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Mercredi 25 novembre 2015

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 9

Présidence de Mme Sophie Rohfritsch, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Frédéric Dionnet, directeur général du Centre d’étude et de recherche en aérothermique et moteurs (CERTAM), de M. David Preterre, toxicologue et chef de département qualité de l'air, métrologie des nanoparticules aérosolisées et évaluation et de M. Frantz Gouriou, physicien spécialiste de la métrologie des particules fines

Mission d’information
sur l’offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

La séance est ouverte à onze heures trente-cinq.

La mission d’information a entendu M. Frédéric Dionnet, directeur général du Centre d’étude et de recherche en aérothermique et moteurs (CERTAM), de M. David Preterre, toxicologue et chef de département qualité de l'air, métrologie des nanoparticules aérosolisées et évaluation et de M. Frantz Gouriou, physicien spécialiste de la métrologie des particules fines.

Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Je souhaite la bienvenue à nos invités. Le Centre d’étude et de recherche en aérothermique et moteurs (CERTAM) est une structure légère. Créé en 1991, il a été conçu comme un pont entre la recherche académique et l’innovation industrielle. Installé dans l’agglomération rouennaise, le CERTAM a été notamment soutenu par la région Haute-Normandie. Il a noué de nombreux partenariats, tant avec le secteur privé qu’avec le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et l’Institut national de la recherche médicale (Inserm). Le CERTAM est également membre de l’Institut Carnot « Énergie et systèmes de propulsion » et du pôle de compétitivité Mov'eo depuis sa création.

Étant donné votre expérience commune et vos spécialisations individuelles, messieurs, les appréciations que vous portez sur les tests d’homologation des véhicules et sur l’efficacité des contrôles techniques obligatoires dans le domaine des polluants à l’échappement intéressent particulièrement notre mission. Le CERTAM, qui dispose de ses propres bancs d’essais moteurs, a-t-il des propositions à exposer ? Avez-vous mis au point vos propres procédures de tests, voire des « contre tests » distincts des tests officiels ?

La mission souhaite vous entendre exposer les avantages et les inconvénients des filtres à particules. Est-ce la seule formule concevable de limitation de la pollution d’un point de vue économique ? Des progrès significatifs ont-ils été réalisés en ce domaine ? Que peut-on dire aujourd’hui du caractère nocif des polluants à l’échappement des véhicules ? La situation s’aggrave-t-elle ou peut-on espérer une dépollution progressive, notamment dans les grandes villes ? En tablant uniquement sur le renouvellement naturel du parc de véhicules, à quelle date approximative commencera-t-on à constater des résultats durables et probants ?

M. Frédéric Dionnet, directeur général du Centre d’étude et de recherche en aérothermique et moteurs. Je vous dirai dans un premier temps ce qu’est le CERTAM. Vous avez rappelé qu’il a été créé il y a vingt-cinq ans à l’initiative du CNRS et du ministère de la recherche et de la technologie, avec le soutien de la région Haute-Normandie. Il s’agissait de monter un centre de recherches technologiques plus appliquées que les recherches fondamentales en combustion conduites par le CNRS dans la région de Rouen. Dans ce cadre, nous avons développé de nouvelles techniques d’évaluation des émissions, qui vont au-delà des mesures physico-chimiques classiques des polluants réglementés
– monoxyde de carbone, hydrocarbures imbrûlés, oxydes d’azote et particules en nombre et en masse. Le partenariat noué il y a plus de dix ans avec l’Inserm nous a conduits à mettre au point un système d’évaluation biologique des émissions.

C’est que la combustion, phénomène éminemment complexe, implique des centaines de réactions d’espèces chimiques qui se font concurrence et émettent non seulement les polluants réglementés déjà cités mais des centaines d’autres espèces, non toujours prévisibles, qui peuvent avoir des effets divers sur la santé humaine. Au terme de discussions avec M. Jean-Paul Morin, scientifique à l’Inserm, il nous a paru intéressant de déterminer le potentiel toxique de ces émissions pour la santé humaine, et nous en sommes venus à développer un système d’exposition in vitro directe d’échantillons biologiques – des tranches de poumon animal en culture organotypique – à des émissions moteur. Nous sommes les seuls au monde à avoir conjugué des équipes de physiciens et de biologistes pour étudier ce phénomène à la croisée des sciences. C’est la grande originalité de notre centre de recherches.

Le CERTAM a aussi développé des compétences relatives à l’évaluation des émissions de polluants tant « classiques » que non encore réglementés. Il nous fallait affiner les mesures pour apprécier comment remédier à ces pollutions et permettre aux industriels chargés de réduire ces émissions d’y travailler.

Notre structure est légère mais nous faisons partie d’un réseau au maillage serré. Nous travaillons avec l’Institut Carnot « Énergie et systèmes de propulsion », dont les recherches fondamentales nous permettent le ressourcement nécessaire à la mise au point de nouvelles technologies et métrologies. Participer au pôle de compétitivité Mov'eo a renforcé nos liens avec l’industrie ; c’est indispensable, car nous ne saurions exercer notre métier sans travailler pour les industriels de l’automobile. Pour rester pertinents, nous ne pouvons demeurer dans un univers strictement universitaire : nous devons suivre les évolutions technologiques, voire participer à leur développement. S’il en était autrement, nous accuserions très vite un retard de cinq ou dix ans. Enfin, parce que nous sommes une structure privée d’une trentaine de salariés, nous vivons des contrats de recherche et développement que nous remportons auprès des industriels du pétrole et de l’automobile et aussi des pouvoirs publics par le biais d’organismes tels que l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) ou l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES).

Avant qu’avec votre autorisation je reprenne la parole pour répondre à vos autres questions, Frantz Gouriou traitera des avantages et des inconvénients des filtres à particules et David Preterre de la nocivité des émissions.

M. Frantz Gouriou, physicien spécialiste de la métrologie des particules fines. Parce que l’on ne peut stocker indéfiniment les substances issues de la combustion, le post-traitement consiste à les transformer, mais les produits qui résultent de cette transformation ne sont pas obligatoirement des polluants ; c’est ce que nous essayons de déterminer. L’effet des particules sur la santé ne peut être considéré de la même manière que celui des gaz. Nous avons longuement étudié les particules que sont les poussières céréalières, avec l’indicateur de particules en suspension PM10, puis avec l’indicateur PM2,5, meilleur, mais qui devra évoluer – cette évolution a déjà eu lieu pour l’automobile, avec l’introduction du comptage particulaire. Toutes les particules de poussières céréalières n’ont pas la même taille, mais leur diamètre moyen est bien supérieur à celui des particules issues de la motorisation diesel, qui est d’environ un dixième de micron : avec l’indicateur massique PM10, une poussière céréalière correspondra, à iso-masse, à une fourchette de 10 000 à 100 000 particules diesel ; on comprend que l’effet sur la santé ne sera pas le même. De plus, la poussière céréalière, parce qu’elle a un assez gros diamètre, pénétrera, heureusement, assez mal dans l’appareil respiratoire : on admet qu’il y a un tiers de chance qu’elle s’arrête dans les voies supérieures – le nez et la gorge. En revanche, il y a une chance sur deux pour que les particules du diesel gagnent les alvéoles pulmonaires. C’est pourquoi les choses devront évoluer et pour l’automobile et pour les émissions industrielles en cheminées.

Le filtre à particules du diesel est maintenant largement répandu, et c’est heureux. Même si on peut relever quelques travers, il fonctionne globalement bien. Il a d’abord un effet physique : il arrête la matière particulaire. Pendant que le filtre se charge progressivement de particules, les émissions sont pratiquement inexistantes. Les taux d’efficacité varient selon les conditions d’utilisation mais sont extrêmement élevés : de 100 à 1 000, voire 10 000, ce qui signifie qu’il n’y a pratiquement plus aucune matière particulaire à la sortie du filtre. Mais le filtre à particules ne peut stocker la matière indéfiniment ; il doit donc être régénéré. Cela s’obtient par une combustion qui brûle la matière particulaire piégée dans le filtre. Il en résulte du CO2 et de l’eau, et, minoritairement, des polluants en quantité relativement faible du point de vue massique.

On a entendu dire que le filtre à particules ne filtrerait pas les particules les plus fines ; c’est inexact. Lors de la mesure, l’efficacité de la filtration est observée sur toute la gamme de taille des particules solides – la suie de combustion. Mais, à l’échappement d’un moteur, on observe également une très faible fraction d’hydrocarbures imbrûlés qui peuvent condenser, produisant une particule qui n’est plus solide et que l’on ne peut donc considérer de la même manière. L’exemple éloquent de la plateforme aéroportuaire de Roissy-Charles-de-Gaulle explicitera mon propos. Là-bas, on note assez souvent une forte odeur de kérosène. C’est que les moteurs d’aéronefs n’étant pas à pistons, la combustion est très mauvaise pendant la phase de roulage des avions ; elle produit une forte émission d’hydrocarbures imbrûlés sous forme gazeuse ou partiellement particulaire, particulièrement lorsque la température décroît. Cet aérosol représente des quantités négligeables d’un point de vue massique mais tout à fait mesurables en nombre, et les quantités numériques observées sont extrêmement faibles, très en deçà de ce que l’on mesurerait en amont d’un filtre à particules. J’ajoute que, à la sortie d’un filtre à particules, il n’y a plus la matrice carbonée particulaire
– ou alors, elle est très minoritaire –, ce qui facilite l’observation des particules volatiles.

Mais tout n’est pas aussi rose, car la dépollution est un exercice très compliqué. Depuis plusieurs années, David Preterre et moi-même réalisons des mesures sur route avec un véhicule-laboratoire dans les tunnels franciliens – notamment ceux de l’A 86 pour le compte de la direction régionale et interdépartementale de l’équipement et de l’aménagement d’Île-de-France (DRIEA) –, sur les autoroutes, à Paris et en province. Pour les particules de combustion, nous avons observé une diminution d’un bon facteur 2 au cours des cinq ou six dernières années, grâce au renouvellement du parc automobile, qui fait son effet même si cela prend du temps. Cela peut paraître surprenant puisque l’on entend dire pendant les épisodes de pollution qu’il y a de plus en plus de particules en suspension. Il faudra faire évoluer les indicateurs, car les particules de combustion sont actuellement très mal représentées dans l’indicateur fourre-tout PM10 et même dans l’indicateur PM2,5. L’indicateur PM10 mesure des particules qui ont jusqu’à cent fois la taille d’une particule diesel ; on répertorie aussi, concomitamment, les poussières de freinage, d’usures de pneumatiques, ou encore des poussières issues de l’industrie et de la chimie atmosphérique. Cet indicateur, d’une utilisation très difficile, n’est pas intrinsèquement mauvais mais il n’est pas suffisant. Pour avoir une image précise de la filtration des particules issues de la motorisation et de ce que deviennent les polluants automobiles, il faut vraiment passer aux observations numériques.

En résumé, même si rien n’est jamais parfait, les filtres à particules sont des produits efficaces, sur lesquels il n’y a pas beaucoup à redire. Ils ont un coût économique et énergétique puisque le filtre à particules augmente légèrement la consommation en freinant l’échappement, mais tout cela est quantifié. Nous mesurons l’évolution lors des roulages, et nous savons que les choses vont plutôt mieux. En revanche, nous n’observons rien de tel pour les émissions d’oxydes d’azote (NOx) car la dépollution en NOx étant balbutiante, on ne peut bénéficier de l’effet du renouvellement du parc automobile – et nous ne disposons pas de retours à ce sujet, sinon au banc moteur.

M. David Preterre, toxicologue et chef de département Qualité de l'Air, métrologie des nanoparticules aérosolisées et évaluation. Avant d’évoquer les aspects toxicologiques des émissions, je rappellerai comment s’opérait, précédemment, la toxicologie des polluants. Parce qu’il était difficile d’avoir accès à des cellules d’essais moteur de dernière génération et de faire travailler ensemble physiciens et biologistes, les laboratoires achetaient des particules standardisées supposées être représentatives d’émissions du diesel, ou travaillaient sur des gaz synthétiques, et réalisaient des suspensions de particules dont on évaluait la toxicologie en les instillant directement dans des poumons animaux. Mais, dans la réalité, les aérosols ne pénètrent pas de cette manière dans l’arbre respiratoire. Les particules émanant du diesel en suspension dans un liquide, ayant tendance à s’agréger, n’ont plus la même taille, et la biodisponibilité est complétement différente ; de plus, avec ce procédé, on ne respecte pas la dosimétrie à laquelle la population peut être exposée.

C’est pourquoi nous avons décidé, avec le docteur Jean-Paul Morin, il y a une quinzaine d’années, d’ouvrir une antenne biologique au CERTAM, où nous bénéficions des cellules d’essais moteur et où nous avons pu réaliser des cycles conformes à la réalité. Les mesures se font en prélevant continûment les échappements moteur, en les diluant et en exposant directement des cultures organotypiques de poumons animaux à ces émissions, de manière à caractériser, par dosages de marqueurs, leur effet toxique ou leur innocuité.

Cette approche permet des prélèvements en amont et en aval des systèmes de post-traitement et la réalisation d’expositions en parallèle. Ainsi peut-on caractériser l’effet de « stress oxydant » – et, ces dernières années, de « stress génotoxique » – des émissions des différents systèmes de post-traitement et des nouveaux carburants, dans des conditions parfaitement maîtrisées. Le procédé donne très rapidement une vision de l’innocuité ou de la dangerosité supposée d’un système de post-traitement qui transforme des espèces chimiques réglementés en d’autres substances qui ne le sont pas et qui peuvent avoir un effet soit sur l’environnement, soit sur la santé.

Se pose la question de la représentativité des émissions auxquelles les systèmes biologiques sont exposés de la sorte. Nous travaillons en relations étroites avec les constructeurs automobiles. Ils nous fournissent les moteurs et les supports nécessaires à leur fonctionnement dans des conditions représentatives de la réalité, en cycle « homologation » ou en cycle « roulage routier ». Dernièrement, nous avons réalisé une étude pour l’ADEME en prélevant des véhicules dans le parc automobile pour les placer directement sur un banc d’essai à rouleaux. Les émissions sont prélevées à l’arrière des échappements des véhicules conduits par un chauffeur qui suit une trace censée être représentative d’un type de roulage donné. Nous devons nous en tenir à des cycles normalisés. En effet, les expérimentations doivent être reproductibles pour que définir des valeurs statistiques moyennes. L’objet de l’étude est de caractériser l’impact toxicologique lié à l’évolution des normes, depuis les normes Euro 3 jusqu’aux normes Euro 6 ; ses conclusions seront remises à l’ADEME à la fin de l’année.

M. Frédéric Dionnet. Il s’agit donc de vérifier si la transformation des espèces chimiques induite par la réduction progressive des émissions des polluants réglementés imposée par les normes européennes d’émissions dites « Normes Euro » a pour conséquence potentielle la fabrication de substances qui pourraient être moins bonnes pour la santé. Des travaux ont été conduits à ce sujet depuis des années ; dans le cadre du 5e programme-cadre pour la recherche et le développement technologique, des tests ont été menés et validés avec des collègues de laboratoires du monde entier. Nous maîtrisons cette technique complexe. Nous ne nous limitons donc pas à vérifier le respect des seuils réglementaires, nous nous assurons que les technologies mises sur le marché ne sont pas contre-productives. Les conclusions de l’étude ne sont pas encore entièrement dépouillées, mais les premiers résultats, plutôt positifs, montrent l’amélioration du potentiel sanitaire en fonction de l’évolution des normes.

M. David Preterre. La concentration de polluants réglementés chute, mais celle des autres polluants également. Nous sommes parvenus à dissocier l’effet « particule » de l’effet « phase gazeuse » des échappements et nous avons pu observer que le retrait de la phase particulaire diminue le stress inflammatoire observé sur le système biologique exposé. Nous avons aussi observé que l’utilisation de carburants de type bio-fuels provoque l’élévation substantielle des émissions de certains polluants non réglementés, qui peuvent avoir un impact sur certains paramètres biologiques ; ces données doivent être vérifiées.

La catalyse de l’oxydation a été introduite très tôt dans la réglementation européenne – depuis les normes Euro 2 ou Euro 3 pour les moteurs diesel. Un certain reportage diffusé par France 2 avait fait grand bruit, car on y évoquait le potentiel mutagène exacerbé des émissions d’échappement de moteurs diesel non post-traitées. Mais les journalistes avaient omis de préciser que dans les résultats obtenus après post-traitement, l’effet mutagène était très amoindri. Ce reportage inabouti était quelque peu partial.

M. Frédéric Dionnet. Nous sommes en train de diffuser notre savoir-faire technologique en Europe et dans le monde. Nous l’avons transféré à l’Université de Bienne et à celle de Thessalonique, c’est en cours avec l’Académie des sciences de Prague et nous sommes en discussion avec la Chine à ce sujet. Notre objectif est que l’outil soit largement utilisé par les scientifiques du monde entier, avec une harmonisation maximale de manière à pouvoir donner les mêmes types de réponses à des problèmes divers.

Les données permettant de répondre si la situation globale s’aggrave sont en accès libre dans l’inventaire national des émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques en France établi par le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique, opérateur du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. À sa lecture, on constate que les transports routiers constituent une part importante des émissions de CO2, avec 120 millions de tonnes en 2014, soit 28 % des émissions de gaz à effet de serre.

Permettez-moi une incise : il convient de distinguer les émissions de gaz à effet de serre, nocifs pour le climat, des émissions de polluants, toxiques pour la santé. Un motoriste qui réduit les émissions de CO2 augmente les émissions de NOx, et inversement. À un moment, il faut définir une priorité – mais y en a-t-il une ?

Ces 120 millions de tonnes d’équivalent CO2 représentent un accroissement de 19 % entre 1990 et 2013 ; pendant la même période, le trafic routier a augmenté de 34 %. Cela montre qu’un progrès a été réalisé en matière de consommation des véhicules mais qu’il ne suffit pas à endiguer l’augmentation du parc automobile. Le transport routier représente la première source d’émission de gaz à effet de serre ; le résidentiel/tertiaire émet annuellement 70 millions de tonnes d’équivalent CO2, l’industrie manufacturière 80 millions de tonnes.

Les émissions de NOx ont été mises en avant parce que les motorisations diesel en produisent beaucoup. En 2014, le trafic routier dans son ensemble a représenté 54 % des émissions de NOx, mais la tendance est à la décroissance : en 1990, elles s’établissaient à 1,2 million de tonne, et à 0,5 million de tonnes en 2013. Cela s’explique par la mise au point du système de dépollution dit LCR et, plus récemment, du système de recyclage des gaz d’échappement (EGR), encore en cours de développement, qui permet de limiter les émissions de NOx par dilution de la charge carburée.

Les motoristes ont résolu la question des particules par les filtres, je l’ai dit. Comme l’a souligné Frantz Gouriou, l’indicateur PM10 est peu représentatif de ce qu’émet un moteur automobile, puisque l’on trouve dans cette catégorie toutes sortes de poussières et jusqu’au sable saharien. Pour les particules PM1, la chute des émissions est constante : on est passé de 60 kilotonnes d’émissions en 1993 à 18 kilotonnes en 2014. Avec 82 kilotonnes d’émissions sur un total de 129 kilotonnes en 2014, le secteur résidentiel/tertiaire précède largement le transport routier, qui représente 16 % de ces émissions, une proportion relativement faible. Il s’agit là de l’amélioration de la qualité moyenne de l’air dans les villes ; bien entendu, les expositions aux émissions augmentent sur le périphérique parisien et dans certaines rues « canyons » mais, somme toute, elles suivent l’évolution moyenne, qui se traduit par des émissions moins importantes que les années précédentes, même si des pics se produisent. En matière de pollution, la tendance globale est donc à l’amélioration.

D’autre part, les cartes d’émissions qui figurent sur le site Prev’Air montrent le transport de ces polluants, et notamment des particules, à l’échelle continentale. Les mesures permettent de prévoir la pollution atmosphérique à grande échelle et l’on constate que les pollutions aux particules ne sont pas des phénomènes essentiellement locaux ; ils touchent le continent entier. Ainsi, des feux de forêts dans la Ruhr ont pour effet l’apparition de panaches de fumée dans la région parisienne.

Les méthodes de mesure utilisées par le réseau français des 24 associations agréées de surveillance de la qualité de l’air ont changé. L’évolution technologique a permis une approche beaucoup plus fine, et l’on mesure désormais aussi les aérosols liquides de petites particules condensées ; on constate qu’elles contiennent une importante proportion de nitrate d’ammonium, principalement issu des épandages d’engrais, avec des pics en mars.

Toutes ces données sont publiques, mais il est vrai qu’il faut se donner un peu de mal pour aller les chercher sur les différents sites concernés, les rassembler et les analyser. En ma qualité de scientifique, je dirai pour conclure à ce propos qu’en raison de l’accroissement du parc automobile les émissions de CO2 ne sont pas contenues mais que les émissions de polluants semblent l’être, ce qui n’exclut pas l’existence de zones polluées, et qu’il faut y travailler. Donc, le secteur du transport prend en compte le réchauffement planétaire.

En matière automobile, vingt années sont généralement nécessaires à la diffusion large d’une invention. Le processus peut être abrégé par la réglementation et par la fiscalité. Il faut 8,5 ans pour que la moitié du parc automobile soit renouvelé. Aussi, les normes Euro 6, entrées en vigueur en septembre 2015 et qui visent à réduire les émissions de NOx, n’auront d’effet que dans une dizaine d’années. Au décalage dans le temps des conséquences de la réglementation s’ajoute l’effet de l’accroissement du parc automobile. Dans les pays membres de l’OCDE et notamment en France, où la croissance du parc stagne, cet effet est assez peu significatif, mais dans le pays en développement tels que la Chine et l’Inde, on peut s’inquiéter de l’effet de cette augmentation sur la qualité de l’air.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Nous aimerions mieux comprendre le statut juridique du CERTAM, son fonctionnement et son financement. Recevez-vous des subventions ? Pouvez-vous nous en dire davantage sur le rôle que vous jouez auprès des pouvoirs publics ? Parce que vous faites de la recherche appliquée, vous avez qualifié d’« indispensables » vos liens avec les industriels ; êtes-vous pour eux des prestataires de services de recherche ou bien des sous-traitants ? Font-ils appel à vous très en amont, dans la phase de développement de leurs projets ?

Vous avez souligné les réels progrès technologiques de la lutte contre les émissions polluantes ; les moteurs ont-ils la capacité de respecter les normes ?

Quels sont, selon vous, les polluants non réglementés dont les effets sur la santé sont les plus préoccupants et qui, tôt ou tard, seront réglementés ?

Les moteurs fonctionnant à l’essence et à injection directe devraient-ils être obligatoirement équipés d’un filtre à particules ?

L’affirmation selon laquelle les émissions de particules PM10 ont diminué d’un facteur 2 m’a étonnée ; cela ne correspond pas aux données publiées par Airparif. Pourriez-vous nous donner des explications complémentaires ?

Le filtre à particules a-t-il un effet sur les émissions de NOx qui, selon Airparif, ont doublé entre 1998 et 2012 le long du trafic ?

Quelle est l’efficacité comparée des différentes technologies tendant à traiter les émissions de NOx ? Quels sont les effets induits par la transformation et notamment par la production d’ammoniac ?

Enfin, vous intéressez-vous à la motorisation des poids lourds, des véhicules utilitaires et des deux-roues ? Que pouvez-vous nous en dire ?

M. Frédéric Dionnet. Le CERTAM est régi par les dispositions de la loi de 1901 sur les associations, mais il a des salariés et des charges et opère dans l’économie de marché. Nous recevons des subventions dans le cadre des plans État-région successifs ; elles oscillent entre 5 et 10 % de notre budget. Parce que nous appartenons à l’Institut Carnot, nous recevons également des subventions pour l’ensemble de nos contrats de recherche avec l’industrie automobile de l’année N-1 ; elles représentent quelque 4 % de notre budget. Les quelque 90 % restants proviennent des contrats de recherche et développement que nous réalisons pour des tiers, publics ou privés. Ce sont d’une part les industriels de l’automobile et du pétrole ainsi que, de plus en plus souvent, en raison de nos compétence en matière d’aérosols, des laboratoires pharmaceutiques et de cosmétique. D’autre part, nous travaillons bien entendu pour les pouvoirs publics ; ainsi avons-nous réalisé pour la DRIEA d’Île-de-France des mesures de pollution routière dans les tunnels.

Nous entretenons avec les industriels des relations « client-fournisseur » classiques ; le mécénat qui pouvait avoir cours lorsque j’étais au CNRS il y a 25 ans n’est plus ! Les industriels frappent à notre porte en raison de nos compétences spécifiques : parce que nous sommes capables de construire, année après année, une vision de ce que seront leurs besoins de métrologie et que – grâce, notamment, au crédit impôt recherche – nous développons des programmes de recherche en métrologie de dépollution et de consommation qui leur seront utiles dans cinq ou dix ans. Ainsi avons-nous été sélectionnés par un grand groupe industriel, au terme d’une compétition avec d’autres laboratoires européens, pour mesurer l’impact de la qualité de l’huile sur la consommation de carburant. Si nous avons emporté ce marché, c’est que nous sommes très en avance ; le système d’évaluation toxicologique des émissions déjà évoqué nous donne un fort potentiel d’innovation. Nous avons aussi développé des systèmes permettant de mesurer les particules en dynamique dans les cheminées, et nous mettrons bientôt sur le marché un autre système nouveau. Nous devons, pour vivre, mettre au point des produits commercialisables de haut niveau technologique, et pour cela disposer de moyens très importants. Les aides déterminantes de la Région Haute-Normandie et du Fonds européen de développement régional (FEDER) nous ont permis de faire des investissements très coûteux. En ces domaines, la science et les hommes ne suffisent pas ; il nous faut des équipements, et ils sont très onéreux.

Les nouvelles motorisations et les systèmes de post-traitement permettent de diminuer les émissions et de respecter les normes Euro. Les discussions sont permanentes entre les constructeurs et les équipementiers d’un côté et les États d’un autre côté sur ce que doivent être les seuils d’émissions, chacun tirant la corde de son côté. Mon avis de scientifique est que l’on est à peu près à l’équilibre et que les moteurs équipés des systèmes actuellement développés savent passer les normes, en motorisation essence et en motorisation diesel. Mais il reste très compliqué d’y parvenir.

Les technologies de dépollution des émissions des moteurs sont développées depuis 25 ans. Le premier angle d’attaque consiste à améliorer l’aérodynamique interne des chambres de combustion pour favoriser le mélange et permettre une combustion de très bonne qualité. C’est le cas aujourd’hui, si bien qu’un minimum de polluants se forme dans l’échappement, mais il s’en forme néanmoins ; un post-traitement est donc nécessaire. Aussi a-t-on mis au point la « catalyse 3 voies » pour les moteurs à essence. Ce fut un pas en avant très important, mais cette technique ne peut être mise en œuvre pour les moteurs diesel. Cela a conduit à développer le système de réduction catalytique sélective (SCR). Cette nouvelle technologie permet aux moteurs diesel de passer les normes Euro 6. Le CERTAM et les constructeurs consacrent énormément de temps et des fonds considérables à la mise au point des technologies de post-traitement. Cela se répercute dans le prix de fabrication et donc dans le prix de vente des véhicules, qui a augmenté. À la fabrication, le prix d’un système de post-traitement permettant de respecter la norme Euro 6 est de 1 200 euros environ ; à quelque chose près, c’est celui du moteur. Aujourd’hui, la moitié du prix d’un groupe motopropulseur dépollué tient donc à la dépollution. De lourds investissements sont nécessaires pour parvenir à dépolluer les moteurs automobiles et les mettre en conformité avec les normes Euro, mais le sujet, comme il se doit, n’a pas été pris à la légère.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Les moteurs actuels respectent-ils la norme Euro 6 ou ne la respectent-ils pas ?

M. Frédéric Dionnet. Les moteurs les plus récents en ont la capacité technique. Ensuite, si des manipulations ont lieu, cela sort de mon domaine…

Savoir quels polluants non réglementés il faudrait surveiller est une question épineuse. Cette interrogation nous a poussés il y a 15 ans de mettre au point un système permettant d’avoir une idée du potentiel de l’effet biologique des émissions sur la santé. On commence à avoir les idées plus claires et l’on sait que les polluants mis en exergue par la réglementation ne sont pas forcément les plus pertinents. Il existe de grandes familles de polluants, notamment les produits pro-oxydants, tel le NO2, qui sont susceptibles de provoquer l’oxydation des systèmes biologiques et en conséquence leur vieillissement prématuré. Cet effet est amoindri par la SCR pour les émissions des moteurs diesel et par l’une des voies de la catalyse à 3 voies pour les moteurs à essence. Mais ces post-traitements peuvent eux-mêmes entraîner la formation de substances – ainsi de l’ammoniac lors de la réduction catalytique sélective, comme vous l’avez souligné. Les dosages à opérer sont donc délicats, mais ils commencent à être bien au point ; cependant, dans les phases transitoires
– quand on lève le pied ou quand on appuie sur l’accélérateur – les ajustements peuvent être imparfaits et des dégagements d’ammoniac peuvent se produire. Pour parer à ces débordements, on combine un SCR et un système réducteur de l’ammoniac résiduel, dit ASL. Cela explique le prix très élevé d’un système complet de dépollution de moteur diesel.

Au nombre des polluants non réglementés à surveiller, on citera l’acétaldéhyde et le formaldéhyde, produits que l’on rencontre de manière significative dans les émissions de certains bio-carburants. Les bio-carburants ont l’avantage que leur production crée des puits de carbone, mais leur combustion peut créer des substances de ce type. C’est encore plus vrai pour les huiles végétales. D’une manière générale, on subit des espèces chimiques produites dans la chambre de combustion et on les post-traite au mieux.

La technologie du moteur essence et à injection directe a été beaucoup travaillée il y a plusieurs années pour limiter la consommation de carburant. Les progrès technologiques réalisés depuis lors ont incité à reprendre cette voie, mais l’on se rend compte que, comme pour les technologies du diesel, cela conduit à l’émission de particules de combustion – en bien moins grand nombre qu’avec un moteur diesel, mais un peu plus que pour un moteur à essence équipé d’un filtre à particules. La question se pose donc de la nécessité d’un filtre à particules pour ce type de moteurs.

M. Gérard Menuel. Quel regard porter sur l’utilisation de bioéthanol ? Peut-on envisager la montée en puissance des bio-carburants, dont la fiscalité permet un gain important pour le consommateur ? Dans un autre domaine, le CERTAM travaille-t-il en réseau avec des laboratoires d’autres pays européens ?

M. Frédéric Dionnet. La culture des plantes destinées à la fabrication de bioéthanol crée des puits de carbone, ce qui est une bonne chose ; je n’entrerai pas dans le débat relatif aux utilisations concurrentes des terres arables. Dans tous les cas, il faut être attentif aux espèces produites lors de la combustion de ces carburants et les exploiter au mieux. De plus, pour que la combustion soit au meilleur de son rendement, il faudrait modifier le taux de compression selon le taux d’octane des carburants. Or, pour que les moteurs bicarburation puissent brûler et l’éthanol et l’essence, qui sont disponibles en même temps à la distribution, on est contraint à une cote mal taillée. On résoudra ce problème par le moteur à taux de compression variable. Cette grande innovation née en France et en cours de développement par la société MCE-5, permettra de brûler des carburants dont les taux d’octane sont très différents, dans des moteurs à allumage commandé de toutes sortes. C’est très intéressant pour les pays en développement, où l’offre de carburants est très variée.

M. Frantz Gouriou. À propos de la diminution des particules de combustion, je souligne que les mesures auxquelles j’ai fait référence ont été effectuées dans des tunnels routiers, lieux où elles sont présentes en grand nombre. L’intérêt de ces mesures est de fournir une image immédiate de ce qu’émettent les véhicules. D’autre part, nous n’avons pas mesuré les PM10 mais les PM1, à la fois parce que les particules de combustion étant ultrafines l’indicateur PM10 n’est pas le bon et parce que nous ne sommes pas capables de mesurer les PM10 lors des roulages. On note par ailleurs que, dans la fraction PM10, les quantités d’émissions dues à la friction des organes de freinage et à l’usure des pneus sont du même ordre, bien que les concentrations particulaires soient beaucoup plus faibles, le diamètre de ces particules étant beaucoup plus grand.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Travaillez-vous sur les particules issues du freinage ?

M. Frantz Gouriou. Nous avons engagé un projet qui vise à les quantifier.

M. Frédéric Dionnet. Il n’y a pas de grandes différences technologiques dans les systèmes de dépollution selon qu’il s’agit de moteurs de voitures particulières ou de véhicules utilitaires. Les moteurs de poids lourds ont de l’avance en matière de dénitrification
– « dé-NOx » –, et ceux des voitures particulières, principalement sous l’impulsion de PSA, pour les filtres à particules.

M. Frantz Gouriou. Les poids lourds roulent depuis longtemps avec une catalyse à l’urée car elle est plus facile à mettre en œuvre pour les véhicules qui font plutôt des trajets routiers que des trajets urbains.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Pourriez-vous préciser le lien entre filtre à particules et production de NOx ?

M. Frédéric Dionnet. Il y a des années, on avait entrepris de régénérer les filtres à particules en installant un catalyseur d’oxydation. Ce procédé a été abandonné car il provoquait l’émission de dioxyde d’azote. Les technologies actuelles sont soit la catalyse, soit le filtre à particules à régénération continue mis au point par PSA. Dans ce système, l’injection d’oxyde de cérium a pour effet d’abaisser la température de brûlage des particules, qui deviennent ainsi plus facilement combustibles, ce qui réduit les émissions de NOx.

De manière générale, le filtre à particules a réduit les émissions de NOx : les moteurs émettent plus de particules mais elles sont piégées, ce qui a permis un réglage plus sévère des émissions de NOx à la sortie des chambres de combustion. Le même processus vaut aujourd’hui pour la réduction catalytique sélective : elle est potentiellement émettrice de NOx mais, parce qu’elle réduit la consommation des moteurs, elle diminue les émissions de CO2, qui sont désormais post-traitées.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Pour nous résumer, est-ce qu’un moteur équipé d’un filtre à particules mais non d’un système de traitement des NOx conduit à la production de plus de dioxyde d’azote qu’un moteur sans filtre à particules ?

M. Frédéric Dionnet. Non.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Messieurs, je vous remercie.

La séance est levée à midi cinquante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

Réunion du mercredi 25 novembre 2015 à 11 h 30

Présents. - M. Frédéric Barbier, Mme Delphine Batho, M. Jean-Marie Beffara, M. Jean Grellier, M. Gérard Menuel, Mme Sophie Rohfritsch, M. Jean-Michel Villaumé

Excusés. - M. Yves Albarello, M. Jean-Pierre Maggi, M. Rémi Pauvros, Mme Marie-Jo Zimmermann