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Mercredi 9 décembre 2015

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 14

Présidence de Mme Sophie Rohfritsch, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jacques Mauge, président de la Fédération des industries des équipements pour véhicules (FIEV) et conseiller du président de Faurecia, de M. Guy Maugis, président de Bosch France et de M. Olivier Rabiller, vice-président, directeur général, en charge de l’innovation, des fusions–acquisitions, de l’après-vente et des régions en forte croissance de la société Honeywell Transportation System....

Mission d’information
sur l’offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

La séance est ouverte à seize heures trente.

La mission d’information a entendu M. Jacques Mauge, président de la Fédération des industries des équipements pour véhicules (FIEV) et conseiller du président de Faurecia, M. Guy Maugis, président de Bosch France et M. Olivier Rabiller, vice-président, directeur général, en charge de l’innovation, des fusions–acquisitions, de l’après-vente et des régions en forte croissance de la société Honeywell Transportation System.

Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Nous avons le plaisir d’accueillir une délégation de la Fédération des industries des équipements pour véhicules – la FIEV – conduite par son président M. Jacques Mauge. Il est accompagné par M. Guy Maugis, qui préside le groupe Robert Bosch France et par M. Olivier Rabillier, cadre dirigeant de la division systèmes de transport d’Honeywell.

La FIEV est une organisation professionnelle qui regroupe de grands groupes à vocation internationale, mais aussi de grosses PME régionales. Au-delà de ce qu’il est convenu d’appeler les équipementiers « de rang 1 », vos activités concernent, en France, de très nombreux sous-traitants de plus petite taille.

Le secteur a subi de plein fouet la crise automobile des années 2008-2009. Cette crise a incité les pouvoirs publics à créer un Fonds de modernisation des équipementiers automobiles, le FMEA – récemment rebaptisé Fonds Avenir Automobile (FAA) – qui est géré par Bpifrance. Dans ce contexte, le secteur a fait preuve d’une remarquable capacité de rebond. Il a engagé des efforts de productivité parfois conjugués à des délocalisations. En prenant des initiatives technologiques, il a relevé ses objectifs de recherche et développement (R&D). Il n’est pas rare aujourd’hui que des équipementiers français réalisent plus de 50 % du chiffre d’affaires à l’exportation.

Autre trait caractéristique du secteur : il compte d’importantes usines de groupes étrangers, souvent présents en France depuis longtemps, comme c’est le cas de Bosch, ici représenté, ou encore de l’américain Delphi.

Il faut également souligner que près de 80 % du prix de revient d’un véhicule relève des équipementiers. De même, les activités de réparation et d’entretien sont par nature fortement consommatrices de vos produits.

Concernant certaines productions de vos entreprises, la conception des filtres à particules et des autres systèmes de dépollution que vous fournissez aux constructeurs intéresse au plus haut point la mission d’information.

Par ailleurs, vous pourrez nous donner des précisions sur l’utilisation des fonds débloqués au titre du Fonds de modernisation, à présent FAA.

Dans le même esprit, nous souhaiterions en savoir plus sur l’implication de vos entreprises dans le cadre des programmes du « Véhicule du futur », et sur l’apport dont vous avez pu bénéficier à partir du programme des investissements d’avenir, le PIA.

Enfin, au plan européen, existe-t-il des aides à l’innovation et à la recherche plus spécialement ciblées sur vos activités ?

M. Jacques Mauge, président de la Fédération des industries des équipements pour véhicules (FIEV). La filière automobile française emploie plus de 434 000 personnes. En France, les équipementiers de « rang 1 » représentent plus de 73 000 emplois directs, soit un tiers du total des emplois liés au noyau de la filière automobile. Ils sont regroupés au sein de la FIEV – Fédération des industries des équipements pour véhicules – que j’ai l’honneur de présider.

De simples sous-traitants, les équipementiers sont devenus les partenaires technologiques et stratégiques des constructeurs automobiles. Ils sont au cœur de l'innovation, et fournissent plus de 80 % du contenu des véhicules.

En matière de dépollution pour toutes les motorisations, et notamment le diesel, de nombreux équipements sont fruits de la recherche commune entre équipementiers et constructeurs : les turbocompresseurs, les systèmes d'injection à rampe d'alimentation commune, les vannes EGR, les convertisseurs catalytiques, les filtres à particules, les systèmes de post-traitement des NOx, telle la SCR – réduction catalytique sélective – ou les pièges à NOx, et bien d'autres encore dont la liste serait trop longue.

Sur le plan économique, les équipementiers représentent une part importante de notre industrie. En 2014, les équipementiers ont dégagé un chiffre d’affaires en France de 15,6 milliards d’euros, dont 54 % à l'export, avec un solde commercial excédentaire de 1,54 milliard d’euros, et regroupaient trois cent trente établissements pour 73 767 emplois.

Il faut noter que les effectifs ont chuté de 35 % entre 2007 et 2014, et de 42 % depuis 2001, en conséquence de la chute de production de véhicules légers en France et de la naturelle adaptation du système de production pour maintenir la compétitivité. La filière a fortement souffert de la crise de 2009, et la valeur de la production des équipementiers pour la première monte a été divisée par deux : proche de 30 milliards d’euros en 2001, elle s’est établie à 15,6 milliards d’euros en 2014, suivant en cela le volume de production.

Enfin, il faut noter que la croissance de l'industrie automobile mondiale profite de manière globale aux équipementiers, qui ont su s'implanter sur les marchés internationaux et diversifier leur portefeuille de clientèle. En effet, le chiffre d’affaires à l’échelle mondiale des cinq premiers équipementiers français plus Michelin – qui n’en est pas un mai qui procède de la même logique –  est en forte progression constante, à plus de 57 milliards d’euros en 2014, tandis qu’il est stagne pour la France à 13 milliards d’euros.

Les équipementiers occupent une place décisive et croissante dans l'industrie automobile, grâce à des investissements massifs en R&D. Ils consacrent en moyenne de 6 à 7 % de leur chiffre d’affaires à cette activité. On peut le constater en observant le score en dépôt de brevets de neuf équipementiers figurant parmi les cinquante premiers déposants en France en 2014 : Faurecia, qui a déposé 505 brevets dans le monde dont 120 en France ; Valeo, en cinquième place, avec 473 dépôts ; Bosch en neuvième position, avec 327 dépôts ; Saint Gobain, quinzième, avec 139 dépôts ; Continental, vingtième position, avec 86 dépôts ; SNR, vingt-huitième, avec 45 dépôts ; Plastic Omnium, en trentième position, avec 44 brevets ; et SKF, en trente-troisième position, avec 41 brevets déposés.

Très logiquement, les équipementiers sont fortement ancrés dans les territoires et participent au développement de la filière en région. Des équipementiers de rang 1 comme Faurecia, Valeo, Bosch ou Continental Automotive ont mis en place des programmes – des grappes – pour aider au développement de leurs fournisseurs – aide à l'innovation, développement à l'international – et à l’amélioration de leur performance industrielle, ce que l’on appelle le lean manufacturing.

Les équipementiers ont également abondé le Fonds Avenir Automobile, notamment Bosch, Faurecia, Plastic Omnium, Valeo et Hutchinson. Ainsi, 400 millions d’euros ont été investis dans vingt-neuf entreprises, dont des membres de la FIEV. Le Fonds dispose d'une capacité d'investissement de 230 millions d'euros pour le développement à l'international et pour soutenir l'innovation. Cette initiative est très appréciée par la filière.

Les équipementiers sont aussi très présents au sein des pôles de compétitivité. Les principaux pôles de compétitivités avec lesquels nous avons des relations sont Mov’eo, iD4CAR, i-Trans, LUTB, Pôle Véhicule du futur, Institut VeDeCom, Elastopôle. Grâce à ces pôles, nous pouvons développer le tissu de R&D et favoriser l'innovation et la collaboration avec les PME et TPE au niveau des territoires.

Les équipementiers sont également très présents au sein de la PFA, la plateforme automobile. Trois d’entre eux – Faurecia, Plastic Omnium et Valeo –, la FIEV et Michelin en sont membres fondateurs et appartiennent à ses instances de gouvernance. La FIEV y représente les équipementiers implantés en France.

Enfin, 10 000 personnes travaillent directement pour la production et la commercialisation des moteurs et véhicules diesel. Cette filière diesel est une filière d'excellence reconnue dans le monde entier depuis de nombreuses années. Elle bénéficie de l'écosystème particulièrement favorable qui vient d'être décrit, ainsi que du caractère pionnier de la France dans le développement des motorisations diesel.

Cela a contribué à la création de l’Alliance « Diesel XXI », qui est représentée devant vous aujourd'hui. « Diesel XXI » rassemble des acteurs internationaux qui ont décidé de fortement s'implanter en France en raison des compétences rares disponibles ici et des conditions favorables à la recherche et au développement.

M. Olivier Rabiller, vice-président, directeur général, en charge de l’innovation, des fusions-acquisitions, de l’après-vente et des régions en forte croissance de la société Honeywell Transportation System. Les équipementiers impliqués dans le diesel ont ressenti le besoin de se regrouper, bien avant l’affaire Volkswagen, pour corriger la communication négative qui commençait à apparaître en France autour de ce moteur, et rééquilibrer son image, en donnant les arguments techniques. Nous voulons expliquer en quoi le diesel est une technologie importante dans un mix de dépollution visant à une limitation des émissions de dioxyde de carbone, et pourquoi nous pensons que les technologies nous permettrons de rendre le diesel propre à l’avenir.

C’est l’objet de la création de cette alliance d’équipementiers locaux et internationaux qui utilisent la France comme une base de développement de leurs efforts de R&D sur le diesel, puisque notre pays était en pointe jusqu’à présent. Tel est le cas de mon entreprise, dont le centre de développement mondial du diesel est situé à Thaon-les-Vosges près d’Épinal.

Aujourd’hui, nous voulons faire passer ce message : il est possible de rendre le diesel propre – nous disposons technologies pour y parvenir –, il fait partie d’un mix de carburants et de solutions qui permettent de réduire les émissions de CO2. Un véhicule diesel émet en moyenne douze à treize grammes de CO2 de moins au kilomètre que la meilleure technologie disponible en essence, grâce à des technologies issues d’un savoir-faire largement basé en France. À cet égard, au-delà du rôle qu’elle joue pour limiter ses propres émissions, la France est regardée par le monde entier s’agissant de la façon dont elle va traiter le diesel à l’avenir. Beaucoup de pays dans lesquels le diesel était banni du mix énergétique sont en train de reconsidérer leur position. Au Brésil, par exemple, où nous participons également à des alliances d’industriels du diesel, nous constatons une bien meilleure écoute que par le passé. Le Japon a lui aussi décidé de donner au diesel une part importante de son mix énergétique.

Au-delà même de l’impact local – le marché français ne représente que 1,5 à 2 millions de voitures par an sur un marché mondial de 80 millions de véhicules –, la France joue un rôle d’exemple auprès des autres pays, et c’est ce qui nous inquiète dans la communication négative que nous avons perçue.

Pour résumer : nous avons les technologies pour rendre le diesel propre et le monde entier l’utilise de plus en plus. Sur l’année écoulée, seules la France et l’Inde enregistrent une baisse du taux de pénétration du diesel. Même aux États-Unis, après l’affaire Volkswagen, des constructeurs américains ont commencé à lancer des véhicules diesel sur le segment des pickups légers. Nous avons donc besoin d’une neutralité technologique de la réglementation pour éviter de pénaliser une technologie par rapport à une autre dans la lutte pour la réduction des émissions de CO2. La mise en place de la vignette automobile, par exemple, a fait l’objet d’arbitrages qui vont empêcher le diesel d’être dans la catégorie mieux-disante en termes d’émissions.

M. Guy Maugis, président de Bosch France. Je souscris totalement aux propos qui viennent d’être tenus : la neutralité technologique est essentielle, pour nous. Nous fabriquons des équipements pour des véhicules diesel, essence, hybrides et électriques. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, notre intérêt économique ne nous pousse donc pas forcément à défendre à tout prix le diesel parce que ce serait bon pour nos affaires.

Aujourd’hui, si l’on veut respecter les objectifs de réduction des gaz à effet de serre et d’émissions de CO2, on ne peut se passer du diesel. C’est le seul carburant qui, par sa capacité technologique intrinsèque, permet de consommer 15 à 20 % de moins et d’émettre 15 à 20 % de CO2 de moins qu’un moteur à essence. C’est d’autant plus vrai que les véhicules sont lourds. Ainsi, pour les poids lourds, il n’y a pas d’autre solution que le diesel, car un moteur à essence n’a pas la puissance suffisante, ou alors il consommerait trois ou quatre fois plus que son équivalent diesel. Pour réduire les émissions de CO2, le diesel est donc pour nous la seule solution technique possible.

Certes, les moteurs diesels anciens présentaient un certain nombre d’inconvénients, notamment celui d’émettre des particules. Ce problème a été progressivement réglé avec l’évolution des normes et la mise en place des filtres à particules. Il faut noter, à cet égard, que les moteurs à essence modernes à injection directe commencent à émettre des particules : il faudra donc les équiper eux aussi de filtres à particules au fur et à mesure du renforcement des normes. En tant qu’industriels, nous sommes tout à fait partisans d’un durcissement de ces normes, nous plaidons simplement pour que cette évolution suive le rythme des capacités technologiques et de la faculté des ménages à payer le surcoût induit par cette mise aux normes des véhicules.

Un autre sujet a été récemment porté à l’attention du public, celui des oxydes d’azote, abréviés NOx. Nous avons les solutions technologiques – SCR ou piège à NOx – pour respecter des normes très restrictives en la matière, comme les normes américaines. C’est encore un peu coûteux, mais avec la massification de ces technologies, nous arriverons à en réduire le coût.

L’idée selon laquelle le diesel est plus polluant que l’essence est donc une idée du passé. Les technologies modernes donnent à peu près la même neutralité polluante, avec cependant un avantage en termes de CO2 pour le diesel.

D’autres technologies permettent de réduire la consommation, notamment sur des cycles courts en ville, je pense aux véhicules hybrides. Mais il ne faut jamais oublier qu’un véhicule hybride fonctionne avec un moteur à explosion, qui est parfois un moteur diesel, comme le fait PSA avec son moteur « HYbrid4 ».

Pour revenir sur la vignette, nous sommes déçus de constater que l’arbitrage qui a été rendu n’est pas neutre technologiquement. Les véhicules diesel « Euro 6 » vont en effet se retrouver dans une catégorie qu’ils « ne méritent pas », car si l’on s’en tient uniquement aux mesures techniques et scientifiques des niveaux de particules et de NOx émises, ils répondent au même niveau d’exigence environnementale que les véhicules essence « Euro 6 ».

Mme Delphine Batho, rapporteure. Vous avez rappelé les chiffres des destructions d’emplois au sein des équipementiers depuis les années 2000, ils sont très impressionnants.

Au moment des états généraux de l’automobile en 2008 et 2009, la relation entre les constructeurs et les équipementiers avait été au centre des débats. Quelle est votre appréciation sur la structuration de la filière automobile aujourd’hui, à la suite à tout ce qui a été mis en place après les états généraux de l’automobile ? Parmi les personnes que nous avons entendues précédemment, certaines considéraient que la situation était satisfaisante, d’autres étaient plus nuancées.

S’agissant du scandale Volkswagen, nous avons demandé à plusieurs interlocuteurs une évaluation du volume d’activité des fournisseurs de Volkswagen. Quel est le nombre d’emplois, en France, lié à Volkswagen ? Concernant plus spécialement le groupe Bosch, il a été fait état d’une éventuelle implication de cette entreprise dans le scandale, qu’en est-il ?

Dans votre propos introductif, monsieur Mauge, vous avez évoqué le poids économique de tous les équipements liés à la dépollution. Vous avez fait état d’une longue liste d’équipements, pourriez-vous nous faire parvenir des éléments de chiffrage du volume d’activité de l’ensemble du secteur ?

J’en viens à la question du diesel. Nous constatons que les normes sont largement théoriques. Même si un véhicule récent émet beaucoup moins de particules qu’un véhicule vieux de cinq ou dix ans, nous constatons tout de même un écart entre la réalité et les normes théoriques, ce qui renvoie à la question des nouveaux tests.

Sur le projet de rendre le diesel propre, je voudrais rappeler que le diesel propre n’existe pas à ce jour. De même, le diesel « Euro 6 » n’est pas à égalité avec l’essence. Il émet 20 % de particules en plus, et soixante-deux fois plus de dioxyde d’azote. Ce sont les faits même s’ils présentent, en effet, un avantage en matière d’émission de CO2. Je souhaite donc avoir des précisions lorsque lorsque vous nous dites que vous avez les solutions technologiques. S’agit-il seulement de la réduction catalytique sélective (SCR) ?

M. Denis Baupin. Je souhaite d’abord vous dire combien je suis d’accord avec vous, messieurs, lorsque vous parlez de neutralité technologique. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous nous battons pour supprimer toutes les niches fiscales favorables au diesel qui ont conduit à ce que notre parc automobile soit l’un des plus diésélisés, donc l’un des plus empoisonneurs, car vous reconnaissez vous-même que les diesels anciens étaient polluants. Je note que vous êtes pour une neutralité de la fiscalité en la matière : nous pourrons nous prévaloir du soutien de la FIEV sur ce point !

Comme la rapporteure, je tiens à souligner combien les termes « diesel propre » peuvent paraître choquants. Pourquoi ne pas parler aussi d’« amiante propre » ? Je me souviens des propos de Michel Elbel, un élu RPR qui n’était donc pas de ma famille politique, mais qui a longtemps été président d’Airparif. Il disait qu’il croirait à la « voiture propre » le jour où un constructeur serait d’accord pour s’enfermer pendant une demi-heure dans son garage avec sa voiture en marche … Utilisons donc des termes adaptés !

Je partage entièrement les propos de la rapporteure sur les écarts que nous pouvons constater, y compris sur banc d’essai, entre les tests – certains effectués par Automag – et la réalité. Des études enregistrent des écarts de consommation allant jusqu’à 60 % entre les mesures des tests et le fonctionnement en conditions réelles, pour des véhicules diesels français aux normes « Euro 6 ». On peut donc s’interroger sur la réalité des chiffres affichés.

J'ai quelques questions concernant des aspects qui n'ont pas été évoqués. Vos activités d'équipementiers incluent la fourniture de logiciels. Quel type de logiciels fournissez-vous ? Quelle capacité ont les pouvoirs publics à en contrôler la qualité, sachant que les logiciels sont composés de centaines de milliers de lignes de programme et qu'identifier le petit dispositif qui permettra de truquer les tests est évidemment difficile. L'accès au code source des logiciels est donc crucial.

En tant qu'équipementier que change, en termes d’emplois, le fait de travailler sur des moteurs essence ou des moteurs diesel ? Si l'on remplaçait, en France, tous les véhicules diesel par des véhicules essence, y aurait-il des pertes d'emplois, ou s’agirait-il uniquement d’un problème de reconversion, qui n'en serait pas simple pour autant ? J’ai du mal à imaginer en quoi les véhicules diesel nécessiteraient plus d’emplois.

En ce qui concerne la maîtrise de l'énergie, et notamment l'objectif de deux litres aux cent kilomètres, considérez-vous que ces technologies permettront des créations d'emplois pour les équipementiers ?

S’agissant enfin de l'amélioration des véhicules existants, ce qu'on appelle retrofit en matière de bâtiment, est-ce un secteur que vous estimez potentiellement porteur d’emplois ? La loi de transition énergétique a prévu que la prime à l'achat de véhicules peu polluants bénéficiera aussi aux véhicules d'occasion. C'est de notre point de vue un élément social, puisqu’il permet à des ménages n'ayant pas les moyens d'acheter un véhicule neuf d'accéder à un véhicule propre, mais sur un plan économique, cela permettra aussi de créer des emplois dans le secteur des équipementiers et des réparateurs, et non chez les constructeurs.

M. Charles de Courson. Le but de notre mission est de réfléchir à l'évolution de la filière automobile au regard des grandes décisions à prendre en matière de fiscalité énergétique.

Dans ce cadre, êtes-vous favorables à la neutralité énergétique de la fiscalité ? Sachant qu'un litre de diesel représente à peu près 1,07 litre d'essence aujourd'hui, nous pourrions arriver à la parité en cinq ou six ans, et nous supprimerions la non-déductibilité de la TVA sur les véhicules à essence détenus par les sociétés – bizarrerie qui résulte de la politique menée depuis quarante ans.

Monsieur Rabiller, je vous ai trouvé très favorable au diesel. Je m'attendais à ce que vous me disiez que vous pouviez vous adapter à toutes les technologies pourvu que les changements soient graduels et lisibles. C'est ce que demandent les grands industriels : Carlos Ghosn a ainsi déclaré ici que ce n'était pas un problème si on leur laissait cinq à sept ans pour s'adapter. Qui plus est, vous n'êtes pas les seuls concernés, il y a aussi l'industrie pétrolière. Sans correction de notre part, nous allons voir disparaître les huit dernières raffineries qui existent en France.

Vous avez très peu parlé du véhicule électrique. Quel est son avenir, selon vous ? Pensez-vous comme beaucoup de spécialistes que cela représente un petit créneau – entre 1 % et 2 % du marché ? Croyez-vous que l'industrie sera capable de résoudre le problème vieux de soixante ans du prix des accumulateurs et des capacités de stockage de l'électricité dans les véhicules ?

M. Yves Albarello. Je ne voudrais pas apparaître comme le défenseur à tout prix de la filière diesel. J'ai déjà rappelé que nous avions gagné les 24 heures du Mans avec un moteur diesel, et j'en suis fier. Dans cette filière, il faut souligner l’excellence française. En outre, et le fait que les moteurs diesels émettent douze à treize grammes de CO2 de moins que les moteurs essence en témoignent, de gros progrès ont été réalisés. De même, les filtres à particules sont de plus en plus efficaces. Je suis donc d'accord pour un rééquilibrage de la fiscalité, mais veillons à ne pas mettre à mal la filière diesel. Je serai là pour la défendre.

Vos industries exportent pour 57 milliards d'euros, tandis que le chiffre d'affaire réalisé en France est de 13 milliards. Vous travaillez donc plus pour l'exportation. Cela conforte les propos d’un excellent professeur que nous avons auditionné au début des travaux de cette commission. Il a dit que dans dix ans, nous n'aurons plus de constructeur automobile : l'un aura été absorbé par les Japonais, l'autre par les Chinois. Cela fera peut-être plaisir à certains, pas à moi.

Dans la valeur d'un moteur, quelle est la part apportée par les équipementiers, et celle du constructeur ?

M. Jean Grellier. Depuis le début de ces auditions, nous nous rendons compte qu’il existe une grande diversité de solutions proposées : continuer avec des voitures plus propres avec des moteurs thermiques, recourir aux voitures électriques … La semaine dernière, nous avons auditionné une entreprise qui propose un dispositif de recharge des batteries par pile à combustible. On parle aussi de l’hydrogène, du gaz naturel, du biogaz.

Derrière chacune de ces solutions, il y a des demandes de réseaux. La puissance publique contribue à entretenir les réseaux de distribution d’essence ou de gasoil en milieu rural et cofinance le déploiement de bornes électriques ; on évoque pour le futur des stations à hydrogène, ou des stations de gaz naturel. Pensez-vous qu’il soit possible que ces différentes solutions coexistent, ou, au contraire, une filière va-t-elle s’affirmer et répondre aux différents besoins ? Ces choix soulèvent des enjeux en matière de fiscalité.

Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Que pensez-vous des déclarations récentes de Carlos Ghosn en marge du salon de Tokyo ? Il a programmé la fin prochaine du diesel, et s’est élevé contre l’idée de pratiquer des tests en réel. Il estime en effet qu’il faut une base de tests conforme pour tous les constructeurs, et que les tests en situation de conduite sont irréalistes du fait de la variabilité des résultats selon les conducteurs.

Concernant l’argent public investi dans les différents pôles de compétitivité, grappes et autres clusters, en faisant abstraction de l’argent nécessaire pour le fonctionnement des pôles, combien estimez-vous qu’un euro d’argent public entraîne d’investissement privé pour les projets de R&D collaboratifs ?

M. Jacques Mauge. La première de vos questions porte sur la situation de la filière automobile en France, notamment la mise en place des structures visant à aider la filière à traverser la crise et à rebondir. De bonnes initiatives ont vu le jour à cet égard, telle la création de la Plateforme automobile et l’établissement d’un comité stratégique de filière. Elles ont permis aux constructeurs et aux équipementiers de fonctionner globalement ensemble, et non plus dans le cadre des relations de fournisseur à client. Cette mise en commun des réflexions et des stratégies permet d’optimiser les directions stratégiques, de R&D, etc. Toute la filière en est reconnaissante.

Mais il est difficile d’en mesurer les effets sur l’emploi. En 2014, nous avons assisté à un rebond par rapport à 2013, qui sera probablement confirmé en 2015. Cette inflexion positive es-elle le résultat des initiatives qui ont été prises ? Je n’en suis pas certain. La baisse de la production – et donc des effectifs – me semble assez durable, car lorsque l’on cesse de produire des véhicules en France, il est très difficile, pour des raisons économiques, d’y revenir.

En conclusion, l’initiative est très importante pour toute la filière et permet d’optimiser les moyens. En matière d’emploi, on assiste à un léger rebond, mais il n’est pas possible de conclure qu’il soit significatif et durable.

M. Guy Maugis. S’agissant de l’impact de l’affaire Volkswagen sur les équipementiers, il est extrêmement difficile à chiffrer. A priori, le marché européen ne sera pas affecté. Peut-être achètera-t-on un peu moins de Volkswagen et un peu plus d’autres marques. Pour des équipementiers qui n’ont pas de part de marché plus forte chez Volkswagen, cela ne devrait pas changer fondamentalement l’activité, c’est localement que cela pourra affecter une usine qui ne livrerait que Volkswagen.

Globalement, on ne sent pas d’impact majeur sur le marché. Certes, il est à parier que Volkswagen vendra beaucoup moins de véhicules aux États-Unis – on le constate déjà au mois de novembre – mais il est très difficile d’évaluer le temps que durera cet effet psychologique.

M. Jacques Mauge. L’impact ne se fait pas sentir en France, mais il est réel pour les grands équipementiers français qui travaillent à l’international. On peut ainsi considérer que l’investissement est quasiment perdu pour celui qui fournit une usine Volkswagen aux États-Unis.

Vous m’avez ensuite demandé quel était le volume d’activité sur les équipements de dépollution, je n’ai pas la réponse dans l’immédiat.

S’agissant des mesures, en tant qu’équipementiers, nous testons nos équipements, mais pas dans leur environnement final. Ils répondent aux spécifications avec une très grande précision, sans élément de variabilité. Mais lorsque nos produits sont placés dans l’environnement automobile, ils subissent des contraintes économiques, de marketing, qui peuvent alors faire varier les résultats.

Je suis d’accord pour rejeter l’expression de « diesel propre ». Dans la mesure où il est question d’un moteur à combustion, il y a forcément des émanations, des gaz, et on ne peut pas parler d’un processus propre. En revanche, nous sommes convaincus de l’équivalence de l’effet polluant des moteurs essence et diesel avec les nouvelles technologies.

Le vrai problème du diesel est celui du parc diesel roulant en ce moment en France, dont les deux tiers n’est pas protégé. Je pense aussi qu’il faut une neutralité technologique en termes de fiscalité, mais s’il y avait un élément de fiscalité à imaginer, il faudrait trouver comment évacuer ces vieux diesels extrêmement pénalisants.

M. Guy Maugis. Je voudrais rappeler quelques éléments sur la façon dont on mesure les émissions d’un véhicule. En 1973, la profession a mis en place un cycle standard, le cycle NEDC, qui représente autant que possible des conditions de roulage. Les véhicules sont placés sur des bancs à rouleaux, et on procède ensuite à des accélérations avec un palier, pendant vingt minutes. Ces accélérations font passer de zéro à cinquante kilomètres par heure en vingt-six secondes. Essayez de conduire à ce rythme dans Paris, tout le monde klaxonnera, à moins que vous ne provoquiez un accident ! Ces conditions de test étaient représentatives de la dynamique des véhicules d’alors – en gros de la 2CV et de la 4L. Quelques progrès sont intervenus depuis, mais la réglementation n’a pas évolué.

Cela fait plusieurs années que la profession a mis au point de nouveaux tests. Ceux-ci seront appliqués en 2016 ou 2017. Il s’agit d’un nouveau cycle dans lequel les véhicules seront plus sollicités : les accélérations seront plus franches, et le palier sera plus long. Cela nous rapprochera davantage de l’utilisation en conditions réelles.

Ces tests sont effectués sur des bancs à rouleaux car ils doivent être reproductibles et permettre des comparaisons fiables. Ce qui rend toute la profession suspecte, c’est que ce cycle ne correspond pas à l’utilisation sur route. En effet, un particulier va accélérer plus fort, donc consommer plus, va grimper des côtes… Accessoirement, le test ne prend pas en compte la charge de la batterie, ce qui va favoriser les véhicules hybrides.

En tout état de cause, nous sommes tous conscients que le test mis en place il y a quarante ans ne correspond plus à la réalité. La première urgence est d’en avoir un plus proche de la réalité.

Cela étant, de quoi parle-t-on lorsque l’on évoque les conditions d’utilisation réelle ? Le périphérique à dix-huit heures ? Une route de campagne plate ? L’ascension du mont Ventoux avec la caravane pendant les vacances ? C’est ce que voulait dire Carlos Ghosn : un test en condition réelle ne sera pas scientifiquement reproductible, il donnera une information mais ne pourra pas servir de base de comparaison. Il faut donc savoir ce que l’on recherche en procédant à ces tests : un élément de normalisation et d’homologation, ou l’information du grand public sur la consommation approximative qu’il peut espérer ?

Il en va de même pour les NOx. J’invite M. Baupin à lire le rapport de l’ONG américaine qui a levé le lièvre Volkswagen : trois véhicules sont testés, et l’un tient la norme de quarante-trois grammes de NOx dans toutes les conditions de circulation, y compris en conditions réelles. Il s’agit d’un BMW X5, qui n’a pas forcément l’image du véhicule le moins polluant, et qui n’est manifestement pas bas de gamme. C’est le point que je soulevais précédemment : les solutions technologiques sont coûteuses et plus faciles à mettre en place dans les poids lourds et les véhicules haut de gamme. Mais l’histoire de l’industrie automobile au cours des trente dernières années nous a appris que les solutions technologiques telles que l’ABS ou l’ESP étaient d’abord installées sur les véhicules chers avant de se démocratiser. Aujourd’hui, l’ABS ou l’ESP équipent tous les véhicules, mais les coûts ont été divisés par dix en trente ans. Les laboratoires technologiques sont donc la Formule 1 et les véhicules premiums.

M. Jacques Mauge. Le vrai inconvénient du diesel, c’est son coût. Si l’on veut atteindre des niveaux de dépollution comparables à ceux de l’essence, le coût est plus important. Mais nous avons la conviction que les deux technologies permettent d’aboutir au même niveau de performance.

M. Guy Maugis. Le surcoût est de l’ordre de 500 à 1 000 euros par véhicule, c’est loin d’être négligeable.

M. Jacques Mauge. Mais le diesel a un avantage en termes de consommation. Tout dépendra donc de l’usage : si l’on parcourt beaucoup de kilomètres, on peut récupérer l’investissement d’origine ; c’est moins intéressant si l’on roule surtout en ville.

M. Guy Maugis. Actuellement, le seuil de rentabilité du diesel se situe autour de 20 000 kilomètres par an. Dans une situation de parité fiscale, il serait un peu plus élevé, autour de 25 000 kilomètres par an.

S’agissant des véhicules électriques, notre groupe investit environ 500 millions d’euros par an dans cette technologie, ce n’est donc pas anecdotique. En tant qu’équipementier spécialisé dans la motorisation, notre difficulté est qu’il n’y a pas une seule technologie capable de tout faire. Le monde était beaucoup plus simple lorsqu’il n’y avait que des moteurs à essence…

Aujourd’hui, nous devons améliorer les technologies diesel, car elles ont un avantage et nous pensons que nous avons encore une marge de 20 à 30 % de réduction de la consommation et d’amélioration des normes. Mais nous devons aussi travailler sur les moteurs à essence, qui restent peu chers et rendent d’excellents services, ainsi que sur l’hybridation et l’électrique. Nous investissons sur les batteries, et nous pensons que d’ici à cinq ans, nous pourrons doubler la quantité d’énergie par kilogramme de batterie et diviser les prix par deux. Nous visons donc des autonomies de trois cents kilomètres, ce qui représente la bonne maille pour un voyage.

Le but est d’arriver à ce que les véhicules électriques aient le même ordre de coût que les véhicules à essence ou diesel, la batterie pouvant être considérée comme un investissement ou une consommation. À cet égard, la question de la fiscalisation de la recharge des batteries – actuellement exonérée de TIPP – va devoir être posée. Nous pensons qu’à l’horizon 2025, l’électrification, qu’il s’agisse de véhicules tout électrique, hybrides ou rechargeables, représentera à peu près 20 % du marché mondial.

Mais il est difficile d’accepter l’idée que l’on passe du véhicule à tout faire à des véhicules performants pour un type d’utilisation. Si vous roulez 500 kilomètres sur l’autoroute, il vaut mieux un véhicule diesel ; si vous ne circulez que dans Paris, un véhicule électrique convient très bien ; et l’hybride peut être une solution intermédiaire.

M. Charles de Courson. Du point de vue du marketing, y a-t-il une segmentation du marché correspondant à la segmentation technologique, ou bien faut-il des véhicules à plusieurs motorisations ?

M. Guy Maugis. Il existe des moteurs « bi fuel » qui fonctionnent à l’essence et à l’éthanol. Aujourd’hui, les consommateurs achètent un véhicule pour ses capacités maximales, ce qui constitue d’une certaine façon un gaspillage. Il serait en effet extraordinairement pratique d’avoir un véhicule différent pour chaque usage, comme aux États-Unis où chacun a trois ou quatre véhicules, mais cela poserait des problèmes de stationnement. Nous devons donc trouver comment adapter les parcs et les usages. C’est une question à poser aux constructeurs.

M. Charles de Courson. Mais quelle famille utilise un véhicule électrique uniquement pour faire les courses, un autre à moteur diesel pour les longues distances et un troisième pour les distances intermédiaires ? Ce n’est absolument pas à la portée des ménages, c’est une solution uniquement pour les riches comme le dirait notre collègue Denis Baupin.

M. Denis Baupin. Alors que nous inventons des choses nouvelles dans le secteur de l’énergie, nous pouvons imaginer que cela va se faire aussi dans le domaine de la mobilité.

M. Charles de Courson. Le problème tient à la contradiction entre la mono-technologie et la multi-utilisation.

M. Olivier Rabiller. Il faut trouver le bon compromis. C’est ce que font les constructeurs. En outre, le client est rationnel lorsqu’il choisit son automobile et voit combien elle lui coûte lorsqu’il passe à la pompe.

M. Denis Baupin demandait pourquoi ne pas faire uniquement des véhicules à essence, et quel impact aurait une telle transformation sur l’emploi. Si tel est le cas un jour, un seul centre de développement suffira, contre deux aujourd’hui – un pour le diesel et un pour l’essence. Cela aura donc un impact direct sur une filière qui a développé une excellence en matière de R&D.

S’agissant de neutralité technologique de la fiscalité, elle sera tout à fait possible si tout le monde a le temps de s’adapter dans la filière. Dans certains pays, le diesel est plus cher que l’essence, mais le taux de pénétration du diesel y progresse quand même. En Suisse, par exemple, la part de véhicules diesel a augmenté de dix points, alors que le gazole y est plus taxé du fait de sa une valeur énergétique supérieure – cela dissuade les poids lourds de traverser le pays. Cette progression s’explique car le client s’y retrouve. Il va choisir son véhicule en fonction de l’utilisation qu’il en fera, et du bénéfice qu’il peut en tirer du point de vue de la consommation, mais aussi de la performance. Un véhicule diesel offre plus de couple, il est donc mieux adapté pour les véhicules de poids plus élevé, et le plaisir de conduite est plus grand. Ce n’est pas un hasard si les Américains achètent de plus en plus de véhicules diesels, en commençant par les plus gros.

M. Guy Maugis. Monsieur Baupin, vous avez demandé si les équipementiers fournissaient des logiciels. C’est en effet le cas ; c’est même une part de plus en plus importante de notre métier d’équipementier. Dans un groupe comme le nôtre, 40 000 ingénieurs travaillent sur les logiciels, et cela représente des millions de lignes de programme par calculateur. Un véhicule moderne compte une quinzaine de ces calculateurs.

Un calculateur moteur comprend plusieurs éléments. Nous fournissons systématiquement un programme de base, qui permet d’injecter le carburant dans la chambre de combustion. Le calculateur va ensuite moduler cette injection en fonction d’un certain nombre de données telles que la position de la pédale, la température ou la quantité d’oxygène qui reste dans le moteur. Un bon millier de paramètres est pris en compte, et c’est généralement le constructeur qui paramètre le calculateur que nous lui fournissons. De même que lorsque vous achetez un ordinateur de bureau, vous pouvez, par exemple, régler la vitesse de la souris.

Les constructeurs ajoutent ensuite un certain nombre de briques logicielles dont ils sont propriétaires. C’est le cas des systèmes d’antidémarrage et de codage avec la clé du véhicule, que nous n’avons pas à connaître. Nous livrons une boîte avec une couche de logiciel, qui va être « flashée » par le constructeur. Et nous n’avons pas la connaissance complète de ce qui est installé dans le calculateur.

M. Jacques Mauge. Ainsi, lorsque certains constructeurs partagent des blocs-moteur, comme c’est le cas de PSA et BMW, les moteurs sont exactement identiques, mais les logiciels complètement différents.

M. Guy Maugis. S’agissant maintenant de l’affaire Volkswagen, mon groupe a livré un calculateur avec les logiciels de base sur les véhicules incriminés. À ce jour, des investigations sont en cours, notamment aux États-Unis. Je ne suis pas en mesure de vous dire quelle a été notre implication dans la rédaction du logiciel : il faut attendre que l’enquête soit terminée. Nous pouvons faire confiance à la justice américaine pour aller chercher le moindre détail permettant de déterminer les responsabilités.

M. Charles de Courson. Vous n’avez jamais eu la curiosité d’acheter des véhicules utilisant vos programmes pour étudier ce qui avait été modifié ?

M. Guy Maugis. Les codes sont bloqués. De plus, ces calculateurs sont des monstres de dizaines de milliers de lignes de code et de paramètres. Prenons l’exemple d’un calculateur moteur que nous fournissons à PSA, certaines briques de ce calculateur sont fournies par nos concurrents. Ainsi, nos chers amis d’Honeywell peuvent fournir le sous-programme qui va réguler la vitesse du turbocompresseur. Il s’agit d’une boîte noire dans laquelle nous ne pouvons pas entrer.

M. Yves Albarello. Mais dans certains garages spécialisés, il est possible en branchant une valise de modifier les programmes, par exemple pour supprimer le bridage des moteurs à 250km/h.

M. Guy Maugis. Nous avons connaissance d’une partie du logiciel, mais pas de toutes les fonctionnalités et de toutes les boucles. Ce serait un travail de titan, et dans quel but le ferions-nous ? S’il y a des idées géniales, elles font l’objet d’un brevet.

M. Jacques Mauge. Concernant l’impact sur l’emploi d'un abandon éventuel de la filière diesel, les équipementiers fournissant tous les véhicules, il s’agirait donc pour eux de se repositionner. Si un marché disparaissait, nous nous repositionnerions, ce qui entraînerait un coût. En effet, poussés par la législation et les constructeurs, nous avons fait des investissements importants dans le diesel et nous avons trouvé d’excellentes solutions. Mais il est toujours difficile d’obtenir le retour sur investissement espéré lorsqu’une activité est interrompue. C’est un vrai sujet de préoccupation pour nous.

Mme la rapporteure. Êtes-vous capables de chiffrer les investissements qui ont été réalisés ?

M. Guy Maugis. Sur le site de Rodez, qui ne fabrique que des injecteurs diesel, nous avons investi 200 millions d’euros au cours des cinq dernières années. Ces injecteurs diesel sont très sophistiqués. Pour les moteurs à essence, l’injection est moins coûteuse en investissement et en capital. Le risque de délocalisation serait donc beaucoup plus élevé. Si tout le parc diesel passait à l’essence, je ne donne pas cher de la fabrication d’injecteurs diesel à Rodez, et elle ne serait probablement pas remplacée par des injecteurs essence, dont les prix de vente sont trop faibles ; nous les fabriquerions plutôt dans un pays à bas coût de main-d’œuvre.

M. Jacques Mauge. De plus, les constructeurs et les équipementiers français ont un avantage par rapport à la concurrence concernant le diesel. Renoncer au diesel nous ferait perdre cet avantage compétitif. D’autant que la technologie diesel, certes plus coûteuse, aboutit à la même performance que l’essence. Nous sommes scientifiquement confiants sur ce point. Abandonner notre avantage compétitif pour des raisons qui ne paraissent pas techniquement justifiées nous pose donc problème.

M. Charles de Courson. Si nous arrivions à la parité énergétique en matière de fiscalité, comment pensez-vous que le marché se répartirait entre diesel et essence ?

M. Olivier Rabiller. En Europe, le diesel est à 53 % de parts de marché pour les véhicules légers. Nous pensons que ce chiffre restera stable, à plus ou moins 5 %. Dans le transport routier, c’est de l’ordre de 100 %.

Aux États-Unis, le taux de pénétration du diesel augmente fortement : nous sommes passés de 2 % à 5 % cette année. Cela concerne d’abord les véhicules les plus lourds, pour lesquels les bénéfices sont plus évidents. S’agissant des camions, ils fonctionnent aussi avec du diesel, car il n’y a pas de solution technique de remplacement.

M. Jacques Mauge. Vous nous avez également interrogés sur les opportunités de créations d’emplois offertes par la recherche de maîtrise d’énergie. Je pense effectivement qu’il y a là des gisements d’emplois. Mais, selon des principes bien connus, les ruptures économiques entraînent dans un premier temps des pertes d’emplois, avant de permettre de retrouver le même niveau, voire de créer plus d’emplois.

Nous savons nous adapter à ces changements, et nous investissons dans nos centres de R&D de manière à identifier ces nouvelles technologies. Mais nous ne cherchons pas à forcer l’adoption d’une technologie qui n’est pas mûre et à en abandonner une qui a simplement besoin d’un perfectionnement. Nous cherchons nous aussi les ruptures technologiques, mais en organisant la transition le plus intelligemment possible au niveau de nos entreprises.

M. Olivier Rabiller. M. Albarello nous demandait quelle était la part de valeur apportée par les équipementiers sur les moteurs. Le moteur de base est un bloc-moteur et des pistons qui se déplacent – c’est ce que font les constructeurs. Ce sont les chefs d’orchestre de l’industrie, parce qu’ils ont la capacité à tout intégrer. Mais les premiers violons sont les équipementiers. Toutes les innovations qui ont permis d’atteindre les niveaux d’émissions que nous connaissons aujourd’hui – sur le diesel ou l’essence – viennent des équipementiers, qu’il s’agisse de l’injection directe ou du turbo à géométrie variable. Ces innovations ne se font pas en une vague. Sur les dix dernières années, nous avons développé quatre à cinq générations de turbos à géométrie variable pour les diesels. Cet exemple illustre le niveau d’intensité de R&D que les équipementiers déploient pour soutenir l’évolution des constructeurs.

M. Guy Maugis. Vous nous avez demandé ce que les équipementiers fournissaient. Autour de la culasse et du bloc-moteur, nous fournissons un démarreur, un alternateur, une série d’injecteurs pour le carburant, un turbo, un calculateur moteur qui permet de faire marcher tout cela, et j’en oublie certainement. Ce sont des pièces qui coûtent cher sur le moteur. Nous devons fournir autour de 80 % de la valeur des pièces incorporées par le constructeur.

Mme la rapporteure. Vous ne m’avez pas répondu sur les solutions technologiques en préparation. Dites-nous si vous ne pouvez pas entrer dans les détails pour des raisons de secret industriel, mais nous avons besoin d’avoir une réponse.

M. Olivier Rabiller. Des développements sont en cours ; les technologies que nous développons pour le moteur diesel ne sont pas figées. Non seulement nous allons pousser les technologies existantes plus loin, mais d’autres éléments vont venir s’ajouter sur le moteur.

Au-delà, nous travaillons sur des combinaisons de solutions venant d’environnements différents. Prenons l’exemple de l’électrification du véhicule. Nous parlons de moteurs hybrides, donc d’une source d’électricité disponible pour la motricité du véhicule. Aujourd’hui, avec huit kilowatts d’énergie électrique, on peut choisir de placer cette énergie dans les roues ou dans le turbo, comme cela se fait en Formule 1, et c’est alors l’effet de quarante à cinquante kilowatts au niveau des roues qui est obtenu.

Les technologies évoluent individuellement et se combinent les unes aux autres pour rendre le véhicule beaucoup plus efficient. Et cette tendance s’accélère.

M. Guy Maugis. Nous poursuivons le travail commencé il y a une vingtaine d’années sur l’amélioration de la combustion, avec des pressions d’injection de plus en plus élevées. Alors qu’auparavant nous injections à 1 000 bars dans un moteur diesel, nous atteignons maintenant des pressions de 2 000 bars, c’est un exemple typique de développement pour lequel les 24 heures du Mans ont aidé à progresser. Il s’agit donc d’amélioration continue.

Sur le traitement des NOx, nous avons les deux systèmes dont vous avez déjà entendu parler : la trappe à NOx, qui fonctionne plutôt mieux à basse température qu’à haute température, et le SCR pour lequel c’est l’inverse. Le véhicule qui a passé avec succès l’ensemble des tests de l’ONG américaine est équipé des deux, ce qui entraîne un surcoût. Mais ces systèmes en sont à leurs débuts industriels. Ils vont s’améliorer, nous allons les rendre plus légers, moins coûteux, plus efficaces. Nous allons également injecter bientôt un mélange d’ammoniac dans le gaz d’échappement. Au vu de la décrue des émissions au cours des trente dernières années, on peut rendre hommage aux équipes de recherche qui ont permis des améliorations fantastiques en termes de consommation ou de réduction des émissions polluantes. Ces progrès vont se poursuivre. Il n’y a pas de percée révolutionnaire, mais nous sommes certains que nous arriverons à améliorer encore les choses année après année, sur l’ensemble des motorisations.

M. Jacques Mauge. Le vrai problème de ces technologies, c’est le coût. Aujourd’hui, elles passent donc mieux sur du moyen ou haut de gamme que sur du bas de gamme, où le moteur à essence reste parfaitement compétitif, même s’il consomme un peu plus.

Si l’on réduit le volume du parc diesel, nous n’aurons plus la possibilité de descente en gamme par l’amélioration économique de ces technologies. On bloquera ainsi la diffusion de ces technologies, qui sont moins consommatrices d’énergie.

M. Olivier Rabiller. En tant qu’industriels, nous cherchons un retour sur investissement sur la R&D. Si nous voyons poindre une incertitude sur les technologies ou les domaines sur lesquels nous travaillons, nous aurons plutôt tendance à réduire notre effort de R&D et à investir ailleurs. C’est pour cela que nous avons créé cette alliance entre équipementiers, car si une incertitude entraîne une rupture sur le diesel, nous allons être amenés à faire des arbitrages d’investissement et sans doute passer par pertes et profits une technologie dont nous sommes pourtant persuadés qu’elle est nécessaire pour réduire le CO2 et qu’elle a énormément de potentiel.

M. Jacques Mauge. Une de vos questions portait sur les déclarations de Carlos Ghosn sur la fin du diesel et la réalité des tests.

En effet, des constructeurs très impliqués dans le diesel parlent déjà de la fin de cette technologie. Faut-il s’obstiner ? Si le diesel a une mauvaise image, peut-être faut-il investir ailleurs ? Certes, le coût de la rupture technologique sera très important, mais le premier à démarrer pourrait peut-être rebondir sur d’autres technologies et prendre les concurrents de vitesse. Renault applique les lois du marché. Cela étant, je pense comme mon collègue qu’au final, nous serons perdants car nous n’arriverons pas à atteindre les normes difficiles qui ont été définies sur la pollution sans le diesel. Il va apporter sa part de solution, pourvu que les volumes produits le permettent.

Mme la rapporteure. Le problème est que nous devons à la fois nous soucier du climat et de la qualité de l’air !

M. Jacques Mauge. Nous pouvons sembler naïfs en affirmant notre confiance dans le fait que nos technologies diesel sont équivalentes à l’essence, alors que les tests ne sont pas faits de manière correcte. Nous voyons donc d’un bon œil la volonté de redéfinir ces tests pour leur donner une vraie valeur. Ce sera probablement difficile, et nous n’y arriverons sans doute pas du premier coup, mais la démarche est très vertueuse.

La disparité des tests a également un aspect malin : des industries, voire des pays, sont très forts en effet pour établir des normes qui les favorisent tout en pénalisant leurs concurrents. Les Américains sont les champions du monde en la matière : ils arrivent à imposer des normes mondiales sans avoir à les respecter ! D’autres arrivent à imposer des normes qu’ils sont seuls capables de respecter. Il faut donc être attentifs, et nous améliorer dans le jeu de l’établissement des normes. Il ne faut pas laisser cet aspect aux bons soins de nos concurrents.

M. Charles de Courson. Nous n’avons pas parlé des biocarburants. Quelle est votre position sur l’adaptabilité des moteurs ? Vous n’avez pas non plus évoqué le moteur à hydrogène et au gaz.

M. Jacques Mauge. L’hydrogène est une excellente technologie qui pose cependant d’énormes problèmes en termes de distribution. Une station d’essence est un investissement raisonnable. S’il faut stocker et distribuer de l’hydrogène, cela devient une usine à gaz au sens technique du terme. Les investissements sont alors beaucoup plus lourds. Nous travaillons en tout cas sur cette merveilleuse technologie, qui sera probablement très coûteuse à mettre en œuvre.

M. Guy Maugis. C’est en débat. L’Allemagne y croit beaucoup et c’est Air Liquide – grande entreprise française – qui est en pointe sur ce sujet.

Sur les biocarburants, nous menons des recherches pour adapter les moteurs existants, notamment au Brésil, où le bioéthanol est largement disponible. Cela va certainement se développer. Aujourd’hui, et c’est une grande difficulté pour nous, toutes ces technologies sont disponibles, et il est impossible de savoir si l’une émergera plus que les autres. Notre seule certitude, c’est qu’un jour il n’y aura plus de pétrole, mais nous ne savons pas quand.

Mme la présidente. Messieurs, je vous remercie infiniment.

La séance est levée à dix-huit heures.

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Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

Réunion du mercredi 9 décembre 2015 à 16 h 30

Présents. - M. Yves Albarello, Mme Delphine Batho, M. Denis Baupin, M. Charles de Courson, M. Jean Grellier, Mme Sophie Rohfritsch

Excusés. - M. Jean-Marie Beffara, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Jean-Pierre Maggi, M. Rémi Pauvros, M. Jean-Michel Villaumé, Mme Marie-Jo Zimmermann