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Mercredi 20 janvier 2016

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 21

Présidence de Mme Marie Jo Zimmermann, Vice-présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Joseph Beretta, président du Conseil d’administration de l’Association nationale pour le développement de la mobilité électrique (AVERE-France).

Mission d’information
sur l’offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

La séance est ouverte à onze heures trente-cinq.

La mission d’information a entendu M. Joseph Beretta, président du conseil d’administration de l’Association nationale pour le développement de la mobilité électrique (AVERE France).

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente. Nous recevons ce matin M. Joseph Beretta, président de l’Association nationale pour le développement de la mobilité électrique, plus connue sous l’appellation AVERE-France. Créée en 1978 sous l’impulsion des autorités européennes, cette organisation est la « détentrice historique » de la propulsion électrique, aux origines très anciennes : on se souvient, par exemple, des premiers réseaux de tramways ou de trolleybus qui équipaient les grandes villes. L’originalité d’AVERE est de rassembler la majeure partie des acteurs participant à l’écosystème de la mobilité électrique – industriels, énergéticiens, chercheurs et collectivités publiques. M. Beretta dispose ainsi d’une vision transversale et constamment actualisée du secteur.

Si le véhicule électrique progresse, il ne représente encore que 1 % environ des ventes de véhicules neufs en France. Sa part de marché atteint toutefois un peu plus de 4 % si l’on y ajoute les différents modèles hybrides, dont les constructeurs multiplient les offres. L’usage du véhicule électrique retient plus particulièrement l’attention de la mission, car il représente une véritable rupture, notamment dans les villes, grâce au succès des systèmes d’utilisation partagée.

Des freins demeurent cependant. L’autonomie des véhicules pose toujours problème, tant en termes de durée d’utilisation que de modalités de recharge. La ligne de partage entre les différentes solutions techniques paraît encore confuse. Les batteries lithium-ion seront-elles dépassées par les batteries lithium-métal polymère, que produit aujourd’hui le groupe Bolloré ? Enfin, existe-t-il réellement une filière industrielle française du véhicule électrique, ou sommes-nous toujours tributaires d’importations, notamment asiatiques, voire de brevets étrangers, pour ses équipements-clés ?

M. Joseph Beretta, président du conseil d’administration de l’Association nationale pour le développement de la mobilité électrique (AVERE). Vous avez bien synthétisé, Madame la présidente, l’histoire de l’Association des véhicules électriques routiers européens, dont je représente la section française. Il existe également un échelon européen, AVERE-Europe, qui fédère les associations nationales de la mobilité électrique et dont je suis le vice-président. Nous sommes également en contact avec les associations homologues des continents américain et asiatique.

L’association AVERE-France a connu une grande mutation en 2008, avec le passage du véhicule électrique à la notion de mobilité électrique. Pour faire émerger cette mobilité, il ne faut pas, en effet, se concentrer sur le véhicule, mais rassembler tous les acteurs de la filière. C’est sans doute ce qui a manqué à la première génération de véhicules électriques, née vers 1995, lorsque seuls les constructeurs de véhicules et les énergéticiens la défendaient. Aujourd’hui, AVERE-France regroupe vraiment tous les acteurs, y compris les assureurs et les opérateurs de mobilité.

Réunissant quelque 140 membres, l’association mène trois types d’actions. Elle vise tout d’abord à ce que la mobilité électrique trouve sa place dans la mobilité de demain. Pour ce faire, elle formule des propositions d’évolution des textes législatifs et réglementaires, ainsi que des suggestions qu’AVERE-Europe fait remonter au niveau européen. Le deuxième défi est celui de l’information et de l’éducation : la mobilité électrique ne saurait remplacer du jour au lendemain la mobilité classique, après cent ans passés à utiliser du pétrole pour nous déplacer. Certains prérequis devant être intégrés pour que cette mutation s’opère dans de bonnes conditions, nous organisons des congrès et des manifestations au plus près des utilisateurs. Enfin, notre troisième axe est celui de la régionalisation. Nous œuvrons à l’émergence, dans les différentes régions, de relais d’associations comme les nôtres – qui soient également au plus près des acteurs industriels et territoriaux. Nous sommes convaincus que la mobilité électrique est durable et a du sens pour les années futures.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Que pensez-vous de l’étude de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) relative à l’analyse du cycle de vie (ACV) et au bilan carbone global de la voiture électrique ?

Comment voyez-vous l’avenir proche de la performance des batteries et de leur durée d’autonomie ? Sur quels segments d’usage le développement potentiel de la voiture électrique est-il pertinent ? Ce développement est-il circonscrit, comme certains l’affirment, à un usage urbain ?

Lorsque j’étais ministre de l’écologie, j’ai lancé le financement des bornes de recharge par le programme d’investissements d’avenir (PIA). Leur installation, qu’il s’agisse des bornes de recharge rapide ou moins rapide, progresse-t-elle, ou bien connaît-elle un certain retard ?

Enfin, les règles applicables aux bonus ne cessent de changer. Au 1er janvier 2014, le bonus est passé de 7 000 à 6 300 euros pour les véhicules électriques, de 4 000 à 3 300 euros pour les véhicules hybrides et de 5 000 à 4 000 euros pour les hybrides rechargeables. Au 1er janvier 2015, il a encore été ramené de 3 300 à 2 000 euros pour les véhicules hybrides. Puis, au 1er janvier 2016, il est passé de 2 000 à 750 euros pour les véhicules hybrides et de 4 000 à 1 000 euros pour les hybrides rechargeables, alors que les ventes de véhicules hybrides ont augmenté de 41 %, que celles de véhicules hybrides rechargeables ont triplé et que celles de véhicules électriques ont augmenté de 70 % – même si elles ne représentaient encore que 11 779 unités. Que pensez-vous de cette instabilité récurrente des dispositifs de soutien public ?

M. Joseph Beretta. L’instabilité des dispositifs concernant les aides, tant fiscales que directes, pose problème aux industriels comme aux réseaux de vente. Cela étant, il faut être conscient du fait que le système de bonus n’est pas voué à durer éternellement. Il convient aussi de faire des projections de marché pour les années à venir et de préparer l’arrivée sur le marché de l’occasion des premiers véhicules électriques, car le marché automobile, pour perdurer, a besoin d’un marché de l’occasion digne de ce nom.

À la fin de l’année 2015, nous avions immatriculé 22 187 véhicules particuliers et utilitaires légers électriques à batterie, ce qui représente certes une progression de 60 %, mais seulement 1 % du marché. En Norvège, le véhicule électrique représente plus de 17 % du marché, et ce pays poursuit ses aides à l’achat : ayant atteint l’enveloppe qu’il s’était fixée, il l’a multipliée par deux, si bien que le marché norvégien va probablement continuer à se développer au même rythme. Il serait idéal que le marché français atteigne un tel niveau, en incluant dans ce pourcentage les véhicules à batterie et hybrides rechargeables. Nous n’en sommes pas là, mais notre association fait tout son possible pour y parvenir.

Quant aux bonus, ils me paraissent nécessaires, dans cette phase de maturation du marché, pour garantir l’équation économique de la mobilité électrique, en attendant que le coût des composants de base baisse.

Cette remarque me conduit à évoquer la performance des batteries, qui occupent le premier poste de coût d’un véhicule à traction électrique. Une batterie valant aujourd’hui dans les 10 000 euros, l’aide de l’État, qui s’élève à 6 300 euros, couvre un peu plus de 50 % de son coût. Celui-ci, selon les projections des constructeurs, devrait diminuer de moitié d’ici à 2020, et les performances des batteries augmenter. Mais les constructeurs se trouvent face à un dilemme : soit ils maintiennent le niveau de performance actuel, et le coût des batteries pourra être divisé par deux ; soit ils augmentent cette performance, et le coût diminuera dans une moindre mesure. Toutes les études que nous avons menées démontrent que l’acheteur fixe à 200 ou 250 kilomètres le seuil d’autonomie au-delà duquel il juge intéressant d’acquérir de tels véhicules. Or, l’autonomie est actuellement comprise entre 120 et 150 kilomètres, et Nissan et Renault annoncent que leur prochaine génération de véhicules atteindra les 200 kilomètres pour un coût légèrement supérieur au coût actuel puisque les gains dus à la réduction du coût des batteries n’ont pas encore été enregistrés. Le bonus est donc nécessaire pour garantir une bonne équation économique, mais le sera moins dans les années à venir. On peut donc programmer la fin du dispositif, mais il convient néanmoins de garantir la stabilité de la mesure.

Les différences de bonus entre véhicules hybrides rechargeables et véhicules électriques peut se justifier, d’une part, par la part de marché que cela représente – 3 % pour les véhicules hybrides et 1 % pour les véhicules électriques – et, d’autre part, par les bénéfices environnementaux des deux dispositifs. L’hybride rechargeable n’a été introduit en France qu’en 2012-2013, le véhicule électrique l’a été en 2010. Quant au parc roulant des hybrides rechargeables, il est de l’ordre de 8 000 véhicules, quand celui des véhicules électriques à batterie – utilitaires légers et particuliers – est de l’ordre de 85 000, y compris les 10 000 véhicules du parc roulant de première génération. Du fait de sa fonctionnalité d’usage, l’hybride rechargeable devrait atteindre les volumes de l’hybride classique.

Introduit en juin 2015, le super-bonus a très bien fonctionné, puisqu’il a entraîné un changement radical dans le comportement des acteurs. Alors que, avant cette date, c’étaient principalement des entreprises qui achetaient des véhicules électriques, le super-bonus, davantage ciblé sur les particuliers, a permis d’inverser la tendance, de sorte qu’à la fin de l’année 2015 on comptait pratiquement autant de voitures électriques achetées par des particuliers que par des entreprises. Ce super bonus est très bénéfique à l’environnement, puisque les vieux véhicules diesel sont mis au rebut et remplacés par des véhicules n’émettant ni gaz polluants, ni CO2 ni particules issues des freins et des pneus.

Notre association a été très surprise de la publication de l’étude ACV de l’ADEME, avec laquelle nous avons longuement dialogué à ce sujet. Je crois que cette étude a dépassé la portée du message sur lequel l’Agence souhaitait communiquer. L’ADEME étant très stricte d’un point de vue scientifique, elle a appliqué les mesures réglementaires de calcul d’ACV, qui ne prennent pas en compte tous les bénéfices annexes du véhicule électrique, tels que la durée de vie réelle des batteries. Les principales données dont nous disposons, qui nous proviennent du plus grand fournisseur de voitures électriques, le groupe Nissan, sont assez encourageantes : les batteries au lithium ont très peu perdu en performance, ce qui laisse augurer de durées de vie de l’ordre de dix ans. De plus, une batterie que l’on extrait d’un véhicule au terme de ces dix ans peut encore servir pendant cinq ans dans des applications stationnaires. Une batterie a donc une durée de vie totale de quinze ans, ce qui diminue sensiblement son impact environnemental et donc la pertinence de l’étude de l’ADEME, qui s’en tient à dix ans de durée de vie.

D’autre part, l’étude ACV ne prend pas en compte les bénéfices liés à la qualité de l’air. Les mesures réglementaires incluent les émissions de CO2, l’eutrophisation et certaines pollutions principalement dues aux batteries. Or, lorsque l’on examine l’étude en détail, on s’aperçoit que l’écart entre un véhicule thermique et un véhicule électrique s’explique par le poids de la batterie. Par conséquent, plus l’on fait baisser ce poids, plus le véhicule électrique devient comparativement intéressant.

Outre la possibilité d’allonger la durée de vie de la batterie, il convient aussi de prendre en compte la faculté de la recycler. On a souvent montré du doigt le carbone et le lithium contenu dans une batterie. Mais si le lithium n’est, aujourd’hui, pratiquement pas recyclé, c’est parce que le nombre de batteries reste insuffisant. Le principal usage de ce matériau est le fait de la verrerie, mais il est tellement dispersé dans le verre qu’il n’est pas recyclable. L’arrivée sur le marché de plus grandes quantités de batteries permettra donc de recycler le lithium pour fabriquer d’autres batteries – mais il faudra encore quinze ans pour qu’on y parvienne. Les autres composants « nobles » et métaux rares de la batterie sont déjà recyclés. Restent le carbone et le graphite, mais il existe des procédés de substitution pour les remplacer et limiter ainsi l’impact environnemental des batteries.

S’agissant des émissions de CO2, l’étude de l’ADEME s’appuie sur des calculs que je qualifierai d’« interprétables »... En essayant de définir à partir de combien de kilomètres la quantité de CO2 émise par un véhicule électrique serait acceptable par rapport à celle émise par le véhicule thermique, l’Agence a dérogé aux règles de l’analyse du cycle de vie, qui ne peut être interrompue en cours de route puisqu’on ne peut dresser de bilan qu’en fin de cycle. Or, au bout de quinze ans, le bilan d’un véhicule électrique est bien plus positif que celui d’un véhicule thermique.

J’en viens à présent à ma vision de l’avenir. J’ai déjà évoqué l’évolution de la performance des batteries, qui va doubler la distance pouvant être parcourue sans recharge par un véhicule électrique, et donc permettre au marché de poursuivre son développement. C’est le signe que la mobilité électrique entre dans les mœurs et va trouver sa juste place. Vous avez affirmé que le véhicule électrique était pertinent en milieu urbain, mais il n’y a pas que là qu’il le soit.

Mme la rapporteure. Ce n’est pas moi qui l’affirme : c’est ce qu’on entend dire.

M. Joseph Beretta. C’est effectivement ce qu’on entend. C’est pourquoi notre association se bat, dans le cadre de ses actions d’éducation et d’information, pour expliquer que le véhicule électrique est tout aussi pertinent – voire plus pertinent – en milieu rural puisque, celui-ci étant majoritairement pavillonnaire, l’installation de prises de charge ou de wallbox n’y pose aucun problème. En milieu urbain dense, c’est plutôt l’auto-partage que la voiture électrique particulière qui s’est développé, du fait d’un problème d’infrastructures. Nous soutenons donc grandement toutes les actions visant au développement de ces infrastructures, qui doivent être menées de concert. À la fin de l’année 2015, on comptait quelque 10 161 points de charge accessibles au public. J’appelle d’ailleurs votre attention sur la distinction entre bornes et points de charge, ces derniers étant des prises tandis qu’une borne peut regrouper plusieurs prises. Ne sont pas comptés, parmi ces 10 161 points de charge, ceux qui sont installés à domicile ou dans des lieux fermés au public – entreprises ou administrations.

Le déploiement des infrastructures, dont nous présentons sur notre site un bilan régulier, est en bonne voie : seules six ou sept régions restent encore peu dotées en points de charge, ayant du mal à s’engager dans la voie de la mobilité électrique. Les autres régions ont complètement basculé dans cette voie et commencent à mailler leur territoire. À cela s’ajoute l’action lancée par l’État et menée par de grands opérateurs nationaux, dont deux sont aujourd’hui identifiés : le groupe Bolloré, qui prévoit de développer 16 000 points de charge de sept kilowatts d’ici à 2017-2018, et la Compagnie nationale du Rhône (CNR), 52 points de charge rapide. L’avantage des points de charge de sept kilowatts est d’offrir une charge certes normale, mais quelque peu accélérée puisque tenant compte de l’évolution des batteries. En effet, il faut six à sept heures pour recharger des batteries ayant une autonomie de 150 kilomètres sur des bornes de trois kilowatts ; lorsque les batteries tiendront 250 kilomètres, il faudra dix à douze heures pour les y recharger, d’où la nécessité d’implanter des bornes de sept kilowatts. Enfin, le déploiement des infrastructures financées par l’État et installées par les collectivités territoriales comprend de nombreux points de charge accélérée à 22 kilowatts.

Parallèlement, la charge rapide se développe aussi : un grand projet partiellement financé par l’Union européenne va couvrir le continent de points de charge rapide, de 45 à 150 kilowatts. EDF, opérateur du projet pour la France, installera 200 de ces points de charge sur les autoroutes françaises ou à leurs abords.

Le maillage du territoire en bornes est donc en cours, de sorte qu’en 2017, le déploiement des infrastructures devrait être en phase avec le parc roulant tel qu’il se sera développé. Encore faut-il ajouter, à tous ces points de charge publics, les points de charge privés, car lorsqu’un particulier achète une voiture électrique, le premier de ses réflexes est de se demander où il va la brancher chez lui. C’est pourquoi nous œuvrons activement pour que l’accès au droit à la prise, aujourd’hui reconnu par la loi, soit facilité dans les immeubles de copropriété – les copropriétaires devant aujourd’hui attendre l’assemblée générale de copropriété, soit parfois jusqu’à un an, pour exprimer leur volonté d’installer une prise, et les coûts d’installation étant entièrement à leur charge, ce qui n’est pas logique. Nous prônons le même mode de financement que pour le câble : le pré-câblage est pris en charge par la collectivité, à la suite de quoi chacun paie son raccordement au câble. C’est déjà le cas dans les immeubles neufs, où le pré-câblage est obligatoire.

Mme la présidente m’a demandé si le lithium-métal polymère allait prendre le dessus sur le lithium-ion. Ces deux technologies fonctionnent différemment. La technologie lithium-ion a un électrolyte liquide et fonctionne à température ambiante. Le lithium métal polymère a un électrolyte solide, de sorte que, pour activer la conduction ionique, on est obligé de chauffer le lithium à 80 degrés. Les voitures Bolloré qui utilisent ce type de batteries ont donc besoin de rester branchées pour maintenir leur batterie à température. Leur usage en est ainsi limité. Ce système fonctionne bien pour un usage en libre-service ou une flotte d’entreprise, car les véhicules revenant systématiquement à leur lieu de stationnement et de recharge et sont prêts à repartir le lendemain avec une batterie chaude : lorsqu’une batterie au lithium métal polymère refroidit, il faut quand même attendre six à sept heures ! Les deux technologies sont à peu près au même niveau de performance : le lithium polymère est plus énergétique, mais moins puissant que le lithium-ion. C’est pourquoi ce dernier est aujourd’hui la seule solution possible pour les applications de véhicules hybrides ou hybrides rechargeables, qui nécessitent peu d’énergie mais beaucoup de puissance.

M. Philippe Duron. Vous avez indiqué tout à l’heure que vous représentiez la branche française d’une association européenne, et fait allusion à la Norvège qui s’est équipée d’un parc de véhicules électriques plus important que le nôtre. Quelles sont les stratégies des différents États européens en la matière ? Leurs résultats sont-ils probants ?

Vous avez en outre rappelé que la promotion de la voiture électrique avait été un fiasco il y a une quinzaine d’années, notamment parce qu’il n’était pas possible de la revendre d’occasion. Sachant que la moyenne d’âge des acheteurs de voitures neuves se situe aujourd’hui autour de 55 ans, ne conviendrait-il pas d’instaurer une aide de l’État à l’achat de véhicules électriques d’occasion, afin qu’un marché de l’occasion réussisse à s’implanter avec succès ?

Enfin, vous avez souligné qu’il ne fallait plus parler de « voiture » électrique, mais de « mobilité » électrique. Toutefois, vous n’avez pas abordé la question du fret. On sait qu’en France les premiers camions poubelles électriques ont été mis en circulation à Paris par la société Sita, et que le « dernier kilomètre » de livraison se fait de plus en plus à l’aide de véhicules électriques. Où en est le fret électrique aujourd’hui ? Que préconise votre association en la matière ?

M. Charles de Courson. Le véhicule électrique ne représente aujourd’hui qu’1 % du marché, soit une petite flotte. Mais si l’on projette d’atteindre 10 % du parc, on risque, avec le montant de l’aide actuelle, de faire exploser le budget de l’État. Ce montant, qui est tout de même de 10 000 euros par véhicule, est-il justifié au regard des avantages que procure le véhicule électrique ? Et a-t-on tenu compte, dans les analyses du cycle de vie, de l’origine de l’électricité consommée, sachant qu’en France 82 % de cette électricité est produite à partir d’énergie nucléaire, 14 % à partir d’énergies renouvelables et 4 % à partir d’énergie thermique ?

D’autre part, le grand problème technologique auquel on se heurte depuis cinquante ans est celui des batteries. On peut les améliorer un peu, mais les spécialistes considèrent qu’aucune rupture technologique n’est prévisible dans les quinze ans à venir. Dès lors, comment justifier une politique extrêmement coûteuse au regard des économies réalisées ? On pourrait tout aussi bien consacrer de telles sommes d’argent à l’amélioration des véhicules thermiques ou hybrides – cette dernière solution étant l’une de celles qui, si je puis dire, « tient la route » le mieux.

M. Gérard Menuel. On voit bien que le marché évolue au gré des interventions publiques, qu’elles prennent la forme de réductions de taxes ou d’aides à l’achat. C’est pourquoi on constate des écarts importants, allant de 1 à 17, entre les parts de marché du véhicule électrique dans les différents pays de l’Union européenne.

Vous avez indiqué que la recherche avançait et que le coût des batteries allait pouvoir baisser de moitié. Mais la recherche sur les véhicules thermiques évolue également. J’ai notamment l’impression que, chez PSA, les montants consacrés à la recherche sont beaucoup plus importants pour baisser la consommation ou pour limiter l’émission de polluants que dans le secteur électrique. Cela veut dire que la concurrence perdurera en termes de performance. Demain, les véhicules thermiques consommant « deux litres aux cent » auront 1000 kilomètres d’autonomie et des modes de filtration beaucoup plus performants. Le véhicule électrique n’est donc pas seul à évoluer vers des solutions heureuses pour l’environnement et le consommateur. N’est-on pas trop optimiste en affirmant que demain, il représentera 10 à 15 % du marché ?

M. Joseph Beretta. Je commencerai par aborder la stratégie des différents États européens. La Norvège est aujourd’hui le premier marché du véhicule électrique, devant la France, puis l’Allemagne, le Royaume-Uni et les Pays-Bas – peloton de tête des États dans lesquels la mobilité électrique croît. L’Allemagne fait néanmoins exception puisqu’elle n’accorde aucune aide directe à l’achat de véhicules électriques. La Norvège applique de nombreuses exonérations fiscales : les voitures thermiques, surtout celles roulant au diesel, sont tellement taxées qu’une Audi TT coûte beaucoup plus cher qu’une Tesla !

M. Charles de Courson. L’électricité norvégienne est massivement produite à partir de l’hydraulique, c’est-à-dire une énergie renouvelable, à des prix extrêmement bas.

M. Joseph Beretta. Tout à fait. La Norvège est aussi un des principaux producteurs de pétrole européens.

En plus des aides fiscales, la Norvège octroie aux utilisateurs de véhicules électriques de nombreux avantages en termes de stationnement et d’accès aux zones à péage et aux couloirs de bus – ce dernier avantage commençant d’ailleurs à provoquer des embouteillages. Tout n’est donc pas bon à prendre en Norvège !

L’Allemagne, qui privilégie plutôt les aides aux constructeurs qu’aux acheteurs, est le troisième marché de la voiture électrique, même si l’Angleterre est en train de la rattraper rapidement, ayant institué des aides à l’achat et quelques avantages d’accès aux zones à péage et à certaines zones interdites aux véhicules les plus polluants. Enfin, les Pays-Bas offrent des aides à l’achat. Dans les autres pays, les actions menées sont plus disparates, et souvent minimes.

S’agissant du marché de l’occasion, il est clair que les acheteurs de véhicules neufs sont aujourd’hui, pour une grande part, soit des particuliers de plus de 55 ans, soit des entreprises et des sociétés de location de courte ou longue durée. Cela pose problème, car si les particuliers gardent longtemps leur véhicule, les entreprises et les sociétés de location revendent les leurs au bout de quatre ou cinq ans. La majorité des véhicules électriques vendus en 2012-2013, qui étaient destinés à la location, vont donc arriver sur le marché de l’occasion, et nous serons alors confrontés au problème de leur valeur résiduelle, valeur actuellement estimée soit par le constructeur, soit par le loueur. Tant que les volumes concernés sont faibles, la question reste secondaire, mais si les volumes augmentent, le loueur va l’examiner de plus près. Il faut donc absolument que la valeur résiduelle soit en adéquation avec l’équilibre du marché, tout en tenant compte de la disparité entre les aides accordées
– 5 000, 7 000 ou 10 000 euros. L’écart risquant d’être parfois faible entre le prix d’une voiture neuve bénéficiant d’aides et celui d’une voiture d’occasion, il conviendrait d’instaurer, non pas une aide directe, mais plutôt un crédit d’impôt pour que l’acheteur particulier ait intérêt à acheter un véhicule d’occasion et que l’existence d’un marché de l’occasion garantisse la pérennité de la filière.

La question du fret me tient beaucoup à cœur. Nous avons d’ailleurs, au sein de notre association, un groupe de travail consacré à la « livraison du dernier kilomètre » qui comprend notamment des logisticiens. Il convient, à ce sujet, de distinguer les livraisons en ville du transport entre les plateformes et les villes – pour lequel il existe une offre de véhicules utilitaires légers, mais pas encore d’offre de véhicules électriques de type fourgon.

La livraison du dernier kilomètre est confrontée à un problème majeur de la logistique du transport : l’absence d’autorité centrale pour orchestrer les livraisons. Des expérimentations ont été réalisées, à La Rochelle et à Paris, consistant à regrouper en plateformes plusieurs transporteurs. Mais cela reste encore assez difficile. Il faudrait que la profession opère elle-même sa mutation pour que l’on puisse promouvoir cette mobilité électrique. Aujourd’hui, il arrive que des livreurs viennent en centre-ville avec un camion de 3,5 tonnes, voire un semi-remorque, même si les restrictions à la circulation sont de plus en plus importantes. Seules se développent actuellement les initiatives ponctuelles de quelques gros clients, comme Monoprix, qui souhaitent « verdir » leur image en faisant livrer leurs supérettes par des camions électriques. Sur ce sujet, ce n’est pas l’État qui a la main, mais les collectivités locales : c’est à elles qu’il appartient d’imposer ou de rendre avantageuse la livraison électrique, par exemple en lui accordant des plages horaires élargies et des zones de livraison dédiées et équipées de bornes de recharge rapide. Comme vous le voyez, tout est à faire, et nous achoppons sur le fait que les acteurs de la logistique de transport sont encore très contraints par les coûts d’usage et d’exploitation liés au pétrole. Ils ont aujourd’hui un peu plus de marges, mais cela ne saurait durer indéfiniment : il faut qu’ils saisissent le moment actuel pour investir.

Monsieur de Courson m’a demandé s’il ne vaudrait mieux pas accorder des aides à d’autres formes de mobilité qu’à la mobilité électrique. Rappelons que le principal problème actuel est celui de la qualité de l’air en milieu urbain, qui est fonction des émissions polluantes des gaz d’échappement des véhicules, mais aussi des particules de freinage. Une étude de l’ADEME a d’ailleurs montré que la part relative des particules de freinage augmentait dans la mesure où, contrairement aux moteurs, les systèmes de freinage n’avaient guère connu d’amélioration – en dehors de la possibilité d’y installer des aspirateurs. Or, nous avons calculé que la voiture électrique émettait 80 % de particules de freinage de moins qu’un véhicule thermique. Ce calcul vaut également pour les véhicules hybrides, dont le freinage se fait essentiellement en mode électrique sans recourir aux plaquettes ni aux disques de frein. Ainsi, non seulement la voiture électrique n’émet aucun polluant atmosphérique, mais elle émet aussi beaucoup moins de particules de freinage. Et, s’il me semble effectivement difficile aujourd’hui de parvenir à 10 % de voitures électriques sur l’ensemble du parc, il est possible d’atteindre 10 % des ventes.

M. Charles de Courson. Si l’on atteint les 200 000 véhicules et que l’aide à l’achat est maintenue à 10 000 euros, elle représentera une charge budgétaire de 2 milliards d’euros.

M. Joseph Beretta. Certes, mais l’aide est en train de diminuer et n’est pas faite pour durer indéfiniment. Elle sert à asseoir le marché. Les véhicules hybrides représentant 3 % du marché, il est normal que l’aide accordée à leurs acheteurs diminue, d’autant que l’on s’attend à une baisse du coût des batteries et à un accroissement de leur performance.

Les batteries ne connaîtront effectivement aucune révolution technologique. Mais nous entrons dans la phase d’apprentissage industriel de tous les composants de la voiture électrique, qui ont à peine cinq à six ans d’historique de fabrication, donc de réduction des coûts industriels et d’optimisation de l’ensemble. Le doublement annoncé de l’autonomie des batteries suppose une meilleure exploitation de celles-ci. Aujourd’hui, lorsqu’on connaît mal la technologie, on prend des marges de sécurité en évitant de trop décharger sa batterie. Mais à mesure qu’on maîtrise mieux la technologie, on réduit ces marges. Des gains d’autonomie peuvent donc déjà être obtenus, sans changement technologique, grâce à une meilleure exploitation de la batterie.

Une deuxième évolution vise à mieux fabriquer la batterie et à optimiser l’usage des matières actives qu’on y intègre sans en accroître la quantité, en augmentant les surfaces d’échange ionique grâce à des technologies de type fractal. Ces évolutions technologiques sont en cours.

Enfin, la dernière voie consiste en l’amélioration du packaging extérieur à la batterie – réduction de son poids et du coût d’assemblage. Tout cela nous conduit à affirmer qu’en 2020, le coût de la batterie sera divisé par deux. Il existe donc des pistes d’amélioration sans que l’on puisse parler de révolution ni de nouveau couple batterie. De toute façon, même si un nouveau couple batterie – lithium-silicium, par exemple – était introduit dans les véhicules, il devrait d’abord passer de la phase de recherche à la phase industrielle, ce qui prend un peu de temps. En revanche, la phase industrielle du lithium-ion a été lancée ; de plus en plus d’unités vont être fabriquées de sorte que leur coût va diminuer.

Vous avez également abordé la question de la recharge électrique et du mode de production de l’électricité. La France doit effectivement se préparer à mieux utiliser la recharge de la voiture électrique. Si cette dernière atteint les 10 % du parc, il nous faudra changer drastiquement les modes de recharge – ce qui représente à la fois un défi et une chance.

Un défi, car il ne faut pas imposer au réseau l’utilisation du charbon pour pouvoir répondre à la demande de la voiture électrique. C’est pourquoi nous prônons une recharge intelligente : les bornes de recharge doivent pouvoir communiquer avec le réseau de façon à pouvoir y échanger de l’information et y renvoyer de l’énergie.

Une chance, car plus il y aura de véhicules en circulation, plus il y aura de batteries sur roulettes, qui pourront être utilisées par le réseau comme systèmes de stockage. L’Allemagne a assez bien compris que, lorsqu’on utilise des énergies renouvelables, il faut s’intéresser à leur stockage, qui peut s’effectuer soit grâce à l’hydrogène, soit grâce aux batteries. Mais tout est encore à construire s’agissant des batteries, qu’il s’agisse du modèle technique, puisqu’il faut des chargeurs réversibles, ou du modèle économique, puisque le coût d’utilisation de la batterie à l’arrêt du véhicule doit être remboursé à l’utilisateur.

L’hybride semble être le Graal ! Et l’hybride rechargeable être le modèle le mieux adapté à nos contraintes futures puisqu’il a la capacité de traverser les villes en tout électrique et de faire de la longue distance. Le véhicule électrique nous conduit cependant à ne plus raisonner en termes de véhicule, mais en termes d’usage. Le véhicule le plus adapté aux petits trajets quotidiens, inférieurs à 200 kilomètres par jour, est le véhicule électrique ; pour des trajets de longue distance, le véhicule thermique restera utile ; pour des trajets mixtes, le meilleur véhicule sera hybride ou hybride rechargeable.

Il n’y a pas vraiment de concurrence entre le véhicule électrique et le véhicule thermique : c’est la question de l’usage qui permet de trancher entre les deux. Les véhicules thermiques vont continuer à évoluer. Si les constructeurs investissent beaucoup dans ces véhicules, c’est parce qu’ils représentent encore plus de 90 % de leurs revenus. Mais leur coût est appelé à augmenter, car ils vont devoir être équipés de systèmes de dépollution de plus en plus complexes et contraignants. Tous les modèles diesel seront ainsi équipés de systèmes de traitement des oxydes d’azote à l’urée, ce qui contraindra l’utilisateur à faire à la fois le plein de carburant et d’urée. Quant aux véhicules à essence, leurs systèmes d’échappement devront être équipés de filtres à particules. C’est pourquoi, si les véhicules thermiques ont l’avantage d’avoir un volume de production suffisant pour que le coût de leurs composants soit minimisé, leur coût risque d’augmenter. Il sera donc impossible de parvenir à construire des véhicules thermiques, destinés à transporter des personnes ou des familles, qui ne consomment qu’un litre aux cent kilomètres. Or, un véhicule électrique consomme l’équivalent d’1,5 litre. Quant aux moteurs hybrides, ils permettront de faire baisser la consommation des véhicules et l’hybride rechargeable me semble très adapté.

Mme la rapporteure. Quels sont les coûts d’usage comparés de ces différents véhicules ?

M. Joseph Beretta. Pour un usage de l’ordre de 10 000 kilomètres par an, un véhicule électrique ne coûte pas plus cher qu’un véhicule diesel, si l’on tient compte des aides de l’État – d’un montant de 6 300 euros actuellement.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente. Nous vous remercions de vos explications détaillées.

La séance est levée à douze heures trente-cinq.

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Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

Réunion du mercredi 20 janvier 2016 à 11 h 30

Présents. - Mme Delphine Batho, M. Xavier Breton, M. Charles de Courson, M. Philippe Duron, M. Jean Grellier, M. Philippe Kemel, M. Gérard Menuel, M. Éric Straumann, Mme Marie-Jo Zimmermann

Excusés. - M. Jean-Marie Beffara, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Jean-Pierre Maggi, M. Rémi Pauvros, Mme Sophie Rohfritsch