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Mardi 8 décembre 2015

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 13

Présidence de Mme Sophie Rohfritsch, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Francis Duseux, président de l’Union française des industries pétrolières (UFIP), de Mme Isabelle Muller, déléguée générale et de M. Bruno Ageorges, directeur des relations institutionnelles et des affaires juridiques...

Mission d’information
sur l’offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

La séance est ouverte à dix-sept heures.

La mission d’information a entendu M. Francis Duseux, président de l’Union française des industries pétrolières (UFIP), Mme Isabelle Muller, déléguée générale et M. Bruno Ageorges, directeur des relations institutionnelles et des affaires juridiques.

Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Nous recevons ce soir M. Francis Duseux, le président de l’UFIP, l’Union française des industries pétrolières. Il est accompagné par Mme Muller, la déléguée générale de cette organisation professionnelle et par M. Ageorges, chargé des relations institutionnelles.

L’UFIP est une organisation dont les origines remontent au début de l’utilisation des produits pétroliers en France, il y a plus d’un siècle. Elle rassemble la totalité des groupes qui opèrent en France « du puits à la pompe », c’est-à-dire qu’il est notamment le porte-parole des raffineurs et distributeurs de carburants.

Notre mission d’information s’intéresse naturellement aux carburants routiers, à leurs poids économique et, bien sûr, à leur régime fiscal.

Il semble que les ventes de carburants automobiles connaissent depuis quelques années une relative stagnation, voire certaines baisses saisonnières. Mais, au total, le gazole représente toujours environ 80 % des livraisons de carburants routiers ! À lui seul, ce chiffre montre à quel point tout rééquilibrage significatif du parc entre motorisations diesel et essence prendra du temps.

L’expérience professionnelle de M. Duseux, qui a accompli toute sa carrière au sein du groupe Exxon, en France et à l’étranger, nous permettra sans doute de mieux comprendre certains points et certains enjeux. Par exemple, pourquoi la France importe-t-elle massivement le gazole alors qu’il représente une part aussi importante du marché français ? Est-il économiquement plus lucratif pour les groupes pétroliers d’importer constamment et massivement ce carburant plutôt que de le produire au sein de raffineries françaises ? En tout état de cause, les importations de gazole – dont nous souhaiterions connaître les pays d’origine, notamment européens – pèsent sur notre balance commerciale.

Par ailleurs, nous aimerions savoir quelles sont les propositions de l’UFIP s’agissant de la fiscalité des carburants et de leur impact sur les prix. Par exemple, êtes-vous inquiets de l’entrée en vigueur puis de la montée en puissance de la contribution climat-énergie ? Plus généralement, quelles sont les projections de l’UFIP sur le marché pétrolier français et quelles sont les anticipations stratégiques que vos membres auraient engagées en conséquence ?

Pouvez-vous nous présenter quelques exemples concrets de l’adaptation des entreprises pétrolières françaises sur la voie de la transition énergétique dans les domaines du transport routier ?

La mission va vous écouter, dans un premier temps, pour un exposé de présentation et de situation. Puis, Mme Delphine Batho, notre rapporteure, vous posera un premier groupe de questions. Elle sera suivie par les autres membres de la mission qui, à leur tour, vous interrogeront.

M. Francis Duseux, président de l’Union française des industries pétrolières (UFIP). Mesdames et messieurs, merci beaucoup de nous avoir donné l’opportunité d’échanger avec vous aujourd’hui. Dans l’esprit de la COP21, nous sommes évidemment désireux de consommer moins et de consommer mieux. Il n’est plus question, pour les pétroliers, d’être climato-sceptiques. Pour ma part, je considère qu’il faut engager des changements pour contribuer à l’amélioration de la qualité de l’air et à la limitation des émissions.

Nous avions déjà engagé une action en ce sens, entre 1997 et 2000, avec le programme « Auto-Oil II » dont l’objectif était de définir un cadre pour différentes options de réduction des émissions, portant sur le coût, l’efficacité scientifique et la transparence.

Dans ce propos liminaire, j’aborderai quatre sujets : le défi climatique et la baisse de consommation prévue, qui devrait entraîner une importante réduction des émissions ; le défi de compétitivité pour nos industries, notamment nos raffineries ; la fiscalité et ses impacts potentiels ; enfin, un petit mot sur le rôle des biocarburants.

Premièrement, la réponse au défi climatique, qui est lié à la problématique de la qualité de l’air.

On s’est engagé avec Bercy sur les neuf solutions industrielles qui ont été définies en mai 2015 et répondent désormais au nom générique d’« Industrie du futur ». Dans ce cadre, le thème de la mobilité écologique rassemble, notamment, les projets liés à la réduction de la consommation des véhicules jusqu’à 2 litres aux 100, dont nous avions beaucoup parlé avec nos collègues de l’industrie automobile.

Les émissions de CO2 des véhicules légers neufs ont déjà beaucoup baissé, et cette tendance va se poursuivre : moins 1 % jusqu’en 2007, pour atteindre 160 g par km ; moins 4 % par an à compter de 2008, pour atteindre 118 g par km en 2013. Et comme vous le savez, l’objectif de 2020 est de 95 g, et celui de 2025 de 75 g par km.

Nous avons rencontré nos collègues énergéticiens pour essayer de voir ce que la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) signifiait pour nous, pour nos industries, nos raffineries, et pour la consommation en France. Nous continuons à travailler avec le Gouvernement sur le sujet, mais je peux vous donner les grandes tendances qui se dessinent.

La demande en énergie dans les transports va baisser d’environ 20 %, et la demande en carburant pétrolier d’origine fossile va baisser de 30 %. Il y a bien sûr des incertitudes et en tant que pétroliers, nous ne contrôlons pas tout. Malgré tout, si l’on tient compte de l’évolution des véhicules, ce chiffre nous paraît réaliste. Cela représente environ 10 millions de tonnes par an de produits, et essentiellement de gazole. Nous aborderons un peu plus tard, à votre demande, la question de la fiscalité. Mais cette étude a été lancée même avant que l’on ne parle du rattrapage de celle-ci.

Quoi qu’il en soit, on assiste à une stagnation de la consommation d’essence et à une forte baisse de la consommation du diesel pour les véhicules légers. Reste la problématique du transport poids lourds, que l’on évoquera sans doute séparément.

Il y aura de plus en plus de véhicules électriques en milieu intra urbain. Par ailleurs, à l’horizon 2030, une voiture sur deux devrait être un véhicule hybride rechargeable – idéal pour faire 60 ou 80 km par jour pour vous rendre au travail avec le moteur électrique, et pour partir plus loin, par exemple en vacances, avec le moteur thermique. Cela conduira à une très forte baisse de la consommation. Le phénomène nous paraît inéluctable. Et tous nos échanges avec les constructeurs automobiles vont dans le même sens.

J’en viens aux biocarburants. L’objectif du Gouvernement est de porter à 15 % la part de l’utilisation des énergies renouvelables dans les transports à l’horizon 2030, et à 10 % à l’horizon 2020.

Mais la situation est un peu compliquée. Récemment, l’Europe a limité l’introduction de bio dans les carburants à un pourcentage de 7 % – grâce à la France, semble-t-il. Et pour le moment, on n’ira pas plus loin.

Par ailleurs, l’Institut français du pétrole-Énergies nouvelles (IFP-En) – dont nous avons vu le président, Monsieur Didier Houssin – a engagé des études sur l’utilisation des biocarburants de deuxième génération. L’objectif est louable, mais il n’y a même pas de pilote en place !

Voilà pourquoi, en tant que pétroliers, nous considérons qu’il sera difficile de mettre au point des processus industriels relativement économiques pour parvenir à un pourcentage de 15 % – ce qui suppose 8 % de biocarburant de deuxième génération. Dans ce domaine, il faut faire attention aux hypothèses sur lesquelles on se base.

Ensuite, on prévoit une augmentation de 5 à 6 % de l’utilisation du biogaz, GNV ou GPL, certaines flottes privées de transport par camions étant appelées à se développer. Je pense que ce sont les politiques qui décideront, ou non, du rythme de cette augmentation.

Enfin, la part de l’électricité devrait rester assez faible, à 1,5 %.

L’important, pour votre commission, est de savoir que l’on va accompagner, sans autre mesure fiscale, le mouvement qui est prévu en termes de transition énergétique. Cela va se traduire par une baisse de consommation de 30 %, essentiellement du gazole. Voilà le premier message que je voulais faire passer.

Deuxièmement, le défi de compétitivité pour le raffinage et la logistique pétrolière.

Je rappelle qu’en France l’industrie pétrolière emploie environ 200 000 personnes. Mais nous y associons souvent nos collègues de la pétrochimie, qui lui est fortement liée.

Il existe actuellement huit raffineries en métropole, plus une en Martinique. Le secteur a fait l’objet d’une forte rationalisation, qui s’est traduite par de nombreux problèmes politiques, sociaux et humains. En effet, au cours de ces cinq dernières années, les marges des raffineries étaient très déprimées. Il faut dire qu’en Europe, la tendance globale de la demande est à la baisse, alors même que la concurrence est à la hausse.

Cette concurrence vient de trois endroits et surtout, maintenant, des Etats-Unis. Ces derniers ont complètement transformé leur modèle pétrochimique et de raffinage. Ils étaient à peu près dans la même situation que nous, avec des raffineries un peu vieillissantes et des rationalisations. Mais depuis deux ans, ils ont accès à un combustible trois fois moins cher que celui dont on dispose en Europe, à savoir le gaz de schiste, et ils réinjectent des milliards de dollars dans leur outil pétrochimique. Malgré leur niveau de consommation, ils s’approchent de l’indépendance énergétique. Ils arrivent non seulement à satisfaire leurs propres besoins, mais encore à exporter du gazole vers l’Europe et les ports français. En outre, ils vont exporter massivement du polyéthylène et du polypropylène, produits chimiques qui ne sont pas des carburants, mais qui entrent dans la production des véhicules automobiles.

Il ne nous reste donc plus que huit raffineries en métropole. En effet, après Dunkerque dans le Nord, puis Reichstett en Alsace, ce fut au tour de la raffinerie de l’Étang de Berre de fermer, en raison de pertes trop conséquentes – LyondellBasell ne conservant que la partie chimie. Enfin, plus récemment, après de nombreux allers et retours, la raffinerie de Petit-Couronne a fini par fermer ; il n’y avait pas eu d’investissements pendant douze ou treize ans dans cette raffinerie, et il aurait fallu réinjecter 700 à 800 millions d’euros pour la relancer, ce qui était impossible.

Aujourd’hui, Total a annoncé qu’il allait reconvertir en bio raffinerie la raffinerie de La Mède, sur l’étang de Berre ; il va arrêter la distillation classique de pétrole brut et, au travers du retraitement d’huiles usagées, produire des biocarburants ; il va également maintenir une activité essence aviation, et faire un parc de cellules éoliennes. Je pense qu’il a cherché à conserver le maximum d’emplois. Mais cela va réduire encore le traitement de pétrole brut dans notre pays.

Ainsi, en raison de pertes très importantes, la France a procédé à une rationalisation très marquée de son activité de raffinage. C’est un peu moins le cas dans le reste de l’Europe, en particulier en Italie où l’outil de raffinage reste surdimensionné.

Au-delà de ces huit raffineries, notre outil logistique est assez sophistiqué. C’est sans doute un des meilleurs d’Europe. Des pipe-lines, dont le réseau est très élaboré, acheminent les produits finis, qui sont stockés dans les dépôts. Il y a 190 dépôts dans toutes les régions de France, et à la demande du Gouvernement, nous disposons de trois mois de stocks stratégiques pour faire face en cas de crise. Enfin, il y a 11 350 stations-service.

Le nombre de ces stations-service a beaucoup chuté. À une époque qui n’est pas si lointaine, on en comptait 40 000 ! Mais pour des raisons de rentabilité, on a procédé à une rationalisation, au point qu’aujourd’hui, certaines petites villes rencontrent des problèmes d’approvisionnement. La situation risque de s’aggraver si, comme on l’a prévu, la demande continue à baisser dans les prochaines années. Il faudra donc se soucier du maillage de notre territoire en stations-services. S’il est possible d'utiliser les transports en commun dans les grandes villes, ce n’est pas le cas dans les zones rurales. Je pense que pendant très longtemps encore, leurs habitants auront besoin d’utiliser leur véhicule pour aller au travail, se déplacer, faire les courses, etc.

La baisse de la demande constitue un premier défi pour le raffinage et la logistique pétrolière. Il y en a d’autres. Je citerai le niveau très élevé des coûts, en particulier ceux de l’énergie, qui représentent 50 % des coûts d’une raffinerie, et la réglementation française et européenne, qui est extrêmement pénalisante – limitation des émissions, plans de prévention des risques technologiques (PPRT). Il convient, certes, d’être exemplaires et d’éviter les accidents industriels. Mais cela finit par nous handicaper par rapport au reste de l’Europe, et surtout par rapport au reste du monde. Sans compter le déséquilibre essence-gazole qui nous a pénalisés pendant vingt ans.

De fait, nos raffineries avaient été conçues dans les années soixante, époque où l’objectif était essentiellement de fabriquer de l’essence. Mais avec le temps, on est passé d’un ratio de 80 % de consommation de gazole contre 20 % de consommation d’essence. Et une fois que nous sommes parvenus à extraire le maximum de gazole d’un baril de pétrole, il nous a fallu en importer. Voilà pourquoi, comme vous l’avez rappelé, madame la présidente, sur à peu près 40 millions de tonnes de gazole que nous consommons par an, nous en importons 20 millions de tonnes. Ce n’est pas bon. Cela pèse, je crois, pour 65 milliards sur notre balance commerciale.

Ce gazole vient d’un peu partout dans le monde. Pendant des années, c’était du gazole russe, parce qu’il était disponible. Il est maintenant concurrencé par le gazole américain et par celui du Moyen-Orient ou même de l’Inde. Cette année, une raffinerie ultramoderne, construite en Arabie saoudite – 400 000 barils jour, pas de contrainte au niveau des émissions, une main d’œuvre relativement faible, etc. – est venue concurrencer gravement nos usines en France. Enfin, le groupe Reliance, établi en Inde, a construit une énorme raffinerie, produisant un million de barils/jour soit 50 millions de tonnes/jour. Elle était destinée à satisfaire le marché intérieur indien. Mais comme les infrastructures routières n’ont pas suivi, les Indiens se trouvent face à d’importants surplus qu’ils exportent vers l’Asie et l’Europe. Les VLCC (Very Large Crude Carriers), ces énormes bateaux faits, à l’origine, pour transporter du pétrole brut, arrivent désormais dans nos ports chargés de produits finis, dont le produit de revient est inférieur de 10 à 15 euros la tonne par rapport à ce que nous pouvons faire. C’est donc un vrai problème.

Je vais vous donner maintenant quelques chiffres :

Le marché des produits pétroliers représentait en 2014 à peu près 60 millions de tonnes de produits vendus, dont 45 millions de tonnes de carburants : 34 millions de tonnes de gazole ; 4,5 millions de tonnes de gazole non routier, du fuel à bas soufre destiné aux tracteurs, engins de chantier, etc. ; enfin, millions de tonnes de supercarburant, dont 30 % de E10 – un carburant qui inclut 10 % de bio, alors que le supercarburant sans plomb classique en contient au maximum 5 %. À ce propos, il semblerait qu’il y ait une volonté politique d’encourager la consommation du 10 par des avantages fiscaux, sur lesquels j’aurai sans doute l’occasion de revenir.

Par ailleurs, notre industrie contribue largement à l’approvisionnement de l’industrie chimique, soit sous forme de molécules lourdes, soit sous forme d’équivalent gazole, soit sous forme de naphtas, plus légers. C’est un point important. Si l’on se projette à vingt ou trente ans, il faut prendre également en compte l’industrie pétrochimique.

Nous posons régulièrement à nos différents ministres la question suivante : est-ce que, pour vous, le raffinage est un secteur stratégique ? En effet, avec ce qui se passe dans le reste du monde, on pourrait penser que la France va s’approvisionner par des importations de produits, et abandonner tout le raffinage. Or, je crois qu’il y a une volonté politique de conserver une industrie du raffinage en France. Pour un grand pays comme le nôtre, qui est la cinquième puissance mondiale, il serait relativement facile, même sans passer par les groupes pétroliers, de sécuriser son approvisionnement en brut, avec un ou plusieurs producteurs. Mais en conservant une industrie française, on garde la maîtrise de ce que l’on fabrique, on s’assure de sa qualité et on contrôle la logistique. Cette logistique n’est d’ailleurs pas adaptée à une importation massive. Enfin et surtout, importer 100 % de nos produits pétroliers poserait, à terme, un problème d’indépendance énergétique à notre pays.

Pour vous donner une idée des contraintes qui pèsent sur nous, je vous précise que l’énergie nous coûte 12 euros la tonne, soit trois ou quatre fois plus qu’ailleurs, auxquels il faut ajouter le coût des réglementations – les réglementations françaises venant s’ajouter aux réglementations européennes – soit environ 6,50 euros la tonne. Cela fait, au total, 18 euros la tonne. C’est énorme !

Certes, il faut éviter les incidents et protéger les populations autour de nos raffineries. Mais alors que, dans les années soixante, quand nous avons construit nos raffineries, nous étions complètement isolés, avec le temps, les habitations se sont rapprochées. C’est un problème difficile, qui est celui de tous les industriels de ce pays.

Troisièmement, la fiscalité et son impact potentiel.

Pendant vingt ans, nous avons demandé, pour des raisons d’ordre simplement industriel, qu’on ne laisse pas filer le gazole. Or vous savez que l’on est arrivé jusqu’à 20 centimes d’écart entre le gazole et l’essence ; sans compter la déductibilité de la TVA sur les flottes d’entreprise. Le différentiel de coût était tel, pour les entreprises comme pour les particuliers, qu’il y a eu jusqu’à 80 % de vente de véhicules neufs diesels dans notre pays. Je crois que la moyenne française est encore aujourd’hui de 67 %. Et comme la durée de vie moyenne du parc automobile est de douze ans, quelles que soient les décisions que prendra le Gouvernement, la situation ne pourra pas changer du jour au lendemain. Ce sera forcément très progressif.

Pour notre part, nous avons toujours soutenu le rééquilibrage de la fiscalité entre le gazole et l’essence. On a parlé d’augmenter le gazole d’un centime et de baisser l’essence d’un centime, puis de ne baisser que le 10, etc. Je ne sais pas quelle sera la décision finale. Nous proposons que l’on réduise la fiscalité sur toute l’essence, quitte à donner un coût de pouce au 10. Cela étant, nous sommes bien conscients que l’industrie automobile française ne peut peut-être pas reconvertir ses chaînes de fabrication du jour au lendemain. Pour le bien de ce pays, il faut faire attention, étudier les impacts des éventuelles décisions et procéder doucement.

On parle d’un rattrapage en cinq ans. Cela nous paraîtrait suffisamment lent pour permettre à l’industrie automobile de modifier ses chaînes de fabrication. Mais je ne me sens pas qualifié pour m’exprimer à ce propos. Disons simplement que nous sommes favorables au rééquilibrage, et que nous sommes contents que la décision en ait été prise.

De la même façon, nous avons toujours prôné la déductibilité de TVA sur l’essence pour les véhicules d’entreprise. Je crois que cette déductibilité a été votée vendredi par l’Assemblée, et que le Sénat aura à se prononcer prochainement à ce sujet. Mais là encore, nous ne connaissons pas les contraintes auxquelles l’industrie automobile est soumise. Par exemple, j’ai cru comprendre qu’il ne faudrait pas l’appliquer aux voitures étrangères, dans la mesure où les constructeurs étrangers sont mieux positionnés que les constructeurs français sur les véhicules à essence. En conclusion, nous sommes plutôt favorables à cette mesure, à condition, bien sûr, qu’elle ne nuise pas à notre industrie automobile.

Cela étant, nous sommes un peu inquiets, aussi bien comme pétroliers que comme citoyens, de l’impact que pourrait avoir l’augmentation des taxes sur le gazole – mesure que les ministres ont d’ailleurs longtemps considéré comme étant la plus impopulaire. En effet, si l’on veut un rattrapage en cinq ans, il faudra augmenter le gazole de dix centimes par litre. Par ailleurs, la loi de transition énergétique ayant conduit au vote d’une taxe carbone sur les carburants de 100 euros la tonne à l’horizon 2030, il faudra augmenter le gazole de 32 centimes par litre. Et cela représente, au total, une augmentation de 42 centimes par litre de gazole !

Aujourd’hui, le baril de pétrole brut est à peine au-dessus de 40 dollars le baril, en raison d’une baisse extraordinaire de plus de 50 %. Cette baisse s’est traduite immédiatement par une baisse massive des investissements de la part de tous les grands groupes pétroliers. Et assez rapidement, la baisse des investissements va se traduire elle-même par une baisse de la production. Or, en parallèle, la demande mondiale, tirée par l’Inde, la Chine et les pays émergents – mais pas par les pays européens, dont la consommation est étale – va augmenter d’à peu près 1,5 million de barils jour, ce qui est énorme.

Cet été, le déséquilibre entre l’offre et la demande était de 2 millions de barils jour. C’est beaucoup pour faire chuter les prix du brut, et c’est ce qui est arrivé ; les stocks ont monté. Mais ce n’est pas beaucoup si l’on réinjecte l’augmentation d’1,5 million de barils jour qui se profile. Je précise que ce sont là les chiffres de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), et pas ceux de compagnies comme BP, Exxon ou Total.

On annonce par ailleurs une baisse de la production de pétrole de schiste américaine de l’ordre de 900 000 barils jour. Celle-ci sera peut-être compensée par une reprise de la production de l’Iran, estimée à plus 500 000 barils jour.

Le bilan que l’on peut faire est que, à la fin de 2016, l’équilibre entre l’offre et la demande sera bien meilleur et que, vraisemblablement, les prix repartiront à la hausse. Ils n’augmenteront sans doute pas jusqu’à 110 dollars le baril. Mais 80 dollars le baril serait un prix tout à fait normal.

Cela étant, l’impact d’une augmentation du pétrole de 20 ou 30 dollars le baril sera au moins de 20 à 30 centimes par litre de gazole sur la matière première. Ajoutés aux 42 centimes dont nous parlions tout à l’heure, l’augmentation pourrait, à terme, atteindre 70 centimes par litre. Aujourd’hui, le litre de gazole est environ à 1,10 euro. Cela veut dire qu’en 2020, il pourrait être à 1,80 euro ! Il y a de quoi s’inquiéter, en particulier pour ceux qui ont absolument besoin de leur voiture et qui n’ont pas d’alternative. Cette réflexion est plutôt d’ordre politique, je le reconnais. Malgré tout, je pense qu’il est de notre rôle de mettre une telle éventualité sur la table.

Tout aussi grave serait le renchérissement du transport, qui menacerait d’une façon générale la compétitivité de nos entreprises, à moins que vous ne mettiez en place des systèmes de compensation ou de subventions – comme ceux dont bénéficient aujourd’hui les taxis ou les transporteurs. Quoi qu’il en soit, les ordres de grandeur de cette augmentation sur le gazole font peur, car celle-ci pourrait avoir des conséquences très importantes sur la vie des citoyens et sur la compétitivité des entreprises.

Quatrièmement, le rôle des biocarburants.

Nous avons toujours soutenu le développement des biocarburants. Depuis plusieurs décennies, on peut dire que nous jouons un rôle important en la matière. Grosso modo, nous intégrons 10 % de biocarburants dans l’ensemble « gazole et essence », ce qui est tout de même énorme. Donc, on sait faire et on accompagne.

Le Gouvernement avait proposé qu’au 1er janvier de cette année, on passe au B8, c’est-à-dire à une incorporation de 8 % de bio dans les carburants, alors que la législation européenne en était encore au B7, soit à 7 % - sans doute pour soutenir l’industrie agricole de notre pays. Nous n’avons pas refusé, parce que nous savons le faire. Mais il ne faut pas oublier que nous devons protéger les consommateurs contre des pannes éventuelles. Nous avons donc demandé aux constructeurs si pour eux, il était acceptable de passer du B7 à B8 dans leurs voitures.

Pour Renault ou Peugeot, dans le contexte français, l’affaire est assez neutre. Mais pour tous les autres constructeurs, et en particulier les constructeurs allemands, il n’en est pas question. Ils ne sont pas d’accord, et ils ont dit qu’ils nous tiendraient pour responsables si des flottes de véhicules tombaient en panne. En fait, nous ne sommes ni pour ni contre. Nous savons faire, mais nous demandons que les mesures liées aux biocarburants soit prises au niveau européen. Comme vous le savez, de très nombreux véhicules venant des autres pays européens traversent notre pays lorsqu’ils vont en vacances, ou lorsqu’ils vont en Espagne. Si dans un pays, l’incorporation du bio est à 4 % et dans un autre à 12 %, ce sera ingérable, aussi bien pour les pétroliers que pour les constructeurs automobiles.

Si dans quelques années, il faut passer à B8 ou B10 ou B15, la décision devra être prise avec les constructeurs automobiles européens. Nous ne ferons que subir, nous n’avons pas de position tranchée dans un sens ou dans un autre. Mais il est impossible, pour nous, de mettre à la consommation des produits français dont la teneur en bio serait supérieure à celle que l’Europe a acceptée et que les constructeurs européens ont admise. On ne peut pas le faire, parce que cela pourrait entraîner d’énormes problèmes juridiques et de qualité.

Voilà ce que l’on pouvait vous dire en introduction.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Monsieur le président, vous avez abordé l’évolution de la consommation des énergies fossiles dans les années qui viennent. Pour ma part, je m’en tiendrai à l’objet de notre mission, qui est l’évolution du secteur automobile et des transports routiers dans une approche énergétique et fiscale, mais également technologique.

Cela étant, il me semble que la crise pétrolière et la baisse des prix du baril n’avaient pas vraiment été prévues. D’où ma première question : pouvez-vous nous confirmer qu’une remontée des prix du pétrole est envisageable dans un horizon assez proche ?

Ensuite, vous avez rappelé que le nombre de nos raffineries était passé de 24 en 1975, à 8 aujourd’hui. D’où ma deuxième question : sommes-nous toujours en surcapacité ?

Je crois me souvenir que le déficit de la balance commerciale lié aux importations de gazole était, en 2012, de 13 milliards. D’où ma troisième question : quelle serait l’incidence, pour le secteur du raffinage français, d’un rattrapage de la fiscalité entre le gazole et l’essence ? J’aimerais également que nous nous parliez du rythme de ce rééquilibrage, y compris pour les véhicules d’entreprise.

S’agissant du transport routier, certains plaident pour le développement du GNV. D’où ma quatrième question : l’UFIP a-t-elle un point de vue sur le sujet ? Je pense plus particulièrement au réseau de distribution.

Enfin, pour réduire la production de dioxyde d’azote (NO2) par les véhicules diesel, les constructeurs automobiles sollicitent la mise en place, dans les stations-service, d’un réseau de distribution d’urée à la pompe. D’où mes dernières question : cela vous paraît faisable ? En avez-vous discuté avec les constructeurs automobiles ?

M. Charles de Courson. Monsieur le président, j’ai cru comprendre que vous étiez favorable à l’égalisation de la fiscalité entre les deux carburants principaux : essence et gazole. Pourriez-vous nous préciser comment vous voyez cette égalisation, sachant qu’il n’est pas envisageable de perdre un sou dans l’opération ?

J’ai cru comprendre également que vous étiez favorable à la déductibilité de la TVA sur l’essence pour les flottes automobiles d’entreprises. Qu’en est-il ? Nous en avons encore discuté dernièrement, et des amendements ont été déposés en ce sens – j’en ai moi-même déposé un. Le Gouvernement semble prêt à bouger. J’ajoute que la mesure ne serait pas très onéreuse.

Par ailleurs, pensez-vous que cette modification de la fiscalité pourrait aboutir assez rapidement à un partage du marché automobile à peu près à 50/50 ? L’idéal, pour notre industrie pétrolière du raffinage, serait au moins d’arriver au prorata gazole/essence ; mais nous n’en sommes pas là. Faut-il aller encore un peu plus loin ? En effet, on ne doit pas confondre parité et parité énergétique : chacun sait qu’un litre d’essence n’est pas équivalent, du point de vue de l’énergie produite, à un litre de gazole : l’écart est de 5 ou 7 % - en faveur du diesel.

Mais venons-en aux biocarburants. Vous dites, et je partage assez largement votre diagnostic, que les biocarburants de deuxième génération sont d’abord un sujet de colloque et de discours, notamment dominicaux, et vous remarquez qu’il n’y a pas de pilote en place. Ce n’est pas tout à fait exact, parce que le pilote « Futur Oil » est quasiment construit à Bazancourt. Mais peu importe. Le vrai problème qui se pose est celui l’approvisionnement et du coût. Actuellement, les prix de revient sont élevés, même si l’on peut espérer qu’ils vont baisser progressivement, je reste sceptique sur l’avenir des biocarburants de deuxième génération.

Quant aux arguments que vous avancez à propos des biocarburants de première génération, je les entends depuis trente ans et j’y reste insensible. On peut augmenter de 2, 3, 5 %, etc. la proportion du bio dans les moteurs. Cela ne pose aucun problème technique, notamment sur les moteurs diesel.

Il suffit de regarder ce qui se passe dans les stations-service où, pour faire des économies, les automobilistes font eux-mêmes des mélanges. Et ils ne se limitent pas à 7 % : 80 % de biocarburant E85 à la première pompe, et 20 % d’essence à la deuxième. C’est une part significative du marché, notamment pour les plus modestes.

Mais il y a aussi ceux qui rajoutent de l’huile. Si cela sent de temps en temps la friture dans les voitures diesel, c’est simplement parce que l’on a ajouté dans le réservoir de l’huile achetée en grande surface ! Voilà pourquoi, dans certaines grandes surfaces, la consommation d’huile explose. On n’en parle jamais, mais il y a un manque de cohérence entre la fiscalité de l’huile dite de consommation domestique, et l’autre. Et le marché n'est absolument pas étanche.

Qu’en pensez-vous donc ?

Vous avez ensuite évoqué le défi de compétitivité auquel sont confrontées vos industries en général, et vos raffineries en particulier.

Nous ne sommes pas compétitifs. Pourriez-vous nous donner les chiffres des pertes ? Je crois que nous en étions à 500, 700 millions par an, et que nous en sommes maintenant à 100, 200 millions par an. Mais le problème réside dans la rentabilité relative. Nous avons à peu près atteint l’équilibre à coup de fermetures de raffineries, mais il nous en reste huit. Où va-t-on ? Celles-ci ne risquent-elles pas toutes de fermer, comme certains l’annoncent ? Et le phénomène ne touche pas que la France : il touche toute l’Europe et profite aux industries pétrolières du Golfe, des États-Unis ou d’ailleurs.

En dernier lieu, je vous interrogerai sur les véhicules hybrides : pensez-vous que ceux-ci pourront prendre rapidement 50 % du marché ? Je suis très sceptique.

Selon vous, les véhicules électriques devraient atteindre 1,5 % du marché. Je pense qu’on pourrait déjà se satisfaire de 1 ou 1,5 %, dans la mesure où ces véhicules ne peuvent couvrir que de petites distances. Ce n’est pas le cas des véhicules hybrides. Sauf que ceux-ci posent tout de même des problèmes de prix, auxquels les consommateurs sont évidemment sensibles.

M. Philippe Duron. Monsieur le président, vous avez été très complet dans votre exposé liminaire. Je tiens à vous en remercier. Vous avez montré que vous étiez favorable à un rééquilibrage gazole-essence, et précisé qu’il n’était pas déraisonnable d’envisager un rattrapage en cinq ans. Vous avez également évoqué l’évolution et l’adaptation des véhicules légers. Mais vous n’avez rien dit sur la consommation des poids lourds ni sur leur évolution technologique. J’aimerais que vous nous en parliez. J’aimerais enfin savoir si les techniques du raffinage vont évoluer et gagner en efficacité.

M. Francis Duseux. Madame la rapporteure, nous avons toujours travaillé avec les constructeurs automobiles, qui doivent résoudre deux problèmes : le poids des matériaux et les frottements. Et sans être un spécialiste de ces questions, je sais que, dans tous les grands groupes, on a fait d’énormes progrès sur les huiles qui permettent de réduire les frottements.

Ensuite, depuis l’application des normes Euro 6, le prix élevé de l’installation d’un filtre à particules sur les petits véhicules diesel incite les automobilistes à se tourner vers les petits véhicules à essence. Ainsi, depuis le mois de janvier, les courbes sont en train de s’inverser.

Enfin, ces véhicules ne consomment que 4 litres aux cent, et il est réaliste de penser qu’il sera bientôt possible de baisser cette consommation à 3 litres aux cent. Rappelons-nous qu’il y a dix ou douze ans, certaines voitures consommaient dix ou douze litres aux cent ! Aujourd’hui, c’est fini.

Cela signifie que, collectivement, nous avons fait des progrès, qui auront un impact positif sur les émissions et sur le climat.

Maintenant, comme vous l’avez fait remarquer, on n’a jamais une bonne vision de ce qui se passe. On peut malgré tout dégager des tendances lourdes. Les grands groupes, Total, Exxon, Mobil, BP et Shell, vous l’avez lu, ont limité leurs investissements dans la recherche, que celle-ci pote sur le conventionnel ou sur le non conventionnel. Vous le savez, entre le moment où l’on décide d’investir et le moment où l’on en récolte les fruits, il faut attendre trois, quatre ou cinq ans ; l’effet n’est pas immédiat, mais ce qui a été investi auparavant continue à produire ses effets. Mais dès que l’on arrête d’investir, on en subi les conséquences. Et je ne parle pas de l’impact que peuvent avoir les conflits géopolitiques. Dans mon jeune temps, au moindre bruit de bottes, le baril prenait dix dollars. Nous n’en sommes plus là. Il n’empêche que l’aggravation des conflits pourrait affecter le marché. Tout cela pour vous dire que nous allons tout de même vers une remontée du prix du baril.

Vous m’avez demandé si, dans le domaine du raffinage, la France était surcapacitaire. Nous avons procédé à de nombreuses restructurations, et une raffinerie s’apprête à modifier son traitement. Aujourd’hui, notre capacité est légèrement inférieure à la demande française. Je pense donc qu’en France, nous avons fait le travail qu’il fallait. Maintenant, je ne peux pas savoir ce qui va se passer. Tout dépendra des marges de rentabilité.

Il faut toutefois être honnête : les marges de 2015 sont excellentes. Nous voyons à cela deux raisons essentielles : d’une part, une baisse du prix du brut qui signifie, pour nous qui chauffons nous fours pour faire de la distillation, une baisse du prix de l’énergie ; d’autre part, une certaine élasticité de la demande aux prix, que nous n’avions pas prévue.

Les prix ont baissé. Le phénomène est moins net en France, à cause de l’effet amortisseur des taxes ; reste que le litre d’essence ou de gazole a tout de même chuté de 30 centimes, ce qui n’est pas rien. Il en va différemment aux États-Unis, où les taxes sont quasiment inexistantes. Selon un article de presse, un ménage américain récupère ainsi 1 000 dollars par an de pouvoir d’achat ; et il les consomme. Voilà pourquoi les Américains se mettent à racheter des SUV (Sport Utility Vehicles) et recommencent à consommer beaucoup de carburant. Plus généralement, la baisse du prix des produits a relancé la demande. Même en France, alors que la consommation avait baissé de 1 à 2 % ces dernières années, on a observé que celle-ci avait augmenté de 2 % en octobre. La tendance s’est inversée. On peut donc parler d’élasticité.

L’augmentation de demande mondiale est là, tout comme la baisse de la capacité de production. On devrait donc revenir à un équilibre.

J’ai peut-être oublié de vous dire que nous avions été frappés par le fait que pendant les cinq années précédant 2015, on avait estimé qu’environ 3,5 milliards d’euros avaient été perdus dans le raffinage, ce qui fait beaucoup. Si la situation devait perdurer parce que l’on n’est vraiment pas compétitif, parce que le raffinage américain connaît une relance et nous inonde de produits bien moins chers, il faudrait être vigilant. On en a parlé avec Monsieur Macron, comme avec tous nos interlocuteurs que cela préoccupe. Pour l’instant, on connaît une bonne relance, et après tout, on est dans une industrie cyclique. Mais si on accumule vraiment trop de pertes, on risque de devoir fermer des usines.

Madame la rapporteure, je reconnais avoir peu parlé du GNV. Mais d’après ce que je connais, il n’y a aucun projet tangible en ce domaine, à part ceux de quelques entreprises locales qui investissent elles-mêmes et qui développent. On peut malgré tout penser que, pour consommer moins et mieux, on s’orientera vers la récupération des déchets. J’ai cru comprendre que cela passait par un tri extrêmement sélectif, et par des investissements importants au niveau d’une commune : 4 à 5 millions d’euros. Des tentatives ont eu lieu, mais le résultat a été mitigé.

Le schéma idéal serait, selon moi, le suivant : une bien meilleure récupération des déchets, une production de méthane injectée dans les circuits de gaz et, progressivement, si c’est rentable, une utilisation supérieure du gaz dans les poids lourds. Mais il faudra tout de même des investissements. Et pour être très honnête, nous n’avons pas établi de scénario précisant ce que cela coûte, les investissements à engager, les moyens de financement à mobiliser et ce que cela suppose pour nos stations-service.

J’ai été frappé par le fait que les Américains, qui ont des poids lourds énormes roulant sur de grandes distances, ont commencé à utiliser du GNV. Les adhérents de l’UFIP ne m’en ont pas parlé, mais on pourrait imaginer d’installer quelques stations de GNV à la frontière espagnole pour les flottes de camions qui viennent d’Allemagne et de Hollande et qui traversent notre pays. Il faudrait en parler avec vos services.

C’est tout le problème de la transition énergétique : on se fixe des objectifs ambitieux avant même de connaître les coûts, les moyens de financement et l’impact sur les emplois. Il n’est pas question de polémiquer, mais si on ne fait pas preuve de réalisme, on ira droit dans le mur. La compétitivité est mondiale, et il faut tout de même s’en préoccuper.

Enfin, la réduction de NOx dans le diesel passe par des injections d’urée. Nous en avons discuté il y a quinze jours avec nos collègues de l’automobile, et nous avons été étonnés d’apprendre qu’il fallait injecter l’équivalent d’un plein tous les quatre pleins.

Mme Isabelle Muller, déléguée générale de l’UFIP. Que font les distributeurs de produits pétroliers par rapport à cette demande ?

Les constructeurs automobiles nous ont alertés. Vous savez que pour les poids lourds, cette nécessité existe déjà. On distribue donc en station-service de l’urée pour les poids lourds. A chaque fois qu’ils font le plein de carburant, ils font le plein d’urée.

La nécessité de mettre à disposition de l’urée pour les futurs véhicules diesel est bien prise en compte. Mais il ne faut pas oublier qu’en France, la grande distribution occupe plus de 60 % du marché des produits pétroliers. Donc, la question qui peut se poser, mais qu’il faut adresser aux distributeurs en grande surface, est de savoir comment ils se préparent.

Les pétroliers que nous représentons l’ont pris en compte, et les investissements nécessaires seront faits pour assurer la distribution de l’urée dans les stations-service. Et je ne peux pas croire que les stations-service de la grande distribution ne s’y préparent pas également.

Mme la rapporteure. Il n’y a pas de difficulté technique ?

Mme Isabelle Muller. Non, on sait distribuer. La difficulté est de savoir comment. Faudra-t-il faire le plein deux fois, d’abord le plein de diesel et ensuite le plein d’urée ? Certains constructeurs réfléchissent avec nous pour développer des réservoirs où l’on ferait le plein en une seule fois avec deux tuyaux. Ce serait plus simple pour tout le monde, mais c’est encore au niveau de la R & D.

D’autres difficultés non négligeables se posent aux distributeurs de produits. Il revient cher de mettre en place de nouvelles cuves et de nouvelles pompes ; dans tous les cas en effet, il faut adapter les infrastructures. En outre, les stations-services se trouvent souvent dans des endroits où il n’est pas facile d’obtenir des autorisations : ce ne sont donc pas des difficultés techniques, mais des difficultés d’ordre réglementaire ou relatives à la disponibilité du terrain.

M. Francis Duseux. Je pense que l’on saura faire. On le fait déjà à une toute petite échelle. Mais compte tenu de l’échelle envisagée, cela risque d’être assez considérable en volume et en coût.

Vous le savez comme moi, en France, dans le domaine de la distribution du carburant, la concurrence est terrible entre les grandes surfaces et les réseaux. S’il faut modifier 11 000 stations-service, nous avons intérêt à y travailler ensemble. L’idéal est tout de même que l’on change les pompes, et que l’automobiliste remplisse en gazole, puis en urée. Mais les volumes en jeu sont énormes.

Sur la modification de la fiscalité, je crois qu’on vous a dit notre sentiment. Nous y sommes favorables, pour mieux protéger nos raffineries. Cinq ans nous paraissent raisonnables. Mais plus vite on rétablit un équilibre, moins on vend de gazole et plus on vend d’essence, et mieux c’est pour nous. Cela étant, je pense que l’industrie automobile et les constructeurs sont prioritaires en ce domaine.

Quel serait l’impact financier, sur le secteur du raffinage, d’un rattrapage de la fiscalité ? Grosso modo, 40 millions de tonnes de gazole sont consommées par an, et 20 millions de tonnes sont importées. Notre hypothèse actuelle, sur la base de la transition énergétique, sans autre mesure contraignante, fiscale ou autre, est qu’à l’horizon 2030, soit dans quinze ans à peine, on consommerait 10 millions de tonnes de moins. Cela réduirait d’autant les importations de gazole et le déficit commercial. Cela va donc dans le bon sens.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Monsieur le président, vous êtes très sympathique, et vous ai écouté avec beaucoup d’attention. Mais certains de vos propos m’ont préoccupée : croyez-vous que les constructeurs aient les moyens financiers de changer leurs outils de fabrication en cinq ans ? En effet, ils viennent tout juste de se lancer dans des investissements lourds, de plusieurs milliards d’euros, en accord avec les pouvoirs publics, pour rendre leurs moteurs moins polluants. Et de fait, aujourd’hui, les nouveaux moteurs diesel sont nettement moins polluants que les moteurs à essence.

Vous dites que vous avez des relations avec les constructeurs. Dans ce cas-là, ils vous ont sûrement dit la même chose qu’à nous, à savoir que financièrement, ils ne pourront pas suivre. N’oublions pas que des milliers d’emplois sont en jeu. Que peut-on répondre aux constructeurs ? Comment les accompagner ?

M. Francis Duseux. Madame, c’est pour cela que j’ai pris la précaution de dire que, sur le plan économique, la priorité était de s’aligner sur les constructeurs, et que nous nous contenterions de suivre. Il faut aller à leur rythme. Le rééquilibrage est souhaitable pour nos usines, mais ce n’est peut-être pas à nous de dire qu’il faut le réaliser rapidement. C’est beaucoup plus compliqué que cela.

Maintenant, les problématiques de l’essence et le gazole sont différentes. Le gazole reste plus performant que l’essence sur le plan énergétique – d’environ 15 % sur une distance égale. Le gazole et l’essence ne polluent pas de la même façon. En matière d’émission de CO2, les moteurs diesel sont maintenant moins polluants que les moteurs à essence. Mais, comme vient de le rappeler Madame Batho, les moteurs diesel produisent des oxydes d’azote. Malgré tout, ceux-ci peuvent être éliminés par des injections d’urée.

Je reste assez confiant parce que je sais que la technologie va évoluer dans le bon sens. Nous devons donc chercher des solutions pour résoudre, notamment, les problèmes de pollution. Mais inutile d’opposer les uns aux autres. Il n’est pas question d’inverser rapidement la tendance si cela devait se faire au détriment des constructeurs automobiles. J’ai notamment cru comprendre que les constructeurs automobiles étrangers étaient plus en pointe que les constructeurs français sur les modèles essence…

Mme Marie-Jo Zimmermann. Pourtant, aujourd’hui, les Japonais font le chemin inverse ! Ils investissent davantage sur le diesel.

Mme la rapporteure. C’est plus compliqué que cela…

Mme Marie-Jo Zimmermann. Il faut tout de même être cohérent, et prendre en compte le travail qui a déjà été fait dans notre pays, comme celui qui se fait dans les autres pays !

M. Francis Duseux. Grâce aux nouvelles normes Euro 6, on a considérablement amélioré les carburants. D’une manière générale, on a limité la pollution, ce qui était tout de même l’objectif premier. Mais pour améliorer durablement la qualité de l’air dans notre pays, et notamment dans les grandes villes, il faudra trouver le moyen d’éliminer rapidement les véhicules qui ont plus de dix ans, car ce sont eux qui engendrent le plus de pollution.

Après, il faut bien voir que l’achat d’un modèle essence, d’entrée de gamme, sans filtre à particules, répond à une logique économique. Un petit véhicule essence convient aujourd’hui aux personnes qui ont du mal à boucler leur fin de mois, comme à celles qui font moins de 15 000 ou 20 000 km par an.

Mme la rapporteure. Qu’une discussion soit engagée, avec les industriels de l’automobile, sur la vitesse du rattrapage et les capacités d’adaptation industrielle est un point certain, qui fait l’objet de nos travaux. Mais ce n’est pas l’objet de votre audition.

Malgré tout, un consensus est en train de s’établir sur le fait que la fiscalité doit redevenir « neutre », à savoir qu’il faut fixer les règles de la puissance publique à partir de normes d’émissions polluantes, que ce soit le CO2, que ce soit les particules, et ne pas privilégier une technologie par rapport à une autre.

Tout à l’heure, Monsieur de Courson vous a demandé comment, selon vous, il faudrait procéder à ce rattrapage. Vous avez évoqué la taxe carbone et les discussions qui ont eu lieu avec le Gouvernement sur la question de savoir s’il fallait baisser le prix de l’essence et augmenter celui du gazole, ou seulement aligner par le haut le prix du gazole sur celui de l’essence. Mais vous n’avez pas répondu à Monsieur de Courson. Or sa question était importante.

M. Francis Duseux. Parce que nous raisonnons souvent en ingénieurs et que le ratio « vente d’essence/vente de gazole » est de « 80/20 » nous aurions trouvé logique de mettre « plus un » sur le gazole et « moins quatre » sur l’essence. En effet, pour un rattrapage rapide, il faut tenir compte du ratio de la production.

Mme la présidente Sophie Rohfritsch. C’est cela, la neutralité fiscale. Il faut agir à recettes fiscales stables.

Mme la rapporteure. Sauf que la recette fiscale est faite pour accélérer le renouvellement du parc.

M. Francis Duseux. Cette formule, certes simpliste, aurait permis un rattrapage rapide. Pour autant, nous avons bien conscience que, pour les constructeurs automobiles, la logique est tout autre.

Je terminerai sur un sujet dont je n’ai pas eu le temps de parler, et qui inquiète les industriels.

L’extension de la taxe sur l’électricité au gaz et aux carburants va déjà peser lourd dans la facture – 6 milliards cette année, 8 milliards dans deux ans, 15 milliards dans trois ans, etc. Mais maintenant, on envisage d’étendre la CSPE aux carburants, au fuel domestique et au gaz. Ce sont des choix politiques. Mais si cela vient se rajouter à tout ce que je vous ai dit, la situation risque de devenir intolérable ! En outre, cela posera un problème de fond : l’usager de l’électricité ne connaîtra plus la vérité des prix. Cela peut conduire à toutes sortes de dérives.

C’est un point de vue un peu personnel, mais je crois tout de même que le fait de tout faire financer par les carburants, en accumulant les taxes, affectera tôt ou tard gravement le pouvoir d’achat de nos concitoyens. Quelqu’un qui a acheté une voiture diesel l’année dernière va l’utiliser pendant dix ans. On ne peut pas le « matraquer » comme cela, avec un gazole à 2 euros au litre. Politiquement, cela me paraît totalement irréaliste. Et puis, si l’on décide d’aller vers les renouvelables, pour l’électricité, il faut que cela se traduise par la vérité des prix au niveau électrique. Sinon, on dévie complètement la mécanique de décision des investissements. Je trouve cela très grave.

Rien n’est décidé encore, mais j’ai cru comprendre que taxe carbone et extension de CSPE seraient confondues. Je ne sais pas ce qu’il en est, mais ce serait pour nous une source de très grande inquiétude. Bien sûr, vous pourriez prendre des mesures de compensation ou de relance du pouvoir d’achat. Mais comme vous le savez, les industries françaises ont perdu 10 points de PIB en douze ans. C’est l’origine de la baisse de la consommation générale d’énergie, et c’est aussi l’origine du chômage.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Exactement !

M. Francis Duseux. Pourquoi taxer encore les transports, alourdir les coûts au travers de taxes sur les produits pétroliers et plomber la compétitivité des entreprises françaises ? J’y vois là un très grand danger. Collectivement, nous devons être très vigilants. Nous devons plutôt attirer les investisseurs, redonner de l’oxygène aux entreprises, en reconstruire de nouvelles et nous redonner la chance de créer des emplois.

Peut-être faudrait-il chiffrer l’impact que cela risque d’avoir sur les transports. Dans tous les cas, cela risque d’être très conséquent. Je suis très inquiet.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Moi aussi, vous avez raison : c’est immoral !

Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Merci, monsieur le président, pour la franchise de vos réponses.

La séance est levée à dix-huit heures quinze.

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Membres présents ou excusés

Mission d’information sur l’offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

Réunion du mardi 8 décembre 2015 à 17 heures

Présents. – Mme Delphine Batho, M. Charles de Courson, M. Philippe Duron, Mme Sophie Rohfritsch, Mme Marie-Jo Zimmermann

Excusés. – M. Xavier Breton, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Jean Grellier, Mme Arlette Grosskost, M. Jean-Pierre Maggi, M. Gérard Menuel, M. Rémi Pauvros, M. Jean-Michel Villaumé