles hospitaliers à domicile, notamment en post-chirurgie. En clair, cette méthode nous permet d’identifier rapidement les patients pouvant être pris en charge en HAD et nous évite d’effectuer des évaluations parfois redondantes.
M. le président Pierre Morange. Imaginons le cas d’une personne âgée atteinte d’une maladie neurodégénérative qui serait prise en charge en hospitalisation permanente à domicile : combien cela coûte-t-il en pratique à l’HAD ? Je souhaiterais en effet comparer ce coût avec celui de la prise en charge d’un patient comparable en EHPAD où, outre les frais médicaux relevant de l’assurance maladie, s’applique un forfait hôtelier de quelque 3 500 euros par mois en moyenne dans la région parisienne – ce qui est selon moi un véritable scandale républicain, sachant que la pension de retraite moyenne est d’environ 1 140 euros pour les femmes et 1 310 euros pour les hommes. Une telle comparaison ne permettrait-elle pas d’améliorer le service médical rendu, de permettre une valorisation médico-économique et de mettre un terme à une véritable obscénité républicaine ?
Mme Laurence Nivet. La voie de la protocolisation est extrêmement prometteuse, y compris du point de vue des évaluations médico-économiques que vous évoquez. Nous nous employons donc avant toute chose à définir cette voie : alors que les protocoles se concluaient jusqu’ici à l’échelle du service, voire du médecin individuel, nous élaborons désormais des protocoles collégiaux impliquant des groupes de médecins spécialistes, et d’autres qui varient selon le type de prise en charge. Les médecins de l’HAD travaillent par exemple avec des spécialistes du traitement de la maladie de Parkinson et d’autres maladies neurodégénératives afin de mettre au point des protocoles de prise en charge comprenant une part d’HAD. La première priorité consiste en tout état de cause à définir à quel moment la prise en charge en HAD est la plus pertinente. Ce peut être à partir de la sortie d’hôpital ou en EHPAD, même s’il reste certains obstacles – accoutumance, culture – à lever. C’est alors que nous pourrons procéder à une évaluation médico-économique fiable.
M. le président Pierre Morange. Êtes-vous en mesure d’évaluer le coût de la prise en charge d’un patient âgé atteint d’une maladie neurodégénérative en HAD permanente en comparaison du même coût en EHPAD, en tenant compte de la situation généralement fragile de ces patients, en particulier la nuit ?
M. Matthieu de Stampa. Nous ne disposons pas de cette évaluation médico-économique, mais il faut préciser que la prise en charge de cette population est complexe : il s’agit généralement de patients qui sont hospitalisés de façon répétitive – la moitié d’entre eux dans les six mois suivant leur première hospitalisation, y compris dans les services d’urgences. Outre la prévalence de forts taux de morbidité et de mortalité, leurs trajectoires sont si chaotiques qu’il est très difficile de procéder à une évaluation médico-économique globale tenant compte de l’ensemble des coûts induits.
Nous nous efforçons désormais de sécuriser ces parcours. Si la décision est prise de tenter un retour au domicile, le SSIAD est d’emblée mis dans la boucle au cas où la situation demeure stable. Dans le cas contraire et si l’HAD n’est pas viable, les services hospitaliers s’engagent – sous la responsabilité du médecin coordonnateur – à hospitaliser de nouveau le patient non pas via les services d’urgences, mais dans le cadre d’une hospitalisation programmée. Nous tâchons de démontrer la plus-value qu’apporte une telle méthode pour éviter le passage aux urgences. En règle générale, les patients concernés sont des personnes âgées qui, après plusieurs hospitalisations, souhaitent rentrer chez elles une dernière fois ; si elles ne sont pas prises en charge en HAD, elles se retrouvent très souvent admises en EHPAD. Or, ces patients constituent la grande majorité des adultes que nous traitons en HAD. À ce stade, les résultats que nous avons obtenus sont assez positifs, sachant que nos interventions durent souvent un à deux mois.
Mme Joëlle Huillier, rapporteure. Au fond, votre service apporte la garantie de pouvoir anticiper la prise en charge ultérieure des personnes âgées, en particulier, étant entendu que cette anticipation est plus ardue pour d’autres catégories de patients.
M. le président Pierre Morange. Venons-en au partage de l’information entre l’HAD, l’hôpital et la médecine ambulatoire. La question du dossier médical personnalisé (DMP), une véritable Arlésienne, devrait être résolue d’ici l’an prochain – du moins espérons-le – grâce à sa prise en charge par l’assurance maladie. Quel modèle de coordination et de partage de l’information entre les différents opérateurs de soins et autres intervenants l’acteur majeur de l’hospitalisation à domicile qu’est l’HAD de l’AP-HP utilise-t-il ?
Mme Laurence Nivet. Pour nous, le développement des systèmes d’information est en effet l’un des nerfs de la guerre. L’HAD de l’AP-HP a consenti un important investissement dans ce domaine. Nous disposons déjà depuis fin 2015 d’un dossier patient informatisé qui fonctionne très bien ; cette année, nous allons achever l’informatisation du circuit du médicament et permettre l’accès direct au dossier patient depuis le domicile, afin de garantir la traçabilité des actes accomplis par les professionnels de santé. Ce devrait être le cas d’ici la fin de l’année ou le début de l’année prochaine, sachant qu’il reste des problèmes à résoudre, les uns de nature technique et les autres tenant non pas à la sécurité mais plutôt aux pratiques et aux habitudes.
M. le président Pierre Morange. Ce dispositif a-t-il été élaboré en interne par l’HAD, ou bien sous la supervision de l’AP-HP, voire de l’ARS, de sorte qu’il puisse éventuellement s’intégrer à des systèmes globaux comme celui, à terme, du DMP ?
Mme Laurence Nivet. Il a naturellement été élaboré sous l’égide de l’AP-HP. Comme tout établissement de santé, nous faisons face à la question du portage entre la ville et l’hôpital. Plusieurs leviers existent tels que l’initiative prise par l’AP-HP d’installer des messageries sécurisées. Aujourd’hui, cependant, nous privilégions la coopération avec l’ARS, qui pilote le programme « Territoires de soins numériques » en Île-de-France, pour peu à peu permettre à d’autres professionnels d’accéder à notre système d’information et d’y exporter leurs propres données.
M. le président Pierre Morange. Qu’en pense l’assurance maladie ?
Mme Laurence Nivet. La Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile, la FNEHAD, a rencontré Yvon Merlière, responsable du DMP à la CNAMTS. Celle-ci s’intéresse à la question stratégique de l’informatisation des structures d’HAD et leur interaction avec d’autres services. Notre action, quoiqu’opérationnelle, est plus modeste : nous avons expérimenté à l’hôpital Corentin-Celton l’ouverture de l’accès à nos dossiers patients à une équipe de médecins prescripteurs, ce qui est techniquement possible et compatible avec les règles de sécurité de notre établissement de santé commun. Nous sommes également saisis d’une autre demande : l’un des services d’obstétrique de l’ouest parisien, qui a passé contrat avec l’HAD de l’AP-HP, souhaite lui aussi accéder à nos systèmes d’information. Or, n’étant pas hébergeurs de données de santé, nous ne pouvons pas ouvrir cet accès aussi simplement ; il nous faudra donc trouver une méthode pour y parvenir.
M. le président Pierre Morange. Pour information, après son rapport sur l’hospitalisation à domicile, la MECSS entamera des travaux sur les données ouvertes – ou open data – en matière de santé. Un rapport commandé à la Cour des comptes sur ce sujet nous sera livré en mars 2017. Nous examinerons notamment la question de l’agrégation des divers fichiers de santé, qui constituent l’une des bases de données les plus importantes au monde, en particulier l’articulation du programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) et du système national d’information inter–régimes de l’assurance maladie (SNIIRAM), ainsi que les problèmes de cybersécurité qui y sont liés et que personne n’a encore précisément évalués, qu’il s’agisse des risques d’atteinte à la confidentialité des données ou de leur utilisation à des fins mercantiles via le développement des objets connectés. La télémédecine et la télésanté, qui sont susceptibles de renforcer considérablement l’efficacité de l’HAD, présenteront en effet de nouveaux risques d’utilisations malveillantes.
Mme Joëlle Huillier, rapporteure. Vous avez créé un pôle consacré aux liens avec les prescripteurs, y compris les médecins de ville. Concrètement, qui est le médecin coordonnateur ou l’infirmière coordinatrice ? Quels rôles jouent respectivement le médecin traitant et celui de l’HAD ?
M. Matthieu de Stampa. L’HAD de l’AP-HP agit en appui du médecin traitant, qu’il n’est naturellement pas question d’écarter puisqu’il intervient en amont et en aval de l’hospitalisation à domicile. Les médecins éprouvent le besoin que nous les aidions, car ils ne souhaitent pas se charger eux-mêmes de la coordination, laquelle relève aujourd’hui de notre infirmière de liaison – notre care manager, en quelque sorte – qui, dans chaque unité de soins, programme les soins et procède aux ajustements nécessaires au quotidien. De fait, c’est donc elle qui assure la coordination des soins pour un ensemble donné de patients pris en charge en HAD. Le médecin coordonnateur, quant à lui, est chargé d’établir le lien avec le médecin traitant hospitalier pour l’assister en cas de difficulté concernant des prescriptions complexes, par exemple. En outre, les médecins traitants nous demandent à être formés.
Le cas des médecins traitants qui n’effectuent plus ou que très peu de visites à domicile pose problème. Nous sommes favorables à la médicalisation de l’HAD sans pour autant nous substituer au médecin traitant : il est important, en effet, que notre médecin coordonnateur puisse, dans les situations les plus complexes, se rendre au domicile du patient pour procéder à une évaluation souvent conjointe avec le médecin traitant qui, ensuite, se charge du suivi.
Mme Laurence Nivet. J’ajoute que nos médecins organisent une à deux réunions hebdomadaires au cours desquelles ils passent en revue l’ensemble des dossiers patients avec toute l’équipe pluriprofessionnelle, ce qui contribue grandement à la qualité et à la structuration de la prise en charge.
Plus largement, il me semble opportun que les médecins en formation aient, à un moment ou à un autre, une vision de ce qu’est la prise en charge en HAD. Nous avons déjà accueilli des externes et formons actuellement des internes de santé publique, et nous avons exprimé notre souhait auprès de l’ARS d’accueillir des internes de médecine générale.
M. Matthieu de Stampa. Il nous manque en effet une présence dans le monde de l’université et de la recherche.
Mme Laurence Nivet. De ce point de vue, l’HAD de l’AP-HP est intégrée au CHU et son corps médical est très attaché à ce qu’elle pilote des projets de recherche. En 2015, nous avons notamment été sollicités pour prolonger à domicile plusieurs protocoles de recherche sur la chimiothérapie déjà enclenchés à l’hôpital. Autre domaine de recherche : le domaine médico-économique et la santé publique. Enfin, nous incluons dans nos projets stratégiques des recherches concernant la télémédecine, qui s’avère extrêmement utile dans bien des domaines comme les pansements complexes. De même, l’HAD est attentive aux évaluations relatives aux objets connectés auxquelles elle pourrait participer.
M. Matthieu de Stampa. Nous devons en effet montrer à nos collègues des autres secteurs que nous obtenons des résultats aussi bons – voire meilleurs, dans certains domaines. Ce n’est qu’ainsi que nous ferons bouger les lignes. De nombreuses études randomisées sont publiées à l’étranger sur l’hospitalisation à domicile, mais pas encore en France. C’est pourquoi nous présentons actuellement un projet dans le cadre d’un programme de recherche sur la performance du système des soins (PREPS) concernant l’impact de l’HAD en comparaison de celui de l’hôpital de jour en termes de qualité de vie et de résultats médico-économiques. Il n’est pas aisé, en effet, de trouver des financements, pourtant indispensables à notre développement.
Mme Joëlle Huillier, rapporteure. Le personnel de l’HAD appuie le médecin traitant, mais que fait-il concernant les aidants familiaux, sans lesquels il ne saurait y avoir d’hospitalisation à domicile ?
Mme Laurence Nivet. L’HAD de l’AP-HP dispose d’une très active commission des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge, une CRUQPC, dans laquelle les représentants des usagers sont très présents. Les équipes médicales et soignantes de l’HAD de l’AP-HP sont soucieuses de tenir pleinement compte de la participation des aidants familiaux à la prise en charge, et ce en matière d’information concernant l’HAD mais aussi de bientraitance. D’autre part, il arrive que les médecins et cadres de l’HAD doivent effectuer des visites en raison de la situation de l’aidant, qui se trouve parfois plus en difficulté que le patient lui-même. Certaines interventions sont donc spécialement destinées à l’aidant. Enfin, l’HAD de l’AP-HP prend également en charge des patients qui vivent seuls.
M. Matthieu de Stampa. Nous allons expérimenter la tenue d’une conversation téléphonique systématique avec l’aidant entre le septième et le quinzième jour qui suivent le début de l’HAD, car il arrive que certains problèmes soient sous-estimés ou ne soient pas abordés avec les aidants. Cette conversation, qui consistera en questions ouvertes, nous permettra de mieux les anticiper.
Les personnes âgées vivant seules – nombreuses à Paris, même si l’isolement n’est jamais total – manifestent souvent le souhait de rester chez elles. Il faut accompagner ce choix – et les risques qui vont avec. C’est là un changement radical pour nous : il y a quelques années encore, l’HAD était systématiquement refusée aux personnes vivant seules, qui étaient prises en charge par un SSIAD ou un EHPAD loin de Paris – alors qu’une HAD était plus adaptée. Aujourd’hui, nous acceptons de prendre des personnes seules en HAD. La décision est délicate pour les soignants, notamment en cas de décès, puisqu’ils sont les premiers à trouver leurs patients, mais il s’agit aussi de faire valoir leur droit au choix de mourir chez eux, malgré les risques. Nous avons constitué un groupe éthique pour réfléchir sur ces questions.
M. le président Pierre Morange. Je vous remercie. Il ne nous reste plus qu’à revenir sur le principe constitutionnel de précaution pour enfin ouvrir les fenêtres de ce pays !
La séance est levée à dix-huit heures vingt.