Accueil > Contrôle, évaluation, information > Les comptes rendus de la mission d'information

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Mission d’information commune sur la banque publique d’investissement, Bpifrance

Jeudi 19 mars 2015

Séance de 12 heures

Compte rendu n° 14

Présidence
de Mme Véronique Louwagie,
Présidente

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Régis Turrini, commissaire à l’Agence des participations de l’État (APE).

Mme la présidente Véronique Louwagie. Nous accueillons M. Régis Turrini, sur la question de l’articulation de l’action de Bpifrance et de l’Agence des participations de l’État (APE) dans la gestion des investissements dans les grandes entreprises, et sur le regard qu’il porte sur l’action de Bpifrance dans ce secteur.

M. Régis Turrini, commissaire à l’Agence des participations de l’État. Lors de la mise en place du Fonds stratégique d’investissement (FSI) en 2009, une stratégie d’investissement avait été définie dont je rappelle les principales thèses : apport de fonds propres permettant aux entreprises de dynamiser leur croissance, souscription au capital d’entreprises en mutation pour accompagner leur transformation ou la consolidation du secteur, stabilisation de l’actionnariat des entreprises disposant de positions concurrentielles solides, et dont les compétences et les technologies sont importantes pour le tissu industriel du pays.

À sa création, l’Agence des participations de l’État (APE) a été conçue non comme une entité pouvant légitimement prendre de manière souple des participations dans le capital des entreprises, mais comme la gestionnaire d’un stock d’actifs issus pour l’essentiel des anciens monopoles. Le FSI, par sa doctrine, avait donc vocation à assurer une intervention plus flexible de l’État auprès des entreprises, en particulier en période de crise.

La formalisation d’une stratégie de l’État actionnaire, sous la forme d’une doctrine, a été une démarche importante réalisée par mon prédécesseur en 2014. Cette doctrine, qui a fait l’objet d’une communication en Conseil des ministres le 15 janvier 2014, a partiellement estompé les différences qui pouvaient exister entre l’APE et les modalités d’intervention de l’ancien FSI, incorporé depuis lors au sein de Bpifrance.

Selon cette doctrine, l’État doit posséder la capacité d’intervenir en fonds propres, à titre majoritaire ou minoritaire, dans des sociétés commerciales, cotées ou non. Il se comporte en investisseur avisé avec une vision stratégique, une appréciation des risques, une capacité d’intervention ou d’anticipation qui lui sont propres. Son intervention doit pouvoir s’inscrire dans la durée, notamment afin de soutenir des projets qui supposent un retour sur investissement différé.

Une réflexion menée en 2013 a permis d’identifier quatre objectifs clairs et explicites qui doivent guider l’intervention de l’État en fonds propres. L’APE doit s’assurer d’un niveau de contrôle suffisant dans des entreprises à capitaux publics stratégiques intervenant dans des secteurs particulièrement sensibles en matière de souveraineté. Elle doit s’assurer de l’existence d’opérateurs résilients pour pourvoir aux besoins fondamentaux du pays. Elle doit accompagner le développement et la consolidation d’entreprises, en particulier dans des secteurs et des filières déterminantes pour la croissance économique. Enfin, elle doit intervenir ponctuellement, dans le respect des règles européennes, dans des opérations de sauvetage d’entreprises dont la défaillance présenterait des risques systémiques. La doctrine de l’État actionnaire prévoit explicitement que celui-ci puisse intervenir aussi bien directement par l’intermédiaire de l’APE qu’indirectement, via Bpifrance.

Dans ce cadre, Bpifrance s’est dotée d’une doctrine d’investissement complémentaire à celle de l’APE. Pour simplifier, quatre grandes complémentarités peuvent être identifiées.

Bpifrance a un rôle de financement de l’économie, au sens où son action doit contribuer à augmenter le volume de financements apportés aux entreprises françaises, tant par l’effet direct de ses interventions que par leur effet d’entraînement lié à la recherche de cofinancement.

Pour satisfaire ce premier objectif, Bpifrance concentre prioritairement son action sur les TPE, PME et ETI, alors que celle de l’APE porte sur un nombre limité de grandes entreprises, les unes cotées, les autres issues des anciens monopoles.

Dans la mesure où Bpifrance intervient en vue de créer un effet d’entraînement, elle recherche systématiquement des co-investisseurs auxquels elle laisse la majorité des parts. À l’inverse, l’APE peut conserver une position d’actionnaire majoritaire, voire unique dans de nombreuses entreprises.

Enfin, Bpifrance poursuit un objectif de rotation du portefeuille d’actifs en synergie avec les co-investisseurs, dans un souci de bonne gestion des risques, de libération de marges de manœuvre pour financer de nouveaux investissements et de valorisation de son patrimoine. Par conséquent, son horizon de détention est fini, de l’ordre de cinq à sept ans. L’APE intervient dans des entreprises pour lesquelles l’horizon de détention peut être beaucoup plus long, par exemple lorsque l’intervention est guidée par des enjeux de souveraineté.

La complémentarité des deux types d’action mérite cependant d’être nuancée. La question du bon véhicule d’intervention de la sphère publique s’est posée dans certains cas, comme dans celui d’Alstom. Néanmoins, ces hésitations traduisent plus souvent une incertitude sur les raisons de l’investissement – entreprise stratégique, consolidation d’une position, durée de détention – que sur l’outil à utiliser.

Cette complémentarité et ces divergences dans les objectifs ont une traduction concrète en termes d’effectifs. Alors que l’APE dispose d’une cinquantaine de collaborateurs dont un peu moins de quarante cadres opérationnels, Bpifrance Participations possède un personnel plus important avec près de 200 personnes affectées aux questions de participation et d’investissement.

Enfin, au-delà des relations entre l’APE et Bpifrance, l’APE dispose, lors des prises de participations, d’autres interlocuteurs dans la sphère publique, notamment la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Néanmoins, l’APE étant actionnaire de Bpifrance, leur dialogue est intense et fluide.

Bpifrance entretient des relations étroites avec d’autres services de l’État comme la direction générale du Trésor et la direction générale des entreprises, notamment dans le cadre de son suivi, mais le positionnement de l’APE demeure particulier, compte tenu de la proximité de l’action des deux véhicules.

J’en viens aux questions que vous m’avez posées par écrit.

Les grandes entreprises occupent une place à part au sein du portefeuille hérité de la CDC et du FSI que Bpifrance a reçu lors de sa création. En cédant ces participations, Bpifrance opère un mouvement de bascule par lequel elle se dégage des grandes entreprises pour accompagner les PME et les ETI.

L’action de Bpifrance auprès des grandes entreprises se fait principalement au travers de la filiale Bpifrance Participations et du métier fonds propres ETIGE (ETI/grandes entreprises). Au-delà du suivi du portefeuille hérité du FSI, qu’elle assure avec grand professionnalisme – comme le prouvent les résultats pour l’exercice de 2014 –, Bpifrance permet des échanges entre les grandes entreprises et développe des interactions au sein du secteur industriel français, que ces entreprises continuent à marquer de leur présence. Elle s’acquitte ainsi de sa mission de financement de l’économie.

Les échanges entre les services de l’APE et ceux de Bpifrance concernant ces grandes entreprises sont nombreux, afin de rendre l’action publique le plus efficace possible. Le portefeuille de Bpifrance Participations est marqué par une forte présence des entreprises du secteur des télécommunications, via Orange, qui constitue plus de 30 % de la valeur nette comptable du portefeuille des grandes entreprises cotées, mais aussi par le biais d’entreprises connexes à ce secteur, comme Technicolor ou Eutelsat.

Parmi les participations directes héritées du FSI, certaines ont été vendues ; les autres appartiennent encore au portefeuille de Bpifrance, pour des montants relativement importants. Les actifs de l’APE, très différents de ceux de la BPI, composent un inventaire à la Prévert. Ce sont des d’entreprises très diverses, dans lesquelles notre niveau de participation varie considérablement. L’APE est présente dans soixante-quatorze entreprises pour une valeur nette comptable de 110 à 120 milliards, dont 80 dans des entreprises cotées, alors que Bpifrance dispose directement d’environ soixante-dix participations ETIGE pour une valeur nette comptable d’un peu plus de 10 milliards.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Un rapprochement entre l’APE et Bpifrance, qui exercent le même métier, est-il envisageable, voire souhaitable ?

M. le rapporteur. Les doctrines de gestion de l’APE et de Bpifrance s’opposent-elles parfois ? Le cas échéant, comment réglez-vous les divergences de points de vue ? Comment coordonnez-vous la gestion des investissements ? Quand l’APE et Bpifrance détiennent des participations dans les mêmes entreprises, comment accordez-vous vos décisions d’investissement et de cession de parts ? Existe-t-il des synergies d’expertise entre les deux instances ?

M. Régis Turrini. L’APE et Bpifrance ne sont pas les seules instances publiques qui détiennent des participations dans les entreprises françaises, et dont les relations pourraient d’être clarifiées. C’est aussi le cas du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) ou de l’IFP Énergies nouvelles (IFPEN). Si l’on veut examiner la cohérence de l’action de l’État, on devrait, sans doute, le faire dans un cadre plus vaste.

L’État, actionnaire à 50 % de la holding de tête Bpifrance SA, est présent au sein de tous les organes de gouvernance de Bpifrance et de ses différentes structures. Des membres de l’APE sont plus particulièrement présents, en tant que représentants de l’État, dans les instances de gouvernance de la holding de tête et dans les sociétés du pôle investissement Bpifrance Participations et Bpifrance Investissement. Les échanges entre les services de l’APE et ceux de Bpifrance sont donc nombreux et approfondis. D’autres représentants de l’État, avec qui nous échangeons sur une base régulière, sont présents au sein du pôle financement. L’APE possède à tout instant une vue de l’ensemble de l’entreprise, qu’elle partage avec les autres services de l’État, ainsi qu’avec la CDC, coactionnaire à 50 % de Bpifrance SA.

Par ailleurs, l’APE partage avec Bpifrance des participations au sein de certaines entreprises, notamment Orange. Elle a mené avec Bpifrance des opérations conjointes de prise de participation. Une opération de ce type concernant Alstom pourrait se concrétiser. Nous menons également des échanges afin d’optimiser la détention des participations au sein de la sphère publique, en fonction de la doctrine de chacune des entités. Je puis citer, à titre d’exemple, le transfert de la BPI vers l’APE de la participation dans STX, ou la réflexion que nous menons sur Eramet.

Orange est la principale participation de la BPI et c’est aussi celle que nous partageons. Son poids est important dans le bilan de Bpifrance. Elle représente 22 % de la valeur nette comptable de son portefeuille, ce qui constitue 11,6 % du capital d’Orange. Un pacte d’actionnaires entre l’État et Bpifrance concernant cette participation nous engage à tout mettre en œuvre pour trouver des positions communes sur les sujets qui ont trait à la vie de la société.

La monétisation intervenue en octobre 2014, qui s’est traduite par la cession de 1,9 % du capital d’Orange, a souligné les interactions existant entre les équipes de Bpifrance et celles de l’APE. Ce sujet, qui a fait l’objet de consultations au sein des organes de gouvernance où l’APE est présente avec la CDC, a donné lieu à des échanges techniques entre les services, notamment en vue de l’examen par la Commission des participations et des transferts. Nous travaillons ainsi avec la BPI et la CDC, avec lesquelles nos relations sont simples, fluides et informelles.

Dès lors que les doctrines d’intervention de l’APE et de Bpifrance, quoique différentes sur certains points, peuvent s’avérer complémentaires, il est légitime d’envisager des actions conjointes, chaque fois que cela s’avère pertinent. S’agissant de l’opération Alstom, l’État a noué avec Bouygues un accord qui lui offrira la possibilité d’entrer au capital d’Alstom à hauteur de 20 %, une fois que l’opération entre GE et Alstom sera finalisée. Cet accord laisse ouverte la manière dont l’État pourra entrer au capital. Il prévoit notamment que l’option d’achat dont il dispose pourra être exercée par toute entité contrôlée par l’État, donc par Bpifrance. Aucune décision n’a encore été prise – nous en sommes toujours à la phase de l’instruction –, mais il est certain que nous poursuivrons une étroite collaboration avec Bpifrance sur ce dossier, dès lors que son association à cette acquisition pourrait être une option à considérer sérieusement.

Le reclassement des titres STX de Bpifrance vers l’État en juin 2014 a permis de rationaliser l’actionnariat de la sphère publique dans STX France en confiant à l’APE tant la propriété des titres que le suivi de la cession engagée par les créanciers de STX. L’APE est ainsi devenue le seul interlocuteur du groupe, comme actionnaire minoritaire, et son seul interlocuteur pour la cession de la participation majoritaire de STX dans STX France. Le reclassement a permis une mise en conformité avec la doctrine de l’État actionnaire définie par le Gouvernement, qui attribue à l’APE la responsabilité d’investir dans des entreprises liées à la défense nationale. On connaît les capacités de construction de navires militaires de STX.

Au même titre que pour d’autres participations, on pourrait se poser la question de l’intérêt, pour la cohérence de l’action de la sphère publique, du transfert d’Eramet du portefeuille de Bpifrance Participations vers l’APE – ou du transfert inverse.

M. le rapporteur. Un tel transfert est-il envisagé ?

M. Régis Turrini. Pas encore, mais il pourrait l’être, compte tenu du rôle d’Eramet, notamment en Nouvelle-Calédonie. La société n’étant pas étrangère aux questions liées à notre souveraineté, il serait logique qu’elle appartienne au périmètre de l’État plutôt qu’à celui de la BPI. En outre, la doctrine de la BPI prévoyant une rotation du portefeuille, une sortie d’Eramet est prévisible à terme. L’État étant un actionnaire de plus long terme que la BPI, il serait pertinent que cette participation lui revienne. On pourrait mener la même réflexion sur d’autres actifs de Bpifrance ou de l’APE.

M. le rapporteur. Qui tranche, en cas de désaccord sur une prise de participation ?

M. Régis Turrini. Je n’ai pas eu à connaître de désaccord, notamment sur les cas très concrets que je viens de citer. Si un désaccord survenait, il serait tranché par l’autorité politique.

En termes de gestion, nous travaillons à optimiser l’efficacité de l’action publique. Nous sommes présents au sein de différentes instances de gouvernance de la BPI et de ses filiales. De plus, des échanges sont fréquents au niveau technique. M. Saintoyant, directeur de participations services et finances, suit les relations avec la BPI au sein de l’APE. Il est l’interlocuteur privilégié de la BPI sur ces échanges, lors desquels on s’assure que les intérêts des deux parties sont pris en compte.

Dans le cas d’Orange, toutes les décisions sont prises dans le cadre du pacte d’actionnaires. Une coordination existe pour les grandes entreprises. Lors de la tentative d’OPA de Technip sur CGG – sociétés dont Bpifrance est actionnaire –, nous avions organisé des échanges pour réfléchir à une éventuelle participation de Bpifrance.

Le projet d’opération sur Alstom a montré que des synergies sont possibles. Celles-ci ne sont pas financières, car Bpifrance, qui a son propre intérêt social, doit assurer sa rentabilité. Elle n’a pas à financer à titre gracieux les services de l’État, qui, inversement, n’a pas à engager de dépenses en faveur d’une société privée. En revanche, les synergies d’expertise et de fonctionnement existent, bien que, étant informelles, elles soient difficiles à quantifier. Nous échangeons beaucoup sur les bonnes pratiques, notamment le reporting, la gouvernance et le rôle à tenir dans les conseils d’administration. Ces liens sont constructifs, quoique les deux instances poursuivent des objectifs différents.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Je vous remercie.