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Mission d’information sur les relations politiques et économiques entre la France et l’Azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au Sud Caucase

Jeudi 13 octobre 2016

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 002

Présidence de M. François Rochebloine Président

– Audition de Mme Florence Mangin, directrice de l’Europe continentale au ministère des affaires étrangères

Audition de Mme Florence Mangin, directrice de l’Europe continentale au ministère des affaires étrangères

La séance est ouverte à onze heures.

Présidence de M. François Rochebloine, président



M. le président François Rochebloine.
 Pour cette première audition organisée par notre mission, nous avons le plaisir d’accueillir Mme Florence Mangin, directrice de l’Europe continentale au ministère des affaires étrangères.

L’objet de la mission est de faire le point sur les relations politiques et économiques entre la France et l’Azerbaïdjan au regard des objectifs de développement de la paix et de la démocratie au Sud-Caucase. Bien entendu, il s’agit d’aborder tant ce qui favorise que ce qui défavorise l’atteinte de ces objectifs.

Vos compétences, madame la directrice, vous mettent à même de nous donner un état synthétique desdites relations bilatérales, que ce soit sous leur aspect politique, entendu au sens large, ou sous leur aspect économique. Sans limiter aucunement votre liberté de parole, je précise que la mission entendra cet après-midi Mme Sandrine Gaudin, chef de service à la direction générale du Trésor.

Vous ne serez pas étonnée que j’exprime la préoccupation de la mission quant à la situation des droits de l’Homme en Azerbaïdjan et que je souhaite connaître l’appréciation portée officiellement par la France à ce sujet.

Enfin, même si ce n’est pas le sujet central des travaux de la mission, j’imagine que vous ne manquerez pas d’évoquer la politique menée par la France dans le Caucase du Sud, notamment, mais pas exclusivement, dans le cadre du groupe de Minsk.

Mme Florence Mangin, directrice de l’Europe continentale au ministère des affaires étrangères. La France et l’Azerbaïdjan entretiennent depuis 1992 des relations d’amitié et de coopération, qui sont en constant développement. Je n’entrerai pas dans le détail de ces relations secteur par secteur, dans la mesure où d’autres auditions vous apporteront un éclairage en la matière. Je suis néanmoins à votre disposition pour répondre à vos questions à ce sujet. Avant de vous exposer les principaux enjeux politiques de la relation franco-azerbaïdjanaise, je crois utile de vous présenter le contexte régional et de rappeler les objectifs de notre action dans le Caucase du Sud.

L’Azerbaïdjan est le pays le plus étendu et le plus peuplé du Caucase du Sud, bande montagneuse qui relie la mer Noire à la mer Caspienne. Géographiquement proche de l’Europe, cette région revêt une importance stratégique à plusieurs titres. Il ne s’agit pas seulement des ressources en hydrocarbures qui s’y trouvent ou y transitent, et qui garantissent la diversification de l’approvisionnement énergétique de l’Europe. Il s’agit, plus généralement, des défis de sécurité que pose cette région, mosaïque de peuples, de religions et de cultures, située au carrefour des influences des puissances voisines, qui font par ailleurs beaucoup parler d’elles à l’échelle mondiale.

Premier voisin important : la Russie. Ancienne puissance tutélaire, elle est toujours présente militairement dans les provinces sécessionnistes de la Géorgie ainsi qu’en Arménie, où elle entretient une base militaire et assure la protection de la frontière turco-arménienne. Elle est le quatrième partenaire commercial de l’Azerbaïdjan et le premier de l’Arménie, laquelle a par ailleurs adhéré à l’Union économique eurasiatique en 2015.

Deuxième puissance voisine : la Turquie. Elle est un partenaire stratégique de l’Azerbaïdjan, auquel elle est liée par la proximité linguistique et culturelle. Elle est aussi son premier fournisseur. Ankara suit de très près le conflit du Haut-Karabagh, dont la résolution constitue une condition à la normalisation de ses relations avec l’Arménie. La position géographique de la Turquie en fait le débouché des routes et des ressources caucasiennes vers l’Europe.

Troisième puissance régionale : l’Iran. Il compte une communauté azérie estimée à 25 millions de personnes, soit plus qu’en Azerbaïdjan même. Bakou et Téhéran entretiennent des relations complexes, ce qui tient en partie au fait que ces deux pays à majorité chiite ont des modèles politiques radicalement différents. L’Iran constitue actuellement le seul débouché méridional de l’Arménie et souhaite profiter de sa réintégration dans la communauté internationale après la signature de l’accord sur le nucléaire l’an dernier pour promouvoir son projet d’axe nord-sud transitant par le Caucase du Sud.

En conséquence de cet enchevêtrement d’enjeux locaux et régionaux et de la dislocation brutale de l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS) en 1991, la région est marquée par trois conflits territoriaux non résolus, appelés parfois improprement « conflits gelés ». Le plus virulent d’entre eux est celui du Haut-Karabagh, qui oppose, depuis 1988, l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Notre pays est directement impliqué dans sa résolution depuis 1992, d’abord en tant que membre, puis, à partir de 1997, en qualité de coprésident du groupe de Minsk de l’OSCE, qui est chargé de la médiation entre les parties. Notre rôle de médiateur nous impose un devoir rigoureux d’équilibre et d’impartialité entre lesdites parties.

En avril dernier, nous avons pu voir à quel point la qualification de « conflit gelé » était impropre en ce qui concerne le Haut-Karabagh : les affrontements qui s’y sont déroulés ont été si violents qu’on les a qualifiés de « guerre des quatre jours ». Sans l’action diplomatique menée par la coprésidence du groupe de Minsk, qui a permis de rétablir un certain calme sur le terrain, les affrontements auraient pu conduire à une crise grave qui, impliquant d’une façon ou d’une autre la Russie et la Turquie, aurait pris, dès lors, une tout autre ampleur. Malgré la reprise des négociations entre Bakou et Erevan en juin dernier, ce risque demeure, et je crains qu’il ne soit en train de s’aggraver après la relative accalmie de cet été. Le coprésident français du groupe de Minsk évoquera de manière plus détaillée la situation actuelle au Haut-Karabagh lorsque vous l’auditionnerez. Pour ma part, en ce qui concerne les relations bilatérales, je considère que la persistance de ce risque rend d’autant plus nécessaire le maintien de rapports de confiance tant avec l’Azerbaïdjan qu’avec l’Arménie, afin que nous puissions poursuivre de manière efficace et crédible notre travail de co-médiation.

Tel est le contexte régional dans lequel évoluent nos relations avec les trois États du Caucase du Sud. L’enjeu pour nous, depuis la disparition de l’URSS, est de contribuer à la stabilité de cette région en accompagnant chacun de ces pays vers la démocratie et le développement. Il s’agit également de favoriser la résolution négociée des conflits – je l’ai dit –, la coopération régionale et un partenariat aussi étroit que possible entre ces pays et l’Union européenne.

J’en viens à la relation bilatérale franco-azerbaïdjanaise. Je la présenterai en abordant successivement trois thèmes : le dialogue, les échanges et l’influence.

Le dialogue politique constitue le premier pilier de nos relations avec l’Azerbaïdjan. Les visites et les entretiens bilatéraux sont réguliers. Nous vous en avons communiqué une liste exhaustive, qui figure aussi sur le site internet du ministère.

Pour m’en tenir à l’année en cours, le Président de la République s’est entretenu avec son homologue azerbaïdjanais le 9 juillet en marge du sommet de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) à Varsovie. Il a mis à profit cette occasion pour s’entretenir également avec son homologue arménien. Au niveau ministériel, le ministre azerbaïdjanais des affaires étrangères a effectué deux visites à Paris cette année, en mai et septembre, au cours desquelles il s’est entretenu avec le ministre des affaires étrangères et avec le secrétaire d’État chargé des affaires européennes, M. Harlem Désir. Celui-ci s’était rendu à Bakou le 26 avril pour des entretiens avec le président et le ministre azerbaïdjanais des affaires étrangères. J’ajoute que le dialogue par le biais des deux ambassades est très régulier.

Ce dialogue est franc et ouvert à tous les niveaux. Il porte non seulement sur l’ensemble de nos échanges et de notre coopération, mais aussi sur les questions de démocratie et de droits de l’Homme : le porte-parole du Quai d’Orsay est intervenu régulièrement sur ces questions au cours des derniers mois et des dernières années – je tiens la liste de ses prises de position à votre disposition. En outre, la France mène avec l’Azerbaïdjan un dialogue intense et discret à ce sujet au plus haut niveau politique : le Président de la République a écrit à son homologue azerbaïdjanais à plusieurs reprises, notamment au sujet de Leyla et Arif Yunus. Ces questions font partie de notre relation bilatérale. Nous les abordons sans tabou, avec calme et sérénité. Cette sérénité fait que nos messages sont, je crois, appréciés et écoutés.

Je précise que, compte tenu de notre rôle de coprésident du groupe de Minsk, nous veillons toujours à maintenir, autant que possible, un équilibre dans notre dialogue avec Bakou et Erevan. Nous avons été particulièrement attentifs au respect de ce principe dans la période qui a suivi la « guerre des quatre jours » : le secrétaire d’État chargé des affaires européennes avait fait précéder son déplacement à Bakou le 26 avril d’une étape à Erevan ; selon le même principe d’équilibre, les ministres des affaires étrangères arménien et azerbaïdjanais ont eu, l’un et l’autre, des entretiens au Quai d’Orsay en mai et en septembre.

Deuxième pilier de notre relation bilatérale : les échanges économiques, sur lesquels Mme Sandrine Gaudin reviendra certainement de manière plus précise cet après-midi. Le volume de notre commerce bilatéral avec l’Azerbaïdjan est important : il a atteint 1,3 milliard d’euros en 2015, chiffre néanmoins en légère baisse par rapport à 2014 en raison de la crise économique qui touche le pays. Notre balance commerciale est clairement déficitaire, à cause du poids de nos importations d’hydrocarbures, qui s’élèvent à 1,1 milliard d’euros.

Malgré ce déficit, la France est un investisseur important en Azerbaïdjan : en 2014, elle a été la cinquième source d’investissements directs étrangers dans ce pays. Je citerai quelques secteurs dans lesquels les entreprises françaises sont présentes et actives. Dans le secteur de l’énergie, Total participe au développement du gisement gazier offshore d’Apchéron. Le secteur des transports a représenté le tiers de nos exportations en 2015, notamment avec la fourniture de 150 bus Iveco et de trois rames de métro Alstom à la ville de Bakou. Dans le secteur de l’environnement, Suez a signé en 2014 un contrat de formation et de transfert de savoir-faire avec la compagnie nationale de l’eau Azersu. Enfin, le secteur des produits chimiques, parfums et cosmétiques constitue également un poste important de nos exportations.

La conjoncture est devenue moins favorable du fait des difficultés budgétaires que connaît l’Azerbaïdjan en conséquence de la chute du prix des hydrocarbures. Cependant, la volonté des autorités azerbaïdjanaises de diversifier leur économie ouvre des perspectives intéressantes pour notre diplomatie économique. Notre ambassadrice, que vous auditionnerez prochainement, est très active en la matière. De nombreuses entreprises françaises ont marqué leur intérêt pour ce processus de diversification, qui prendra du temps, mais correspond à un vrai besoin de l’économie azerbaïdjanaise.

Il va de soi que l’activité de nos entreprises est totalement compatible avec nos obligations internationales, notamment l’embargo décrété par l’OSCE sur les ventes d’armes destinées aux forces engagées dans le conflit du Haut-Karabagh.

Troisième pilier de notre relation avec l’Azerbaïdjan : la politique d’influence. Elle a connu un essor tout à fait significatif au cours des cinq dernières années, sous l’impulsion directe des chefs d’État français et azerbaïdjanais. La coopération culturelle et universitaire recèle encore un fort potentiel. Je citerai deux réalisations emblématiques de la qualité de notre relation dans ce domaine. En 2013 a été inauguré le lycée français de Bakou, établissement homologué par la Mission laïque française, qui compte aujourd’hui une centaine d’élèves et pourrait en accueillir, à terme, trois cent cinquante. Le 15 septembre dernier, le ministre azerbaïdjanais de l’éducation et notre ambassadrice à Bakou ont inauguré l’Université franco-azerbaïdjanaise (UFAZ), qui sera pilotée, du côté azerbaïdjanais, par l’Université du pétrole et de l’industrie de Bakou et, du côté français, par l’université de Strasbourg, qui définira les programmes et fournira les enseignants. De même qu’en Arménie, où l’Université française d’Arménie (UFAR) a considérablement renforcé notre présence dans le milieu universitaire, nous espérons que l’UFAZ pourra contribuer à la formation des élites et pérenniser l’influence française en Azerbaïdjan.

Au titre de l’influence, je mentionne également la coopération décentralisée, révélatrice du développement et de la diversification de notre relation avec l’Azerbaïdjan. Depuis 2012, treize accords de coopération ont été signés entre des collectivités azerbaïdjanaises et françaises, parmi lesquelles Cognac, Mulhouse, Chablis, Megève, Colmar, Évian-les-Bains et le département de l’Yonne, pour ne citer que les plus récents. Un comité de pilotage, dont la création a été décidée par les deux gouvernements en novembre 2015, doit débuter ses travaux d’ici à la fin de l’année, pour donner de la cohérence et une plus grande visibilité à cette coopération. Au regard des partenariats déjà engagés, nous escomptons que le développement de la coopération décentralisée permettra la diversification de nos échanges et de notre influence dans quatre domaines principaux : le tourisme, l’agriculture, l’éducation et la formation professionnelle, la valorisation du patrimoine culturel. Telles sont les pistes sur lesquelles nous travaillons en liaison avec les collectivités territoriales.

Pour conclure, permettez-moi de rappeler les enjeux politiques de notre relation bilatérale avec l’Azerbaïdjan : maintenir un dialogue régulier et global pour promouvoir notamment la démocratie et la paix, à commencer par la résolution du conflit du Haut-Karabagh et la réconciliation arméno-azerbaïdjanaise ; développer et diversifier nos échanges à un moment où l’Azerbaïdjan réfléchit au modèle qu’il souhaite adopter à l’ère du « post-pétrole » ; conforter notre influence à long terme, car la paix et la démocratie sont inévitablement des enjeux à long terme. Ces éléments constituent le dénominateur commun de notre présence et du rôle que nous voulons jouer, à l’échelle de nos moyens, dans cette région.

M. le président François Rochebloine. Merci, madame la directrice. J’ai un certain nombre de questions complémentaires.

Quel est l’impact des considérations de politique énergétique – sécurité et maîtrise de la production, conditions d’exportation – dans le rapprochement récemment annoncé entre Ankara et Moscou, au-delà de la construction d’un gazoduc ?

Quel est l’état des relations politiques, d’une part, et économiques, d’autre part, entre les États-Unis et l’Azerbaïdjan ?

Dans un document officiel que vous connaissez sans doute, on peut lire : « La faible diversité de l’économie locale, la vulnérabilité de ses comptes extérieurs aux fluctuations des cours de matières premières, la mauvaise gestion des ressources, la corruption, un climat des affaires difficile et l’absence de concurrence risquent de faire obstacle au développement à long terme du pays. » Que pensez-vous de cette analyse ? À votre connaissance, comment se caractérise la corruption en Azerbaïdjan, notamment dans le domaine des affaires ? Les entreprises françaises ont-elles été mises en garde contre les facteurs de risque énumérés dans cette citation, notamment contre la corruption ?

Parmi les facteurs d’instabilité habituellement mentionnés figurent les différends frontaliers en suspens entre l’Azerbaïdjan et l’Iran, qui portent sur l’application ou la non-application des accords passés entre l’URSS et l’Iran en 1921 et 1940 sur la Caspienne. Qu’en est-il ?

La France est-elle disposée à subordonner la reprise des négociations sur l’accord d’association entre l’Union européenne et l’Azerbaïdjan, suspendues en 2014, à des garanties réelles et sérieuses d’amélioration des droits de l’Homme ?

Quelle appréciation la France porte-t-elle sur la situation des organisations non gouvernementales (ONG) en Azerbaïdjan, notamment au regard de la législation restrictive de 2013 ?

Mme Florence Mangin. Les ONG ne sont pas interdites en Azerbaïdjan, mais elles doivent travailler dans un cadre très strict, qui se traduit, de fait, par un contrôle permanent des autorités sur leurs activités et leur financement. Plusieurs d’entre elles ont été amenées à limiter, voire à suspendre leurs activités, sous la menace de poursuites administratives et judiciaires. Nous notons un durcissement récent de l’attitude des autorités azerbaïdjanaises à l’égard des ONG. Le mois dernier, les ambassades des pays de l’Union européenne représentés à Bakou ont écrit aux autorités azerbaïdjanaises à ce sujet en donnant un certain nombre d’exemples – que je n’ai pas à indiquer ici.

Les discussions sur un nouvel accord entre l’Union européenne et l’Azerbaïdjan, destiné à remplacer l’accord de partenariat et de coopération (APC) de 1996, avaient été suspendues à l’automne 2014 précisément à cause de la situation des droits de l’Homme dans ce pays. Depuis lors, ces relations se sont apaisées, Bakou ayant pris des mesures significatives en faveur de plusieurs personnalités emprisonnées dont le Parlement européen demandait la libération. Le cas le plus emblématique était celui de Leyla et Arif Yunus. Depuis ces libérations, l’Union européenne a décidé de reprendre les travaux. Le 29 février dernier, Mme Federica Mogherini, Haute Représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, s’est rendue à Bakou pour prendre acte de l’amélioration de la situation et relancer la négociation du nouvel accord. Les États membres discutent actuellement du mandat de négociation en groupe de travail. Sans entrer dans le détail – je n’ai pas à le faire –, ces discussions se passent plutôt bien, dans un esprit à la fois cordial et constructif, et nous espérons qu’elles seront achevées d’ici à la fin de l’année. La question des droits de l’Homme fera évidemment partie du vaste éventail des sujets qui seront traités dans l’accord, aux côtés de la gouvernance, de l’État de droit et de la démocratie, car il convient d’adopter une approche large en la matière.

En ce qui concerne la mer Caspienne et les différends à propos de l’application des accords signés en 1921 et 1940 entre l’URSS et l’Iran, deux problèmes distincts, mais liés entre eux, se posent.

Le premier, sans doute le plus important, est la fixation du régime juridique de la mer Caspienne – qui n’est pas couverte, je le rappelle, par la convention des Nations unies sur le droit de la mer, dite convention de Montego Bay. Les cinq États riverains négocient depuis une vingtaine d’années un traité à ce sujet. La dernière étape significative a été la signature, à l’issue du sommet des cinq chefs d’État qui s’est tenu à Astrakhan en septembre 2014, d’une déclaration qui donne les grandes lignes du futur accord. On semble se diriger vers la solution juridique promue par Moscou et Téhéran, à savoir celle d’un condominium sur la mer plutôt que celle d’un partage pur et simple entre les cinq États. Au-delà des 25 milles nautiques à partir des côtes, la déclaration fait référence à une « zone commune », au sein de laquelle les activités d’exploitation du sol et du sous-sol seraient soumises à la règle du consensus ou de l’unanimité. Cela donnerait donc un droit de veto à chaque État, dont la Russie, sur la construction d’oléoducs ou de gazoducs à travers la Caspienne. On voit se dessiner les linéaments d’un accord, mais on peut estimer que les discussions à venir seront difficiles, car un tel droit de veto ne plaît pas nécessairement à tout le monde.

Le deuxième problème est le différend frontalier non résolu qui oppose l’Azerbaïdjan, l’Iran et le Turkménistan au sujet du gisement d’Alov, qui renfermerait d’importantes quantités de gaz naturel. Ce différend constitue un handicap pour les États et les autres partenaires intéressés, car il empêche toute recherche et toute exploitation dudit gisement. Il fait l’objet de discussions relativement discrètes et confidentielles.

S’agissant de la corruption, je vous avoue ne pas connaître le passage que vous avez cité.

M. le rapporteur. Il s’agit d’un extrait de la page de présentation de l’Azerbaïdjan publiée sur le site internet du ministère des affaires étrangères.

Mme Florence Mangin. Le problème de la corruption n’est pas spécifique à l’Azerbaïdjan : on le retrouve assez fréquemment dans la zone que je couvre, des Balkans à la Russie, en passant par l’Asie centrale et le Caucase du Sud. C’est évidemment un problème pour nos entreprises : dans certains cas, alors que les besoins existent et que l’offre française y répond de manière évidente, il arrive que le mauvais climat des affaires, l’absence de transparence et les pratiques de corruption empêchent le développement des contrats en question. J’ai plusieurs cas précis en tête dans des pays de ma zone, mais aucun en Azerbaïdjan en ce moment. Bien évidemment, les entreprises sont informées de la situation par la direction des entreprises du Quai d’Orsay, par Bercy, par Business France et par notre ambassade – Mme Sandrine Gaudin pourra vous en parler mieux que moi. Chaque fois qu’un cas problématique est connu, le réseau de la diplomatie économique se mobilise et pointe très précisément le sujet auprès des acteurs politiques et économiques locaux. La fluidité qui existe désormais entre les différents services concernés fait que nous sommes beaucoup plus efficaces pour intervenir et soutenir nos entreprises, lorsque cela s’avère nécessaire, et que nous pensons que cela peut être utile.

Ces préoccupations figurent évidemment en haut de la liste dans le cadre de notre accompagnement de l’Azerbaïdjan vers l’Union européenne. Nous devrons exercer une vigilance particulière à ce sujet dans le cadre du nouvel accord dont le mandat est en cours de discussion : il faut encourager l’Azerbaïdjan à adopter le maximum de règles de transparence, lesquelles constituent un élément commun à tous les États de l’Union européenne et correspondent à des normes de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ou de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). C’est par ce biais technique et concret que nous pourrons améliorer la situation. Ces règles de transparence n’empêchent pas les pratiques, mais elles les rendent plus compliquées.

La relation entre les États-Unis et l’Azerbaïdjan est très importante, plus importante néanmoins en termes politiques et de sécurité qu’en termes économiques.

L’approche des États-Unis vis-à-vis de l’Azerbaïdjan a très longtemps consisté à tenter de détacher ce pays de l’influence russe, notamment en apportant un soutien politique et probablement financier au GUAM, groupe constitué par la Géorgie, l’Ukraine, l’Azerbaïdjan et la Moldavie, quatre anciennes républiques soviétiques marquées par des différends territoriaux dans lesquels la Russie joue un rôle prépondérant. Aujourd’hui, la politique américaine à l’égard de l’Azerbaïdjan est essentiellement mue par les défis de sécurité dans le Caucase du Sud : Washington se soucie en premier lieu de la sécurité énergétique de ses alliés, mais aussi de la lutte contre les filières et les circuits du terrorisme international, le Caucase du Sud étant à la fois une région très fragile et une zone de transit.

Les États-Unis sont coprésident du groupe de Minsk aux côtés de la Russie et de la France. Ils souhaitent contribuer aux négociations pour le règlement du conflit et le font. Leur dernière initiative en date a été l’organisation en mai, à Vienne, d’une réunion au format dit « 3+2 », c’est-à-dire avec les présidents arménien et azerbaïdjanais et les trois ministres des affaires étrangères du groupe de Minsk. Ce format, avec la présence des trois médiateurs au niveau politique, au-delà des représentants habituels, doit nous inspirer pour la suite. La réunion de Vienne a, à l’évidence, donné une impulsion : elle a créé un minimum de confiance entre les parties, qui en ont très peu l’une pour l’autre, et a abouti à un corps de décisions, dont la mise en œuvre s’avère néanmoins assez compliquée. Nous ne pouvons que saluer cette initiative américaine et ses résultats.

Les États-Unis ne font pas partie des tout premiers partenaires économiques de l’Azerbaïdjan : en 2015, ils se sont classés au cinquième rang des partenaires commerciaux du pays, derrière l’Italie, la Russie, la Turquie et la France. De manière générale, ils sont soucieux d’entretenir un dialogue avec Bakou sur toutes les questions de développement, de gouvernance et de sécurité.

Les contacts bilatéraux entre les deux pays sont relativement fréquents, à la mesure de l’intérêt que présente l’Azerbaïdjan pour les États-Unis. Le président Aliev a été reçu par le président Obama en mars dernier, en marge du sommet sur la sécurité nucléaire à New York. Au mois de février précédent, l’envoyé spécial du Département d’État pour les affaires énergétiques internationales avait participé à une réunion à Bakou sur le Corridor sud. On voit bien l’intérêt spécifique des Américains pour la dimension énergétique.

La relation entre la Turquie et l’Azerbaïdjan est ancienne, étroite et fidèle, compte tenu notamment de la proximité culturelle et linguistique entre les deux pays. Au lendemain de la tentative de coup d’État en Turquie le 15 juillet dernier, Ankara a demandé à plusieurs de ses partenaires de « faire le ménage » chez eux, en faisant la chasse aux gülenistes. Bakou a répondu positivement à l’appel, ce qui n’a pas manqué de créer un certain trouble dans la communauté internationale.

Au titre de ses relations avec ses voisins, la Turquie a un intérêt évident à la résolution du conflit du Haut-Karabagh. Elle en a fait une condition sine qua non à la normalisation de ses relations avec l’Arménie. Cependant, nos interlocuteurs turcs, avec lesquels nous abordons de nombreux sujets, – par exemple l’ambassadeur de Turquie, que je reçois régulièrement – nous parlent très rarement du Haut-Karabagh. Nous savons qu’ils suivent le sujet de près. Peut-être même sont-ils actifs : il est notamment possible qu’ils passent des messages aux Azerbaïdjanais pour les inciter à faire preuve de souplesse dans la négociation. Mais ils n’évoquent guère la question. Cette discrétion est inversement proportionnelle à l’importance du sujet pour eux.

M. Jean-François Mancel. Je vous remercie, madame la directrice, pour la concision, la clarté et la pertinence de votre propos. Vous avez parfaitement montré les très bonnes relations qui existent entre la France et l’Azerbaïdjan.

Permettez-moi un aparté, monsieur le président : vous avez fait part de la préoccupation de la mission d’information quant à la situation des droits de l’Homme en Azerbaïdjan ; or je ne partage pas votre point de vue. S’il fallait constituer une mission d’information sur chaque pays ayant des problèmes en matière de droits de l’Homme, il faudrait le faire vraisemblablement pour tous les membres de l’Organisation des Nations unies ! Cette remarque vaut d’ailleurs aussi pour les problèmes de corruption.

Il me paraît plus intéressant de relever la volonté d’indépendance de l’Azerbaïdjan, alors même que sa situation est plutôt compliquée : au Nord, il a pour voisin la Russie, ancien pays sous la domination duquel il a vécu à l’époque des Tsars et pendant le régime soviétique ; à l’Ouest, il se retrouve en guerre avec l’Arménie, qui occupe 20 % de son territoire ; au Sud, il est frontalier de l’Iran, dont chacun connaît la situation politique et religieuse. Or, depuis sa renaissance en 1991, l’Azerbaïdjan s’est toujours efforcé d’être indépendant. Il a notamment refusé, à la différence de l’Arménie, de rejoindre l’Union économique eurasiatique lancée par la Russie. Il a des positions très équilibrées tant par rapport à Moscou que par rapport à Téhéran. Pouvez-vous nous en dire plus, madame la directrice, sur ce positionnement assez original dans la région ? C’est en partie ce qui justifie les bonnes relations qu’entretiennent l’Azerbaïdjan et notre pays, lequel cultive lui aussi, ou a cultivé pendant longtemps, une volonté d’indépendance.

Mme Florence Mangin. Il est exact que la volonté d’indépendance manifestée par l’Azerbaïdjan est singulière et forte, et que cela nous motive, si besoin en était, pour renforcer notre accompagnement de ce pays.

La relation de l’Azerbaïdjan avec la Russie est en effet compliquée. Alors que, pendant longtemps, la Russie a été un pourvoyeur de sécurité à la seule Arménie, elle vend désormais des armes aussi à l’Azerbaïdjan. Vu de Bakou, la Russie est un voisin important et considéré. Pour autant, vous avez tout à fait raison, monsieur le député : l’Azerbaïdjan a à cœur d’entretenir une relation de qualité et de confiance avec les pays occidentaux, notamment avec les États-Unis et avec l’Union européenne. La reprise des discussions entre l’Union et l’Azerbaïdjan, en février dernier, en vue de conclure un nouvel accord, c’est-à-dire de recréer un cadre de coopération concret, est un élément essentiel. L’absence d’un tel cadre constituait une anomalie. C’est pour cette raison que nous avons tous insisté, collectivement, pour que les autorités azerbaïdjanaises prennent les décisions attendues en matière de droits de l’Homme.

Il faut aussi dire un mot de l’OTAN. L’Azerbaïdjan fait partie du Partenariat pour la paix depuis 1994, ce qui facilite la connaissance mutuelle et crée une relation de confiance. Pour autant, les autorités azerbaïdjanaises n’ont jamais manifesté l’intention d’adhérer à l’OTAN.

Mentionnons toutefois un bémol dans les relations de l’Azerbaïdjan avec les organisations internationales, qui constitue, pour nous, un sujet de déception : les autorités azerbaïdjanaises ont une approche rigoureuse et restrictive à l’égard de l’OSCE. Elles ont demandé la fermeture du bureau de l’OSCE à Bakou. Nous estimons que cela n’est pas irréversible. Nous évoquons la question chaque fois que nous voyons nos partenaires azerbaïdjanais, en les incitant à adopter une approche cohérente avec celle qu’ils ont à l’égard de leurs autres partenaires, l’Union européenne, l’OTAN ou l’OCDE.

Il est en effet notable que l’Azerbaïdjan a constamment refusé d’adhérer à l’Union économique eurasiatique. Lorsque l’on sait l’importance que la Russie accorde à ce processus et la force avec lequel elle le conduit, c’est, à l’évidence, une marque d’indépendance tout à fait remarquable.

L’Azerbaïdjan mène effectivement une diplomatie multi-vectorielle, que nous souhaitons accompagner. À cet égard, nous aimerions que ses rapports avec l’OSCE soient pacifiés.

M. le président François Rochebloine. Dans le passé, la Russie a vendu des armes à l’Arménie – j’ai pu le constater –, mais il semble qu’elle en vend désormais davantage à l’Azerbaïdjan qu’à l’Arménie, vis-à-vis de laquelle elle a adopté une politique plus restrictive. Qu’en est-il ?

Mme Florence Mangin. Nous ne disposons pas nécessairement de données très précises sur les ventes d’armes, mais il est exact que des livraisons d’armes russes à l’Azerbaïdjan au cours de la période récente ont permis un rééquilibrage du rapport de forces entre les deux parties.

M. Jean-Louis Destans, rapporteur. Merci, madame la directrice, pour votre exposé liminaire.

Quel est le poids des populations d’origine azérie en Turquie ? Comment cela influence-t-il la qualité des relations entre la Turquie et l’Azerbaïdjan ?

Mme Florence Mangin. Je ne connais pas le chiffre de la population azérie en Turquie.

En Iran, il y a environ 25 millions d’Azéris, à comparer aux 9,5 millions d’habitants en Azerbaïdjan même.

M. le rapporteur. Vous avez indiqué que l’Azerbaïdjan était partenaire de l’OTAN. Comment ce partenariat évolue-t-il ? Comment le pays se positionne-t-il vis-à-vis de l’élargissement de l’OTAN ? Quelles positions prend-il sur les sujets qui opposent assez régulièrement la Russie et les pays de l’OTAN ? Prend-il des positions claires sur ces sujets ?

Mme Florence Mangin. La participation de l’Azerbaïdjan au Partenariat pour la paix est une illustration de sa volonté d’autonomie et d’équilibre entre les différents partenaires. C’est à la fois un symbole et un signe politique. En revanche, l’Azerbaïdjan n’a jamais manifesté son intérêt pour une adhésion à l’OTAN, contrairement à la Géorgie qui souhaite très fortement s’engager dans une démarche d’intégration.

Sur les sujets opposant la Russie à l’OTAN, l’Azerbaïdjan reste très prudent et discret. En raison du conflit du Haut-Karabagh, il privilégie logiquement les principes d’intégrité territoriale et de non-ingérence. Lors de la crise ukrainienne, qu’il a observée de très près, il est d’abord resté très en retrait face aux événements de Maïdan. Après l’annexion de la Crimée par la Russie, il a affiché un soutien à l’intégrité territoriale de l’Ukraine, mais de manière peu déclamatoire. Il a voté la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies en ce sens.

M. le rapporteur. Vous avez évoqué les investissements français en Azerbaïdjan. Quels sont les investissements azerbaïdjanais en France. Quelles sont, par ailleurs, les interventions de la fondation Heydar Aliev dans notre pays ? Est-elle active dans d’autres États européens ?

En matière de diplomatie sportive, quelle est la présence de l’Azerbaïdjan en France, qu’il s’agisse des hommes ou des entreprises ? Quelles sont les différentes contributions financières accordées par les Azerbaïdjanais pour l’organisation de manifestations sportives ou en tant que détenteurs de clubs sportifs ? Nous connaissons tous ici le cas du Racing Club de Lens (RC Lens).

Mme Florence Mangin. La Fondation Heydar Aliev mène une diplomatie culturelle très active en France, soit à travers des opérations de mécénat relatives au patrimoine, parfois en liaison avec l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), soit à travers l’organisation d’événements culturels ou de promotion touristique, visant à faire connaître l’Azerbaïdjan en France. Je pense notamment à l’opération « Village d’Azerbaïdjan », dont la troisième édition a eu lieu cette année dans le 7e arrondissement de Paris. La fondation œuvre également dans d’autres pays européens, notamment en Belgique, en Italie et en Allemagne. Elle est un important vecteur d’influence. Il serait d’ailleurs plus juste de parler de diplomatie culturelle et d’influence que d’investissement.

En ce qui concerne la diplomatie sportive, nous avons en effet tous en tête le cas du RC Lens : le club avait été acquis par un investisseur azerbaïdjanais, mais celui-ci a dû se retirer en mai dernier car sa société faisait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire. À ma connaissance, il n’y a pas d’autre investissement azerbaïdjanais en cours dans le domaine du sport. Notons que la Société pétrolière nationale de la République d’Azerbaïdjan (SOCAR) a été l’un des partenaires de l’Union des associations européennes de football (UEFA) pour l’Euro 2016.

Pour les autres secteurs, d’après ce que nous dit l’ambassadeur d’Azerbaïdjan à Paris, son pays s’intéresse beaucoup au domaine du tourisme, qui constitue, vous le savez, un élément d’attractivité de notre territoire. Cependant, à ce stade, il n’y a pas de concrétisation en la matière.

M. Marcel Rogemont. La France participe à la mission de bons offices sur le conflit du Haut-Karabagh. Un chemin se dessine-t-il qui permettrait aux parties de faire au moins quelques pas ensemble ?

Mme Florence Mangin. La France est un médiateur actif et attentif, qui entretient des relations de bonne qualité avec les deux parties. Telle est la condition de la crédibilité de toute œuvre de médiation.

Au moment de la « guerre des quatre jours », la coprésidence du groupe de Minsk a été très active pour faire cesser les combats et a eu gain de cause. Mais, soyons honnêtes, c’est la voix russe qui a été prépondérante au sein du « trio » du groupe du Minsk. Nous en sommes d’ailleurs heureux : si ces affrontements d’une rare violence n’ont duré que quatre jours, c’est grâce à l’intermédiation très active de la Russie.

Le groupe de Minsk a repris son travail de bons offices à trois très rapidement. La conférence de Vienne, que j’ai mentionnée précédemment, a été très utile. Elle a permis un accord sur trois sujets : le respect du cessez-le-feu ; l’instauration de deux mesures de confiance de l’OSCE, à savoir, d’une part, le renforcement de l’équipe du représentant personnel du président en exercice de l’OSCE sur le terrain et, d’autre part, la création d’un mécanisme d’investigation sur les violations du cessez-le-feu ; la poursuite des négociations sur le règlement du conflit. Il n’était pas du tout évident que ce troisième point ferait l’objet d’un accord : nous avons tous craint, après la « guerre des quatre jours », que la voie de la négociation ne fût fermée à tout jamais.

Sur les trois engagements de Vienne, seul le premier a été vraiment tenu : le cessez-le-feu est globalement respecté, même si quelques violations se produisent en ce moment, après une accalmie notable cet été. En revanche, les deux mesures de confiance peinent à être appliquées, car elles se heurtent à un refus assez marqué de la part de l’Azerbaïdjan.

Depuis la réunion de Vienne, le ministre des affaires étrangères, M. Lavrov, fait la navette entre Bakou et Erevan pour tenter d’obtenir l’accord des parties sur un plan russe de règlement du conflit par étapes. Le président Poutine a reçu ses homologues arménien et azerbaïdjanais en juin à Saint-Pétersbourg pour évoquer ce plan. Force est de constater que les discussions en cours, importantes en soi, n’aboutissent pas à grand-chose pour l’instant. Lors de chaque entretien politique, la France marque sa disponibilité pour accompagner et compléter les efforts russes – il serait inapproprié de nous poser en alternative à ces efforts – sur la base des travaux qui avaient été menés à Paris en octobre 2014. Cette disponibilité a notamment été réaffirmée par le Président de la République à ses homologues arménien et azerbaïdjanais en juillet dernier en marge du sommet de l’OTAN à Varsovie. Nous avons offert d’organiser un nouveau sommet sur le modèle de celui d’octobre 2014. Cependant, cela suppose au préalable de progresser vers un accord.

M. Marcel Rogemont. Quelle est la valeur ajoutée de la France au sein du groupe de Minsk ?

Mme Florence Mangin. Nous voyons très bien quelle est cette valeur ajoutée en ce moment. Si les efforts de médiation des Russes, tout à fait réels et louables, n’aboutissent pas, nous avons le sentiment, sans certitude ni arrogance, que nous pouvons les compléter en abordant l’ensemble des éléments d’un règlement : il s’agit notamment de la restitution des districts azerbaïdjanais et de l’exercice du droit à l’autodétermination du Haut-Karabagh. Tant qu’on n’inclut pas tous ces éléments, on peut comprendre que la très grande défiance qui existe entre les deux parties demeure, puisque l’une des deux ne voit pas les points qui l’intéressent détaillés de la même manière. Dans la mesure où nous entretenons avec les deux pays des relations de qualité et équilibrées, nous pouvons faire une proposition qui restaure un peu la confiance.

M. François Loncle. Qui est le responsable français au sein du groupe de Minsk ? Ce diplomate est-il employé à plein temps pour le groupe de Minsk ? De combien de personnes est-il entouré ?

Mme Florence Mangin. Le diplomate représentant de la France à la coprésidence du groupe de Minsk est, depuis 2014, M. Pierre Andrieu. C’est un ancien ambassadeur, russophone, qui connaît bien la zone. Il est employé à plein temps sur ce sujet, sachant qu’il a une deuxième casquette : il est aussi ambassadeur thématique chargé du Partenariat oriental de l’Union européenne. Depuis qu’il a pris ses fonctions en 2014, ce deuxième dossier ne l’a pas beaucoup occupé car il n’y a pas eu de sommet du Partenariat oriental au cours de cette période. En effet, le dialogue entre l’Union européenne et les pays du Partenariat oriental est essentiellement mené – de manière très satisfaisante – par nos collègues du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) et par la Commission européenne. À ce titre, de fréquentes réunions sectorielles sont organisées à Bruxelles, auxquelles participent les ministres des six pays du Partenariat oriental, mais où les États membres sont spectateurs. On nous a annoncé récemment qu’un sommet du Partenariat oriental aurait lieu en 2017, sans doute sous présidence estonienne. Dans cette perspective, M. Andrieu aura donc davantage d’activité à déployer sur cette partie de ses responsabilités.

M. François Loncle. Encore neuf mois de vacances !

Mme Florence Mangin. M. Andrieu est aussi le coprésident français du groupe de Minsk. Il est entouré de ma direction, notamment du sous-directeur et du rédacteur compétents. Nous sommes, en quelque sorte, la « cheville ouvrière » de ses travaux : il accomplit sa mission de médiation sur la base des travaux préparatoires que nous lui fournissons.

M. le président François Rochebloine. Notre mission auditionnera M. Pierre Andrieu.

M. Jean-François Mancel. Pouvez-vous nous rappeler précisément la position de la France sur le conflit du Haut-Karabagh ? Ainsi que vous l’avez souligné très justement, la France a vraiment un rôle à jouer.

Le président Rochebloine a fait part tout à l’heure de sa préoccupation sur la question des droits de l’Homme. L’Azerbaïdjan est un pays qui n’a que vingt-cinq ans d’âge. Où en était donc la France vingt-cinq ans après 1789 en matière de droits de l’Homme ? Rappelons que l’Azerbaïdjan a accordé le droit de vote aux femmes en 1918, soit vingt-sept ans avant la France !

Pour en revenir à la situation actuelle, avez-vous le sentiment, madame la directrice, que la situation en matière de droits de l’Homme évolue positivement ou bien qu’elle régresse ? Vous avez exprimé tout à l’heure votre préoccupation à l’égard des dispositions concernant le financement des ONG. Nous aurions besoin de précisions sur ce point, car le sujet est assez complexe : ce cadre vise aussi à éviter que des mouvements subversifs ne mènent, par l’intermédiaire d’organisations installées dans le pays, des actions qui pourraient porter atteinte à son intégrité ou à sa sécurité. Nous avons le même problème en France.

Mme Florence Mangin. La position de la France sur le conflit du Haut-Karabagh est claire et constante : nous considérons que la négociation est le seul moyen de le résoudre ; la violence, telle qu’elle a éclaté en avril dernier, a non seulement des conséquences catastrophiques pour les deux pays concernés, mais elle est aussi lourde de risques pour l’ensemble de la zone – ainsi que je l’ai indiqué, l’un des enjeux de notre diplomatie est la stabilité et la concorde dans cette zone. Tel est donc le premier élément de notre position : c’est non pas par un rapport de forces, mais uniquement par le dialogue, même s’il est lent et fastidieux, qu’une solution pourra être apportée.

Deuxième élément : nous sommes attachés à l’ensemble des principes dits « de Madrid », qui doivent structurer la solution à ce conflit. Je dis bien « l’ensemble », car tel est le problème aujourd’hui. Ces principes sont le non-recours à la force, l’intégrité territoriale ainsi que le droit à l’autodétermination. C’est en les imbriquant de manière très intime qu’une solution sera possible. Si l’on ne met en avant qu’un seul de ces principes, un accord est impossible. Il serait évidemment inapproprié, connaissant le rôle de la Russie dans la zone, de prétendre nous substituer à elle sans son accord, surtout dans le contexte actuel. Nous devons donc dialoguer avec Moscou sur ce point, sachant que d’autres sujets sont prioritaires actuellement. Nous devons présenter notre éventuelle initiative comme complémentaire de la leur. Si elle était perçue comme s’y substituant, elle serait vouée à l’échec.

M. Jean-François Mancel. Comment peut-on mettre en œuvre concrètement le principe d’autodétermination, dès lors qu’il n’y a presque plus d’Azerbaïdjanais sur les territoires considérés ? Il y a d’ailleurs un important problème de réfugiés en Azerbaïdjan.

Mme Florence Mangin. L’outil évident pour la mise en œuvre du principe d’autodétermination est le référendum. Les modalités d’un tel référendum sont très compliquées, mais ce n’est pas infaisable. Même si les deux conflits ne peuvent pas être comparés, nous avons le même problème, mutatis mutandis, pour la résolution de la crise dans le Donbass : comment y organiser des élections alors qu’il y a 1,8 million de personnes déplacées ? Néanmoins, il existe des précédents, et le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’Homme (BIDDH) de l’OSCE nous aide beaucoup à élaborer des propositions. Il faut prévoir un dispositif ad hoc. Ce n’est pas simple, mais on trouve toujours des modalités techniques. Il faut écrire les choses avec beaucoup de précision.

Sur la question des droits de l’Homme, la photographie actuelle est contrastée. Ainsi que je l’ai indiqué précédemment, l’Azerbaïdjan a pris des décisions tangibles pour libérer plusieurs prisonniers politiques, conformément à ce qui était demandé par la communauté internationale. Ces décisions ont permis la reprise des discussions avec l’Union. C’est évidemment un mieux, que nous avons salué de manière très claire et avec grand plaisir. Cependant, ainsi que je l’ai également évoqué, les ambassades européennes à Bakou relatent un durcissement de la situation au cours des derniers mois : les autorités azerbaïdjanaises restreignent la liberté d’expression ou entravent le fonctionnement de certaines ONG, et exercent des pressions sur certaines personnalités, sans toutefois les mettre en prison. C’est une source de préoccupation. Si vous le souhaitez, nous pouvons vous fournir une liste de cas précis.

M. le président François Rochebloine.  Madame la directrice, comme d’autres, je me suis rendu au Haut-Karabagh et je suis interdit de séjour en Azerbaïdjan. Cela peut se comprendre. En revanche, l’année dernière, mon collègue et ami René Rouquet, président de la délégation française à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), s’est vu d’abord attribuer, puis retirer un visa par l’Azerbaïdjan, alors qu’il devait se rendre à Bakou pour une réunion du bureau et de la commission permanente de l’APCE. La France a-t-elle réagi ? Je peux admettre que l’on interdise à un parlementaire de se déplacer à titre personnel, mais non à un représentant de la France à titre officiel.

Je souhaite bien sûr que l’on parvienne à faire la paix au Haut-Karabagh, dans l’intérêt des deux peuples : des Azerbaïdjanais, des Arméniens et des habitants du Haut-Karabagh. Du temps du président Chirac avait été élaboré un accord dit de Paris, qui avait été accepté par Heydar Aliev, père du président actuel, mais rejeté ensuite à Key West, aux États-Unis, un ou deux ans plus tard. Une réflexion est-elle encore engagée sur la base de cet accord ?

Mme Florence Mangin. Je n’étais pas en fonctions à l’époque où le visa a été refusé à M. René Rouquet. Je suis persuadée que notre représentation permanente auprès du Conseil de l’Europe a réagi, compte tenu de sa qualité de président de la délégation française à l’APCE. Je peux rechercher l’information et vous faire connaître la réponse.

M. le président François Rochebloine. Pour sa part, l’APCE a décidé que ses commissions ne se réuniraient pas en Azerbaïdjan pendant deux ans.

Mme Florence Mangin. Les travaux qui ont conduit au sommet d’octobre 2014 s’inspiraient de l’accord de Paris – même si je ne peux pas vous dire ce qu’il en est ligne à ligne. Les éléments principaux de la position française, que j’ai résumée tout à l’heure, étaient déjà sur la table à l’époque. Il s’agit, malheureusement, d’un conflit ancien, sur lequel les discussions durent depuis vingt ans. En réalité, les fondamentaux n’ont pas vraiment changé.

M. Jean-François Mancel. Le problème que vous avez soulevé en matière de visas, monsieur le président, n’est pas spécifiquement azerbaïdjanais. On le rencontre partout : qu’aurait fait la France entre 1870 et 1914 si un membre du Congrès américain s’était rendu en Alsace-Lorraine ? Lorsqu’une personnalité se rend dans un territoire occupé par un autre pays, l’État qui considère que son territoire est occupé se méfie d’elle.

M. le président François Rochebloine. Encore une fois, je comprends que cette interdiction puisse être appliquée pour des déplacements à titre personnel.

M. Jean-François Mancel. Après l’invasion de la Crimée par la Russie, nous avons cessé de délivrer des visas à certaines personnalités russes importantes.

M. le président François Rochebloine. Je vous remercie, madame la directrice, pour la clarté et la précision de votre propos, tant dans votre exposé liminaire que dans les réponses que vous avez apportées à nos différentes questions.

L’audition s’achève à douze heures vingt.

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Membres présents ou excusés

Mission d’information sur les relations politiques et économiques entre la France et l’Azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au Sud Caucase

Réunion du jeudi 13 octobre 2016 à 11 heures

Présents. – M. Alain Ballay, M. Jean-Louis Destans, M. François Loncle, Mme Véronique Louwagie, M. Jean-François Mancel, M. François Rochebloine, M. Marcel Rogemont, M. François Scellier, M. Michel Voisin

Excusés. – M. Jean-Luc Bleunven, Mme Pascale Crozon, M. Michel Destot, M. Yves Foulon, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Jean-Claude Guibal, M. Jean Launay, M. Didier Quentin, Mme Marie-Line Reynaud