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Mission d’information commune sur la banque publique d’investissement, Bpifrance

Jeudi 5 février 2015

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 3

Présidence
de Mme Véronique Louwagie,
Présidente

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Daniel Balmisse, directeur des fonds de fonds de Bpifrance

–  Présences en réunion

La mission d’information entend, en audition ouverte à la presse, M. Daniel Balmisse, directeur des fonds de fonds de Bpifrance.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions avec M. Daniel Balmisse, directeur exécutif de Bpifrance chargé des fonds de fonds. À côté de l’investissement direct, en effet, la Banque publique d’investissement (BPI) investit également dans des fonds de fonds, activité qui a connu un essor considérable comme nous l’a précisé la semaine dernière Nicolas Dufourcq, qui a d’ailleurs parlé de croissance phénoménale des investissements de Bpifrance dans les fonds de fonds privés français, avec 800 millions d’euros investis en 2014.

Nous souhaitons ainsi en savoir plus sur les orientations de ces investissements, les objectifs poursuivis et le suivi que la BPI en effectue.

M. Daniel Balmisse, directeur des fonds de fonds chez Bpifrance. Je suis heureux de pouvoir vous présenter cette activité de fonds de fonds qui est méconnue, probablement mal comprise et pourtant importante.

Il est vrai que l’on peut s’interroger sur les raisons pour lesquelles Bpifrance, qui a pour objet de participer au développement des PME, investit dans des fonds. Cette activité s’appelle l’activité de fonds de fonds, puisque nous gérons des fonds de fonds qui investissent eux-mêmes dans des fonds, qui in fine investissent dans les PME.

La première raison fondamentale est qu’une activité fonds de fonds permet d’avoir un effet démultiplicateur sur le nombre de PME financées. Aujourd’hui nous sommes ainsi indirectement présents dans plus de 3 000 PME. Ce serait impossible par le seul investissement direct.

La deuxième raison fondamentale est que nous sommes ainsi en mesure d’agir sur le développement de l’écosystème du financement. Cela nous permet d’agir sur les parties de la chaîne du financement qui sont insuffisamment développées. Par exemple, grâce au Programme des Investissements d’Avenir (PIA) et au Commissariat Général à l’Investissement (CGI) qui nous ont confié le Fonds national d’amorçage (FNA) nous avons pu régénérer une activité d’investissement dans l’amorçage, puisqu’aujourd’hui nous avons investi plus de 300 millions d’euros dans dix-sept fonds. Cela donne au total près de 650 millions d’euros disponibles pour la phase d’amorçage, c’est-à-dire la première phase de développement des entreprises technologiques.

La troisième raison est que nous attachons une importance forte à la fois à l’impact socio-économique de notre action dans les territoires, et aussi à un retour sur investissement soutenable à long terme pour permettre à Bpifrance d’exercer son activité à long terme.

Les moyens pour y parvenir sont de trois natures :

– la structuration de la chaîne de financement, j’y reviendrai ;

– l’effet d’entraînement sur les investisseurs privés vers les PME, car nous agissons très en amont de la mise en place des fonds. Nous sommes souvent conseil sur la structuration du fonds, nous sélectionnons les équipes, nous effectuons des « due diligences » très poussées et in fine nous négocions les termes et conditions, c’est-à-dire tout ce qui va gérer la vie du fonds, dont les frais de gestion. Ainsi, dès lors que nous avons apporté notre label sur les fonds, les investisseurs privés nous font confiance, pour ensuite venir investir à nos côtés.

– la professionnalisation des équipes de gestion, pour laquelle nous avons des exigences très fortes. En tant que souscripteur, nous travaillons en lien très étroit avec les investisseurs privés dont nous exigeons des reporting très précis et des actions au niveau de l’investissement socialement responsable. Nous demandons également que les gérants des fonds accompagnent de plus en plus les PME, avec la volonté, par exemple, de développer l’activité à l’export de nos entreprises.

Au centre de l’écosystème, se trouvent les PME dans lesquelles investissent en direct Bpifrance Investissement mais aussi tout un ensemble de fonds, fonds d’amorçage, de capital-risque, de capital-développement... Via l’activité de fonds de fonds nous sommes souscripteurs d’une partie de ces fonds, au même titre que les assureurs et les banques régionales et – de moins en moins, il faut bien le dire – les banques nationales. Nous investissons également au côté des collectivités territoriales dans les fonds régionaux, mais aussi au côté d’investisseurs étrangers, d’autres fonds de fonds privés ou des caisses de retraite, en bref toute la panoplie des investisseurs institutionnels.

Notre direction gère plusieurs fonds de fonds puisqu’un fonds de fonds peut avoir une spécificité : il peut être orienté plutôt vers les fonds régionaux, ou les fonds de capital-risque ; il peut être également généraliste. Ces fonds de fonds sont bien sûr souscrits par Bpifrance puisque nous y investissons les fonds propres de la Bpi, mais aussi par des investisseurs qualifiés « de tiers ». Parmi ces investisseurs tiers nous pouvons citer le Fonds Européen d’Investissement (FEI), l’État avec le PIA, la Direction des fonds d’épargne mais aussi historiquement une banque italienne qui a souscrit à un de nos fonds de fonds régionaux.

À partir de ces fonds de fonds nous investissons dans les fonds partenaires qui eux-mêmes investissent dans les PME et sont susceptibles de co-investir entre eux mais aussi avec Bpifrance dans son activité d’investissement direct. Dans ces fonds partenaires nous sommes aux côtés des souscripteurs privés.

Au sein de la direction des fonds de fonds nous avons une activité commune : l’investissement dans des fonds mais avec trois spécificités, ce qui explique que la direction soit organisée en trois pôles.

Le premier pôle est celui des fonds régionaux, qui sont très importants puisque 90 de nos 300 fonds sont des fonds régionaux. Il existe une équipe dédiée pour répondre à cette problématique particulière. En effet, participent à ces fonds régionaux des collectivités locales, des banques mutualistes et Bpifrance mais aussi parfois des industriels locaux. Des échanges permanents ont lieu entre les conseils régionaux, les banques mutualistes et Bpifrance sur l’orientation de la gestion et la structuration des fonds. Cette activité est donc très intense et nécessaire puisque les fonds régionaux sont à la fois très proches des territoires et des entreprises.

Le deuxième pôle est orienté capital technologique et international. Il y sera traité tout ce qui concerne les entreprises de haute technologie et les fonds internationaux. Nous avons, en effet, mis en place des fonds bilatéraux, comme, par exemple, le fonds franco-chinois, dans le but d’accompagner les entreprises françaises en Chine et nous avons d’autres projets de cette nature. Ce sont là des problématiques très particulières, qui concernent de jeunes entreprises qui n’ont pas encore de marché ni de modèle économique et qui nécessitent une compréhension très fine de ces sujets.

Troisième pôle, l’équipe fonds de capital développement. Cette équipe va s’intéresser au capital développement au sens où l’on investit en fonds propres dans des sociétés existantes plutôt traditionnelles pour les aider à se développer. Mais elle va aussi traiter les sujets de fonds de retournement, de fonds de mezzanine (qui sont intermédiaires entre des fonds de dette et des fonds propres), ainsi que des fonds de dette.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Quels sont les effectifs de cette direction ?

M. Daniel Balmisse. Nous sommes aujourd’hui dix-huit personnes et nous avons recruté cette année trois chargés d’affaires, puisque l’activité est en forte expansion. Nous avons de plus en plus de fonds dans les portefeuilles, ces recrutements sont donc nécessaires.

C’est une équipe modeste en termes d’effectifs pour gérer des montants très significatifs.

L’histoire des fonds de fonds est née pour nous en 1994 avec les fonds régionaux. Il s’agissait, après l’arrêt des sociétés de développement régional (SDR), de reconstituer un tissu de fonds régionaux de capital-investissement très actifs et impliqués dans les régions. En 1998, a été créé le Fonds public/Fonds BEI pour le capital-risque à la suite de la privatisation de France Télécom. En 1999, ont eu lieu les premiers financements de fonds d’amorçage. En 2006, la même logique a été poursuivie avec le lancement de l’activité fonds de capital développement pour les PME. En 2013, lors de la création de la BPI, le constat a été fait que la nécessité de densifier le tissu des gérants de capital-risque et de capital-développement s’était estompée mais qu’il fallait faire croître les fonds plus méritants, c’est-à-dire consolider le secteur, pour que des fonds plus gros puissent accompagner plus fortement les entreprises dans leur besoin de financement. Au terme de cette phase marquée par le lancement de fonds dédiés au capital-risque, au capital-développement, au capital-investissement régional, aujourd’hui, la BPI gère 13 fonds de fonds.

Aujourd’hui, un enjeu majeur est celui de la structuration de la chaîne de financement. C’est pourquoi nous investissons à tous les stades. Nous faisons du capital-amorçage (pour une équipe qui a un projet mais n’a pas encore de modèle économique) ; nous faisons également du capital-risque (démarrage commercial quand le marché commence à se dessiner) à tous ses stades ; nous faisons aussi du capital développement. Cela concerne des sociétés traditionnelles ou technologiques – dans ce dernier cas, on se rapproche plus du capital-innovation en raison de l’hyper croissance, de l’ordre de 50 à 60 % par an qui n’existe pas pour les entreprises traditionnelles. Nous faisons également du capital-transmission, sans être présent sur le secteur des LBO car nous ne recherchons pas les opérations financières. Notre objectif est bien de permettre le transfert d’une entreprise d’un dirigeant qui part à la retraite à une nouvelle génération de managers pour pérenniser le tissu industriel et nous effectuons uniquement des opérations primaires. Enfin, nous avons une activité d’investissement dans ce qu’on appelle pudiquement les entreprises « sous-performantes », ce qui revient à du capital-retournement. Nous sommes toujours à la recherche de fonds dans ce secteur, dès lors que les gérants respectent une certaine équité.

J’aimerais maintenant évoquer notre méthode de travail qui consiste à effectuer une sélection approfondie des fonds et des équipes de gestion. Afin de s’assurer de leur qualité, nous rencontrons les équipes de gestion, nous en interrogeons les membres individuellement et nous sollicitons leurs interlocuteurs. Cela permet de vérifier l’éthique de l’équipe gérante. Une fois la décision de souscription autorisée par les instances dirigeantes de Bpifrance, nous négocions le contrat qui va régir la relation entre le fonds et ses souscripteurs. Ce contrat vaut souvent pour une période de quinze ans. Cela contribue à l’effet d’entraînement sur les investisseurs privés car nous sommes toujours minoritaires et en co-investissement. Nous réalisons le premier « closing », sans exclure de participer aux suivants s’il y a de nouvelles levées de fonds. Cet effet d’entraînement se traduit par le fait que pour 1 euro apporté par Bpifrance, 4 euros viennent des souscripteurs privés.

Corollairement, nous aidons également à la professionnalisation des équipes de gestion. Nous répondons à leurs interrogations et nous les orientons. Nos exigences en matière de reporting sont très élevées. Nous exigeons des données très précises sur la situation socio-économique de l’entreprise mais aussi en matière sociale, environnementale et de gouvernance, et nous demandons aux gérants d’être proactifs en la matière.

Enfin, il y a un suivi dynamique des participations par notre présence au comité consultatif d’investissement – quand il existe – et systématiquement au comité des souscripteurs. C’est ainsi que nous pouvons contribuer à la réorientation éventuelle de la stratégie du fonds. Le suivi se traduit par une valorisation de nos investissements tous les trimestres ou tous les semestres en fonction des fonds de fonds. Un système de gestion des risques très pointu nous permet d’estimer le retour que l’on peut attendre à terme.

Nous avons aujourd’hui 300 fonds partenaires gérés par 130 gérants. S’y ajoutent 30 à 40 fonds nouveaux par an en moyenne. 3,7 milliards d’euros sont souscrits dans ces fonds avec un effet d’entraînement de 5, ce qui fait au total 17,5 milliards disponibles dans 300 fonds au service des PME. La moitié de ces véhicules sont actifs et continuent à investir. Les fonds peuvent être soit des SCR (Société de capital risque) soit des FPCI (Fonds professionnel de capital investissement). Les SCR ont une durée de vie illimitée. Les FCPI sont limités dans le temps à 10-15 ans. Ils s’autoliquident donc au bout de 15 ans. L’investissement dans les FCPI se déroule, en effet, en trois phases : d’investissement (de 5 ans), de maturation (de 5 ans) et de liquidation. La moitié des véhicules sont actifs, les autres étant dans la phase de maturation ou d’extinction. Le schéma classique consiste à investir dans un premier fonds pendant 5 ans, puis dans un deuxième pendant que le premier est en maturation et ainsi de suite. Pendant cette période le premier fonds est passé en phase d’extinction.

3 000 entreprises sont financées en bout de la chaîne, ce qui serait impossible par du financement direct.

Je voudrais illustrer la diversité de nos actions. Dans le domaine de l’innovation, nous avons financé CapAgro Innovation qui est un nouveau fonds dédié au capital-amorçage et capital-risque dans les secteurs de l’agriculture et de l’agro-industrie et le seul dans ce secteur. Nous avons financé l’année dernière Electranova fonds de capital-risque spécialisé dans les énergies renouvables. Nous avons également financé le fonds régional Aquitaine Création Investissement qui est une SCR à vocation généraliste et Cap’Innovest, fonds d’amorçage interrégional qui intervient dans les régions Alsace, Franche-Comté et Bourgogne. Nous avons aussi une action à impact social, puisque nous avons investis dans le fonds Impact Partenaires qui finance des entreprises créées dans les cités. Je souhaiterais citer le Fonds Perceval qui est un fonds de retournement dans lequel nous sommes souscripteurs depuis mars 2014 ; ce fonds a levé 200 millions d’euros et notre part s’est élevée à 25 millions d’euros. Je voudrais parler aussi du fonds FCDE (Fonds de consolidation et de développement des entreprises) mis en place en partenariat avec des banques et des assurances pour investir dans ces situations spéciales. Nous y avons investi 70 millions d’euros fin 2014 sur une levée de fonds de 140 millions, et nous avons pour objectif d’investir 20 millions supplémentaires dès lors que le fonds attendra 200 millions d’euros.

Quelques exemples permettent de mesurer l’impact de ces fonds. LDR est une société qui travaille dans le secteur des implants ; elle a été financée par un de nos fonds d’amorçage régional, puis par un deuxième fonds Keensight, qui a accompagné cette entreprise de quelques milliers d’euros de chiffres d’affaires jusqu’à plus de 100 millions. Cette société est aujourd’hui cotée sur le NASDACQ. Le même scénario s’est produit pour DBV technologie : deux de nos fonds d’amorçages avaient investi, puis avaient été rejoints par des fonds de capital-risque, ensuite par Bpifrance en direct, et cette société a fini par être cotée sur le marché boursier américain. La majorité de son activité est en France bien sûr. Critéo a été financé dès le départ par un de nos fonds de capital-risque.

Enfin, je soulignerai le cas de Juratoys. Cette société a bénéficié d’un investissement de notre fonds franco-chinois qui l’a accompagné sur le marché chinois. Ses produits sont désormais commercialisés dans l’enseigne chinoise Kingsland, un des premiers distributeurs de jouets en Chine, et la société connaît un très fort développement. Elle représente un exemple très concret de soutien à l’exportation.

Je peux citer d’autres exemples, tels Adista, opérateur de services dans l’Est de la France, qui emploie 300 personnes et dégage un chiffre d’affaires de 54 millions d’euros, ou Mecachrome, active dans l’aéronautique. La BPI a un fonds entièrement dédié à ce domaine si important pour notre pays, AeroFund. Elle est ainsi présente aux côtés des industriels du secteur quand cela est nécessaire. J’évoquerai enfin BH Technologies, spécialisée dans les équipements de gestion d’énergie et d’environnement. Très innovante, elle est financée par un de nos fonds partenaires historiques, Siparex.

Mme Véronique Louwagie, présidente. Ma première question porte sur vos objectifs : on comprend bien l’intérêt de l’« accompagnement démultiplié des PME de croissance », dont l’impact financier est multiplié par cinq, du « développement de l’écosystème du financement des PME » et du « retour sur investissement soutenable à long terme ». Pouvez-vous préciser la part de chacun de ses objectifs dans vos actions et quelles sont vos attentes en matière de retour sur investissement ?

Vous avez souligné par ailleurs l’intérêt de la participation des banques régionales dans la constitution de vos fonds de fonds, en observant toutefois que les banques nationales répondaient moins à l’appel. Quelles en sont les raisons ? Quelles actions permettraient de les mobiliser ?

Enfin, entre le premier contact avec le gestionnaire et le versement des fonds aux entreprises, vous avez décrit plusieurs étapes. Combien de temps cela prend-il ?

M. Laurent Grandguillaume, rapporteur. Parmi vos 330 fonds partenaires, quelle est la part des fonds de retournement, que l’on sait présenter un risque particulier ? Comment suit-on ces 330 fonds qui pour certains réinvestissent dans d’autres fonds qui eux-mêmes investissent ailleurs ? Cela peut créer une escalade dans les risques qui sont pris. Il est important pour les PME que des risques soient pris, mais jusqu’où peut-on aller et comment évaluer la part de ces risques ?

Pouvez-vous nous expliquer comment votre système fonctionne concrètement ? Par exemple, comment la BPI participe à un fonds régional ?

Enfin, avez-vous des outils de comparaison, un avis sur les différences de fonctionnement entre les fonds existant en France, dans nos régions, et les fonds allemands ? Comment pourrait-on monter en gamme ?

M. Daniel Balmisse. S’agissant du retour sur investissement dit soutenable, il est important de souligner que notre attente n’est pas de même nature que certains autres souscripteurs qui demandent traditionnellement un retour de l’ordre de 15 %. Bien sûr comme nous souscrivons aux côtés d’investisseurs privés nous pouvons nous trouver dans des fonds qui ont ce type de retour, mais nous participons aussi à d’autres fonds qui ont un retour beaucoup plus modeste. Au total, nos objectifs sont compris entre 4 et 6 % sur l’activité de fonds de fonds.

Comment s’en assure-t-on ? Un fonds évolue selon une courbe une courbe en J. En tant que fonds de fonds nous investissons, par exemple, dans un fonds partenaire qui aurait levé 100 millions d’euros sur lesquels est perçue annuellement une commission de gestion de l’ordre de 2 %, si l’on retient le taux moyen. Les fonds levés ne sont pas versés immédiatement. Le gérant ne les appelle que lorsqu’il en a besoin, soit pour investir dans des PME, soit pour payer ses frais de gestion. La première année, il peut ne mobiliser que 10 % des fonds, soit 10 millions d’euros, dont 2 millions d’euros (2 % de 100 millions) seront utilisés pour ses frais de gestion. Au début, n’apparaissent donc, mécaniquement que des sommes en négatif. Cependant, à un moment donné, les participations qui auront été prises sont revalorisées – plus ou moins rapidement selon que l’on est en capital-risque ou en capital-développement – et les comptes deviennent positifs. En réalité, cette première phase négative, qui peut durer cinq à sept ans, ne veut rien dire. Pour donner un exemple, un de nos fonds de fonds en capital-risque, créé en 2001, est resté négatif jusqu’en 2013, puis est devenu très positif en juillet 2013 grâce à deux sociétés, dont Critéo, et il restera positif.

Nous avons un suivi des risques très précis : deux fois par an nous notons chaque fonds. Notre avis se fonde sur plusieurs critères, qualitatifs et quantitatifs. Nous disposons d’un algorithme qui compare les profils de nos fonds, nos appréciations qualitatives et quantitatives, avec une base de données sur des fonds historiques et mondiaux similaires et, par des méthodes stochastiques, permet d’estimer le retour à terme. Il existe peu d’outils aussi performants, même dans le privé. Je l’ai lancé il y a quatre ans pour prendre en compte diverses préoccupations : la mise en œuvre de la réglementation applicable à la Caisse des dépôts et celle de la directive AIFM pour le private equity, mais aussi pour mesurer opérationnellement les risques que nous prenons en tant que fonds de fonds.

Qu’en est-il des risques d’escalade ? Nos fonds de fonds n’investissent que dans des fonds auxquels il est interdit d’investir dans d’autres fonds, mais seulement dans des PME. Nous n’excluons pas cependant d’investir, de façon très limitée, dans d’autres fonds de fonds dès lors qu’ils agissent dans le même champ d’action que le nôtre et contribuent ainsi à apporter de l’argent privé sur les segments de marché qui en manquent. C’est particulièrement le cas du capital-risque, du capital d’amorçage et plus généralement des petits fonds en capital-développement. Les investisseurs privés veulent en général déployer des montants importants dans de grands fonds. Or, plus nous avons de capitaux privés à nos côtés, mieux nous pouvons agir sur ces secteurs. Mais ces dérogations ne concernent que quelques fonds de fonds. La chaîne s’arrête après deux niveaux, ce qui nous permet de contrôler les effets de cascade. Et nous nous attachons à maîtriser les frais de gestion.

Il faut comprendre enfin que nous nous inscrivons dans un temps long. Quant à comparer avec d’autres pays, si nous considérons l’Allemagne, nous nous rendons compte qu’il n’y a pas eu, au cours des années, de politique stable de soutien à l’industrie du capital-investissement au bénéfice des PME. Avant la crise de 2001, notre homologue, KFW, avait une activité de fonds de fonds ; après la crise presque tous les fonds de capital-risque ont disparu en Allemagne et KFW a abandonné cette activité. Aujourd’hui ils souhaitent relancer leur activité de fonds de fonds. La situation française est incomparablement meilleure que celle de l’Allemagne en matière de capital-investissement et notamment de capital-risque. La constance de la politique française à soutenir ces domaines depuis vingt ans a été très positive. Grâce à elle, nous disposons d’une industrie du capital-investissement au tissu très dense, même si on doit l’améliorer, en faisant croître certaines équipes.

S’agissant des fonds régionaux, l’Allemagne a bien une logique différente de celle pratiquée dans notre pays. Nous avons eu l’occasion de découvrir le fonds régional de Bavière : de taille conséquente avec 200 millions d’euros de fonds propres et 100 millions d’euros de dettes, il est financé par l’État fédéral, l’État de Bavière et la Bayerisch landesbank. Les actionnaires n’y perçoivent jamais de dividendes, grâce à quoi ils ne font jamais d’augmentation de capital. Ce modèle est intéressant et mériterait réflexion.

M. Laurent Grandguillaume, rapporteur. J’ai rencontré récemment plusieurs représentants d’entreprises de taille intermédiaire (ETI). Une de leurs difficultés est de n’avoir pas aisément accès aux financements de long terme nécessaires à leur développement. Cela pourrait expliquer, pour partie au moins, la diminution du nombre des ETI entre 2013 et 2014. Les outils qui existent sont probablement insuffisants.

M. Daniel Balmisse. Vous pourrez interroger sur ce sujet M. Jean-Yves Gilet de la direction dédiée aux ETI et grandes entreprises au sein de BPI France.

Dans le cadre de l’activité fonds de fonds, nous sommes également mobilisés sur cette question, à travers, par exemple, du Fonds Industrie et finances qui est entièrement spécialisé dans le Build up. Il est en effet aussi important de créer que de soutenir la croissance externe d’une ETI. Ce fonds se consacre à la construction, à partir de petites entités, d’entreprises susceptibles de devenir des ETI.

Néanmoins, nous constatons souvent des réticences, parmi les actionnaires familiaux, à ouvrir le capital de leur entreprise, ce qui a pu les inciter à privilégier un financement par la dette, plutôt qu’un financement par fonds propres. Un important travail doit être mené afin de rassurer ces actionnaires familiaux, et d’établir des liens de confiance, grâce à un accompagnement en amont et dans la durée.

S’agissant des fonds de retournement et de leur part dans notre portefeuille : dix fonds de retournement, pour des « situations spéciales », sont gérés par six équipes. Ces fonds représentent un montant total de souscriptions près de 204 millions d’euros, sur un total de 3,7 milliards d’euros. Plus de trente millions d’euros sont par ailleurs en attente de souscription, notamment 20 millions d’euros pour le Fonds de Consolidation et de Développement des Entreprises 2 (FCDE 2) et environ quinze millions d’euros destinés au Fonds Opportunités Régions. Il s’agit donc d’un sujet important, mais les risques afférents restent maîtrisés. Est également en cours d’examen un projet lancé par une équipe d’une grande éthique ; ce critère s’avère fondamental pour Bpifrance, pour prendre la décision d’investir.

S’agissant de la présence des banques nationales et régionales, les secondes sont naturellement intéressées par notre présence dans leur territoire, du fait de l’attention qu’elles portent au renforcement des fonds propres de leurs clients. Elles sont aussi à nos côtés dans les fonds régionaux, tout en créant parfois des fonds qui leur sont propres, ou en réactivant de structures anciennes. Quant aux banques nationales, elles se tournent largement vers leurs sociétés d’assurance-vie et n’investissent plus en fonds propres. Plusieurs d’entre elles prennent part au programme Bpifrance Assurance, axé sur l’investissement dans des fonds dédiés à des PME. Ce programme vise à inciter les établissements bancaires et d’assurance à réaliser des co-investissements avec Bpifrance : avec cinq partenaires – CNP, Cardiff, Crédit Agricole Assurance, Allianz et Axa France, près de 700 millions d’euros ont été déployés depuis 2012. La phase 3 de ce partenariat sera engagée en mars prochain, afin de développer cet engagement et le pérenniser.

Enfin, les délais d’instruction des dossiers diffèrent de ceux constatés en matière d’investissement direct, puisque nous pouvons être sollicités très en amont. Le temps d’instruction s’avère très variable et il est difficile de faire une moyenne : le délai oscille entre trois mois et plus d’un an, sans que cela ait de conséquence puisqu’il n’y a pas derrière chaque fonds une entreprise qui aurait besoin immédiatement de capitaux. Ce délai n’est pas lié à notre propre fonctionnement, mais davantage aux caractéristiques spécifiques de notre activité. Nous devons souvent procéder au « formatage » d’un projet, pour que celui-ci soit attractif pour les investisseurs privés, et ce formatage peut être très long, voire ne pas aboutir.

Membres présents ou excusés

Mission d'information commune sur la Banque publique d'investissement, Bpifrance

Réunion du jeudi 5 février 2015 à 11 heures

Présents. - M. Éric Alauzet, M. Laurent Grandguillaume, Mme Véronique Louwagie

Excusé. - M. Joël Giraud