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Mission d’information sur les relations politiques et économiques entre la France et l’Azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au Sud Caucase

Mercredi 19 octobre 2016

Séance de 11 heures 15

Compte rendu n° 004

Présidence de M. François Rochebloine Président

– (Audition de M. Jean-Pierre Lacroix, directeur des Nations unies, des organisations internationales, des droits de l’Homme et de la francophonie au ministère des affaires étrangères

Audition de M. Jean-Pierre Lacroix, directeur des Nations unies, des organisations internationales, des droits de l’Homme et de la francophonie au ministère des affaires étrangères

La séance est ouverte à onze heures quinze.

Présidence de M. François Rochebloine, président

M. le président François Rochebloine. Nous recevons aujourd’hui M. Jean-Pierre Lacroix, directeur des Nations unies, des organisations internationales, des droits de l’Homme et de la francophonie au ministère des affaires étrangères.

L’objet de cette mission d’information est de faire le point sur les relations politiques et économiques entre la France et l’Azerbaïdjan au regard des objectifs de développement de la paix et de la démocratie au Sud Caucase. La semaine dernière, Mme Mangin, directrice de l’Europe continentale, a fait un exposé d’ensemble sur ce sujet. Aujourd’hui, nous vous serions reconnaissants de nous apporter un éclairage particulier, à la croisée de vos compétences : la promotion des droits de l’Homme et l’action de la France dans les organisations internationales.

En effet, les violations des droits de l’Homme et des libertés fondamentales par l’Azerbaïdjan ont fait l’objet de nombreuses condamnations, en particulier dans le cadre du Conseil de l’Europe et de son assemblée parlementaire, à laquelle j’appartiens. Pourriez-vous dresser un état de la situation des droits de l’Homme dans ce pays ? Quel est, selon vous, l’impact des condamnations prononcées par la Cour européenne des droits de l’Homme sur la politique du gouvernement de Bakou, d’une part, et sur la jurisprudence et la pratique des administrations azerbaïdjanaises, d’autre part ?

Nous aimerions savoir également si, dans le cadre des relations bilatérales franco-azéries, la question des droits de l’Homme et des libertés fondamentales en Azerbaïdjan a été évoquée et, dans l’affirmative, comment et en quels termes.

Enfin, nous souhaiterions connaître les directives données à nos représentants dans les organisations internationales pour exprimer la position de la France lorsque la question des droits de l’Homme en Azerbaïdjan vient à l’ordre du jour des travaux de ces organisations.

M. Jean-Pierre Lacroix, directeur des Nations unies, des organisations internationales, des droits de l’Homme et de la francophonie au ministère des affaires étrangères. Je vais tenter de dresser un panorama des relations entre la France et l’Azerbaïdjan, notamment au regard de la situation des droits de l’Homme dans ce pays, situation que nous suivons avec beaucoup d’intérêt. Nous le faisons d’abord dans le cadre d’une politique générale qui accorde une grande importance au comportement qu’ont dans ce domaine les différents partenaires de la France. Notre ministre, Jean-Marc Ayrault, montre en effet un intérêt tout particulier pour cette question. Ainsi a-t-il consacré son premier déplacement, quelques jours après sa nomination, à l’ouverture de la session du Conseil des droits de l’homme à Genève. Depuis lors, il a donné son accord à presque toutes les propositions que nous lui avons soumises en ce domaine.

Cette politique s’est notamment traduite par l’envoi récent à nos ambassades de directives et d’instructions concernant l’action de nos postes en matière de droits de l’Homme qui mettent l’accent sur le rôle qu’elles peuvent jouer, en lien avec nos partenaires sur le terrain, en faveur des défenseurs des droits de l’Homme, ce qui est particulièrement pertinent en ce qui concerne l’Azerbaïdjan.

M. le président François Rochebloine. Je précise à ce propos que nous accueillerons, demain, Mme l’ambassadeur de France en Azerbaïdjan.

M. Jean-Pierre Lacroix. Elle pourra donc vous donner davantage d’éléments sur l’action de notre poste à Bakou dans ce domaine.

J’en viens plus précisément à la situation qui prévaut en Azerbaïdjan. Les pouvoirs y sont fortement concentrés entre les mains du Président, et cette concentration a été encore renforcée par le référendum du 26 septembre dernier, qui a accru ses prérogatives. Par ailleurs, les activités de la société civile sont de plus en plus réduites ; elles sont notamment soumises, comme dans plusieurs autres pays, à des restrictions en matière de financement. Les partis politiques d’opposition, dont les conditions de fonctionnement sont déjà difficiles, ont également vu leurs marges de manœuvre se réduire encore au cours des dernières années. Outre la limitation de leurs financements, les ONG sont soumises à des conditions restrictives d’enregistrement qui compliquent leur travail. Quant aux journalistes d’opposition, ils subissent arrestations, fermetures de bureaux, gels de comptes bancaires, etc.

Ce pouvoir répressif a donc plutôt tendance à resserrer l’étau, mais il a fait, à diverses reprises, des gestes d’ouverture, de sorte que l’on pourrait dire qu’il souffle le chaud et le froid – et cela n’est pas indifférent du point de vue des actions que nous pouvons mener avec nos partenaires pour inciter l’Azerbaïdjan à s’ouvrir davantage. Parmi ces gestes, on peut relever la libération d’opposants : lors de la fête du Novruz, en mars dernier, 148 personnes – journalistes, militants politiques et membres d’ONG – ont été amnistiées ; plus récemment, la journaliste Khadija Ismayilova, qui avait été emprisonnée en 2014, a été libérée, de même que les époux Yunus, qui ont été libérés à la fin de 2015, puis autorisés à quitter le pays en avril 2016. Ces gestes suggèrent, selon moi, que l’Azerbaïdjan est sensible à nos interventions en faveur des droits de l’Homme et que nous avons donc intérêt à les poursuivre.

Ces interventions prennent diverses formes. Dans les enceintes multilatérales, la France a ainsi exprimé, lors de la dernière session du Conseil des droits de l’homme, en septembre dernier, dans le cadre du « point 4 » – consacré à la situation de pays spécifiques –, son inquiétude « quant à la dégradation de la situation en Azerbaïdjan ».

Nous évoquons également ces questions dans le cadre du dialogue que nous entretenons, à tous les niveaux, avec les autorités azerbaïdjanaises. Florence Mangin, notre directrice de l’Europe continentale, a ainsi évoqué devant vous les rencontres de haut niveau qui sont intervenues récemment, qu’il s’agisse de celle du Président de la République avec le Président Aliev le 9 juillet dernier, de la visite à Paris du ministre des affaires étrangères de l’Azerbaïdjan, au cours de laquelle il s’est entretenu avec son homologue français et notre secrétaire d’État aux affaires européennes, ou du déplacement de ce dernier à Bakou le 26 avril dernier. À chaque occasion, nous évoquons de manière générale, et parfois de manière plus spécifique, la situation de la démocratie et des droits de l’Homme en Azerbaïdjan. Par ailleurs, notre ambassade à Bakou a développé des contacts avec des membres de la société civile, qu’elle soutient et encourage. Nous nous efforçons également de sensibiliser les responsables, les administrations, à l’État de droit et au fonctionnement des institutions démocratiques en attribuant à des fonctionnaires azerbaïdjanais des bourses de court séjour.

Nous pensons que le dialogue que nous entretenons avec les autorités a contribué aux gestes qui sont intervenus dans la période récente. Le Président de la République s’était, du reste, personnellement engagé sur le cas des époux Yunus, qu’il avait évoqué avec le Président Aliev.

M. le président François Rochebloine. Êtes-vous toujours en contact avec les époux Yunus ?

M. Jean-Pierre Lacroix. Pas à notre niveau, mais nous vous donnerons des éléments complémentaires sur ce sujet.

Ces contacts bilatéraux méritent donc d’être poursuivis, car plusieurs opposants sont toujours détenus, notamment M. Ilgar Mammadov. Son cas a été évoqué avec le secrétaire général du Conseil de l’Europe en vue de sensibiliser les membres du Conseil à son sort, et nous continuerons bien entendu à travailler à sa libération dans le cadre de notre dialogue avec les autorités azerbaïdjanaises, qui connaissent bien notre position puisque nous l’évoquons régulièrement au Comité des ministres.

En ce qui concerne les différents forums multilatéraux, notre politique consiste d’abord à assurer un suivi régulier de la situation et à maintenir un certain niveau d’attention et de pression. La Cour européenne des droits de l’homme rend, chaque année, plusieurs arrêts – dix-neuf en 2015, concernant notamment M. Mammadov – sanctionnant la violation par l’Azerbaïdjan de la Convention européenne des droits de l’homme. Mais ce pays est souvent réticent à appliquer les arrêts de la Cour. L’Azerbaïdjan fait également l’objet de rapports de l’Assemblée parlementaire et d’autres organes du Conseil de l’Europe, qui soulignent les problèmes persistants en matière de respect des droits de l’Homme en Azerbaïdjan, sans négliger, le cas échéant, les quelques évolutions ou efforts constatés. La Commission de Venise a ainsi relevé les modifications apportées à la loi sur les ONG qui ont permis certaines avancées limitées sans pour autant prendre en compte un grand nombre des recommandations formulées par elle-même dans son avis de 2011.

Avec l’OSCE, les relations sont globalement tendues et difficiles. J’en veux pour preuve la dernière réunion annuelle d’examen de la mise en œuvre des engagements de ce que l’on appelle la « dimension humaine de l’OSCE », en octobre dernier. La situation de l’Azerbaïdjan a occupé une place importante dans les débats, d’autant plus que ceux-ci sont intervenus au moment de la tenue du référendum constitutionnel sur le renforcement des pouvoirs du Président. Par ailleurs, les relations entre l’OSCE et l’Azerbaïdjan se sont aggravées après la décision très regrettable qu’a prise ce pays de fermer le bureau de l’OSCE à Bakou en juin 2015. Le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’Homme de l’organisation a, de son côté, décidé d’annuler l’observation des élections législatives de décembre 2015, en raison des difficultés rencontrées avec les autorités pour définir les modalités de cette observation, notamment la taille de la mission.

Globalement, le panorama n’est donc guère réjouissant. Néanmoins, on observe, et ce n’est pas propre à l’Azerbaïdjan, une tendance de ce pays à vouloir se présenter, au moins juridiquement, comme un bon élève. Il a ainsi ratifié la presque totalité des grandes conventions relatives aux droits de l’Homme des Nations unies, à l’exception, me semble-t-il, de celle qui porte sur les disparitions forcées, à laquelle nous attachons une importance particulière car nous avons joué un rôle de premier plan dans son élaboration. Il a également été membre du Conseil des droits de l’Homme entre 2007 et 2009, après avoir pris, dans le cadre de sa candidature, un certain nombre d’engagements volontaires. Il n’est toutefois pas partie au statut de Rome relatif à la Cour pénale internationale. Globalement, l’Azerbaïdjan veut donc être en mesure de dire à l’opinion publique internationale qu’il est en règle vis-à-vis des grands textes internationaux sur les droits de l’Homme.

On relève du reste quelques points de relative convergence avec la France. S’agissant de la peine de mort – qui est, pour notre pays, un thème très important que nous défendons de manière résolue dans les enceintes internationales –, l’Azerbaïdjan est un pays abolitionniste, qui vote avec nous les résolutions bisannuelles en faveur d’un moratoire universel sur la peine de mort qui sont adoptées par l’Assemblée générale des Nations unies. Bakou est également très active et engagée sur l’émancipation de la femme, suivant le modèle de la Turquie kémaliste en quelque sorte, ce qui n’est pas étonnant dans la mesure où ce pays est soumis notamment à l’influence turque. En ce qui concerne la liberté religieuse, l’Azerbaïdjan a également une approche qui se veut laïque, même s’il ne fait pas de cette notion une interprétation tout à fait identique à la nôtre. Ainsi, lorsque l’OSCE a récemment débattu du projet d’adopter des déclarations sur l’islamophobie ou la christianophobie, la France, qui considère qu’il s’agit d’une très mauvaise idée – car cela engagerait un processus infini de dénonciations en contradiction avec notre conception universelle des droits de l’Homme – a eu, à ce sujet, avec l’Azerbaïdjan, mais aussi avec l’Allemagne, des discussions difficiles. J’ajoute que l’Azerbaïdjan est également membre de l’Organisation de la coopération islamique et il a, à ce titre, des réflexes de solidarité avec les autres pays membres de cette organisation.

En résumé, je dirai que nous sommes face à une situation qui n’est, hélas ! pas propre à l’Azerbaïdjan : celle d’un pays autoritaire, qui durcit graduellement sa position sur la liberté d’expression, la liberté de la presse et de la société civile, bref : tout ce qui concourt à une vie démocratique saine et active. Cependant, il souffle le chaud et le froid, puisqu’il lui arrive de libérer ponctuellement certains opposants, ce geste pouvant du reste être suivi de l’emprisonnement d’autres opposants, comme cela s’est produit récemment. Il s’efforce également de présenter une façade respectueuse, au moins dans les textes, des normes internationales en matière de droits de l’Homme, et met en avant son respect de la laïcité, la promotion de la femme et une certaine forme de modernité. En somme, il travaille beaucoup son image, ce qui signifie qu’il est sensible à ce que disent ses grands partenaires, notamment la France et l’Allemagne. On sait, par ailleurs, que ce pays se situe dans un environnement difficile en raison du conflit du Haut-Karabagh et des relations complexes qu’il entretient avec l’influente et puissante Russie, qui a des affinités avec l’Arménie.

Nous avons le sentiment que nos messages sont utiles, et que nous avons donc intérêt à continuer à parler régulièrement de l’Azerbaïdjan, en liaison avec nos partenaires, notamment ceux de l’Union européenne, dans les enceintes multilatérales. Nous devons également poursuivre le dialogue avec les autorités et continuer à leur envoyer des messages sur la situation générale et sur celle de personnes précises, et ce à tous les niveaux, y compris, lorsque cela est justifié, au plus haut niveau. Nous devons enfin continuer à soutenir, sur le terrain, là encore en liaison avec nos partenaires de l’Union européenne, la société civile, qu’il s’agisse des ONG, des défenseurs des droits de l’Homme ou des journalistes en difficulté, en leur offrant, par exemple, la possibilité de séjourner en France pendant une certaine période. En tout état de cause, il faut faire le nécessaire pour que ces forces puissent poursuivre leur activité, malgré les contraintes fortes qu’elles subissent.

D’une manière générale, l’Azerbaïdjan a un profil relativement effacé aux Nations unies. Son positionnement international est d’abord très marqué par le conflit du Haut-Karabakh, qui limite sa possibilité d’avoir une plus grande exposition. De fait, ce pays n’a pas une présence significative dans les opérations de maintien de la paix des Nations unies et il ne prend pas d’initiatives particulières. Il est, en outre, sous la surveillance de ses grands voisins. La politique extérieure de l’Azerbaïdjan est ainsi une politique d’équilibrisme permanent, ce qui, là encore, justifie que l’on poursuive nos interventions en faveur des droits de l’Homme.

En ce qui concerne la francophonie, nous entretenons avec ce pays une coopération linguistique et culturelle, que nous avons intérêt à développer. En revanche, la question de l’adhésion de l’Azerbaïdjan à l’Organisation internationale de la francophonie est hypothétique, car on peut imaginer la position que l’Arménie, qui est déjà membre de cette organisation, adopterait dans la perspective d’une telle adhésion qui, au demeurant, n’a pas été sollicitée.

M. le président François Rochebloine. Monsieur le directeur, je vous remercie pour votre exposé. Je souhaiterais vous poser quatre questions.

Premièrement, quelle appréciation la France porte-t-elle sur la réforme du statut des ONG entrée en vigueur en 2013 ? Celle-ci a-t-elle fait l’objet de remarques ou d’observations de la part du gouvernement français auprès des autorités azéries, et sinon, pourquoi ?

Deuxièmement, combien de ressortissants azéris ont-ils demandé à la France, au cours des cinq dernières années, le statut de réfugié politique, garanti par la convention de Genève de 1951, et combien ont obtenu satisfaction ?

Troisièmement, quelle appréciation la France porte-t-elle sur le traitement infligé par les autorités politiques et judiciaires azéries à M. et à Mme Yunus ?

Enfin, comment concilier le développement d’une coopération culturelle avec le constat, résultant des délibérations d’ONG, de violations constantes des droits de l’Homme et des libertés fondamentales par l’Azerbaïdjan ?

M. Jean-Louis Destans, rapporteur. Merci, monsieur le directeur, pour votre exposé très intéressant. Vous avez souligné l’ambivalence de l’Azerbaïdjan : d’un côté, ce pays souhaite s’inscrire dans la modernité internationale, qu’il s’agisse des droits des femmes ou de sa manière d’appréhender les problèmes religieux, mais, de l’autre, la pression politique y est très forte et la démocratie a du mal à s’y installer, comme l’illustre le dernier référendum, qui montre que le pouvoir tend davantage à se durcir qu’à s’ouvrir. Cette ambiguïté est difficile à comprendre.

J’en viens à mes questions. Tout d’abord, M. Michel Forst a été mandaté par le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies pour se rendre en Azerbaïdjan du 14 au 22 septembre dernier. Avez-vous connaissance des conclusions de cette mission ?

Ensuite, la situation des personnes déplacées de l’intérieur, qui a fait l’objet de rapports très critiques des Nations unies en 2010, semble s’être améliorée au cours des dernières années. Qu’en est-il exactement aujourd’hui ? Des solutions durables sont-elles recherchées ?

Par ailleurs, vous avez évoqué le rôle plutôt effacé de l’Azerbaïdjan au sein des Nations unies. Peut-on dire que, lors des grands votes, ce pays s’aligne plutôt sur la Russie ou fait-il preuve d’une plus grande neutralité ?

Enfin, quelle est la position de l’Azerbaïdjan vis-à-vis, d’une part, de l’Union européenne et, d’autre part, de l’OTAN, puisque ce sujet fait l’objet de débats importants avec son voisin géorgien ?

M. Jean-Pierre Lacroix. S’agissant de la réforme du statut des ONG, cela fait maintenant plusieurs années que le régime en place à Bakou a adopté des lois restrictives. La première d’entre elles, qui date de 1998, portait déjà sur les subventions et elle a été durcie en 2013 puis en 2014. La situation actuelle est la suivante. Les personnes morales étrangères ne peuvent pas accorder de subventions aux ONG azerbaïdjanaises, sauf si elles ont reçu l’accord du ministère de la justice, de sorte que la dépendance de ces ONG vis-à-vis du pouvoir et des sources internes de financement s’est accrue, dans un pays dont on connaît le climat économique. Cette situation a été critiquée publiquement à diverses reprises, notamment par la Commission de Venise, qui a émis, en 2014, un avis négatif sur les récentes modifications de la législation, au motif que celles-ci restreignaient davantage encore les activités des ONG.

Ces dernières font, par ailleurs, l’objet d’une méfiance institutionnalisée qui se traduit, un peu comme en Russie du reste, par des pressions et des accusations permanentes reposant, d’une part, sur la thèse de l’influence étrangère – thème qui est facile à exploiter dans le contexte conflictuel qui est celui de l’Azerbaïdjan – et, d’autre part, sur l’argument de la lutte contre le fondamentalisme islamique, laquelle est par ailleurs perçue comme étant de nature à apaiser les critiques occidentales. C’est pourquoi il nous paraît pertinent – et c’est d’ailleurs une politique que nous jugeons adaptée à beaucoup de situations de ce type – de continuer à mettre l’accent sur le soutien apporté aux défenseurs locaux des droits de l’Homme, de façon à montrer aux autorités que nous menons également des actions concrètes.

En ce qui concerne les époux Yunus, nous avons suivi de très près la situation de ces personnalités qui occupent une place majeure dans le paysage de la défense des libertés et des droits de l’Homme en Azerbaïdjan. Cette préoccupation s’est traduite par des démarches constantes, à tous les niveaux ; j’ai évoqué, à ce propos, l’intervention du Président de la République lorsqu’il a rencontré, le 25 avril 2015, à Bakou, en tête-à-tête, le Président Aliev. M. Yunus a ainsi été libéré en novembre 2015, puis la condamnation de son épouse a été commuée en peine avec sursis. Ils ont pu quitter l’Azerbaïdjan en avril dernier, et ils se trouvent aujourd’hui aux Pays-Bas. Les résultats que ces démarches ont produits attestent de ce que nous pouvons faire collectivement – car si la France a joué un rôle de premier plan, elle n’a pas agi seule – et confirment que l’Azerbaïdjan est sensible à nos interventions. De fait, ce pays n’a pas la même taille que la Russie, et il a besoin du partenariat avec l’Union européenne. Nous disposons donc de leviers, qu’il nous faut utiliser au mieux. Cela signifie qu’il nous faut doser de manière adéquate nos déclarations publiques et nos interventions privées, car nous devons être utiles. Cependant, nous devons être attentifs à ce que l’évolution positive de certaines situations individuelles et symboliques – le cas de M. Mammadov est néanmoins toujours pendant – ne soit pas manipulée par les autorités de manière à en faire une sorte de pôle de cristallisation susceptible de faire passer au second plan la situation de fond qui, elle, n’évolue pas positivement. Mais vous connaissez cette dialectique complexe entre la nécessité de traiter les cas spécifiques et l’attention que nous devons porter à la situation de la société civile ou de la presse ; elle n’est pas propre à l’Azerbaïdjan.

Quant au nombre des réfugiés politiques présents sur notre sol venant d’Azerbaïdjan et des demandes effectuées en France, je ne peux pas vous l’indiquer aujourd’hui, mais nous ferons en sorte de vous communiquer ces éléments très rapidement.

Par ailleurs, nous constatons un certain intérêt de l’Azerbaïdjan pour le développement de la coopération culturelle, et ce pour différents motifs liés à un souci d’image, ainsi qu’à une volonté de renforcer les structures éducatives. Cette forme d’ouverture peut paraître paradoxale au regard de la situation politique du pays, mais elle est réelle. Nous pensons que nous avons intérêt à poursuivre ces partenariats, notamment avec les universités, et à encourager, le cas échéant, le développement de coopérations avec d’autres pays francophones. Ceci n’est pas contradictoire avec la grande vigilance que nous exerçons sur la question des droits de l’Homme, car il s’agit précisément de mener une politique qui favorise l’ouverture partout où elle est possible. La création, cette année, avec l’aide de l’Université de Strasbourg, de l’Université franco-azerbaïdjanaise sera très significative à cet égard. Par ailleurs, l’Université des langues de Bakou s’est rapprochée de l’association universitaire de la francophonie ; ce mouvement nous paraît également positif et nous souhaitons l’encourager. Encore une fois, une coopération culturelle bien calibrée, qui n’oublie pas qu’elle s’inscrit dans un contexte particulier et qu’elle doit favoriser des objectifs liés à la promotion des droits de l’Homme me semble positive.

M. le rapporteur m’a interrogé sur la mission de M. Forst. Dans son rapport, celui-ci analyse les pressions exercées sur les défenseurs des droits de l’Homme et, plus spécifiquement, sur les journalistes et leurs familles, ainsi que sur celles des prisonniers politiques et sur les avocats, emprisonnés ou placés sous un régime de liberté surveillée. Il s’est également intéressé à l’impact de la nouvelle législation sur les ONG, et j’ajoute qu’il a pu rencontrer M. Mammadov.

Ses conclusions vont globalement dans le sens que j’ai indiqué tout à l’heure. Il esquisse également quelques orientations, en insistant en particulier sur le fait qu’il est important que les représentations diplomatiques sur place évoquent de manière régulière auprès des autorités le cas des activistes emprisonnés, notamment de ceux qui ne bénéficient pas de l’attention médiatique. Par ailleurs, il propose – ce qui est louable, même si je ne sais pas dans quelle mesure les autorités y seront réceptives – de mettre en place une procédure plus systématique afin d’avancer, dans le cadre d’un dialogue avec les autorités azerbaïdjanaises, sur la voie de la création d’un État de droit plus performant. Cette idée mérite d’être encouragée, car c’est une manière d’exercer une pression sur ces autorités que de leur dire que nous sommes prêts à nous engager dans un tel processus. Reste, bien entendu, à évaluer son degré de faisabilité.

En tout état de cause, les critiques et les conclusions de M. Michel Forst sont globalement en ligne avec notre appréciation du contexte et de la situation des droits de l’Homme en Azerbaïdjan. Il est particulièrement positif qu’il mette l’accent sur la responsabilité de nos pays et de nos ambassades sur place.

En ce qui concerne les personnes déplacées, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) évalue leur nombre à plus de 600 000, dont la moitié sont installées à Bakou. Le HCR estime que des efforts sont faits par le Gouvernement pour favoriser leur intégration, mais l’accès à l’emploi, au logement ou à l’intégration sociale demeure globalement plus difficile pour ces personnes que pour le reste de la population.

S’agissant des votes de l’Azerbaïdjan aux Nations unies, nous ne disposons pas d’une analyse exhaustive et précise. Quoi qu’il en soit, ce pays est relativement peu présent. Il a cependant été membre du Conseil de sécurité en 2012 et 2013 et les positions qu’il a prises à ce titre ne nous ont pas posé de difficultés dans le cadre des discussions que nous avions, à cette époque, sur le dossier du nucléaire iranien. Néanmoins, l’Azerbaïdjan a toujours été plus réservé sur la question des sanctions, qui l’affectent indirectement. Sur la Syrie – dans un contexte différent du contexte actuel puisque l’implication russe était moindre –, la position de l’Azerbaïdjan a été globalement proche des positions occidentales, à un moment où il existait une assez grande convergence entre la Turquie, la France et le Royaume-Uni. On peut imaginer qu’aujourd’hui, ce serait globalement encore le cas, avec peut-être une sensibilité un peu plus grande au positionnement de la Russie, mais la proximité avec la Turquie est, de ce point de vue, très importante.

Bien entendu, la question du Haut-Karabagh est surdéterminante. Plusieurs éléments sont importants à cet égard : le besoin qu’a l’Azerbaïdjan de la solidarité des autres membres de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), sa relation un peu compliquée avec la Russie et son souci de ne pas se détacher de ses partenaires européens afin qu’ils prennent en compte les intérêts de l’Azerbaïdjan dans ce conflit.

Inutile de dire que, lorsque ce pays a l’occasion de se positionner sur les droits de l’Homme, il le fait rarement dans le sens de nos positions, sauf sur les questions que j’ai évoquées tout à l’heure : celle de la peine de mort et celle des droits de la femme – mais il faudrait vérifier ce dernier point, car l’Azerbaïdjan est sans doute, là aussi, dans une position d’équilibriste, compte tenu précisément des positions de l’OCI en la matière.

J’en viens à l’Union européenne. Nous sommes actuellement en négociation avec l’Azerbaïdjan pour la conclusion d’une sorte d’accord de partenariat. Nous considérons que ces négociations doivent être l’occasion de mettre la question du respect des droits de l’Homme et de l’État de droit sur la table. On n’a rien sans rien, quelles que puissent être les considérations stratégiques qui plaident en faveur de la conclusion de cet accord. C’est en tout cas le sens des recommandations que nous avons faites, et je pense qu’elles ont été suivies.

Sur la relation de l’Azerbaïdjan avec l’OTAN, je ne dispose pas d’éléments particuliers, mais je m’efforcerai de vous les communiquer très rapidement.

M. Jean-Marc Germain. Ma question porte sur le Haut-Karabagh. Quelle connaissance avez-vous du déroulement des événements lors de la « guerre de quatre jours » qui a eu lieu entre le 1er et le 4 avril dernier ? Quelles sont les atteintes aux droits de l’Homme qui ont pu être constatées et comment cette frontière pourrait-elle être surveillée par les organisations internationales, puisque je crois que tel n’est pas le cas actuellement ?

M. Jean-François Mancel. Première question, monsieur le directeur : combien de pays dans le monde pourraient faire l’objet des mêmes remarques que celles que vous avez faites sur l’Azerbaïdjan ? C’est le fond du problème, finalement.

Deuxièmement, vous n’avez évoqué que partiellement la situation du pays sur le plan historique. N’oublions pas que celui-ci n’est indépendant que depuis vingt-cinq ans ! Où en était la France vingt-cinq ans après 1789 ? L’État était-il particulièrement démocratique ?

Par ailleurs, il faut rappeler que les personnes déplacées – j’aimerais d’ailleurs savoir si la France aide l’Azerbaïdjan dans ce domaine – ont été chassées de leurs terres, de leur pays, par les Arméniens. À ce propos, il faut préciser que 20 % du territoire de l’Azerbaïdjan sont actuellement occupés. Or, il est bien évident que, dans ces conditions, on est incité à prendre des mesures qui peuvent être considérées comme autoritaires mais qui sont liées à la situation du pays. Ainsi, c’est un pays occupé et en guerre et qui a, qui plus est, pour voisins la Russie, au Nord, et l’Iran au Sud, ainsi que des ONG dont on ne connaît pas le financement et qui pourraient être, un jour ou l’autre, des organismes séditieux. Ces éléments ont des incidences non négligeables sur l’État de droit azerbaïdjanais.

Vous avez, en revanche, évoqué à juste titre la situation des femmes, qui ont obtenu le droit de vote en 1918, et l’abolition de la peine de mort intervenue en 1998. Mais vous n’avez peut-être pas suffisamment insisté sur la coexistence pacifique des différentes communautés, qu’elles soient religieuses ou ethniques. On constate en effet, lorsqu’on se rend dans le pays, que les musulmans chiites, les musulmans sunnites, les juifs, les chrétiens, orthodoxes ou catholiques, vivent dans un respect mutuel.

M. Jean-Pierre Lacroix. Sur la « guerre de quatre jours », je pense que ma collègue Florence Mangin a plus d’expertise que moi. Ce conflit est traité politiquement d’une manière bien spécifique dans le cadre du groupe de Minsk, qui est, du reste, l’un des rares formats dans lesquels il existe encore une coopération positive entre les États-Unis, la Russie et la France, qui y joue un rôle important. Cela mérite d’être noté car, au plan multilatéral, nous assistons globalement à un durcissement des relations avec nos partenaires, notamment la Russie. Je le constate tous les jours au Conseil de sécurité, où l’on perçoit une érosion graduelle mais visible du climat dans lequel nous travaillons.

Je n’ai pas d’éléments particuliers sur les conditions du déclenchement de cette guerre, mais il est certain que ces événements ne sont pas les premiers : ils s’inscrivent dans une séquence d’incidents frontaliers qui témoignent, d’une part, de la très grande tension qui continue de régner et, d’autre part, de l’absence de volonté politique des parties – c’est un constat, et non une critique – de faire des pas en avant dans un tel contexte. Toutefois, malgré les événements récents, nous pouvons continuer à travailler, et donc espérer progresser, dans le cadre du groupe de Minsk. C’est un élément important, car il n’y a guère de solution alternative : le traitement du conflit par les Nations unies n’est pas envisageable, compte tenu de la configuration du Conseil de sécurité. Nous avons donc intérêt à faire vivre ce qui constitue le seul espoir de faire évoluer la situation. Je sais qu’un certain nombre de partenaires régionaux, dont la Turquie, souhaiteraient être associés plus étroitement au groupe de Minsk. Mais il faut être prudent en la matière, car ce format doit rester viable.

M. le président François Rochebloine. Nous auditionnerons prochainement le co-président français du groupe de Minsk.

M. Jean-Pierre Lacroix. L’approche que nous essayons d’adopter vis-à-vis de l’Azerbaïdjan n’est pas en noir et blanc. Bien entendu, elle tient compte des éléments que nous jugeons préoccupants, voire très préoccupants, pour la liberté de la presse, la situation des ONG ou les partis d’opposition, mais le constat n’est pas entièrement négatif. J’ai évoqué la position de ce pays sur la peine de mort. C’est un élément assez significatif, car beaucoup de pays sensiblement plus « démocratiques » que l’Azerbaïdjan ont une approche tout à fait différente de cette question… Nous ne négligeons pas non plus la situation des femmes, ni la coexistence des différentes minorités. Ce n’est pas de la langue de bois que de dire que chaque contexte historique est spécifique ; nous essayons de nous garder d’avoir une approche trop tranchée qui ne tienne pas compte de tous les éléments.

Au-delà du cas de l’Azerbaïdjan, force est de constater que nous assistons à un durcissement de la situation des droits de l’Homme et des libertés publiques dans de nombreux pays et, dans les enceintes multilatérales, le combat de cultures est beaucoup plus âpre qu’au cours des dix ou vingt dernières années – je pense à l’évolution de pays tels que la Turquie, la Russie ou certains partenaires de l’Union européenne. Cette évolution crée un contexte susceptible d’encourager des régimes, tels que celui de l’Azerbaïdjan, à aller plus loin, de même qu’en Afrique centrale, le fait qu’un président change la Constitution pour se faire réélire incite ses voisins à faire de même. Ce contexte n’est pas particulièrement encourageant, et il s’étend aux questions de société : sur la famille ou la situation des femmes, la polarisation est plus forte qu’auparavant. Cela ne doit pas nous inciter à désarmer, au contraire. Nous devons continuer à travailler avec nos partenaires les plus proches, notamment les membres de l’Union européenne, pour faire valoir nos intérêts, au fond, car la défense des droits de l’Homme est une question de principe mais concerne aussi nos intérêts. C’est en tout cas la conviction du ministre.

M. le président François Rochebloine. Je vous remercie, monsieur le directeur, pour la qualité de votre intervention et de vos réponses.

La séance est levée à douze heures trente.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Mission d’information sur les relations politiques et économiques entre la France et l’Azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au Sud Caucase

Réunion du jeudi 19 octobre 2016 à 11 heures 15

Présents. – M. Alain Ballay, M. Jean-Luc Bleunven, M. Jean-Louis Destans, M. Jean-Marc Germain, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Jean-Claude Guibal, Mme Véronique Louwagie, M. Jean-François Mancel, M. Didier Quentin, M. François Rochebloine, M. François Scellier, M. Michel Voisin

Excusés. – MM. Françoise Loncle, Marcel Rogemont, Jean-Michel Villaumé