Mme la présidente Véronique Louwagie. Je remercie de sa présence M. le président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Dans le cadre du pacte d'actionnaires, la commission de surveillance de la CDC que vous présidez a pour mission de contrôler les orientations majeures et les décisions stratégiques de Bpifrance. À votre demande, monsieur Emmanuelli, un comité de suivi de Bpifrance a été créé au sein de cette commission. Nous vous entendrons donc avec un intérêt particulier.
M. Henri Emmanuelli, président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations. Aucun parlementaire ne l’ignore, mais il lui arrive de l’oublier : l’article L 518-2 du code monétaire et financier place la Caisse des dépôts et consignations « de la manière la plus spéciale, sous la surveillance et la garantie de l'autorité législative ». Le groupe Caisse des dépôts (CDC) partage le souci qu’a l’État de développer l’activité et de soutenir, autant que faire se peut, l’investissement. Cette volonté commune s’est traduite par la création de la Banque publique d'investissement, Bpifrance, détenue à parité par BPI-Groupe et par la CDC, laquelle a apporté Oséo, le fonds stratégique d'investissement (FSI) – qui avait lui-même été doté lors de sa constitution par l’Agence des participations de l’État –, CDC Entreprises et quelques autres fonds dont le fonds franco-chinois.
C’est toujours un exercice un peu dangereux que de s’associer avec l’État à parité : parce qu’il incarne l’intérêt public, ses prérogatives et sa puissance sont d’une tout autre mesure que celles de ses partenaires, si bien que cette parité théorique n’empêche pas des relations quelque peu déséquilibrées. La CDC et le ministère des finances sont convenus d’un accord dont le Parlement a eu connaissance. Le texte stipule que l’activité de prêt est du ressort de l’État et l’investissement du ressort de la CDC, ce qu’il faut parfois rappeler aux ministres tentés de prendre des décisions d’investissement ou d’essayer de les imposer. L’équilibre atteint est donc fragile, mais l’essentiel est que, sous l’action de Bpifrance, les en-cours de crédit augmentent et les hauts de bilan se développent.
La CDC ayant apporté quelque 10 milliards d’euros de fonds propres à la nouvelle entité, j’ai souhaité la création d’un comité de suivi de Bpifrance, qui est venu s’ajouter aux autres comités de la Commission de surveillance : le comité d’examen des comptes et des risques, le comité du fonds d’épargne, le comité des investissements, ainsi que le comité des nominations et des rémunérations – qui est appelé à s’étoffer. En 2014, le comité de suivi de Bpifrance s'est réuni une fois pour examiner l'activité d’investissement, une autre fois pour examiner l’activité de financement.
Cette seconde réunion nous a permis de constater que les en-cours bancaires se développent de manière très satisfaisante, Bpifrance jouant activement le rôle de garant qui lui a été assigné. Le dispositif qui connaît le plus grand succès est le prêt de développement à 7 ans, dont le différé de remboursement de 24 mois facilite l’amortissement en permettant un premier retour sur investissement avant d’initier le remboursement. La palette des prêts fait cependant l’objet d’une terminologie foisonnante et l’offre gagnerait à être simplifiée : les chefs d’entreprise s’y perdent alors même que les formules de base ne sont en réalité qu’au nombre de deux ou trois. Le comité de suivi en a fait l’observation à M. Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance ; il a convenu que ces nombreuses dénominations sont plus justifiées par un souci de communication que par des considérations d’ordre économique.
Le comité de suivi a relevé que Bpifrance étant, par doctrine, exclusivement co-financeur, il peut se produire que, alors qu’elle s’est prononcée favorablement et vite, elle ne trouve pas de partenaire. J’ai eu connaissance d’un cas de ce type dans les Landes : alors que la garantie de prêt avait été accordée en février 2014, les fonds n’ont été versés qu’en février 2015, une année ayant été nécessaire pour trouver un coprêteur. C’est fâcheux, car l’entrée en production du laminoir concerné en a été retardée d’un an. Le même obstacle vaut de manière plus marquée encore pour les investissements, car si l’ancien Oséo et le système bancaire avaient coutume de travailler ensemble et que ces habitudes ont perduré, elles n’existent pas en matière d’investissement.
Le comité de suivi a ensuite constaté une situation paradoxale. Alors que l’on avait craint qu’un afflux de demandes de crédits nouveaux à la solvabilité incertaine ne fasse de Bpifrance un gouffre, on ne peut qu’être frappé par la faiblesse de la provision affectée aux crédits non remboursés. Le comité de suivi en a déduit que la Banque privilégie les opérations les plus sûres. En atteste un coût du risque, dérisoire, de 36 millions d’euros seulement en 2014, pour un en-cours de 5 milliards.
M. Gilles Carrez. Du temps d’Oséo déjà, le taux de sinistralité était extrêmement faible.
M. le président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations. C’est exact, mais cette extrême faiblesse persistante nous a conduits à nous interroger sur des critères très rigides de sélection des risques.
Pour 2015, trois chantiers demeurent dont les niveaux de priorité diffèrent. Il y a d’une part le projet de titrisation des créances des petites et moyennes entreprises (PME), destiné à réorienter pour partie les en-cours d’assurance-vie vers le développement économique. Le sujet suscite la controverse au sein même de la commission des finances de l’Assemblée nationale, où l’on garde en mémoire le rôle déclencheur joué par la titrisation des créances immobilières dans la crise de 2008. S’il faut se garder des excès, il n’y a pas lieu de décréter par principe que la titrisation serait par nature source de contentieux inéluctables : tout dépend des garanties imposées. Le taux d’épargne des Français est exceptionnellement élevé et l’en-cours actuel de l’assurance-vie en France est de 1 500 milliards d’euros. L’un des problèmes majeurs auxquels nous nous trouvons confrontés est de parvenir à rediriger efficacement une part de cette épargne vers l’investissement dans l’industrie ou les services. Je comprends les raisons des réticences qui s’expriment mais ce serait selon moi une erreur d’écarter l’hypothèse par principe au lieu d’examiner attentivement les conditions d’une titrisation qui permettrait aux compagnies d’assurance-vie d’investir dans les PME.
Autre chantier d’importance : le développement d'une offre de crédit export. Les banques commerciales françaises n’ayant plus eu accès au dollar – sans que je puisse dire de façon certaine qu’il s’est agi d’une manœuvre délibérée de la City londonienne et de Wall Street –, se sont trouvées contraintes de réduire considérablement leur service export, sinon de le supprimer. Il en résulte que la France, qui aspire à exporter, n’a pas de dispositif de financement de ses exportations. Bpifrance offrira donc un crédit acheteur en prêteur unique pour les tickets compris entre 5 et 25 millions d’euros et en co-financement pour les tickets compris entre 15 et 75 millions d’euros.
La Société de financement local (SFIL), qui a repris le portefeuille de créances de Dexia, s’occupera des plus gros tickets. À l’origine, la SFIL était chargée du financement des collectivités locales mais en ce domaine la surabondance a succédé à la pénurie. D’ailleurs, le taux de rémunération du Livret A et du Livret de développement durable a pour conséquence que le fonds d’épargne de la CDC, dont l’en-cours est de quelque 350 milliards d’euros, n’est plus particulièrement compétitif au regard des taux offerts par la Banque européenne d’investissement ou même par certaines banques commerciales – au point que la Banque postale va racheter les créances des opérateurs sociaux. Aujourd’hui, le taux des bons du Trésor à 10 ans est de quelque 0,60 ; il s’établissait à 2,6 en février 2014. Le Bund allemand à 10 ans s’établit à 0,30 et, pour les durées inférieures, le taux d’emprunt est négatif. J’ajoute que l’écart – spread – entre le taux du bon du Trésor français et celui du Bund allemand s’est réduit de 20 points de base. En 2014, la CDC a émis pour 350 millions d’euros d’obligations dites Samuraï bonds au Japon, à un taux négatif, une première depuis la création de la Caisse en 1816. On ne peut manquer de s’interroger sur la chute continue des taux et sur son incidence.
M. Gilles Carrez. C’est une bonne chose pour le déficit public.
M. le président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations. Soit, mais dans le même temps, comment assurer une certaine rentabilité aux investissements ?
Le troisième chantier à poursuivre est celui du financement de l'innovation. La commission des finances de votre Assemblée ne l’ignore pas puisque la question a été débattue lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2015. La dotation est insuffisante, et c’est regrettable. Dans un pays de 65 millions d’habitants, Bpifrance ne reçoit que 175 millions d'euros à ce titre, cependant que la Finlande, qui compte 5,4 millions d’habitants, consacre 250 millions d'euros de crédits budgétaires au développement de ses entreprises industrielles innovantes. Lors du débat budgétaire, j’avais soumis à l’Assemblée un amendement tendant à créer un « crédit d’impôt investissement » sur le modèle du « crédit impôt recherche » ; il n’a pas été retenu. On a vu, en 1982-1983, les limites de la politique de la demande, mais l’on sait aussi qu’une politique de l’offre ne fonctionne pas sans demande ; autrement dit, nous devons mettre au point une politique économique « à deux jambes » au lieu d’en rester à une vision obsessionnellement exclusive l’une de l’autre.
M. Gilles Carrez. J’ai rencontré il y a quelques jours à Berlin des membres de la commission des finances du Bundestag, des représentants du ministère de l’économie, du ministère des finances et de la Chancellerie ainsi que des directeurs d’instituts de réflexion économiques ; tous ont mis l’accent sur le manque d’investissement privé. La méthode classique pour remédier à un tel défaut étant l’incitation fiscale, j’avais considéré, lors du débat budgétaire, que l’amendement que vous proposiez méritait d’être étudié. Pour le crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), tout a été concentré sur le coût du travail, si bien que l’on ne traite qu’une partie du sujet. Le souci de pragmatisme devrait conduire à définir une politique plus équilibrée, conçue à la fois pour réduire le coût du travail et pour favoriser l’investissement. Même si les économistes reçus par la commission des finances considèrent presque unanimement que dans une période de chômage élevé les politiques de l’emploi les plus efficaces sont celles qui visent à réduire le coût du travail, je souhaite comme vous que l’on aborde ces questions de manière plus empirique et moins catégorique.
M. le président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations. Je pense qu’en matière de politique de l’emploi, le dopage de l’investissement – dont l’investissement public – a un effet à court terme plus efficace que la baisse des coûts du travail ; M. Pierre-Alain Muet avait fait la démonstration que l’effet de tels dispositifs se fera sentir à moyen et long terme mais qu’il n’est pas garanti à court terme. Mais je ne souhaite pas me lancer dans une controverse qui tient de la guerre de religions.
Pour en revenir à Bpifrance, j’ai indiqué que l’activité de financement a été très dynamique, comme en témoigne l’essor spectaculaire – il a été de 35 % en 2014 – des prêts de développement, qui sont donc des prêts sans garantie de 7 ans assortis d’un différé de remboursement de 2 ans. Cette possibilité intéresse tout patron de PME ou d’entreprise de taille intermédiaire (ETI), car c’est une formule idéale pour moderniser un parc de machines ou des équipements et améliorer ainsi la productivité.
Le préfinancement du CICE a décollé : les engagements ont doublé et le financement de l'innovation par Bpifrance s’est établi à un milliard d'euros, en hausse de plus de 40 % par rapport à 2013. Mais l’on m’a signalé récemment que les conditions d’octroi du CICE auraient été compliquées et que Bpifrance refuserait d’aller vers les entreprises en difficulté – alors que, souvent, l’allocation du CICE permet de monter un tour de table. Nous vous ferons part de ce qu’il en est quand nous en saurons davantage.
La culture entrepreneuriale française rend la question de l’investissement de toutes la plus complexe. Nos entreprises ne sont pas spontanément portées à ouvrir leur capital ; comme dans les autres pays latins, on préfère rester en famille ou entre associés initiaux. Ces réticences ne se manifestent pas dans les pays anglo-saxons, où l’ouverture du capital est perçue comme un facteur de croissance évident. En revanche, les entreprises françaises disposent, en grande partie grâce à la CDC, d’une bonne structure de financement des fonds propres. Contrairement à ce que nous avons fait, l’Allemagne n’a pas constitué des fonds et des fonds de fonds, mais elle parvient à un résultat similaire par le biais des banques régionales. On ne dit sans doute pas suffisamment que 40 % du produit net bancaire allemand est fait par les banques d’investissement et les banques locales du secteur public. La forte interpénétration entre entreprises et banques locales fait que la question du renforcement des fonds propres ne se pose pas dans les mêmes termes en Allemagne et en France.
L’objectif d’investissement de Bpifrance pour 2014 était de 1,5 milliard d’euros, dont 500 millions d’euros réservés aux opérations exceptionnelles dans des grandes entreprises – ainsi aurions-nous pu être sollicités pour Alstom ou les opérateurs de télécommunication. Dans le milliard d’euros restant, 150 millions seulement des 200 millions d’euros prévus ont été consacrés à l’injection de fonds directs dans les PME ; 800 millions d’euros doivent aller aux ETI, dont 300 millions proviennent des fonds de fonds. Les résultats auxquels les fonds de fonds permettent de parvenir sont certes d’une faible lisibilité, mais en les alimentant on a doté la France d’un dispositif de financement des hauts de bilan et, en une dizaine d’années, la CDC a permis de structurer le marché puisque, sur 2 euros investis en fonds propres, presque 1,5 euro est un investissement public. La part de l’investissement privé est faible parce que les particuliers s’orientent vers l’assurance vie et l’épargne réglementée dont l’épargne logement, et parce que les compagnies d’assurance vie ne peuvent se risquer dans le système de production. J’ai déjà dit les arguments en faveur de la titrisation des créances des PME ; je ne les répéterai pas.
Un effort demeure en matière de couverture territoriale. La qualité d’une banque se mesure bien sûr à la qualité de ses directeurs d’agence et de ses directeurs régionaux mais les salariés doivent être en nombre suffisant et, lors du dernier comité de suivi, M. Nicolas Dufourcq a réclamé une dotation importante en personnel supplémentaire, pour répondre à un besoin patent. On notera d’autre part que beaucoup d’employés de Bpifrance, formés chez J.P. Morgan ou Goldman Sachs, ont une vision toute financière des dossiers qui leur sont soumis. Des efforts d’adaptation ont eu lieu, mais il y aura toujours une certaine dose d’incompréhension entre les parlementaires sollicités pour intervenir en faveur d’entreprises en grande difficulté et des banquiers qui, ne considérant ces sociétés que comme des canards boiteux, ne les voudront pas en portefeuille.
Enfin, la doctrine d’investissement de Bpifrance est la même qu’en matière de prêt : elle est exclusivement co-investisseur, à parité. Cela lui donne la qualité d’investisseur avisé, conçue pour éviter qu’elle ne prenne, seule, des risques inconsidérés en accueillant toute la misère du monde économique, mais c’est un facteur de plus grande difficulté encore que pour l’activité de prêt : que faire si Bpifrance, prête à investir, ne trouve pas de partenaire ? M. Nicolas Dufourcq et le directeur de la stratégie de la CDC s’accordent pour considérer que l’on mettrait beaucoup d’huile dans les rouages en utilisant le plan Juncker pour accorder la garantie gratuite des opérations de capital investissement aux co-investisseurs européens. Si cette idée aboutit, les choses iront mieux, mais elle sera difficile à mettre en œuvre.
Mme la présidente Véronique Louwagie. Bpifrance envisage-t-elle une solution du même type pour les prêts bancaires ? Dans un autre domaine, la Commission européenne a récemment adressé au gouvernement français un questionnaire sur l'activité de Bpifrance. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
M. Laurent Grandguillaume, rapporteur. La cohérence ne commande-t-elle pas d'intégrer Qualium Investissement, société de gestion filiale de la CDC qui investit en fonds propres dans les PME et les ETI, au sein de la BPI ? Qu'en est-il également de l'articulation entre Bpifrance et CDC International ? Ne conviendrait-il pas de simplifier ces structures ? Pouvez-vous nous donner aussi quelques indications sur les coûts de gestion des fonds de fonds ?
M. Éric Alauzet. Dans le Doubs, une papeterie ancienne devait être reprise par un industriel libanais très intéressé par le projet de centrale de cogénération biomasse de l’entreprise, mais il ne s’est trouvé aucune agence bancaire régionale pour consentir les prêts qui auraient permis, dans un premier temps, la reprise de l'activité. Si le projet a finalement pu aboutir, il y a deux ans, c’est grâce à l’intervention d’une banque libanaise relayée par HSBC, et la papeterie tourne à nouveau. Je regrette l’erreur d’appréciation du projet commise par les banques françaises et par la CDC ; l’analyse industrielle était fondée sur une perception fausse du projet, dont la modernité n’a pas été comprise.
M. le président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations. Le problème en matière de crédit est beaucoup moins prégnant qu’en matière d’investissement. Le cas du laminoir landais que j’ai cité tout à l’heure est le seul que je connaisse dans ma région, car la mécanique liant Oséo et le secteur bancaire privé était bien huilée, si bien que, en général, les choses fonctionnent assez bien ; mais la question se pose en effet dans les mêmes termes pour les deux activités, madame la présidente.
Monsieur le rapporteur, vos questions concernent la CDC plus que Bpifrance, puisque Qualium investissement est le nouveau nom de l’ancien CDC Capital-Investissement, une filiale de la CDC qui a pour mission de prendre des participations majoritaires à revendre dans les cinq ans, pour nourrir les fonds propres de la Caisse – l’État ne prélève-t-il pas l'intégralité du résultat du fonds d'épargne de la CDC, et 87 % du total de ses résultats ? La CDC est le plus maltraité des contribuables français ! Le fait que Qualium investissement soit une filiale de la CDC suscite la confiance. Le chef d’une entreprise prospère qui atteint l’âge de la retraite sans héritier a besoin de temps pour organiser sa succession ; il sait que Qualium investissement lui laissera les cinq ans nécessaires. J’ai vu trois exemples de cette sorte au cours des deux dernières années, qui concernaient de belles ETI. Qualium investissement représente 1,5 milliard d’actif et 30 000 emplois ; c’est un bel opérateur de la place de Paris.
CDC International Capital, autre filiale de la Caisse, ne peut être intégrée dans Bpifrance car elle est vouée aux partenariats d’investissement avec les fonds souverains, dans une démarche originale qui en est à ses débuts et qui vise à financer des entreprises ou des infrastructures. Un partenariat paritaire a ainsi été conclu avec le fonds souverain qatari à hauteur de 150 millions d’euros pour chacune des deux entités associées, ainsi qu’avec un fonds souverain émirati. Un autre fonds était en cours de constitution avec les Russes, mais les circonstances font que le dossier est en repos ; cependant, le président de CDC International Capital est membre du comité d’engagement du fonds souverain russe.
Il existe enfin un fonds souverain franco-chinois au sein de Bpifrance, et c’est peut-être plutôt à ce sujet qu’une erreur aurait été commise. Bpifrance a en effet des velléités d’extension à l’étranger et je pense que ce n’est pas son rôle : la Banque a été créée pour soutenir le développement économique en France, non pour émigrer sous les cieux de l’Est américain, du Brésil ou d’Afrique. Or, il y a une sorte de génie français à multiplier les structures qui font double emploi. La mission de CDC International Capital est d’aller chercher des fonds à l’étranger, en mettant un euro pour en obtenir un autre. L’idée est de faire de cette filiale de la Caisse une plateforme capable de faire travailler des fonds souverains entre eux.
M. le rapporteur. Bpifrance avait aussi exprimé la velléité de s’investir davantage dans l’activité assurée par la Coface ; qu’en est-il ?
M. le président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations. Bpifrance a pour rôle de se substituer au système bancaire privé français défaillant dans le soutien à l’exportation. La principale question que nous pose la Commission européenne est « Y a-t-il une faille ? ». En matière d’exportation, la réponse est incontestablement « Oui », et la faille est énorme. Pour les crédits à l’investissement, l’approche est plus compliquée et nous n’avons pas les réponses ; l’examen doit être fait dossier par dossier. Bpifrance est parfaitement dans son rôle de financement de l’export en gérant les garanties publiques à l'exportation avec la Coface. Je rappelle que la Coface appartenait à une société privée, qui avait un mandat public pour la partie « grands contrats » du crédit export. J’avais alerté sur le danger que représenterait la vente de cette société : ceux de nos concurrents qui en deviendraient propriétaires pourraient alors freiner nos exportations pour favoriser les leurs.
Pour ce qui est de CDC International Capital, il en va autrement. Certains des fonds souverains avec lesquels traite cette filiale de la Caisse sont énormes. Nous avons fait savoir d’emblée que nous irions à notre rythme. C’est ainsi que le fonds monté avec le fonds souverain qatari n’a été doté que de 150 millions d’euros par chacune des deux parties; son équivalent italo-qatari a été doté d’un milliard d’euros par chacun des deux associés. L’intérêt pour nous est d’aller chercher de l’argent à l’étranger et de l’orienter peu à peu vers le financement des infrastructures. Ce sont les investissements que recherchent ceux qui, tels les fonds de pension, veulent des rendements stables – entre 5 et 8 % -, à long terme, et réputés sûrs.
Quant aux coûts de gestion des fonds de fonds, auxquels la BPI est très attentive, ils sont généralement compris entre 1,5 % et 2,5 % des fonds levés. Ce taux, qui peut paraître faible, s’explique par la double rémunération des dirigeants de sociétés de gestion, lesquels perçoivent un salaire et bénéficient du fameux carried interest, que CDC Entreprises a d’ailleurs malencontreusement appliqué il y a quelques années, ainsi que la presse s’en est fait l’écho. La distribution d’actions gratuites ne peut en effet se justifier que par la prise de risques : pour bénéficier du carried interest, le dirigeant d’une société de gestion doit souscrire à l’opération, avec le risque de tout perdre – ce qui est rare, au demeurant. J’ajoute que Bpifrance, qui est très structurante sur ce marché, a beaucoup réduit le nombre de fonds de fonds auxquels elle souscrit, afin de se concentrer sur les plus efficients et les plus sérieux, dont la liste est d’ailleurs disponible.
Mme la présidente Véronique Louwagie. S’agissant du questionnaire relatif à l’activité de Bpifrance que la Commission a adressé au Gouvernement, vous avez évoqué l’existence de failles. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce point ? Par ailleurs, quel regard portez-vous sur les relations de Bpifrance avec les organismes publics qui apportent un soutien aux entreprises – je pense à la Médiation du crédit, au Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI), à Atout France ou à Business France ? Ces relations doivent-elles être améliorées, développées ?
M. le président de la Commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations. Ce dossier est en cours d’instruction et je ne puis vous en dire beaucoup plus. Néanmoins, nous pourrons vous faire parvenir nos réponses au questionnaire de Bruxelles.
Par ailleurs, la structuration des différents organismes n’est pas mauvaise dans notre pays. La situation des Papeteries de Gascogne, par exemple, qui allaient très mal, a pu être rétablie grâce à Bpifrance, qui a réalisé un investissement presque équivalent à celui des actionnaires privés. En combinant le Fonds de développement économique et social (FDES), qui répond souvent à une demande du CIRI, et Bpifrance, on peut réaliser des tours de table qui permettent de sauver certaines entreprises, mais pas toutes.
À ce propos, ce qui manque cruellement – je serai prudent et précis sur ce point –, c’est un véritable fonds de retournement public. Bpifrance affirme jouer ce rôle, mais, compte tenu de son taux de sinistralité, on peut penser qu’elle retourne les jolies fleurs et non celles dont la tige a souffert… Quoi qu’il en soit, cette hypothèse n’est bien vue ni du système bancaire, ni de la haute administration française, dont on sait qu’ils sont séparés par une frontière poreuse. Elle préjuge, sans doute à raison, que si un tel fonds existait, il deviendrait rapidement le dépotoir du système bancaire commercial. Je crois pourtant, contrairement à Bpifrance et aux ministres de l’économie successifs – quoi que le précédent et l’actuel ministre n’aient pas forcément le même point de vue à ce sujet –, qu’il est simple de distinguer les entreprises sauvables des entreprises qui ne le sont pas : celles qui ont un carnet de commandes peuvent être sauvées. Quant aux autres, si le produit qu’elles fabriquent ne se vend pas, on peut y mettre autant d’argent que l’on veut, elles se transformeront rapidement en tonneau des Danaïdes. Mais, encore une fois, cette idée est mal vue des hautes sphères de l’administration. C’est regrettable, car on voit opérer en France des fonds de retournement, notamment des fonds anglo-saxons, aux méthodes prédatrices : huit fois sur dix, leur action aboutit au démantèlement. J’ai cru, pendant un an et demi, que l’on parviendrait à combler cette lacune, mais je suis maintenant découragé : on se heurte à un tel mur…
M. Laurent Grandguillaume, rapporteur. Lors de l’examen du projet de loi relatif à la BPI, priorité a notamment été donnée aux investissements dans le domaine environnemental. Or, on constate qu’il existe très peu de liens entre Bpifrance et l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME).
M. le président de la Commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations. J’y ai fait allusion, mais je ne veux pas y insister, car nous n’avons pas, hélas, la capacité de refaire le monde et l’administration française. Celle-ci obéit à un réflexe biologique : tout corps vivant composé de plus de deux cellules a tendance à se développer et à démultiplier le nombre de ses cellules à l’infini. Ainsi, non seulement nos structures administratives veulent rester indépendantes, mais elles veulent empiéter sur le champ d’action de leurs voisines. Au demeurant, l’ADEME ne dispose plus des mêmes moyens qu’autrefois. En revanche, la CDC est concernée, davantage que la BPI, par la transition énergétique : elle a tenté de mettre en place, à travers le Fonds d’épargne, des prêts destinés à la requalification énergétique de logements sociaux et elle participera, à hauteur de 1 milliard, aux fameux fonds de garantie. Le Fonds d’épargne, je le rappelle, est une section de la CDC, qui est traitée comptablement à part au motif que le Livret A bénéficie de la garantie de l’État. Je crois pourtant savoir quels seraient les résultats d’un sondage dans lequel on demanderait aux épargnants à qui, de l’État ou de la Caisse des dépôts, ils font le plus confiance. Dans la tête des gens, l’État prend, la Caisse garantit…
Mme la présidente Véronique Louwagie. Nous vous remercions, monsieur le président, pour votre présence, votre contribution et les éléments que vous avez pu nous fournir.