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Mercredi 30 mars 2016

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 37

Présidence de Mme Delphine Batho, Rapporteure

– Audition, ouverte à la presse, de M. Thierry Pflimlin, secrétaire général de la branche marketing et services du Groupe Total et de M. Philippe Montantème, directeur stratégie de la branche marketing et services.

Mission d’information
sur l’offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

La séance est ouverte à seize heures vingt-cinq.

La mission d’information a entendu M. Thierry Pflimlin, secrétaire général de la branche marketing et services du Groupe Total et M. Philippe Montantème, directeur stratégie de la branche marketing et services.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Nous accueillons aujourd’hui MM. Thierry Pflimlin et Philippe Montantème, respectivement secrétaire général et directeur de la stratégie de la branche « marketing et services » du groupe Total. Nous devions auditionner M. Philippe Boisseau, numéro deux du groupe et patron de cette branche mais son audition a dû, dans un premier temps, être reportée en raison de son état de santé. Puis, la presse ayant révélé les nouvelles orientations de sa carrière, nous avons proposé de vous entendre.

Notre mission, créée par la Conférence des présidents à la suite de l’affaire Volkswagen, s’intéresse à la filière automobile dans une approche énergétique, fiscale et industrielle. La sortie des énergies fossiles et les questions liées aux différents types de carburants fossiles sont au cœur de nos travaux. Si l’Union française des industries pétrolières (UFIP) nous a déjà fait part, lors de son audition, des conséquences des écarts entre la fiscalité de l’essence et celle du diesel notamment pour l’industrie du raffinage, il nous paraissait important d’entendre le groupe Total. Nous reviendrons sans doute aussi au cours de cette audition sur les questions liées aux biocarburants.

M. Thierry Pflimlin, secrétaire général de la branche marketing et services du groupe Total. Nous représentons la branche « marketing et services » du groupe Total qui commercialise 85 millions de tonnes de produits pétroliers dans 130 pays et qui assure tous les services associés à cette commercialisation. Notre activité se développe en étroite collaboration avec le monde de l’automobile, avec la conception et la fourniture de carburants et de lubrifiants. En France, en particulier, notre groupe a développé un partenariat dans le domaine des lubrifiants et des carburants avec les deux grands constructeurs automobiles, Renault et PSA. Cette collaboration est possible grâce à notre centre de recherche de Solaize qui regroupe 250 chercheurs. Notre proximité avec le monde de l’automobile est aussi assurée à travers notre réseau de près de 4 000 stations-service sur le territoire français, qui accueille près d’un million de clients par jour, des professionnels et des particuliers, dans nos villes et nos campagnes. Notre mission est de fournir les automobilistes en énergie de manière durable, en lien avec la transition énergétique.

M. Philippe Montantème, directeur stratégie de la branche marketing et services. La mission du groupe Total est de répondre à la fois à une demande mondiale croissante d’énergie et aux préoccupations de la transition énergétique. Notre organisation et nos choix répondent à ces deux exigences. Nous souhaitons accompagner nos clients avec les technologies, les produits et les services que nous pouvons leur offrir tout en inscrivant l’entreprise dans un climat de modernité et d’innovation.

Avant de répondre à vos questions, j’évoquerai trois points : la conjoncture pétrolière mondiale, l’évolution du mix énergétique et l’évolution du parc automobile, des technologies, de la mobilité et des énergies nouvelles qui doivent trouver leur place dans ce mix.

S’agissant tout d’abord de la conjoncture pétrolière mondiale, le prix du baril est très bas, ayant baissé de plus de 50 % en un an. Cela est notamment dû à une offre croissante d’huile et de gaz de schiste américains et à une croissance plus faible de la demande. Ainsi s’est créé un écart entre l’offre et la demande d’environ deux millions de barils par jour pour une demande globale de 95 millions par jour. La baisse des prix a conduit à un redémarrage de la demande qui a crû de 1,8 million de barils par jour en 2015, contre un million par jour au cours des années précédentes. Ce redémarrage a été le fait de pays dont la demande est élastique aux prix, tels que les États-Unis, où la fiscalité est faible, ou la France qui a enregistré une croissance de 1 % de la demande en 2015 pour des raisons de prix et des raisons géopolitiques. En revanche, la demande a stagné dans des pays où les prix n’ont pas varié – les gouvernements ayant soit réduit leurs subventions soit augmenté leur fiscalité. On a même vu des pays producteurs comme le Nigéria, l’Arabie Saoudite ou le Venezuela augmenter leurs prix à la pompe. Nous anticipons un rééquilibrage du marché à la fin de l’année 2016 ou au début de l’année 2017 : la décroissance naturelle des champs pétroliers et le ralentissement des investissements sur ces champs devraient affecter la croissance de l’offre et le maintien de prix relativement bas devrait entraîner un maintien du niveau de la demande. Ce rééquilibrage devrait conduire à une révision des prix à la hausse à cette période.

Dans cet environnement, les défis du mix énergétique vont évoluer mais nous aurons besoin de toutes les énergies pour répondre à la demande – aujourd’hui croissante. Il y aura moins de pétrole mais plus de gaz et plus d’énergies renouvelables Les énergies fossiles – charbon, pétrole et gaz – représentent aujourd’hui 81 % du mix énergétique et devraient constituer 65 % de ce mix en 2035, dans le scénario le plus sévère, établi par la 21e Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP21) : il prévoit un réchauffement planétaire de deux degrés et la limitation des émissions de CO2 à 450 parties par million (450 ppm). Une telle baisse de consommation d’énergies fossiles est significative mais leur laisse encore une part importante. Vous noterez la part importante des transports dans l’usage de celles-ci : ils pèsent pour 60 % de la consommation de pétrole, part qui devrait croître puisque c’est dans ce secteur que la substitution entre énergies est la plus difficile, compte tenu de la densité énergétique du fossile pétrolier et de la facilité à le manipuler.

Que l’on retienne un scénario à « deux degrés » ou de « business as usual » comme le qualifie l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la demande de produits pétroliers baissera en Europe. La baisse de 1,5 % par an constatée en France au cours des dernières années devrait se poursuivre, la loi de transition énergétique fixant un objectif de -30 % entre 2012 et 2030, cohérent avec le scénario dit « deux degrés » dans lequel nous nous inscrivons. La baisse portera principalement sur les véhicules légers et le secteur résidentiel : leur consommation diminuera respectivement de 30 % et de 55 %.

Il nous faut, pour atteindre ces objectifs, utiliser tous les leviers : poursuivre l’amélioration de l’efficacité énergétique des véhicules et tendre vers les deux ou trois litres aux cent kilomètres ; élargir les capacités d’incorporation de biocarburants tels que le diesel B10 et l’E85 ; accélérer la pénétration de solutions innovantes ou en rupture tels que le recours au gaz naturel, à l’énergie électrique ou à l’hydrogène ; enfin, faire évoluer le comportement des consommateurs.

En tant que fournisseur de la plupart de ces énergies, Total a inscrit sa stratégie dans un scénario compatible avec celui dit des « deux degrés ». Nous prévoyons ainsi d’augmenter notre production de gaz, qui devrait passer de 52 à 65 % de notre portefeuille d’activité dans vingt ans ; de développer notre production d’énergies renouvelables qui devraient représenter 20 % de notre portefeuille à la même échéance – ce qui est particulièrement vrai pour l’énergie solaire, secteur dans lequel Total est aujourd’hui le troisième acteur mondial – ; de sortir dès 2016 de la production de charbon ; enfin, de progresser en termes d’efficacité énergétique, non seulement dans le cadre de nos activités qui enregistrent un gain annuel d’1,5 % d’efficacité mais aussi vis-à-vis de nos clients à qui nous proposons des carburants, des lubrifiants et des services spécifiques.

J’en viens à présent à l’évolution des parcs automobiles. En tant qu’industriel et distributeur, nous avons à la fois des contacts quotidiens avec nos clients – professionnels et particuliers – et des partenariats avec de nombreux constructeurs – français mais aussi coréens, chinois, allemands et américains. Pour vous donner un exemple emblématique de coopération, nous avons fourni à PSA des lubrifiants destinés aux moteurs et aux boîtes de vitesse qui ont fait économiser 5 % de consommation aux véhicules neufs – ce qui représente plusieurs grammes de CO2.

Je vais à présent vous exposer notre point de vue sur chacune des énergies.

Le diesel est une spécificité européenne en pleine évolution. Deux véhicules sur trois roulent au diesel aujourd’hui. Aucun autre pays du monde n’atteint un tel seuil à part peut-être l’Inde et le Maroc. La tendance s’inverse très rapidement : les ventes de diesel sont passées de 77 % en 2008 à 57 % en 2015 et devraient passer à 40 % en 2030. La part des particuliers est déjà de 44 % en 2015, ce qui signifie que l’essentiel de la diésélisation provient actuellement des flottes de véhicules professionnels. Compte tenu des surcoûts liés à la dépollution du diesel et aux taxations, le diesel ne devient rentable qu’à partir de 20 000 kilomètres de trajet, ce qui explique aussi ce resserrement de son développement.

Le diesel a la vertu de consommer moins que l’essence, ce qui représente un gain de 15 % d’émissions de CO2. La quantité d’émissions d’oxydes d’azote a quant à elle été très fortement réduite au cours des dernières années grâce au post-traitement à l’urée : après dépollution, le niveau d’émissions des véhicules diesel neufs, de l’ordre de 80 milligrammes par kilomètre, est très voisin de celui des moteurs à essence qui est de 60 milligrammes. De même, la quantité de particules a été divisée par dix sur les véhicules diesel. Les véhicules neufs sont même à un niveau légèrement inférieur à celui des véhicules essence. Les spécifications relatives aux particules seront identiques en 2017 pour les deux types de motorisation.

C’est pourquoi, d’un point de vue technologique, technique et environnemental, nous n’avons pas de raison, en tant que fournisseur, de privilégier une énergie par rapport à une autre, le diesel et l’essence ayant atteint les mêmes niveaux d’émission. Nous avons toujours été en faveur d’un rééquilibrage entre l’essence et le diesel vis-à-vis des capacités de production du raffinage, le marché français étant fortement excédentaire en essence et déficitaire en diesel.

Nous prônons un rééquilibrage progressif, c’est-à-dire une réduction du taux de diésélisation, par le biais des ventes de véhicules neufs. Sachant qu’aujourd’hui, ce sont principalement les flottes des entreprises qui sont concernées, une des solutions pour y parvenir consiste en une déductibilité de la TVA sur les essences.

J’en viens à un sujet connexe à celui du diesel : l’AdBlue, solution d’urée qui, par injection dans les gaz d’échappement, permet de réduire les émissions d’oxydes d’azote. Je pense pouvoir affirmer que Total répond présent à cette nouvelle demande. Installé sur pratiquement tous les camions depuis de nombreuses années, le dispositif de réduction catalytique sélective (SCR) équipera la quasi-totalité des véhicules diesel à partir de 2017. Historiquement, Total a accompagné la sortie des poids de lourds équipés de ce dispositif : nous avons équipé d’une pompe d’AdBlue plus de 1 000 stations en Europe, dont 200 en France. En 2020, toutes nos stations poids lourds seront équipées.

Le développement est en cours pour les véhicules légers : aujourd’hui, leur consommation est telle que le plein peut être fait entre deux vidanges, lors de la maintenance, soit entre 15 000 et 20 000 kilomètres de parcours. L’utilisateur ne se rend donc pas compte qu’il est équipé d’un réservoir d’AdBlue. Pour les véhicules vendus à partir de 2017, la consommation d’AdBlue sera d’un à trois litres tous les 1 000 kilomètres. Les utilisateurs devront donc faire un plein d’AdBlue tous les quatre pleins de diesel. Pour éviter l’immobilisation des véhicules, nous avons décidé de mettre à disposition des bidons de cinq et dix litres d’AdBlue dans toutes les stations Total de France. Ces bidons auront un embout flexible permettant d’accéder au bouchon. Aujourd’hui, le remplissage se fait plutôt dans les coffres, ce qui est assez compliqué. Demain, il se fera en façade. Nous allons aussi installer des pompes dans environ une station sur sept dans les années à venir. Nous nous sommes également intégrés dans la chaîne logistique car si l’urée est un produit assez courant, la solution liquide d’AdBlue l’est moins. Nous avons donc installé deux unités de production d’AdBlue, l’une à Marmande dans notre filiale Alvéa, l’autre sur le site de l’ancienne raffinerie de La Mède. Nous allons également installer une unité de conditionnement à Lyon.

Quant à la consommation d’essence, elle est en évolution continue. La progression des moteurs à essence tient, d’une part, à une réduction de leur taille et, d’autre part, à l’hybridation – classique ou rechargeable. D’ici à 2030, la moitié des véhicules à essence sortant sur le marché devraient être équipés d’un moteur hybride, représentant 10 % du parc. Aujourd’hui, la principale contrainte est celle du prix mais nous sommes vraiment désormais sur la voie d’une forte réduction de la consommation des moteurs à essence qui ne devraient plus avoir besoin que de quelques litres aux cent kilomètres. Toyota a vendu plus de 8 millions de véhicules hybrides depuis 1997. Total avait en 2013 développé avec PSA un démonstrateur consommant deux litres aux cent kilomètres et offrant un confort de conduite remarquable, grâce à une hybridation très poussée et à un allègement du véhicule.

En dehors des énergies classiques, il existe des énergies plus nouvelles.

Le gaz naturel nous semble une alternative crédible au diesel, à tout le moins en zone urbaine et pour les livraisons de zones périurbaines. La technologie est bien connue, mûre et très développée dans certains pays comme l’Argentine, le Brésil, l’Iran et le Bangladesh. Nous avons nous-mêmes 400 stations-service vendant du gaz dans tous les pays du monde où nous sommes présents, notamment au Pakistan. Cette énergie présente un véritable intérêt en termes de réduction des émissions sonores et de particules. Les coûts d’infrastructure sont relativement raisonnables car lorsque l’on dispose d’un réseau de gaz relativement développé comme cela est le cas de la France, il suffit de s’y brancher et l’installation est relativement simple à intégrer dans nos stations. L’usage du gaz nécessite donc moins de transport routier de matières premières. L’avantage en termes d’émissions de CO2 est cependant assez réduit, sauf à intégrer au moins 15 % de biogaz dans sa consommation de gaz naturel. Le marché du gaz naturel se développe dans les zones urbaines, surtout dans les pays producteurs de gaz tels que les États-Unis mais aussi la Chine, pour des raisons environnementales – les véhicules diesel n’y étant pas équipés de filtres à particules.

Quant aux véhicules électriques, ils constituent, selon nous, une solution viable, adaptée principalement au développement urbain. Ils ne produisent évidemment, lors de leurs déplacements, aucune émission de CO2 ni de particules et que de faibles émissions sonores. En revanche, la production d’électricité entraîne des émissions de CO2 – sauf si elle est issue d’énergie nucléaire ou renouvelable. Le manque d’autonomie des véhicules électriques est certes un frein mais ce dernier n’est pas aussi important qu’on peut l’imaginer : 50 % des déplacements en véhicule étant inférieurs à cent kilomètres, ils pourraient très bien être effectués dans une voiture électrique. De plus, le développement futur de nouveaux types de pratiques d’autopartage et de location de courte durée devrait aussi faciliter l’utilisation de ces véhicules. Ceux-ci posent cependant aujourd’hui un problème de surcoût. Les gains d’autonomie des batteries seront lents et l’on n’envisage pas de rupture technologique qui puisse significativement augmenter cette autonomie à des prix raisonnables, du moins pas à court terme. Il faut donc principalement concentrer l’usage de ces véhicules sur des parcours urbains. La charge lente à domicile, sur le lieu de travail ou dans un parking nous semble la solution la plus vertueuse. Elle permet de lisser la consommation électrique. La recharge rapide présente en revanche plusieurs inconvénients. C’est tout d’abord un appel d’énergie très important sur le réseau électrique à un endroit non prévu à l’avance. Cela a aussi un impact négatif sur la durée de vie des batteries – qui supportent bien mieux une charge lente. Enfin, c’est une perte de temps difficilement acceptable pour le consommateur. Nous considérons donc la charge rapide comme une solution de dépannage. Nous accompagnons néanmoins le mouvement et travaillons en partenariat avec Sodetrel pour installer une cinquantaine de bornes de recharge rapide dans nos stations-service dans le courant de l’année 2016. Nous estimons que les véhicules électriques devraient représenter environ 5 % des ventes à l’horizon 2030 et une part minimale de la flotte de véhicules.

L’hydrogène, lui, est utilisé pour accroître l’autonomie des véhicules électriques : cinq kilogrammes d’hydrogène suffisent pour parcourir 500 kilomètres, ce qui permet un ravitaillement classique, en quelques minutes. L’usage de cette énergie ne se fera néanmoins qu’à long terme car il pose encore des défis techniques et économiques importants. Il y a trois marchés pionniers aujourd’hui dans le monde : le Japon et la Corée, la Californie et l’Allemagne. Total est présent sur le marché allemand et participe au partenariat H2 Mobility afin d’acquérir une compétence sur ce marché. Nous avons déjà neuf stations d’hydrogène en Allemagne et avons prévu d’en avoir quatre-vingt-onze à l’horizon 2025 dans ce pays. Nous assurons une veille active sur le marché français en collaboration avec Air Liquide et avons en France quelques projets de stations pour des flottes captives comme celle de La Poste ou certains taxis. Point essentiel, si la production d’hydrogène se fait à base de gaz naturel, les émissions de CO2 seront significatives. Cette énergie ne présente donc d’intérêt que si elle est produite à partir d’énergies renouvelables.

Enfin, vous avez mentionné les biocarburants dont Total est le leader en Europe. La question des biocarburants doit être étudiée selon trois axes – réglementaire, technique et de durabilité. En matière réglementaire, les choses sont claires : le secteur de la mobilité doit atteindre un objectif de 10 % d’énergies renouvelables en 2020 – objectif qui pourrait être porté à 15 % conformément à la loi de transition énergétique. Les contraintes techniques sont surtout liées à la présence de composés oxygénés. Nous nous assurons pour notre part d’être au maximum de ce qui est acceptable par les constructeurs automobiles. Ainsi, l’E10 représente 70 % de nos ventes alors que le marché français n’en est qu’à 35 %.

Pour lever cette contrainte technique, nous développons des solutions de traitement spécifique des huiles végétales, notamment dans le cadre du projet « HVO » que nous menons à l’usine de La Mède. Nous allons pouvoir y traiter 500 000 tonnes de biodiesel pour en faire des hydrocarbures neutralisés injectables dans du diesel sans contrainte technique.

La troisième contrainte concerne la durabilité. La limite est aujourd’hui fixée à 7 % de biocarburants de première génération – qui sont en compétition avec l’alimentaire. Nous avons pris en compte cette contrainte dans le choix des matières premières dans notre usine de La Mède – matières premières qui seront constituées à 40 % d’huiles de friture ou encore de produits recyclés ou inaptes à l’alimentaire. Nous avons également réalisé des investissements à plus long terme dans des biotechnologies de deuxième génération dans le cadre des projets Futurol en France, BioTfueL et avec la start up américaine Amyris pour la transformation de sucre en diesel.

En conclusion, Total est résolument engagé dans la transition énergétique. Nous aurons encore besoin des hydrocarbures dans le futur mais ce besoin devra être intégré dans la transition. Il n’y a pas selon nous de contradiction entre l’investissement dans les hydrocarbures et le développement des énergies renouvelables. Nous accompagnons le développement de toutes les énergies – qu’il s’agisse du gaz, de l’hydrogène ou des biocarburants à un rythme d’investissement adapté à la flotte de véhicules. Ces investissements doivent se faire dans un cadre réglementaire stable, offrant de la visibilité non seulement aux consommateurs mais aussi aux producteurs et aux fournisseurs d’énergie.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Je suis tout d’abord obligée de vous demander si le point de vue émis par Michel Aubier, médecin conseil de Total, lors de son audition au Sénat, sur les effets sanitaires du diesel engage de quelque façon que ce soit le groupe Total.

Quelles seront les conséquences pour le raffinage en France du déséquilibre actuel entre la fiscalité du diesel et celle de l’essence, qu’il s’agisse de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) ou de la récupération de TVA sur les véhicules d’entreprise ? Pourquoi, alors que l’écart de TICPE est de 12 à 13 centimes, la différence de prix à la pompe entre un litre de gazole et un litre d’essence sans plomb 95 est-elle de 20 centimes ? Y a-t-il, comme on nous l’a dit, un excédent de gazole sur le marché européen induisant une tendance à la baisse du prix de ce carburant, au-delà de la baisse du prix du baril ? En cas de convergence fiscale de l’essence et du gazole, y aura-t-il toujours potentiellement un écart de prix à la pompe entre ces deux carburants du fait de phénomènes de marché ?

Pourriez-vous nous éclairer sur la qualité de vos carburants ? Quelle est, par exemple, la différence entre les diesel Premium et Excellium proposés chez Total ?

Vous nous avez indiqué que vous comptiez rendre disponibles rapidement des bidons d’urée de cinq litres permettant de faire le plein de dix-sept litres du réservoir des véhicules et que les nouveaux modes d’homologation des véhicules neufs allaient nécessiter, à partir de 2017, de faire le plein tous les 6 000 kilomètres et non plus tous les 20 000 kilomètres comme aujourd’hui. Compte tenu de la diminution du nombre de véhicules diesel neufs en circulation, l’équipement en urée d’une station sur sept constitue-t-il un choix d’investissement ou une prévision ?

Le biodiesel, ou diester, a-t-il un avenir, compte tenu de ce qu’affirme la Cour des comptes quant à son coût financier ?

D’après l’UFIP, ce n’est pas demain matin que nous utiliserons les biocarburants de deuxième génération, pour des raisons de modèle économique ! Enfin, ayant évoqué le projet de reconversion de la raffinerie de La Mède en plus grande bio-raffinerie de France, vous avez cité le chiffre de 40 % d’huiles usagées. Cela étant, le bénéfice environnemental de la substitution d’une énergie produite à partir d’huile de palme importée aux énergies fossiles paraît particulièrement discutable et inquiète la filière du colza.

Le fait que les entreprises pétrolières italiennes aient également investi de longue date dans le gaz a, semble-t-il, incité l’Italie, avec un temps d’avance sur la France, à développer des infrastructures gazières en faveur de la mobilité des véhicules particuliers. Il ressort clairement de toutes nos auditions une perspective favorable au gaz s’agissant du transport de marchandises par les poids lourds ainsi que les véhicules utilitaires et de livraison. Comment doit-on envisager les infrastructures de distribution de gaz ?

Enfin, les constructeurs automobiles en France paraissent réticents à l’égard de l’hydrogène ou, du moins, affirmer qu’on n’y recourra pas avant 2030 alors que des pays comme le Japon développent aujourd’hui des programmes d’investissement en la matière. Ces constructeurs devraient-ils, selon vous, s’y intéresser davantage ?

M. Julien Dive. En 2015, vous avez acquis des parts dans Polyblend, fabricant de composites en polypropylène auxquels sont ajoutés des adjuvants tels que le talc afin de réaliser des pièces thermoplastiques pour l’automobile. Polyblend n’étant pas implanté en France, quelle est votre position concernant les plasturgistes qui le sont – que ce soient Faurecia, Mecaplast, Plastic Omnium ou Reydel ex-Visteon – et les matériaux composites dits bio-sourcés ?

J’exprimerai d’autre part un point de désaccord avec votre propos relatif à la recharge rapide des véhicules électriques. De nombreux centres de recherche, tels que la plateforme « Steeve » qui avait d’ailleurs été inaugurée par notre rapporteure à l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS), dans l’Oise, mènent aujourd’hui des travaux pour améliorer l’endurance des batteries et leur permettre d’absorber une forte charge d’énergie en un bref laps de temps. Ce temps de recharge ne me semble pas perdu pour le consommateur puisqu’on peut y associer une offre de services.

M. Thierry Pflimlin. À aucun moment le professeur Aubier n’est habilité à prendre la parole au nom du groupe Total au sein duquel il exerce depuis près d’une vingtaine d’années une fonction de suivi de santé d’une partie du personnel. Il y a une séparation très nette entre cette fonction et celle qu’il peut exercer par ailleurs à l’hôpital Bichat. Par conséquent, nous ne commentons pas ni ne soutenons les déclarations qu’il a faites dans le cadre de cette seconde fonction.

M. Philippe Montantème. Les prix de l’essence et du diesel sont construits à partir des cotations internationales en tonnes, beaucoup plus voisines entre elles que le prix au litre en raison d’un effet de densité. Mais il y a aussi effectivement des situations de marché très différentes entre ces deux carburants en fonction des saisons. Le prix des essences est plutôt tendu en été en raison d’un accroissement de la demande américaine pendant la « driving season » tandis que le prix du diesel augmente pendant l’hiver, cette énergie étant également utilisée pour le chauffage. Des écarts de prix peuvent donc se creuser entre les deux. Enfin, il y a aujourd’hui au niveau mondial une tension sur le marché des essences en raison du regain de croissance de la demande des ménages américains et européens consécutif à la baisse des prix. Parallèlement, la demande de diesel a baissé en Chine en 2015 tandis que les ventes d’essence y ont flambé de 5 à 10 %. Il y a un tel excès de diesel sur le marché que les cotations de diesel sont plus basses aujourd’hui et celles de l’essence, plus tendues.

La demande d’essence est plus élastique que celle du diesel qui, permettant le transport de marchandises, est très lié à la croissance économique et donc peu sensible au prix. Le ralentissement de la croissance chinoise et l’accroissement de la demande américaine ont fait baisser le coût du diesel et tendu le marché des essences. À cela s’ajoute un effet de densité qui entraîne un écart de six centimes d’euros entre le prix hors taxe du litre d’essence et celui du litre de diesel. Ces deux marchés évoluent donc différemment : la Chine s’apprêtant à devenir un gros exportateur de diesel, le marché du diesel reste assez déprimé.

Le gasoil Excellium contient des additifs dont nous détenons la technologie et dont l’objectif est de tenir le moteur propre et éventuellement de nettoyer les dépôts qui pourraient se trouver sur les injecteurs, ce qui permet un meilleur fonctionnement et une meilleure efficacité du moteur. Au-delà du continent européen, nous sommes en train de développer la distribution de ces carburants additivés au niveau mondial. Ceux-ci permettent des gains de consommation de 1 % sur les véhicules légers et de 3 à 4 % sur les poids lourds, les bus et les engins de chantier. Nous avons d’ailleurs obtenu des certificats d’économie d’énergie grâce à l’usage de ces carburants additivés dans les moteurs diesel des camions.

S’agissant de l’impact sur le raffinage du déséquilibre entre essence et diesel, le marché français doit importer 20 millions de tonnes de diesel et exporte quelques millions de tonnes d’essence. La disproportion est telle que même si l’on arrêtait de vendre des voitures diesel, le déséquilibre persisterait dans les années à venir. Les leviers d’action sont tellement faibles que le marché sera durablement importateur de diesel. La part de l’essence est plutôt décroissante, compte tenu des efforts de productivité réalisés sur les véhicules – beaucoup plus difficiles à accomplir sur les poids lourds – et de la croissance économique qui soutient celle de la consommation de diesel. On ne peut donc plus revenir, à l’horizon de dix à quinze ans, à une situation d’équilibre entre ces produits. Je ne dis pas qu’un rééquilibrage ne sera pas bénéfique au raffinage : ce le sera dès le premier jour mais avec des effets relativement limités à court terme.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Qu’en sera-t-il de notre balance commerciale ?

M. Thierry Pflimlin. Elle restera déficitaire car il faudra toujours importer du pétrole brut.

Votre question concernant l’AdBlue est très pertinente : nous n’avons effectivement pas pour l’instant les moyens de fournir du jour au lendemain tous nos clients à l’aide de volucompteurs comme c’est le cas pour les carburants. Mais nous avons des plans de développement importants : à l’horizon 2020, une station sur sept sera équipée et à l’horizon 2025, une station sur trois. Avec un tel maillage, les consommateurs pourront s’approvisionner de manière confortable sans devoir manipuler des bidons. Mais la présence de ces bidons dans chaque station, que nous pouvons assurer très rapidement sans que cela demande une logistique importante, est quand même une sécurité car avec les nouveaux moteurs, les voitures ne pourront plus démarrer sans Adblue.

M. Philippe Montantème. Les voitures seront équipées d’un système d’alarme permettant aux conducteurs d’être prévenus longtemps à l’avance qu’ils doivent faire le plein d’AdBlue.

L’équilibre économique des biocarburants ne relevant pas de mon domaine de compétence, je préfère éviter d’intervenir sur ce point.

S’agissant du modèle de deuxième génération, c’est la fabrication d’éthanol cellulosique qui est la plus avancée. Cela notamment dans une première usine dont vous avez dû entendre parler en Italie et qui semble avoir des difficultés à démarrer et à fonctionner. Les sites américains ont eux aussi des difficultés de traitement initial de la biomasse. L’éthanol est néanmoins un enjeu d’avenir sur lequel il faut travailler. C’est pourquoi nous sommes dans les groupements Futurol et BioTfueL. Les investissements sont très importants, de plusieurs centaines de millions d’euros sur chaque site et c’est pour nous un enjeu majeur représentant l’avenir des biocarburants. Mais ce modèle n’aura pas d’impact direct avant cinq à dix ans.

Nous conférons effectivement une part importante du profil de traitement de l’usine de La Mède à des produits de deuxième génération – que ce soit des huiles de friture ou encore des coproduits ou des sous-produits de la transformation d’huiles végétales impropres à la consommation humaine. De toute façon, la réglementation impose aujourd’hui 30 % de gains d’émissions de CO2 sur toutes les matières utilisées pour faire des biocarburants, dans un cycle de vie complet – ce pourcentage devant aller jusqu’à 50 ou 60 % demain. Nous respecterons bien évidemment cette règle. Nous avons effectivement affirmé que nous pourrions traiter de l’huile de palme. Notre usine est suffisamment flexible pour traiter toute huile végétale – que ce soit du colza produit en France ou de l’huile de palme – sans la moindre contrainte technique. Ensuite, c’est bien sûr une question économique.

L’utilisation du gaz est effectivement moins à l’ordre du jour pour les véhicules particuliers que pour les poids lourds. Si l’Italie, comme d’autres pays, ont pris de l’avance en ce domaine, c’est notamment parce qu’elle avait des gisements de gaz locaux faciles à exploiter comme on le faisait d’ailleurs dans le Sud-Ouest de la France avec le gaz de Lacq ou encore aux Pays-Bas. Il y a donc une poche de consommation italienne liée à cette donnée historique. Certains constructeurs, comme Volkswagen, développent aujourd’hui des véhicules au gaz. Nous ne pensons pas que cette énergie ait un gros potentiel de développement car elle pose des problèmes d’autonomie. Mais de toute façon, il s’agit systématiquement de véhicules à bicarburation. Nous allons donc concentrer nos efforts sur des stations destinées aux poids lourds.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Avez-vous des projets précis ?

M. Philippe Montantème. Oui. D’une part, les transporteurs installent chez eux des pompes distributrices de gaz, au même titre qu’ils ont des pompes pour du diesel, et d’autre part, Total a un plan d’installation de distribution de gaz, qui peut se faire dans des stations existantes, notamment en banlieue et dans le sud de la région parisienne. Nous maillons notre réseau de stations-service en détectant celles qui sont à proximité de pipes de gaz. Le système est relativement simple en termes d’infrastructures et compte tenu de la densité du réseau français de gaz, nous n’avons pas de problème pour trouver des emplacements.

M. Thierry Pflimlin. C’est simple en termes d’infrastructures mais l’installation d’un compresseur exige tout de même un certain périmètre ainsi que certaines caractéristiques permettant d’assurer la sécurité du stockage du gaz. On ne peut donc y procéder dans toutes les stations.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Cela suppose-t-il par exemple de déposer un nouveau dossier de demande d’installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) ?

M. Thierry Pflimlin. Oui, je crois.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Le gaz va-t-il, selon vous, devenir la solution de référence pour les poids lourds en Europe ?

M. Philippe Montantème. Je ne pense pas car il pose toujours des problèmes d’autonomie. Aux États-Unis, l’architecture des camions favorise le développement de l’usage du gaz sur des distances plus importantes car elle peut accueillir beaucoup de réservoirs. En Europe, le gaz pose un problème d’encombrement sur des distances supérieures à 500 kilomètres. Cette solution était très adaptée dans le passé aux bennes à ordures et aux bus. Elle pourrait se développer sur le trafic régional et la livraison du dernier kilomètre. Sur de très longues distances, il faudrait utiliser du gaz liquéfié, technologie utilisée en Chine mais qui pose d’autres problèmes de sécurité.

Les Japonais Toyota et Honda sont effectivement très en avance dans l’usage de l’hydrogène. Daimler, l’un de nos partenaires dans le cadre du projet H2 Mobility, a lui aussi annoncé qu’il allait se lancer en ce domaine. Je ne puis m’exprimer au nom des constructeurs français mais je ne pense pas qu’ils soient en retard. Il me semble que si le marché se développe, l’adaptation sera relativement rapide pour Renault qui conçoit déjà des véhicules électriques – un véhicule hydrogène n’étant jamais qu’un véhicule électrique équipé d’une pile à combustible. BMW, avec qui nous coopérons, a conclu un accord avec Toyota pour utiliser ses piles à combustible : les choses peuvent donc aller relativement vite sur le plan technologique si les constructeurs concluent des partenariats comparables. L’usage de l’hydrogène me semble cependant relever du long terme et je pense que les constructeurs français seront capables d’être au rendez-vous s’il le faut. Cela étant, c’est le problème habituel de l’œuf et de la poule : nous sommes, pour notre part, relativement prêts à créer des stations mais cela manque encore de véhicules ! Je pourrais faire la même remarque concernant le gaz.

M. Thierry Pflimlin. Je suis absolument incompétent pour vous répondre quant à l’acquisition de Polyblend par notre filiale Hutchinson mais nous vous transmettrons une réponse par écrit.

M. Philippe Montantème. Je suis conscient que des progrès ont été accomplis dans le domaine des batteries. D’ailleurs, les montants investis en recherche et développement sont massifs. Mais il ne faudrait pas attendre que leur autonomie s’accroisse pour considérer que le véhicule électrique a sa place sur le marché : il a une vraie utilité dans le monde urbain. De plus, dans la perspective du producteur d’électricité que nous allons progressivement devenir, la charge lente me semble présenter l’avantage de permettre un lissage de la consommation – avantage que n’a pas la charge rapide. Une station de recharge de Tesla représente un mégawatt de puissance installée : cela est très difficile à mettre en place dans une station d’autoroute située au milieu de la campagne. Faire de la charge lente à domicile et à heures creuses est en revanche vertueux en termes de consommation d’énergies renouvelables et permet d’écrêter des excédents d’énergie. Il nous semble donc préférable de privilégier cette deuxième option et l’usage urbain.

M. Julien Dive. Tout dépend de l’usage que fait le consommateur de son véhicule. La charge lente peut suffire à certains types de déplacements mais la charge rapide sera plus à même de répondre aux besoins d’une personne qui se déplace beaucoup, en particulier en milieu rural. Il y a effectivement encore un fossé technologique à combler mais on ne peut balayer d’un revers de main la recharge rapide qui est une solution réelle face à certains besoins.

M. Philippe Montantème. C’est aussi une sécurité et une solution de dépannage impérative.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Messieurs, nous vous remercions pour vos réponses.

La séance est levée à dix-sept heures vingt.

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Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

Réunion du mercredi 30 mars 2016 à 16 h 15

Présent. - Mme Delphine Batho

Excusés. - M. Yves Albarello, Mme Sophie Rohfritsch

Assistait également à la réunion. - M. Julien Dive