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Mardi 5 avril 2016

Séance de 12 heures

Compte rendu n° 38

Présidence de Mme Sophie Rohfritsch, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Nathalie Homobono, directrice générale de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

Mission d’information
sur l’offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

La séance est ouverte à à douze heures cinq.

La mission d’information a entendu Mme Nathalie Homobono, directrice générale de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Nous accueillons, ce matin, Mme Nathalie Homobono, directrice générale de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), accompagnée de M. Vincent Designolle, son directeur de cabinet.

Madame la directrice générale, nous n’allons pas vous interroger sur les interventions de votre administration qui concerneraient des actions judiciaires en cours, voire sur des procédures qui n’en seraient qu’au stade d’enquêtes préliminaires, donc diligentées par le parquet.

Nous savons néanmoins, par la presse, que des agents de la DGCCRF ont perquisitionné chez des constructeurs dans plusieurs sites industriels ou sur des sites de recherche. S’agissant notamment de l’affaire Volkswagen, nous avons auditionné le président du directoire de la filière française, M. Rivoal.

Il nous a clairement précisé qu’aux États-Unis, la fraude caractérisée par l’existence d’un logiciel truqueur affectait les conditions mêmes du contrat de vente entre le constructeur et ses clients. En revanche, selon ce qu’il nous a indiqué, il n’en va pas de même au regard du droit français.

Madame la directrice générale, partagez-vous cette analyse juridique ? La question a toute son importance, car, en France, plus de 960 000 véhicules équipés de ce logiciel ont été vendus, alors qu’aux États-Unis, il n’y en a « que » 650 000 environ.

Plus généralement, la DGCCRF a-t-elle pris l’initiative de contacts avec les administrations qui sont ses homologues en Europe ? Perçoit-on des différences d’approche, selon les pays sur un sujet aussi complexe ? De quel type de recours disposent les possesseurs de véhicules dotés de ce fameux logiciel ? En tout état de cause, Volkswagen et ses différentes marques ne peuvent-ils pas être inquiétés, au moins pour publicité mensongère, ou encore être accusés par des concurrents de pratiques à tout le moins déloyales ?

À ce jour, les autres constructeurs ont contenu leurs critiques à l’égard d’un concurrent puissant, qui occupe 13 % des parts du marché français. Pour autant, ils seraient en droit de se plaindre si la défaillance d’un seul portait atteinte à la crédibilité de tout un secteur.

Par ailleurs, comment la DGCCRF va-t-elle veiller à la bonne exécution des opérations de rectification des moteurs dans le réseau ? Il semble qu’aux États-Unis, les autorités fédérales n’aient toujours pas accepté les propositions techniques de Volkswagen.

Enfin, il importe également à la mission de connaître les principaux griefs, en termes de consommation et de concurrence, que la DGCCRF a eu à traiter au cours des dernières années, dans le secteur automobile en général, donc en dehors de l’affaire précitée.

Madame la directrice générale, je vous propose de vous écouter, dans un premier temps, pour un exposé liminaire. Puis, Mme Delphine Batho, la rapporteure de la mission, vous posera un premier groupe de questions. Enfin, les autres membres de la mission d’information vous interrogeront à leur tour.

Mme Nathalie Homobono, directrice générale de la DGCCRF. Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, l’affaire Volkswagen, qui a été révélée par l’Agence américaine de protection de l’environnement en septembre 2015 est l’élément déclencheur qui a conduit le Gouvernement et la ministre de l’environnement à mettre en place une commission d’enquête indépendante. Vous avez peut-être déjà auditionné les services du ministère de l’environnement.

Cette commission a accès aux résultats des essais qui ont été réalisés, à ce jour, sur quarante à cinquante des cent véhicules devant être contrôlés. C’est un point d’appui pour notre action, s’agissant notamment de l’enquête sur les émissions atmosphériques, que nous avons ouverte à l’automne pour examiner les pratiques des constructeurs qui destinent une partie de leurs véhicules au marché français.

N’ayant pas nous-mêmes les moyens d’effectuer ces contrôles, les conclusions de la commission d’enquête et les résultats des analyses effectuées par les laboratoires de l’Union technique de l’automobile, du motocycle et du cycle (UTAC) sont des éléments très importants, sur lesquels nous pouvons nous appuyer pour mener notre enquête.

Suite aux révélations de l’Agence américaine de protection de l’environnement, (EPA), selon lesquelles il y avait eu une action délibérée pour contourner les normes des émissions polluantes aux États-Unis, nous avons lancé cette enquête. Elle concerne une quinzaine de constructeurs automobiles sur le territoire national. Nous nous sommes intéressés, dans un premier temps, aux véhicules de la marque Volkswagen, ce qui nous a conduits à mener une perquisition – dont a dû vous parler le président du directoire de Volkswagen France –, le 16 octobre 2015.

Nous voulions avant tout récupérer des éléments d’information pour compléter ceux que nous avions obtenus lors de nos premiers contacts, dès septembre 2015, au siège de Volkswagen France, d’où il ressortait que l’entreprise présente en France ne faisait qu’appliquer les décisions émanant principalement des autorités allemandes, concernant la construction des véhicules et la publicité. Celles-ci étaient relayées et mises en œuvre notamment par le représentant de la marque en France, à savoir la société Volkswagen Group France. Il nous a donc semblé nécessaire de nous procurer des éléments complémentaires, lesquels ont été recueillis lors de la perquisition que nous avons menée en octobre 2015.

Suite à cela, il nous est apparu que Volkswagen France et Volkswagen Allemagne avaient, de manière manifeste et délibérée, mis en place des dispositifs pour fausser les résultats des contrôles. Le logiciel qui pilote les véhicules avait pour objectif d’identifier les tests, de fausser les paramètres d’émissions, et donc, de permettre aux véhicules de passer avec succès les tests d’homologation concernant les émissions atmosphériques.

Nous avons adressé au parquet de Paris un procès-verbal pour tromperie, dans lequel figuraient les éléments caractérisant l’infraction au plan matériel, c’est-à-dire les lignes de code du logiciel ayant pour but de fausser les résultats des contrôles. Il nous appartenait également de démontrer le caractère intentionnel de la fraude, c’est-à-dire la volonté manifeste du groupe de mettre en place ce dispositif pour atteindre le niveau d’émissions permettant de passer avec succès les tests d’homologation. L’affaire est aujourd’hui entre les mains du parquet de Paris, qui a désigné des juges d’instruction.

Parallèlement, nous avons mené des investigations auprès des autres constructeurs qui commercialisent une partie des véhicules en France, sous leur marque. Nous avons également participé aux travaux de la commission d’enquête indépendante, sous la houlette du ministère de l’environnement. Compte tenu des résultats des tests communiqués par l’UTAC sur les véhicules sélectionnés par la commission d’enquête, il nous a semblé que d’autres situations méritaient un examen approfondi.

C’est ce qui nous a amenés à nous intéresser plus particulièrement au constructeur Renault ; les résultats transmis par l’UTAC marquant un gros écart par rapport aux résultats des tests, dans le cadre de la procédure normalisée de l’homologation.

Nous avons donc auditionné, en lien avec le ministère de l’environnement, les représentants de Renault. Il nous a semblé utile de compléter les éléments que Renault nous avait spontanément remis à la fin de l’année 2015 par une perquisition, qui a eu lieu le 7 janvier 2016, au siège de Renault, dans un centre technique et au Technocentre. Les éléments que nous avons recueillis dans le cadre de cette perquisition sont en cours d’examen.

Lors d’une perquisition, nous pouvons prélever des documents papier, mais également des éléments de la messagerie des cadres et des agents qui travaillent chez Renault. Ces perquisitions sont faites « en bloc », sachant qu’au niveau de la messagerie, nous ne pouvons pas faire usage, dans le cadre de notre enquête, de la correspondance de l’entreprise avec ses avocats.

Nous collectons l’ensemble des éléments de la messagerie qui nous paraissent avoir un lien possible avec notre enquête, puis nous vérifions, pièce par pièce, s’ils relèvent des échanges ou de la correspondance avec les avocats du groupe, auquel cas nous devons les retirer de l’ensemble des éléments sur lesquels nous pouvons appuyer notre enquête. Nous effectuons ce tri en présence des représentants de Renault et de leurs avocats.

Nous en sommes aujourd’hui à la phase d’audition d’un certain nombre de personnels de Renault, à qui nous demandons des explications complémentaires sur certaines pièces nécessaires à notre enquête. Les auditions des cadres de Renault, en présence des avocats de l’entreprise, ont commencé mi-mars et se poursuivent aujourd’hui.

La commission d’enquête indépendante pourrait se réunir dans quelques jours. Si la date est confirmée, il pourrait y avoir d’autres réunions, au cours desquelles de nouveaux résultats concernant d’autres constructeurs pourraient être communiqués, ce qui veut dire que nous pourrions être amenés à poursuivre nos investigations auprès de ces constructeurs.

La commission a auditionné Renault, ainsi que d’autres constructeurs, tels que Mercedes, Ford ou Opel, sur les dépassements des normes d’émissions polluantes et les écarts par rapport aux résultats des tests d’homologation.

En ce qui concerne l’articulation de ces actions nationales avec des actions menées dans un cadre plus large, une réunion de coopération entre les autorités judiciaires des États de l’Union européenne, sous l’égide d’Eurojust, s’est tenue le 10 mars dernier.

Sur les vingt-huit États membres, dix-neuf pays ont assisté à cette réunion, qui a permis un premier échange de vues, en particulier entre les autorités judiciaires françaises et allemandes, s’agissant notamment de l’articulation entre les procédures nationales de chacun des deux pays, afin de savoir s’il n’y avait pas empiètement ou chevauchement.

Il y a, en particulier, une règle selon laquelle on ne peut pas juger deux fois un auteur suspecté d’une infraction pour les mêmes faits. Un premier examen a eu lieu pour déterminer s’il y avait chevauchement entre les procédures françaises et les procédures allemandes et s’il était nécessaire de revoir le périmètre de l’une ou de l’autre.

Une réflexion est en cours sur ce sujet. Il semble qu’il n’y ait pas chevauchement, ce qui veut dire que la coopération entre les autorités judiciaires françaises et allemandes va se poursuivre, notamment pour clarifier le contour des procédures de l’un et l’autre pays.

J’en viens à une question que vous m’avez posée indirectement tout à l’heure.

Le cadre juridique qui s’applique n’est pas tout à fait le même dans l’ensemble des pays de l’Union européenne.

Dans certains pays, par exemple, il est possible de poursuivre les personnes morales, dans d’autres, de poursuivre les personnes morales ou les personnes physiques. Les moyens d’action ne sont donc pas harmonisés sur le territoire de l’Union européenne, ce qui incite à poursuivre les échanges entre les autorités judiciaires.

C’est un peu la même chose pour le droit de la consommation, même s’il est déjà très largement harmonisé. Cela étant, s’il existe un socle minimal identique dans les différents États de l’Union européenne, le cadre juridique peut être plus ou moins fourni selon les pays. Par conséquent, les moyens d’action peuvent aussi différer d’un pays à l’autre.

En ce qui concerne nos homologues, nous avons eu un premier contact avec les autorités de protection des consommateurs, mais les autorités de surveillance du secteur automobile ne sont pas forcément nos homologues au quotidien, s’agissant notamment de la protection des intérêts économiques des consommateurs. Nombre de mes homologues s’occupent de la protection des intérêts financiers des entreprises, par exemple, mais pas des questions de sécurité. Nos homologues, je le répète, ne sont pas toujours les personnes avec lesquelles nous échangeons quotidiennement.

La Commission européenne réunit, une fois par semestre, les autorités de protection des consommateurs, au sens générique du terme. Il est ressorti des échanges que nous avons eus que peu de pays avaient lancé des investigations aussi larges et approfondies que celles que nous avons menées, en tant qu’autorité de protection des consommateurs.

En ce qui concerne la remise en conformité des véhicules, nous ne sommes pas, dans le cadre des responsabilités actuelles. L’autorité de surveillance du marché des véhicules, c’est le ministère de l’environnement qui en a la charge, comme il a celle du contrôle de la conformité des véhicules qui sortent des lignes de fabrication françaises, sur la base des homologations qui leur sont, d’ailleurs, délivrées par ce ministère.

Aujourd’hui, nous ne sommes pas compétents en la matière, c’est-à-dire que nous n’exerçons pas de surveillance sur la mise en conformité des véhicules, même si nous faisons régulièrement le point, en lien avec le ministère de l’environnement, avec certains des constructeurs – notamment Volkswagen – pour savoir s’ils ont rappelé les véhicules pour les remettre en conformité, et à quel rythme.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Était-il fréquent, auparavant, que la DGCCRF diligente des contrôles sur le secteur automobile en général ? Y avait-il déjà eu une procédure concernant les émissions polluantes ?

Nous souhaiterions également connaître votre interprétation du règlement européen sur ce qu’est un dispositif d’invalidation. Volkswagen considère qu’il y a une différence de réglementation entre les États-Unis et l’Europe. Pourtant, le règlement européen interdit explicitement les dispositifs d’invalidation.

Par ailleurs, avez-vous les moyens de contrôler les codes sources ? Compte tenu de l’augmentation de l’informatique embarquée et des évolutions futures concernant le véhicule connecté et le véhicule autonome, disposez-vous des compétences et des moyens techniques nécessaires dans ce domaine ?

En ce qui concerne vos procédures et votre ministère de tutelle, lorsqu’une enquête administrative est diligentée par la DGCCRF, le ministère est-il informé ? Ou bien s’agit-il de contrôles en propre ?

Vous dites que vous n’avez pas les moyens d’effectuer les contrôles et que vous vous adressez à l’UTAC, un organisme qui a potentiellement homologué les véhicules sur lesquels vous diligentez des investigations. Estimez-vous nécessaire qu'à l’avenir, la DGCCRF dispose en propre de moyens de contrôle et de mesure complets, concernant la question des émissions polluantes ? Faute de quoi, cette problématique renvoie à la question du statut de l’UTAC et des moyens existants.

En ce qui concerne les évolutions des cadres réglementaires et des procédures de contrôle, il se pose la question d’instituer un contrôle indépendant aléatoire dans la vie du véhicule en conditions réelles de circulation. La DGCCRF pourrait-elle effectuer ce contrôle, comme le fait l’Environmental protection agency (EPA) aux États-Unis ? Quelle est, pour vous, la plus-value de la commission Royal ?

Le périmètre des clauses contractuelles dans la réglementation en vigueur en Europe semble assez faible. Estimez-vous que ces clauses contractuelles doivent être enrichies et développées afin de clarifier le cadre juridique dont relèvent les engagements des constructeurs vis-à-vis des consommateurs ?

M. Denis Baupin. Que risque Volkswagen, une fois le dossier transmis au parquet ? Quelle est la suite de la procédure ? Quelle est la pénalité maximale encourue, au regard de la fraude que vous dites avérée ?

Vous avez diligenté une perquisition chez Renault, suite aux chiffres fournis par l’UTAC, qui ont été l’élément déclencheur. Ce n’est pas la version la plus courante qui a été donnée de cette affaire. Pouvez-vous nous dire quel est aujourd’hui l’objectif de l’enquête ? Que cherchez-vous ? Un logiciel truqueur, comme celui trouvé chez Volkswagen ?

Par ailleurs, des chiffres anormaux ayant été mis en évidence chez d’autres constructeurs que Renault, avez-vous également mené une enquête ou diligenté des perquisitions chez Mercedes, Ford ou Opel, par exemple ?

Mme Nathalie Homobono. Les résultats communiqués à la commission indépendante sont, pour nous, des éléments extrêmement importants. Ils révèlent des écarts importants entre les résultats des tests d’homologation et les résultats communiqués par l’UTAC dans le cadre de nouveaux tests, ce qui nous amène à approfondir notre enquête.

Dans ce cas, nous demandons, dans un premier temps, des explications plus précises au constructeur – nous avons procédé de la même façon avec Volkswagen et avec Renault. Si nous jugeons les arguments suffisamment probants, nous pouvons en rester là. Si nous considérons que les éléments qui nous sont fournis appellent des explications complémentaires, cela peut déclencher une perquisition. Autrement dit, les écarts constatés entre les deux formes de tests et des explications insuffisantes de la part des représentants du constructeur sont les deux facteurs déclencheurs d’une perquisition.

À ce jour, il y a eu deux perquisitions, l’une chez Volkswagen, l’autre chez Renault.

J’en viens aux peines encourues par Volkswagen pour tromperie. Le code de la consommation prévoit, pour les personnes physiques, des peines d’emprisonnement jusqu’à deux ans et des peines d’amendes jusqu’à 300 000 euros, contre 1,5 million d’euros pour les personnes morales, amende qui peut être portée jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires moyen annuel calculé sur les trois dernières années.

Mme Delphine Batho, rapporteure. C’est donc la loi Hamon qui s’applique.

Mme Nathalie Homobono. Absolument. Le ministre avait considéré que les peines antérieures n’étaient pas proportionnées aux profits illicites et retirés de ces pratiques. Aujourd’hui, la peine d’amende peut être très élevée.

Par ailleurs, la lecture juridique que nous faisons aujourd’hui du règlement européen et des directives qui encadrent la réception des véhicules amène à la conclusion que les dispositifs d’invalidation sont interdits. Cette lecture est la nôtre, mais la justice française en fera peut-être une autre.

Nous avons réalisé, dans le passé, très peu d’enquêtes sur les véhicules, notamment parce que nous ne sommes pas une autorité de surveillance du marché. Nous avons été conduits à mener une enquête, dans un passé relativement récent, à la demande d’un ministre – qui n’était pas le ministre de tutelle de la DGCCRF –, qui voulait obtenir des clarifications sur les performances des véhicules, notamment en matière de consommation. Cette demande faisait suite à des soupçons émis par les autorités du continent nord-américain.

Notre enquête a abouti à la conclusion qu’il pouvait y avoir des écarts entre les tests normalisés prévus par la réglementation européenne pour l’homologation et les résultats concernant la consommation des véhicules en conditions réelles de circulation.

Dans la mesure où nous ne sommes pas une autorité de surveillance du marché, nous ne sommes dotés ni de compétences techniques ni de moyens techniques pour exercer un contrôle. Aujourd’hui, nous ne disposons pas de moyens d’expertise des logiciels, voire des codes sources.

Dans le cas de Volkswagen, nous avions déjà des éléments pour nous guider. Notre travail s’en est trouvé facilité, mais nous n’avons pas d’expertise particulière dans ce domaine.

Nous n’avons pas non plus de moyens de contrôle en propre pour procéder à des tests en dehors de l’UTAC. Si vous avez auditionné des représentants de l’UTAC, ils vous ont probablement indiqué le coût des matériels. Il faut, en outre, des infrastructures spécifiques et des experts en la matière.

Si nous devions être amenés à confier des contrôles à une autre entité que l’UTAC, je ne vois pas d’autre possibilité que les laboratoires notifiés par les États de l’Union européenne. Je ne suis pas sûre que ce soit la meilleure option, sauf à avoir un doute sur les conditions dans lesquelles l’UTAC aurait mis en œuvre ces contrôles. Cela étant, je ne dispose d’aucun élément qui me conduise à m’interroger sur ce point.

Les autorités se sont donc légitimement tournées vers l’UTAC pour refaire les contrôles, d’autant que les autorités n’ignorent pas que les tests normalisés qui existent aujourd’hui dans le cadre de l’homologation ne sont pas représentatifs des émissions atmosphériques ni de la consommation en conditions réelles d’utilisation des véhicules.

J’en viens à la façon dont nous procédons lorsque nous décidons de lancer une enquête.

La DGCCRF a un large pouvoir d’initiative. Autrement dit, nous réalisons, de notre propre initiative, de très nombreuses enquêtes au cours de l’année, soit pour vérifier que les évolutions réglementaires sont comprises et connues des professionnels, soit parce que nous avons reçu de nombreuses réclamations ou plaintes de consommateurs ou de tiers, soit parce que nous relançons régulièrement des investigations dans des secteurs donnés, afin de nous assurer que le cadre législatif et réglementaire est respecté.

Pour lancer des investigations de ce type, il me semble souhaitable d’en informer préalablement le ministre. Pour répondre à l’objectif de cette enquête, je lui avais fait part, suite aux événements révélés par l’EPA, de la nécessité, à nos yeux, de lancer des investigations sur les véhicules vendus sur le territoire national et une enquête auprès de l’ensemble des constructeurs qui commercialisent ces véhicules. Une fois informé, le ministre n’a formulé ni suggestion ni réserve sur cette enquête, que nous avons donc menée.

Mme Delphine Batho, rapporteure. L’enquête que vous avez engagée en septembre était donc bien à l’initiative de la DGCCRF ?

Mme Nathalie Homobono. En effet, c’est nous qui avons pris l’initiative de la mener, mais il m’a paru légitime d’en informer le ministre.

En ce qui concerne les clauses contractuelles, il me semble que vous voulez savoir si nous avons fait une lecture des contrats de vente aux particuliers…

Mme Delphine Batho, rapporteure. Les émissions de NOx, par exemple, font l’objet d’une clause contractuelle aux États-Unis. On informe l’automobiliste qui achète une voiture de ses performances, y compris en matière d’émissions de NOx, ce qui n’est pas le cas en Europe.

Mme Nathalie Homobono. Je ne peux pas vous apporter de précisions sur ce sujet.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Lorsque nous avons auditionné les associations de consommateurs, leurs représentants nous ont dit qu’il était difficile, voire impossible, en Europe, de lancer une action de groupe se fondant sur des clauses contractuelles qui n’existent pas – je pense notamment à l’affaire Volkswagen.

Mme Nathalie Homobono. Dont acte.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Quel est, selon vous, à l’avenir, le rôle de la DGCCRF ? Certains proposent la création d’une agence européenne et un contrôle effectué par les pairs des services d’homologation. Quoi qu’il en soit, la question se pose du contrôle a posteriori et aléatoire, comme vous le faites dans d’autres secteurs. Selon vous, la DGCCRF pourrait-elle jouer un rôle, voire chapeauter la question du contrôle aléatoire a posteriori, chaque année, d’un certain nombre de véhicules en circulation pour vérifier qu’ils sont conformes à la procédure d’homologation ?

M. Denis Baupin. Vous n’avez pas répondu, madame Homobono, à ma question concernant l’objectif de votre enquête chez Renault.

Vous avez dit que vous n’enquêtiez pas si vous estimiez que les arguments étaient probants. Pour avoir assisté notamment à l’audition des représentants de Mercedes, je puis vous dire que les arguments présentés ne m’ont en rien semblé probants. De votre côté, vous avez peut-être d’autres éléments.

Par contre, Renault nous a fourni des explications relativement transparentes sur le dispositif mis en place, lequel ne fonctionne que lorsque la température extérieure est supérieure à dix-sept degrés, ce qui semble très restrictif au regard des températures que nous connaissons quotidiennement dans une ville comme Paris ! Cela signifie que le système de dépollution ne fonctionne qu’entre 15 et 20 % du temps, ce qui n’est pas du tout satisfaisant. Cela étant, nous avons eu une explication claire.

Compte tenu de ces éléments de réponse, est-il nécessaire, selon vous, de poursuivre l’enquête pour comprendre le fonctionnement du dispositif ? Estimez-vous qu’un dispositif qui ne fonctionne que peu de temps dans l’année constitue une forme de fraude ? Ou bien cherchez-vous d’autres éléments ?

Mme Nathalie Homobono. En ce qui concerne ce cas précis, ne suis pas en mesure de vous répondre.

L’objectif de notre enquête était de vérifier si les autres constructeurs avaient mis en place des logiciels ou d’autres dispositifs ayant pour but de fausser les résultats des tests normalisés et d’obtenir l’homologation. Compte tenu de l’affaire Volkswgen, nous avons anticipé les questions qui pourraient se poser, concernant les autres constructeurs qui vendent des véhicules sur le territoire national, car il nous faut déterminer s’il y a eu volonté manifeste de tromper les autorités d’homologation, et donc, les acquéreurs des véhicules.

En ce qui concerne Renault, nous n’avons pas été tout à fait convaincus par les arguments de ses représentants, ce qui nous a amenés à lancer une perquisition. Nous sommes en train d’exploiter les éléments recueillis au cours de cette perquisition, afin de déterminer si tel ou tel dispositif a une utilité en conditions réelles de circulation du véhicule, ou un objet plus circonscrit. C’est sur ces points que nous interrogeons les représentants et les salariés de l’entreprise.

S’agissant de la mise en place de contrôles a posteriori, nous ne sommes pas des experts en la matière. Nous ne sommes donc pas les mieux placés.

N’étant pas l’autorité de surveillance du marché et n’ayant ni expertise technique particulière ni moyens spécifiques à faire valoir, nous considérons qu’il est préférable d’en rester au partage actuel des responsabilités.

En revanche, s’il était nécessaire de mener une enquête en complément de contrôles a posteriori, nous nous joindrions volontiers aux investigations menées par nos collègues, s’agissant de sujets qui relèvent du domaine de compétence de la DGCCRF, comme la protection économique des consommateurs. En ce qui concerne l’aspect technique, nous considérons que nous n’avons pas d’expertise et que cela ne justifie pas de faire évoluer la répartition des responsabilités.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Avez-vous ces compétences dans d’autres domaines du droit de la consommation ?

Si j’ai bien compris, vous pensez qu’on doit vous adresser les suspicions de fraude, à la suite de quoi vous intervenez, mais qu’il doit y avoir une autorité de surveillance en propre.

Cela étant, exercez-vous cette fonction de surveillance et de contrôle dans d’autres domaines ?

Mme Nathalie Homobono. Oui, dans des domaines où nous avons l’expertise. Nous sommes une autorité de surveillance du marché pour des produits autres qu’alimentaires. L’essentiel de notre action est de faire des prélèvements. C’est la même démarche que celle consistant à faire des contrôles a posteriori de manière aléatoire.

Nous avons contrôlé des jouets, des équipements de protection individuelle et de nombreux autres produits qui demandent une expertise technique.

En ce qui concerne les jouets, nous avons acquis cette expertise au fil du temps et nous l’entretenons puisque notre programme de contrôle est annuel.

S’agissant des équipements de protection individuelle, nous avons un certain nombre de repères et de réflexes. Les enquêteurs savent à peu près quels équipements peuvent poser problème.

En outre, nous avons recours à des laboratoires pour faire des tests sur les équipements et vérifier si nos interrogations, voire nos suspicions, sont fondées.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Vous dites que vous n’avez ni les moyens ni l’expertise technique, mais personne d’autre ne les a. Le contrôle a posteriori étant inexistant, à l’exception du service d’homologation, il va falloir se doter de moyens de contrôle et d’expertise qui n’existent pas aujourd’hui.

Cela étant, même si des moyens nouveaux d’expertise et de contrôle étaient dégagés pour le contrôle a posteriori, vous ne semblez pas penser que le pilotage doive revenir à la DGCCRF…

Mme Nathalie Homobono. Sur des sujets qui évoluent de cette façon, il faut avoir des ressources nombreuses qui entretiennent les compétences. Vous avez raison de dire qu’aujourd’hui, ce sont essentiellement les services d’homologation, soit les équipes de l’UTAC, soit les constructeurs, qui ont cette expertise. Elle repose sur peu de personnes et elle doit être très régulièrement entretenue pour rester viable.

Je me suis occupée, autrefois, de l’homologation des véhicules. C’est un sujet sur lequel, pour rester pertinent, il faut rester très affûté dans la durée.

M. Denis Baupin. En ce qui concerne Renault, vous avez dit que les dispositifs d’invalidation étaient proscrits.

En l’occurrence, les constructeurs ont indiqué que, s’ils faisaient fonctionner le système de dépollution à une température inférieure à dix-sept degrés, ils risqueraient de casser le moteur et que la directive prévoyait, s’il y avait un risque de porter atteinte au véhicule, la possibilité de ne pas faire fonctionner le système de dépollution. Or même s’il n’est pas fait pour tromper, ce logiciel indique qu’il fait dix-sept degrés et, de fait, empêche la mise en œuvre du système de dépollution.

Où est la limite entre un logiciel conçu pour contourner la réglementation et un logiciel créé pour que le système de dépollution ne fonctionne qu’une partie du temps, et notamment pendant les tests d’homologation ? Existe-t-il une jurisprudence sur ce point ? Une part de subjectivité ?

Mme Nathalie Homobono. Il n’y a, à ma connaissance, que très peu de jurisprudence en la matière. Elle va s’établir à la faveur des procédures qui seront examinées par la justice, en s’appuyant, notamment, sur le procès-verbal de tromperie que nous avons dressé à l’encontre de Volkswagen, et peut-être sur d’autres actions que nous mènerons par la suite.

Nous faisons d’abord une enquête administrative. Il nous faut réunir des preuves ou un faisceau de présomptions, qui peuvent nous amener à considérer qu’il y a, soit des dispositifs qui visent à améliorer, par exemple, les émissions, soit des dispositifs dont l’unique objectif est de fausser les résultats des tests d’homologation. Par conséquent, il y a une part d’appréciation dans notre analyse, mais nous essayons d’avoir un standard de preuves assez robuste et des éléments concordants.

Quoi qu’il en soit, c’est la justice qui donnera les suites qu’elle jugera utiles, en considérant que notre analyse est pertinente ou en portant une appréciation différente de la nôtre.

À ce stade, les questions qui se posent concernent des dispositifs qui existent sur les véhicules Renault. Il s’agit de savoir s’ils sont exclusivement destinés à passer avec succès les tests d’homologation ou bien s’ils sont, notamment, utiles dans ce cadre, mais aussi d’une façon plus générale.

Nous devrons également nous forger notre propre appréciation sur des éléments complémentaires, qui ne sont pas uniquement de nature technique.

Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Je rappelle que notre commission n’est pas une commission d’enquête, mais qu’elle a néanmoins vocation à travailler sur l’offre automobile française dans son acception la plus large. Aussi, madame la directrice générale, je vous remercie pour cet exposé général.

La séance est levée à treize heures cinq.

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Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

Réunion du mardi 5 avril 2016 à 12 heures

Présents. - Mme Delphine Batho, M. Jean-Marie Beffara, M. Gérard Menuel, Mme Sophie Rohfritsch

Excusés. - M. Yves Albarello, M. Jean-Pierre Maggi