Accueil > Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Mercredi 3 février 2016

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 26

Présidence de Mme Sophie Rohfritsch, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Fabrice Godefroy, président de l’association Diésélistes de France et directeur général du groupe IDLP et de M. Yann Le Moal, porte-parole de l’association Diésélistes de France et directeur de la société NED..

Mission d’information
sur l’offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

La séance est ouverte à onze heures trente-cinq.

La mission d’information a entendu M. Fabrice Godefroy, président de l’association Diésélistes de France et directeur général du groupe IDLP et M. Yann Le Moal, porte-parole de l’association Diésélistes de France et directeur de la société NED.

Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Nous recevons ce matin M. Fabrice Godefroy, président de l’association Dieséliste de France, et M. Yann Le Moal, porte-parole de l’association.

Il va sans dire que, dans sa communication, Dieséliste de France est à la pointe de l’action « pro diesel ». Son site internet souligne les avantages de cette motorisation, en rappelant notamment qu’elle est moins émettrice de CO2. Cette communication va même jusqu’à souligner la nocivité des moteurs essence à injection directe en matière d’émissions de particules. Le décor est donc planté !

Nous aurons sans doute l’occasion en cours d’audition de repréciser avec vous, messieurs, certains de ces points.

Plus généralement, il nous importe de connaître votre sentiment sur les suites de « l’affaire Volkswagen ». Constatez-vous une inquiétude, plus ou moins diffuse, dans votre clientèle ? Que savez-vous, à ce jour, des rectifications qui doivent être réalisées en après-vente sur des milliers de modèles de marques du groupe ? Et existe-t-il un risque de dégradation des performances des véhicules concernés, ce qui s’accompagnerait d’une chute de leur valeur de revente ?

Un tout autre point ne concerne pas directement cette affaire, mais il a déjà été évoqué devant nous : il s’agit de la pratique dite du « défapage ». Certains propriétaires de véhicules diesel sont apparemment tentés de désactiver, voire de faire enlever le filtre à particules. Leurs motivations seraient, semble-t-il, souvent financières en raison des coûts d’entretien, voire de remplacement du filtre à particules.

Nous allons, dans un premier temps, vous écouter au titre d’un bref exposé de présentation de votre association professionnelle et également de la situation générale de votre secteur d’activité. Puis Mme Delphine Batho, rapporteure de la mission d’information, vous posera un premier groupe de questions. Enfin, les autres membres de la mission vous interrogeront à leur tour.

M. Fabrice Godefroy, président de l’association Diéséliste de France et directeur général du groupe IDLP. Nous vous remercions de nous recevoir. Je suis directeur général du groupe Italie Diesel Lobjoy et Peltret (IDLP), spécialisé dans la distribution de pièces détachées automobiles, toutes marques. Nous distribuons notamment toutes les pièces pour la réparation d’équipementiers de première monte – Bosch, Delphi, Valeo, etc. ; c’est ce qu’on appelle le marché de la rechange indépendante. Nous sommes également spécialisés dans la réparation et la gestion moteur, tous types de véhicules – diesel, essence, hybride et électrique. Autrement dit, notre panel est très large.

Entreprise familiale qui fête ses soixante-dix ans cette année et dont je représente la quatrième génération, le groupe IDLP est devenu leader sur le marché de la rechange indépendante. Il est entouré, le plus souvent, de groupes financiers dont la plupart ne sont plus basés en France – les entreprises familiales ont pratiquement disparu de ce secteur.

Je suis également président de l’association Diéséliste de France, qui a pour but d’assister les professionnels du moteur diesel, en favorisant l’échange d’expériences et en assurant à nos adhérents une veille technologique. Les diésélistes exercent en effet un métier assez complexe et très évolutif : la technologie évolue très vite, et il faut être capable de la suivre et de s’adapter en termes d’investissements et de formations. La plupart d’entre eux font également de la gestion moteur tous types de véhicules.

Depuis deux ans, nous sommes régulièrement sollicités pour réagir aux diverses polémiques qui se sont développées autour du diesel, ce qui nous a amenés à collecter toutes les informations en la matière pour en faire un résumé, que nous allons vous présenter.

Je suis accompagné par Yann Le Moal, qui est tout à la fois le directeur de la société National Électrique et Diesel (NED), située à Gennevilliers, et le porte-parole de l’association Diéséliste de France, ce qui l’amène souvent, comme moi, à intervenir dans les médias.

Nous allons vous présenter un diaporama, mais nous serons prêts à répondre à vos questions dans le même temps. Nous n’aurons pas réponse à tout, car nous ne représentons pas les constructeurs, mais les spécialistes de la réparation.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Vous êtes des spécialistes de la réparation de tous types de moteurs. Pourquoi avoir choisi une telle dénomination pour votre association ?

M. Fabrice Godefroy. Nous aurions pu choisir « Spécialiste de la gestion moteur », mais cela n’aurait pas été parlant. Il faut comprendre que le diesel est une spécialité. Je fais le parallèle avec les kinésithérapeutes, qui sont aussi parfois ostéopathes : parmi les professionnels de la gestion moteur, certains sont spécialisés dans le diesel moyennant des formations et des équipements très spécifiques – et d’ailleurs très coûteux. Voilà l’explication de la dénomination « Diéséliste de France », que nous assumons.

M. Yann Le Moal, porte-parole de l’association Diéséliste de France et directeur de la société NED. Notre présentation se compose de trois parties : les projets de l’association et les idées défendues ; la pertinence de l’avantage fiscal accordé au diesel et sa justification en ce qui concerne les émissions polluantes ; l’impact économique de l’avantage fiscal sur l’industrie et le parc automobiles.

Notre première partie va se décliner autour des idées suivantes : communiquer au plus grand nombre avec des données factuelles sur les avantages et les inconvénients de chaque type de motorisation ; apporter notre expertise aux médias afin que des messages pertinents soient diffusés ; conseiller les décideurs afin que la réglementation évolue de façon pragmatique ; aider au développement de la mixité de notre parc roulant, tout en assurant une cohérence économique et écologique.

La pollution, la santé, où en sommes-nous ?

En 2012, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a classé les émissions des moteurs diesel des années 1960 à 1980 parmi les cancérogènes, avant de corriger le tir en 2013, en indiquant que la pollution atmosphérique était cancérigène.

Les études toxicologiques sur les émissions des moteurs diesel ont montré en 2006 que les oxydes d’azote (NOₓ) ont des effets gênants sur les systèmes pulmonaire et cardiaque. Ce constat est avéré. En 2014, le programme ACES de Health Effects Institute a, par contre, conclu à l’absence de potentiel cancérogène des émissions moteur norme US 2007, équivalent de notre norme Euro 5.

Sur la base de ces différentes communications, on peut dire donc que les moteurs diesel ancienne génération sont effectivement dangereux pour la santé, mais que les moteurs modernes – respectant les normes européennes Euro 5 et Euro 6 – ne sont plus cancérigènes.

Mme la rapporteure. On ne peut pas dire qu’ils ne sont pas cancérigènes.

M. Yann Le Moal. En tout cas, ils le sont beaucoup moins : les moteurs récents provoquent moins de décès que ceux des années 1980.

Mme la rapporteure. On peut s’en tenir aux mesures aujourd’hui en vigueur…

M. Yann Le Moal. La décision politique doit tenir compte des caractéristiques des moteurs qui sortent des usines et qui répondent aux nouvelles normes, et non de moteurs qui datent de trente ans.

M. Fabrice Godefroy. Nous nous basons sur les résultats de l’analyse la plus récente, réalisée par Health Effects Institute, qui a conclu à l’absence de potentiel cancérogène des émissions des moteurs diesel nouvelle génération, type Euro 5 notamment, équipés de filtre à particules. Or ils n’ont constaté aucun effet cancérigène. Les choses ont évolué.


M. Yann Le Moal.
Comment choisir sa motorisation lors de l’achat de son véhicule ?


À l’heure actuelle, le choix du véhicule devrait répondre exclusivement à des considérations économiques. Rouler en Twingo diesel pour faire cinq kilomètres par jour est une aberration ! Le développement aberrant du diesel en France depuis les années 1970 doit impérativement laisser place à une mixité dans le choix des véhicules et de carburants. Ainsi, selon que l’on est citadin ou extra-urbain, il convient de choisir le véhicule correspondant le mieux à son utilisation, c’est-à-dire en fonction du nombre de kilomètres parcourus par an. Au-dessus de 20 000 kilomètres par an, le diesel est incontestablement le plus adapté – nous allons expliquer pourquoi –, alors qu’un petit véhicule essence ou électrique sera plus intéressant pour moins de 10 000 kilomètres par an.

Le terme « véhicule hybride » est vague. On distingue trois sortes d’hybrides.

Les premiers, à gauche sur l’image, sont équipés d’un moteur essence ou diesel et d’un moteur électrique utilisé uniquement dans les phases de démarrage et d’accélération. Cette solution a permis de diminuer les émissions de CO2 sur la base des normes d’homologation en vigueur.

Nouvelle génération de véhicules hybrides, les hybrides connectés sont équipés d’une batterie plus importante : le moteur électrique est utilisé sur une phase plus longue et l’autonomie électrique varie de 25 à 80 kilomètres suivant les constructeurs.

Un autre type de véhicule hybride est équipé d’un moteur électrique utilisé 100 % du temps et d’un moteur thermique installé dans le coffre et qui sert uniquement, à recharger la grosse batterie, ce qui permet une autonomie électrique de 130 à 300 kilomètres.

Le véhicule 100 % électrique quant à lui, permet, sur la base de l’offre actuelle, une autonomie réelle de 130 ou 150 kilomètres – à part ceux d’un constructeur américain, mais ses véhicules ne sont pas à la portée de tout le monde.

L’hydrogène comme un futur carburant ?

Toyota commence à vendre des véhicules à hydrogène en Europe. Le « moteur à hydrogène », est en fait un moteur électrique alimenté par une pile à combustible qui utilise de l’hydrogène. En associant l’hydrogène et l’oxygène, la pile à combustible crée un courant électrique et rejette de la vapeur d’eau sans aucunes émissions polluantes. Or le développement de la pile à combustible reste coûteux ; et surtout, isoler l’hydrogène reste un procédé polluant et très énergivore. A l’heure actuelle, les infrastructures ne sont pas forcément adaptées, si bien que cette énergie devrait être développée de façon cohérente pour une utilisation dans quinze à vingt ans.


Comme l’analyse Toyota sur le graphique de droite, l’hydrogène ne présentera un intérêt que pour les véhicules lourds – bus, camions. Ainsi, l’hydrogène n’est pas la solution de demain pour tous les types de véhicules, et certainement pas pour les véhicules urbains petits rouleurs.

Actuellement, Mme la ministre de l’environnement propose une prime de conversion avantageuse pour l’achat d’un véhicule électrique en remplacement d’un vieux diesel. Pour notre part, nous pensons que cela serait trop réducteur. Pourquoi ?

Prenons le cas d’un particulier qui fait environ 30 000 kilomètres par an et qui souhaite remplacer son véhicule diesel polluant du début des années 2000 par un véhicule plus propre. Actuellement, l’État ne l’incite que pour acheter un véhicule électrique. Or l’offre actuelle en véhicules électriques sur le marché ne permet pas de rouler 30 000 kilomètres par an. Nous pensons donc que la prime de conversion devrait être proposée, non seulement aux véhicules électriques à usage urbain, mais aussi aux véhicules diesel ou essence propres – respectant les dernières normes –, neufs ou d’occasion. En effet, tout le monde n’a pas les moyens d’acheter un véhicule neuf, d’une part, et un véhicule Euro 5 de trois ou quatre ans est fortement dépollué en diesel comme en essence, d’autre part, ce qui le fait contribuer à la dépollution du parc global, ainsi qu’à l’éradication des anciens véhicules du début des années 2000, voire ceux d’avant, de notre parc automobiles.


Désormais, les véhicules diesel les plus polluants – Euro 1 et Euro 2 – sont minoritaires dans notre parc. Sur les véhicules moins polluants, Euro 3 et Euro 4, qui représentent 53 % du parc, nous allons vous faire une proposition.

M. Fabrice Godefroy. Les véhicules Euro 5 et Euro 6, les moins polluants grâce aux filtres à particules et au système « SCR » d’élimination des oxydes d’azote, représentent dorénavant 40 % du parc diesel. Ces derniers mois, les constructeurs ont noté un renouveau des ventes. Ainsi, le renouvellement du parc se fait assez rapidement.

M. Yann Le Moal. Aujourd’hui, pour le consommateur, il n’existe donc qu’une solution : l’achat d’un véhicule neuf ou d’occasion. Pourquoi, en effet, ne pas dépolluer le parc existant ou, en tout cas, les véhicules qui peuvent être sauvés – les mettre à la casse n’est pas forcément écologique ?

La solution du retrofit a été développée à différentes reprises. Les véhicules diesel Euro 3 et Euro 4, des années 2000 à 2010, pourraient être dépollués à faible coût – aux alentours de 500 euros –, en rajoutant un filtre à particules. Certes, ce procédé ne réduirait pas 99,9 % des émissions de particules comme le font les filtres d’origine, mais il les diminuerait fortement, par exemple dans certaines zones urbaines.

Mme la rapporteure. Dans quelles proportions ces émissions polluantes seraient-elles réduites ?

M. Yann Le Moal. Ce procédé permet de réduire entre 30 % et 70 % les émissions de particules, selon le type de véhicule et l’utilisation – il ne concerne pas les NOx. Ne faut-il pas d’ores et déjà réduire les particules ne serait-ce que de 30 %, plutôt que ne rien faire ?

M. Fabrice Godefroy. L’équipementier allemand HJS fabrique ce système pour les véhicules légers : 500 000 véhicules ont déjà été équipés en Allemagne. En France, seuls les bus et les poids lourds sont équipés d’un système fabriqué par un équipementier anglais, Eminox.

Mme la rapporteure. L’équipement des 500 000 véhicules légers en Allemagne a-t-il pu être réalisé grâce à des obligations réglementaires ou des incitations financières ?

M. Yann Le Moal. Les deux : des obligations réglementaires pour les zones de faibles émissions dans certaines agglomérations et des aides financières qui couvraient pratiquement 100 % de l’équipement.

Mme la rapporteure. Il s’agit donc d’une politique locale ?

M. Yann Le Moal. Effectivement.

Mme la rapporteure. Que pensez-vous de l’analyse en France selon laquelle le retrofit est pertinent pour les poids lourds, mais pas pour les véhicules légers ?


M. Fabrice Godefroy.
C’est une question de coût. Pour les poids lourds et les bus, ces filtres à particules sont technologiquement pertinents puisqu’ils ont des performances identiques à ceux d’origine, mais ils sont coûteux – entre 4 000 et 6 000 euros. Pour les véhicules légers, le coût doit être moins élevé, sans compter la problématique technologique, ce qui explique que ces appareils sont moins efficaces par rapport à un filtre d’origine.

M. Yann Le Moal. Les véhicules les plus polluants – Euro 1 et Euro 2 – doivent disparaître de nos routes, et les véhicules Euro 3 et Euro 4 peuvent devenir moins polluants grâce à l’installation du retrofit encouragé par un crédit d’impôt. Pour les Euro 1 à Euro 4, une prime à la conversion pour l’achat d’un véhicule neuf ou d’occasion Euro 5 ou Euro 6 –, quel que soit le type de carburant, permettrait de dépolluer rapidement le parc.

Passons à la deuxième partie : la pertinence de l’avantage fiscal accordé au diesel et sa justification en ce qui concerne les émissions polluantes.


Entre 1990 et 2012, la pollution atmosphérique due au transport routier est passée de 42 % à moins de 10 % ; aujourd’hui, c’est le résidentiel-tertiaire et l’industrie manufacturière qui contribuent le plus à la pollution globale. Par conséquent, taxer certains carburants ne résoudra pas le problème dans son ensemble.

Mme la rapporteure. Ces chiffres sont des moyennes : ils ne correspondent pas à la réalité de la pollution locale en ville.

M. Yann Le Moal. La solution n’est donc pas de surtaxer certains carburants en raison d’un problème local spécifique aux grandes villes, car cela pénaliserait l’ensemble de nos concitoyens.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Absolument ! Voilà qui remet quelques idées en place… Merci !


M. Yann Le Moal.
Depuis les années 2000, les émissions de particules des moteurs diesel ont baissé de pratiquement 50 %, alors que les particules émises par les freins, les pneus, l’usure de la route, bref, tout ce qui ne sort pas du pot d’échappement, n’ont pas diminué. Grâce à l’évolution programmée des technologies, la pollution liée à l’échappement sera inférieure à 10 % en 2030. La solution n’est donc pas de tout révolutionner, mais plutôt de faire baisser les émissions fines générées par les pneus, le revêtement routier et les freins – la poussière noire sur vos jantes, ce sont des particules pures !

M. Fabrice Godefroy. Les équipementiers qui fabriquent des plaquettes de frein réfléchissent d’ores et déjà à l’éco-friction, c’est-à-dire à la problématique des particules liées au freinage. Un petit équipementier français, Tallano Technologie, a mis au point un système de captation des particules par aspiration, qui peut être adapté sur différents véhicules.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Une étude comparative entre les différents véhicules – diesel, essence, électrique – serait opportune, un rapport de l’ADEME ayant montré que les véhicules électriques sont, eux aussi, polluants.

M. Yann Le Moal. Il faut noter que les véhicules électriques sont parfois plus lourds que leurs homologues diesel, à cause du poids des batteries, mais ils bénéficient d’un frein moteur beaucoup plus puissant dans la mesure où leur moteur leur sert alors à récupérer l’énergie pour recharger les batteries, si bien qu’ils ont tendance à émettre un petit moins de particules – de l’ordre de 5 % – que les autres types de véhicule lors du freinage.


S’agissant des émissions d’oxydes d’azote, le moteur diesel est arrivé au niveau du moteur essence. En effet, si les émissions de NOx des véhicules Euro 3 sont cinq fois supérieures à celles des moteurs à essence, les émissions des véhicules Euro 6 sont désormais identiques à celles des moteurs à essence. Là encore, le débat est dépassé.


M. Fabrice Godefroy.
Dans son rapport 2015, Airparif note une baisse très importante des particules entre 2007 et 2014, mais une faible baisse des NOx, puisque la norme Euro 6 ne vaut que pour les immatriculations à partir de 2015.

M. Yann Le Moal. Cette courbe montre que, entre 2007 à 2014, le nombre d’habitants de Paris et de la Petite Couronne affectés par les particules fines a fortement diminué. Ce chiffre commence à diminuer pour les oxydes d’azote, grâce à la mise sur le marché des véhicules Euro 5, et cette évolution sera plus marquée dans les trois à quatre années à venir grâce à l’arrivée des motorisations Euro 6.

Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Cette courbe est à rapprocher de celle de l’agglomération strasbourgeoise, et notamment de la surmortalité observée.

M. Yann Le Moal. Si le diesel émet des polluants, même si l’écart avec les autres moteurs s’est considérablement resserré, il présente cependant un avantage au niveau des émissions de CO2. Du fait même de son principe de fonctionnement, un véhicule diesel émettra toujours entre 15 % et 20 % de CO2 en moins qu’un moteur essence. Si le parc européen était constitué de 50 % de véhicules essence et de 50 % de véhicules diesel, la production de CO2 augmenterait de 67 millions de tonnes par an, sur un total de 826 millions de tonnes émises annuellement. Décourager le diesel ferait donc exploser le niveau de CO2 et ne permettrait pas aux constructeurs d’atteindre l’objectif européen de 95 grammes au kilomètre de CO2 en 2021. Par conséquent, il est nécessaire d’assurer une mixité du parc.

Je rappelle donc les raisons pour lesquelles il ne faut pas surtaxer le diesel.

Le diesel est essentiel pour répondre aux objectifs en matière de CO2 de l’Union européenne pour 2021.

Le raffinage du pétrole brut donnera toujours le même pourcentage de gazole et d’essence. Par conséquent, le développement du diesel dans les années 1970 a été une erreur, puisqu’il représente aujourd’hui 70 % du parc : il ne faudrait pas faire la même erreur en sens inverse.

Le diesel est une alternative indispensable pour limiter le développement des centrales – charbon, fioul et nucléaire. Dans un contexte de réduction de la part du nucléaire, mettre rapidement des véhicules électriques sur la route n’est pas logique ; mieux vaudrait prévoir un laps de temps assez long pour développer la production électrique grâce aux énergies renouvelables comme la biomasse.

Les secteurs de l’industrie, des BTP, de la marine, de l’agriculture et de l’artisanat, n’ont pas d’autres choix que d’utiliser le diesel pour les véhicules lourds. Surtaxer le diesel entraînerait de grandes difficultés économiques pour tous ces secteurs.

En conclusion de cette deuxième partie, la différence de consommation d’énergie fossile et d’émissions de CO2 entre le diesel et l’essence sera toujours de 15 à 20 % – à l’avantage du diesel. La somme des polluants d’un moteur essence sera toujours supérieure à celle d’un moteur diesel. Et le niveau d’émissions de CO2 des moteurs essence et diesel reste inférieur à celui d’un véhicule électrique, sur une base « du puits à la roue », c’est-à-dire de la fabrication du véhicule jusqu’à sa destruction.

J’en viens à notre troisième partie : l’impact économique de l’avantage fiscal sur l’industrie et le parc automobiles.

L’État doit fixer des règles du jeu : une fiscalité claire et visible à long terme, d’une part, et des normes pour plus de stabilité, d’autre part, surtout pour les futurs véhicules. En effet, les constructeurs français de véhicules électriques, notamment, sont laissés « à l’abandon » par l’État car ils n’ont actuellement pas les mêmes normes. DU coup, ils adoptent des stratégies totalement contradictoires.

Grâce à des règles du jeu claires, les constructeurs pourront développer une gamme de produits adaptée, et le secteur de l’après-vente pourra effectuer les investissements nécessaires pour maintenir le futur parc au niveau de dépollution de sortie d’usine. Cette perspective répond à la problématique du défapage, que vous avez évoquée en introduction : il faut trouver des solutions pour que les véhicules restent au même niveau de dépollution tout au long de leur vie.

L’alignement de la fiscalité de tous les carburants est une bonne chose pour développer une mixité du parc, car les conducteurs choisiront le carburant et le véhicule en fonction de leur utilisation, et non uniquement en fonction des taxes sur les carburants ou des aides d’État à l’achat.

D’un point de vue financier, l’alignement fiscal sera bénéfique à plusieurs titres.

S’agissant des particuliers, il contribuera à la dépollution du parc, car ces derniers seront incités à installer des dispositifs de dépollution sur leur véhicule ou à changer de véhicule.

Concernant les professionnels et les entreprises, il encouragera l’investissement dans le renouvellement du parc. Ces derniers investiront dans des véhicules propres, mais en fonction de l’utilisation qu’ils ont à en faire. On n’achètera pas un camion électrique pour faire Paris-Marseille toutes les nuits !

Du côté des constructeurs, cet alignement fiscal soutiendra l’investissement dans le développement des nouvelles gammes. Il est important que les constructeurs sachent ce qu’ils doivent développer. Dans l’électrique, l’un de nos deux constructeurs ne fait que des véhicules hybrides haut de gamme et très chers, et l’autre une sorte de voiturette de golf qui ne ressemble à rien et qui est invendable ! Ou bien l’État fixe un objectif de 10 % pour l’électrique, et les constructeurs y mettront les moyens pour développer une offre attrayante, ou bien le flou perdure, et l’offre restera incohérente avec aucun acheteur et moins de 3 % de véhicules électriques en circulation, en comptant les Autolib.

Enfin, s’agissant du secteur après-vente, cette manne financière soutiendra l’investissement en faveur des outils de travail permettant le maintien du niveau de dépollution. Car, je l’ai dit, les véhicules dépollués doivent le rester tout au long de leur vie.

Mme la rapporteure. Vous êtes évidemment totalement libres de votre introduction… Si certains éléments de votre présentation sont tout à fait exacts et incontestables, comme le rapprochement des motorisations essence et diesel en termes de pollution, d’autres sont inexacts, je pense au bilan carbone, à l’analyse du cycle de vie de la voiture électrique, ou au développement de l’électrique qui obligerait à la remise marche de centrales à charbon…

À vous entendre, surtaxer le diesel serait une aberration, mais aligner la fiscalité de l’essence et du diesel relèverait du bon sens. Or ce n’est pas encore le cas aujourd’hui. À quelle vitesse faudrait-il aller afin de parvenir à cet alignement ?

Selon les personnes auditionnées avant vous, les primes à la casse ont créé un effet d’aubaine, en soutenant artificiellement le renouvellement du parc, immédiatement suivi d’une diminution des achats. Autrement dit, les véhicules achetés avant ne sont plus achetés après. D’où leurs réserves à l’égard d’un tel dispositif. Qu’en pensez-vous ?

Enfin, le contrôle technique pose problème. Les nouveaux véhicules sont incontestablement moins polluants que les anciens. Le problème est celui de l’écart entre les nouvelles normes et la réalité ; et plus les normes se sont durcies, plus l’écart est allé grandissant. Or, en l’état actuel des choses, le contrôle technique ne vérifie quasiment rien… D’où la réflexion de notre présidente sur le dérapage. Quelles obligations vous paraîtraient pertinentes en termes de vérification des dispositifs antipollution au moment du contrôle technique, tant en ce qui concerne le filtre à particules que les systèmes anti-NOx ?

M. Jean Grellier. Chaque année, 1,8 million de véhicules neufs et 5,5 millions de véhicules d’occasion sont vendus en France, dont la moitié a plus de quinze ans. Le retrofit n’est pas très développé pour les poids lourds et les bus, bien qu’il semble intéressant. Pour les véhicules particuliers, la dimension industrielle aurait-elle un intérêt ? Si oui, quelles mesures d’incitation seraient opportunes ?

M. Fabrice Godefroy. À partir du moment où l’on admet que les gens doivent acheter un véhicule en fonction de l’utilisation qu’ils vont en faire, et sachant que l’utilisation idéale d’un diesel est comprise entre 20 000 et 40 000 kilomètres par an, quand bien même l’essence et le diesel seraient au même prix à la pompe, les grands rouleurs diesel seraient toujours avantagés en consommant 20 % à 25 % de moins qu’un rouleur essence. Ainsi, la différence de consommation est très importante – et il en est de même pour les émissions de CO: d’où notre proposition sur la fiscalité. J’ajoute que si la TVA sur le diesel est actuellement récupérable pour les entreprises, il ne faut pas se tromper en décidant de rendre déductible la TVA sur l’essence, sachant que l’enjeu est de taille pour les entreprises, dont le poste transport est très lourd.

M. Yann Le Moal. S’agissant des particuliers, le rapprochement des fiscalités peut être assez rapide, pour peu qu’il soit correctement expliqué.

Pour les entreprises, l’impact est autrement plus important, d’autant qu’elles utilisent des véhicules légers mais aussi des véhicules utilitaires et des véhicules lourds. Mais quand bien même elles approuveraient un alignement essence-diesel, elles ne pourront pas acheter des poids lourds essence : cela n’existe pas…

Mme la rapporteure. Il ne s’agit pas de supprimer la récupération de la TVA pour le diesel, mais d’accorder la déductibilité à d’autres types de motorisation.

M. Yann Le Moal. Dans ce cas, il n’y aurait aucun problème. Mais il ne faudrait pas que les choses s’inversent.

M. Fabrice Godefroy. Ce serait parfait, puisque cela permettrait aux entreprises d’acheter des véhicules en fonction de leurs besoins. Mais pour l’heure, il est inenvisageable pour un chef d’entreprise d’acheter un véhicule essence.

M. Yann Le Moal. S’agissant des primes à la conversion, « jupettes », « balladurettes » et autres mesures du même genre, notre proposition concerne les véhicules neufs ou d’occasion. Cela doperait partiellement le marché du neuf, tout en permettant de dynamiser le marché d’occasion récent, avec des véhicules aux normes Euro 5 et Euro 6, qui auront trois à cinq ans maximum.

S’agissant du contrôle technique, il est aberrant que les gens puissent ne pas entretenir leur véhicule, voire le défaper sans aucun problème, alors que les normes d’homologation des véhicules sont aussi drastiques. Un véhicule mal entretenu multiplie par deux, voire par cinq, ses émissions polluantes. Pour maintenir en bon état les éléments de dépollution des véhicules vieillissants, il faut changer des pièces. Or du fait de leur coût élevé, les filtres à particules sont purement et simplement retirés par certains propriétaires. Cette situation impose une adaptation du contrôle technique, incapable actuellement de contrôler la pollution, puisqu’il intervient encore sur la base des technologies des années 1980-1990 ! Mais cette adaptation suppose la mise au point d’une base de données métrologiques légale
– qui n’a commencé à être complétée qu’à partir des années 2009. Tant qu’il s’agit de distribuer des vignettes de couleur, ce n’est pas trop gênant, mais sitôt que cela peut conduire à interdire un véhicule ou lui coller une amende, cela pose un gros problème de légalité.

Plus précisément, sur les véhicules à partir de la norme Euro 4, équipés d’un filtre à particules ou non, les outils utilisés dans les centres de contrôle technique peuvent détecter des particules visibles à l’œil nu, mais ils sont incapables de détecter des particules microscopiques, si bien qu’ils ne peuvent pas non plus indiquer la présence, ou non, d’un filtre à particules. En effet, les défapages sont réalisés « ni vu ni connu » : il suffit d’ouvrir le silencieux, de retirer la partie céramique à l’intérieur, puis de refermer le silencieux – et de mettre un leurre électronique dans le calculateur : du coup, le voyant ne s’allume plus et le client roule sans pouvoir être inquiété. Par conséquent, la détection des défapages impose d’équiper les centres de contrôle technique et les forces de l’ordre affectées aux contrôles routiers d’outils dignes de ce nom, c’est-à-dire capables de déceler des particules visibles au microscope. Des outils existent, ils sont assez coûteux, mais ils ne sont pas déployés, car aucune obligation n’existe en la matière.

Mme la rapporteure. Le défapage est-il une pratique minoritaire ou largement répandue ?

M. Yann Le Moal. Cette pratique était peu répandue il y a deux ou trois ans, mais elle se généralise et va exploser en raison du vieillissement des véhicules. De fait, les véhicules équipés de filtre à particules commencent à vieillir, d’où une multiplication des pannes. Or quand il doit payer un filtre à particules 1 200 euros pour un véhicule de cinq à huit ans dont la valeur vénale n’est plus que de 2 000 à 2 500 euros, le propriétaire préférera défaper. Sans législation, 70 % à 75 % du parc – les véhicules au-dessus de 150 000 à 180 000 kilomètres – seront défapés d’ici cinq à six ans.

Mme la rapporteure. Quel est le coût des outils permettant de déceler la présence ou non d’un filtre à particules ?

M. Yann Le Moal. Ces outils coûtent entre 8 000 et 10 000 euros.

M. Fabrice Godefroy. En France, 9 000 bus et poids lourds sont retrofités, mais les véhicules légers sont très peu concernés : pourtant ces équipements fonctionnent très bien ; nous les avons nous-mêmes testés et nous les avons en disposition, tout un chacun peut nous les commander.

En Allemagne, le retrofit est un succès car non seulement les propriétaires bénéficient d’une aide financière, mais cette modification leur permet de circuler dans les zones de basse émission.

Les zones de faible émission – qui n’existent pas encore en France –, couplées au système des vignettes pendant les pics de pollution, s’avéraient beaucoup plus efficaces que la circulation alternée qui ne cible pas les véhicules de façon sélective. Le retrofit ne peut se développer qu’en parallèle d’un tel dispositif. Idéalement, le développement du retrofit nécessiterait donc, tout à la fois, la restriction – les zones de faible émission avec autorisation aux véhicules de vignettes 1 et 2 de circuler pendant les pics de pollution, et interdiction de rouler aux vignettes 3 et 4 – et une aide de l’État à l’équipement. C’est ce qu’a fait l’Allemagne. La Belgique avait mis en place l’aide, mais sans la restriction : cela n’a pas marché. Il faut faire les deux.

Madame la rapporteure. Si je comprends bien, l’acceptabilité de l’alignement fiscal essence-diesel sera possible si le produit de cette fiscalité est entièrement affecté au financement des mesures d’aide à la dépollution – primes à la conversion et aide au retrofit ?

M. Yann Le Moal. Tout à fait. Il faudrait également aider les centres de contrôle technique à s’équiper d’outils permettant la détection des défapages, afin qu’ils soient en mesure de contrôler que le parc reste dépollué. Il faudrait enfin soutenir les constructeurs afin qu’ils puissent développer une vraie mixité du parc, avec de vraies offres dignes de ce nom, que ce soit en véhicules électriques, essence ou hybride.

Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Messieurs, il ne nous reste plus qu’à vous remercier.

La séance est levée à douze heures trente-cinq.

◊ ◊

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

Réunion du mercredi 3 février 2016 à 11 h 30

Présents. - M. Frédéric Barbier, Mme Delphine Batho, M. Charles de Courson, M. Jean Grellier, M. Philippe Kemel, Mme Sophie Rohfritsch, Mme Marie-Jo Zimmermann

Excusés. - M. Yves Albarello, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Jean-Pierre Maggi, M. Rémi Pauvros