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Mission d’information sur les relations politiques et économiques entre la France et l’Azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au Sud Caucase

Mercredi 18 janvier 2017

Séance de 11 heures 45

Compte rendu n° 033

Présidence de M. François Rochebloine Président

– (Audition de M. Matthieu Combe, conseiller chargé de l’Europe orientale et de l’Asie centrale à la Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne)

Audition de M. Matthieu Combe, conseiller chargé de l’Europe orientale et de l’Asie centrale à la Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne

La séance est ouverte à onze heures quarante-cinq.

Présidence de M. François Rochebloine, président

M. le président François Rochebloine. Mes chers collègues, nous accueillons ce matin M. Matthieu Combe, conseiller chargé de l’Europe orientale et de l’Asie centrale à la Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne. Les attributions de M. Combe comportent en effet, parmi de multiples autres sujets, les relations entre l’Azerbaïdjan et l’Union européenne.

Je rappellerai simplement trois dates. En novembre 2006 a été conclu un « plan d’action » comportant le renforcement des coopérations en matière d’État de droit, de démocratisation et de gouvernance économique. L’année 2009 a vu l’intégration de l’Azerbaïdjan dans le Partenariat oriental de l’Union européenne. Enfin, c’est en juillet 2010 qu’ont débuté les négociations sur un éventuel accord d’association à vocation théoriquement plus large.

Depuis cette date, les relations n’ont guère progressé. L’Azerbaïdjan et l’Union européenne ne semblent pas – mais vous nous le préciserez – avoir la même conception de l’ampleur de l’accord d’association envisagé. De plus, Bakou a suspendu unilatéralement les négociations en septembre 2014, après le vote par le Parlement européen de sa résolution du 18 septembre 2014 sur la persécution des défenseurs des droits de l’Homme en Azerbaïdjan, qui souligne notamment que « le respect le plus strict des droits de l’Homme, des principes démocratiques, des libertés fondamentales et de l’État de droit est au cœur du cadre de coopération que constitue le partenariat oriental ».

Il semble cependant que les négociations doivent reprendre au cours du présent semestre.

Nous vous remercions par avance de faire le point sur ce processus, et de nous préciser quel est l’objet exact de la négociation nouvelle – un accord d’association ou une autre forme d’accord – et quels en sont les points principaux.

Rien n’indique que la situation des droits de l’Homme en Azerbaïdjan se soit améliorée depuis le vote de la résolution du Parlement européen en septembre 2014. Dès lors, quelles sont les raisons qui ont motivé la réouverture des négociations ?

Quelle est, également, la position de la France sur le principe de la réouverture des négociations, leur objectif et leurs modalités ?

Je vous donne maintenant la parole pour un exposé liminaire, avant que notre rapporteur, nos collègues et moi-même ne vous posions quelques questions complémentaires.

M. Matthieu Combe, conseiller chargé de l’Europe orientale et de l’Asie centrale à la Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne. Monsieur le président, je vous remercie pour votre invitation. Je suis effectivement chargé des relations entre l’Union européenne et l’Azerbaïdjan à la Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne et je siège donc, en tant que représentant de la France, au sein du groupe de travail du conseil de l’Union européenne chargé de l’Europe orientale et de l’Asie centrale, c’est-à-dire des six pays du partenariat oriental – Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Géorgie, Moldavie et Ukraine – ainsi que de la Russie, et des cinq pays d’Asie centrale – Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan, Tadjikistan et Turkménistan. C’est ce comité qui est compétent pour la négociation du futur accord et, de façon horizontale, pour tous les sujets liés à chacun de ces pays, dont l’Azerbaïdjan.

Je reviendrai brièvement sur les fondements des relations entre l’Union européenne et l’Azerbaïdjan, avant d’évoquer leurs développements depuis 2014 – notamment dans le contexte des résolutions du Parlement européen – et le contenu du futur accord de négociation.

Les relations entre l’Union européenne et l’Azerbaïdjan reposent sur trois fondements. Le premier, qui constitue le cadre contractuel toujours en vigueur, est l’accord de partenariat et de coopération de 1996, entré en vigueur en 1999. Cet accord, similaire à ceux conclus à la même époque avec tous les États nouvellement indépendants de l’ex-URSS, ne comprend pas de dispositions commerciales préférentielles, autres que la clause de la nation la plus favorisée, car les États concernés n’étaient pas membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) lors de sa négociation. Ces accords fixent les principes généraux ainsi que le cadre institutionnel des relations que l’Union européenne entretient avec chacun de ces pays. Pour ce qui est de l’Azerbaïdjan, il s’agit d’un conseil de coopération au niveau ministériel qui se réunit chaque année – le dernier s’est toutefois réuni en 2013 –, d’un comité de coopération ainsi que de ses sous-comités thématiques, ces deux dernières instances étant composées de hauts-fonctionnaires. La négociation qui va s’engager vise notamment à renouveler ce cadre contractuel, au moyen d’un nouvel accord qui se substituera à celui en vigueur.

Le deuxième cadre est celui de la politique européenne de voisinage, établie en 2004 et ayant conduit en novembre 2006 à l’adoption d’un plan d’action – d’une durée initiale de cinq ans, mais prorogé de façon tacite – qui détaille les priorités à court et moyen terme. Le plan met l’accent sur les coopérations en matière d’État de droit et de gouvernance économique, ainsi que sur la contribution possible de l’Union européenne à un règlement du conflit du Haut-Karabagh. C’est d’ailleurs dans le cadre de la politique européenne de voisinage que l’Azerbaïdjan est bénéficiaire d’instruments d’assistance, pour des montants assez limités par rapport à d’autres pays de la région. Ainsi, pour la période 2007-2015, l’Azerbaïdjan a reçu 179 millions d’euros au titre de l’Instrument européen de voisinage, qui est le principal outil de cette politique ; pour l’année 2016, l’allocation est de 13,5 millions d’euros. Parmi les six pays du partenariat oriental, l’Azerbaïdjan est le plus petit bénéficiaire de cet instrument, compte tenu du niveau de richesse du pays, mais aussi du fait de son ambition plus limitée que celle de ses voisins et de ses capacités d’absorption. Les fonds reçus représentent environ 2 euros par habitant et par an, alors que d’autres pays, tels que la Moldavie, reçoivent autour de 37 euros par habitant. L’Union européenne est néanmoins le premier bailleur international de l’Azerbaïdjan, en particulier dans le domaine du développement régional et rural, avec comme principal instrument les jumelages administratifs, pour lesquels la France est particulièrement performante, avec sept jumelages en cours depuis 2015 sur les trente et un jumelages européens décidés depuis 2007. Ils sont souvent conduits avec d'autres partenaires tels l’Espagne et la Hongrie.

Je précise que l’Azerbaïdjan n’est plus éligible au schéma de préférences généralisées, un régime d’encouragement commercial assorti d’un certain nombre de conditions, notamment quant au niveau de richesse.

Le troisième cadre des relations entre l’Union européenne et l’Azerbaïdjan est le Partenariat oriental mis en place depuis 2009, qui associe un volet multilatéral de coopération entre les partenaires sous l’égide de l’Union européenne et un volet bilatéral, constitué des relations entre l’Union européenne et chacun des six pays concernés. C’est à ce titre que diverses pistes ont été examinées avec l’Azerbaïdjan. La première, qui devait s’appliquer à chacun des six pays partenaires, consistait à rénover le cadre contractuel, d’où l’intention de négocier un accord d’association, comme nous l’avons fait avec la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine – une négociation avait été finalisée avec l’Arménie, mais l’accord n’a pas été signé. Avec l’Azerbaïdjan, la négociation a été ouverte en juillet 2010, en même temps qu’avec les autres – à l’exception de l’Ukraine, qui avait commencé un peu avant. De fait, elle a été interrompue en 2012 : cela n’a pas été formalisé mais, de fait, les dernières sessions substantielles remontent à mai 2012, Bakou ne semblant alors plus intéressé par l’offre d’association.

M. le président François Rochebloine. L’Azerbaïdjan a d’ailleurs suspendu unilatéralement les négociations en 2014.

M. Matthieu Combe. Plus largement, c’est tout un ensemble de coopérations avec l’Union européenne que l’Azerbaïdjan a suspendu en 2014. Pour ce qui est des négociations en vue d’un accord d’association, elles étaient de fait interrompues depuis 2012 – à l’initiative de Bakou, qui n’était plus demandeur d’une association au sens de celles en négociation, à l’époque, avec la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine, c’est-à-dire d’un accord comprenant une association politique et une intégration économique sous la forme d’une libéralisation tarifaire très large en échange d’une reprise de l’acquis communautaire. Pour l’Azerbaïdjan, l’objectif était déjà légèrement différent, puisque l’accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA), qui constitue le volet commercial de l’accord d’association, nécessite que le pays partenaire soit membre de l’OMC, ce qui n’était pas le cas et ne l’est toujours pas. La négociation portait néanmoins sur les aspects sectoriels et supposait une reprise de l’acquis. Bakou a finalement indiqué ne pas être intéressé, probablement parce que cela supposait des ajustements dans certains domaines, auxquels il ne souhaitait pas procéder. Depuis 2012, la rénovation du cadre contractuel, qui est l’un des objectifs du Partenariat oriental, était donc en suspens.

Le deuxième objectif commun à tous les pays du Partenariat oriental est le renforcement de la mobilité, avec comme principal outil l’objectif de long terme de la libéralisation du régime des visas de court séjour. Cet objectif, envisageable dès lors que les conditions d’une mobilité sûre et bien gérée sont réunies, implique de mener à bien un processus long et comprenant un certain nombre d’étapes, dont la première est la négociation et la signature d’accords de facilitation de la délivrance des visas et de réadmission – les deux sont indissociables. Avec l’Azerbaïdjan, ces accords signés en novembre 2013 et février 2014 sont entrés en vigueur le 1er septembre 2014. C’est le même régime qui s’applique à l’Arménie, les accords ayant été signés un peu avant.

La deuxième étape vers la libéralisation est constituée d’un dialogue sur la libéralisation des visas, qu’il appartient au Conseil de décider d’ouvrir – ce qui n’est pas encore le cas pour l’Azerbaïdjan – et au cours duquel on essaie de déterminer si les conditions pour avancer dans cette direction sont réunies non seulement sur le plan technique, mais aussi par rapport à certaines conditions, notamment la gestion des frontières.

M. le président François Rochebloine. C’est ce dialogue qui a permis la réouverture des négociations ?

M. Matthieu Combe. L’objectif de libéralisation existait en 2009 au moment où s’est ouverte la négociation de l’accord d’association.

M. le président François Rochebloine. Mais pourquoi la négociation de l’accord d’association, qui était suspendue, reprend-elle aujourd’hui ?

M. Matthieu Combe. Alors qu’il n’y avait pas eu de négociations sur un nouvel accord d’association pendant quasiment quatre ans – tout au plus quelques tentatives infructueuses, jamais formalisées –, en 2015, lors du sommet du Partenariat oriental, à Riga, l’Azerbaïdjan s’est dit demandeur d’un accord dit de partenariat stratégique. Il s’est écoulé plus d’un an avant que l’Union européenne ne puisse répondre à cette demande, et c’est en novembre 2016 qu’a été adopté un mandat pour un nouvel accord, destiné à remplacer l’accord de partenariat et de coopération de 1996. Cet accord ne portera sans doute pas le titre d’accord d’association, Bakou ne le souhaitant pas, et différera des accords d’association signés avec la Moldavie, la Géorgie ou l’Ukraine, dans la mesure où il ne comprendra pas d’accord de libre-échange complet et approfondi au titre de son volet commercial.

Sur le plan juridique, il s’agira bien d’un accord d’association au sens des traités, la dénomination de l’accord étant quant à elle déterminée à l’issue des négociations, en fonction de son contenu, mais aussi des souhaits des parties. Pour ce qui est de l’Azerbaïdjan, le Conseil a autorisé l’ouverture de négociations pour un accord global, ce qui ne veut pas dire qu’à l’issue de la négociation – si celle-ci parvient à son terme –, l’accord sera qualifié ainsi. L’adjectif « global » qualifie surtout l’intention initiale des parties de voir le futur accord couvrir au moins tous les sujets abordés par le précédent, mais la dénomination ne sera tranchée qu’au terme des négociations, en fonction du contenu de l’accord et du souhait des parties.

De la même façon, avec l’Arménie, l’Union européenne négocie un accord-cadre qui diffère de l’accord d’association qui avait été négocié. En tout état de cause, un accord d’association correspond à un type de relations avec l’Union européenne, dont l’Azerbaïdjan n’est pas demandeur – comme ne l’était plus l’Arménie après son choix de rejoindre l’Union économique eurasiatique.

Parallèlement à la négociation du cadre contractuel, il peut y avoir une négociation sur la mobilité, avec un objectif de libéralisation comprenant un certain nombre d’étapes. Le processus est encore en cours pour la Géorgie et l’Ukraine, et a été mené à son terme pour la Moldavie. Après avoir franchi la première étape, celle des accords de facilitation et de réadmission, désormais en vigueur, l’Azerbaïdjan ne souhaite pas aller au-delà pour le moment. Même si c’était le cas, plusieurs conditions devraient être remplies, à savoir décision du Conseil, discussion technique, évaluation par la Commission et, pour finir, décision politique.

M. le président François Rochebloine. Dans quel délai cela pourrait-il se faire ?

M. Matthieu Combe. En général, on évite de fixer des délais à l’avance : l’issue du processus est ouverte et son avancement dépend du respect des critères. En ce qui concerne l’Azerbaïdjan, ce n’est qu’une perspective théorique, puisqu’il n’y a pas de demande pressante de sa part.

Je précise que ces procédures ne sont pas spécifiques à l’Azerbaïdjan, mais ont vocation à s’appliquer aux six pays du partenariat oriental. Si l’Azerbaïdjan présente une spécificité dans la région, celle-ci réside dans le protocole d’accord sur un partenariat stratégique dans le domaine de l’énergie qui a été signé en novembre 2006, donc en même temps que le plan d’action que vous avez mentionné. C’est une déclaration politique comme l’Union européenne a en fait avec d’autres pays, notamment l’Algérie, et qui a aujourd’hui pour objet de donner un cadre politique au corridor gazier Sud, donc à l’objectif d’utiliser ce corridor pour la diversification des routes et sources d’approvisionnement de l’Union européenne, dans un objectif de sécurité énergétique. L’Azerbaïdjan est, avec l’Ukraine, le seul pays du partenariat oriental à bénéficier de ce cadre politique.

Pour ce qui concerne les développements récents ayant conduit à la reprise des négociations, les années 2014 et 2015 ont correspondu à des phases délicates dans les relations entre l’Union et l’Azerbaïdjan. Vous avez mentionné les résolutions, critiques, du Parlement européen de septembre 2014 et de septembre 2015, auxquelles l’Azerbaïdjan a réagi en réduisant son niveau de coopération avec l’Union européenne, et en prenant la décision, en octobre 2014, de suspendre sa participation aux différents cadres qui avaient été établis par l’accord de 1996 – conseil de coopération, comité de coopération, sous-comités. Il est revenu sur cette décision à l’automne 2016, et les réunions de ces instances ont pu reprendre. Par ailleurs, l’Azerbaïdjan a suspendu ses relations avec le Parlement européen en septembre 2015, y compris dans le cadre de l’Assemblée parlementaire du partenariat oriental – Euronest, une assemblée composée paritairement de parlementaires européens et de parlementaires des pays partenaires –, dont il avait pourtant accueilli la première réunion en 2012. L’Azerbaïdjan a aussi décidé de reporter des contacts techniques prévus pour l’automne 2015, en vue de la négociation du nouvel accord qu’il venait de proposer, lors du sommet de Riga, en mai 2015. Le président du Conseil européen, Donald Tusk, s’était rendu à Bakou en juillet 2015 pour une visite portant notamment sur les possibilités de renouvellement du cadre contractuel et il avait été décidé d’avoir des contacts techniques à l’automne mais, à la suite de la résolution du Parlement, mais ces contacts se sont trouvés reportés d’un commun accord, traduisant une certaine insatisfaction de Bakou dans ses relations avec l’Union européenne – insatisfaction d’ailleurs réciproque, pour d’autres raisons.

Du côté azerbaïdjanais, la crispation avait notamment trait aux prises de position publiques de l’Union européenne au sujet de la situation des droits de l’Homme – déclarations émanant des institutions européennes, du porte-parole du Service européen pour l’action extérieure (SEAE), déclarations à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), et résolutions du Parlement européen. Il s’y ajoutait un autre point sensible, celui du conflit du Haut-Karabagh : dans le contexte de la crise ukrainienne, l’Azerbaïdjan considérait qu’il y avait de la part de l’Union européenne un double standard avec la Crimée d’une part et le Haut-Karabagh de l’autre.

Sur ces points, l’Union européenne s’efforce de maintenir une approche associant fermeté sur ses positions de principe et ouverture au dialogue.

C’est pour cette raison qu’en 2015-2016, elle s’est employée à maintenir, autant que possible, des contacts politiques avec l’Azerbaïdjan. Les relations se sont progressivement dégelées, notamment avec la visite à Bakou en février 2016 de Federica Mogherini, Haute Représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Au cours de ce qui constituait une visite régionale – puisqu’elle s’est poursuivie par un déplacement à Erevan –, Mme Mogherini, accompagnée du vice-président pour l’énergie Maroš Šefčovič, a participé à une réunion du Conseil consultatif du corridor gazier Sud. Elle a également rencontré le président Aliev – qu’elle a vu de nouveau en mai 2016 à Vienne, en marge d’une réunion sur le Haut-Karabagh à laquelle participaient les présidents azerbaïdjanais et arménien. Au cours de la visite de février 2016, qui avait été précédée d’une reprise des contacts techniques sur le futur accord, les autorités azerbaïdjanaises ont exprimé le souhait d’avancer vers l’ouverture de négociations et de participer à nouveau aux réunions des instances de l’Union européenne dont elles s’étaient mises en retrait – conseil et comité de coopération, sous-comités –, ainsi que de reprendre les relations avec le Parlement européen à compter de septembre 2016. Une délégation du Parlement européen a donc effectué une visite à Bakou en septembre 2016 pour une réunion du Comité parlementaire Union européenne-Azerbaïdjan. Le Conseil a adopté, en novembre 2015, un mandat pour l’ouverture des négociations avec l’Azerbaïdjan en vue d’un accord – lequel est pour le moment qualifié de global.

Du côté européen, cette dynamique a été possible car ces visites ont été accompagnées de gestes sur les droits de l’Homme de la part de l’Azerbaïdjan. Les amnisties de mars 2016, la libération de l’avocat Intigam Aliev et celle, assortie d’une autorisation de quitter le territoire, des époux Yunus, ont fait suite à la visite de la Haute Représentante Mogherini de février 2016 et à la reprise des contacts politiques entre l’Union européenne et l’Azerbaïdjan. La perspective de négociation d’un nouvel accord doit servir de levier pour obtenir de nouveaux gestes et une évolution de la situation, dans le cadre d’un dialogue structuré avec l’Azerbaïdjan qui nous permette de faire valoir nos sujets de préoccupation, y compris au plus haut niveau.

Le contexte économique et géopolitique a également évolué. D’une part, l’Azerbaïdjan a sans doute remarqué que l’Union européenne avançait dans ses négociations avec l’Arménie en vue de la conclusion d’un accord-cadre. D’autre part, une révision de la politique européenne de voisinage a eu lieu à l’automne 2015 ; la Haute Représentante et la Commission ont ainsi adopté une communication, que le Conseil a endossée, visant à mettre l’accent sur le principe de différenciation au sein de la politique européenne de voisinage. Ce principe, en germe depuis des années, a pour objet une relation plus différenciée, en quelque sorte sur mesure, avec chacun des six pays partenaires. L’Azerbaïdjan a été satisfait de cette évolution, qu’il demandait depuis longtemps, se prévalant notamment d’être le premier pays tiers à avoir lui-même présenté un projet d’accord à l’Union européenne.

Pour ce qui est du futur accord, le mandat a été adopté le 14 novembre 2016. Comme l’Union européenne, la France considère que cette négociation présente un triple intérêt. Premièrement, il s’agit de moderniser l’accord de 1996, qui ne reflète plus la réalité des relations et ne tient pas compte des évolutions survenues au sein de l’Union européenne et en Azerbaïdjan. Ainsi, celui-ci ne comporte pas de référence au Conseil de l’Europe ou à la Convention européenne des droits de l’Homme, puisque l’Azerbaïdjan n’y était pas partie au moment de la signature. Le futur accord sera donc le plus large possible, actualisé et juridiquement contraignant.

Le deuxième objectif de la négociation est de conforter la dynamique en cours dans les relations en les dotant d’un cadre sur mesure. Cette préoccupation avait conduit la France, en septembre 2013, après la décision de l’Arménie de renoncer à son accord d’association, à demander le maintien de la perspective d’un nouvel accord. L’initiative française a pris tout son sens et a produit les effets que l’on en attendait lors du sommet de Vilnius du Partenariat oriental, en novembre 2013, qui s’est déroulé dans une ambiance générale plutôt défavorable à une telle perspective ; aujourd’hui, les négociations sont en cours. Nous devons veiller à maintenir une approche la plus inclusive possible avec les six pays de la région, parce que nous sommes attachés par principe à la politique de voisinage, mais aussi parce que cela répond à la préoccupation particulière de la France dans l’optique du conflit du Haut-Karabagh, lequel nous impose de préserver un équilibre régional et, en tout état de cause, de ne pas donner le sentiment que la relation avec l’Union européenne pourrait être instrumentalisée par l’une ou l’autre des parties qui chercherait à en tirer avantage dans le règlement du conflit. Pour la même raison, lors du lancement du partenariat oriental en 2009, la France avait insisté pour que l’Azerbaïdjan bénéficie, au même titre que l’Arménie et la Géorgie, de la perspective d’un accord d’association, quand bien même Bakou semblait moins demandeur que ses voisins.

Pour répondre à votre interrogation sur la terminologie, je dirai qu’il s’agit sur le plan juridique d’un accord d’association. En tout état de cause, cet accord s’inscrivant dans le cadre de l’article 218 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, le Parlement européen devra approuver sa conclusion une fois que celui-ci aura été négocié et signé par le Conseil. Par la suite, il reviendra aux États membres de ratifier ce qui sera vraisemblablement un accord mixte. Quant à son contenu, l’accord différera des accords d’association existants avec les autres pays du Partenariat oriental, notamment sur le plan commercial, et sa dénomination dépendra de l’issue de la négociation.

Le troisième intérêt de la négociation réside dans le fait qu’il peut constituer un levier pour la promotion de l’État de droit et du respect des droits de l’Homme. Sans dévoiler le contenu du mandat, par définition confidentiel, je peux dire que ce sera l’un des éléments centraux de la négociation. Ainsi les dispositions relatives au respect des normes internationales et des engagements pris dans les cadres auxquels l’Azerbaïdjan est partie
– Nations unies, Conseil de l’Europe, OSCE – donneront-elles lieu à un dialogue politique au plus haut niveau dans un cadre régulier – la structure institutionnelle actuelle, éventuellement renforcée –, comme à un suivi régulier et constant de l’évolution de la situation par l’Union européenne.

L’autre levier sera constitué par les coopérations sectorielles dans un certain nombre de domaines, que ce soit en matière de réforme de la justice, de liberté, de sécurité ou encore de lutte contre la corruption. Le mandat consacre la possibilité, renforcée par rapport à l’accord de 1996, d’établir des coopérations entre l’Union européenne et l’Azerbaïdjan via les instruments d’assistance prévus.

Sur le plan commercial, les attentes sont limitées. L’Azerbaïdjan n’est pas membre de l’OMC et l’accord de 1996 a fixé un cadre resté quasiment inchangé depuis lors, et que le nouvel accord vise à actualiser pour tenir compte des évolutions intervenues au sein de l’Union européenne et, aussi, de l’OMC, dans la mesure où celles-ci affectent le cadre européen. Nous devrons nous efforcer, autant que possible, d’y intégrer des règles et principes de l’OMC que l’Azerbaïdjan pourrait transcrire dans sa législation, bien qu’il ne soit pas membre de cette organisation.

Le futur accord portera également sur le règlement des conflits : il sera essentiel pour le gouvernement français de s’assurer que la négociation est cohérente avec celle conduite avec l’Arménie – sans donner de droit de regard à l’un sur la négociation en cours avec l’autre, mais en veillant, compte tenu de notre rôle de médiateur, à avoir la même position vis-à-vis des deux pays : il ne faut en aucun cas donner le sentiment que la négociation peut être instrumentalisée par l’une ou l’autre des parties pour déséquilibrer la position de l’Union européenne.

M. Jean-Louis Destans, rapporteur. Je vous remercie pour cet exposé très complet, qui a répondu à la plupart des questions que j’avais l’intention de vous poser.

Il m’en reste cependant une, à caractère politique. L’histoire des négociations avec l’Azerbaïdjan montre une succession de progrès et de palinodies entraînant des régressions, comme si le pouvoir azerbaïdjanais, pourtant très concentré, était constitué de deux lignes concurrentes. L’une de ces lignes exprimerait une position favorable à la conclusion d’un accord, donc à l’introduction d’un certain nombre de normes internationales, essentiellement européennes, en matière de démocratie et de respect des droits de l’Homme, tandis que l’autre serait marquée par une réticence à faire évoluer les choses, et une tendance marquée à la crispation face à la perspective de voir des changements se concrétiser. Globalement, l’Azerbaïdjan a toujours fait preuve de sa volonté de respecter un certain équilibre géopolitique entre la Russie, l’Europe, et les positions régionales. Pensez-vous que l’Azerbaïdjan va finir par s’engager résolument vers une forme de modernisation démocratique du pays, ou qu’il navigue à vue en fonction de ses impératifs de politique intérieure ?

M. Matthieu Combe. Effectivement, le degré de nécessité pour l’Azerbaïdjan d’engager une négociation a fluctué au cours du temps – du moins, l’idée de cette négociation n’a pas toujours eu la même importance par rapport à ses autres préoccupations, d’ordre interne ou régional. Je pense que le contexte actuel a motivé l’Azerbaïdjan à demander l’ouverture de la négociation et à effectuer les gestes diplomatiques ou politiques que l’Union européenne attendait – implicitement ou explicitement – pour que cette perspective puisse se dessiner. Ce contexte est d’abord celui de la situation régionale : les relations que l’Union européenne entretient avec l’Arménie – en particulier la nouvelle négociation actuellement menée –, l’évolution de la situation vis-à-vis de la Russie, de la Turquie et de la Syrie, ainsi que les préoccupations en matière de sécurité, ont certainement joué un grand rôle dans l’évolution de la position des autorités azerbaïdjanaises. Celles-ci en sont venues à considérer que la relation avec l’Union européenne pouvait leur permettre de conforter l’indépendance et la souveraineté de leur pays, tout en sachant que le fait de s’engager dans un processus de négociation impliquait de devoir composer avec des déclarations de l’Union européenne parfois perçues comme déplaisantes, ainsi qu’avec une attention accrue de l’Union et de ses États membres à sa situation intérieure.

Pour ce qui est d’éventuels rapports de forces internes, on a affaire en Azerbaïdjan à des interlocuteurs exprimant une position plutôt claire et unie. Lors du sommet de Riga de mai 2015, le président Aliev s’est décommandé au dernier moment mais s’est fait représenter par son ministre des affaires étrangères, porteur d’un message consistant à proposer un nouvel accord. Le président azerbaïdjanais a ultérieurement reçu Donald Tusk afin de lui confirmer qu’il souhaitait négocier un nouvel accord et, si les choses ont mis un certain temps à avancer, le dialogue est resté ouvert au plus haut niveau – d’abord avec le président, puis avec les ministres, sur des aspects plus sectoriels.

Ce qui est certain, c’est que l’approche de la négociation qui fait consensus au sein de l’Union européenne vise à ne pas placer nos partenaires – qu’il s’agisse de l’Azerbaïdjan, de l’Arménie ou de la Géorgie – devant une alternative binaire les obligeant à choisir entre une bonne relation avec l’Union européenne, conforme à nos intérêts respectifs, et la préservation des relations entretenues avec leurs voisins et partenaires habituels, dont ils sont plus ou moins proches. Nous avons toujours récusé cette approche binaire, nécessairement conflictuelle, ce qui est l’une des raisons expliquant que l’Azerbaïdjan se montre, comme l’Arménie, désireux de négocier de nouveaux accords avec l’Union européenne : ces pays savent que ces accords seront respectueux de leur souveraineté et, nonobstant certains déséquilibres, notamment sur le plan économique, s’inscriront dans une relation d’égalité sur le plan politique. L’Azerbaïdjan est particulièrement sourcilleux quant à la nécessité que l’Union européenne prenne en considération sa situation particulière, et très sensible à toute prise de position des instances européennes lui paraissant manquer à cette condition. De nôtre côté, sans renier nos principes, nous devons prendre en compte cette préoccupation au moyen d’un renforcement du dialogue politique.

M. le président François Rochebloine. La Russie s’est efforcée de rétablir dans le Caucase du Sud les bases de son influence économique, un temps menacée par la dislocation de l’URSS. Jusqu’à quel point vous paraît-elle pouvoir accepter la progression des négociations entre l’Union européenne et l’Azerbaïdjan, qui s’est jusqu’à présent tenu à l’écart de cet effort de rétablissement ?

M. Matthieu Combe. Il s’agit là d’une question dont nous avons fait l’expérience très concrètement dans le cadre des négociations avec les différents partenaires orientaux. Le postulat de départ est que, si un pays partenaire décide de s’engager dans des négociations avec l’Union européenne, c’est qu’il a préalablement pesé le pour et le contre, et a estimé que cette démarche était globalement avantageuse pour lui. Pour nous, le moyen le plus sûr d’éviter le risque du dérapage consiste, je le répète, à éviter de placer un partenaire devant un choix binaire, où un rapprochement avec l’Union européenne signifierait automatiquement un éloignement, voire un conflit avec un autre partenaire.

En 2013, le sommet de Vilnius a donné lieu à des approches divergentes au sein de l’Union européenne. Certains ont privilégié une approche consistant à vouloir arracher les pays partenaires à la sphère d’influence russe, en mettant l’accent sur cet aspect plutôt que sur les mérites propres de l’offre européenne, qui sont considérables sur le plan commercial, sur celui de la modernisation et sur celui de la reprise des acquis, et présentent l’avantage de fournir un soutien, fût-ce par le bas, à l’indépendance de chacun de nos partenaires.

Pour ce qui est de l’Azerbaïdjan, nous n’avons pas connaissance, à la différence d’autres pays, de prises de position publiques de la Russie, alors que les négociations ne sont pas conduites en secret. Si la négociation proprement dite est confidentielle, elle résulte d’un mandat adopté par le Conseil, qui a donné lieu à une décision publique, et la perspective d’une négociation est sur la table depuis des mois, voire des années : on ne peut donc pas dire que l’Union européenne avance masquée, ou qu’elle aurait des objectifs cachés.

M. le président François Rochebloine. En 2013, nous étions sur le point de signer un accord avec l’Arménie, lorsque celle-ci y a renoncé. J’ai le sentiment que ce sont des préoccupations relatives à la sécurité, en particulier au conflit du Haut-Karabagh, qui l’ont fait reculer, sans doute sous l’influence de la Russie. Le même scénario pourrait-il se reproduire avec l’Azerbaïdjan ?

M. Matthieu Combe. La chronologie de ce qui s’est passé avec l’Arménie est la suivante : les négociations avaient été finalisées en juin-juillet 2013, et l’accord devait être paraphé lors du sommet de Vilnius de novembre. C’est début septembre que le président arménien a fait savoir qu’il avait décidé de renoncer à conclure cet accord, à son retour d’un déplacement à Moscou. Un tel scénario ne peut être écarté, et nous ne pouvons jamais avoir la certitude de mener une négociation à son terme.

M. le président François Rochebloine. Cela dit, les négociations avec l’Arménie ont aujourd’hui repris.

M. Matthieu Combe. Oui, notamment parce que la France en a émis le souhait. Dès le sommet de Vilnius, surmontant la déception provoquée par l’annonce de l’abandon d’un accord sur lequel nous travaillions depuis trois ans, nous avions obtenu qu’une déclaration Union européenne-Arménie fasse mention de la perspective d’un nouvel accord avec l’Arménie. Cette attitude était aussi un moyen d’adresser un message politique très clair, selon lequel nous ne sommes pas là pour dicter à nos partenaires les choix qu’ils doivent faire, ou les placer dans des situations binaires. Nous nous efforçons de ne jamais perdre de vue notre intérêt, qui est d’aboutir à un accord le plus large possible et compatible avec les engagements pris par nos partenaires dans d’autres cadres, dans le respect de nos principes et de nos propres engagements – et surtout pas d’entrer dans une logique de confrontation géopolitique. Cette ligne de conduite, mise en œuvre pour l’Arménie, a de bonnes chances d’aboutir à la conclusion prochaine d’un accord – il faut pour cela que les questions qui restent sur la table trouvent une solution –, et nous espérons qu’il en sera de même avec l’Azerbaïdjan, car la logique est la même.

M. le président François Rochebloine. La transparence des échanges, des transactions et des investissements européens en Azerbaïdjan fait-elle partie des éléments de la négociation avec ce pays ?

M. Matthieu Combe. La transparence financière fait effectivement partie des éléments génériques des accords que l’on négocie.

M. le président François Rochebloine. On nous a dit qu’il était très difficile pour les ONG d’obtenir des subventions, puisque leur octroi nécessitait une autorisation du Gouvernement.

M. Matthieu Combe. L’un des intérêts de la négociation est justement d’inciter à un assouplissement du cadre législatif et réglementaire, afin de permettre un soutien de l’UE à des organisations de la société civile en Azerbaïdjan.

M. le président François Rochebloine. Pourriez-vous établir et nous faire parvenir une liste des associations bénéficiaires de subventions, faisant apparaître le montant de celles-ci ?

M. Matthieu Combe. La situation actuelle est compliquée, en raison du cadre réglementaire azerbaïdjanais qui impose un contrôle a priori pour bénéficier de subventions. L’Union européenne étant le premier bailleur de l’Azerbaïdjan et ayant accordé une part importante de son soutien à des organisations de la société civile depuis 2007, un certain nombre de projets ont pu être menés. Cependant, ils sont aujourd’hui réduits en nombre et dans leur périmètre : les projets qui subsistent sont souvent à dimension sociale, et perçus comme étant de nature moins politique. Depuis 2007, 74 projets visant à soutenir des organisations de la société civile azerbaïdjanaise ont été conduits par l’Union européenne, via divers instruments – étant précisé que les choses sont devenues plus difficiles ces derniers temps.

M. le président François Rochebloine. De quel genre de projets s’agit-il ?

M. Matthieu Combe. Il peut s’agir du soutien à une organisation non gouvernementale…

M. le président François Rochebloine. Reporters sans frontières ou Amnesty international, par exemple ?

M. Matthieu Combe. Pas à ma connaissance, car il est impératif qu’il s'agisse d'ONG internationales présentes en Azerbaïdjan.

M. le président François Rochebloine. Nous vous remercions d’avoir répondu librement à toutes nos questions et vous souhaitons bonne chance pour vos négociations.

La séance est levée à treize heures.

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Membres présents ou excusés

Mission d’information sur les relations politiques et économiques entre la France et l’Azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au Sud Caucase

Réunion du mercredi 18 janvier 2017 à 12 heures

Présents. - M. Alain Ballay, M. Jean-Louis Destans, M. Jean Launay, M. Jean-François Mancel, M. Christophe Premat, M. François Rochebloine, M. François Scellier, M. Michel Voisin

Excusés. - M. Jean-Luc Bleunven, M. Yves Foulon, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, Mme Véronique Louwagie