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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Mardi 17 mai 2016
La séance est ouverte à dix-huit heures quinze.
(Présidence de Mme Gisèle Biémouret, coprésidente de la mission)
La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Yves Garnier, infirmier libéral, trésorier du Conseil national de l’Ordre des infirmiers, et M. Yann de Kerguenec, directeur juridique de l’Ordre, sur l’hospitalisation à domicile (Mme Joëlle Huillier, rapporteure).
Mme la coprésidente Gisèle Biémouret. Bonjour, je vous prie d’excuser Pierre Morange, coprésident de la MECSS. Nous recevons aujourd’hui M. Jean-Yves Garnier, trésorier de l’Ordre national des infirmiers, et M. Yann de Kerguenec, directeur juridique de l’Ordre. Nous allons vous entendre avant que la rapporteure ne vous pose des questions.
Mme Joëlle Huillier, rapporteure. Je peux déjà poser un constat : on nous a souvent dit lors des auditions ou de nos visites sur place que les médecins avaient un rôle pivot dans l’hospitalisation à domicile (HAD). Il nous semble que c’est aussi le cas des infirmiers qui sont extrêmement importants pour ce dispositif. Nous voudrions vous entendre sur leur rôle, comme infirmier salarié, comme infirmier libéral, mais aussi avoir votre avis sur ce qu’est l’hospitalisation à domicile. S’agit-il d’une bonne prise en charge pour des malades chroniques ? des patients proches du décès ou qui vont se rétablir ? Comment peut-on augmenter le nombre de journées en hospitalisation à domicile par rapport à l’hospitalisation classique, étant entendu que la France est en retard par rapport à d’autres pays européens ? C’est sur ces questions que je souhaiterais vous entendre.
M. Yann de Kerguenec, directeur juridique de l’Ordre national des infirmiers. Nous vous remercions de votre invitation, Madame la rapporteure. Nous souhaitons avoir, avec votre permission, un discours franc et direct sur l’HAD. Nous avons une expérience longue de ce mode de prise en charge. Les infirmiers connaissent bien ces structures et nous sommes un peu inquiets sur l’évolution des rapports que ceux-ci, notamment libéraux, ont avec les établissements d’HAD, compte tenu de l’évolution de ce modèle de prise en charge. Il nous semble intéressant de vous faire part de ces éléments, dont vous avez peut-être eu connaissance en allant sur le terrain, pour améliorer les choses et que l’HAD, que nous ne remettons absolument pas en cause dans sa philosophie ou dans sa logique, tienne mieux compte des différents acteurs et s’adapte à l’évolution de notre système caractérisée par le virage ambulatoire. Notre constat est que les définitions réglementaires de l’HAD et des modes d’intervention en établissements médico-sociaux sont trop vagues et entraînent des incompréhensions, des inadéquations de la prise en charge, voire une forme de concurrence avec d’autres acteurs. Dans la pratique, les infirmiers relèvent que les prises en charge ne sont pas toujours appropriées et pourraient relever d’autres acteurs que sont les services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) ou les infirmiers libéraux.
Mme la rapporteure. Vous expliquez donc que dans un certain nombre de cas l’hospitalisation à domicile est une structure trop lourde eu égard à la pathologie des patients.
M. Jean-Yves Garnier, infirmier libéral, trésorier du Conseil national de l’Ordre des infirmiers. Je suis infirmier en Basse-Normandie et je connais une structure d’HAD qui fait appel aux libéraux lorsque le petit volant d’infirmiers salariés ne suffit pas. C’est un choix d’organisation qui n’est pas fait par tous les établissements. On s’aperçoit que certains soins pourraient être pris en charge en dehors de l’hospitalisation à domicile. À l’inverse, les SSIAD sont souvent dépassés financièrement pas les besoins du patient en termes de prise en charge. Ils ont en effet un prix de journée de 35 euros qui finance l’équipe soignante, les frais de fonctionnement et les soins pratiqués par les infirmiers libéraux. Ces budgets sont rapidement dépassés dans de nombreux cas. Je vous donne un exemple fréquent : un diabétique nécessitant deux passages infirmiers par journée représente la moitié du budget quotidien du SSIAD. Il est donc bien évident que ceux-ci ne peuvent pas prendre des patients aussi onéreux. Ce sont des calculs contestables parce qu’ils ne reposent pas sur des choix de priorité de prise en charge mais sur des choix économiques. La réflexion du SSIAD consiste souvent à se demander quels types de soins sont requis par le patient : si ceux-ci sont raisonnables, il n’y a aucun problème, si en revanche, il requiert des patients et qu’il a un diabète, il ne le prendra pas en charge. Le prix de journée n’est pas assez élevé. On bascule alors dans l’hospitalisation à domicile, souvent onéreuse et qui génère une débauche de moyens pas toujours justifiés, qui n’a évidemment pas les mêmes tarifs alors que le patient pourrait être traité par le SSIAD, avec un complément aide-soignante en collaboration avec les infirmiers libéraux. Le fait d’avoir inclus des soins infirmiers dans les tarifs des SSIAD finit par pénaliser les malades. On pourrait peut-être réfléchir à deux forfaits SSIAD en fonction du besoin du patient ou permettre à l’assurance maladie de prendre en charge une partie des dépenses de soins infirmiers pour permettre une transition entre un système qui fonctionne mais qui n’est pas suffisamment financé et une « armada » pas toujours nécessaire pour des soins qui sont peu lourds.
Mme la rapporteure. On a donc pour un certain nombre de patients pris en charge en HAD parce qu’ils sont trop chers pour un SSIAD.
M. Jean-Yves Garnier. Nous travaillons en général sans difficulté le plus souvent avec des SSIAD de proximité. Malheureusement, la sélection à l’entrée de ces services est malheureusement financière, ce qui est dramatique pour les patients.
M. Yann de Kerguenec. Un autre point qui est en lien avec ces problématiques : le rapport de la Cour des comptes rappelle qu’une bonne partie de l’hospitalisation à domicile, ce sont les pansements complexes pour 25 %. C’est un champ d’activité qui relève aussi de la compétence des infirmiers libéraux. Lorsqu’on prend une approche régionale, on constate que dans la région Languedoc-Roussillon, qui connaît le plus fort taux d’infirmiers libéraux grâce à l’héliotropisme, l’activité des pansements complexes en HAD représente 31 % de l’activité totale. On peut estimer que dans un tel cas de figure il y a concurrence entre les acteurs et une certaine inadaptation de l’offre aux besoins. C’est d’autant plus surprenant que la région Languedoc-Roussillon est pionnière dans le développement de la télémédecine pour les pansements complexes dans un cadre légal que vous avez voté à l’article 36 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014. Financée par l’assurance maladie, il s’agit d’une téléconsultation en lien avec des infirmières libérales et du personnel hospitalier de Montpellier qui se rendent au domicile des patients et utilisent des tablettes permettant de montrer l’état de la plaie et son évolution. Ce dispositif, expérimenté dans neuf régions, dont la Basse-Normandie d’ailleurs, coûte 28 euros la consultation en plus des soins infirmiers. Il a vocation à se généraliser, à partir de ces régions pionnières qui ont acquis une véritable expérience en la matière. Dans ce cas, on peut vraiment se poser la question de la pertinence de l’HAD. Il peut y avoir des cas où on a besoin de plusieurs intervenants dans lesquels l’infirmier libéral s’il n’a pas l’appui d’un SSIAD avec un aide-soignant ne pourrait pas intervenir et l’HAD est dans son rôle. Il existe aussi des plaies, tumorales par exemple, qui peuvent justifier, par leur complexité et le risque qu’elles présentent, le recours à l’HAD.
Cela nous amène à penser qu’il y a dans certains cas un dévoiement, qui s’appuie sur un dogme relayé par la DGOS qui donne des objectifs aux ARS, lesquelles donnent des objectifs aux prescripteurs en matière d’HAD. Faire du chiffre conduit à une solution qui n’est pas optimale alors que les patients pourraient être pris en charge à un moindre coût avec une coordination de ville entre SSIAD et infirmiers libéraux, ce qui est la préoccupation de la MECSS. Ce qui nous inquiète beaucoup, ce que ces inadéquations ont tendance à crisper les acteurs et l’Ordre voit remonter des plaintes ou des demandes sur la façon d’agir par rapport aux conventions conclues avec l’HAD, certains voulant les dénoncer parce qu’ils estiment que cette dernière prend des soins qui pourraient relever des infirmiers. Cela pourrait avoir un autre effet néfaste qui serait pour les infirmiers d’abandonner des soins techniques, alors que c’est leur rôle principal, pour se tourner vers le nursing comme cela se passe dans le Sud de la France où les infirmiers libéraux sont très nombreux. Cette inadéquation des ressources et cette désorganisation du système nous semblent dommageables. Il faut aussi ajouter que les infirmiers libéraux ont l’impression qu’il y a une captation de leurs patients à la sortie de l’hôpital : il arrive que les infirmiers libéraux passent devant le domicile d’un patient et voient un véhicule de l’HAD. Cela peut se justifier mais on retrouve ici un problème plus général sur les liens entre l’hôpital et la ville, l’absence de fiche de liaisons, etc.
Mme la rapporteure. Il devrait pourtant y avoir un lien entre l’HAD et le médecin traitant ? Ce dernier ne sait peut-être pas quel infirmier informer.
M. Jean-Yves Garnier. Souvent les patients connaissent bien leurs infirmiers. En revanche, on a souvent des patients qui nous indiquent ne pas avoir eu le choix. Lorsqu’ils veulent sortir après plusieurs jours d’hospitalisation conventionnelle avec leur médecin traitant et leur infirmier, on conditionne la sortie à leur prise en charge par l’hospitalisation à domicile. Le patient a l’impression d’être pris en otage ou de subir un chantage et l’infirmier est vexé parce qu’il s’est occupé de la personne pendant longtemps et devient tout à coup sous-valorisé. Il est également dommage que l’infirmier, contrairement au médecin traitant, ne soit pas informé tant qu’il n’y a pas de dossier médical personnel (DMP) ou de dossier de liaison.
Sur les pansements, on a une problématique de prise en charge. Je prends l’exemple de la thérapie à pression négative : c’est une technologie brevetée qui consiste à aspirer les plaies. C’est une technologie avancée mais qui n’est pas compliquée à mettre en place pour un infirmier. Cependant, l’appareillage n’est pas pris en charge par l’assurance maladie. L’hospitalisation à domicile intervient alors pour financer cet équipement sans avoir de véritable valeur ajoutée, comme cela m’est arrivé avec un patient. Mettre autant de moyens qui coûtent plus cher à l’assurance maladie que de simples coûts infirmiers sans que ce soit justifié est regrettable. On a eu le même problème avec les poches d’alimentation entérale qui n’étaient pas remboursées par l’assurance maladie. Il y a d’autres cas où le patient, pour les mêmes soins, est pris en charge par l’hospitalisation à domicile.
M. Alain Ballay. Je suis infirmier moi-même et je vais ménager la profession. À vous entendre, l’hospitalisation à domicile n’aurait pas lieu d’être. Pourtant, elle a été créée pour assurer la continuité avec l’hospitalisation complète lorsque le patient retourne à son domicile. Qu’est ce qui relève de l’HAD et qu’est ce qui relève des soins à domicile ?
M. Jean-Yves Garnier. Lorsque l’on est en HAD, il s’agit d’une prise en charge assez lourde, par exemple une fin de vie à domicile. Il y a dans ces cas, en plus des besoins infirmiers, une nécessaire surveillance médicale. Dans l’hospitalisation à domicile, il y a une certaine coordination des soins. Ce n’est pas développé partout, mais il existe également des unités mobiles de soins palliatifs. Dans ce cas-là, médecins et infirmiers se déplacent pour évaluer la douleur lorsque les patients sont équipés de pompes à morphine par exemple. Le patient n’est pas nécessairement pris en charge par l’hospitalisation à domicile.
Nous ne tirons pas toujours à boulets rouges sur l’hospitalisation à domicile. Ce que nous voulons faire remarquer, c’est que certaines prises en charge ne sont peut-être pas toujours justifiées, notamment au niveau des plaies. Les infirmiers aiment bien faire des pansements, et font beaucoup de formation sur les plaies et cicatrisations. Certains, même, ont des diplômes universitaires. Il y a une frustration, puisque ces formations qu’ils ont pu acquérir avec le temps sont contrebalancées par une prise en charge par l’hospitalisation à domicile.
M. Yann de Kerguenec. Je trouve votre question très intéressante, parce qu’il s’agit selon nous de la solution. Nous avons voulu vous montrer un certain nombre de dysfonctionnements que l’on constate. Selon nous, il ne faut pas jeter le modèle de l’HAD, mais au contraire faire en sorte que l’HAD se recentre sur le rôle et la plus-value qu’elle apporte. Pour cela, et c’est une suggestion que nous faisons, il nous semble qu’il faudrait repréciser les conditions techniques de fonctionnement d’une HAD. Les décrets sur l’hospitalisation à domicile datent de 1992, une époque tout à fait différente. Si l’on vous a attiré sur diverses questions en lien avec des problèmes de frontière, c’est que peut-être que davantage que de se centrer sur l’alternative à l’hospitalisation, il faudrait regarder le virage ambulatoire dans lequel nous sommes. Comment prendre en charge le mieux possible des gens à domicile ?
Parfois, évidemment que c’est l’HAD. Pour cela il faudrait redéfinir le cadre réglementaire, avec un décret comportant les conditions techniques de fonctionnement. Dans ces conditions, il est impératif qu’il y ait une obligation d’astreinte infirmière et médicale. Certains diront que les meilleurs HAD sont les grandes, comme Soins Santé de Lyon qui propose une astreinte médicale et infirmière ainsi qu’un service administratif de réponse pour les aidants 24/24. Il ne faut pas mettre la barre trop haute, au risque de supprimer un trop grand nombre de structures. Néanmoins, il conviendrait de fixer un certain niveau d’exigence. Cela a un coût, et c’est le problème constant lorsque l’on met des normes.
La plupart des structures n’ont pas envie qu’on leur ajoute des normes. Cependant si on veut éviter de rencontrer les problèmes que nous avons soulevés, nous ne voyons pas comment le faire sans avoir de conditions techniques de fonctionnement bien reprécisées, avec de la part des ARS un travail de visites de conformité avec des contrôles a posteriori. Cela permet de faire des remarques et, si nécessaire, de suspendre l’autorisation.
Parfois, dans le dogme de l’HAD, on a l’impression que les agences régionales de santé ont eu tendance à se limiter aux objectifs que leur a fixés la DGOS. Les CPOM ne sont pas suffisants, c’est pour cela que nous sommes plus en faveur de la redéfinition des conditions techniques de fonctionnement par décret. Il y a effectivement un équilibre à rechercher. Si on augmente les normes de manière drastique, on ne va garder que les grandes HAD, et les petites structures ne pourront plus continuer d’exister. Ensuite, il faut des études médico-économiques au regard de la prise en charge. Le sujet n’est pas de savoir si l’HAD est moins coûteuse que l’hospitalisation conventionnelle. C’est un fait avéré. Mais c’est de savoir si elle est moins coûteuse qu’une prise en charge de ville, ce qui peut arriver.
La ville souffre d’un défaut de coordination indéniable et n’est pas toujours la panacée. Les infirmiers libéraux le savent, et le déplorent aussi. Peut-être que le mode de financement et d’organisation traditionnelle n’est pas possible. La loi de modernisation du système de santé apporte un certain nombre de réponses. Parfois l’HAD peut, effectivement, être l’outil de coordination. D’autant plus si l’HAD apporte des formations, aux infirmiers libéraux par exemple. Les études médico-économiques sont urgentes, et nous sommes un peu inquiets de la lenteur des organismes. On se demande, au fond, si la priorité n’a pas été donnée au développement à tout prix de l’HAD, sans prendre le temps de faire des études pour vérifier que le modèle que l’on préconise est un bien plus économique que les autres.
Il nous semble aussi que les pratiques, un peu agressives, d’HAD que l’on a citées devraient être proscrites et pour nous, avec les ARS, il faudrait absolument que l’on arrive à avoir une forme de régulation. La concurrence n’est pas saine entre les acteurs. On doit pouvoir arriver à des formes de coopération.
Mme la rapporteure. Il me semble qu’il y a un écueil au sujet des SSIAD dont vous parliez tout à l’heure. Ces organismes sont autorisés pour une certaine capacité. Donc même lorsqu’il y a des personnes qui relèveraient d’une prise en charge SSIAD, celui-ci ne peut pas lui dire s’il a atteint sa capacité. Il y a peut-être des modulations à trouver, de façon à ce que les SSIAD, avec les infirmiers libéraux, puissent prendre en charge plus de personnes en sortie d’hospitalisation.
Sur l’hospitalisation à domicile, il me semble que celle-ci devrait être réservée à des cas complexes. Des cas complexes, non seulement en matière de prise en charge des soins, mais aussi en matière de prise en charge de l’environnement. Je pense notamment à l’environnement familial. L’HAD a là un rôle à jouer, car on ne remet pas quelqu’un à son domicile sans avoir vérifié qu’il est possible avec son entourage familial, et son logement tel qu’il est fait. Il me semble que l’on devrait avoir dans tous les services d’HAD au moins des temps partiels d’ergothérapeutes, de manière à voir si la personne est capable d’aller prendre son bain par exemple. Voir également si l’aidant familial a la capacité de supporter une permanence de vie à côté du malade. Cela devrait être du rôle de l’HAD. C’est dans des conditions comme cela que vous ne pourriez pas non plus être en concurrence avec les HAD, mais bien être en complémentarité avec une forme de prise en charge un peu plus allégée.
Je pense dès lors qu’il faut que l’on trouve de la souplesse à ce niveau-là, tout comme les indicateurs. Il faudrait avoir des référentiels, ce qui existe déjà pour un certain nombre de maladies.
M. Jean-Yves Garnier. On s’aperçoit dans les prises en charge, et tout dépend du type d’HAD, qu’il faut remplir le service d’hospitalisation à domicile. Il y a une masse salariale, avec des charges extrêmement importantes, et parfois les critères médicaux ne se font pas tant sur une question de gravité, mais plus sur des critères financiers. Il s’agit de l’envers du SSIAD.
Dans certaines petites communes, il y a parfois de petits hôpitaux locaux qui peuvent être en difficulté. Ils montent parfois une HAD, et ont un volant d’infirmières qui vont passer de l’un à l’autre. Lorsqu’il y a une activité importante, elles restent dans le service, et si l’HAD n’a pas assez de personnel, alors qu’elles seront salariées de l’hôpital, ils feront appel à ces infirmières. On assiste donc parfois à des prises en charge qui se font sur d’autres critères que ceux de gravité.
Mme la rapporteure. Est-ce que les cas que vous nous citez sont fréquents ?
M. Yann de Kerguenec. Nous n’avons pas d’ordre d’idée. Sur cet exemple des pansements complexes, en Languedoc-Roussillon, il y a 31 % de leurs activités d’HAD qui y sont consacrées alors même que c’est la région où il y a le plus d’infirmiers libéraux, et où il y a le plus d’offre de ville dans ce domaine.
Lorsque l’on regarde le graphique produit par la Cour des comptes, on se rend compte qu’il y a 50 % de l’activité qui pourrait relever des infirmiers libéraux avec l’appui d’un SSIAD. Cela ne veut pas dire qu’il faudrait redonner ces 50 % aux libéraux. Il peut y avoir des plus-values de l’HAD, et ce que vous évoquez à l’égard du soutien aux aidants familiaux est absolument fondamental. C’est vrai que l’infirmier libéral sera au domicile, c’est d’ailleurs l’un des derniers professionnels de santé à se rendre au domicile des patients. Il faut donc absolument que l’HAD puisse valoriser, et garantir qu’elle apporte ces services-là de manière à ce qu’elle prouve aux acteurs ce qu’elle apporte de plus dans une prise en charge qui peut aller vers des cas de plus en plus lourds, et de plus en plus complexes, des sorties d’hôpital de plus en plus précoces.
Mme la rapporteure. D’autres personnes auditionnées par la MECSS nous ont caractérisé l’HAD comme correspondant aux maladies évolutives, alors que les autres systèmes de soins seraient dévolus aux maladies chroniques. Que pensez-vous de cette définition ?
M. Jean-Yves Garnier. Toutes les maladies évolutives ne sont pas prises en charge par l’HAD ; il existe des maladies évolutives qui ne nécessitent pas de soins spécialisés, tout dépend de leur stade de développement. Par exemple, les patients nécessitant des soins de nursing lourd sont essentiellement suivis en HAD, après avoir été pris en charge par un SSIAD ; en effet, lorsque les soins nécessitent la présence de plusieurs personnes, les SSIAD ne sont pas forcément en capacité de fournir le personnel nécessaire.
M. Yann de Kerguenec. Cette dichotomie apparaît un peu simpliste : certaines maladies chroniques sont évolutives. La problématique reste la fluidité du système, qui doit permettre d’éviter le retour à l’hospitalisation conventionnelle et qui doit prévoir des passages de relais entre les acteurs. Il faudrait se pencher sur des conventions de relais entre HAD et SSIAD, dans les deux sens, en fonction de l’évolution de l’état du patient, avec des instances de suivi sur les territoires, afin que cela ne se fasse pas uniquement sur des critères économiques.
Mme la coprésidente Gisèle Biémouret. On en revient au parcours de soins et au suivi : certains patients sont renvoyés à domicile, après des interventions qui ne sont pas nécessairement lourdes, et je m’interroge sur la coordination des acteurs et le suivi par la suite. C’est le médecin traitant qui prescrit des soins en SSIAD ou HAD mais on peut questionner la coordination qui peut exister par la suite ; dans le cadre de la gestion de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) par les départements, il y a une coordination entre les services d’aide à domicile dont peut bénéficier la personne âgée. Comment pourrait-on mettre en place cette coordination et informer le patient des solutions qui pourraient être mises à sa disposition ?
M. Jean-Yves Garnier. Il serait bien de pouvoir les prévenir lors de l’hospitalisation, avant le retour le retour à domicile. Nous avons souvent le sentiment que l’on considère les patients comme un paquet que l’on envoie ailleurs : les retours d’hospitalisation ne sont pas forcément très bien coordonnés avec les infirmiers libéraux. C’est là que le bât blesse : les patients se retrouvent à domicile sans portage de repas, sans auxiliaire de vie ou aide familiale, sans vérification de l’état du logement en termes de confort et d’hygiène. Il faudrait travailler plus en amont : l’assurance maladie a mis en place un certain nombre de dispositifs intéressants, tels que le Programme d’accompagnement au retour à domicile (PRADO) en orthopédie, qui organise les retours d’hospitalisation après une enquête. Ces retours peuvent être parfois brutaux, décidés au dernier moment pour libérer un lit, et les libéraux doivent se débrouiller pour trouver les produits un vendredi soir. Il faudrait réfléchir en amont à la prise en charge de ces sorties.
Mme la rapporteure. Vous indiquiez que certaines prises en charge en HAD n’étaient pas forcément justifiées, je veux bien en convenir ; mais il existe également des zones où il n’existe pas de solutions d’HAD pour des malades sortant de l’hôpital alors que cela serait justifié, du fait de l’absence de structures ou de la méconnaissance par les praticiens hospitaliers des structures existantes ; les malades font alors appel aux infirmiers libéraux et vous n’êtes pas toujours disponibles. Par ailleurs, trouver les services pour une sortie d’hospitalisation peut être compliqué pour les familles. Comment remédier à ce manque d’information ?
M. Jean-Yves Garnier. Les médecins traitants connaissent généralement bien les services de soins tels que les SSIAD présents sur leur territoire et qui travaillent avec les médecins. En ce qui concerne les structures d’HAD, il existe des zones biens pourvues et de véritables déserts. Les infirmiers libéraux ont été la première profession de santé à signer un accord sur la démographie médicale, mais beaucoup de travail reste à faire. Il existe des déserts médicaux, dans certains territoires de province ou de la région parisienne.
M. Yann de Kerguenec. En matière de sortie postopératoire, notamment en chirurgie ambulatoire, désormais très répandue et effectuée par des médecins libéraux dans des cliniques privées, les spécialistes et notamment les anesthésistes, vont faire sortir très vite des patients connaissant encore les effets de l’anesthésie et devant faire l’objet d’une prise en charge de la douleur sans faire appel à l’HAD car les structures d’HAD relèvent de l’hôpital public.
À Nantes, où existent de très grosses cliniques chirurgicales, il y a des sorties très rapides après des opérations chirurgicales, et il faut administrer au patient des doses d’antalgiques très puissants : pour cet acte, auparavant effectué en hospitalisation, on s’en remet désormais à l’infirmière libérale. Ces infirmières peuvent avoir été formées par le médecin anesthésiste pour procéder aux injections spécifiques dans des cathéters : mais leur cadre de compétences et de responsabilité ne leur permet pas de faire cela à domicile, sans médecin pouvant intervenir à tout moment comme cela doit se faire normalement. En outre, cet acte n’est pas pris en charge dans la nomenclature de l’assurance maladie.
S’il n’y avait pas de cloisonnement, cet acte pourrait relever de l’HAD. Dans le cas contraire, il faudrait faire évoluer le cadre de compétences des infirmiers, mais tous les infirmiers ne sont pas prêts à faire ces gestes complexes et le suivi afférent.
Cet exemple montre la grande difficulté des acteurs libéraux et hospitaliers à travailler avec l’HAD.
M. Alain Ballay, député. Nous pouvons tous faire le constat qu’il manque de la fluidité dans le parcours du patient et de la communication entre les différents intervenants surtout quand ils ne relèvent pas de la même structure. Pensez-vous qu’il faudrait un coordinateur pouvant chapeauter et diriger la prise en charge du patient ? La coordination entre acteurs existe-t-elle ou faudrait-il l’inventer ?
M. Yann de Kerguenec. On peut être optimiste en voyant les dispositifs que prévoit le titre I de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé en matière de coordination des soins de ville et de l’hôpital. La lettre de liaison a été inscrite dans la loi, ce qui la rend opposable. Les systèmes d’information prévus devraient permettre de mieux informer les patients et acteurs de l’offre de soins.
En ce qui concerne les coordinateurs, il est prévu des plateformes d’appui par cette loi mais elles sont davantage faites pour les maladies chroniques. Cela ne peut pas résoudre tous les cas que nous avons évoqués. Mettre en place un acteur unique de coordination pourrait apparaître comme un vœu pieux, compte tenu de la variété des acteurs de soins et des situations des patients, notamment à domicile. Il apparaît difficile d’avoir un seul coordinateur. Le médecin traitant pourrait jouer plus ce rôle, mais avec une prise en charge adaptée sur le plan financier avec des forfaits comme ceux qu’on commence à voir dans les maisons de santé. Cependant, l’évolution va dans le bon sens et la variété des dispositifs de coordination prévus par la loi est un point positif même si cela reste insuffisant.
Mme la rapporteure. Avez-vous d’autres éléments dont vous voudriez nous faire part ?
M. Jean-Yves Garnier. En matière de compétence des infirmiers, nous avons sur le territoire une démographie et un maillage des infirmiers dans une évolution plutôt positive, qui contraste avec le fait que leur cadre de compétences n’a pas évolué : des actes supplémentaires pourraient être inscrits dans la nomenclature de l’assurance maladie pour être effectués par les infirmiers, au besoin après une formation spécifique les y habilitant. C’est un obstacle à la prise en charge de certains patients, notamment en cancérologie : l’évolution des chimiothérapies, bientôt administrées à 75 % par voie orale et non plus par voie intraveineuse, présente de nouveaux risques pour les patients qui doivent être formés par un professionnel de santé. Il manque aux infirmiers un acte de surveillance de la chimiothérapie orale, permettant de faire aux infirmiers d’effectuer le suivi hebdomadaire de la prise et des éventuels effets secondaires. Aujourd’hui cet acte n’existe pas et les infirmiers ne peuvent être rémunérés pour ce service.
L’HAD est une évolution paradoxale : on veut que l’hospitalisation soit la plus rapide possible, mais ensuite on recrée l’hôpital à domicile. Il serait mieux de prévoir une prise en charge par les infirmiers qui ont la compétence pour agir.
Mme la coprésidente Gisèle Biémouret. Ne pensez-vous pas que ce sont les médecins qui freinent le développement de l’autonomie des infirmiers ? Dans les déserts médicaux, les infirmiers pourraient faire ces actes ; lorsque je l’ai suggéré, un médecin m’a accusé de vouloir revenir à une médecine « coloniale ».
M. Jean-Yves Garnier. Les médecins sont en train d’évoluer. En matière de pratique avancée des infirmiers, il y a substitution possible. En termes de rapprochement, on parle souvent d’un couple médecin-infirmier, même si certains médecins peuvent être un peu paternalistes envers les infirmières. Les générations de médecins sont plus ouvertes ; dans les faits, il existe des actes que les médecins ne pourront plus faire à l’avenir et il y aura alors transfert de compétences.
M. Yann de Kerguenec. La question de la pratique avancée a fait un bond en avant grâce à la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé. Il faudra des textes d’application, mais cela permettra d’encadrer juridiquement le rôle d’infirmier expert, chargé de la coordination, de l’adaptation des prescriptions et des traitements qui constituent ce que la loi appelle « pratique avancée ». Il y a des susceptibilités mais le sujet de la pratique avancée n’est pas un sujet de blocage des médecins, notamment des praticiens hospitaliers et des médecins spécialistes. Lors d’un colloque a été cité le cas d’infirmiers experts en urologie, qui sont montés en responsabilité pour effectuer des actes mais également assurer du temps de coordination, de dépistage des risques sociaux auprès des patients. C’est un élément clé pour l’avenir.
Mme la coprésidente Gisèle Biémouret. Messieurs, nous vous remercions.
La séance est levée à dix-neuf heures trente.