La mission d’information entend, en audition ouverte à la presse, M. Fabrice Pesin, médiateur du crédit aux entreprises, et de M. Daniel Gabrielli, médiateur national délégué.
Mme la présidente Véronique Louwagie. La Médiation du crédit a été fondée en 2008 avec la double mission d’observer les difficultés de financement des entreprises grâce à une structure spécifique, l’Observatoire du financement des entreprises, et de répondre aux demandes des entreprises en les orientant vers des solutions de financement. Votre regard sur l’action de la BPI sera donc précieux.
M. Fabrice Pesin, médiateur du crédit aux entreprises. Madame la présidente, nos relations avec Bpifrance sont évidemment très étroites : Bpifrance est présente dans presque tous les dossiers importants que nous traitons, et l’est, pour les plus petits dossiers, dans au moins la moitié des cas. De plus, un représentant de Bpifrance siège au comité exécutif de la Médiation du crédit. Bpifrance organise pour nos équipes des séances de formation et de présentation de ses produits. De façon générale, c’est un partenaire que nous aimons avoir avec nous, car sa présence crée de la confiance et facilite les accords.
Vous l’avez dit, la Médiation du crédit a été fondée en 2008 : nous avons donc peu de recul. La Médiation a été créée à un moment de très grande tension entre le secteur bancaire et les entreprises ; depuis, heureusement, le contexte s’est largement apaisé. Il n’est donc pas évident de faire le départ entre ce qui tient au changement de contexte économique et financier et ce qui découle du rôle spécifique de Bpifrance par rapport à ses prédécesseurs.
Mme la présidente Véronique Louwagie. Pouvez-vous nous donner une idée du nombre de dossiers instruits par la Médiation, et de la proportion d’entre eux dans lesquels Bpifrance intervient ? Combien d’entre eux aboutissent, et lorsqu’ils échouent, pourquoi ?
Selon vous, certains instruments de financement manquent-ils aujourd’hui ?
M. Laurent Grandguillaume, rapporteur. Les établissements de taille intermédiaire (ETI) sont essentiels pour notre économie. Ces entreprises créent de nombreux emplois – elles ont, ces deux dernières années, créé plus d’emplois que n’en ont détruit les entreprises du CAC40, mais elles sont trop peu nombreuses, car nos TPE et PME ont du mal à grandir ; et nous avons moins d’ETI en 2014 qu’en 2013, ce qui est inquiétant. Comment l’expliquer ? Est-ce dû prioritairement à des problèmes de financement ? À cet égard, la mise en place de la Banque publique d’investissement a-t-elle changé quelque chose ?
Par ailleurs, Bpifrance Le Lab a été mis en place par la BPI avec l’objectif de mieux connaître les ETI et PME. Cette structure est-elle complémentaire de l’Observatoire du financement des entreprises, ou bien y a-t-il redondance ?
On se rappelle la polémique sur les « canards boiteux ». Quel est votre regard sur la question des « fonds de retournement » ? Bpifrance doit-elle plus s’investir dans ce domaine ? Une intervention publique est, je le crois, nécessaire.
M. Éric Alauzet. Vos moyens sont-ils adaptés à la demande des entreprises ? Y a-t-il à votre sens des points faibles, des attentes non résolues ?
M. Fabrice Pesin. Bpifrance joue un rôle essentiel dans un grand nombre de nos dossiers, mais nous n’avons pas établi de statistiques précises concernant son implication.
M. Daniel Gabrielli, médiateur national délégué. En 2014, nous avons traité en médiation environ quatre mille dossiers dont 95 % impliquaient des PME. Parmi celles-ci, on comptait 80 % de très petites entreprises (TPE).
M. Fabrice Pesin. Bpifrance intervient dans la quasi-totalité des dossiers relatifs aux PME, hors TPE. La médiation nationale dispose de moins d’informations concernant ces dernières car les dossiers les concernant sont généralement traités au niveau des médiations départementales qui utilisent les outils mis à disposition par Bpifrance dans au moins un cas sur deux. Nous parlons donc d’un partenaire incontournable pour une très grande partie des dossiers, en particulier pour ceux à fort enjeu.
Dans le cadre de la Médiation du crédit, nous sommes toutefois loin d’utiliser tous les produits de Bpifrance. Les accords font principalement intervenir deux d’entre eux : d’une part, le préfinancement du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), ou même du crédit impôt recherche, et, d’autre part, les produits de garantie. D’autres outils, comme les produits de cofinancement ou de financement de l’innovation, sont utilisés extrêmement rarement, ce qui s’explique sans doute par la nature spécifique des cas que nous avons à connaître. En général, les banques ne se pressent pas pour financer, ou cofinancer, les entreprises qui font appel à nous.
Lors des négociations, la seule présence de Bpifrance permet de débloquer des dossiers et suscite la confiance de ceux qui se trouvent autour de la table. Au-delà de l’utilité réelle des instruments qu’elle propose, Bpifrance joue donc un puissant rôle de facilitateur.
Il est vrai que la Médiation du crédit ne sauve pas toutes les entreprises qui s’adressent à elle. Même lorsque nous nous appuyons sur Bpifrance, il arrive que nous ne trouvions pas de solution. Nous ne prenons parfois conscience qu’au cours de la négociation que la situation structurelle d’une entreprise est trop dégradée.
Par ailleurs, Bpifrance ne peut intervenir en garantie en faveur des entreprises de taille intermédiaire (ETI). La Commission européenne avait autorisé Oséo à s’affranchir temporairement de cette règle lors de la mise en place du plan de relance en 2010-2011, mais nous sommes aujourd’hui revenus au principe initial. Il arrive en conséquence que certains dossiers d’ETI n’aboutissent pas parce que le levier de la garantie de Bpifrance n’a pu être mobilisé.
M. le rapporteur. Je suis perplexe. Nous ne sommes toujours pas sortis de la crise. Pourquoi Bpifrance ne peut-elle pas intervenir en faveur d’ETI pourtant essentielles à notre économie ?
M. Daniel Gabrielli. La situation actuelle est difficile, mais elle n’a rien de comparable avec celle qui prévalait lorsque la Commission européenne a autorisé Oséo à élargir le périmètre de ses interventions en garantie aux ETI. À l’époque le blocage du crédit était quasi-total et l’on pouvait légitimement avoir peur d’une crise majeure. Lorsque la Commission a considéré que cette situation extrême n’était plus de mise, elle a demandé un retour aux règles antérieures.
M. Fabrice Pesin. Pour mettre en œuvre ses instruments de garantie, Bpifrance est tributaire de la décision des banques privées : sans leur soutien, elle se trouve parfois dans l’incapacité d’intervenir.
Monsieur le rapporteur, vous m’interrogez sur l’incapacité des TPE à croître pour devenir les ETI de demain. Il ne faut pas tout ramener à la question du financement car il existe aussi des freins sociaux, fiscaux ou culturels à leur développement.
Ce semestre, l’Observatoire du financement des entreprises a mis à son ordre du jour la question des entreprises en croissance et de leur financement. Dans chaque grand secteur d’activité, nous observerons comment les entreprises qui ont connu un très fort dynamisme depuis deux ou trois ans ont évolué en termes de structures de financement dans les dix ou quinze années précédentes : ont-elles fait appel aux marchés, ont-elles ouvert leur capital ou n’ont-elles utilisé que le financement bancaire, ont-elles crû par acquisition externe, se sont-elles tournées vers l’export ?
Concernant l’analyse des blocages culturels à l’essor des TPE, une intéressante étude, déjà menée au Québec, est actuellement reproduite en France.
Vous me demandez de comparer Bpifrance le Lab et l’Observatoire du financement des entreprises. Ce dernier, que j'ai l’honneur de présider, à vocation à être totalement neutre – neutralité renforcée par celle du médiateur. Il réunit toutes les parties, dont Bpifrance, afin qu’apparaissent des diagnostics partagés permettant de recommander des bonnes pratiques. Bpifrance relève aussi de la sphère publique mais reste l’un des acteurs concernés disposant d’instruments et de produits qu’il peut vouloir tester. Nos approches sont donc assez différentes.
Publié en juin 2014, le dernier rapport de l’Observatoire porte sur le financement des TPE en France. À partir de nos observations – l’analyse statistique a par exemple permis de montrer que les très petites entreprises avaient trop tendance à utiliser les découverts bancaires –, la Fédération bancaire française, présente au sein de l’Observatoire, a pris cinq engagements de bon sens : réponse aux demandes de crédit dans un délai de quinze jours, explication en cas de refus et mention de la Médiation du crédit, incitation à la stabilité des chargés de clientèle… Je ne pense pas que ce type de travail aurait pu être effectué au sein de Bpifrance Le Lab dont ce n’est pas la mission.
Madame la présidente, vous souhaitez savoir si certains instruments nous manquent. Si, en termes de dynamique, la situation globale des PME a connu en 2014 une réelle amélioration – nous avons traité moins de dossiers, et le nombre de défauts est revenu à celui enregistré en 2008 –, il n’en est pas de même pour les TPE pour lesquelles j’ai eu la surprise de constater que la tendance ne s’inversait pas. Le contexte économique fournit sans doute certaines explications, mais il faut aussi s’interroger sur les outils et les dispositifs d’accompagnement mis en place. La population concernée est également très différente de celle des PME et des ETI. Elle est par exemple moins à l’aise avec la multiplicité des guichets et des acteurs, et elle a moins facilement accès à l’information. Les TPE n’ont d’ailleurs pas assez recours à la Médiation ; elles sont trop nombreuses à en ignorer jusqu’à l’existence. Évidemment, rien ne garantit que nous puissions les sauver, mais nous réussissons globalement dans deux cas sur trois.
Le 15 septembre dernier, lors des assises du financement et de l'investissement, le Président de la République a annoncé que les TPE bénéficieraient de leur propre dispositif de soutien à la trésorerie grâce à Bpifrance. Un fonds de garantie des crédits de trésorerie se met en place pour soutenir dix mille très petites entreprises. Nous verrons dans le cours de l’année si cette impulsion est efficace. La tâche est d’autant plus complexe que toutes les TPE n’ont pas vocation à grandir et ne sont pas des start-up. Il n’est pas simple de calibrer des instruments correspondant à des besoins hétérogènes.
Cela dit, nous pouvons toujours fabriquer les mécanismes les plus raffinés, ils ne seront d’aucune utilité si personne ne s’en saisit. À défaut de raisonner en termes d’instrument manquant, je crois qu’il faut surtout que nous nous assurions que chaque patron de TPE saura à quelle porte frapper le jour où il en aura besoin.
Mme la présidente Véronique Louwagie. Vous nous avez indiqué que la Médiation du crédit utilisait fréquemment les produits de garantie et le préfinancement du CICE.
Ce dernier outil est un instrument classique de Bpifrance. Pourquoi les entreprises n’y ont-elles pas recours avant de faire appel à vous ? En ignorent-elles l’existence ou rencontrent-elles des problèmes pour y avoir accès ?
Le soutien apporté par Bpifrance grâce aux produits de garantie s’inscrit-il nécessairement dans un partenariat avec un organisme financier ?
Arrive-t-il que la Médiation travaille sur un dossier particulièrement crédible et ne trouve aucun écho du côté de Bpifrance ou des organismes bancaires – même si je comprends bien que le recours au médiateur du crédit s’explique précisément par le manque de soutien des banques ?
M. Fabrice Pesin. Il est extrêmement rare que les diagnostics de la Médiation et de Bpifrance divergent : nos appréciations des dossiers sont quasiment toujours identiques.
M. Daniel Gabrielli. Lorsqu’une entreprise entre en médiation, nous explorons avec elle tout le champ des outils utilisables. Nous lui demandons systématiquement de mobiliser le préfinancement du CICE dont il est vrai qu’elle ne connaît pas toujours l’existence, mais il arrive aussi qu’elle ait déjà utilisé cet instrument.
Les produits de garantie permettent de consolider les crédits de trésorerie dénoncés par les banques. Nous recherchons un accord pour empêcher les banques de sortir rapidement de ces crédits en les persuadant de consolider leur engagement à moyen terme, par exemple sur trois ans. La garantie apportée par Bpifrance sur 50 à 70 % des montants nous aide à les convaincre, même si le délai de carence de neuf mois ne les rassure pas.
La garantie de certains fonds régionaux, qui interviennent souvent en partenariat avec Bpifrance, peut donner lieu à des cofinancements. De façon générale, cela a été dit, la situation des entreprises qui font appel à nous n’est plus propice au cofinancement. Elles ont souvent des problèmes de trésorerie et la new money n’est pas chose courante dans les dossiers que nous traitons. Cela s’explique aussi par la conjoncture difficile ; son retournement pourrait évidemment modifier la donne.
M. le rapporteur. Malgré les convergences des appréciations de Bpifrance et de la Médiation, que se produit-il en cas de désaccord au niveau national ou régional ?
M. Fabrice Pesin. La mission de la Médiation lui interdit de pousser les banques à intervenir à perte sur un dossier. Cela nous place dans une situation proche de celle de Bpifrance. Nos motivations étant similaires, nos positions sont quasiment toujours les mêmes. Au niveau national elles ne divergent pas. Au niveau régional, Bpifrance peut tarder à donner une réponse. Il nous suffit alors d’interroger son représentant au sein de notre comité exécutif. De la même façon, nous pouvons intervenir au niveau national pour demander le réexamen d’un dossier lorsqu’il y a un blocage du côté des banques en région.
M. le rapporteur. Les artisans sont fréquemment confrontés à des difficultés de trésorerie, mais ils sont beaucoup trop nombreux pour que Bpifrance entre en relation directe avec eux. Dans les dossiers relatifs au TPE, pouvez-vous toutefois faire appel à Bpifrance sachant qu’elle n’intervient pas directement auprès des très petites entreprises, et qu’elle passe pour cela par les banques commerciales ?
M. Fabrice Pesin. Les délégations aux réseaux des banques commerciales permettent en effet à Bpifrance, qui ne dispose en propre que d’une quarantaine de guichets, de diffuser ses produits auprès d’une large population.
Le problème vient souvent de ce que, de part et d’autre des guichets, le manque de connaissance des produits constitue un réel handicap. Les patrons de TPE connaissent souvent mal les instruments qui pourraient les aider, et les chargés de clientèle des grands réseaux ne maîtrisent pas toujours la palette des outils existants. Il y a un véritable besoin de produits très simples – et, paradoxalement, cela n’est pas facile à mettre en place.
M. le rapporteur. Si un artisan vous sollicite, vous vous tournez vers une banque commerciale et non vers Bpifrance ?
M. Daniel Gabrielli. Si une médiation a lieu, Bpifrance n’assistera pas à la première réunion mais, en cas de besoin, elle pourra intervenir au cours du processus si nous considérons que sa présence peut débloquer une situation.
M. Fabrice Pesin. La diffusion des produits Bpifrance par les banques commerciales vise, dans une phase préalable, à éviter le passage par la médiation.
Mme la présidente Véronique Louwagie. Monsieur Gabrielli, vous évoquiez un délai de carence pour les financements de Bpifrance. De quoi s’agit-il ?
M. Daniel Gabrielli. Bpifrance impose un délai de carence de neuf mois pour ses interventions afin de se garantir contre les pertes qu’entraînerait la liquidation d’une entreprise. Cette période permet aussi d’éviter de déresponsabiliser les banques qui sont alors en première ligne. Évidemment ces dernières demandent que ce délai soit réduit – durant le plan de relance, Oséo l’avait d’ailleurs ramené à quatre mois. Il reste qu’un instrument public ne peut pas devenir le déversoir systématique des pertes des PME et TPE.
Mme la présidente Véronique Louwagie. Messieurs, nous vous remercions vivement pour l’ensemble de vos interventions.
Membres présents ou excusés
Mission d'information commune sur la Banque publique d'investissement, Bpifrance
Réunion du jeudi 12 février 2015 à 12 heures 15
Présents. - M. Éric Alauzet, M. Laurent Grandguillaume, Mme Véronique Louwagie
Excusé. - M. Joël Giraud, Mme Anne Grommerch