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Mission d’information sur les relations politiques et économiques entre la France et l’Azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au Sud Caucase

Jeudi 8 décembre 2016

Séance de 11 heures 45

Compte rendu n° 023

Présidence de M. François Rochebloine Président

– (Audition de M. Michel Forst, rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme)

Audition de M. Michel Forst, rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme

La séance est ouverte à onze heures quarante-cinq.

Présidence de M. François Rochebloine, président

M. le président François Rochebloine. Je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser notre rapporteur, M. Jean-Louis Destans, qui a été retenu ce matin pour des raisons personnelles.

Nous avons le plaisir d’accueillir M. Michel Forst, rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme. Son audition s’inscrit dans la série d’entretiens dont, en accord avec notre rapporteur, j’ai souhaité la tenue pour nous permettre d’évaluer la situation effective en matière de droits de l’Homme et de libertés fondamentales en Azerbaïdjan. Je suis en effet convaincu que le respect de ces droits et de ces libertés, fondement d’une société démocratique et condition objective nécessaire du développement convenable d’une nation, détermine la qualité des échanges politiques, économiques et culturels que ce pays peut souhaiter avoir avec d’autres États.

Vous avez été, monsieur Forst, directeur général d’Amnesty International pendant dix ans, et pendant plus de onze ans secrétaire général de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme. Au sortir de cette fonction, vous avez été nommé par le président du Conseil des droits de l’Homme des Nations unies – peut-être nous direz-vous selon quelle procédure – rapporteur spécial chargé d’évaluer la situation des défenseurs des droits de l’Homme, avec une mission récente en Azerbaïdjan.

Votre déclaration de fin de mission, le 22 septembre 2016, brosse un tableau qui ne laisse guère place à l’optimisme, du moins à court terme. Je n’en développerai pas les conclusions : vous êtes le mieux placé pour le faire, et c’est ce que la mission attend de vous. Vous indiquez dans cette déclaration que vous présenterez votre rapport final en mars 2017. Je suppose que vos conclusions provisoires ont déjà suscité des réactions en Azerbaïdjan ; il nous intéresserait de les connaître, qu’elles émanent du gouvernement, du monde politique ou de la société civile. Il m’a été rapporté que, par la voix de M. Ali Hasanov, conseiller spécial du président Ilham Aliev, les autorités de Bakou avaient mis en cause le caractère unilatéral de votre information et mis votre impartialité en doute en raison de vos engagements antérieurs dans des organisations militantes de défense des droits de l’Homme. Vous avez toute latitude pour faire à ce sujet la mise au point qui vous paraîtra opportune.

M. Michel Forst, rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme. Je vous remercie de votre invitation, qui me donnera l’occasion de préciser les contours de ma mission et de corriger certains propos de la presse azerbaïdjanaise mais aussi du gouvernement, qui a réagi immédiatement à mes conclusions provisoires. J’ai été nommé en juin 2014 dans ma présente fonction, dont l’intitulé dit quel est mon rôle : observer la situation des défenseurs des droits de l’Homme dans le monde. Aux termes de la déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme adoptée par l’Assemblée générale en 1998 à l’occasion du cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, l’expression « défenseur des droits de l’Homme » désigne toute personne qui, individuellement ou en association avec d’autres, œuvre à la promotion ou à la protection des droits de l’Homme. Le spectre est donc assez large puisqu’il peut s’agir de membres d’organisations non gouvernementales (ONG), de syndicalistes, de journalistes, de blogueurs, de lanceurs d’alerte, de fonctionnaires refusant d’obéir à un ordre injuste… J’ai pour mission de protéger ceux qui, en leur qualité de défenseurs des droits de l’Homme, jouent le rôle positif d’agents de changement.

Nous sommes, au sein de l’Organisation des Nations unies (ONU) un groupe de rapporteurs spéciaux. Certains sont chargés spécifiquement d’un pays donné – j’ai ainsi été pendant quelques année l’expert indépendant des Nations unies sur la situation des droits de l’Homme en Haïti. D’autres, comme c’est mon cas en ce moment, ont mandat pour intervenir dans un domaine particulier : le droit à un logement convenable, le droit à l’éducation, le droit à l’eau potable et à l’assainissement, l’extrême pauvreté … Mon mandat, transversal, est de trois ans, renouvelable une fois ; il sera sans doute renouvelé en mars prochain.

J’agis par le biais d’enquêtes et d’investigations, que je mène après avoir été invité par les États considérés. J’ai ainsi été invité par le gouvernement d’Azerbaïdjan pour conduire cette mission. Je n’agis pas en secret : j’ai été reçu officiellement par le gouvernement et j’ai eu une série d’entretiens dont je vous rendrai compte.

Je suis aussi le destinataire de nombreuses « communications », c’est-à-dire de plaintes de femmes, d’hommes et parfois d’enfants qui sont menacés pour avoir simplement tenté de protéger les droits de l’Homme dans leur pays. J’adresse alors aux États concernés une « lettre d’allégation » ; ils doivent répondre dans les soixante jours aux questions que je leur pose. Mes questions et les réponses faites par les États sont ensuite publiées dans un « rapport sur les communications » qui répertorie les – nombreuses – communications adressées aux États chaque année.

Évidemment, je fais parfois aussi des visites non officielles, à des universités par exemple, ou aux représentations diplomatiques qui m’invitent. Ainsi, je me suis rendu il y a quelques mois à Moscou, à l’invitation de l’ambassadeur de France, qui avait organisé, dans l’enceinte de l’ambassade, une rencontre avec une centaine de défenseurs russes des droits de l’Homme. Bien que cette initiative ait fortement déplu au gouvernement russe, celui-ci m’a accordé un visa car il considère indispensable la coopération avec les rapporteurs spéciaux.

M. le président François Rochebloine. De manière générale, éprouvez-vous des difficultés pour obtenir des visas ?

M. Michel Forst. Pas véritablement. Mais il m’arrive de renoncer à me rendre dans un pays quand j’ai le sentiment que c’est trop compliqué ou qu’il serait trop risqué pour les personnes avec qui je voudrais m’entretenir, de me rencontrer. J’ai ainsi refusé d’aller au Nicaragua au mois d’août dernier après que l’ambassadeur de l’Union européenne me l’a déconseillé, m’indiquant que plusieurs députés et diplomates européens, bien qu’ayant été invités par leurs homologues nicaraguayens, avaient été refoulés à leur arrivée.

Même quand je ne suis pas invité officiellement par un État, j’essaye de rendre visite aux défenseurs des droits de l’Homme menacés ; je suis allé pour cette raison dans une vingtaine de pays cette année, le plus récemment au Venezuela, au Guatemala, au Honduras et en Géorgie.

Si j’ai demandé à être invité en Azerbaïdjan – car il faut demander à être invité –, c’est que j’ai été alerté par des messages de défenseurs locaux des droits de l’Homme, de journalistes, de blogueurs, de lanceurs d’alerte… me signalant que la situation devenait inquiétante et qu’il serait temps de conduire une mission d’enquête et de faire rapport devant le Conseil des droits de l’Homme. J’ai donc adressé un courrier au gouvernement d’Azerbaïdjan qui a immédiatement répondu favorablement, disant sa volonté de collaborer avec les Nations unies et m’invitant à visiter le pays pendant une quinzaine de jours, ce que j’ai fait en septembre dernier.

Toute mission de ce type commence par une rencontre avec le ministre des affaires étrangères, au cours de laquelle sont définis le cadre des travaux, les personnes qui seront rencontrées et les thèmes qui seront abordés, étant précisé que cet emploi du temps officiel sera complété par des rencontres avec de très nombreuses personnes qui demandent à vous parler. Après avoir été reçu par le ministre des affaires étrangères, je me suis ainsi entretenu, en Azerbaïdjan, avec le ministre de l’intérieur, le président de la Cour suprême, le procureur général, des magistrats, d’autres représentants de l’État, des avocats, et aussi avec le Conseil pour la coopération avec les ONG. Cet organisme, créé et contrôlé par l’État, est chargé de recevoir les demandes des organisations de la société civile et d’y répondre ou de les refuser. Ce Conseil reçoit de l’Union européenne et de bailleurs internationaux des fonds destinés à la société civile ; mais comme c’est une instance gouvernementale exclusivement composée de proches du pouvoir, elle redistribue l’argent dont elle a été destinataire aux seules ONG également proches du gouvernement. Celui-ci créé d’ailleurs des organisations non-gouvernementales organisées par le gouvernement – les GONGO – auxquelles il verse les fonds reçus de la communauté internationale, les autres ONG, en particulier les plus efficaces et les plus critiques, en étant privées. Il en résulte qu’un grand nombre d’ONG nationales et internationales sont contraintes de mettre fin à leurs activités en Azerbaïdjan.

La situation générale, extrêmement tendue, est décrite par tous nos partenaires comme étant de plus en plus difficile pour tous les acteurs de la société civile. La récente révision constitutionnelle a accru les pouvoirs présidentiels et créé une sorte de dynastie au sein de laquelle le pouvoir se transmet de manière non-démocratique à des personnes choisies par le régime. Le Parlement est totalement contrôlé, la presse est muselée, l’accréditation des organes de presse refusée, les chaînes de télévision privées ferment et leurs directeurs sont traduits en justice pour des motifs fallacieux. La justice est utilisée à grande échelle pour museler l’opinion. Journalistes, blogueurs, lanceurs d’alerte et ceux qui utilisent leurs comptes sur les réseaux sociaux pour exprimer des opinions critiques voient leurs communications surveillées et filtrées et, sur la base d’interceptions de ces communications privées, ils sont traduits en justice, accusés des pires méfaits : « hooliganisme », bien que l’incrimination n’existe pas dans le code pénal azerbaïdjanais, incitation à la haine raciale, incitation à renverser l’État… En Azerbaïdjan, tout prétexte vaut pour museler la presse et les voix critiques.

Comme dans beaucoup de pays, la justice, loin d’être indépendante de l’exécutif, lui est étroitement liée. Les nominations de magistrats sont faites sur un mode discrétionnaire ; il m’a été dit, mais je ne l’ai pas vérifié, que certains juges sont nommés sans qu’ils aient de compétences en droit mais pour la seule raison de leur proximité politique avec le pouvoir. Autant dire que, souvent, les Azerbaïdjanais qui vont devant la justice pour chercher réparation de torts subis ne l’obtiennent pas ; l’impunité est à peu près généralisée.

Ma description de la situation des droits de l’Homme en Azerbaïdjan peut vous sembler sévère, mais je ne doute pas que vous l’avez déjà entendue. Ce qui me frappe, c’est que la Commission de Venise, le Conseil de l’Europe en général et plusieurs organes de l’ONU – le Conseil des droits de l’Homme avec l’Examen périodique universel, le Comité contre la torture, le Comité des droits de l’Homme, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, d’autres encore – font tous le même diagnostic et formulent les mêmes recommandations, mais le gouvernement azerbaïdjanais refuse d’admettre la réalité. On a le sentiment d’avoir affaire à un patient auquel dix médecins disent successivement qu’il est affligé d’un mal grave et qui, refusant de l’entendre, persiste à écarter le traitement préconisé.

Je juge donc la situation en Azerbaïdjan assez grave et inquiétante. Je reçois toujours plus de communications de personnes menacées qui cherchent une protection. Celle-ci est exercée par la communauté internationale. Heureusement, la délégation de l’Union européenne et quelques ambassades, dont les ambassades de France et d’Allemagne, ont une action positive et reçoivent les doléances de défenseurs des droits de l’Homme. Nous parvenons parfois à les protéger en les faisant sortir officiellement du pays, mais nous avons du mal à trouver un pays d’accueil. Le gouvernement azerbaïdjanais a relâché certaines personnalités parmi les plus connues, telle Mme Leyla Yunus, mais la répression ne cesse de se durcir pour ceux dont les réseaux internationaux sont inexistants.

Lors de mon séjour en Azerbaïdjan, j’ai rendu visite à plusieurs personnes incarcérées. Une liste de noms figure dans mon premier rapport : vous pouvez l’utiliser, elle est publique. J’ai également rencontré M. Ilgar Mammadov, dont vous connaissez le dossier. J’ai rencontré longuement cet homme courageux dans l’établissement pénitentiaire où il est emprisonné. Il vit durement la très grande injustice qui lui est faite – vous savez les raisons de sa condamnation. J’ai été très inquiet de voir à quel point cet homme solide, qui ne se décrit pas comme un militant des droits de l’Homme mais comme un militant politique déterminé, privé de lectures et d’accès à Internet comme il l’est, perd ses repères et s’affaiblit peu à peu.

Les magistrats et les procureurs qui veulent réagir sont immédiatement sanctionnés par leur hiérarchie, mutés dans des provinces reculées et parfois privés de leur emploi tout en continuant de recevoir leur traitement.

Le durcissement, par modifications successives, du cadre juridique régissant le fonctionnement des ONG locales et étrangères est tout aussi inquiétant. Elles sont désormais tenues de s’enregistrer selon une procédure si complexe qu’elles doivent recourir aux services d’avocats, ce qui leur coûte très cher. En particulier, elles sont obligées de citer dans leurs statuts l’intégralité des dispositions légales s’appliquant aux ONG ; cette rédaction, outre qu’elle est coûteuse, est très longue, ce qui les empêche d’exercer les missions pour lesquelles elles souhaitent se constituer en association. Les financements internationaux se font de plus en plus rares parce que les bailleurs de fonds doivent être agréés par le ministère de la justice et par le ministère des taxes, et parce que le demandeur doit être autorisé à percevoir cet argent. Ces exigences multiples rendent le processus très long, parfois impossible à mener à son terme, et décourageant pour les bailleurs de fonds.

Actuellement, sont menacés ceux qui travaillent dans le domaine des droits civils et politiques mais aussi dans les domaines des droits de l’Homme des migrants, de la protection de l’enfance et de la défense de l’environnement.

Le rôle que jouent les entreprises internationales, singulièrement pétrolières, est également inquiétant ; elles s’allient au pouvoir et aux médias pour salir la réputation des défenseurs de l’environnement et multiplient les attaques contre les militants qui refusent l’installation d’usines près de chez eux.

M. le président François Rochebloine. Quelles sont les entreprises en question ?

M. Michel Forst. Vous donner des noms aujourd’hui serait prématuré car d’ultimes vérifications sont en cours. Ils figureront probablement dans le rapport qui sera publié sur le site des Nations unies soixante-dix jours au moins avant la date de sa discussion devant le Conseil des droits de l’Homme du rapport, c’est-à-dire dans les premiers jours de janvier.

Le principe de la liberté de réunion est systématiquement violé. Les directeurs des grands hôtels étant menacés par l’État s’ils ouvrent la porte de leurs établissements à des dissidents, ils ne leur louent ni ne leur prêtent aucune salle. S’il s’en trouve une, c’est à une dizaine de kilomètres de la capitale ; cela empêche ceux qui voudraient se rendre à la réunion de le faire.

Les manifestations sont fortement réprimées. J’ai moi-même constaté, le 17 septembre dernier, la violente répression de celle qui a eu lieu à Bakou à quelques jours du référendum constituant. Ayant recueilli, à la suite de témoignages, une cinquantaine de noms de personnes arrêtées, je les ai transmis au gouvernement pour lui demander des comptes ; je n’ai obtenu aucune réponse à ce jour.

Vous m’avez interrogé sur la réaction du gouvernement azerbaïdjanais à ma mission. La règle veut que, le dernier jour de chacune de mes visites officielles, je sois reçu par le gouvernement, qui invite la plupart des acteurs que j’ai pu rencontrer. C’est ce qui a eu lieu à Bakou. Ayant lu devant une cinquantaine de personnes ma déclaration de fin de mission, synthèse de mes principales observations visant à permettre des échanges avec le gouvernement, j’ai immédiatement été attaqué par le représentant du Conseil de la présidence. Il m’a demandé pourquoi je n’avais pas fait mention d’autres éléments qu’il jugeait plus importants : les droits des personnes déplacées à l’intérieur du pays depuis que l’Arménie occupe une partie du territoire azerbaïdjanais. J’ai répondu à cette interpellation que mon mandat porte sur la protection des défenseurs des droits de l’Homme et qu’il revenait au gouvernement azerbaïdjanais d’inviter le rapporteur spécial sur les droits de l’Homme des personnes déplacées dans leur propre pays s’il le jugeait nécessaire. La situation était assez étrange : on ne parlait pas du tout de la déclaration dont je venais de donner lecture mais l’on me demandait de m’exprimer sur des éléments qui ne relèvent pas de mon mandat.

M. le président François Rochebloine. Votre interlocuteur contestait-il la teneur de vos observations ?

M. Michel Forst. Il contestait mon interprétation des faits à chaque fois que je citais un nom, et pour commencer celui d’Ilgar Mammadov, cet opposant arrêté quelques mois avant les élections présidentielles pour des motifs douteux et condamné à sept ans et demi de prison, prison où il a été sévèrement battu. Le gouvernement azerbaïdjanais, qui le considère non pas comme un défenseur des droits de l’Homme mais comme un opposant politique, l’accuse de « hooliganisme » et d’incitation à renverser le pouvoir. Pour moi, c’est un défenseur des droits de l’Homme qui cherche à faire respecter ces droits et qui a été emprisonné parce qu’il cherche à être élu, à promouvoir des élections libres et démocratiques – ce que ne sont pas les élections en Azerbaïdjan –, la liberté de réunion, inexistante en Azerbaïdjan, et la liberté d’exprimer des opinions dissidentes sans être réprimé. Pour chaque nom cité de défenseur des droits de l’Homme victime de la répression du pouvoir, il m’a été répondu que c’était celui d’un « voyou » condamné pour « hooliganisme » – sans que l’on puisse me donner la définition de ce terme dans le code pénal azerbaïdjanais puisqu’il n’y en a pas. C’était donc un dialogue de sourds.

À l’issue de chacune de mes missions, j’invite la presse nationale et internationale à entendre mon diagnostic sur le pays considéré. Beaucoup de ce que j’ai exposé a été repris dans la presse internationale mais aussi dans la presse locale et contesté de diverses manières par le gouvernement d’Azerbaïdjan. Dès mon départ, le vice-président de la République a publié un communiqué alléguant que j’aurais peut-être des origines arméniennes, ce qui expliquerait mon acharnement à l’encontre de l’Azerbaïdjan. Il a aussi été fait référence à mes activités passées dans des ONG, oubliant qu’elles sont parfaitement légitimes. J’ai également été, comme vous l’avez rappelé, secrétaire général de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme française et j’ai exercé différents mandats à l’ONU et à l’UNESCO.

Ma carrière parle pour moi : mon jugement sur ce que j’ai constaté en Azerbaïdjan n’est pas partial. Il est semblable à celui que j’ai porté sur ce que j’ai vu ailleurs. Cette année, je me suis rendu dans trois pays en mission officielle : en Hongrie en juin, en Azerbaïdjan en septembre et en Australie au mois d’octobre. À chaque fois, même en Australie, les conclusions de mes rapports ont été contestées, assez vivement. Cela ne m’émeut guère : mes collègues rapporteurs spéciaux sont, comme je le suis, toujours vilipendés par le gouvernement en place, que leurs rapports traitent de la torture, des droits de l’Homme des migrants ou de ceux des personnes déplacées dans leur propre pays.

En mars 2017, mon rapport final sera examiné par le Conseil des droits de l’Homme en présence des ambassadeurs. Ce sera l’occasion pour le gouvernement azerbaïdjanais de répondre, par écrit et oralement, aux conclusions du rapport, et pour les ambassadeurs présents à Genève de préciser leur point de vue – mais je sais que mon diagnostic est partagé par la délégation de l’Union européenne.

L’un des leviers pour agir est le pétrole, puisque c’est sur cette ressource que compte le gouvernement azerbaïdjanais. Je signale enfin que j’ai rendez-vous la semaine prochaine à Genève avec l’ambassadeur d’Azerbaïdjan qui souhaite dialoguer avec moi avant la présentation officielle de mon rapport au Conseil des droits de l’Homme.

M. le président François Rochebloine. Je vous remercie. Nous avons reçu l’ambassadeur d’Azerbaïdjan en France et entendu aussi l’ambassadrice de France en Azerbaïdjan. Cela démontre, s’il en était besoin, l’importance d’entendre différents points de vue.

Votre déclaration de fin de mission s’ouvre par des remerciements adressés au gouvernement azerbaïdjanais pour « son excellente coopération » et pour les efforts qu’il a déployés pour s’assurer que vous retiriez « le meilleur profit » de votre visite. Comment s’est manifestée cette coopération ?

M. Michel Forst. J’ai tenu à souligner ce point car sur le plan formel, la coopération a effectivement été excellente. On ne m’a refusé aucune visite, j’ai pu rencontrer toute personne que je souhaitais rencontrer et l’on m’a communiqué les documents que je demandais. Une seule difficulté est apparue, quand j’ai dit vouloir m’entretenir avec des opposants politiques emprisonnés, mais elle a été résolue après une intervention officielle de l’ONU et cela m’a été accordé. Je ne dis pas que mes entretiens en prison n’ont pas été écoutés mais j’ai eu avec de courageuses personnes incarcérées, qui m’ont dit ce qu’elles pensaient de la situation, des échanges de qualité, non limités dans le temps.

M. le président François Rochebloine. Vous faites état de pressions exercées sur des sociétés étrangères pour qu’elles ne fassent pas bénéficier d’annonces publicitaires les journaux insuffisamment favorables au Gouvernement. Comment avez-vous eu connaissance de ces agissements ? Des entreprises françaises sont-elles concernées ?

M. Michel Forst. Oui, mais je ne peux vous en donner les noms aujourd’hui car la règle veut que les vérifications nécessaires soient faites auprès des entreprises. Il se peut que je retire certains noms de la liste actuelle si ces informations contredisent ce que m’ont dit en Azerbaïdjan des journalistes et des directeurs de médias : que certains de ces organes de presse sont en perdition faute de publicité, le gouvernement faisant pression sur les annonceurs, entreprises publiques ou entreprises étrangères, pour qu’ils réduisent ou suppriment leurs investissements publicitaires dans les médias nationaux critiques à l’égard du gouvernement, les privant ainsi de ressources.

M. le président François Rochebloine. Vous indiquez que la législation a été modifiée en 2013 de manière à réduire les informations publiques sur les sociétés et, ainsi, à entraver l’action des ONG luttant contre la corruption ; quels éléments vous permettent d’aboutir à cette conclusion ? Plus généralement, estimez-vous que ceux qui dénoncent la corruption en Azerbaïdjan courent le risque d’atteintes à leurs libertés fondamentales, sous la forme de tracasseries administratives ou de poursuites pénales par exemple ?

M. Michel Forst. Après que ces informations m’ont été données par plusieurs personnes, je me suis entretenu deux fois, longuement, avec le directeur des taxes, afin qu’il m’explique la nouvelle législation et me dise comment l’on pourrait dorénavant connaître la répartition de l’actionnariat d’une société propriétaire d’un hôtel ou d’une entreprise. En pratique, il est maintenant impossible de savoir qui est au capital d’une entreprise et quelles modifications interviennent dans sa composition : ces données sont désormais couvertes par le secret des affaires et nul n’a accès au registre du commerce et des sociétés. Mon interlocuteur m’a indiqué que ces dispositions visaient à mettre fin aux « pressions » et « tentatives de chantage » dont avaient été victimes les porteurs de parts de certaines sociétés dans le passé. Telle est l’explication officielle. Certains disent que de nombreux proches du pouvoir sont directement impliqués dans des opérations frauduleuses ou des actes de corruption, mais Transparency international ne peut plus en faire mention publiquement faute d’avoir accès aux informations qui le démontreraient. Alors que le gouvernement azerbaïdjanais dit lui-même que le niveau de corruption est fort dans le pays, il cache les informations permettant de dénoncer la corruption, rendant très difficile la mise à jour des pratiques frauduleuses ou la corruption des agents de l’État.

M. le président François Rochebloine. Vous avez tiré de votre mission la conclusion provisoire suivante : « Au cours des deux ou trois dernières années, la société civile azerbaïdjanaise a fait face à la pire situation depuis l’indépendance du pays ». Pouvez-vous préciser et justifier cette affirmation ? Comment expliquez-vous cette dégradation récente ?

M. Michel Forst. Ce constat n’est pas seulement le mien ; il a aussi été fait par d’autres agents de l’ONU et dans une publication de l’UNESCO relative à la protection des sources d’information des journalistes. Depuis trois ou quatre ans ont lieu des attaques concertées successives contre la société civile, comme en témoignent le durcissement du régime d’enregistrement et d’accès aux financements pour les ONG, la création de GONGO et de sociétés de service qui remplacent les ONG, les arrestations arbitraires et l’emprisonnement d’un grand nombre de militants des droits de l’Homme. Nous avons des listes de noms des victimes de ces agissements ; elles montrent que le nombre de militants attaqués, menacés et diffamés par les medias, les parlementaires et le gouvernement va croissant. Il en résulte le phénomène bien connu, y compris en Europe centrale, du rétrécissement de l’espace accordé à la société civile.

Malheureusement en effet, alors que l’Europe est le plus grand acteur de la protection des droits de l’Homme dans le monde, des attaques comme il s’en produit en Azerbaïdjan sont de plus en plus fréquentes et violentes en Hongrie, en Pologne, en République tchèque et en Slovaquie. L’impératif de cohérence qui voudrait que l’Union européenne soit vertueuse pour donner des leçons à l’extérieur ne vaut plus, si bien que des gouvernements qui devraient s’inspirer des pratiques vertueuses européennes copient de mauvaises pratiques. Je m’en suis ouvert aux services de Mme Federica Mogherini, et une réunion aura lieu sur la protection de la société civile dans l’espace de l’Union européenne. Il est véritablement fâcheux que le gouvernement de M. Aliev puisse me dire qu’il s’est inspiré de la législation hongroise pour modifier celle de l’Azerbaïdjan. Que l’Europe donne de mauvaises leçons sur la protection de la société civile est inquiétant.

M. le président François Rochebloine. Avez-vous évoqué l’affaire Safarov ?

M. Michel Forst. Non.

M. le président François Rochebloine. Notre rapporteur, Jean-Louis Destans, empêché, m’a prié de vous poser les questions qu’il aurait souhaité vous poser lui-même. La première porte sur la coordination institutionnelle : existe-t-elle entre vous et le commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe ainsi qu’avec le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’Homme (BIDDH) de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ?

M. Michel Forst. J’ai créé une réunion « inter-mécanismes » à laquelle j’invite le commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, le directeur du BIDDH et, pour l’Afrique, ma collègue rapporteure spéciale sur les défenseurs des droits de l’Homme en Afrique, ainsi que la Commission interaméricaine. Une réunion de deux jours a eu lieu la semaine dernière à Bruxelles ; elle visait à renforcer notre coopération pour rendre notre action collective plus efficace. J’ai omis, dans mon propos liminaire, de mentionner le nombre frappant de condamnations de l’Azerbaïdjan par des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) que le gouvernement refuse d’exécuter – par exemple, une série de décisions de la CEDH concernant Ilgar Mammadov.

Je coordonne mon action avec le commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe et le BIDDH et avec l’OSCE dans son ensemble, dont la diplomatie confidentielle est parfois assez efficace. Le commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe est plus véhément ; nous avons récemment publié deux communiqués assez forts : lors des Jeux de Bakou et lors de l’arrestation de défenseurs des droits de l’Homme en Azerbaïdjan.

M. le président François Rochebloine. Les Jeux de Bakou ont été un succès et les stades étaient pleins. Dans quelle proportion les Azerbaïdjanais ont-ils participé aux compétitions ?

M. Michel Forst. Je n’ai pas suivi les Jeux de près. Ils ont été l’occasion de transformer la ville de Bakou, qui a maintenant un nouveau visage. Des investisseurs privés inconnus étaient à la manœuvre, et si la vitrine est très belle, il est frappant de constater que ces immeubles à la façade haussmannienne sont à l’évidence inoccupés.

M. le président François Rochebloine. Autre question de notre rapporteur : quelles sont les possibilités d’action des défenseurs des droits de l’Homme en Azerbaïdjan ?

M. Michel Forst. Elles sont très limitées. J’ai proposé au gouvernement d’Azerbaïdjan de revenir dans quelques mois faire une contre-expertise, une mission de bons offices pour contribuer à la révision de la législation régissant les ONG, la liberté de la presse, les lanceurs d’alerte, les blogueurs… Mais cette proposition visant à améliorer la situation connaît pour l’instant une fin de non-recevoir. Lors de mon rendez-vous, la semaine prochaine, avec l’ambassadeur d’Azerbaïdjan, j’espère le convaincre d’envisager cette visite.

Des pressions efficaces sont néanmoins possibles. L’Azerbaïdjan vit essentiellement de ses revenus pétroliers ; la baisse du prix du pétrole et le fait que le pays soit désormais banni de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives obligent l’Azerbaïdjan à donner des gages de bonne conduite. Je pense que les pressions qui seront exercées par la communauté internationale auront un résultat. Je compte aussi, pour partie, sur les entreprises internationales, qui ont un rôle à jouer pour améliorer la situation des défenseurs de droits de l’Homme. Le fait que des noms de victimes de l’arbitraire soient cités lors de la réunion de mars du Conseil des droits de l’Homme et que les ambassadeurs fassent des recommandations positives pourraient amener les autorités azerbaïdjanais à reconsidérer sinon toutes leur pratiques, du moins certaines de celles qui sont néfastes pour les défenseurs de droits de l’Homme.

M. le président François Rochebloine. Le Quai d’Orsay est-il tenu informé de votre action ?

M. Michel Forst. Oui. Même si mes équipes, aux Nations unies, me donnent d’excellentes informations, je peux ainsi affiner mon approche de la situation.

M. le président François Rochebloine. Quelles ONG, aimerait savoir notre rapporteur, sont encore présentes en Azerbaïdjan?

M. Michel Forst. L’agrément a été refusé à de nombreuses ONG internationales, Amnesty International comprise, si bien que sa section locale ne peut poursuivre ses activités en Azerbaïdjan. La section azerbaïdjanaise de Transparency International survit, et j’ai été heureux de rencontrer l’un de ses membres à la XVIIe conférence internationale de lutte contre la corruption qui vient de se tenir à Panama. La grande ONG américaine Freedom House, financée par USAID, considère que la loi relative aux ONG ne s’applique pas aux agences de développement et de coopération ; elle ne la respecte pas et ne fait pas enregistrer les financements qu’elle apporte aux ONG azerbaïdjanaises. L’Union européenne étant sur la même ligne, cette résistance pourrait contribuer à desserrer l’étreinte qui se referme sur la société civile.

M. le président François Rochebloine. M. Jean-Louis Destans aimerait aussi savoir quelles réformes clefs vous préconisez en matière de justice et de libertés publiques.

M. Michel Forst. Les recommandations figurant dans le rapport répondent à cette question. Il faut reprendre avec le pouvoir azerbaïdjanais une coopération juridique technique permettant de redresser l’État de droit en assurant la séparation des pouvoirs, en réformant la justice et en révisant le code pénal et le code de procédure pénale pour supprimer de la législation toutes les mesures contraires au droit international – et elles sont nombreuses. Reportez-vous au rapport de la Commission de Venise ; il est accablant.

M. le président François Rochebloine. Étant membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, je ne le sais que trop.

M. Jean-François Mancel. Vous êtes, monsieur Forst, un homme très respectable, mais vous êtes le défenseur des droits contre les pouvoirs – contre tous les pouvoirs, vous l’avez dit, et donc pas uniquement contre le pouvoir azerbaïdjanais. Vous avez d’ailleurs cité bon nombre de pays européens qui ne montrent pas l’exemple. Certes, l’Azerbaïdjan n’est pas une démocratie à la française, mais pour ma part, je ne me sens pas capable de donner des leçons de démocratie à l’étranger car je ne suis pas convaincu d’être porteur de suffisamment d’impartialité et de démocratie en France pour cela.

L’Azerbaïdjan n’est indépendant que depuis vingt-cinq ans. Il a, auparavant, subi soixante-dix années de soviétisme pendant lesquelles des habitudes et des traditions ont été prises qui se sont maintenues. Certains comportements culturels et populaires sont la trace de cet asservissement, qu’à l’époque on dénonçait bien peu. De plus, il s’agit d’un pays en guerre, dont 20 % du territoire est occupé ; je gage d’ailleurs que si vous meniez une mission en Arménie, vous y constateriez les mêmes problèmes, dus aux contraintes d’un pays en guerre. Enfin, l’Azerbaïdjan est un pays laïc où vivent de nombreux musulmans et dont les voisins, à commencer par l’Iran, peuvent inquiéter. Pour ces différentes raisons, ne pouvez-vous sinon approuver, du moins comprendre que l’Azerbaïdjan soit conduit à avoir, en matière de respect des droits de l’Homme, une attitude moins ouverte qu’un pays qui n’est confronté à aucune menace ? J’ai rappelé à la représentante d’Amnesty International, quand nous l’avons reçue, que l’ONG au nom de laquelle elle s’exprimait avait jugé liberticide la loi française relative à l’état d’urgence. On peut en débattre, mais cela tient à un contexte général et à des contraintes internes et externes qui s’imposent à nous et font évoluer notre législation.

Vous avez indiqué, et je vous félicite pour votre honnêteté, que vous ne donneriez aucune information qui n’aurait pas été vérifiée. Or, vous avez évoqué ce qui se dit des conséquences de la révision constitutionnelle en Azerbaïdjan ; pour éviter des interprétations hasardeuses, il serait bon de les préciser. Sachant que la porte-parole d’Amnesty International a fait une évaluation erronée de moitié de la participation au referendum en Azerbaïdjan, il faut se méfier des assertions non argumentées. Évoquant les vingt-neuf amendements à la Constitution azerbaïdjanaise qui, selon elle, iraient dans le mauvais sens, elle a cité la disposition portant de cinq à sept ans la durée du mandat présidentiel. Mais la France a vécu dans ce cadre pendant des décennies sans que personne, sinon peut-être Gaston Monnerville en 1958, n’ait jamais considéré cela comme une violation des droits de l’Homme ! Quels sont les exemples concrets d’atteintes aux droits de l’Homme induites par la révision constitutionnelle en Azerbaïdjan ? Pour ma part, je n’en vois aucun.

Vous indiquez avoir été très bien accueilli, mais qu’ensuite deux approches des droits de l’Homme sont entrées en conflit, celle du pouvoir et la vôtre. Vous avez fait valoir que la question des réfugiés et des personnes déplacées en Azerbaïdjan ne vous concernait pas, et vous avez cité le cas de quelques dizaines d’individus. Mais il faut aussi se mettre à la place du gouvernement d’Azerbaïdjan, qui constate qu’on vient lui tirer les oreilles à propos d’une cinquantaine de personnes que l’on considère comme étant victimes d’un traitement injuste alors qu’il prend en charge – très efficacement, nous a dit M. Pierre Andrieu, ancien co-président français du groupe de Minsk – 200 000 personnes déplacées et 700 000 réfugiés dont le territoire est occupé par un pays étranger. Qui est là pour faire respecter les droits de ces 900 000 personnes ?

M. Michel Forst. Le texte publié en ligne sur le site de l’ONU est ma déclaration de fin de mission, un document succinct qui ne peut faire état de toutes les informations que j’ai reçues. Depuis septembre, mon équipe, à Genève, vérifie les sources et attend des confirmations de manière que le rapport final soit complet. Au début de ma déclaration, loin de les nier, je mentionne expressément les difficultés auxquelles le gouvernement azerbaïdjanais est confronté depuis de nombreuses années en raison de problèmes diplomatiques compliqués et des personnes déplacées à l’intérieur du pays. Cela étant, certains pays voisins de l’Azerbaïdjan qui ont connu, eux aussi, le joug communiste s’en sont sortis sans adopter l’attitude répressive, ancienne, des autorités azerbaïdjanaises.

On ne peut comparer la situation de la cinquantaine de cas dont j’aurais pu faire état devant vous et celle de 700 000 personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays car elles ne sont pas comparables. La communauté internationale, par le biais de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) , s’est fortement engagée en faveur de ces personnes déplacées ; le fardeau ne repose pas sur le seul gouvernement azerbaïdjanais. En revanche, les quelques cas que j’ai cités sont emblématiques d’un système et de graves violations des droits de l’Homme. Imaginez qu’en France, au moment des élections présidentielles, le Président de la République décide de faire emprisonner son principal opposant et, en l’accusant d’être un dangereux hooligan, le fasse condamner à sept ans et demi de prison, si bien qu’il ne pourra plus se présenter aux élections !

M. Jean-François Mancel. On en a fait écouter un…

M. Michel Forst. Sans doute, mais on n’a pas donné l’ordre à la justice de le mettre en prison !

M. le président François Rochebloine. Et aurait-ce été le cas que nous eussions été les premiers à réagir !

M. Michel Forst. On n’imagine même pas que la justice puisse, en France, répondre à une injonction du président de la République et condamner son principal opposant à sept ans et demi de prison ! La situation faite à M. Ilgar Mammadov montre l’état de déliquescence du pouvoir.

Pour ce qui est de l’effet de la révision constitutionnelle, je ne peux vous dire aujourd’hui quels éléments me semblent le plus inquiétants ; ces précisions figureront dans le rapport final, mais je ne m’attacherai pas tant à cette réforme qu’aux événements qui l’ont accompagnée. Je décrirai par exemple que, le 17 septembre dernier, à la veille du référendum, des personnes voulant manifester ont été arrêtées, embastillées et condamnées à des peines de prison. Je dirai qu’avant même la manifestation, des policiers et des membres des services de sécurité se sont livrés à de l’intimidation en allant chez des gens pour les dissuader de venir manifester. Je me suis entretenu avec le directeur général des services de sécurité – et je salue une nouvelle fois l’ouverture du gouvernement d’Azerbaïdjan – à qui j’ai donné la liste des noms des personnes victimes d’intimidation ou arrêtées. Il a téléphoné devant moi en demandant que l’on enquête ; j’attends toujours sa réponse. Un ensemble d’éléments me laisse à penser que la situation est fortement détériorée sur le plan des libertés fondamentales en Azerbaïdjan.

M. Jean-François Mancel. Mais le droit de manifester existe.

M. Michel Forst. C’est un droit théorique.

M. Jean-François Mancel. En France aussi, on a connu des interdictions de manifester, des arrestations pendant les manifestations et des condamnations ensuite. Ce que vous relatez, c’est l’anticipation de certains comportements par des interdictions de manifester. Cela s’est pratiqué dans notre pays aussi, plusieurs fois, récemment, et cela a été contesté. Cela relativise donc les choses sur ce point.

Par ailleurs, comment peut réagir un État qui attend depuis 1993 l’application de quatre résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies dénonçant l’occupation de 20 % de son territoire et condamnant l’occupant à le quitter, et qui constate que le droit international ne s’applique pas à son profit ? Il peut juger injuste que l’on vienne lui chercher des noises à propos de certains cas individuels alors qu’un cinquième de son territoire est occupé en violation flagrante du droit international.

M. Michel Forst. Nous sommes dans deux registres différents. Combien de résolutions du Conseil de sécurité ne sont pas appliquées dans le monde, avec des situations parfois plus graves – je pense notamment à Israël ? Il s’agit ici d’un droit national en totale contradiction avec les engagements souscrits par un État partie à toutes les conventions internationales et aux deux pactes relatifs à la protection des droits de l’Homme. Les rapports des organes chargés d’observer la manière dont l’Azerbaïdjan respecte ses obligations soulignent unanimement que ce pays viole tous les traités internationaux relatifs aux droits de l’Homme sur son territoire. Cet élément grave dit la situation inquiétante dans laquelle vit le pays actuellement.

M. le président François Rochebloine. Nous avons, en France, la chance de pouvoir manifester librement, chacun doit en convenir.

Je vous remercie, monsieur le rapporteur spécial, pour votre franchise, votre objectivité et la parfaite clarté de vos propos. Votre rapport nous sera d’une grande utilité.

La séance est levée à douze heures quarante cinq.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Mission d’information sur les relations politiques et économiques entre la France et l’Azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au Sud Caucase

Réunion du jeudi 8 décembre 2016 à 11 h 45

Présents. - M. Jean-François Mancel, M. François Rochebloine

Excusé. - M. Jean-Louis Destans