Mme la présidente Véronique Louwagie. Avant de commencer cette table ronde consacrée à l’innovation, je rappellerai simplement que le renforcement du soutien à l’innovation des entreprises est l’un des trois objectifs qui ont été assignés à Bpifrance lors de sa création. Depuis le soutien aux activités de recherche et développement jusqu’au renforcement du capital des entreprises innovantes en passant par la transition énergétique et environnementale, elle a vocation à jouer un rôle moteur dans la montée en gamme de l’économie française.
À cet égard, il est essentiel d’avoir une idée précise des actions que la banque publique d’investissement développe ainsi que de leurs financements pour apprécier la façon dont celles-ci répondent aux besoins rencontrés.
M. Paul-François Fournier, directeur exécutif en charge de l’innovation à Bpifrance. Pour soutenir l’innovation, Bpifrance dispose de trois principaux leviers d’action.
Le premier est le financement de l’innovation, qui prend principalement deux formes. Il s’agit, d’une part, des aides individuelles aux entreprises : elles recouvrent une gamme de produits allant des bourses French Tech – de l’ordre de 30 000 euros – jusqu’aux prêts innovation pouvant atteindre 3 millions. Elles sont principalement financées par le programme budgétaire 192 Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle, dont la baisse des dotations nous préoccupe car elle nous paraît contracyclique par rapport à la tendance actuelle et aux besoins de l’économie. Il s’agit, d’autre part, des programmes collaboratifs financés en majeure partie par le programme d’investissements d’avenir (PIA). En forte progression ces dernières années, ils permettent d’accélérer la création de filières ou de faire collaborer certains acteurs de tailles différentes, y compris des laboratoires de recherche, autour de projets innovants.
En 2014, le financement aux entreprises innovantes a représenté plus de 1 milliard d’euros, soit 40 % de plus par rapport à 2013, et ces moyens sont appelés à quasiment doubler, conformément au chemin tracé dans le premier plan stratégique de Bpifrance. Sur ce milliard, une grosse moitié est consacrée aux aides individuelles et une petite moitié aux programmes collaboratifs. Cette importante mobilisation du financement public, que l’on retrouve dans les écosystèmes innovants de pays comme la Suède, la Finlande, Israël ou la Corée, permet de bancariser des secteurs qui ne sont pas bancarisables, en raison du niveau de risques des projets, puis de les conduire vers un écosystème privé de financement. En 2014, 90 % de ces financements ont été attribués à des entreprises de moins de cinquante salariés, qui connaissent une croissance plus forte que la moyenne des entreprises en France.
Le deuxième levier est constitué par les investissements directs de Bpifrance dans le capital-risque. Elle gère ainsi cinq fonds d’investissement : le fonds Ambition numérique, le fonds Écotechnologies, le fonds French Tech Accélération, tous trois soutenus par le programme d’investissements d’avenir ; le fonds Pôle Sciences de la vie, doté à partir des fonds propres de Bpifrance et des financements des principaux laboratoires pharmaceutiques opérant en France ; le fonds Large Venture, lancé il y a dix-huit mois pour des tickets de plus de 10 millions d’euros, et doté de plus de 600 millions d’euros à partir de nos fonds propres. À travers ces fonds, Bpifrance prend des participations directes dans des entreprises au même titre que des sociétés de gestion privées de capital-risque.
Le troisième levier d’action est majeur : il s’agit de l’activité de fonds de fonds, dont est chargé Daniel Balmisse que votre mission a déjà auditionné. La Bpifrance finance chaque année, à hauteur de 250 millions à 350 millions d’euros, une centaine de sociétés de gestion et de fonds de capital-risque de la place de Paris, au travers de financements du programme d’investissements d’avenir – c’est le cas du Fonds national d’amorçage – ou de nos fonds propres. Cette politique de la France, constante depuis une quinzaine d’années, nous a permis de créer une véritable économie du capital-risque, extrêmement en avance par rapport à d’autres pays d’Europe continentale. La France tient là l’occasion de devenir l’une des premières plateformes de capital-risque européen – évolution que nous encourageons dans le cadre du plan Juncker –, aux côtés du Royaume-Uni, mais selon un modèle différent. L’Allemagne, comme nous avons pu le constater avec Nicolas Dufourcq lors d’une récente visite, ne compte qu’une dizaine de fonds de capital-risque alors que l’on en dénombre près de deux cents en France.
Les fonds de fonds, j’insiste sur ce point, sont notre principal levier en matière de capital-risque. Chaque euro d’argent public peut générer ainsi jusqu’à trois euros d’investissement, les deux euros complémentaires provenant de fonds privés français ou internationaux.
Pour coordonner sa politique en matière de soutien à l’innovation, Bpifrance a créé une direction de l’innovation dont j’ai la chance d’occuper la tête depuis maintenant deux ans. Elle a un statut un peu particulier puisqu’elle a en charge à la fois le financement de l’innovation et l’investissement direct dans le capital-risque. Nous entendons nous placer au cœur de l’écosystème de l’innovation et dégager une vision d’ensemble des outils de soutien à l’innovation. Quels que soient nos clients, de l’entrepreneur ayant besoin d’une bourse French Tech de 30 000 euros pour acheter des ordinateurs à la société s’apprêtant à faire une importante levée de fonds – nous venons ainsi de contribuer à hauteur de 17 millions à la levée de 100 millions d’euros de Sigfox –, nous voulons faire en sorte d’industrialiser leur parcours, de manière fluide et efficace, afin que leur croissance soit la plus rapide possible. C’est ainsi que nous créerons les champions de demain.
Pour rendre plus efficace l’utilisation des moyens publics dans le développement de l’innovation, nous avons élaboré il y a dix-huit mois un plan de transformation, travail qui a permis à l’ensemble de nos collaborateurs de s’exprimer et aux acteurs de l’écosystème de faire part de leurs remarques sur les points positifs et négatifs. Ce plan baptisé Nova repose sur trois axes principaux.
Le premier axe est la simplification.
Nous essayons de mettre en cohérence les divers financements dont nous bénéficions – programme d’investissements d’avenir, programme 192, aides de la direction générale des entreprises (DGE), fonds européens – et de rendre le plus fluide et le plus efficace possible le processus d’allocation des moyens.
Nous sommes ainsi parvenus à réduire les délais de décision : ils ont été divisés par trois s’agissant des programmes collaboratifs et réduits de 23 % s’agissant de l’aide à l’innovation. Par ailleurs, nous avons mis en place un formulaire unique et mené une enquête de satisfaction auprès de nos clients, qui nous permet d’avoir un retour sur ce qu’ils veulent voir simplifier.
Le deuxième axe est l’accompagnement.
Notre conviction est que, au-delà du financement, il importe de veiller à ce que l’entreprise s’insère dans un écosystème où elle pourra puiser compétences technologiques et expériences. C’est toute la force des écosystèmes de la Silicon Valley ou d’Israël.
Nous avons formé nos 120 chargés d’affaires, qui sont au contact quotidien des entrepreneurs, aux enjeux du capital-risque de façon qu’ils puissent les sensibiliser aux exigences des investisseurs, dimension essentielle au continuum de financement.
Nous avons lancé l’initiative French Tech, sorte de « pass VIP » à destination des entreprises en hypercroissance, qui repose sur la coordination des actions de Business France, de la Coface, des pôles de compétitivité et de l’Institut national de la propriété industrielle, (INPI).
En outre, avec les acteurs de l’écosystème, nous avons lancé un travail approfondi de réflexion sur les critères de l’innovation, partant du constat qu’en France, les outils d’évaluation de l’innovation étaient trop centrés sur la technologie en tant que telle. Certes, elle constitue l’un des atouts de notre pays mais pour la valoriser, il est nécessaire de mettre en œuvre des processus reposant sur d’autres éléments d’innovation. De plus, certaines entreprises comme BlaBlaCar ont transformé des usages sans que la technologie soit au cœur de l’innovation.
Nous avons ainsi élaboré un guide intitulé Innovation nouvelle génération qui met en avant de nouveaux repères intégrant six dimensions de l’innovation : innovation technologique ; innovation de procédé et d’organisation ; innovation de produit, service et usage ; innovation de modèle d’affaires ; innovation marketing et commerciale ; innovation sociale. La prise en compte de ces nouveaux critères nous a permis en 2014 de doubler le financement du design, qui représente pour nous une voie extrêmement importante de valorisation de la technologie. Nous entendons diffuser très largement cette analyse afin qu’elle soit partagée.
Le troisième axe du plan Nova est la continuité entre tous les types de financement de l’innovation.
Nous avons mobilisé des moyens importants grâce au programme d’investissements d’avenir et au Fonds européen d’investissement (FEI) avec lequel nous avons lancé le prêt innovation dont les dotations, de 200 millions en 2014, ont doublé par rapport à 2013.
Nous avons, par ailleurs, mis en place le fonds Large Venture, qui permet d’octroyer des financements de plusieurs dizaines de millions d’euros à des entreprises appelées à devenir des leaders mondiaux alors que ce type de financement provenait auparavant principalement de fonds anglo-saxons. En 2014, Bpifrance a ainsi directement participé à 70 % des levées de plus de 20 millions d’euros de sociétés mises en bourse sur Alternext.
Nous avons également financé des fonds de capital-risque comme Partech à hauteur de 200 millions d’euros. Notre objectif est de faire en sorte que des acteurs privés français soient en mesure de participer à des levées de fonds de plus de 100 millions d’euros.
Simplification, accompagnement, mobilisation de moyens sont nos axes d’action pour accompagner une période que nous considérons comme exceptionnelle : l’écosystème de l’innovation est en train de changer de dimension en France, s’approchant des modèles d’Israël et des pays nordiques. Une multitude de signaux nous le laissent penser : qualité des entreprises, mobilisation des acteurs, expérience accrue, multiplication des levées de fonds approchant la centaine de millions d’euros – citons BlaBlaCar, Sarenza, Sigfox. Le nombre d’entreprises cotées au Nasdaq augmente : près de dix ans après Business Objects, il y a eu, en 2013, Criteo, valorisée à près de 2 milliards de dollars, suivie en 2014 de DBV Technologies, valorisée à 1 milliard de dollars après une levée de fonds de 100 millions, et, dans quelques semaines, de Selectis.
En conclusion, je ferai part de nos deux principales préoccupations.
La première a trait au programme 192. Le dispositif de l’aide individuelle aux entreprises est un élément essentiel de la stratégie que nous menons car il permet d’irriguer le financement d’entreprises encore fragiles, start-up ou PME. Certes, nous comprenons les impératifs budgétaires qui s’imposent, compte tenu de la réalité des finances publiques. Il n’empêche que la pression qui s’exerce sur ce programme est contracyclique : chaque année, des entrepreneurs toujours plus nombreux présentent des projets tous plus passionnants les uns que les autres. Or, la base de la pyramide que nous nous efforçons de construire avec les acteurs de l’écosystème est potentiellement en danger. Avec la baisse des crédits de ce programme, ce sera autant d’entreprises qui ne pourront se créer ou développer leurs projets. Il nous faut donc rechercher des solutions pérennes pour stabiliser ces crédits.
Notre deuxième préoccupation porte sur la nécessité de mieux connecter l’écosystème de l’innovation à l’écosystème des grands groupes et des entreprises de taille intermédiaire française. Nous nous situons au deuxième rang pour le capital-risque en Europe mais sommes au quatrième rang en termes d’acquisitions. Les entreprises françaises attirent de plus en plus d’investisseurs étrangers, en particulier américains – je vous renvoie à l’exemple récent du fonds d’investissement créé par CISCO. Pourquoi les grands groupes et les entreprises de taille intermédiaire français ne se montrent-ils pas aussi actifs pour valoriser notre écosystème ? Il nous appartient de montrer à ces entreprises l’importance de tirer profit de la formidable transformation de notre tissu industriel et des innovations qu’il porte. Dans cette perspective, nous avons créé un Hub start-up afin de mieux faire connaître le potentiel de ces nouvelles entreprises.
M. Benjamin Stremsdoerfer, directeur adjoint des investissements d’avenir à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME). Je centrerai mon propos sur les programmes d’investissements d’avenir dont l’ADEME a la charge. Ils représentent 3 milliards d’euros : 2 milliards au titre du PIA 1 et 1 milliard au titre du PIA 2. Ces fonds sont destinés à hauteur de 10 % aux laboratoires de recherche et à hauteur de 90 % aux entreprises, avec une petite moitié seulement dédiée aux PME. Par rapport à Bpifrance, nous sommes en effet davantage tournés vers le financement de projets collaboratifs de taille significative, généralement portés par de grands groupes.
Nous privilégions les thématiques liés aux compétences de l’ADEME – environnement, énergie, mobilité et transports, recyclage – et les projets entrant en cohérence avec la vision de long terme que l’agence construit avec ses administrations de tutelle.
Les outils développés dans le cadre des PIA sont de deux types.
Il s’agit principalement d’aides d’État, soumises à la réglementation européenne : avances remboursables et, dans une moindre mesure, subventions. Elles soutiennent des projets de taille importante et se montent à 10 millions d’euros environ par projet. L’objectif que l’État et le commissariat général à l’investissement (CGI) ont fixé à l’ADEME est en effet de créer des changements stratégiques grâce à des apports massifs et orientés, tandis que Bpifrance a pour but d’irriguer le tissu des entreprises.
Il s’agit, en outre, de fonds propres destinés au financement des PME ou des grands groupes. Cet outil a rencontré un réel succès depuis quatre ans.
Nous avons ainsi doté le fonds Écotechnologies à hauteur 150 millions d’euros : géré conjointement avec Bpifrance, il repose sur une logique de co-investissement avec des fonds de capital-risque privés. Il est destiné à des entreprises émergentes qui ne sont pas encore rentables, ayant besoin de fonds pour accompagner leur croissance. Chaque projet bénéficie d’un investissement de 2 à 5 millions d’euros.
Par ailleurs, nous intervenons en fonds propres pour soutenir les grands groupes et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) dans la réalisation de projets d’innovation lourds comportant un risque qu’ils souhaitent partager avec l’État. Pour ces investissements, qui atteignent parfois plusieurs dizaines de millions d’euros, nous retenons des projets entrant dans le cadre d’une stratégie industrielle plus globale. Je prendrai l’exemple de l’investissement de plusieurs dizaines de millions d’euros que nous avons réalisé avec Alstom pour la construction d’usines de production d’énergie éolienne off-shore, en réponse à un appel d’offres de l’État.
Ces deux modes d’intervention en fonds propres sont de nature différente, ce qui se reflète dans le processus de décision. Pour le fonds Écotechnologies, qui vise à financer, de façon assez darwinienne, les meilleurs projets, la décision finale appartient à Bpifrance, dans le cadre fixé par l’État. Pour l’allocation des fonds propres, la décision finale appartient à l’État : tous les investissements sont autorisés par le Premier ministre, après avis des différents ministères concernés et du CGI et s’articulent à une stratégie industrielle de long terme de la puissance publique.
Au-delà du soutien financier, l’ADEME est à même de fournir des conseils en matière de stratégie grâce à la bonne connaissance que nos experts ont du spectre des innovations, des plus farfelues aux plus abouties, et des évolutions en cours. C’est d’ailleurs un aspect de notre accompagnement qu’apprécient fortement les entreprises.
Les programmes d’investissements d’avenir gérés par l’ADEME sont pilotés par le commissariat général à l’investissement et le PIA 2 a été l’occasion de revoir de fond en comble nos processus pour les rendre beaucoup plus efficients, plus simples, plus rapides. Nous essayons de nous rapprocher autant que possible de Bpifrance et de renforcer la cohérence entre les opérateurs d’État afin que les entreprises ne soient pas perdues et sachent ce que la puissance publique attend d’elles. Grâce à ce travail mené conjointement avec nos équipes et différents ministères, nous sommes parvenus à établir des délais d’instruction des dossiers et de contractualisation extrêmement performants.
M. Jean-Claude Andreini, vice-président du Comité stratégique de filière pour les éco-industries (COSEI). Permettez-moi de préciser en préambule que je suis également chef de projet de l’un des trente-quatre plans industriels, celui dédié aux énergies renouvelables, et président de l’association des éco-entreprises de France, qui regroupe six mille des douze mille entreprises de ce type, ce qui me met en position de parler au nom de l’ensemble des professionnels du secteur.
Le financement public de l’innovation est perçu par les entreprises comme quelque chose de complexe. D’une part, il leur faut distinguer financements en amont, comme ceux provenant de l’Agence nationale de la recherche (ANR), et financements en aval, comme les fonds démonstrateurs qui accompagnent quasiment la mise sur le marché. D’autre part, elles font face à une multitude de sources de financement : internationales – Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI) –, européennes – Banque européenne d’investissement –, nationales – ANR, Fonds unique interministériel (FUI), fonds Écotechnologies –, mais aussi, réalité moins connue, régionales. Personne n’a véritablement de vision globale de la nature et de la destination des financements ou de la granulométrie des aides.
C’est la raison pour laquelle j’ai créé au sein du COSEI un groupe de travail consacré au financement, en plus d’un autre groupe consacré à l’innovation. Quatre questions simples ont structuré la réflexion : combien d’argent public est orienté vers les entreprises de l’environnement ? L’aide publique porte-t-elle plutôt sur l’amont ou l’aval de la recherche ? Quelles sont les filières financées ? Quels types d’entreprise bénéficient des aides publiques ? Nous sommes parvenus à établir une synthèse, nous manquent seulement les chiffres de l’ADEME et de Bpifrance pour les deux dernières années – mais nous ne désespérons pas de les obtenir.
Première question : combien d’argent public est orienté vers les entreprises de l’environnement ? Chaque année, elles reçoivent environ 600 millions d’euros : 300 millions d’euros au titre des investissements d’avenir et 300 millions au titre du crédit d’impôt recherche. Pour les deux dernières années, je le disais, je ne dispose pas d’éléments très précis, d’autant que Bpifrance travaille non par filières mais par produits, ce qui suppose des calculs supplémentaires. Cependant, nous pouvons raisonnablement penser qu’il y a eu une accélération : le CIR n’a pas diminué, les investissements d’avenir sont montés en puissance.
Deuxième question : l’aide publique porte-t-elle sur l’amont ou l’aval de la recherche ? Nous avons pu constater une bonne répartition entre la recherche académique et les fonds démonstrateurs, mais une moindre accentuation sur la mise le marché. À cet égard, on oublie souvent de dire que l’innovation au sens strict du terme ne représente que 10 % des moyens nécessaires pour l’entrée en bourse d’une société.
Troisième question : quelles sont les filières financées ? Il y a eu des modes : au photovoltaïque a succédé l’éolien puis telle ou telle filière. Je déplore que certaines filières de la transition écologique soient insuffisamment financées alors que leur poids économique est plus important que celui des filières énergétiques. Ainsi, la filière du recyclage, exportatrice nette avec 3 milliards d’euros d’excédents, et la filière de l’eau, particulièrement puissante en France, regroupent davantage d’emplois – respectivement 126 000 et 125 000 – que la filière des énergies renouvelables – 100 000 emplois. Il est important de savoir quelle filière les politiques publiques entendent encourager. En 2014, l’énergie photovoltaïque a été au premier rang des investissements énergétiques, avant le pétrole et le nucléaire. Pour les industriels du pétrole, la messe est dite : le solaire est l’énergie d’avenir, celle qui sera la plus distribuée et la plus vendue dans le monde et si nous nous montrions plus agressifs, nous pourrions, malgré notre faiblesse nationale en ce domaine, gagner des parts de marché.
Quatrième question : quels types d’entreprise bénéficient des aides publiques ? Pour simplifier, disons qu’elles vont pour un tiers aux PME, un tiers aux ETI et un tiers aux grands groupes. En nombre, il est évident que ce sont les PME qui sont davantage financées. En termes de montants, l’essentiel des moyens va plutôt à de grandes entreprises.
Dans le plan « Énergies renouvelables » dont j’ai la charge, j’ai insisté sur deux orientations prioritaires. D’une part, il me paraît essentiel que les aides aillent aux entreprises ayant une orientation forte vers l’export, condition essentielle de réussite, compte tenu de la petite taille du marché français qui ne représente que 3 % à 5 % du marché mondial. Bpifrance soutient d’ailleurs l’activité à l’export par des aides spécifiques. D’autre part, il me paraît important d’encourager les entreprises de taille intermédiaire afin de créer un Mittelstand à la française dans le secteur des énergies renouvelables. À cet égard, je me félicite que Bpifrance ait choisi les ETI comme cible principale. Toutefois, je souhaiterais que nos actions soient mieux coordonnées car parmi les entreprises que je suis, plusieurs ont vocation à développer leurs activités à l’export, à s’inscrire dans le Mittelstand, à établir un ancrage territorial sur un segment de marché. De la même manière, j’aimerais que les échanges avec l’ADEME soient renforcés.
Pour finir, j’évoquerai le guide de financement des éco-entreprises que nous avons élaboré. Nous avons identifié les milliers de financeurs qui existent en France pour les rassembler dans un seul document montrant vers quelles filières vont les financements, à quelle hauteur ils se situent – milliers, millions ou dizaines de millions d’euros –, à quel stade de développement de l’entreprise – amorçage ou mise sur le marché – ils interviennent. Nous espérons que nos deux partenaires s’impliqueront pleinement dans cette initiative.
En conclusion, je dirai que nous y voyons plus clair dans le financement des entreprises comme dans le financement de l’innovation, même si le panorama est moins précis pour les deux dernières années faute des données nécessaires. J’appelle de mes vœux une meilleure collaboration entre ADEME, Bpifrance et la filière que je représente en vue de définir une véritable politique publique : qui fait quoi ? Vers quelle direction va-t-on ? Est-on en compétition ? Vise-t-on les bonnes sociétés, les bons segments de marché, les bons marchés ? Nos échanges sont encore insuffisants, il y a moyen de les améliorer.
M. Loïc Rivière, délégué général de l’Association française des éditeurs de logiciels et solutions internet (AFDEL). L’AFDEL regroupe trois cents entreprises éditrices de logiciels et actrices de l’Internet : des grands groupes nationaux et internationaux mais surtout un écosystème de PME et de start-up.
Je m’attacherai tout d’abord à cerner les besoins de financement des entreprises que nous représentons, puis à vous faire part de leurs retours sur les produits de Bpifrance, enfin, à dessiner une problématique liée à la politique industrielle et à la dimension stratégique de la politique de filière en lien avec l’action de Bpifrance.
Nos entreprises appartiennent à un secteur à forte intensité capitalistique due à un effort majeur de R & D en amont – il faut parfois trois années de recherche avant qu’un produit ne puisse sortir sur le marché. Elles se plaignent à juste titre d’une faible éligibilité aux dispositifs d’aides publiques à la R & D que sont, par exemple, le crédit d’impôt-recherche ou les aides destinées aux jeunes entreprises innovantes (JEI). La recherche expérimentale dans le domaine du logiciel et d’internet répond peu aux critères mis en avant pour bénéficier de soutiens.
Il s’agit d’un secteur peu attractif financièrement pour le non-initié. Il est avant tout constitué de PME – la centième entreprise française éditrice de logiciels réalise un peu plus de 5 millions de chiffres d’affaires – et repose sur des modèles économiques dont les analystes financiers ont une connaissance assez faible et qui ne sont pas toujours faciles à lire, il faut le reconnaître. Ainsi, le freemium¸ qui consiste dans un premier temps à offrir gratuitement un produit dans l’espoir de vendre une offre premium, est contre-intuitif pour un banquier ; quant au logiciel en tant que service, où la rémunération repose sur l’abonnement, il suppose d’apprécier sur trois ans les modèle de revenus. La R & D exige des apports immédiats alors que les revenus tardent à venir, les entreprises ayant tendance à accumuler les pertes à leurs débuts.
Il s’agit, par ailleurs, d’un secteur où le risque est important. Il connaît beaucoup de défaillances, caractéristique propre aux secteurs innovants. Les possibilités de sorties pour les investisseurs ne sont pas légions en France. Les grands groupes industriels français s’intéressent malheureusement assez peu à ces entreprises, à quelques exceptions notables comme Schneider Electric. Les sorties boursières se jouent pour leur très grande majorité sur d’autres marchés que les marchés français et européen et nous sommes loin du modèle israélien et de ses cinquante sociétés cotées chaque année au Nasdaq. Criteo vient d’y être côtée, mais la précédente entrée remontait à plus de dix ans avec Business Objects.
Le financement constitue cependant un enjeu très important pour ces entreprises qui enregistrent des taux de croissance bien supérieurs au PIB et participent au mouvement profond de transformation numérique de l’économie et de la société.
Bpifrance répond-elle aux besoins de ces entreprises ? Nous avons posé la question à nos adhérents et je peux vous dire qu’ils considèrent que oui, très majoritairement. Ils soulignent la qualité de la relation qui s’établit avec les interlocuteurs de Bpifrance, en mettant en avant la rapidité d’examen et de traitement des dossiers, la compétence des chargés d’affaires, leur volontarisme affiché. Ils insistent sur le besoin d’accompagnement, et je me réjouis que Bpifrance souhaite améliorer cette dimension. Bref, c’est le jour et la nuit entre Bpifrance et le secteur bancaire classique qui ne joue pas son rôle en matière de financement de l’innovation.
Nos adhérents soulignent encore la bonne compréhension des modèles économiques et des enjeux du numérique chez leurs interlocuteurs et se félicitent que Bpifrance mise sur le financement de l’immatériel, en offrant une multitude de produits correspondant aux divers stades de développement des entreprises, de l’amorçage de la R & D jusqu’à la stratégie à l’export.
Toutefois, ils considèrent que les critères d’appréciation restent assez classiques : ils renvoient principalement à la rentabilité, ce que l’on peut comprendre puisque Bpifrance est une banque.
Il leur apparaît également que la technologie semble davantage privilégiée dans le financement de l’innovation. À cet égard, je me réjouis des nouveaux critères mis en avant dans Innovation nouvelle génération que Bpifrance a publié avec la Fondation internet nouvelle génération (FING). Cette volonté constante d’amélioration est très appréciable et nous attendons beaucoup de la traduction dans les faits de ce nouveau référentiel, compte tenu de la tendance des investisseurs à financer des brevets plutôt que des innovations liées à l’usage ou aux modèles d’affaires.
Enfin, les petits acteurs, tels que les entreprises misant sur des développements à forts risques, se plaignent d’être moins considérés.
Reste que Bpifrance joue un rôle d’irrigation du secteur du capital-risque qui revêt une importance stratégique : notre pays a pu se positionner à la deuxième place en Europe en ce domaine. Nous ne pouvons que nous en réjouir, compte tenu du fait que le modèle du capital-risque est incontournable dans notre secteur.
Les besoins en fonds propres font partie des attentes que les entreprises du secteur parviennent le moins à satisfaire. Certes, le fonds Ambition numérique (FSN PME) a permis de financer pour des deuxièmes ou des troisièmes tours de table une vingtaine d’entreprises dont les taux de croissance atteignent deux voire trois chiffres. Cependant, il est loin de couvrir l’ensemble des besoins.
Je finirai par la stratégie pour le numérique. Force est de constater qu’il n’y a pas d’équivalent de l’ADEME pour le numérique en France. La stratégie industrielle de la France repose sur trente-quatre plans industriels différents. Ils font l’objet d’un louable effort de synthèse de la part des services de l’État, qui conduira sans doute à la réduction du nombre des plans dédiés au numérique. À cela s’ajoutent des comités stratégiques de filière, presque aussi nombreux que ces plans industriels. Je dois dire que je déplore, en tant que vice-président du comité stratégique de filière numérique, que ce secteur ne figure pas dans le viseur du Gouvernement pour la définition de la feuille de route stratégique des investissements publics de l’État. La France a aussi besoin d’avoir des champions dans ce domaine. Les pouvoirs publics doivent soutenir les acteurs susceptibles de conquérir des marchés. Dans le domaine de la cybersécurité, qui compte plusieurs pépites, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) est ainsi bien consciente de l’enjeu de souveraineté attaché au rayonnement de nos entreprises à l’international. Il m’apparaît donc primordial de revoir la définition de cette feuille de route stratégique, grâce à un travail conjoint de Bpifrance, d’autres acteurs de l’État et de l’écosystème.
M. Jérôme Billé, délégué général de l'Association des structures de recherche sous contrat (ASRC). Issue de l’Association des sociétés indépendantes de recherche et développement pour l’industrie (ASIRDI) créée dans les années quatre-vingt, l’Association des structures de recherche sous contrat a été fondée en 2000.
Le dénominateur commun de nos membres est qu’ils réalisent plus de 50 % de leur activité sous forme de prestations de R & D pour le compte de tiers, qu’il s’agisse de start-up, d’ETI, de grands groupes, voire de laboratoires de recherche, et qu’ils ont une activité très forte en matière de R & D de ressourcement, c’est-à-dire de recherches menées sur fonds propres pour maintenir les compétences au niveau de l’état de l’art, voire pour le dépasser. Nos quarante-cinq adhérents – PME ou ETI réalisent 125 millions de chiffres d’affaires. Ils assurent un continuum entre travaux issus du monde académique et problématiques industrielles. Pour eux, la technologie est un moyen et non une finalité : elle a peu de valeur en elle-même car ce sont les produits, les process, les modèles économiques qui permettent de générer de la valeur.
Quelles relations entretenons-nous avec Bpifrance ? Nous sommes tout d’abord des partenaires puisqu’elle nous soutient historiquement dans nos activités de R & D de ressourcement. En tant que fournisseurs, nous bénéficions par ailleurs du soutien qu’elle apporte à nos clients : nous avons tout intérêt à ce qu’ils soient en position de payer la facture que nous leur présentons pour les travaux très risqués que nous effectuons pour leur compte. Elle nous rassure en examinant les projets, d’un point de vue financier et qualitatif. Je dois dire pourtant que ce sont d’abord des inquiétudes qu’elle a suscitées chez nous. À sa création, son statut de banque était un sujet de préoccupation, les banques n’étant pas connues pour prendre des risques, mais fort heureusement, cette aptitude qui caractérisait l’Agence nationale de valorisation de la recherche (ANVAR) a été préservée par la direction de l’innovation de Paul-François Fournier.
Je dirai à sa suite que les aides individuelles à l’innovation sont essentielles. J’insiste sur ce point. Elles ne pourront jamais être remplacées par les projets collaboratifs, même s’ils ont leur intérêt – nous sommes membres d’une cinquante de pôles de compétitivité et participons à des projets de l’ANR, du Fonds unique interministériel, parfois même de l’ADEME. Il me semble donc nécessaire de soutenir très fortement le programme 192, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire à des parlementaires et des représentants des ministères, car ce sont ces aides qui permettent d’amorcer la pompe, étape incontournable pour assurer un continuum jusqu’à l’entrée en bourse.
Autres outils importants : les aides au partenariat technologique (APT) et les aides aux programmes européens (APE), qui permettent de candidater aux projets européens lancés en réponse aux appels à projets de Horizon 2020, programme communautaire doté d’un budget de 80 milliards destiné au soutien à la R & D et à l’innovation. La France est loin d’avoir récupéré l’argent qu’elle a investi dans le septième programme-cadre de recherche et de développement de l’Union européenne et nous espérons qu’il n’en ira pas de même pour Horizon 2020. Nous nous réjouissons que Bpifrance ait pu mettre en place l’APE, car elle engendre un effet de levier qui est loin d’être négligeable : les euros investis par BPI pour monter des projets de ce type ont de grande chance de générer auprès de Horizon 2020 beaucoup de financements sous forme de subventions à hauteur de 70 %, chose aujourd’hui rare dans le paysage français.
Il serait bon que Bpifrance accentue sa fonction de passerelle entre les PME innovantes et les grands groupes français, qui doivent davantage assumer un rôle de grand frère. On sait les difficultés qu’ont ces PME à se construire une première référence. Il me paraît tout de même dommage que leur premier client soit souvent un grand groupe étranger.
Bpifrance nous assure un soutien décisif. Sans son intervention, nous serions incapables de porter les risques liés aux projets de nos clients, risques générés par la R & D de de ressourcement, au cœur de notre activité. Historiquement, si nous n’avions pas eu l’ANVAR à nos côtés, les structures de recherche sous contrat auraient disparu. Or les différents organismes de recherche publique et les outils liés aux investissements d’avenir ne peuvent se substituer à l’aide à l’innovation industrielle que nous apportons aux entreprises pour franchir la vallée de la mort technologique.
Le discours que tient aujourd’hui Bpifrance nous rassure pleinement : elle se montre prête à soutenir des projets très risqués à contenu technologique mais à finalité économique. Reste qu’il faut absolument maintenir les dotations du programme 192 à un haut niveau.
Mme la présidente Véronique Louwagie. Monsieur Fournier, vous avez indiqué que Bpifrance intervenait au même titre que les fonds de sociétés privées de capital-risque. Est-ce bien là sa mission ?
Par ailleurs, monsieur Andreini, j’aimerais que vous nous précisiez si c’est vous qui avez adressé ces questions aux groupes de travail ou si ce sont eux qui les ont formulées.
M. Laurent Grandguillaume, rapporteur. J’aimerais tout d’abord avoir des précisions sur les relations entre l’ADEME et Bpifrance car il me semble nécessaire de clarifier leurs rôles respectifs. De nombreux parlementaires, dont Arnaud Leroy, avaient d’ailleurs soulevé cette question au moment de l’examen de la loi relative à la création de Bpifrance.
À votre sens, comment peut-on articuler pôles de compétitivité, politiques de filière, plans industriels ? Comment assurer une cohérence entre ces structures et les différents acteurs de l’innovation ? N’y a-t-il pas des redondances ? Ne peut-on craindre un saupoudrage à force de disperser les énergies ?
Bpifrance a fait évoluer son référentiel pour l’innovation en établissant une note d’intensité de l’innovation entre 0 et 4 et en mettant en point six critères différents : produits et services, procédé et organisation, marketing et commerce, technologie, innovation sociale. Comment pouvez-vous distinguer les innovations de rupture, que notre pays a tendance à valoriser, des innovations incrémentales ?
Enfin, nous avons bien compris que le programme 192 constituait un grand sujet de préoccupation. Le Président de la commission des finances, Gilles Carrez s’est exprimé à ce sujet la semaine dernière. Sachez que nous avons pleinement conscience de ce problème.
Mme Clotilde Valter. L’année dernière, dans le cadre de mes travaux en vue de la rédaction d’un rapport que j’ai remis au Premier ministre sur les centres techniques industriels, j’ai pu mesurer à quel maquis d’aides à l’innovation et à la recherche les PME et ETI étaient confrontées, car aux dispositifs soutenus par l’État s’ajoute une multitude de dispositifs locaux.
M. Paul-François Fournier. S’agissant des fonds directs de Bpifrance, je précise qu’il s’agit de fonds de co-investissement dans une logique de pari passu avec les fonds de capital-risque de la place. Quand les entreprises ont un degré de maturité suffisant, il est nécessaire de basculer leur financement dans le domaine privé pour assurer un meilleur effet de levier. Nous nous voulons une banque différente, qui finance le risque lié à l’innovation, mais la logique veut que le secteur privé prenne le relais afin de trouver les dizaines de millions d’euros nécessaires pour créer les champions dont nous avons besoin. Notre action en direct est, en réalité, relativement mineure. Nous avons essentiellement vocation à comprendre les dynamiques du marché et à intervenir conjointement avec des acteurs privés. Il ne s’agit pas pour nous de combler une faille du marché. C’est ainsi que nous ne soutenons pas directement l’amorçage, dont le financement renvoie à une expertise très fine. Nous considérons que nous ne disposons ni des moyens ni des compétences pour exercer ce métier compliqué. Nous préférons nous adosser à la compétence qui émerge des quinze ans d’expérience du capital-risque français.
Pour ce qui est des relations de Bpifrance et de l’ADEME, nous travaillons à coordonner nos actions à travers le programme d’investissements d’avenir. Nous nous distinguons de l’ADEME par l’accent privilégié que nous mettons sur le financement des PME et des ETI : elles représentent 80 % de la valeur de nos financements et 70 % de la valeur des programmes collaboratifs – 10 % allant aux grands groupes et 20 % aux laboratoires. 90 % des aides individuelles sont versées à des entreprises de moins de cinquante salariés. On saisit bien là la complémentarité entre nos deux structures. Il n’en demeure pas moins que s’agissant de certaines thématiques, l’existence d’un double guichet peut être source d’une relative complexité. C’est la raison pour laquelle nous nous efforçons chacun de notre côté de réorienter au mieux les dossiers des entreprises.
La question de la redondance et du saupoudrage est tout à fait légitime. J’y répondrai de deux façons. Premièrement, nous voyons arriver un nombre impressionnant de projets. En 2014, les financements des entreprises de moins de cinq ans au titre de l’innovation ont crû de 30 %. Nous souhaitons accompagner ce mouvement chez les étudiants et les jeunes entrepreneurs mais nous manquons de moyens. Ainsi avons-nous dû arrêter l’attribution de bourses French Tech en octobre 2014 et demander à leurs potentiels bénéficiaires d’attendre le mois de janvier pour postuler. Deuxièmement, dans le cadre du plan Nova, nous avons effectué un énorme travail de toilettage de la base des clients : en 2014, 80 % de nos clients ont été de nouveaux clients. Nous avons mis l’accent sur le renouvellement afin d’éviter que certaines entreprises ne se retrouvent en position d’être aidées trop souvent ou trop massivement par l’argent public.
S’agissant de la cohérence, nous avons beaucoup œuvré à simplifier nos procédures et à combler la lacune du marché en matière de financement de la démarche commerciale qui garantit le succès d’une entreprise. Toutefois, nous ne nous considérons pas comme étant en charge de la stratégie des filières. Nous avons des contacts étroits avec la direction générale des entreprises et comptons mettre la compétence de Bpifrance au cœur de la réflexion sur les filières. Et s’agissant du numérique en particulier, nous avons l’intention de travailler à une meilleure compréhension de ses nouveaux modèles.
Innovations incrémentales ou innovations de rupture, c’est une question essentielle. Nous souhaitons décloisonner les différentes dimensions de l’innovation et la panoplie des outils nous y aidera. Nous voulons faire en sorte que des financements bancaires traditionnels puissent financer des innovations plus incrémentales, pour lesquelles les risques sont plus modérés.
Vous avez souligné, madame Valter, la complexité des différentes aides. Ce maquis est encore une réalité malgré tous nos efforts. Nos donneurs d’ordre sont divers et veulent chacun imprimer leurs marques sur les dispositifs de financement, qu’il s’agisse de l’Union européenne, de l’État ou des régions. Nous essayons en quelque sorte d’être le témoin de l’entreprise pour utiliser de manière optimale les dispositifs existants. Et pour cela, nous pouvons compter sur la compétence de nos chargés d’affaires.
M. Benjamin Stremsdoerfer. Les relations entre l’ADEME et Bpifrance renvoient tout d’abord au Fonds Écotechnologies, qu’elles gèrent ensemble de manière efficace : depuis trois ans qu’il a été créé, aucun accroc n’est à déplorer, ce qui permet un bon financement des entreprises. Je préciserai seulement que l’ADEME présélectionne les dossiers de manière à inscrire le fonds dans la stratégie plus globale du PIA.
Cette expérience commune du Fonds Écotechnologies me conduit toutefois à tempérer les propos de M. Fournier s’agissant de la prise de risques. Les sociétés de capital-risque avec lesquelles ce fonds peut co-investir sont peu nombreuses et se montrent frileuses, si bien que la puissance publique est amenée à prendre beaucoup plus de risques que le secteur privé pour financer certaines entreprises.
Par ailleurs, la convention entre l’État et l’ADEME relative au PIA 2 a évité tout risque de recouvrement en précisant que l’action Projets industriels d’avenir (PIAVE) opérée par Bpifrance « s’adresse aux projets issus des trente-quatre plans de la nouvelle France industrielle et ne bénéficiant pas de soutiens dédiés dans le cadre d’appels à projets thématiques du programme d’investissements d’avenir ». Il s’agit d’une logique extrêmement cohérente : le projet est porté par l’acteur spécialiste, quand il y en a un, et quand il n’y en a pas, par un acteur généraliste. Toute innovation s’inscrit en effet dans un écosystème donné et des secteurs compliqués comme le recyclage nécessitent la connaissance très fine d’un acteur spécialiste car chaque type de produit recyclé constitue à lui seul un écosystème.
M. Jérôme Billé. Maquis, c’est bien le mot, madame Valter. Les PME ont beaucoup de difficultés à identifier les sources de financement, à déterminer quelles sont les plus pertinentes au regard de leur projet et à choisir les acteurs qui peuvent les accompagner.
Au maquis des aides s’ajoute un autre maquis. Le programme d’investissements d’avenir a poussé beaucoup de structures vers notre périmètre historique : la prestation de services de recherche et développement. Cela porte préjudice à tout le monde, en premier lieu à nous, dirai-je égoïstement, mais également aux PME et aux ETI qui ont beaucoup du mal à s’y retrouver. J’ai essayé un jour d’établir une cartographie des acteurs de la R & D en France et je suis parvenu à un résultat totalement illisible.
Il existe beaucoup de guichets. Ils sont globalement assez complémentaires, mais ils appliquent des règles de financement différentes. Ainsi, pour les coûts indirects, un taux de 25 % est retenu par les instances européennes, un taux de 20 % par Bpifrance, et un taux encore différent par l’ADEME. Une harmonisation constituerait un gain de temps précieux et ne coûterait rien.
M. Jean-Claude Andreini. Madame la présidente, c’est moi qui ai décidé de créer un groupe de travail sur l’innovation et qui lui ai demandé d’étudier ces quatre questions. Après un beau travail collaboratif avec les acteurs de l’innovation, nous avons pu publier un document identifiant financeurs et financements.
Y a-t-il une bonne articulation entre plans industriels et politiques de filières ? Il faut savoir que la plupart des plans industriels ont été élaborés à partir du travail des filières. S’agissant des éco-industries, j’ai ainsi procédé au regroupement d’une vingtaine de filières en quatre grands ensembles : eau et biodiversité ; déchets, recyclage, sols pollués, air pollué ; énergies renouvelables ; efficacité énergétique dans l’industrie, les transports et le bâtiment. Les plans industriels correspondent aux groupes de travail du comité stratégique des éco-industries : au groupe « Énergies renouvelables » correspond un plan industriel « Énergies renouvelables » et il en va de même pour le recyclage ou l’efficacité énergétique des bâtiments. Les mêmes industriels ayant siégé dans les groupes de travail du COSEI et dans les instances préparatoires des plans industriels, ils ont procédé eux-mêmes aux articulations. En cas de difficultés ou de heurts d’ambitions, j’ai procédé à des arbitrages.
La répartition des rôles entre plans industriels et comités de filière est assez simple : tout ce qui est collectif, public et concerne la structuration des filières, les ressources humaines, la législation et la réglementation relève du comité stratégique tandis que tous les projets relatifs à une entreprise en particulier relève du plan industriel, compte tenu de leur caractère confidentiel.
En tant que chef de projet du plan industriel « Énergies renouvelables », j’ai à traiter ces questions au quotidien. Diverses demandes sont présentées par les entreprises et c’est en concertation avec un représentant de l’ADEME, un représentant de Bpifrance et divers autres acteurs publics, tous astreints à la confidentialité, que je les examine. J’ai mis au point trois critères principaux d’évaluation : volonté de développer l’activité à l’export, positionnement dans le Mittelstand, structuration territoriale. Et je fais appel aux divers organismes publics ou privés selon la nature des projets. Une répartition de fait s’est opérée de manière assez simple.
M. Loïc Rivière. La politique industrielle se justifie par des priorités stratégiques nationales qui nécessitent l’intervention de l’État, sans pour autant qu’il se substitue au marché. La transition numérique appelle une logique différente de la transition énergétique. De ce point de vue, l’attitude de Bpifrance, qui ne juge des projets que par la capacité des entreprises à croître jusqu’à devenir des ETI voire des champions nationaux, est tout à fait justifiée.
S’agissant de la gouvernance des trente-quatre plans, je dois dire que nous sommes assez dubitatifs. Une dizaine d’entre eux relève du numérique stricto sensu mais ils sont marqués par une très grande disparité : il s’agit soit de secteurs très matures, comme les télécommunications, qui sont soumis à des problématiques de concurrence internationale, soit de technologies transversales comme le cloud computing dont on se demande si elles relèvent bien d’une politique industrielle, soit de secteurs qui ne reposent pas sur un tissu industriel comme le big data.
Par ailleurs, contrairement aux énergies renouvelables, la gouvernance des plans relatifs au numérique est déconnectée des organisations professionnelles et des comités stratégiques de filière qui relèvent du Conseil national de l’industrie. Elle a été confiée à des entreprises, qui agissent avant tout selon des stratégies individuelles entrant parfois en concurrence. C’est ainsi que ces différents plans s’apparentent à un millefeuille de projets, dont certains ont peu à voir avec une logique de politique industrielle.
Erreur de conception initiale et redondances nécessitent de réformer cette gouvernance. Nous travaillons avec les services de l’État à une synthèse afin de resserrer les plans vers des secteurs qui relèvent pleinement de la politique industrielle, c’est-à-dire où un tissu industriel existe et où des priorités stratégiques nationales peuvent être définies.
Mme la présidente Véronique Louwagie. Je vous remercie.